Monsieur Verdier, en tant que directeur général de l'administration et de la fonction publique, la RGPP est votre coeur de métier. Cette politique, nous le savons, ne se limite pas au non remplacement d'un départ à la retraite sur deux -le un sur deux. Elle consiste en une réforme de l'État, de l'éducation à la santé en passant par la défense et l'équipement, qui provoque des dégâts collatéraux dans les collectivités, des régions aux communes.
La direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) a l'honneur, et parfois le désagrément, de former, avec la direction générale de la modernisation de l'État (DGME) et la direction général du budget (DGB), la troïka de mise en oeuvre de la RGPP. La DGME gère le grand Meccano de l'organisation des ministères de leur mode de fonctionnement, notamment l'amélioration des process ; la DGB a l'oeil rivé sur l'évolution des effectifs ; quant à ma direction, elle a la responsabilité du volet des ressources humaines et une compétence parfois étendue à la fonction territoriale et à la fonction hospitalière, concernant l'édiction des normes juridiques et les négociations salariales. En bref, mon travail consiste à faire en sorte que tout baigne dans l'huile -si je puis m'exprimer ainsi- pour les agents. Pour compléter ce tour d'horizon administratif, mentionnons l'adjoint au Secrétaire général du Gouvernement, poste créé depuis trois ans si ma mémoire est bonne. Celui-ci a la charge de la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATe) et constitue le patron des directions départementales interministérielles.
La semaine dernière, la Cour des comptes a nuancé le panorama des économies attendues de la RGPP, entre autres, parce que les retours aux agents semblent supérieurs aux prévisions. Comment expliquer cette hausse ? Est-elle durable ? Ensuite, comment sont décidées et réparties les suppressions de postes entre le niveau central et les échelons territoriaux au sein des ministères ?
Le principe du « un sur deux » est un moyen, non un objectif. Dès 2007, le Président de la République avait pris l'engagement que 50% des économies réalisées grâce à la RGPP bénéficieraient aux agents. Ces retours ont atteint 400 millions en 2008, 640 millions en 2010. Ils devraient s'élever à 605 millions cette année et se situer entre 500 et 600 millions les deux années suivantes. Le taux de retour est aujourd'hui d'environ 53%. Et ce, pour une raison simple : la mécanique du « un sur deux » n'est pas enfermée dans une logique strictement comptable, certains ministères ont voulu faire davantage, tel Bercy qui a appliqué une règle de deux sur trois la première année. Les retours sont fonction de la proportion des efforts réalisés. Chaque ministère est libre de l'utilisation de ces retours. Pour exemple, au ministère de l'intérieur, elles ont davantage profité au secteur de la police qu'au réseau des préfectures. Si ces retours sont essentiellement catégoriels, d'autres ministères en ont profité pour revoir les grilles ou les durées de carrières, mesures de plus long terme.
S'agissant de la répartition des effectifs, le ministre du budget arrête la trajectoire des finances publiques après discussion avec les ministères. Ensuite, les ministères reçoivent au début de l'été une lettre fixant le plafond d'emploi à ne pas dépasser, chacun étant libre de concentrer l'effort sur tel ou tel échelon. Certains, dont les services sont peu déconcentrés, ont réalisé des économies sur l'échelon central, d'autres sur les échelons régionaux ou départementaux. On a souvent entendu dire que l'on dépouillait l'échelon départemental au bénéfice du niveau régional. Les mois passant, les choses s'équilibrent, nous disent les préfets. De fait, si l'État veut continuer à assumer ses missions régaliennes, on ne peut pas aller plus loin. D'où les trois missions en cours sur la redéfinition des missions de l'État. Aucun arbitrage n'a encore été rendu. Quoi qu'il en soit, le processus de décision est assez directif : il y a peu d'échanges entre le niveau central et les échelons locaux.
Le préfet de région assure les arbitrages au niveau régional afin de garantir la présence de l'État. Or il semblerait que la mobilité des agents entre les différents ministères soit délicate, ce qui complique son travail d'adaptation des moyens aux besoins. Comment faciliter sa tâche ? Certes, la finalité première de la RGPP n'est pas le « un sur deux ». Pour autant, l'État, devant la diminution de ses effectifs, devra inévitablement affirmer ses priorités et peut-être abandonner certaines de ses missions, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Quelles sont vos observations à ce sujet ?
La difficulté des préfets de région à réallouer les moyens humains au niveau local tient, non à des difficultés administratives et juridiques puisque la loi d'août 2009 a levé tous les obstacles, mais à des considérations budgétaires. La situation est la suivante : dans le cadre de la restructuration d'un service déconcentré de l'État, un agent ne souhaite pas revenir à Paris et trouve un emploi dans une sous-préfecture ; son ministère refuse l'affectation au motif que son plafond d'emploi ne l'autorise pas à accueillir un fonctionnaire supplémentaire en détachement.
Pour remédier à cette difficulté réelle mais limitée à un petit nombre de cas, nous avons créé un dispositif dérogatoire à la LOLF, avec l'aval de la DGB, qui consiste en une chambre de compensation, que nous appelons également le « un sur un ». Nous avons récemment étendu ce mécanisme, initialement limité au ministère de l'agriculture et au ministère de l'écologie et du développement durable, aux cinq ministères concernés par les fusions au niveau local. Cette chambre de compensation, qui a son siège auprès du Secrétaire général du Gouvernement, associe la DGAFP, la DGB et les secrétaires généraux des ministères concernés. Mais nul ne sait ce que va en penser la Cour des Comptes...
Nous avons désormais peu de marge de manoeuvre sur le « un sur deux » ; dans de nombreux services, nous sommes à l'os, a souligné mon secrétaire d'État. D'autant que le nombre de départs à la retraite diminuera rapidement dans les années à venir pour passer de 70 000 départs à 35 000 dans 4 à 5 ans, chiffre qui correspond aux recrutements actuels. Difficile de conserver ce rythme de suppression de postes, sauf à renoncer à certaines missions de l'État et à rationaliser encore ; il suffit de voir la longueur des files d'attente devant les préfectures. La discussion sera difficile car chaque ministère veut garder sa politique, ses dépenses d'intervention et ses fonctionnaires.
Au reste, la diminution des effectifs de la fonction publique d'État ne signifie pas forcément une réduction de l'emploi public ; les quinze dernières années l'ont prouvé. Pour la première fois, l'an dernier, nous avons constaté une stabilisation du nombre des agents des trois fonctions publiques.
D'après M. Georges Tron, économiser des postes dans la fonction publique d'État n'est plus possible. Il faut donc s'attaquer à Météo France, le CNRS ou encore Pôle emploi. Or les responsables de ces opérateurs, avec lesquels j'entretiens des contacts réguliers en région, me confient qu'ils ne pourront plus assumer leurs tâches de plus en plus lourdes et complexes -je pense surtout à Pôle Emploi- si on leur supprime des emplois. L'objectif de 100 000 postes supprimées entre 2011 et 2013 vous semble-t-il réalisable ? Et comment ?
