Nous accueillons Mme Virginie Bagouet journaliste scientifique dont l'histoire est pleine d'enseignements. Avant de lui passer la parole, je voudrais lui rappeler, afin qu'il n'y ait pas de malentendu, que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat. Je vous prie d'excuser l'absence de Madame la rapporteure, sollicitée par le débat sur la bioéthique. Nous commençons cette audition sans elle. La parole est à Madame Bagouet pour une intervention liminaire.
J'ai accepté de venir témoigner devant vous car j'ai été victime des pressions exercées par les laboratoires Servier sur la rédaction d'un journal médical que je viens de quitter. Je suis journaliste scientifique de formation. J'ai travaillé dans la presse locale, puis dans un mensuel destiné aux chercheurs. Je suis entrée à Impact Médecine, hebdomadaire destiné aux médecins généralistes, début 2008. La perspective d'écrire pour les médecins était pour moi motivante. Voilà pourquoi j'ai intégré dans cet hebdomadaire avec joie. Malheureusement, j'ai dû déchanter.
Cet hebdomadaire traite de l'actualité de la santé publique, de la vie syndicale des médecins, ainsi que de leur exercice médical. Dans les dossiers publiés, nous décrivons les médicaments disponibles au regard des pathologies. Au regard de mon expérience, j'estime aujourd'hui que si la partie traitant de l'actualité a un intérêt indéniable pour les médecins, les sujets relatifs à l'exercice médical et à la prescription ne sont pas traités de manière satisfaisante. En effet, le nombre de pages du journal dépend directement de la publicité. Les sujets susceptibles d'attirer la publicité de l'industrie pharmaceutique sont donc privilégiés. Les effets secondaires des médicaments ne sont quasiment pas abordés.
A cet égard, l'attitude des laboratoires Servier est remarquable. En effet, les articles faisant la promotion des produits de ce laboratoire sont envoyés pour relecture et modifiés par les équipes de Servier. J'ai assisté et été directement concernée par de telles pratiques, que je considère comme un grave manquement à la déontologie journalistique. Un texte qui vise à faire la promotion d'un produit n'est rien d'autre que de la publicité.
L'affaire du Mediator a démontré que la presse, financée par l'industrie pharmaceutique, ne pouvait pas être critique à l'égard de ses financeurs que sont les laboratoires pharmaceutiques. Pour Impact Médecine, cette affaire a commencé avec la publication du livre d'Irène Frachon, que nous avons reçu début juin 2010 à la rédaction. Les journalistes l'ont lu. A juste titre, ils ont estimé qu'ils devaient en rendre compte. Immédiatement, notre direction s'est opposée à ce que nous parlions de ce livre dans nos colonnes, ainsi que sur le site Internet de la revue. Nous avons été particulièrement affectés. Nous avons donc surveillé ce que faisaient nos concurrents. Nous avons pu constater que personne ne parlait du livre. Les seuls journaux qui en ont parlé l'ont fait par l'intermédiaire d'un communiqué de presse de Servier publié le 3 juin.
Nous n'avions donc pas le droit de parler de ce livre. Ensuite est arrivée l'étude de Catherine Hill, qui donnait une estimation du nombre de morts et d'hospitalisations imputables au Mediator. Notre rédaction en chef a décidé que nous pouvions traiter de cette étude. Une journaliste a réalisé un article. Au dernier moment, il n'a pas été publié dans le journal au motif que le sujet était trop sensible.
Nous n'avons publié qu'un seul article sur l'affaire du Mediator, suite à une conférence de presse de l'agence du médicament. Cet article se voulait extrêmement pratique pour les médecins généralistes quant à la conduite à tenir vis-à-vis de leurs patients qui avaient pris du Mediator. Il nous a été dit que rien d'autre que ces informations pratiques ne devait être publié jusqu'à la présentation du rapport de l'Igas. J'ai couvert la conférence de presse de l'Igas pour ma rédaction. Au retour, j'ai été très claire : j'ai dit à ma direction que j'étais prête à rédiger un article, mais à condition de pouvoir aborder la question de la responsabilité de Servier et raconter l'histoire de ce médicament passé entre les mailles du filet pendant des dizaines d'années. Mon article a été modifié au dernier moment. La plupart des parties de récit ont été supprimées pour conserver, au final, l'énumération des mesures annoncées le 15 janvier par Xavier Bertrand.
Je pourrai vous remettre l'article tel qu'il était et tel qu'il est devenu.
Pouvez-nous tout de même donner quelques éléments sur ces modifications ?
Je voulais notamment préciser qu'aux doses thérapeutiques, dans le sang, Pondéral égal Isoméride égal Mediator. Cette partie a été supprimée.
Nous avons auditionné les laboratoires Servier. Ils ne reconnaissent pas la véritable nature pharmaco-chimique de ce médicament, qu'ils refusent de considérer comme un anorexigène.
Des informations ont été données dans l'article final, mais les parties les plus gênantes sur la stratégie de Servier pour cacher ce qu'était réellement le médicament ont été supprimées.
En parallèle de cette affaire, j'ai plusieurs fois constaté la difficulté de traiter de manière normale tout ce qui concerne les produits du laboratoire Servier. Il m'est notamment arrivé de rédiger des dossiers médicaux de cardiologie et de rhumatologie, domaines dans lesquels Servier commercialise des produits. Fin août, j'ai été chargée de suivre un congrès de cardiologie à Stockholm. Une étude a notamment présenté les bénéfices du procoralan, un médicament des laboratoires Servier pour les cas d'insuffisance cardiaque, modérée à sévère. J'ai rédigé un article que j'ai envoyé directement par mail à ma rédaction en chef, qui l'a envoyé pour relecture aux laboratoires Servier pour « validation scientifique ».
C'est complètement contraire à la déontologie qui régit votre profession. C'est de la publicité.
Nous sommes bien d'accord, mais en l'espèce, les modifications apportées n'étaient pas très importantes par rapport à l'article de départ. En revanche, une erreur de terminologie a été introduite lors de la relecture par Servier. L'article a pourtant été publié tel quel sur le site Internet. Lorsque je suis revenue à Paris et que j'ai fait part de mon mécontentement à ma rédaction en chef, il m'a été répondu que Servier était content.
Sur ce même dossier, il avait été décidé que nous parlerions des nouvelles recommandations européennes sur la fibrillation atriale qui avaient été présentées lors de ce congrès. Finalement, tout a été modifié. L'étude de Servier sur le procoralan a été passée en ouverture du dossier. Un article a été publié sur un autre médicament de Servier, le coversyl. C'est moi qui avais rédigé la plupart des articles. Ce dernier article est apparu dans mon dossier un peu comme par miracle, sans que je n'ai été alertée de quoi que ce soit, avec la signature du pseudonyme Claire Bonneau. Ce pseudonyme est utilisé pour tous les articles publicitaires que personne dans la rédaction ne souhaite assumer.
Je me souviens avoir demandé à Monsieur Thomasset, président du groupe Impact Médecine, qui était Claire Bonneau. Incapable de me répondre, il devait me faire parvenir les coordonnées du journaliste concerné. Nous les attendons toujours.
L'utilisation de pseudonymes peut se justifier lorsqu'un journaliste a plusieurs activités. Dans le cas présent, c'est uniquement pour se décharger. Apparemment, la directrice de la rédaction souhaite prendre la responsabilité de ce pseudonyme.
Je l'ai fait, mais ils ne répondent pas. Comment s'appelle votre directrice de la rédaction ?
Nous essaierons de rappeler Monsieur Thomasset lorsque nous aurons le temps.
Un autre exemple assez frappant concerne un produit, le Protélos, que possède Servier dans le domaine de la rhumatologie. Des articles sont régulièrement publiés dans Impact Médecine. Ils sont principalement signés de Claire Bonneau. J'ai été chargée d'un dossier de rhumatologie à l'occasion du congrès de la société française de rhumatologie qui s'est tenue fin novembre/début décembre à La Défense. J'ai assisté à une conférence organisée par les laboratoires Servier. J'en ai rédigé un compte-rendu. J'ai demandé à le relire avant qu'il ne soit publié. En fait, il s'est avéré que mon article avait été modifié ; 50 % de l'article initial avait été ajouté dans un style de marketing pur.
Manifestement, vous n'aviez pas le « style Servier ». J'imagine que c'est rédhibitoire pour quelqu'un qui travaille dans un journal comme Impact Médecine.
J'ai estimé que cet article ne devait pas être publié, ou en tout cas pas sous ma signature. Il a donc été signé par Claire Bonneau.
En avril-mai 2010, j'ai réalisé un dossier de rhumatologie à l'occasion d'un congrès qui s'est tenu à Milan. L'un des thèmes principaux portait sur les effets secondaires des traitements de l'ostéoporose. D'emblée, il m'a été dit que je ne parlerai pas de ces effets secondaires en raison d'une mauvaise expérience que le journal avait déjà eue fin 2007 : suite à la parution d'un article, les laboratoires Servier n'avaient plus publié d'annonces pendant six mois dans le journal.
Dès qu'un article est défavorable à Servier, ils suppriment donc la publicité ?
J'imagine que c'est pour cela que les articles sont envoyés pour relecture à Servier. Ce n'est pas par plaisir, mais pour ne pas renoncer à des pages de publicité de Servier dans le journal. Le budget que les laboratoires pharmaceutiques consacrent à la communication dans les journaux médicaux va déjà décroissant. Ces journaux sont donc prêts à beaucoup pour avoir des pages de publicité.
Lorsqu'un article déplaît à Servier, la sanction est donc l'absence de publicité.
C'est en tout cas ce que m'a dit la rédaction lorsque j'ai expliqué que je souhaitais rédiger un article sur les effets secondaires des traitements de l'ostéoporose.
A votre connaissance, les autres laboratoires se comportent-ils de la même manière ?
Je pense qu'ils communiquent de manière plus subtile. Ils nous invitent à des congrès scientifiques aux Etats-Unis pendant cinq jours.
En général, nous expliquons que la conférence est organisée par un laboratoire. A ma connaissance, les articles ne sont pas envoyés pour relecture. Je n'ai pas travaillé pour les autres titres de la presse médicale. Je ne peux donc rien affirmer. Dans les conversations de congrès, les journalistes de la presse médicale parlent de manière récurrente des pressions des laboratoires Servier.
Vous êtes la première à nous le dire. Cela nous éclaire sur un aspect souvent caché de la presse médicale.
Il y a des bons journalistes dans la presse médicale, mais ils ne peuvent pas faire normalement leur travail en raison de ces pressions. Je pensais qu'en France, la liberté de la presse était respectée. Je ne me doutais pas que les articles étaient entièrement dépendants des annonceurs.
Oui. J'ai regardé les auditions des dirigeants de la presse médicale. Elles m'ont attristé. Ils sont uniquement sur la défensive et n'ont pas l'air disposés à revoir leurs pratiques.
Dans les deux cas, Sénat comme Assemblée Nationale, vous avez été déçue.
Je n'ai pas l'impression qu'ils reconnaissent les pressions des laboratoires et qu'ils aient envie de délivrer une information complète aux médecins généralistes, qui ont pourtant le droit d'être informés des effets secondaires des médicaments qu'ils sont amenés à prescrire.
Ils nous ont pourtant indiqué que les médecins semblaient satisfaits de l'information qui leur est apportée.
Prescrire ne parle que des prescriptions médicales. Les articles sont rédigés par des médecins, pas par des journalistes. Il n'y a pas de partie actualité/santé publique. Ils ont donc leur place. Il faudrait juste qu'ils revoient leurs pratiques et qu'ils refusent les pressions des laboratoires.
Ils sont dans une véritable impasse : s'ils donnent l'information sans tenir compte des pressions des laboratoires, ils n'auront plus d'argent. Ils sont donc condamnés à délivrer une information qui donne avant tout satisfaction aux annonceurs.
Sauf si leur financement dépend davantage des abonnements que de la publicité.
Je suis d'accord. D'après ce que nous ont dit les responsables que nous avons auditionnés, le pourcentage que représente la publicité des laboratoires a tendance à diminuer, mais elle reste encore de l'ordre de 50 %, et quelquefois davantage. En tout cas, nous sommes bien obligés de constater que l'information que délivre Impact Médecine aux médecins n'est pas très objective scientifiquement.
Pensez-vous qu'il pourrait y avoir des représailles après tout ce que vous venez de dire ?
Je ne l'espère pas. Je ne travaille plus pour Impact Médecine. J'ai quitté ce journal.
Faites-vous, dans votre journal, des articles critiques, ou s'agit-il à chaque fois d'articles qui vantent les bienfaits des médicaments ?
Nous sommes critiques vis-à-vis des politiques de santé menées par le gouvernement. Nous avons la liberté d'être critiques dans tout un tas de domaine de la médecine, mais pas sur les médicaments, ou alors à la marge, par exemple lorsqu'un médicament est en passe d'être retiré.
Apparemment, les journaux médicaux sont financés à 50 % par la publicité des firmes pharmaceutiques. Ils n'auront donc jamais la possibilité d'avoir une attitude éthique quant à la qualité ou aux aspects secondaires des médicaments.
Peut-être pourraient-ils conclure des deals avec les annonceurs, acceptant leurs annonces tout en souhaitant pouvoir parler de tout aux médecins.
Dans d'autres domaines, la presse est souvent critique. Dans le domaine médical, elle ne l'est jamais à l'égard des firmes pharmaceutiques.
Vous avez répondu par avance à un certain nombre de questions posées par le rapporteur. Les laboratoires ont-ils leur mot à dire dans le choix des journalistes qui se rendent à leurs conférences de presse ? Avez-vous été présentée à des laboratoires par votre rédaction ?
Non. J'ai simplement le souvenir, avant le congrès de Stockholm de l'été dernier, que la directrice générale d'Impact Médecine souhaitait que je rencontre des personnes des laboratoires Servier. J'étais prête à m'y rendre, mais à condition d'avoir des résultats d'études à discuter avec eux. Je ne voyais pas l'intérêt d'une simple visite de courtoisie. Je ne sais pas si les laboratoires choisissent les journalistes qui partent avec eux en congrès.
Et en conférence de presse ? Au moment de l'affaire du Mediator, Servier avait organisé une conférence de presse.
