La délégation a procédé à l'audition de Mme Mireille Brioude, membre, M. Mathieu Peycéré, responsable juridique, et M. Franck Tanguy, porte-parole, de l'Association des Parents et futurs Parents Gays et Lesbiens (APGL).
a tout d'abord présenté cette association fondée en 1986 à l'initiative d'un groupe de pères gays divorcés qui, après s'être progressivement développée, compte aujourd'hui 1 600 membres.
S'agissant des activités de l'APGL, elle a notamment mentionné deux colloques tenus en 1997 et en 1999, ainsi qu'une conférence internationale sur l'homoparentalité organisée en octobre 2005.
Puis elle a défini le terme « d'homoparentalité » qui désigne, selon elle, toutes les situations familiales dans lesquelles au moins un adulte s'autodésignant comme homosexuel est le parent d'au moins un enfant.
a indiqué qu'au plan statistique il n'existait pas de recensement officiel des familles homoparentales, mais que, sur une base prospective, on pouvait en dénombrer environ 100 000, le nombre d'enfants élevés au sein de ces familles avoisinant 200 000.
Elle a ensuite présenté une typologie distinguant cinq formes de familles homoparentales regroupées en deux grandes catégories, pluriparentale ou biparentale.
S'agissant des structures pluriparentales, elle a tout d'abord mentionné celles qui s'organisent autour d'enfants nés d'une union hétérosexuelle antérieure, le parent gardien vivant avec une personne de même sexe après séparation d'avec l'autre parent biologique. Elle a assimilé ces structures à des familles recomposées où se pose le problème du statut, ou plutôt de l'absence de statut, du beau-parent.
Puis elle a présenté le cas de la « coparentalité » où la famille est composée d'un père et d'une mère biologiques ayant chacun une compagne ou un compagnon, l'éducation de l'enfant faisant alors l'objet d'un accord qui prévoit un mode de garde réparti entre les deux couples de parents, exactement comme le font des parents divorcés.
a ensuite analysé trois formes de structure biparentale, en commençant par celle où les enfants sont nés d'une insémination artificielle avec donneur. A ce sujet, elle a précisé que la loi française interdisait cette forme de conception aux lesbiennes et aux célibataires. Elle a indiqué que les enfants étaient, dans ces conditions, conçus à l'étranger, en Belgique, Hollande, Angleterre ou Espagne, et vivaient entourés de leur mère biologique et de la compagne de celle-ci, qui s'investit dans leur éducation sans aucun statut légal. Elle a fait observer qu'en cas de décès de la mère biologique, rien ne garantissait à l'enfant de pouvoir rester avec sa seconde mère qui l'avait pourtant élevé et, qu'en cas de fratrie constituée dans le même contexte, aucune garantie n'existait pour maintenir sa cohésion ultérieure. Elle a précisé que les seules solutions juridiques à ce problème, selon elles insuffisantes, étaient le recours à la tutelle testamentaire ou, depuis une jurisprudence récente, la possibilité de demander le partage de l'autorité parentale.
Elle a indiqué qu'une seconde forme de structure biparentale était constituée par l'adoption : l'agrément étant, en pratique, refusé en cas d'homosexualité avérée de l'adoptant, l'adoption est alors obtenue sous couvert de célibat et ne permet aucune reconnaissance du parent partenaire impliqué dans la démarche initiale.
Elle a enfin évoqué la « maternité pour autrui », abusivement appelée maternité par mère porteuse, qui pouvait être la solution choisie par un couple d'hommes pour concevoir, toujours à l'étranger, un enfant, en précisant que, dans ce cas, le compagnon du père n'avait lui non plus aucun statut légal.
a fait observer que ces formes diverses de parentalité désignées sous le vocable unique de « famille homoparentale » constituaient, au regard de la loi, des formes atypiques de foyer. Elle a souligné que l'essentiel des revendications des « homoparents » se ramenait à des réformes juridiques, nécessitant au préalable de clarifier un certain nombre de problématiques d'ordre moral, intellectuel et idéologique.
Elle a regretté que l'adoption du pacte civil de solidarité (PACS) en novembre 1999 se soit faite au détriment des couples homosexuels vivant avec des enfants, qui revendiquaient une reconnaissance juridique.
Puis elle a brossé un panorama de nombreuses études et recherches en psychologie tendant à confirmer le fait que les familles homoparentales n'ont plus à justifier de l'équilibre psychique de leurs enfants, mais qu'elles constituent une sorte de champ d'expérimentation de la pluriparentalité.
a observé que, le débat ayant évolué grâce à ces études et ces réflexions, les familles homoparentales étaient devenues, au fil des années, plus visibles et plus nombreuses, certains parlant de « gayby boom ». Elle a ajouté que l'image de l'enfant déstructuré uniquement à cause de sa particularité familiale était en passe de devenir un fantasme ne correspondant pas aux réalités et aux témoignages, maintenant publiés, d'enfants élevés par des parents gays. Elle a noté que les homoparents rencontraient les mêmes problèmes que les autres parents et constaté que la famille homoparentale, visible et bien assumée, ne faisait plus peur.
a souligné que les principales difficultés rencontrées par ces familles étaient de deux ordres : d'une part, l'homophobie latente ou déclarée d'une partie de la société qui rend nécessaire un dialogue des homoparents avec leur entourage, leurs propres parents, ainsi qu'avec les professionnels de santé et de l'éducation et, d'autre part, le problème de la reconnaissance juridique des homoparents. Elle a sur ce dernier point considéré que la France était désormais, avec l'Italie, isolée parmi les pays européens occidentaux qui ont généralement adopté des formes légales d'union des couples homosexuels, en étendant les prérogatives de cette union à leurs enfants. Elle a ajouté que plusieurs Etats américains avaient institutionnalisé les unions de couples gays en organisant l'adoption, la transmission du patrimoine et l'autorité parentale partagée. Elle a également observé que, depuis 2002, le Québec protégeait les citoyens homosexuels vivant avec des enfants et leur autorisait l'adoption. Elle a estimé que, dans ces pays, le droit évoluait, non plus en fonction du primat du biologique, mais conformément à une éthique de l'engagement et de la responsabilité.