D'après les prévisions, l'objectif est réalisable, y compris au sein de la fonction publique de l'État. La réforme des retraites, décidées fin 2009, n'aura pas d'impact arithmétique. En revanche, elle a conduit de nombreux agents à différer leur départ en retraite. Nous n'avons pas prise sur ces facteurs psychologiques. Le nombre des départs a été inférieur de 20% à celui prévu.
M. Baroin, après M. Woerth, veut appliquer aux opérateurs publics les exigences que s'impose l'État. Ceux-ci n'ont pas suivi la cure d'austérité qu'a connue la fonction publique d'État en termes d'effectifs et d'immobilier -en ce domaine, les marges d'économie ne sont pas négligeables. Certes, les responsables d'opérateurs adressent des messages ; il y a trois ans, les secrétaires généraux des ministères tenaient le même discours...
J'ai bon espoir que l'objectif des 100 000 postes supprimés sera tenu, bien que le déclin du nombre de départs en retraite nous complique la tâche. Pour les opérateurs publics, le respect des prévisions dépend des inflexions politiques. Si l'on confie à Pôle emploi d'autres missions -ils ont reçu récemment de nouvelles instructions afin d'augmenter le nombre de personnes reçues-, il leur sera difficile de tenir le cap. Enfin, entre 2011 et 2013 subsiste une inconnue : les élections de 2012.
Le « un sur deux » ne se traduit pas forcément par une réduction de l'emploi public, avez-vous dit. Autrement dit, il y a transfert de charges... La chambre de compensation rend-elle possible le passage entre fonction publique de l'État et fonction publique territoriale ? Prenons l'exemple de l'ingénierie publique : d'après les syndicats d'ingénieurs, ceux de l'État ont une charge d'État moindre tandis que ceux des collectivités sont davantage sollicités. Comment faciliter les passerelles ?
La chambre de compensation, qui a vocation à régler environ 1 500 cas, tient du cautère sur une jambe de bois. La seule solution pour faire vivre la réforme de l'État serait de confier au préfet de région les enveloppes salariales et les ETPT des agents publics de l'État et d'obliger les ministères à pourvoir les emplois vacants au niveau local par des agents sur place plutôt que d'alimenter la province par les Parisiens méritants. Nous sommes les seuls, avec le ministère de l'intérieur, à militer pour cette formule. La décision revient au Premier ministre.
J'en viens maintenant aux passerelles ; elles existent depuis la loi d'août 2009 avec des mécanismes de compensation. Les blocages sont davantage culturels que budgétaires : les provinciaux craignent de travailler à Paris, les Parisiens craignent d'être soumis à des pressions politiques directes dans la fonction publique territoriale. Nous incitons les agents à diversifier leurs parcours, à travailler dans les secteurs territorial et privé ; nous avons également ouvert de nombreux corps de l'État aux fonctionnaires territoriaux.
Si l'on confie aux préfets de région les enveloppes salariales et les ETPT des agents publics de l'État, ne faut-il pas placer ces préfets sous l'autorité du Premier ministre ?
Ce projet est de l'ordre du possible, puisqu'il existe un précédent : les préfets de région ont déjà la maîtrise des crédits de fonctionnement des services de l'État dans leur ressort géographique. Nous proposons de renforcer ce mouvement, en conservant peut-être au niveau central les crédits immobiliers. Quant à l'autorité hiérarchique des préfets, le corps préfectoral est divisé en deux sur cette question qui fait figure de serpent de mer. Pour l'heure, on continue de dire que certaines autorités ne sont pas rattachées au Premier ministre malgré leur caractère interministériel, telles la DGB et la DGFAP. A titre personnel, cette évolution me semble d'actualité, surtout depuis la RGPP et la RéATe.
Le but de la RGPP est de clarifier, de simplifier et d'optimiser. Est-il atteint ? Qu'ils aillent à la DREAL plutôt qu'à la DRIRE ne change rien pour les petits maires ruraux. Ceux-ci ne savent pas à qui s'adresser. Enfin, à la suite des réorganisations, certains fonctionnaires ne sont-ils pas surchargés ? Un fonctionnaire de la DRAAF me demandait récemment ce qu'il devait faire pour être engagé à la région Bourgogne, considérant qu'il n'en pouvait plus d'être sur les routes du matin au soir.
Ce sujet me passionne. Avec la DGME, nous avons entrepris un tour de France des régions afin de prendre la mesure des transformations induites par la RGPP sur le terrain. Concernant l'objectif de simplification, je sais, pour être un ancien sous-préfet, que la situation aujourd'hui est plus complexe qu'autrefois. Néanmoins, ces réformes sont récentes ; songez au nombre d'années qu'il a fallu pour que l'on arrête de parler des anciens francs. Plus inquiétant, lors de la première phase de la réforme, les agents ne savaient plus eux-mêmes dans quelle direction ils travaillaient. On a créé des directions regroupées avant de définir les modes de fonctionnement et de gestion des personnels de ces directions, un peu comme si l'on avait construit un immeuble de cinq étages sans poser les fondations. Cela a suscité beaucoup de troubles chez les agents : l'an dernier, dans l'Est, j'ai vu un directeur adjoint pleurer. De fait, les missions n'ont pas diminué, contrairement aux effectifs, et les personnels, provenant de différents ministères, sont plus difficiles à gérer. Nous avons pris ce chantier à bras-le-corps ; nous sommes presque au bout du chemin de l'harmonisation des régimes d'action sociale et de temps de travail -il y en aura trois contre 10. Tout cela sera résolu avant l'été 2011. En revanche, l'harmonisation des régimes indemnitaires, dont le Président de la République a souhaité qu'elle se fasse par le haut, sera progressive, compte tenu de l'état des finances publiques. J'ai plaidé pour qu'on ne la repousse pas plus loin que le 31 décembre 2013. Dans les semaines suivantes, le Premier annoncera le calendrier de cette réforme. Optimiser le fonctionnement de l'administration est impossible sans les agents.
Sans doute, si l'on veut garder le même niveau de services...
ce qui suppose des actions de formation. La DGME travaille à la conservation d'un même niveau de service avec des effectifs moindres via les chartes Marianne, qui ne sont pas un simple gadget. Autre conséquence, la redéfinition des missions de l'État sur laquelle travaillent actuellement trois missions.
Poser les fondations après avoir construit un immeuble de cinq étages ? Cette image, pour appartenir à une famille auvergnate du bâtiment, me choque. Rapporteur spécial de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », je sais que les services de délivrance des papiers d'identité et des cartes grises doivent recourir à des vacataires pour informer les usagers. Même constat concernant le contrôle de légalité : il se concentre sur certains points et certains espaces. N'a-t-on pas fragilisé à l'extrême l'édifice de l'État ?