Seuls les membres de la presse médicale avaient été conviés, pas les autres. Cette conférence de presse avait pour but, entre autres, de démonter l'étude de Catherine Hill.
Ce n'est pas vous qui avez été conviée à vous rendre à cette conférence pour le compte de votre journal.
Non. Il y a eu des comptes-rendus dans les journaux concurrents. Notre article n'a pas suffisamment plu à Servier pour être publié. C'est en tout cas ce qui m'a été dit. Il y a eu des comptes-rendus de cette conférence de presse dans d'autres revues, notamment dans le Panorama du Médecin.
J'ai appris qu'il existait une charte de déclaration des devoirs et des droits des journalistes. Son article 9 énonce qu'il ne faut « jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n'accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs ». Après ce que vous venez de nous dire, les journalistes d'Impact Médecine peuvent-ils être considérés comme de véritables journalistes ?
Ceux qui ne parlent pas de médicaments peuvent être considérés comme de véritables journalistes. Pas les autres. Voilà pourquoi je suis partie. J'ai estimé que je ne pouvais plus exercer mon métier.
Il existe donc deux catégories de journalistes dans ces rédactions : ceux qui traitent des médicaments et les autres. Vous pensez que « les autres » sont plus libres que ceux qui traitent des médicaments.
Leurs articles ne sont envoyés à personne pour relecture. Même s'il arrive aux syndicats de passer une page de publicité dans le journal, cela reste plus rare que les campagnes réalisées par l'industrie pharmaceutiques. Ces journalistes sont donc assez libres d'exercer normalement leur métier. Ceux qui parlent d'exercice médical et de stratégie thérapeutique ne le sont pas.
Je n'ai pas bien compris la technique des abonnements prospectifs. Beaucoup de médecins que j'ai interrogés reçoivent les journaux médicaux de manière permanente sans y être abonnés eux-mêmes.
Il m'a été expliqué qu'ils les recevaient les journaux de manière tournante. Ainsi, pendant un mois, un médecin reçoit trois numéros.
La commission paritaire devrait avoir ce genre d'information.
Nous pourrons leur demander s'ils ont des informations concernant les abonnements. Si même ces abonnements sont fallacieux, que reste-t-il aux journaux pour se prévaloir du statut d'organe de presse ? Certains journalistes n'ont plus de journaliste que le nom. Ce sont de vrais problèmes. J'ai cru comprendre que certains responsables de presse se plaignaient de ne pas recevoir de la part des pouvoirs publics toute l'attention et toutes les aides auxquelles ils prétendent avoir droit.
Cela paraît pour le moins paradoxal. Il y a matière à réaliser une enquête pour savoir ce qu'il en est exactement.
Les laboratoires Servier ont-ils une réputation particulière dans le secteur de la presse médicale ?
Avez-vous un comité de relecture ? A vous entendre, j'ai compris que ce comité était situé chez Servier.
D'après ce que vous avez dit, les autres laboratoires n'ont pas de comités de relecture.
Avez-vous des attentes vis-à-vis des pouvoirs publics en matière de réglementation ou de soutien à la presse médicale ? Avez-vous une certaine idée de ce que devrait être la presse médicale ?
L'information des médecins est utile, mais à condition qu'elle puisse être réalisée de manière convenable. Il est dommage que seul Prescrire soit indépendant, car cette revue n'aborde pas tous les domaines de la médecine et toute la vie d'un médecin.
Il est vrai qu'il n'est jamais question des problèmes des médecins et des syndicats médicaux.
Avec toute l'expérience que vous avez, je crois que vous devriez écrire un livre. Peut-être y avez-vous déjà pensé ?
Pas particulièrement. Ma priorité était de quitter cette rédaction, pas d'écrire un livre.
Nous poursuivons nos auditions avec MM. Daniel Bideau et Grégory Caret, respectivement administrateur et directeur des études de l'UFC-Que Choisir.
Je dois vous dire, avant de vous donner la parole, que cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat. Je vous prie également d'excuser l'absence de madame la rapporteure, qui est sollicitée par le débat sur la loi bioéthique.
Je vais vous passer la parole pour un exposé liminaire. Vous êtes intervenus à de multiples reprises sur le problème du médicament.
Nous vous remercions beaucoup pour cet accueil devant votre mission d'information. Nous avons des choses à dire. Ce que nous voulons avant tout, c'est faire avancer l'intérêt du consommateur et de l'usager de la santé.
L'UFC-Que Choisir est une association de représentants d'usagers de la santé. Nous avons un agrément santé, ainsi qu'un agrément juridique, ce qui nous permet d'ester en justice au nom des consommateurs. L'association est complètement indépendante. Nous sommes financés par une activité presse et par les cotisations de nos adhérents. Notre réseau santé est porté par de très nombreux adhérents dans toutes les régions de France. Ces bénévoles interviennent dans les instances locales. Que Choisir Santé est une revue spécifique de la santé. Nous y avons récemment publié une liste particulièrement importante de médicaments pouvant présenter des risques pour la santé des consommateurs.
C'est fort de notre expérience que nous avons demandé à être auditionné par la mission d'information Mediator. La question de la mise sur le marché et du suivi des médicaments en France se retrouve une nouvelle fois sous les feux des projecteurs. Commercialisé en 1976 en France, prescrit initialement comme antidiabétique, le Mediator a été progressivement proposé aux personnes souhaitant perdre du poids pour son effet coupe-faim. Entre 1976 et 2009, environ 5 millions de personnes se sont vus prescrire du Mediator en France. Les premiers signaux inquiétants de dangerosité du traitement sont apparus dès 1997, mais c'est seulement le 30 novembre 2009 que l'Afssaps prendra la décision de retirer le médicament du marché. Ce médicament est resté remboursé à son taux maximal jusqu'à son retrait du marché, ce qui est un comble pour un médicament dont le service médical rendu insuffisant avait été relevé deux ans auparavant.
Les conditions dans lesquelles le médicament a obtenu plusieurs autorisations de mise sur le marché en France et dans les autres pays interdisaient la commercialisation. Celles qui ont conduit à son retrait tardif, comme les dérives de prescription constatées, soulèvent de nombreuses interrogations quant au rôle et au fonctionnement des acteurs concernés. Sont engagées la responsabilité de l'Afssaps, qui était chargée de l'octroi de l'AMM et du suivi de la pharmacovigilance, celle de la HAS, qui a maintenu le remboursement, celle du laboratoire Servier et celle des médecins qui, pendant des années, n'auraient pas suivi les règles de prescription édictées par l'Afssaps.
Plus largement, ce dossier doit être l'occasion d'exiger des mesures fortes d'amélioration du fonctionnement de l'ensemble des dispositifs de lancement et de suivi des produits de santé, qui ont montré de graves dysfonctionnements. Le cas du Mediator est bien loin d'être isolé. L'histoire récente regorge d'exemples de dysfonctionnements dans ces processus de lancement et de suivi des produits de santé.
Nous demandons qu'un fonds d'indemnisation soit ouvert à l'ensemble des victimes, quel que soit leur taux d'incapacité, sous le contrôle de l'Etat et, de fait, rattaché à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam).
Nous allons y venir.
Nous demandons également un guichet unique pour les demandes d'indemnisation via l'Oniam, qui gèrera l'ensemble des dossiers, l'organisation des expertises - qui seront gratuites - et l'indemnisation des victimes, avec possibilité de subrogation de droits permettant à l'Oniam de se tourner vers Servier pour se faire rembourser. Nous pensons que la puissance publique doit d'abord abonder le fonds, quitte à ce que Servier soit ensuite ponctionné.
Il est possible que le fonds ne récupère pas toutes les sommes versées. Le principal responsable dans l'affaire doit payer, mais selon notre rapport, il existe également une responsabilité de l'Etat, donc il n'est pas illogique qu'il soit mis à contribution.
Nous sommes totalement opposés à la proposition qu'ont faite les laboratoires Servier de réaliser des transactions individuelles selon un protocole établi en accord avec l'Etat et les associations de patients. Nous participons d'ailleurs au comité de suivi de cette affaire. Servier a, en fait, proposé de passer par les chambres régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI) et de créer un fonds de complément. Or les CRCI ne sont pas dimensionnées pour traiter des litiges de masse. Elles sont également limitées dans leurs prérogatives, ne prenant en considération que les personnes dont le taux est supérieur à 24 % pour des traitements postérieurs à 2002. Beaucoup de patients ont soit des traitements antérieurs, soit des incapacités inférieures.
Un problème de gouvernance se pose. Servier propose que le fonds soit géré par le laboratoire et un comité d'experts nommé par lui. Avec ce dispositif, il n'y a pas de reconnaissance de responsabilité. De plus, nous nous interrogeons sur les assureurs présents derrière Servier. Enfin, en contrepartie, Servier demande un renoncement à toute action en justice alors que tous les préjudices ne sont pas pris en compte. Nous sommes face à une demande particulièrement anormale.
Nous avons de très grandes attentes dans cette affaire. Les rapports et missions actuellement en cours sont importants. Nous voulons des résultats.
Il y est question de l'amélioration du système tel qu'il existe et de la transparence de certaines structures.
Afin d'éviter tout nouveau drame sanitaire, nous exigeons des mesures concrètes pour qu'une réforme du processus de mise sur le marché et de suivi des médicaments soit mise en place autour de quatre grandes idées.
Il faut d'abord limiter le pouvoir de l'industrie pharmaceutique dans la chaîne de décision. Il est peu question de l'étage européen de cette décision dans les débats actuels. Nous y sommes particulièrement attachés. Nous souhaitons une réforme du système européen d'autorisation de mise sur le marché des produits de santé afin que le financement des agences ne dépende plus des demandes d'AMM, donc des laboratoires. Des laboratoires se rendent dans les pays en fonction de la possibilité qu'ils ont d'y faire entrer leurs médicaments par une agence de santé « moins-disante ». Cela nous paraît discutable.
Vous craignez une concurrence entre les agences de médicaments des différents Etats de l'Union ?
Il y en a une, c'est le système actuel. Nous souhaitons qu'il soit réformé au moyen d'une proposition faite à l'échelon européen.
Les pratiques de prescription médicamenteuse doivent être contrôlées et encadrées plus efficacement. Pour cela, nous souhaitons un renforcement des relations entre les agences nationales et les médecins par la création d'un corps de visiteurs médicaux indépendants placé, par exemple, sous l'égide de la Haute Autorité de santé. Il existe actuellement un corps indépendant, les délégués de l'assurance maladie (DAM), mais il dépend de l'assurance maladie. Il est souhaitable que puisse exister un système d'information indépendant des médecins qui dépende directement de la HAS réformée.
Que faites-vous des visiteurs médicaux rémunérés par les laboratoires ?
Ne craignez-vous pas que nous lassions les médecins en leur proposant plusieurs catégories de visiteurs médicaux ?
Actuellement, beaucoup de médecins ne reçoivent plus les visiteurs médicaux des laboratoires. Ils réclament une information indépendante. Celle que diffuse la HAS par Internet ne suffit pas. De plus, les DAM ont déjà un rôle de prévention et d'intervention. Le seul problème tient à leur lien d'intérêts avec l'assurance maladie.
Dans votre esprit, cette création d'un nouveau corps de visiteurs médicaux indépendants liés à la HAS s'ajouterait à ceux qui existent déjà.
Oui. Il faut imaginer un système dans lequel les médecins conseils pourraient également être impliqués.
Les prérogatives des structures sanitaires et leur coordination méritent d'être clarifiées afin que les responsabilités ne soient plus diluées. Actuellement, beaucoup de commissions se renvoient la responsabilité des décisions prises. La transparence dans les règles de prise de décision doit être améliorée en donnant accès aux études analysées par les commissions, en publiant les positions minoritaires et en imposant aux directions administratives de motiver leurs décisions lorsqu'elles ne suivent pas les recommandations des experts. Cette traçabilité de l'information au sein des commissions est très importante. Ces commissions auraient alors beaucoup plus de poids au travers des décisions qu'elles prendraient. Pour cela, il faut qu'elles soient particulièrement transparentes. Aujourd'hui, la Ceps, qui décide de la fixation du prix du médicament, est relativement difficile d'accès. Nous avons récemment dénoncé l'augmentation faramineuse de la complémentaire santé.
Sur la période 2001 à 2008, la hausse a été de 44 %. L'augmentation est encore plus sensible sur la dernière année. La partie restant à charge augmente également.
Le comité économique des produits de santé (Ceps) n'est pas très transparent pour ceux qui sont à l'extérieur, mais rassurez-vous, ceux qui sont à l'intérieur ne voient pas plus clair que vous.
C'est très inquiétant pour une commission qui décide du prix des médicaments que paient les usagers.
Nous formulerons des propositions qui essaieront de remédier à cette situation que vous dénoncez très justement.
Nous pensons qu'il faut clarifier le fonctionnement. Nous ne demandons pas forcément que les séances soient publiques, tant l'endroit est sensible sur le plan économique. En revanche, un maximum de publicité serait le bienvenu pour les députés, les sénateurs ou tout autre corps d'experts indépendants capable d'évaluer le prix mis en place pour certains médicaments. Aujourd'hui, plus de 90 % des médicaments nouveaux n'ont pas de service médical rendu (SMR) supérieur aux médicaments précédents.
Je suis très content de vous l'entendre dire. Rare sont ceux qui le disent.
Dans le cadre des Assises du médicament, les entreprises du médicament (Leem) ont-elles-mêmes reconnu que l'amélioration du service médical rendu (ASMR) de 95 % des nouveaux médicaments n'était pas meilleur que celui de l'existant. Tout le monde est d'accord pour reconnaître un manque d'innovation depuis quelques années. Nous nous interrogeons beaucoup sur ce qu'est un nouveau médicament. Nous avons du mal à savoir quelle est la structure qui décide, entre l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) - qui évalue le bénéfice-risque -, la HAS ou le Ceps. Un médicament doit présenter un bénéfice-risque positif. Aujourd'hui, ils sont évalués selon des études qui, de l'avis même de l'Afssaps, sont très partielles, car uniquement présentées par les laboratoires. Le bénéfice attendu est évalué sur un avantage potentiel. Les experts de l'Afssaps reçoivent des données partielles, d'où l'importance de la pharmacovigilance. Pour sa part, la HAS essaie de statuer sur un taux de remboursement avec des données qui ne sont pas forcément complètes, sans compter que les experts ont parfois des liens avec les laboratoires.