J'aime employer cette image parce qu'elle est parlante. Pour autant, elle est peut-être caricaturale car une partie des fondations est là : il n'y a pas eu de rupture du service public. Directeur des ressources humaines à Bercy, j'ai combattu les mesures absurdes préconisées par des auditeurs de 25 ans, qui n'avaient jamais travaillé de leur vie. Les mesures décidées pour les directions départementales interministérielles sont différentes, mais procèdent de la même logique volontariste. Au reste, la plupart des agents s'accordent sur l'objectif -la nécessaire réforme de l'État-, mais non sur les moyens, qu'ils critiquent, y compris aux plus hauts échelons -c'est une nouveauté de cette réforme. Le ministère de l'intérieur a été le seul à recourir à l'intérim, autorisé depuis 2009 ; les autres s'en sont tenus aux contractuels. Dans deux ans, on se félicitera d'avoir construit les fondations en un temps record. Regardez la rapidité de la fusion entre les Impôts et le Trésor public : elle concernait pas moins de 140 000 agents.
Deux tiers des bénéfices dégagés grâce à la RGPP reviendraient aux agents. Pouvez-vous confirmer ce chiffre ?
Les retours catégoriels sont plutôt de 53%, d'après la Cour des comptes. Je ne conteste pas le chiffre, mais son interprétation. Les ministères décident de l'utilisation de ces retours en toute liberté : certains revalorisent la rémunération des agents, d'autres prévoient des mesures incitatives à la mobilité pour que les agents quittent le Sud, où ils sont en surnombre, pour le Nord qui est chroniquement déficitaire. Bref, il s'agit surtout de fluidifier la réforme.
Merci pour votre franchise ; nous avons apprécié que nous ne maniiez pas la langue de bois.
Merci de votre présence, Monsieur Censi. Vous êtes un acteur parfaitement averti de l'impact de la RGPP sur les collectivités territoriales, compte tenu des fonctions que vous avez occupées et dans celles qui sont aujourd'hui les vôtres. Vous êtes à même de nous apporter votre sentiment sur la RGPP, dont tout le monde s'accorde à reconnaître la nécessité. Pourtant, cette réforme indispensable s'est faite sans aucune concertation.
Merci de solliciter l'avis d'ETD, qui est une structure étroitement liée à la Datar et à la Caisse des dépôts. Je suis venu avec Mme Delphine Vincent, directrice d'ETD.
Plutôt que de répondre point par point au questionnaire que vous m'avez adressé, je vais vous donner mon avis sur la RGPP et Mme Vincent vous présentera des exemples précis puisqu'ETD nous met en contact avec toute sorte de territoires. L'activité d'ETD nous permet en effet d'avoir une vision assez large du développement territorial au regard de la RGPP.
Mon expérience déjà ancienne m'a permis de connaître ce qu'a été l'apogée de la présence de l'État avant la décentralisation. A cette époque, les services de l'État, notamment la DDA et la DDE, avaient une mission de proximité auprès des maires ruraux, mais aussi des villes. Le groupe étude et programmation, le GEP, qui dépendait de la DDE, a ainsi aidé ma ville à élaborer son schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme et son POS. Rodez a d'ailleurs été la première ville à signer un contrat ville moyenne. Nous avions bénéficié pendant plusieurs mois de la présence sur place d'une équipe interministérielle de projet, ce qui a abouti à la signature d'un contrat qui a complètement modifié la physionomie de la ville. Nous étions alors à l'apogée du centralisme étatique et nous ne savions pas que nous entendions le chant du cygne des services de l'État sur le territoire.
Les maires ruraux ont pendant des années bénéficié de l'appui technique des ingénieurs subdivisionnaires de la DDE et des techniciens de la DDA. Aujourd'hui, nombre d'entre eux regrettent cette période. Il ne faudrait pas pour autant en faire un paradis perdu. Durant cette période, il y avait des avantages, mais aussi de nombreux inconvénients, dont la mise sous tutelle des maires ruraux.
La décentralisation avait pour but de libérer les initiatives locales. Je pense en particulier au fameux discours de Lyon de De Gaulle en 1969, qui ne lui a d'ailleurs pas porté chance puisque quelques mois plus tard il quittait le pouvoir. Nous sommes ensuite passés d'une période de top down à une période de bottom up où les initiatives locales devaient porter les projets de développement local. Les conséquences de cette révolution copernicienne ont été très importantes. On a assisté à un abandon progressif du territoire par les services de l'État avec, dans un premier temps, la suppression des pouvoirs exécutifs du préfet. Dans certain cas, cela a été ressenti comme un véritable séisme. Le dégraissage s'est fait au cours des années et il se conclut aujourd'hui par la RGPP, qui aurait dû intervenir bien plus tôt.
Hélas, cette RGPP, qui a débuté plus de 20 ans après la décentralisation, s'est faite sous la pression de la pénurie des finances publiques et non pas dans le but de réformer l'État. La méthode employée n'est pas exempte de reproches. Ainsi, la RGPP ne s'est nullement préoccupée d'aménagement du territoire. Certains territoires ont été touchés par une double, triple, voire quadruple peine lorsqu'ils ont perdu à la fois leur tribunal, leur école, leur poste, leur perception, ce qui a eu un fort impact sur l'économie, mais aussi sur l'attractivité de ces territoires.
En second lieu, la RGPP a eu lieu sans aucune concertation : j'ai appris un matin dans la presse que le tribunal de Rodez allait perdre l'instruction des dossiers, qui seraient renvoyés à Montpellier. Or, entre Rodez et Montpellier, il y a 200 kilomètres ! Est-il vraiment rentable de déplacer les témoins, les gendarmes, les prévenus sur de telles distances ? J'ai appris cette décision alors que nous venions de terminer les travaux d'extension et de restauration du tribunal et que l'on venait de décider, en accord avec l'État, de reconstruire la maison d'arrêt de Rodez. Est-il possible de faire pire?
La RGPP a donc poussé les élus ruraux à revendiquer le maintien de leurs services publics. Il n'y a pas eu de réflexion sur le maintien du service au public, ce qui aurait sans doute été préférable.
La RGPP a été menée selon des procédures dites en silos ou en tuyaux d'orgue, c'est-à-dire sans aucune relation horizontale entre les ministères, chacun ayant sa propre logique. Tout cela a eu de graves conséquences sur les collectivités territoriales : elles ont enregistré une perte d'expertise au moment même où elles en avaient particulièrement besoin pour accompagner leurs démarches de développement local fondées sur le projet et sur le contrat. Celles qui le pouvaient ont fait appel à des bureaux d'étude privés ou à des consultants, mais d'autres n'en avaient pas les moyens. De plus, l'État a développé les appels à projet, ce qui est profondément inéquitable puisque certaines collectivités pouvaient répondre tandis que d'autres ne le pouvaient pas.
J'exerce la fonction de médiateur de l'eau : récemment, je manifestais mon étonnement devant le nombre d'installations qui ne sont pas aux normes dans le domaine de l'alimentation en eau. Je ne parle même pas de l'assainissement, et encore moins de l'assainissement non collectif. Les collectivités rurales sont démunies : autrefois, l'ingénieur de la DDA contrôlait la conformité au règlement de l'installation des compteurs en limite de propriété. Aujourd'hui, la plupart des conflits que j'ai à régler viennent du fait que ces règlements n'ont pas été respectés et ne sont contrôlés par personne.
Des territoires perdent donc leur attractivité à cause de la RGPP.
Enfin, les collectivités ont dû supporter des transferts de charge. Pour avoir été président d'une communauté d'agglomération et président de l'Assemblée des communautés de France, j'ai toujours été choqué par le reproche injuste que l'on fait aux collectivités territoriales, notamment à l'intercommunalité, d'avoir recruté du personnel. Entre 1995 et 2007, elles ont embauché 290 000 fonctionnaires territoriaux, ce qui est effectivement énorme, mais cela n'a pas été fait par plaisir ! Elles devaient faire face à leurs nouvelles responsabilités relatives au développement local, qui est d'autant plus compliqué qu'il devient durable. Ce reproche lancinant que l'on fait aux collectivités n'est pas acceptable.
Quelles sont les solutions envisageables ? Elles sont multiples. Il ne faut pas que l'État cède à la tentation d'un retour en arrière. En revanche, d'autres formules sont possibles, notamment l'auto-organisation locale. La balle est en effet dans le camp des collectivités. Il faut que l'État accepte enfin d'être partenaire, avec de réelles concertations au niveau local et non pas un simulacre. Jusqu'à présent, la concertation consistait surtout à expliquer aux maires dans quelles conditions ils allaient perdre leur bureau de poste ou leur perception.
Un mot sur les sous-préfets développeurs, créés par Charles Pasqua. J'ai toujours été très dubitatif sur cette fonction, qui dépendait beaucoup des qualités personnelles de ces fonctionnaires, mais il me semblait contradictoire de compter sur eux pour faire du développement local alors que nous étions en pleine décentralisation. Avec ces sous-préfets, on était encore dans une situation de top down, espérant qu'ils apportent des solutions alors qu'elles ne relevaient pas de leurs compétences. En revanche, les collectivités ont beaucoup souffert de se retrouver devant un État multicéphale. Si un pays voulait monter une maison des services publics, il devait entrer en contact avec La Poste, avec le percepteur, avec l'éducation nationale... Si le sous-préfet développeur pouvait parler et agir au nom de tous ces services, ce serait une réelle avancée.
La plupart des solutions passent par une réorganisation de l'architecture de la gestion territoriale de la France et, pour être franc, je n'ai pas l'impression que la réforme des collectivités territoriales actuelle réponde à cette nécessité. La partie du texte sur l'intercommunalité correspond assez bien aux attentes, mais l'intercommunalité ne répond pas à la recherche fantasmagorique du territoire pertinent. L'intercommunalité est une brique de base d'une bonne gouvernance qui permet à des commutés humaines cohérentes d'accéder à l'inter-territorialité. L'organisation des services publics, de l'habitat et de la protection de l'environnement, pour ne prendre que ces thèmes, ne concerne pas des territoires identiques. Chaque fois, les périmètres et les organisations sont différents. Ce qui marche, c'est l'inter-intercommunalité à la carte qui s'adapte à des thèmes particuliers, souvent sur des bases contractuelles et pour des durées limitées. Ces coordinations locales interterritoriales permettent de répondre à des objectifs précis durant une période limitée. Ces coordinations peuvent être horizontales, mais aussi verticales. Certains problèmes ne peuvent se régler sur le plan strictement local.
Un exemple : la création d'agences d'urbanisme par des départements. Je n'adhère pas à cette coordination verticale car il appartient aux territoires de se réunir à des échelles différentes pour répondre à la mutualisation de l'ingénierie. Autre exemple : la ville de Rodez avait participé à deux réseaux de ville, l'un réunissant Aurillac, Mende et le Puy et l'autre spécialisé dans l'enseignement supérieur avec Figeac, Albi, Castres, Mazamet. Toutes ces villes étaient confrontées à des problèmes d'ingénierie. Elles faisaient appel à des bureaux d'étude privés, mais l'assistance à maîtrise d'ouvrage pouvait très bien donner lieu à la création d'une agence d'urbanisme qui aurait été partagée entre trois ou quatre de ces villes. C'était une bonne solution car les villes gardaient la maîtrise locale de la gestion et la responsabilité de l'agence de l'urbanisme, ce qui n'est pas le cas lorsque c'est le département qui crée une agence. Cette agence n'a pas pu se mettre en place car les départements n'en voulaient absolument pas et parce qu'il aurait fallu attendre cinq ou six ans avant qu'elle soit créée, du fait de nombreuses lourdeurs administratives.
Il faudrait se garder de regretter la disparition des services de l'État : nous nous sommes tous battus pour la décentralisation. Les collectivités territoriales doivent rester aux commandes : il leur appartient donc de s'organiser pour faire face aux diverses difficultés que crée la disparition des services de l'État. Dans le même temps, les collectivités territoriales sont face à leurs responsabilités et elles doivent s'orienter vers l'inter-territorialité. Il n'en reste pas moins que l'État partenaire conserve une responsabilité financière, notamment dans le domaine de la péréquation.
Vous avez dit que la RGPP avait été décidée sans concertation ni souci d'aménagement du territoire, d'où une perte d'attractivité de certains territoires et des transferts de charges non compensées. En conclusion, vous estimez qu'on ne peut regretter la disparition des services de l'État du fait de la décentralisation. A partir du moment où l'État opère des transferts de compétence au profit des collectivités, il est normal que son périmètre se réduise.
Mais aujourd'hui l'État semble tout vouloir reprendre en main : il territorialise les politiques de l'environnement, il reprend à son compte l'innovation, l'apprentissage et la formation professionnelle alors qu'il n'a plus les moyens humains et financiers de les assumer. C'est une réalité, même si j'en fais une présentation plutôt manichéenne.
Un État totalement décentralisé a-t-il encore besoin d'un pouvoir central ? Actuellement, nous sommes dans un flou total, car nous ne savons pas ce que l'État veut continuer à faire, ce qu'il veut reprendre en main, tout en transférant d'ailleurs de nouvelles charges aux collectivités territoriales. Or, toutes les collectivités attendent de l'État qu'il soit présent sur un certain nombre de sujets. Nous aimerions savoir quels sont les pouvoirs régaliens que l'État va continuer à assumer et ce qu'il va arrêter de faire.