Ils n'en ont pas davantage que ceux de la commission de mise sur le marché. Je dirai même que le président de la Commission de la transparence, contrairement à son homologue de la commission d'AMM, n'a pas du tout de lien d'intérêts.
Nous avons déjà entendu dire qu'un expert sans lien d'intérêts était un expert sans intérêt.
Le Leem reproche parfois à l'Afssaps l'existence de liens d'intérêts négatifs. Dans cette configuration, les liens d'intérêts sont de nature à altérer les jugements.
Les liens d'intérêts doivent être contrôlés et démarrer à une échelle très basse. Aujourd'hui, les liens d'intérêts inférieurs à un certain seuil ne doivent pas être déclarés. Or nous estimons que même les petits liens d'intérêts, lorsqu'ils sont cumulés, peuvent conduire à de gros liens d'intérêts.
Notre quatrième demande vise à renforcer et à valoriser la pharmacovigilance, un secteur particulièrement sous-doté actuellement. Ses moyens sont particulièrement dérisoires. Ainsi, les centres régionaux de pharmacovigilance de l'Afssaps bénéficient de 3,8 millions d'euros de crédits pour 2010, soit 3 % du budget de l'agence, pour la surveillance d'un marché du médicament qui pesait 35 milliards d'euros en 2009. Ce sont souvent les laboratoires qui sont chargés de faire remonter les éléments de pharmacovigilance. C'est bien leur rôle en tant que producteurs de médicaments, mais il est anormal qu'il ne soit pas possible de faire remonter des éléments d'information par des moyens adaptés, par exemple des associations de malades ou des malades. Dans ce système de pharmacovigilance, nous souhaitons qu'un droit d'alerte et d'interpellation en cas de repérage de signaux problématiques sur un médicament soit donné aux associations de représentants des usagers de la santé.
Si les donneurs d'alerte avaient été davantage écoutés dans l'affaire du Mediator, nous n'en serions pas là. D'ailleurs, nous sommes surpris que la HAS n'ait pas vu ce qui se passait dans les pays limitrophes, par exemple en Espagne, où le retrait du marché a été présenté par les laboratoires Servier comme une décision économique, alors même que l'autorité sanitaire espagnole avait souligné les risques de valvulopathie de manière explicite. Pourquoi la HAS n'a-t-elle pas joué son rôle d'alerte dans cette affaire ?
C'est surtout la commission nationale de pharmacovigilance. Un document très intéressant daté de 2006 démontre que la HAS avait cette information. Malgré cela, l'Afssaps pensait que le médicament avait été retiré pour des raisons économiques. Il n'y a pas eu de communication. La commission nationale de pharmacovigilance n'a surveillé que très tard les valvulopathies. Pourtant, la HAS avait bien noté que des cas de valvulopathie avaient été constatés en Espagne.
Je fais référence au document préparatoire de la commission de la transparence du 12 avril 2006. Le médicament semble condamné en raison d'un SMR insuffisant. Il est écrit que des cas de valvulopathie ont été identifiés en Espagne en association avec le benfluorex et que l'agence espagnole du médicament a prononcé l'interdiction suite à la survenue d'effets indésirables graves. Des dérives de prescription sont également mentionnées, de même que l'absence de données d'efficacité probantes sur deux indications thérapeutiques. Le sort du Mediator apparaît donc scellé. Or, dans la réunion qui a suivi, les conclusions ont été toutes autres.
Il fait en tout cas partie de notre rapport, que nous pourrons vous remettre. Suite à cette réunion, il a été décidé de maintenir un remboursement sur l'une des indications, en notant bien que l'étude servant à justifier l'efficacité n'était pas probante.
Il me semble qu'en 2006, il y a eu un sursis à statuer de la part de la commission de la transparence, qui ne pouvait pas statuer sur les deux indications. La commission de transparence devait statuer sur la seconde indication après avis de la commission d'AMM sur les résultats de l'étude. Finalement, la commission de la transparence n'a jamais statué sur cette seconde indication.
Le 10 mai 2006, la commission de la transparence, décidant de ne pas décider, écrit : « la commission de la transparence ne réévaluera le service médical rendu de Mediator dans l'indication diabète qu'après avis de la commission d'AMM et prise en compte de la réévaluation du rapport bénéfice/risque de ce produit par l'Afssaps. » Pour ne pas avoir à se prononcer, la décision a donc renvoyée à une autre commission, en sachant très bien que celle-ci ne pourrait elle-même pas se prononcer. En attendant, des usagers de la santé ont continué à utiliser le Mediator.
Aujourd'hui, deux questions se posent : l'autorisation de mise sur le marché et la place accordée au médicament dans la stratégie thérapeutique. Nous avons le sentiment que personne ne prend ou ne veut prendre cette responsabilité. Pourtant, il est important de savoir si un médicament a sa place dans la stratégie thérapeutique actuelle. Chaque année, 9 millions de personnes renoncent à se soigner pour des raisons budgétaires. Ceux qui n'ont pas de complémentaire sont les premiers concernés.
Nous participons aux Assises sur le médicament. Le processus d'autorisation de mise sur le marché se déroule beaucoup au niveau européen. Si nous avons des propositions, il faut très vite les remonter à Bruxelles.
Il faut relativiser. Certes, de plus en plus de médicaments bénéficient de la procédure centralisée, mais nous maîtrisons encore le processus du remboursement. Nous avons notre mot à dire. Le médicament est le cheval de Troie de la Commission européenne pour intervenir dans un secteur, celui de la santé, qui, normalement, relève de la souveraineté des Etats. Il faut s'attendre à ce que nous entendions comme revendication la mise en place d'une commission de la transparence européenne sur laquelle nous n'aurions pratiquement aucun droit de regard. La commission d'AMM nous échappe un peu, bien que l'agence nationale puisse très bien suspendre un produit ayant bénéficié d'une procédure centralisée. Cela ne fonctionne pas toujours. Une seule fois, les experts ont eu le courage d'aller jusqu'à suspendre un médicament, mais cette suspension a ensuite été annulée par le Conseil d'Etat. Cela ne va pas les inciter à recommencer, ce qui est bien dommage. Nous avons à notre disposition des moyens pour remettre les choses en place, d'où l'importance qui devrait être donnée à la commission de la transparence dans un système rénové.
Le sujet central est bien la stratégie thérapeutique en France. Quelques avancées ont été enregistrées, au niveau européen, sur la pharmacovigilance, avec un système de données centralisées qui pourraient améliorer les choses. Dans le cas du Mediator, nous avons été frappés du manque de communication des structures de pharmacovigilance au niveau européen. La collaboration entre les structures européennes est pourtant un gage d'information irremplaçable.
Par ailleurs, nous avons été très étonnés de constater l'ampleur des liens qui unissent les experts avec l'industrie pharmaceutique. Comme les personnes du Leem, nous pensons que c'est de nature à altérer le jugement.
Les liens d'intérêts sont donc importants pour un laboratoire dans la mesure où ils jouent un rôle négatif ?
La transparence sur les liens d'intérêts est souhaitable pour tout le monde.
Tout le monde est d'accord, même les laboratoires, pour préconiser la transparence. Certains sont même prêts à appliquer certaines dispositions du Sunshine Act américain, par exemple la publication tous les ans de la liste des médecins avec lesquels les laboratoires ont des conventions, ainsi que le montant des versements effectués à chaque médecin titulaire d'une convention. A ces médecins, nous souhaitons ajouter les associations, les sociétés savantes et un certain nombre d'autres acteurs du système de soins, qui ont parfois des liens avec les laboratoires. Je pense notamment aux économistes de la santé. Cette transparence est acceptée par tous.
Toutefois, suffit-il à un expert de dire qu'il est transparent ? C'est là que les difficultés commencent. Un expert siégeant à la commission d'AMM qui joue la transparence n'en demeure pas moins membre de la commission d'AMM. Il faut mettre en oeuvre un règlement très strict permettant d'éviter les conflits d'intérêts.
Vous avez insisté sur des mesures à prendre. Aujourd'hui, les règles ne sont respectées ni à la commission d'AMM, ni à la commission nationale de pharmacovigilance. La première n'arrive pas à mettre en oeuvre ce règlement. Dans cette commission, quinze experts ont des liens d'intérêts avec Sanofi-Aventis. Les jours où ils doivent procéder à des examens de médicaments de Sanofi-Aventis, il faudrait donc qu'ils fassent sortir tous ces experts. J'ai senti chez le président et le vice-président qu'ils sont face à une difficulté qu'ils ne parviennent pas à résoudre. D'ailleurs, ils n'arrivent pas non plus à faire sortir les représentants des laboratoires pharmaceutiques présents contre toute attente. Les laboratoires « occupaient » l'Afssaps sans qu'aucun directeur général ne leur dise quoi que ce soit. Depuis l'affaire du Mediator, il semble que l'Afssaps se soit décidée à faire le ménage, mais jusque récemment, les représentants des laboratoires pharmaceutiques étaient partout.
Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux faire en sorte que les experts qui siègent dans ces commissions n'aient pas de lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ?
Les experts totalement indépendants sont la meilleure solution. Encore faut-il les trouver. A tout le moins, une publicité complète des débats, avec un enregistrement et un verbatim, est indispensable, de manière à ce que nous connaissions les prises de position de chaque expert.
Cette publicité des débats semble acquise pour la commission de la transparence et la commission d'AMM. Cette évolution est plutôt positive, étant entendu que l'idéal serait des experts indépendants.
Outre les déclarations de liens d'intérêts, nous avons également besoin d'aller plus loin dans le contrôle de ces liens d'intérêts. Dans le système américain, le Sunshine Act est très important en matière de transparence des décisions. Il éclaire la scène d'une clarté importante par rapport à ce qui se passe en France.
La séance du 27 mars 2007 de la commission nationale de pharmacovigilance a fait l'objet d'un compte-rendu. A la fin, il est écrit que « certains membres de la commission souhaitent faire connaître leur opinion en se prononçant pour un bénéfice/risque défavorable au Mediator ». Il semble donc qu'il y a eu des débats. Certaines personnes n'ont pas réussi à faire entendre leur voix.
Cela renvoie à une autre de nos demandes : la publicité des avis minoritaires.
Vous avez parlé de l'encadrement des prescriptions. Nous avons beaucoup de difficultés à contrôler les prescriptions hors AMM. Nous n'avons pas les moyens. Nous possédons une base de données importante, mais nous ne connaissons pas les maladies pour lesquelles les médicaments sont prescrits car nous ne sommes pas parvenus à mettre en oeuvre la loi Teulade de 1993, qui instituait le codage des maladies. Avez-vous perçu cette difficulté ? Y avez-vous réfléchi ? Avez-vous des réponses ?
Ces prescriptions ne tiennent que dans la mesure où l'on reste à un service médical rendu suffisant de la part du médicament et, surtout, à une valeur de remboursement de ce médicament. Dans le cas du Mediator, si ce médicament a continué à être prescrit, c'est parce qu'il était remboursé au taux maximal. Si ce taux de remboursement avait été limité à celui d'un service médical rendu pour le moins moyen, en tout cas insuffisant, nous aurions assisté à une baisse énorme des prescriptions.
Je suis d'accord. Toutefois, je ne suis pas certain qu'un remboursement à 35 %, comme l'a demandé le directeur de la sécurité sociale dans les années 2000, aurait été aussi efficace qu'un déremboursement.
C'est un élément dissuasif, mais le déremboursement était de toute manière la solution proposée par la commission au départ.
Au niveau de la prescription, il existe un élément important qui est la notion de dénomination commune internationale (DCI), qui présente un double intérêt. Elle permet d'abord de faire prescrire un médicament valable dans n'importe quel pays européen, voire du monde. De plus, il n'y a pas de fixation sur la marque du produit. J'aimerais une généralisation de cette DCI. Nous l'avons demandée avec la Mutualité Française il y a une dizaine d'années, mais nous n'avançons pas assez dans ce dossier.
Aux Etats-Unis, la prescription est à 85 % en dénomination commune internationale. En France, nous sommes à peine à 15 % ou 20 %. Il y a pourtant eu des incitations. Nous avons à notre disposition un certain nombre de moyens que nous n'utilisons pas suffisamment.
Que pensez-vous de la présence des représentants des consommateurs dans les commissions ? Actuellement, seule la commission nationale de pharmacovigilance prévoit leur présence.
Pour notre part, nous sommes présents dans la commission de la publicité.
Nous sommes très circonspects quant à la représentation des usagers dans les commissions. Nous ne sommes pas des spécialistes du médicament. En revanche, nous souhaitons être destinataires de l'information liée aux débats de ces commissions et à ce qui s'y décide. La consultation des associations peut être un élément préliminaire à une décision. Dans un cas de médicament lié au diabète, l'association française des diabétiques (AFD) pourrait être consultée. D'autres associations d'usagers n'ont pas cette position. Certaines souhaitent siéger dans les commissions.
Quel bilan tirez-vous de votre participation à la commission de la publicité ?
Ce bilan est assez positif. Nous avons pu contribuer, avec l'ensemble des personnes siégeant dans cette commission, au retrait de certains produits du marché.
Avez-vous une opinion quant aux modalités selon lesquelles sont examinées les publicités des laboratoires, selon qu'elles sont destinées aux médecins ou au public ? Dans un cas, le contrôle est a posteriori. Dans l'autre, il est a priori. Cette distinction vous apparaît-elle justifiée ?
Il faut être particulièrement circonspect du côté de la publicité. Nous collaborons avec d'autres associations européennes de consommateurs. Nous sommes membres du collectif Europe et médicament. Dans ce collectif, nous avons une opinion très mesurée sur l'éducation thérapeutique que veulent promouvoir les firmes. Nous pensons que cette éducation doit rester la prérogative du médecin, avec une grande indépendance.
Vous êtes donc opposés aux dispositions résultant de la loi hôpital, patients, santé, territoires (HPST), qui prévoit que les laboratoires peuvent financer directement ou indirectement l'éducation thérapeutique.
Lorsque la commission a terminé d'examiner la demande d'un laboratoire concernant la publicité d'un médicament, il arrive parfois que cette publicité soit déjà pratiquement terminé. De fait, même si cette publicité est qualifiée de mensongère, elle a déjà eu le temps de faire ses ravages. Ne serait-il pas plus juste de prévoir une autorisation a priori pour toutes les publicités ?
Il faut cette autorisation avant de lancer la publicité sur le marché. Actuellement, ce n'est pas le cas, mais nous sommes très prudents quant à la publicité du médicament. Nous nous rendons bien compte des liens qui existent entre les revues qui pratiquent l'information médicale et cette publicité. Au sein de Que Choisir, nous sommes particulièrement attachés à l'indépendance de la presse
Les stratégies de marketing visent de plus en plus à vendre une maladie en amont pour après vendre un médicament. Nous l'avons vu avec les enfants sur-actifs. Cela nous rend méfiant quant à la communication sur les maladies.
Avez-vous pris connaissance du rapport Even-Debré préconisant la suppression du SMR pour ne plus se fonder que sur l'ASMR ? Actuellement, il existe une certaine confusion. Un médicament à SMR insuffisant ne doit pas être pris en charge par la sécurité sociale. Ce point est respecté. La plupart des médicaments mis sur le marché aujourd'hui ont un SMR important, mais lorsque nous les comparons à d'autres médicaments, nous nous apercevons qu'ils ne sont pas utiles, car pas meilleurs. Ils ont donc un ASMR 5, mais bénéficient tout de même d'un remboursement à 65 %. De plus, beaucoup de médicaments ASMR 5 sont mis sur le marché à un prix supérieur à ceux qui existent déjà. Je ne vois pas comment la sécurité sociale peut réaliser des économies de cette manière. Je considère donc que les médicaments qui n'apportent pas un service rendu supérieur à ceux qui existent déjà ne doivent plus être remboursés. Qu'en pensez-vous ?
Le déremboursement est un élément dissuasif très fort. Je parlerais plutôt de l'évaluation des nouveaux médicaments mis sur le marché. Je souhaiterais que la valeur de ces médicaments soit évaluée à ce moment-là et que ceux qui ont un service médical rendu insuffisant ne soient pas mis en circulation.
Vous me parlez d'ASMR, tout en parlant de service médical rendu, mais je crois que nous disons à peu près la même chose. Vous considérez que les médicaments qui n'apportent pas d'amélioration du service médical rendu ne doivent pas être mis sur le marché.
Nous avons cité le pourcentage de nouveaux médicaments mis sur le marché qui ne présentent pas d'intérêt. Nous ne voyons pas pourquoi ces nouveaux médicaments sont mis sur le marché. Nous sommes très en retrait sur la décision de mise sur le marché de ces nouveaux médicaments qui n'auraient pas d'intérêt thérapeutique valable par rapport à ceux qui existent déjà.
Souvent, ce ne sont pas les Français qui mettent ces médicaments sur le marché. C'est l'Europe. Notre seule riposte est de ne pas les rembourser. Il y a là un débat à poursuivre sur le remboursement de médicaments qui n'apportent rien par rapport à ceux qui existent déjà.
Les Britanniques sont beaucoup plus sévères que nous. Pour eux, l'AMM n'est pas une autorisation de mise sur le marché. La décision est prise dans un second temps.
Il y a deux ans, vous avez eu l'occasion d'intervenir concernant les liens d'intérêts et l'application de la loi du 4 mars 2002 relative à l'obligation qu'ont les médecins de déclarer leurs liens d'intérêts lorsqu'ils s'expriment publiquement ou lorsqu'ils rédigent un article dans la presse. Il a fallu attendre 5 ans pour que le décret soit publié.
Nous avions saisi le Conseil de l'Ordre, qui n'a pas semblé réellement ravi que nous lui demandions d'agir en ce sens. En discutant avec les médecins, nous avons pu constater que beaucoup d'entre eux découvraient cette obligation. Il restait donc un important travail de pédagogie à mener. De ce côté, nous n'avons pas bénéficié d'une oreille extrêmement attentive.
Votre audition était très intéressante, notamment ce que vous avez dit à propos de l'Espagne, où le Mediator a été retiré en 2003.
Servier a expliqué que le Mediator avait été retiré d'Espagne pour des raisons économiques, mais un cas de valvulopathie avait été signalé dans ce pays. Un rapport écrit de l'autorité sanitaire espagnole le prouve. Manifestement, les autorités françaises du médicament n'ont pas récupéré l'information.
Nous n'avons jamais trouvé mention de remontée d'effets indésirables par les laboratoires Servier dans les rapports de pharmacovigilance. Le médicament n'était donc pas efficace, il était dangereux et il y avait des dérives de prescription. Cela faisait au moins trois motifs pour l'interdire !
Des experts indépendants et le contrôle des liens d'intérêts sont des points également très importants.
Autant que je sache, Servier n'avait pas une réputation sans tâche dans le milieu. Avez-vous eu écho d'autres affaires ou d'autres dysfonctionnements que le Mediator ?
Nous n'avons pas d'élément concret. Nous avons entendu des bruits et rencontré des médecins. L'on nous a raconté la manière de procéder des visiteurs médicaux, notamment de sexe féminin.
Un médicament antérieur au Mediator, l'Isoméride, a déjà défrayé la chronique, et continue de le faire, puisqu'une première décision de justice a été rendue. Les indélicats jouent sur un système qui ne fonctionne pas et qui doit être clarifié.
C'est ce que nous allons essayer de contribuer à faire. Merci beaucoup.
Nous poursuivons ces auditions avec M. Etienne Caniard, président de la Fédération nationale de la mutualité française et président de la Fondation de l'avenir pour la recherche médicale appliquée. Il est accompagné de M. Jean-Martin Cohen-Solal, directeur général de la Mutualité, et de deux autres collaborateurs.
Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat.
En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois demander à M. Jean-Martin Cohen-Solal de nous faire connaître, s'il en a, ses liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
Je n'ai aucun lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.
Je vous prie également d'excuser l'absence de Madame la rapporteure, qui est accaparée par le débat sur la loi bioéthique.
Monsieur le Président, souhaitez-vous procéder à une intervention liminaire ?
Merci Monsieur le Président. J'interviens en tant que président de la Mutualité française. J'entends vous présenter notre plan et nos propositions. Toutefois, ce plan de la Mutualité française n'est pas une réponse à la seule question posée par le Mediator. Il s'agit d'une réponse plus globale dont les sujets économiques de prix et de remboursement ne sont pas absents.
Les caractéristiques de ce plan sont les suivantes. La première vise à éviter toute confusion dans les responsabilités. Actuellement, il y a beaucoup de confusion des genres dans la manière dont fonctionne le circuit des médicaments. Beaucoup d'acteurs se substituent à d'autres, qu'il s'agisse par exemple de la place respective de l'industrie pharmaceutique et des pouvoirs publics en matière d'information, de l'affrontement des logiques industrielles et sanitaires ou de l'articulation entre les procédures d'autorisation et les règles de vigilance. Nous avons donc essayé de bien mettre chacun face à ses responsabilités.
La deuxième caractéristique de notre plan est qu'il vise à essayer d'assurer davantage de sélectivité, que ce soit dans les procédures d'AMM, dans la fixation des prix, dans les taux de remboursement ou dans l'appréciation des risques. Il s'agit pour nous d'une condition absolument essentielle pour redonner sa juste place au médicament. Il faut tout à la fois éviter les situations de rente et la suspicion sur l'ensemble des médicaments.
Enfin, la finalité de nos propositions consiste à regarder tout cela avec pour seul prisme l'intérêt du patient, qui nous semble parfois un peu oublié tant dans la réflexion que dans son rôle d'acteur de la politique du médicament.
C'est donc dans ce contexte que la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) a formulé un certain nombre de propositions. Nous les avons résumés en dix points.
La première proposition consiste à redonner du sens à l'autorisation de mise sur le marché. Le médicament n'est pas un produit comme les autres. Les règles d'accès à un marché doivent être plus sélectives que dans d'autres domaines. Pour qu'un médicament puisse être mis sur le marché, il doit faire la preuve d'un progrès thérapeutique. En matière de procédure, cela implique d'interdire les essais contre placebo lorsqu'il existe un traitement sur le marché et de procéder à des études vis-à-vis de comparateurs existants. C'est un point extrêmement important pour nous. Au niveau européen, les textes de l'Agence européenne du médicament préfèrent les essais avec comparateur plutôt que les essais contre placebo. Aujourd'hui, nous avons le sentiment que cette position évolue, et qu'il est de plus en plus admis que les essais contre placebo suffisent. Certains, prenant prétexte de la difficulté à réaliser des études préalables à la mise sur le marché, préconisent même des AMM conditionnelles. Cela nous paraît extrêmement dangereux.
Les AMM conditionnelles figurent-elles dans la directive qui vient d'être adoptée sur la pharmacovigilance ?
Non, je ne crois pas. Toutefois, le débat est très présent dans les instances européennes.
A ce jour, il n'y a donc pas de texte européen sur les AMM conditionnelles ?
Pas à ma connaissance. En revanche, l'industrie pharmaceutique plaide pour un allègement des conditions d'autorisation de mise sur le marché et pour un renforcement des études post-AMM. De notre point de vue, ce sont les deux étapes qui doivent être renforcées. Le renforcement de la phase post-AMM ne doit pas conduire à accorder des AMM conditionnelles. Ce point important s'accompagne d'autres propositions, par exemple le fait de rendre totalement transparent l'ensemble des essais conduits sur un médicament. Aujourd'hui, l'accès aux données des essais cliniques n'est pas exhaustif. Certains essais négatifs ne sont pas publiés. Ces pratiques sont tout à fait inacceptables.
Notre deuxième proposition vise à considérer que le bénéfice de l'AMM ne doit pas être un bénéfice définitif. Aujourd'hui, il existe une procédure de révision au bout de cinq ans, puis l'AMM est définitive. Nous pensons que la révision quinquennale doit être régulière.
Absolument. La balance bénéfices-risques doit être réévaluée régulièrement au regard à la fois des éléments de pharmacovigilance qui s'appliquent aux produits et des éléments provenant de la surveillance populationnelle.
Les réévaluations régulières doivent être fondées sur des études post-AMM. Il faut profiter de ces réévaluations pour s'interroger sur d'éventuelles extensions d'indications. Aujourd'hui, le périmètre des indications demandées lors du dépôt d'une AMM est dans la main des industriels. Ce périmètre est parfois volontairement restreint, l'extension se faisant ensuite dans la vie réelle du produit.
Pensez-vous que les laboratoires soient si pervers que cela ? Pour vendre plus cher une molécule, ils sont capables de la travestir en molécule pour une maladie orpheline, quitte ensuite à étendre son AMM pour qu'elle bénéficie au plus grand nombre ?
Je ne suis pas certain que ce soit toujours une perversion totalement assumée. L'apparence de la bonne foi peut être préservée. Il suffit de présenter les études disponibles à un moment et d'en avoir d'autres en cours.
Ce sujet du périmètre des indications est absolument essentiel. Aujourd'hui, le périmètre de l'indication demandée est à la main des laboratoires. Lorsque le périmètre est restreint, fût-il demandé pour des raisons extrêmement perverses d'obtention d'un prix plus important, la prescription hors AMM se développe de manière importante et relativement opaque. L'exemple du Mediator montre bien que personne n'est capable de dire très précisément le pourcentage du produit prescrit hors AMM.
Ce qui est quand même une marge d'erreur importante. Le taux de prescription hors AMM ne pourrait être mesuré que par l'assurance maladie. Hors celle-ci ne possède aucun moyen de le vérifier, l'indication de la pathologie n'étant pas appliquée. Dans les prescriptions hors AMM, la seule obligation faite aux médecins consiste à inscrire la mention « NR » dans la marge d'une ordonnance. Cela laisse entendre que pour les pouvoirs publics, l'équilibre des comptes est plus important que la sécurité sanitaire de la population.
J'insiste beaucoup sur ce sujet du périmètre des indications car il est à la base de beaucoup de dérives du système en matière de prix et de sécurité.
Il m'a été dit que l'assurance maladie remboursait parfois malgré la mention « NR ». Est-ce vrai ?
Nous n'avons aucun accès au produit remboursable. La seule information dont bénéficie la Mutualité est le taux du produit. Quant à savoir si le terme NR a été écrit, nous sommes malheureusement très loin d'avoir ce niveau d'information.
Sur le plan de la pharmacovigilance, nous pensons que les instances chargées de l'autorisation de mise sur le marché et les instances chargées de la vigilance et des études post-AMM doivent être séparées.
Le directeur de l'Afssaps va tout à fait en sens contraire. Récemment, il a procédé à des réunions conjointes entre la commission AMM et la commission nationale de pharmacovigilance. Les écarts entre ce que vous proposez et ce qui se dessine actuellement sont donc considérables. La séparation entre l'AMM et la pharmacovigilance me semble plutôt être la voie que nous devrions emprunter.
Dans le cas du Mediator, le rapport de l'Igas montre bien que le délai entre les premiers signalements et la réaction a été très long. Peut-être est-ce dû au fait qu'il est extrêmement difficile, pour quelqu'un qui a accordé une autorisation de mise sur le marché, de faire intellectuellement le chemin inverse. De ce point de vue, une séparation des pouvoirs pourrait donc avoir de l'intérêt.
De plus, la pharmacovigilance épidémiologique - études populationnelles permettant de détecter des signaux faibles - est extrêmement peu développée en France. Il nous paraît important d'avoir une organisation de ce type, assez courante dans le système de santé. Dans beaucoup de domaines, il existe un niveau d'autorisation, un niveau de vigilance et, au milieu, l'espace du bon usage et de l'évaluation. Cette distinction peut s'appliquer au médicament. Nous avons le niveau des autorisations et le niveau de l'évaluation. Il reste le domaine de la vigilance, qui recouvre deux aspects : la sécurité de la pharmacovigilance attachée au produit et la pharmacovigilance épidémiologique. Nous préconisons que cet échelon de la vigilance soit rattaché à l'institut de veille sanitaire (InVS), qui a des missions générales de vigilance. Cela aurait l'énorme avantage de séparer les rôles et de développer des outils de pharmacovigilance épidémiologique.
Souhaitez-vous transférer toutes les vigilances à l'InVS, ou seulement la vigilance médicamenteuse ?