Pendant longtemps, nous avons travaillé sur les problématiques du développement local, Marc Censi et moi. Je partage l'analyse qu'il nous a présentée.
Aujourd'hui, nous reprochons à l'État de ne pas assumer ses fonctions régaliennes. Quand il vient demander à une collectivité de construire une gendarmerie, les bras m'en tombent !
La recentralisation est en route et nous assistons au transfert de certains services départementaux à la région ; quand celle-ci est vaste, comme Midi-Pyrénées, cet éloignement est dramatique : les fonctionnaires en déplacement à Cahors ne connaissent plus le terrain. Nous voudrions garder les services de l'État dans nos départements.
Certes, je comprends que des villes veuillent créer une agence de l'urbanisme, mais quid des communes rurales ? Le rôle du département est alors indispensable : il doit intervenir, avec des outils qui permettent de faire jouer la solidarité envers toutes les communes de son ressort. La disparition des services de l'État impose la mise en place de ce type d'outils pour venir en aide aux petites communes.
Je n'ai jamais défendu la disparition pure et simple de l'État. Un État décentralisé n'implique pas sa disparition. Il existe toujours des missions régaliennes et la gendarmerie en fait partie, y compris l'hébergement, pour répondre à la remarque de M. Miquel. Ceci dit, il y a beaucoup de gendarmeries qui ont été construites par des collectivités, voire par des fonds privés.
La décentralisation impliquait la disparition de l'État interventionniste au niveau local. En revanche, l'État partenaire garde toute sa place et les sous-préfets développeurs pourraient être l'expression d'un comité interministériel local qui serait l'interlocuteur unique des collectivités voulant se développer. Comme je l'ai dit, elles ont pour l'instant des interlocuteurs multiples, ce qui n'est pas de bonne gestion. Dans le sud Aveyron, j'ai rencontré ce problème alors que nous voulions créer une maison des services publics. Or, nous n'avons pas réussi à mettre d'accord les différents services de l'État. Il faut donc que l'État soit partenaire, ce qui implique qu'il ne tape plus sur la table pour imposer ses vues. La décision locale appartient aux élus locaux, à ceux qui représentent légitimement la population. L'État partenaire doit faciliter le dialogue avec ses services et assurer financièrement un certain nombre de charges. Loin de moi l'idée de défendre l'absence d'un État central !
Enfin, il ne devrait pas être très difficile de faire l'inventaire des activités régaliennes de l'État.
D'après vous, les collectivités ne peuvent exercer les contrôles qui étaient assumés par la DDA. Pensez-vous que l'État, qui a besoin de se réformer et de faire des économies, ait atteint ses objectifs ?
Vous avez dit qu'ETD avait des liens privilégiés avec la Datar. Quel jugement portez-vous sur l'accompagnement qu'a apporté la Datar à la RGPP, notamment en ce qui concerne la révision de la carte militaire ?
Je n'ai pas une liberté d'expression totale à l'égard de la Datar, ne serait-ce que parce qu'elle assure une grande partie du financement d'ETD. Nous sommes un outil à la disposition de la Datar, outil d'autant plus précieux que la RGPP a entraîné la disparition d'un certain nombre d'organismes de réflexion et de prévision. ETD est aujourd'hui une des rares structures qui conduit une réflexion de fond sur tous ces sujets et les travaux que nous publions sont de grande qualité.
La Datar a créé ETD à l'époque où l'association des trois notions - entreprise, territoire et développement - avaient une signification particulière. Mais la mondialisation est passée par là. Les relations entre les entreprises et le territoire sont devenues beaucoup plus aléatoires. Notre mission a donc beaucoup évoluée. La Datar est notre bras protecteur et nous travaillons pour elle. Quant à la présence de la Datar sur le territoire local, il y a bien longtemps que tout le monde en a fait son deuil. La RGPP n'a pas eu de grande influence sur les rapports de la Datar avec les structures locales.
A la lumière des questions que vous avez posées, je vous ferai parvenir une note afin d'entrer dans le détail et d'illustrer nos propos par des exemples précis.
Je voudrais que vous reveniez sur la notion d'inter-territorialité. Quels sont les outils qui vous semblent les plus intéressants à explorer pour faire en sorte que les territoires puissent disposer de l'ingénierie nécessaire ?
On a longtemps cherché quel territoire serait parfaitement pertinent ; le pays fut -hélas- conçu comme le territoire pertinent pour le développement local. On estimait en effet que la commune était trop petite et que l'intercommunalité n'atteignait pas des dimensions suffisantes ; on a donc cherché dans le bassin de vie ou d'emploi. La Datar a beaucoup couru dans ce sens, avec M. Guigou. En définitive, on s'est retrouvé dans une impasse et on s'est aperçu que la notion même de périmètre pertinent est un fantasme. Il y a autant de pertinences que de thèmes à aborder. Nous nous retrouvons donc avec un véritable problème de gestion de la complexité. Il vaut mieux essayer d'avoir des territoires qui soient des briques de base de la gouvernance : l'approche par l'humain est préférable à celle qui privilégie la cartographie. Pour atteindre des pertinences différentes, il faut imaginer des constructions à la demande, qui peuvent être interterritoriales, que cela soit horizontal ou vertical, d'ailleurs. Pour faire un Scot, quatre ou cinq intercommunalités pourraient se regrouper pour créer une association contractuelle qui se donne pour mission de l'élaborer pendant trois ans, de le gérer pendant six ans et ensuite de tout mettre à plat pour éventuellement signer un nouveau contrat. Entre temps, des équipes de projets seraient mises en place et les ressources internes seraient mutualisées. On peut également concevoir une inter-territorialité qui fasse intervenir le département et la région. Je pense en particulier aux transports.
Il faut cesser de courir après la simplification, qui était pourtant l'objectif de la réforme territoriale : on ne simplifie pas la complexité de la vie, mais on peut la gérer au mieux grâce à des associations interterritoriales, qui permettent de s'adapter aux besoins.
Monsieur le ministre, merci d'être venu devant nous. En tant que ministre de l'agriculture, vous êtes concerné comme les autres par la réforme de l'Etat : nouvelles directions départementales, réduction du personnel, révision du lien avec les collectivités. M. Censi nous a dit les difficultés auxquelles particuliers et collectivités sont confrontés depuis que l'Etat n'exerce plus de contrôle ni même de soutien dans le secteur de l'eau. Vous êtes aussi ministre de l'aménagement du territoire, et l'objet de notre mission d'information vous intéresse au premier chef. La RGPP a-t-elle rempli ses trois objectifs, simplifier, clarifier et économiser ? Avec quels personnels, dans quelles conditions, après quelle concertation, et avec quels effets ?
ministre de l'Agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. - Je me réjouis d'avoir l'occasion de m'exprimer devant vous à ce sujet. La RGPP était indispensable, car l'organisation de l'Etat n'était plus adaptée aux réalités sociales et économiques : la décentralisation a confié aux collectivités des tâches autrefois exercées par l'Etat, et nos concitoyens attendent des services publics plus lisibles, plus efficaces et plus accessibles. Il fallait en outre maîtriser la dépense publique, passée de 28 % du PIB en 1950 à 56 % en 2000.