Toutes les vigilances qui sont fondées sur des études et qui reposent essentiellement sur l'épidémiologie devraient être transférées à l'InVS. Il s'agit d'un métier particulier. L'InVS est particulièrement bien placé et compétent.
Dans ces conditions, qui prendrait la décision de suspension ou de retrait ?
De notre point de vue, la structure qui organise la vigilance doit avoir le pouvoir de retrait, sinon nous retomberions dans la confusion des rôles. Chacun doit assumer ses responsabilités. Ceux qui se livrent à l'analyse des conditions de danger potentiel pour la population doivent avoir le pouvoir de retrait.
Ce sont les mêmes aspects : l'un concerne les dispositifs médicaux eux-mêmes, l'autre repose sur des analyses épidémiologiques. Il n'y a pas de raison de la traiter différemment. Dans un certain nombre de propositions, nous dressons des parallèles entre le dispositif médical et le médicament. Notamment en matière d'évaluation et de surveillance des risques, le niveau d'exigence est bien inférieur pour les dispositifs médicaux que pour les médicaments.
La fonction de pharmacovigilance doit s'appuyer sur des études post-AMM. Nous pensons qu'il appartient aux pouvoirs publics de financer l'ensemble de ce dispositif de pharmacovigilance et les études post-AMM. C'est une garantie d'indépendance et un moyen de diminuer de manière considérable le nombre de conflits d'intérêts. La banalisation des conflits d'intérêts fait le lit de discours expliquant qu'il n'existe pas d'experts compétents qui n'ont pas de conflits d'intérêts car par nature, ils sont tous impliqués dans des études post-AMM.
Notre quatrième proposition vise à mobiliser les professionnels de santé dans la sécurité du médicament. Cette mobilisation passe par énormément d'outils. Le premier est la pertinence de la prescription. Aujourd'hui, la liberté de prescription des médecins est largement altérée par la manière dont l'information leur est diffusée.
La mobilisation des professionnels de santé doit passer par plusieurs leviers. Ils doivent notamment être intégrés au dispositif de pharmacovigilance, ce qui est très peu le cas actuellement. Aujourd'hui, les dispositifs conventionnels sont utilisés à des fins pharmaco-économiques. Pourquoi ne pas également intégrer les aspects de sécurité ? Dans un certain nombre de domaines, nous avons besoin d'une participation plus active, parfois par spécialité. La pharmacovigilance pourrait être intégrée dans ces dispositifs conventionnels, que ce soit dans les contrats de type contrat d'amélioration des pratiques individuelles (Capi) ou dans les dispositifs conventionnels en général. Nous pourrions également nous interroger sur l'intégration des pharmaciens dans ce dispositif.
L'utilisation des logiciels métiers, notamment les logiciels d'aide à la prescription, est un sujet très important pour impliquer les professionnels. Ce sujet est largement sous-évalué en France. Nous avons souvent beaucoup de soucis avec la qualité de l'information, d'une recommandation ou d'un avis, mais nous nous interrogeons assez peu quant à la manière dont cette information est intégrée dans la pratique des professionnels. De plus en plus, cette intégration se fait par le biais d' « outils métiers ». La puissance publique doit faire preuve d'une très forte vigilance pour vérifier que ces « outils métiers » ne comportent pas de biais, qu'ils sont conformes aux recommandations en vigueur et qu'ils contribuent à une meilleure qualité des soins.
Cela fait partie des biais. Parfois, des systèmes sont bien plus dangereux qu'une publicité directe. Il s'agit par exemple des logiciels qui comportent des ordonnances types pour certaines pathologies. C'est un moyen autrement plus pervers d'inciter à la prescription de certains produits.
Nous devons nous interroger sur la manière de certifier l'indépendance et la qualité des logiciels d'aide à la prescription, ainsi que sur leur utilisation en vie réelle. Lorsque j'ai quitté la HAS, il n'y avait qu'un logiciel certifié, à diffusion relativement confidentielle. Pourquoi ? Parce que les éditeurs, qui sont très souvent dans des modèles économiques liés à l'industrie pharmaceutique, n'ont aucun intérêt à entrer dans cette certification. Ils n'ont aucun intérêt à proposer des outils métiers.
Une modification apportée à la loi de finances de la sécurité sociale pour 2010 prévoit la possibilité d'inciter à l'utilisation de ces logiciels par les dispositifs conventionnels. Il faut travailler dans ce domaine. La HAS avait officiellement saisi la Cnam pour intégrer ces questions dans les dispositifs conventionnels. Sans incitation très forte à leur utilisation, ces logiciels n'ont aucune chance de se développer. Il existe donc deux solutions : l'obligation ou l'incitation extrêmement forte. Il est tout à fait possible de lier la possibilité d'être conventionné à l'utilisation d'un logiciel certifié. Un pays comme la Belgique a été aussi loin que cela. Des dispositifs extrêmement puissants de financement de la maintenance des logiciels ont été mis en place.
Au-delà des logiciels d'aide à la prescription, le même souci se pose pour la diffusion des recommandations de la HAS. Il existe des systèmes d'aide à la décision intégrés dans des « outils métiers » à destination des médecins. Il est essentiel que la puissance publique s'y intéresse. Les pouvoirs publics doivent comprendre que pour un médecin, le mode d'acquisition d'une recommandation ou de données scientifiques passe davantage par l'acquisition d'outils que par l'apprentissage.
Notre cinquième recommandation porte sur la simplification des questions qui touchent au remboursement et au prix. Aujourd'hui, derrière l'AMM, l'accès au marché en termes de prix et de remboursement n'est ni transparent, ni compréhensible par le public et les professionnels. Lorsqu'un médicament se voit attribuer un service médical rendu insuffisant, deux cas de figure se présentent. S'il s'agit d'une première inscription, le service médical rendu insuffisant entraîne automatiquement une absence de remboursement. S'il s'agit d'une révision, ce service médical rendu insuffisant n'entraîne pas automatiquement le déremboursement du médicament. C'est le ministre qui décide. Cet élément inéquitable entre les produits rend extrêmement difficile à comprendre la réévaluation nécessaire des médicaments.
Par ailleurs, parmi les missions de la commission de transparence figure la détermination du niveau de service médical rendu. Il existe cinq niveaux qui, théoriquement, doivent conduire à déterminer le taux de remboursement. Or il n'existe que quatre taux de remboursement, contre cinq niveaux de service médical rendu. Ce n'est pas totalement idéal en termes de lisibilité. Ainsi, le taux de 15 % mélange des produits à service médical rendu insuffisant et des produits à service médical rendu faible.
Nous pensons que le nombre de niveaux de service médical rendu doit correspondre au nombre de taux de remboursement. Au-delà, nous pensons que le nombre de taux de remboursement devrait être réduit. Trois niveaux nous paraîtraient le minimum : un service médical rendu important, un service médical rendu modéré et un service médical rendu insuffisant, avec pour chacun un taux de remboursement. Dans cette optique de simplification, il nous paraît nécessaire que les avis de la commission de transparence de la HAS soient contraignants.
En cas de réévaluation d'un service médical rendu à insuffisant, le déremboursement n'est pas automatiquement appliqué.
Un autre point est important. Parmi les critères du service médical rendu figure la gravité de la maladie. Ce critère m'a toujours surpris.
Oui. C'est le décret d'octobre 1999 qui fixe l'ensemble des critères sur lesquels doit s'appuyer la commission de la transparence pour définir le niveau de SMR. Ce critère de la gravité de la pathologie doit nous interroger. J'ai beaucoup de mal à comprendre en quoi la gravité d'une pathologie doit avoir une influence sur le niveau d'efficacité d'un produit. L'idée est qu'en l'absence de réponse thérapeutique face à une pathologie, il est acceptable de mettre dans la pharmacopée un médicament qui ne sert à rien, mais qui permet une approche compassionnelle vis-à-vis de la pathologie. Cela explique probablement beaucoup de différences quant à l'état d'esprit des prescripteurs vis-à-vis du médicament. Lorsqu'il n'y a rien à faire, on préfère mettre sur le marché un médicament dont l'on sait qu'il est inefficace. Ce sujet est important. Ce n'est pas parce qu'une pathologie est grave qu'un produit dont l'efficacité est faible doit être mis sur le marché.
Pour un médecin généraliste, il est plus facile de prescrire que de ne pas prescrire.
Vous avez totalement raison. Incontestablement, le fait d'inscrire dans les textes que la gravité d'une pathologie peut conduire à évaluer différemment un produit amène à s'interroger sur la logique qui sous-tend ce type d'information.
Venons-en maintenant aux aspects du prix.
Que pensez-vous de l'amélioration du service médical rendu ? Ne vous intéresse-t-elle pas ?
Elle nous intéresse un peu moins suite à ce que j'ai dit à propos des critères d'autorisation de mise sur le marché. Pour qu'un produit soit mis sur le marché, il doit apporter un progrès thérapeutique. Cela sous-entend qu'il a un ASMR positif. Dès lors, le rôle de la HAS et de la commission de transparence est un peu modifié. Aujourd'hui, la commission de transparence doit à la fois déterminer le SMR et évaluer l'ASMR. L'introduction du critère de progrès thérapeutique au niveau de l'autorisation de mise sur le marché limite le rôle de la commission de transparence à l'évaluation du SMR et des conditions du bon usage du produit. Le système que nous préconisons permet de dire que la comparaison avec des produits existants limitera le nombre de produits qui arrivent sur le marché, donc la pharmacopée française. Le rôle de la HAS consistera davantage à évaluer le SMR au regard du taux de remboursement et les conditions de bon usage du médicament, sans connexion directe entre le SMR et l'ASMR.
Vous renversez la perspective en transférant à la commission d'AMM le travail qu'effectue aujourd'hui, dans des conditions contestables, la commission de la transparence. Finalement, c'est la commission d'AMM qui déterminera l'ASMR. Il s'agit d'un renversement complet de la perspective. C'est à partir de médicaments dont nous sommes certains qu'ils apportent une amélioration que sera déterminé le service médical rendu, en fonction des critères contenus dans la réglementation.
La commission de la transparence ne ferait plus qu'établir une hiérarchie dans l'efficacité des médicaments mis à sa position. De quels moyens disposerait-elle pour cela ? Comment évaluerait-elle le taux de service médical rendu de tel ou tel médicament ?
Dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui. La commission de transparence travaille plutôt bien en matière d'évaluation du service médical rendu. L'architecture de notre système vise à introduire les éléments de comparaison en amont, au niveau de l'AMM, ce qui réduit le nombre de médicaments sur le marché et donne davantage de sélectivité. En matière d'évaluation du SMR, il n'y a pas grand-chose à modifier par rapport aux règles actuelles. S'agissant de l'élaboration des règles de bon usage du médicament, il ne faut pas oublier qu'en créant la Haute Autorité de Santé, le législateur considérait que la prise en charge d'une maladie devait être globale. L'intérêt de la commission de transparence est de donner des recommandations de bon usage du médicament qui peuvent comparer l'approche médicamenteuse à une autre approche.
Effectivement. Il ne faut pas oublier cet aspect, qui est un élément extrêmement important dans la stratégie thérapeutique. Le médicament n'est pas la réponse absolue et unique au traitement de toutes les pathologies. Parfois, d'autres moyens doivent être mis en oeuvre.
Ce que vous dites me perturbe beaucoup. Le rapport Debré-Even préconise exactement l'inverse, notamment la suppression du SMR. Pour votre part, vous préconisez la suppression de l'ASMR et son remplacement par le SMR, mais dans certains cas, celui-ci pourra être considéré comme une amélioration par rapport aux traitements non-médicamenteux auxquels il sera comparé. Par delà vos différences, je me demande si vous n'avez pas la même préoccupation. Je crois qu'il faudra renoncer à l'un des services. Nous ne pouvons pas conserver les deux. Personne n'y comprend rien. Nous ne mettons pas toujours les mêmes conceptions derrière les mêmes sigles. Votre système a une certaine logique dans la mesure où tous les médicaments qui sont soumis à l'AMM font l'objet d'un comparatif. Nous en sommes très loin aujourd'hui.
Notre plan ambitionne de remettre les choses dans l'ordre. Nous avons deux objectifs dans le circuit du médicament. Le premier vise à ne mettre sur le marché que des produits qui apportent un progrès thérapeutique. Ensuite, la question qui se pose touche au remboursement. Pour nous, il est clair qu'il doit être lié à l'efficacité du produit, d'où l'intérêt de maintenir cette évaluation du SMR. Il est probable qu'une réflexion sémantique s'impose. La plupart des prescripteurs ne connaissent pas la différence entre l'ASMR et le SMR.
Même le rapport de l'Igas est incompréhensible dans son passage sur l'ASMR et le SMR. Il y a urgence à clarifier ces données.
Dans notre construction, en mettant en amont cette appréhension du progrès thérapeutique, nous réglons le problème par la suite. Dès lors que cette logique de progrès médical aura été adoptée dans une première évaluation pour la mise sur le marché, le reste de l'évaluation aura deux objets : fixer un taux de remboursement et des recommandations aux fins de bon usage du médicament - lesquelles intègreront des éléments de comparaison avec d'autres approches thérapeutiques. Si le législateur a souhaité mettre entre les mains de la HAS l'ensemble des moyens thérapeutiques, c'est bien pour permettre cette comparaison.
Nous n'avons pas le sentiment que cette comparaison a véritablement été mise en oeuvre.
Le système que l'on décrit aujourd'hui s'y prête assez mal. Nous sommes dans une logique d'évaluation de l'amélioration du service médical rendu à des fins de fixation. Les textes énoncent que le médicament ne peut être mis au remboursement que s'il démontre cette amélioration. Cela sous-entend que la comparaison se fait avec des produits. En séparant le progrès thérapeutique au niveau de l'AMM, l'évaluation du SMR pour le taux de remboursement et le bon usage du médicament au niveau de la HAS, avec un fonctionnement plus transparent du Ceps, le système aura le mérite de séparer différentes fonctions aujourd'hui complètement mêlées.
Vous nous avez souvent proposé des amendements très intéressants au sujet du Ceps, mais ils ont toujours été refusés par le ministre. Il est possible que les mentalités aient évolué et que nous ayons davantage de chances aujourd'hui que par le passé.
Nous nous sommes souvent exprimés sur le rôle du Ceps dans le circuit du médicament. Nous avons émis des critiques assez fortes quant à son absence totale de transparence. Tous les observateurs le disent.
De l'extérieur, nous avons peu d'informations sur les ordres du jour et les comptes-rendus de réunion. L'absence de transparence est un sentiment assez partagé, avec en plus des règles de fonctionnement qui ne sont pas toujours très explicites. Le Ceps semble fonctionner en se réservant des marges d'appréciation relativement importantes. Sa finalité n'a jamais été tranchée : s'agit-il de primer la politique industrielle ou la politique sanitaire ?
C'est un peu le sentiment que nous avons. Ce sentiment est renforcé par le fait que le système de conventionnement entre le Ceps et l'industrie se fasse par laboratoire et non par produit. Après tout, cette logique pourrait se défendre, mais il faudrait que les choses soient claires et qu'il soit annoncé que les décisions sont prises au nom d'une politique industrielle. Dès lors, un lieu d'arbitrage entre la politique industrielle et la politique sanitaire serait nécessaire. Aujourd'hui, nous avons le sentiment que les deux sont mêlés.
Le directeur du Ceps ne se cache pas de parfois remettre en cause l'évaluation de la commission de la transparence. Il n'a pas de vidéos ou d'experts tenus de publier leurs conflits d'intérêts. Il décide dans son bureau avec ses propres experts. S'il agit comme cela, c'est probablement parce que des directives ministérielles le lui permettent.
Le problème de fond tient vraiment au positionnement du Ceps. Ce qui nous choque, c'est le fait que tout soit présenté comme si le Ceps était une instance extrêmement transparente et rigoureuse, intégrant toute la procédure d'évaluation scientifique en amont. Or cette procédure amont disparaît au moment d'une prise de décision qui n'est même pas explicitée. Nous préfèrerions que la fixation des prix s'appuie sur une logique exclusivement sanitaire, et qu'il puisse ensuite y avoir un lieu d'arbitrage qui intègre des politiques industrielles.
Ne trouvez-vous normal que ce soit l'assurance maladie qui prenne en charge la décision ?
Il y a la question de qui supporte le coût de cette décision. Il y a surtout la question de l'explicitation de cette décision. Il ne faut pas prendre des décisions de politique industrielle en les habillant des atours d'une évaluation scientifique. C'est bien cela la difficulté. Ce que nous remettons en cause, c'est la convention par laboratoire.
Vous ne remettez donc pas en cause globalement le principe de la convention et le taux K.
Le Ceps doit fixer des prix par produit à partir de son évaluation.
Mais sans ce système de reversement et de remise qui est complètement contre-productif et qui n'apporte pas grand-chose. Le taux K est un fusil à un coup. Il n'y a pas de report sur l'année suivante. L'industrie est tout à fait gagnante. Ce point aussi doit être revu, du moins me semble-t-il.
Il existe quatre dimensions, dans ce système des remises, qui toutes doivent nous conduire à abandonner le système d'urgence. Le premier concerne les complémentaires. Les complémentaires paient 65 % d'un produit remboursé à 35 %. Imaginons une remise portant sur 20 % du prix. Il resterait 7 % qui basculent du côté du remboursement des régimes complémentaires. Par ce biais s'opère un transfert invisible de dépenses du régime obligatoire vers le régime complémentaire.
De plus, ce système de remise dissocie le prix facial du prix réel, le second étant le premier augmenté des remises. Le prix des médicaments qui est indiqué n'est évidemment pas le prix réel. Il s'agit du prix facial avant remise. Ce système ajoute donc de l'opacité. Cet élément contribue à l'absence de transparence.
Il présente également l'inconvénient d'être un fusil à un coup. Une fois l'amende payée, il est possible de continuer tranquillement comme avant. Il n'existe pas de pérennité dans le dispositif de régulation. Cette question montre bien que le dispositif actuel du Ceps n'est pas adapté, sans compter qu'il crée une véritable distorsion de concurrence, avec des politiques de prix qui ne permettent pas de procéder à des comparaisons. Tous les économistes libéraux devraient être choqués.
Nous sommes dans un système de prix administrés. La concurrence n'est pas libre et non faussée. Compte tenu des dysfonctionnements du Ceps, je me suis demandé s'il ne fallait pas tout simplement la supprimer et transférer à l'assurance maladie la compétence de fixation du prix, quitte à ce qu'elle soit assistée des complémentaires. Pourquoi l'assurance maladie ne serait-elle pas capable de négocier avec l'industrie pharmaceutique ? Le rapport de forces serait bien meilleur. Nous pourrions laisser la possibilité au ministère de remettre en cause la fixation du prix dans les quinze jours suivant la décision, mais à condition de motiver cette remise en cause. Je m'interroge sur l'utilité du Ceps dans ses conditions de fonctionnement actuelles.
Le renforcement du rôle des financeurs dans le Ceps est une première étape. La logique est que les financeurs aient une action sur les prix. Vous avez raison de souligner l'incohérence de notre mode de régulation par les prix. L'assurance maladie joue des rôles très différents selon qu'il est question de la rémunération des professionnels de santé, de la dotation aux établissements ou du prix des médicaments. Un système bien encadré permettant une convention entre le financeur et l'offreur de soins présenterait davantage de qualités que le système actuel.
Mon septième point touche à l'encouragement de l'utilisation de la DCI.
Elle a été rendue obligatoire, mais nous ne nous sommes pas donné les moyens de la rendre obligatoire. Une disposition figure dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2009.
Si cette proposition était appliquée, nous pourrions redonner au prescripteur l'espace de liberté dont il a besoin.
Cela pose beaucoup de questions très facilement solubles, mais qui conduisent les autorités sanitaires à avoir des approches un peu différentes. Par exemple, le fait d'avoir un système d'autorisation de mise sur le marché, produit par produit, conduit à avoir énormément de difficultés à posséder une base d'information commune par dénomination commune internationale. Notamment, les conditions d'AMM peuvent différer selon les moments. Il faut donc fabriquer une recommandation virtuelle des caractéristiques du produit qui s'applique à cette dénomination commune internationale.
Notre huitième proposition porte sur le suivi et l'analyse des prescriptions hors AMM. Il faudrait avoir un peu de traçabilité sur la justification thérapeutique des prescriptions.
Que faire pour qu'une loi restée inapplicable pendant vingt ans soit enfin appliquée ? Cette loi est-elle réellement applicable ?
Nous pouvons nous interroger sur son applicabilité comme sur la volonté politique de l'appliquer. Les deux éléments ont probablement joué. Un codage intégral des pathologies serait difficile à mettre en oeuvre. Il serait probablement plus facile d'obtenir une justification thérapeutique d'un certain nombre de prescriptions médicamenteuses, dans des conditions à définir.
Il faut que ça passe par une convention ou par les contrats d'amélioration des pratiques individuelles (Capi).
Les dispositifs conventionnels sont très puissants, mais ils sont trop souvent utilisés à des fins tarifaires et de rémunération des professionnels, pas suffisamment à des fins d'organisation du système.
Le neuvième point porte sur les outils qui permettent de réduire l'influence de l'industrie pharmaceutique. La sphère publique doit réinvestir un certain nombre de domaines qu'elle a abandonnés. Je pense notamment à la formation médicale continue ou à l'évaluation des pratiques professionnelles. J'entends souvent l'argument du manque de moyens. Le financement par l'industrie pharmaceutique est dans le prix du médicament. Il est donc supporté par la collectivité. Ce n'est pas un problème économique qui est posé. Globalement, il me paraît relever de la responsabilité des pouvoirs publics d'assurer la formation professionnelle continue des médecins et l'évaluation des pratiques.
De même, les pouvoirs publics doivent réinvestir l'intérieur de l'hôpital. Je suis frappé par la place qu'y occupe aujourd'hui l'industrie pharmaceutique. Au sein de la HAS, nous avions engagé un travail visant à organiser la visite médical à l'hôpital. Ce travail n'est pas terminé. Sur ce sujet, la mission confiée par le législateur à la HAS est extrêmement ambiguë : il s'agit de transformer la charte de la visite médicale signée par le Leem et le Ceps en une procédure de certification.
Il est curieux que le Ceps ait signé une charte médicale avec les laboratoires. Il aurait mieux valu que ce soit la HAS. Enfin, peu importe, vu que cette charte n'a servi à rien.
Au moment de la discussion de la loi du 13 août 2004, la HAS n'existait pas. La Charte avait été signée auparavant entre le Leem et le Ceps. Nous pouvons effectivement nous interroger sur la légitimité du Ceps à signer un tel document. Le plus curieux est que le législateur ait confié à la HAS la mission de transformer cette Charte en une procédure de certification sans lui donner aucun pouvoir sur le contenu de la Charte. D'ailleurs, dans cette charte figurent un certain nombre de dispositions qui devraient relever du domaine réglementaire. Je pense notamment à l'interdiction des cadeaux ou de la remise des échantillons. Les résultats de la certification de la charte démontrent que les seuls domaines dans lesquels les résultats sont positifs sont ceux dans lesquels les mêmes résultats auraient pu être obtenus par une réglementation pure et simple. Il faut sortir de cette logique de charte. Nous avons besoin d'une application tout à fait spécifique de la visite médicale à l'hôpital.
La première version de la Charte ne visait que la médecine de ville. Dés sa création, la HAS a demandé son extension à l'hôpital. Un travail extrêmement important a été mené pour cela, pour une extension finalement a minima, le mot hôpital ayant été ajouté en trois endroits dans la Charte sans que ses spécificités ne soient prises en compte. Or la visite médicale à l'hôpital ne peut pas être organisée dans les mêmes conditions qu'en ville. Nous avons besoin d'une approche complètement différente et d'un réinvestissement de la sphère publique.
Beaucoup d'autres éléments pourraient être pris en compte pour réduire l'influence de l'industrie. Ainsi, un avenant à la Charte visait à essayer de réduire la visite médicale sur certains produits. Cet élément a été complètement abandonné. D'autres éléments pourraient être utilisés, notamment ce qui touche à la taxe sur les dépenses de promotion du médicament. Les contours de cette taxe sont incertains. Personne ne s'est jamais demandé comment rendre cette taxe progressive, ce qui serait pourtant le meilleur moyen pour limiter la part des dépenses de promotion dans le chiffre d'affaires des laboratoires.
Enfin, notre dernier sujet concerne l'Europe et la directive sur l'information directe vers les patients. Toutes les expériences d'information directe du patient sur le médicament, menées aux Etats-Unis ou en Nouvelle-Zélande, ont conduit à une augmentation des volumes prescrits. Il s'agit d'une pression supplémentaire sur les médecins au travers d'une instrumentalisation des patients. Il ne faudrait pas ouvrir cette vanne. Les outils de régulation seraient alors sans effet. Globalement, cette position est défendue par la plupart des autorités françaises. Il ne faut pas que les règles européennes mettent en péril les efforts effectués. Les pays européens ne sont pas comparables. Aux Pays-Bas, les habitudes des prescripteurs sont très différentes des nôtres.
Votre exposé a été exhaustif. Je souhaiterais revenir sur les AMM conditionnelles.
Selon les informations dont je dispose, la directive et le règlement du 15 décembre 2010 prévoient ces AMM complémentaires. C'est un véritable danger.
Cette possibilité est légale dans certains cas, mais elle reste très limitée. Le risque est que ces procédures d'exception deviennent plus générales.
Il s'agit davantage qu'un risque. C'est le but implicite poursuivi par les laboratoires. Il me semble bien que la directive de 2010 a modifié la directive de 2001.
J'ai beaucoup appris en vous écoutant. J'ai été un peu scandalisée d'apprendre que des médicaments inefficaces pouvaient être délivrés. Je vous remercie tout particulièrement.
Nous terminons cette série d'auditions avec M. Philippe Duneton, ancien directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) entre 1999 et 2004. Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse., comme vous l'avez accepté. En revanche, vous n'avez pas souhaité qu'elle soit enregistrée.
Le fait qu'elle soit filmée ne me dérange pas, mais je ne souhaite pas qu'elle soit sur Internet.
En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé, ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
Je n'ai aucun lien d'intérêts avant, pendant et depuis mes activités à l'Afssaps.
C'est assez rare pour être souligné. Je vous prie d'excuser l'absence de Madame la rapporteure, qui est prise par le débat sur la bioéthique. Je vous invite, si vous le souhaitez, à faire une déclaration liminaire.
Ma déclaration sera très courte pour laisser place aux questions. Evidemment, je suis frappé par l'ampleur de cette catastrophe sanitaire, qui est à l'évidence un coup pour le système de sécurité sanitaire français, voire européen. Je suis tout à fait à votre disposition pour tenter d'apporter les éléments qui pourraient expliquer les raisons de cette catastrophe, et éventuellement en tirer le bilan.
A quelle date avez-vous pour la première fois entendu parler du Mediator ?
J'ai eu à connaître du Mediator dans mes activités de directeur général de l'Afssaps pour deux raisons qui n'étaient pas directement liées à la sécurité sanitaire. En 1999, l'Afssaps a été chargée de la réévaluation du service médical rendu des spécialités sur le marché. Le Mediator faisait partie des spécialités qui avaient été considérées, par la commission de la transparence, comme ne disposant pas des éléments nécessaires par rapport au service médical rendu (SMR) pour prétendre au remboursement. En 2001, nous avons aussi publié une liste de 835 spécialités qui n'avaient pas de SMR jugé suffisant.
La seconde fois que j'ai eu à connaître le Mediator, ce fut au cours du contrôle de la publicité. J'ai été amené à prendre une décision d'interdiction de la publicité pour le Mediator, sur proposition de la commission de la publicité, pour des motifs de non-respect du libellé d'autorisation de mise sur le marché (AMM) à cette époque.
Dans aucun de ces deux cas je n'avais la notion qu'il s'agissait d'un produit apparenté aux anorexigènes. Je n'ai découvert ce fait qu'extrêmement tardivement, à la lecture du livre d'Irène Frachon, puis au travers des révélations de la presse et lors du rapport de la mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas).
Comment expliquer que selon l'Igas, il n'y ait pas eu de réponse du directeur de l'évaluation à une note de 1999 de l'unité de pharmacovigilance de l'Afssaps portant sur les inquiétudes à propos des hypertensions artérielles et des valvulopathies ? Quand considérez-vous que le signal quant à des effets indésirables est devenu significatif ? Plus généralement, pouvez-vous détailler la procédure de remontée et de traitement des informations entre les organismes de pharmacovigilance et le directeur général de l'Afssaps ?