S'agissant des services publics dans les territoires, je suis convaincu que l'avenir est à la mutualisation : des tâches remplies autrefois par des services et des agents distincts, dans des locaux séparés, peuvent être regroupées. L'Association des régions de France partage désormais cette analyse. Nous avons signé un accord de partenariat avec neuf opérateurs nationaux tels que la Caisse des dépôts et l'Union des points d'information et de mutualisation multiservices (Pimms). La RGPP ne peut se réduire à la baisse des moyens et des effectifs : elle implique la réorganisation des services, et donc la formation des agents. La mutualisation doit être expérimentée dans 23 départements et sera généralisée en cas de succès. Les conventions de mise en oeuvre territoriale doivent être signées d'ici la fin du mois.
Dans le domaine de la santé, l'heure est aussi à la mutualisation. Nous finançons la construction de 250 maisons de santé pluridisciplinaires, et un appel à projets sera lancé en juillet pour créer des outils numériques améliorant les services à la personne : 30 à 40 millions d'euros y seront consacrés dans le cadre des investissements d'avenir.
En ce qui concerne les services postaux, le fonds de péréquation postale a été porté de 124 à 170 millions d'euros, et l'accord tripartite que j'ai signé le 26 janvier avec Mme Lagarde garantit la présence de 17 000 points d'accès et d'un distributeur de billets dans chaque chef-lieu de canton. Nous travaillons aussi avec le Crédit agricole et le Crédit mutuel pour créer des points de retrait d'argent chez les petits commerçants, en particulier chez les buralistes.
Enfin, le Gouvernement a lancé une nouvelle génération de pôles d'excellence rurale, qui proposent une offre de services innovante.
J'en viens aux services rendus par l'Etat aux collectivités. Une réforme était nécessaire : le référent technique des communes doit être désormais l'intercommunalité ; l'Etat assumant le contrôle de légalité, il ne peut être juge et partie, en particulier en ce qui concerne l'ingénierie publique ; enfin il n'était plus possible de continuer à offrir des prestations entrant dans le champ concurrentiel. Mais l'Etat continuera à aider les territoires qui en ont le plus besoin, notamment ruraux. Si la RGPP a supprimé l'ingénierie concurrentielle, le Gouvernement a maintenu 1650 ETP pour l'assistance technique de l'Etat, pour raison de solidarité et d'aménagement du territoire, avec un coût de 147 millions d'euros : cela permet d'aider les communes qui n'ont pas les moyens de recourir à un prestataire privé. Les sous-préfectures ont une fonction d'accompagnement et de conseil, la délivrance des titres et le contrôle de légalité ayant été dévolus aux préfectures. Enfin les territoires ruraux peuvent bénéficier de moyens nationaux et européens dans le cadre du réseau rural.
La réorganisation de l'Etat est nécessaire, mais il faut compenser son impact sur certains territoires. Les réformes des établissements de santé et de la carte judiciaire font l'objet de mesures compensatoires de la part des ministères concernés. En revanche, c'est mon ministère qui est chargé d'accompagner la reconversion des territoires touchés par les restructurations militaires, au titre de l'aménagement du territoire. La modernisation est indispensable si l'on veut que notre appareil de défense reste budgétairement soutenable, mais elle a des répercussions importantes sur l'économie de territoires où des bases étaient implantées de longue date. D'ici 2015, 82 sites doivent fermer, 47 être transférés, et 54 000 emplois seront supprimés. Notre politique n'a pas pour objectif de tailler dans les effectifs et les dépenses : nous faisons en sorte de revitaliser les territoires concernés. Dès 2008, le Premier ministre a demandé à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) d'accompagner les restructurations, en liaison avec le ministère de la défense ; 320 millions d'euros ont été débloqués dans le cadre de contrats de redynamisation des sites de Défense (CRSD) et de plans locaux de redynamisation (PLR). La loi de finances pour 2009 a autorisé la cession aux collectivités locales, pour un euro symbolique, des emprises militaires devenues inutiles. Le zonage des « aides à finalité régionale » (AFR) a été étendu aux territoires les plus affectés. Dans les zones de restructuration de défense (ZRD), nous avons octroyé des exonérations fiscales et sociales aux entreprises en création ou en extension et un crédit d'impôt aux micro-entreprises : 12 zones d'emploi et 11 communes sont concernées. Un fonds de soutien aux communes les plus touchées a été créé et abondé de 25 millions d'euros pour la période 2009-2011.
La RGPP ne se fait pas toujours au détriment des territoires : elle peut être une chance pour beaucoup d'entre eux. Je me suis rendu à Cambrai avec M. Juppé pour signer le CRSD, à Dax pour signer le PLR : dans ces deux territoires, où les restructurations de défense auraient pu entraîner une crise grave, elles ont donné de nouvelles perspectives grâce à une politique de développement économique fondée sur l'innovation. Je ne nie pas, cependant, la nécessité d'établir un diagnostic détaillé de la situation des territoires à la suite des restructurations ; la Datar a engagé ce travail à la demande du Premier ministre et remettra son rapport à la fin de l'année.
Dans le champ du ministère de l'agriculture, nous avons pour ambition de réorganiser les services départementaux dans le sens d'une plus grande interministérialité, afin de mieux répondre aux besoins. La RGPP nous a fait faire d'importantes économies dans les services déconcentrés : entre 2011 et 2013, 525 emplois sur 7 100 y auront été supprimés, soit une baisse de 7 %. C'est lourd pour les services, sans doute, mais notre logique n'est pas purement comptable : seuls des emplois correspondant à des missions identifiées sont supprimés, selon un calendrier progressif, et sans porter atteinte aux politiques prioritaires du ministère - le développement rural, l'économie agricole, la forêt. Dans les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf), ces suppressions portent surtout sur les fonctions support, et sont facilitées par la rationalisation des services et l'amélioration des outils informatiques. Dans les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM), elles s'expliquent seulement par la suppression de l'ingénierie publique concurrentielle - 137 ETP entre 2011 et 2013 - et la rationalisation des fonctions support - 264 ETP. Ces réorganisations ont permis de regrouper des services au sein des directions départementales et régionales, de mieux collaborer avec les services déconcentrés d'autres ministères, et finalement d'offrir un service proche à moindre coût.