J'ai découvert l'existence de ce problème à la lecture du livre d'Irène Frachon, puis du rapport de l'Igas. Lorsque j'ai su qu'une mission d'inspection était en cours, j'ai contacté l'Igas. Ils m'ont parlé de cette note que j'ai retrouvée dans le rapport, mais je n'ai malheureusement pas d'explications. Je n'étais pas au courant de l'existence de cette demande de réévaluation datant de 1999, de la même manière que je n'ai pas été informé des deux cas de 1999, un cas de valvulopathie et un cas d'hypertension artérielle pulmonaire. Je les ai découverts a posteriori à la lecture du rapport.
Je ne pense pas que ce soit normal. En 1999, l'agence du médicament était en construction. Il s'agissait d'étendre la sécurité sanitaire à l'ensemble des produits de santé. Il existait une relation étroite entre le directeur général que j'étais et tous les responsables des systèmes de vigilance. Les réunions étaient régulières. Les commissions nationales étaient préparées, avec un ordre du jour. Les cas difficiles étaient signalés à mon attention soit par le directeur, soit par le chef d'unité. A posteriori, je me suis tout à fait étonné de n'avoir pas entendu parler du Mediator. J'ai contacté le directeur de l'évaluation qui a été nommé à la suite de Jean-Michel Alexandre, parti en 2000. Il m'a confirmé que lui-même n'avait pas été informé d'un problème entre 2001 et février 2004.
Ces deux observations intervenues en 1999 sont donc restées confinées à la commission de pharmacovigilance.
De ce que j'ai reconstitué dans le cadre du rapport, je crois que ce n'était même pas à la Commission nationale de pharmacovigilance (CNPV). Selon le rapport, il n'y a pas eu d'examen par la CNPV.
Oui, mais pas en commission nationale jusqu'en 2005, qui a d'ailleurs demandé une réévaluation de la balance bénéfices-risques.
Lorsque vous étiez directeur général, vous aviez probablement des réunions pour examiner les médicaments pouvant poser des difficultés. A aucun moment, ce problème ne vous a été signalé ? Vous avez dit que l'agence était en phase de construction. Est-ce la seule raison pour laquelle des effets indésirables de cette importance ne sont pas arrivés jusqu'à vous ? Est-ce en raison de cette jeunesse de l'institution, ou en raison des structures qui ne permettent pas au directeur général d'être alerté aussi rapidement qu'il serait nécessaire de le faire dans le cas d'un accident relativement grave survenant avec un médicament considéré comme inutile ? Cela pourrait-il se reproduire aujourd'hui alors que l'agence a derrière elle plus de dix années d'expérience ?
Je ne peux pas dire que le directeur général ait vocation à connaître tous les cas. En matière de pharmacovigilance, 20 000 notifications sont réalisées chaque année.
Il y a plusieurs sortes d'effets indésirables. Une hypertension artérielle pulmonaire, ça n'est pas une inflammation de la peau.
Personne ne peut connaître l'ensemble des cas. En revanche, lorsque des éléments significatifs sont de nature à remettre en cause le bénéfice-risque, il est naturel que le directeur général soit informé.
Je connaissais bien l'histoire des anorexigènes. J'ai moi-même eu à prononcer, en application de l'arbitrage européen de septembre 1999, la suspension et le retrait d'AMM de l'ensemble des anorexigènes. Je pensais donc très sincèrement que ce problème avait été pris en compte par l'agence française et par l'agence européenne.
Vous connaissez les tribulations de ce médicament, qui est passé au travers de tous les contrôles. En 1987, la commission d'AMM a formellement récusé l'indication concernant le diabète. Cet avis n'a jamais été mis en application. Pendant plus de dix ans, cette indication a toujours figuré sur le RCP du Mediator en dépit de l'avis de la commission. Il a fallu attendre 2001 pour que soit infirmé l'avis de la commission. Des documents officialisent cette indication concernant le diabète. En revanche, je ne suis pas parvenu à retrouver la commission d'AMM qui modifie l'avis de la commission de 1987. Seule une lettre de juillet 2001 donne un avis favorable à l'indication dans le traitement du diabète.
Evidemment, vous n'avez pas signé ces documents. Vous allez sans doute me dire que vous n'étiez pas au courant. Je crains que ce soit un groupe de travail qui ait modifié l'avis d'une commission d'AMM. Ce serait assez grave. Un groupe de travail ne peut pas modifier l'avis d'une commission d'AMM. Que pouvez-vous nous dire ?
Sincèrement, je ne suis pas au courant. Normalement, une décision, même signée par délégation, doit être motivée.
Il y a juste un avis une référence de la commission d'AMM, sans même la date de sa réunion. Quelques lignes plus haut, il était pourtant fait référence de manière très précise à l'autorisation de mise sur le marché. Dans un cas, la commission est donc citée, mais il n'y a pas d'autre référence à une commission d'AMM qui aurait modifié l'autorisation de mise sur le marché de la commission de 1987. Je suis déçu, mais je ne m'attendais pas à ce que vous puissiez répondre à cette question. Je voulais au moins savoir si vous en aviez entendu parler. Manifestement, ce n'est pas le cas.
Un rapport d'audit commandé par Mme Guigou lorsqu'elle était ministre des Affaires sociales dénonçait la présence tout à fait inopportune de représentants de l'industrie pharmaceutique dans toutes les commissions de l'Afssaps. Rassurez-vous, jusqu'au Mediator, vos successeurs n'ont rien fait ! A l'époque, une structure était chargée de vérifier les conflits d'intérêts. Deux notes vous ont été adressées par son responsable, M. Benaïche, pour attirer votre attention sur les inconvénients et les risques que pouvait présenter, sur un plan contentieux, la présence de représentants de l'industrie pharmaceutique dans les commissions. Aviez-vous connaissance de ces deux notes ? Y avez-vous répondu ? Si oui, quelle a été votre attitude ? Avez-vous fait quelque chose ?
Oui. J'ai été amené à répondre à la mission de l'Igas et de l'Inspection générale des finances (IGF) sur ce point. Ma réponse figure dans le rapport. Dans le cadre de la commission nationale de pharmacovigilance, des représentants étaient présents en tant que tels. Cela me posait un problème vis-à-vis de la commission d'AMM également. Dans le cadre du règlement de la commission d'AMM, il avait été indiqué que l'industrie pharmaceutique ne pouvait être qu'invitée, sans participer aux votes de la commission. C'est sur ces principes que j'ai demandé au service de l'agence d'agir. Je pense que la direction générale de la santé avait également été mise en éveil pour trouver un règlement harmonisé à la présence des syndicats de l'industrie pharmaceutique dans les commissions de l'agence.
Cela ne vous choquait pas que les laboratoires pharmaceutiques participent à toutes ces commissions ?
Dans le cadre de la pharmacovigilance, c'était prévu par les textes. Nous avons demandé que ce soit retiré pour leur confier un statut d'observateurs ne participant pas aux débats, en tout cas pas aux délibérations. Je ne sais pas si cela a été fait.
Rien n'a été fait. Vous n'avez pas demandé que les délégués des laboratoires ne siègent plus dans la commission d'AMM.
C'est l'instruction que j'ai donnée. Elle figure dans le rapport de l'Igas.
J'ai lu ce rapport. Je n'ai rien trouvé. Je fais référence à des notes que vous a adressées la cellule de veille déontologie en date du 24 juillet 2000, puis du 11 juillet 2001, ce qui indique d'ailleurs que vous n'aviez pas répondu à la première, sinon vous n'auriez pas reçu la seconde. Ces notes vous rappelaient les risques contentieux auxquels s'exposait l'agence en acceptant la participation systématique du syndicat national de l'industrie pharmaceutique (Snip) à ses réunions. Manifestement, vous n'avez pas répondu à la note du 24 juillet 2000. M. Benaïche pourrait se tenir à votre disposition. En avez-vous discuté avec lui ?
Bien sûr, avec le service juridique de l'agence. La réponse de l'agence à l'Igas a été revue par le service juridique de l'agence.
Vous n'avez pas répondu aux notes qui vous ont été adressées par la cellule de veille déontologique.
Malgré cette mise en garde de la cellule de veille, les représentants du Snip ont continué à participer à ces réunions.
A ma connaissance, ils n'ont pas pris part aux délibérations.
A quoi servaient-ils s'ils étaient là, mais qu'ils ne disaient rien ? Ils faisaient tapisserie ? Ce n'est pas l'habitude de l'industrie pharmaceutique, dont les compétences en termes de lobbying sont bien connues. S'ils étaient là, c'est qu'ils considéraient que leur présence était utile. Comment considérer que quelqu'un qui était présent était en fait absent dès lors qu'il ne s'exprimait pas, ce dont vous n'avez d'ailleurs pas la preuve ? Dès lors que l'industrie pharmaceutique est présente dans les commissions, mais ne dit rien, cela ne vous pose donc pas de problème ?
Je peux vous assurer qu'il n'y a eu aucune réforme. Il a fallu l'affaire du Mediator pour qu'un courrier soit adressé aux entreprises du médicament (Leem) afin de leur dire de ne plus venir. Peut-être reviendront-elles plus tard, vu que l'industrie pharmaceutique a le privilège de ne pas devoir respecter la réglementation. Nous avons l'impression qu'elles étaient chez eux à l'Afssaps. Vous ne pouviez pas le leur dire ?
La présence du Snip dans certaines commissions, dont celle de la pharmacovigilance, était prévue par les textes.
Sur ce plan, le texte n'a pas changé. Il y a toujours un représentant de l'industrie pharmaceutique à la commission nationale de pharmacovigilance, de même qu'il y en a un à la commission de la transparence. En revanche, il ne devrait pas y en avoir dans la commission d'AMM ni dans les groupes de travail. Ils étaient pourtant bien présents. C'est bien de la commission d'AMM dont je parle, pas de la commission nationale de pharmacovigilance.
De mémoire, dans la réponse que j'ai faite et dans les instructions que j'ai données, ne voyant pas pourquoi ils siégeaient dans la commission de pharmacovigilance, j'avais demandé qu'ils puissent simplement être présents en tant qu'observateurs, mais sans participer aux délibérations des différentes commissions de l'agence, en tout cas pas celle de la transparence.
J'ai sous les yeux la réponse de l'Afssaps et les nouvelles observations de la mission. Effectivement, vous avez parlé des conflits d'intérêts, évoquant le fait qu'une réflexion à moyen terme plus systématique sur le recours à l'expertise externe devait être engagée par l'agence. Je serais très heureux que vous m'adressiez la partie de ce texte où vous apportez une réponse à cette interrogation des rapporteurs.
Je l'ai sous les yeux, en page 5 d'un document de décembre 2002. Je vous la transmettrai. Une réponse concerne le fonctionnement de la commission d'AMM et de déontologie. Le texte est un peu long. Je vous le lis : « La mission a relevé que la commission d'AMM ne disposait pas d'un règlement intérieur ». Il est apprécié que le projet de règlement intérieur a été finalisé et qu'il sera présenté à la prochaine commission d'AMM, qu'elle doit être formée par le ministre dans les prochaines semaines et les membres nouvellement nommés (40 % des membres proposés) ou reconduits dans leur mandat pourront en prendre connaissance et l'adopter rapidement. Le projet actuel de règlement intérieur insiste notamment sur les obligations de confidentialité des débats et des données fournies dans les dossiers étudiés, sur l'obligation de déclaration des éventuels conflits d'intérêts. Dans le domaine de la déontologie et des conflits d'intérêts, les membres et les experts des groupes de travail ou membres de la commission d'AMM, il faut souligner que des actions correctrices ont déjà été entreprises ou vont prochainement être mises en place. La liste exhaustive des experts amenés à travailler pour l'agence dans les différents groupes de travail établis fait l'objet d'une décision du directeur général publiée au bulletin du ministère de la santé. Le directeur général a demandé qu'à partir de cette liste une vérification systématique soit réalisée pour s'assurer de la complétude de la base Fides que nous avons développée. Cette vérification est facilitée par l'ensemble des secrétariats de l'agence. Par la suite, la présence du Leem aux séances de la commission d'AMM et des groupes de travail correspondants, à l'occasion de la nomination de la nouvelle commission d'AMM et d'une reconstitution des groupes de travail, il va être instauré que la participation des membres du Leem ne sera pas systématique dans les groupes de travail. Le Leem pourra présenter, le cas échéant, des arguments de leur profession sur les questions générales qui concernent directement le groupe de travail ou être invité à présenter en cas de nécessité des observations sur les points particuliers. Il pourra être aussi parfois nécessaire de recueillir l'avis des professionnels représentés par le Leem, mais dans ce cas ce sera l'agence et non plus le groupe de travail qui prendra l'initiative de la consultation. La participation du représentant du Leem peut être envisagée au cours des séances plénières de la commission d'AMM, pour leur information et participation au débat sur les questions générales ayant trait au médicament . « En revanche, chaque fois qu'un vote formel sera prononcé sur les médicaments en examen par la commission, il sera demandé aux représentants de quitter la salle ».
Nous n'avons pas le même document. Nous allons faire une copie du vôtre.
Avec plaisir. Il y a même la réponse de la mission Inspection générale des finances-Inspection générale des affaires sociales (IGF-Igas), qui prend note de ces observations.
Mon document ne fait pas état d'une réponse aussi détaillée. N'avez-vous fait qu'une réponse ?
Oui. Toutefois, il y a plusieurs rapports. La mission d'inspection a duré de nombreux mois. Elle a étudié l'ensemble des activités de l'agence. Vous avez peut-être le rapport de synthèse.
Ce n'est donc pas le même rapport. En tout cas, cela n'enlève rien à la constatation faite à l'époque, et qui a malheureusement perduré. Jusqu'en décembre 2010, les représentants de l'industrie pharmaceutique ont siégé dans des commissions et des groupes de travail où ils n'avaient rien à faire. Nous comprenons donc pourquoi le rapport de l'Igas dit que l'Afssaps, structurellement et culturellement, était en conflit d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. Dans son livre, Irène Frachon fait même état de membres de l'Afssaps qui ont appris leur nomination par l'industrie pharmaceutique. Cela dénote un climat. C'est davantage que de la porosité, c'est de la perméabilité. A aucun moment l'Afssaps n'a mis en cause les thèses des laboratoires Servier. Lorsque ce dernier a estimé que le Mediator n'était pas un anorexigène, le directeur de l'évaluation n'a pas dit le contraire. L'Afssaps n'était pas capable d'avoir ses propres analyses, son propre discours. Son discours était celui de l'industrie pharmaceutique. Comment l'expliquez-vous ?