Il faut cependant souligner deux problèmes. D'une part, nos outils informatiques, qui devraient accompagner ces transformations, ne sont pas toujours à la hauteur : je pense aux dysfonctionnements du service de paiement des aides de la PAC, qui affectent directement les agriculteurs. Car 40 % des déclarations au titre de la PAC s'effectuent désormais par voie électronique, ce qui était loin d'être le cas, j'imagine, quand vous étiez en charge de ce dossier, monsieur le président. La gestion des demandes sur papier était alors une lourde charge pour le ministère.
Au plan culturel, les agents sont attachés à l'identité de leur ministère, et ne souhaitent pas se retrouver dans de vastes directions indifférenciées. Il faut donc définir clairement les missions de chaque ministère, et ce que l'on attend de chaque agent. Cet aspect des choses est trop souvent négligé lorsque l'on parle de rationalisation de l'Etat.
Vous nous avez exposé la philosophie de la RGPP. Tous ceux que nous avons auditionnés ont convenu que tout n'allait pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, et qu'une réforme était nécessaire. Mais beaucoup se sont plaints de l'absence de concertation. Il fallait agir, direz-vous.
Vous avez souligné que les agents ont besoin de connaître leurs missions, mais les collectivités aussi aimeraient connaître les tâches que l'Etat assume encore. Elles ont souvent le sentiment que l'Etat se désengage et se repositionne. Elles ont besoin de savoir ce qu'elles peuvent attendre de lui. Vous avez dit par exemple que le référent technique des communes devait être l'intercommunalité. Nous reconnaissons tous, M. Miquel le premier, que la décentralisation suppose logiquement que certaines tâches anciennement assumées par l'Etat soient dévolues aux collectivités. Mais c'est la première fois que l'entends un ministre s'exprimer aussi clairement sur l'assistance à la maîtrise d'ouvrage et l'ingénierie. Peu de collectivités entendent ce discours.
Vous avez évoqué la suppression de 525 emplois dans les services déconcentrés, au titre du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Combien de postes ont été supprimés dans l'administration centrale de votre ministère en vertu du même principe ?
Vous avez aussi insisté sur le rôle de l'informatique. Depuis vingt ans, on vante les gains de productivité procurés par l'informatique ; ils sont indéniables, mais portent surtout sur des postes de catégorie C, alors que l'on a surtout besoin de personnel de catégorie A, dans le cadre de la mutualisation par exemple. Ne faudrait-il pas apporter de la souplesse à la règle de non-remplacement, et raisonner par types d'emplois plutôt qu'en ETP ?
Plus on se concerte, mieux on se porte. Cela fait plusieurs mois que les préfets disent que l'interlocuteur technique des communes doit être l'intercommunalité. Mais on a parfois perdu du temps en voulant écourter le débat, par exemple lors de la création de l'Institut français du cheval et de l'équitation et du GIP France haras. Il était indispensable de réformer les Haras nationaux, devenus trop coûteux, mais on se heurtait là aux réalités culturelles très fortes du monde du cheval, des palefreniers, au souci de préserver des races équines... Il a fallu s'y reprendre à deux fois pour créer le GIP France haras le 1er février 2011, au lieu du 1er février 2010. Après un an de concertation, nos interlocuteurs se sont laissé convaincre que nous ne voulions pas abandonner les services publics équestres.
Les services déconcentrés ont, plus que l'administration centrale, supporté le poids des suppressions d'emplois : 525 emplois y ont été supprimés pendant la période triennale, 75 dans les services centraux en 2009 et 2010. Il faudra équilibrer les choses, car dans les services déconcentrés il est difficile d'aller beaucoup plus loin.
Je vous livrerai enfin une réflexion qui n'engage que moi, et pas le Gouvernement : je crois que plus on donne de souplesse aux ministres pour appliquer la RGPP, mieux c'est. Chaque ministre pourrait disposer d'une enveloppe budgétaire pour trois ans, libre à lui de décider si des postes doivent être supprimés dans les services centraux ou déconcentrés, dans l'enseignement agricole public ou privé, de catégorie A ou C, etc. Car il est vrai que la télé-déclaration a réduit les besoins en personnel de catégorie C, mais non de catégorie A. Cela supposerait que le ministre définisse plus clairement les missions et les priorités de son ministère. La RGPP y gagnerait une plus grande signification politique.
Je vous apporterai un témoignage. Les élus que j'ai rencontrés dans le Maine-et-Loire ne sont pas très critiques à l'égard de la RGPP, mais ils se plaignent que les agents de l'Etat contrôlent plus qu'ils ne conseillent, et que les avis divergent entre les services d'une même direction. Comme le rapporteur, j'estime qu'une clarification est nécessaire : l'Etat doit dire quelles missions il assume encore, et lesquelles il abandonne - alors les collectivités s'organiseront, même s'il leur en coûtera davantage.
Il faut conserver un lieu de conseil auprès des collectivités territoriales. Mieux vaut un conseil en amont que de voir ensuite le projet censuré...
Je partage votre analyse. À mon sens, il faut d'une part accorder une plus grande autonomie aux responsables d'administrations, c'est-à-dire aux ministres, et d'autre part définir le sens de la mission confiée aux agents. On ne peut laisser penser que le seul objectif de la RGPP est de réduire les effectifs, sans redéfinir les missions. J'ai ainsi fixé pour 2011 un objectif de 50% de télé-déclarations pour la PAC. Même chose pour les sous-préfectures, qu'il faut décharger du contrôle de légalité et réorienter vers une mission de conseil.
Pour ma part, j'ai la chance d'avoir un sous-préfet qui joue fort bien son rôle de facilitateur.
Il n'est pas trop tard pour redonner un contenu philosophique à la RGPP, trop souvent perçue par les élus comme une simple suppression d'effectifs. Je regrette l'absence d'explication préalable sur l'objectif poursuivi, sur la place à donner à l'État. J'ai participé à tous les stades de la « concertation », qui était en réalité une simple information : la RGPP était présentée aux élus par le préfet comme une réorganisation administrative, sans que l'on explique les objectifs qui la sous-tendent.
Je partage cette analyse : la RGPP ne peut se réduire à une simple réorganisation administrative et budgétaire.
Le ministère de l'agriculture a mis en place une Agence de services et de paiement (ADP) chargé d'instruire, de contrôler et de payer les aides de la PAC. Dès lors, quelle doit être la mission principale du ministère, déchargé de cette tâche ? La sécurité sanitaire ? Le contrôle des conditions pour bénéficier des aides de la PAC ? Le conseil aux agriculteurs ? N'oublions pas qu'il est aussi le ministère de l'alimentation ; c'est une dimension qui va croître, car elle correspond à une attente des citoyens. La RGPP doit comprendre une redéfinition des missions confiées à l'État, ministère par ministère.
Les élus, notamment communaux, n'ont guère saisi ce qu'est la RGPP, sinon une réduction du nombre de fonctionnaires. Heureusement, les préfets ont fait un travail de pédagogie, et elle rentre progressivement dans les moeurs.
Reste le problème des compétences maintenues au niveau régional, et notamment de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Le sous-préfet aura un rôle de conseil, dites-vous, mais chez moi il est à 1 heure 45 de Besançon, où se trouve la DREAL ! En matière d'environnement, il faut se rendre sur place ; comment faire remonter l'information, si un maire rencontre un problème ? Idem avec les directions des territoires (DDT), en charge des dossiers agricoles. Vous paraît-il logique que ces administrations soient aussi éloignées du département ? L'environnement doit-il relever de l'échelon régional ?
Vous touchez à une question sensible. Sur les questions environnementales, nous n'avons pas encore trouvé le bon équilibre. Les remontées du terrain font état d'une application difficile d'un certain nombre de normes, due notamment aux conflits entre intérêts agricoles et intérêts environnementaux : retenues collinaires, pollution des eaux, épandage, etc. Les arbitrages sont difficiles. La réforme vise à favoriser le travail en commun, à rapprocher les enjeux, en offrant aux élus un conseil plus efficace.
Dans la nouvelle organisation générale des services déconcentrés, c'est l'échelon régional qui coordonne l'action de l'État. Le préfet de région est chargé de coordonner les actions et les priorités de chacun des ministères. Or il n'a quasiment pas de marge de manoeuvre en termes de personnel, d'autant que les disponibilités ne correspondent pas nécessairement aux besoins. Dans ce contexte, ce n'est pas en renforçant l'autonomie des ministres que l'on répondra aux difficultés des préfets...
La RGPP est une mutualisation, dites-vous. Faut-il centraliser pour disposer des meilleures compétences ou au contraire rester au plus près du terrain ? Désormais, le préfet de région est presque le supérieur hiérarchique du préfet de département ; faut-il aller plus loin, ou au contraire revenir en arrière ? Le rôle du sous-préfet va-t-il se limiter à assurer la représentation galonnée de l'État lors de manifestations patriotiques ? Quelle est son utilité, s'il n'a plus de mission propre ?
Le sous-préfet joue un rôle indispensable de conseil aux collectivités territoriales. Si ce service ne donne pas satisfaction, il y a un problème ; aux élus de l'évaluer.
Le renforcement du rôle du préfet de région est d'autant plus justifié qu'il coordonne l'application de politiques publiques de plus en plus complexes, aux enjeux parfois contradictoires. Renforcer l'autonomie du ministre ne signifie pas empiéter sur les responsabilités du préfet. À mes yeux, le ministre est le plus à même d'évaluer, sur trois ans, les réductions d'ETP envisageables. Lui laisser la marge de manoeuvre nécessaire pour fixer le rythme de la réduction des effectifs, sur la base d'une enveloppe budgétaire, irait dans le bon sens.
N'est-il pas paradoxal d'entamer une démarche de simplification quand la tendance est à la complexification des normes, notamment en matière environnementale ? De même, on accentue la régionalisation, alors que la réforme des collectivités territoriales, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, a renforcé l'échelon départemental. Proximité ne signifie pas qualité : ne vaut-il pas mieux créer un pool de compétences pointues, même si cela entraîne des déplacements ? Enfin, il est désastreux, en termes de communication, de parler de la « suppression » d'un fonctionnaire sur deux : il s'agit du non remplacement d'un départ à la retraite sur deux !
Je vous rejoins sur ce dernier point, même si je n'ai pour ma part pas d'état d'âme sur cette politique. La France a créé un million d'emplois publics supplémentaires en quinze ans ; cela ne me paraît pas une bonne direction pour notre pays. Arrive un moment où, pour obtenir des résultats, il fallait appliquer une règle mécaniste stricte : c'est celle du non remplacement d'un départ à la retraite sur deux. Dans un second temps, la RGPP doit se construire sur la question des missions à confier à l'État.
Plus les normes sont complexes, plus les procédures doivent être simples et les responsables, clairement identifiés. Je doute que nous arrivions à simplifier les normes autant que nous le voudrions, malgré la mission confiée à M. Doligé sur le sujet : notre société est complexe, elle exige toujours plus de protections, des garanties, des règles, ce qui suppose des normes. Ainsi, les règles nutritionnelles dans les cantines scolaires, qui étaient exagérément complexes et donc inappliquées, ont-elles été simplifiées, avec des exigences moindres mais claires, et rendues obligatoires. Mais pas question de supprimer toute règle nutritionnelle ! Idem pour le taux de nitrates dans l'eau, l'épandage ou la taille des bâtiments d'élevage.
Enfin, l'essentiel est de disposer de services compétents, quitte à ce qu'ils soient un peu éloignés, qui répondent aux besoins.
M. Censi nous disait que la RGPP avait été faite sous la pression des exigences financières. Elle a en tous cas été instaurée sans concertation : en Bourgogne, le préfet de région m'a annoncé comment les choses allaient se passer, sans autre forme de procès.
Le meilleur moyen de simplifier les normes, c'est de ne pas en voter ! Lors du débat sur le Grenelle de l'environnement, les sénateurs de tous bancs - qui dénoncent aujourd'hui l'excès de normes - en introduisaient de nouvelles à chaque page ! J'avais écrit autrefois un article intitulé « Gare à la peste communautaire » ; on pourrait écrire aujourd'hui « Gare à la peste normative » !
Vous êtes un ministre compétent ; vous avez une vision, sinon technocratique, disons ministérielle de votre mission, que vous remplissez le mieux possible, avec les moyens qui vous sont alloués. Je ne mets pas en doute votre bonne volonté. Reste que quand un maire a besoin de conseil, il veut le trouver à proximité, et le moins cher possible !
La RGPP administre son coup de rabot à l'aveugle. Allez parler d'innovation, de reconversion à Château-Chinon, victime de la restructuration de la carte militaire ! Joigny a perdu un régiment, un tribunal de commerce, un bloc opératoire, une clinique, un centre éducatif : huit cents emplois en un an ! Nous avons signé un contrat de site, mais je note que les crédits par emploi perdu diffèrent selon les sites : tous les sites ne sont pas traités de la même manière.
Bref, la vision du ministre est peut-être un peu idyllique...
Malgré les efforts consentis pour accompagner la réforme de la carte militaire, les transitions sont difficiles, tout particulièrement quand il n'y a pas localement d'infrastructures, de moyens de communication. La restructuration est facilitée quand il existe déjà des projets économiques, prêts de longue date, comme à Dax ou Cambrai. Chaque fermeture militaire est un drame localement et un défi économique. Pour ma part, je me suis battu pour conserver la base aérienne 105 à Évreux. Enfin, il ne manque qu'un Président de la République natif de Château-Chinon pour relancer la ville !