Je laisserai ses propos à l'ancien directeur de l'évaluation. Le rapport établit qu'il y a eu des informations au niveau européen, notamment de collègues italiens qui ont fait état de la similitude. Il y a donc un avis pharmacologique tout à fait clair. De ce que j'ai pu voir du rapport, cet avis transmis par le laboratoire n'a pas été correctement transmis à l'agence.
Je ne pense pas qu'on puisse dire que l'agence reprend simplement les avis des laboratoires. Il est déjà arrivé, dans des affaires de pharmacovigilance (comme par exemple la cérivastatine), que nous ayons des constats de désaccord relativement lourds avec l'industrie pharmaceutique. J'ai également mené des actions très directes, vis-à-vis du Sibutral notamment. J'ai été extrêmement choqué de voir que le Mediator n'a pas été traité comme il aurait dû l'être. En revanche, j'avais été alerté sur les risques liés au Sibutral. Avant la commission de pharmacovigilance, lorsque le cas italien est survenu, j'avais convoqué l'unité de pharmacovigilance et le président de la commission pour lui faire état de mes doutes sérieux quant à l'intérêt de ce médicament. Cette classe pharmacologique me semblait pour le moins en décalage avec ce qu'on pouvait attendre de la sécurité d'un produit. J'ai prononcé la suspension car j'ai reçu un avis détaillé de la commission de pharmacovigilance.
Je pourrais également citer le cas du Zyban.
La France a posé des questions d'exception et demandé des études complémentaires, repoussant d'un an et demi l'autorisation européenne. Nous avions des doutes sérieux et nous les avons motivés. Le président du laboratoire m'avait publiquement accusé d'être responsable de la mort de patients qui ne pouvaient pas avoir accès au Zyban. Je pourrais citer un très grand nombre d'exemples dans lesquelles l'agence a été réactive.
Oui, mais nous avions posé un certain nombre de questions car nous avions des soucis en termes de dépendance. En 1999, nous avions obtenu le retrait du Survector, un médicament de Servier, pour les mêmes motifs. Nous étions très en alerte, malheureusement pas sur le Mediator, mais sur cette classe de médicaments. Le médicament est arrivé à l'AMM européenne après que, pendant un an et demi, l'agence eut bloqué ce dossier pour des raisons de santé publique.
Malheureusement, cela n'a pas été suffisant. Une fois qu'un médicament est sur le marché, il est difficile de le retirer. Est-ce vous ou le laboratoire qui avez retiré la cérivastatine ?
C'est le laboratoire, mais nous y avions beaucoup travaillé. D'ailleurs, il est écrit dans le rapport d'inspection que nous avons consacré trop de temps à la cérivastatine ! La France était très active dans la procédure engagée quant à ce médicament. Le laboratoire, considérant que la procédure d'arbitrage se terminerait probablement par une suspension, en a profité pour retirer son produit dans des conditions d'information de l'agence que j'ai directement critiquées. Je trouve qu'il est normal qu'un laboratoire puisse prendre la décision de retirer un médicament, encore faut-il qu'il puisse avertir de manière motivée les autorités sanitaires, surtout lorsqu'elles sont directement engagées dans le dossier.
A l'époque, étiez-vous sollicités par des associations de patients pour éventuellement participer à des groupes de travail ou à des commissions ? Quelles suites avez-vous donné à ces demandes ?
Il y en a eues. Historiquement, l'agence a beaucoup travaillé avec les associations engagées dans la lutte contre le syndrôme d'immuno-déficience acquise (Sida). Un groupe spécial de contacts avait été créé avec l'agence. Les associations ne nous ont pas demandé de siéger aux commissions, mais elles nous ont régulièrement interpellés, demandant par exemple la mise en place d'une pharmacovigilance spécifique. Avant mon départ, nous avons travaillé avec eux sur les conditions de notification directe par les patients. Nous avons également changé, pendant mon mandat, le dosage des insulines en unités internationales. L'association française des diabétiques a été étroitement associée à ces travaux. Nous avons organisé le suivi du distilbène avec la pharmacovigilance. J'ai personnellement reçu les associations de familles. Nous avons mis en place des études afin d'analyser le risque pour les générations secondaires des femmes exposées. Ce ne sont que quelques exemples. Nous avons eu beaucoup d'interactions avec des associations de patients.
Ce rapport n'est pas tendre avec l'Afssaps. Il est question du « triste bilan » de l'Afssaps, de sa « totale faillite », de son « impéritie ». Ces termes vous semblent-ils exagérés ?
Ils sont légitimes dans l'affaire du Mediator, exagérés pour l'ensemble de l'activité de l'agence.
La décision prise par l'ancienne directrice générale de demander le départ du Leem de toutes les commissions vous semble-t-elle juste et de nature à améliorer les conditions dans lesquelles fonctionnent les groupes de travail et les commissions ? Est-ce un commencement pour donner davantage d'indépendance à l'Afssaps ?
C'est un élément. Il n'est pas illogique de demander une intervention motivée. C'était le sens de ma réponse à l'inspection. Toutefois, elle doit être limitée.
Cela va au-delà. Ils ne sont plus acceptés. Cette mesure vous semble-t-elle positive ?
Oui. Les règles doivent être claires. Certaines dispositions du rapport Debré-Even sur les conditions d'expertise me semblent en partie justifiées. L'expertise externe est extrêmement prenante. Elle doit être valorisée et rémunérée, pas forcément à titre personnel, mais au niveau de l'hôpital par exemple. Il me semble tout à fait justifié de clairement fixer la ligne. De mon point de vue, cela doit permettre d'encadrer les conditions d'information demandées aux firmes.
Il n'est pas nécessaire que les laboratoires soient présents en permanence. Les experts doivent pouvoir, le cas échéant, convoquer les laboratoires si des points d'un dossier ne sont pas clairs. Cela n'a rien à avoir avec une présence en permanence des représentants de ces laboratoires dans les commissions. Ils étaient partout, dans tous les groupes. J'espère que la lettre de la directrice générale adjointe a été suivie d'effets.
Cela me semble plus clair et je pense qu'il y aura des traductions au plan réglementaire.
La réglementation n'a pas changé, mais nous ferons des propositions qui iront dans le sens d'une séparation : le laboratoire ne peut pas être juge et partie.
Ma première interrogation est celle d'une citoyenne non-avertie des questions médicales. L'AMM parlait d'un adjuvant au régime du diabète, pas d'un traitement de premier rang du diabète. Ce terme de « régime » renvoie à un comportement diététique. N'était-il pas susceptible de donner directement l'alerte avec une indication de crypto « coupe-faim » de la part du laboratoire ?
Par ailleurs, ne serait-il pas pertinent, puisque vous avez cité le cas du distilbène, que l'Afssaps réalise des signalements de certains « types de molécules » à une agence comme l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation et du travail (Anses) ?
Le terme d'adjuvant au régime diabétique me paraît relativement flou. J'imagine qu'il s'est appuyé sur des études. Je ne pense donc pas que nous puissions parler d'un crypto « coupe-faim », malgré d'assez importantes prescriptions hors AMM.
Tout dépend de la question posée. Dans le cas des 835 médicaments dont le prix devait être revu, la commission de la transparence avait tiré des conclusions assez drastiques sur un certain nombre de molécules. Pourtant, il s'agissait, à quelques exceptions près, des mêmes experts. Souvent, ils avaient travaillé sur le dossier d'AMM auparavant. Assez rapidement, ils ont conclu à l'absence de service médical rendu. Par exemple, le Mediator ne figurait dans aucune recommandation de bonne pratique thérapeutique. Il n'y avait pas la documentation nécessaire pour préciser un intérêt majeur ou significatif dans la prise en charge d'un diabète. Le terme d'adjuvant est le produit de l'histoire. Les conditions d'octroi de l'AMM ont évolué au fil du temps.
Nous ne sommes pas certains que ce soit une commission d'AMM qui ait octroyé cette appellation.
J'imagine que c'est le cas. En tout cas, ces libellés sont discutables. Le terme d'adjuvant n'est pas extrêmement net en matière d'efficacité.
Concernant les risques plus grands, j'ai cité le cas du distilbène en réponse à des associations de patients. Pour les phtalates, nous avons conduit des études particulières transversales en coordination avec les autres agences concernées. Nous avions mis en place des échanges inter-agences, en particulier avec l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). C'est quelque chose que nous avons oublié aujourd'hui. Nous avons beaucoup investi dans le risque du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Nous nous sommes posé beaucoup de questions, en termes de produits de santé, sur le risque de transmission par le sang. Cela nous a conduits à réévaluer le risque des gélatines contenues dans les médicaments. Nous avons agi en pleine concertation avec les autres agences concernées par ces risques transversaux.
Je précise que je ne suis pas médecin. En cherchant sur Internet le terme « adjuvant du régime », je suis tombé sur un médicament décrit de la manière suivante : « adjuvant du régime de traitement hormonal utilisé à terme comme provoquant des amaigrissements et suggéré par de nombreux médecins comme coupe-faim ».
Le terme d'adjuvant a été utilisé pour habiller le compromis que l'Afssaps a passé avec le laboratoire pour un médicament qui, manifestement, ne possédait pas les qualités requises pour être qualifié d'anti-diabétique. Il s'agissait uniquement de ne pas être désagréable au laboratoire.
De manière très générale, le terme d'adjuvant augmente les capacités intrinsèques et positives du médicament.
Je n'ai pas fait la bibliographie de l'utilisation du terme d'adjuvant. Je dis qu'il s'entend comme complémentaire à des actions diététiques qui ne semblent pas anormales dans le cadre du diabète. Dans les diabètes gras, un régime nutritionnel est largement conseillé. J'entends vos propos. A la lecture du rapport de l'Igas, il apparaît un certain nombre d'étapes et d'évènements sur ce produit. De manière objective, des travaux ont été effectués sur le plan de l'efficacité. Il existe un retard évident dans la mise en place d'études demandées au laboratoire par l'Europe et par l'agence française sur la mesure de la tolérance et des risques du médicament. Ces études ont été réalisées très tardivement. Une évolution de la réglementation européenne va dans ce sens, mais elle n'est peut-être pas suffisante. Des plans de gestion du risque sont dorénavant compris dans l'évaluation du médicament. Toute demande en matière de sécurité d'un médicament devrait systématiquement être validée, dans le cas national, par la commission de pharmacovigilance et par le directeur général, et dans le cas européen, par le Committee for médicinal products for human use (CHMP) avec des délais conduisant à une décision automatique de suspension en cas de dépassement des délais d'une étude de tolérance. Des pénalités sont prévues si le laboratoire ne fournit pas ses preuves. Il faut aller plus loin. Le rapport de l'Igas montre qu'il y a eu des retards, à l'évidence pas explicables, à des études qui auraient permis de mettre en évidence ce risque de manière plus précoce.
La pharmacovigilance a un problème évident de sous-déclaration. Des efforts doivent être faits. La notification spontanée doit être complétée par des études. Cela pose la question de la responsabilité des laboratoires dans la réalisation des études. Les pouvoirs publics doivent avoir davantage de moyens pour mener des études de sécurité. Aucun laboratoire ne réalisera des études transversales. A la rigueur, un laboratoire pourra y être contraint pour un produit particulier. Lorsque les risques concernent plusieurs classes de médicaments ou, encore pire, plusieurs classes de produits, aucun laboratoire n'est capable de développer ce type d'étude.
Cette évidence n'est pas forcément connue. Il existe un problème de financement pour créer un cercle vertueux de l'expertise. Ce problème a plusieurs fois été souligné. Les experts sont financés par l'industrie. Il apparaît tout à fait légitime que les pouvoirs publics se dotent des moyens pour conduire des investigations. La toxicologie est une profession sinistrée. Il y a très peu de toxicologues aujourd'hui. Dans le domaine public, il n'y en a pratiquement plus.
Je comprends parfaitement l'émotion qui s'attache au Mediator. Il est possible de débattre des structures. Il faut aussi voir les fonctions. Je peux comprendre que nous ayons un débat institutionnel, mais je pense qu'il est beaucoup plus important d'avoir un débat fonctionnel. Les problèmes de notification, d'évaluation et de mise en oeuvre d'études sont essentiels. Sachons tirer un certain nombre de leçons de ce drame. Tel est l'enjeu.
Votre idée de sanctionner les laboratoires qui n'accomplissent pas les essais post-AMM me semble tout à fait positive, mais je vous rappelle qu'actuellement, les laboratoires sont déjà tenus de réaliser des études. Or ils ne les font pas. Des sanctions sont prévues, mais d'après le dernier rapport d'activité de la Haute Autorité de santé (HAS), sur les 125 ou 130 études post-AMM prescrites depuis 2004, plus de la moitié n'a pas encore été réalisée. Interrogé sur le sujet, le Comité économique des produits de santé (Ceps) répond qu'il y a eu un projet de sanction, mais qu'il a été abandonné suite à une rencontre avec le laboratoire. Tout cela pour vous dire que je suis assez sceptique quant à la portée réelle d'une sanction appliquée à un laboratoire. La publicité est pratiquement le seul exemple contraire.
Ces sanctions sont ressenties comme très désagréables, mais elles sont relativement rares car difficiles à motiver. Il n'y a même pas forcément de sanction financière. Ce sont surtout des sanctions de publication.
En 2000, puis en 2001, des mesures très précises demandées au laboratoire n'ont pas été réalisées. Face à ce type de situation, lorsque des demandes d'études sont demandées au titre de la sécurité, nous pourrions prévoir un délai raisonnable assorti d'une condition explicite de suspension. Ce serait extrêmement dissuasif. Il n'y aurait plus de zone d'ombre.
Il s'agit d'une mesure que nous pourrions effectivement proposer. Je crois d'ailleurs que le ministre l'a déjà fait. Monsieur Duneton, je vous remercie.