Elle a conclu en considérant qu'il serait souhaitable que la législation évolue pour permettre aux enfants d'être protégés juridiquement et socialement des accidents de la vie et de se sentir comme les autres en assumant leur différence de milieu familial.
Puis M. Mathieu Peycéré, responsable juridique de l'association, a souhaité mettre l'accent sur quelques aspects des discriminations entre hommes et femmes, ainsi que sur les familles recomposées, en se fondant sur son expérience de juriste au service de l'APGL. Il a estimé, de manière générale, que la focalisation de la loi française sur la dimension biologique de la parentalité ralentissait l'émergence de la prise en compte des réalités pratiques dans notre système juridique. Il a fait observer que des progrès législatifs simples permettraient une meilleure adaptation à la réalité en soulignant que l'amélioration de la sécurité juridique des adultes permettait également de protéger, par ricochet, les enfants.
A ce titre, il a estimé que le mariage homosexuel constituerait une des solutions les plus simples et les mieux adaptées. En effet, - a-t-il précisé - le mariage permet l'adoption et, en outre, clarifie la situation du beau-parent homosexuel à l'égard des enfants du conjoint. En revanche, il a rappelé que les tribunaux refusaient aujourd'hui systématiquement l'adoption simple par le compagnon homoparental.
Il a ensuite souligné l'importance qui s'attache à trouver un meilleur équilibre entre les parents biologiques et le « parent social », en précisant que le dispositif de la loi du 4 mars 2002 relatif au partage de l'autorité parentale constituait un premier pas dans ce sens. Il a cependant rappelé que le juge conservait la possibilité de ne pas accorder ce partage de l'autorité parentale, notamment à la compagne de la mère biologique. Il a déploré les effets potentiellement néfastes pour l'enfant d'une telle décision du juge le privant de la possibilité d'avoir un second repère parental et posant des problèmes pratiques, par exemple dans le cas où le « parent social » doit accompagner l'enfant lors d'une sortie du territoire ou pour une intervention médicale. Il a insisté, à ce titre, sur la nécessité d'une reconnaissance juridique et sociale des deux parents, dans l'intérêt de l'enfant et de la structuration de la famille.
Evoquant ensuite les possibilités de droit de visite susceptible d'être accordé au conjoint non parent en cas de séparation, M. Mathieu Peycéré a estimé nécessaire de s'inspirer de ce mécanisme pour élaborer un statut du beau-parent et pacifier les séparations, en tenant compte de la mobilité accrue des familles.
A propos de l'adoption simple, il a regretté que les tribunaux l'interdisent, en pratique, au compagnon homoparental, ce qui condamne l'un des membres du couple homosexuel à la solitude, au moins juridique, à l'égard de ses enfants.
S'agissant de la persistance des discriminations entre hommes et femmes, il a rappelé la jurisprudence récente écartant la compagne d'une mère du bénéfice du congé de paternité, en estimant que ce congé était pourtant nécessaire du point de vue de l'égalité entre les sexes, mais aussi dans l'intérêt de l'enfant et pour faciliter la vie du couple.
Résumant son propos, il a souligné qu'une évolution législative dans ce domaine aurait le mérite de clarifier la situation des familles homoparentales, dans l'intérêt des enfants et des adultes qui en prennent soin. Il a d'ailleurs fait observer que du point de vue de l'administration fiscale ou de la sécurité sociale, ces familles n'étaient que rarement considérées comme monoparentales, alors qu'elles l'étaient juridiquement.
Un débat s'est ensuite instauré.
a interrogé les intervenants sur leurs réflexions et leurs demandes précises en matière de statut des beaux-parents.
a estimé que les familles homoparentales avaient, en grande partie, les mêmes préoccupations que l'ensemble des familles recomposées hétérosexuelles, à cette différence près que deux homosexuels ne peuvent pas se marier en l'état actuel du droit. Il a donc souhaité une clarification générale du rôle des beaux-parents.
a précisé qu'en cas de séparation, la garde des enfants était rarement confiée à un parent qui s'avère être homosexuel.
a rappelé que des objections avaient été émises par certains juristes à propos de la définition d'un statut des beaux-parents, notamment au regard des complications que peuvent entraîner les recompositions familiales successives.
a répondu que le partage de l'autorité parentale pouvait se faire et se défaire et a fait observer que le mariage était également soumis au risque d'une éventuelle rupture. Pour illustrer la souplesse du droit de la famille, il a signalé que l'adoption simple pouvait être révoquée pour des motifs graves, et notamment en cas de changement de partenaire.
Puis il a insisté sur la nécessité de solenniser certains actes pour structurer les familles et l'autorité des adultes, en faisant observer que les récents événements de violence urbaine traduisaient notamment un défaut de points de repères familiaux.
a pour sa part combattu le préjugé selon lequel les couples homosexuels se sépareraient plus fréquemment que les couples hétérosexuels.
après avoir constaté que certains enfants vivaient dans des couples homosexuels, s'est tout d'abord interrogée, en matière de terminologie notamment, sur la question de savoir s'il était normal de dire à un enfant qu'il a deux pères ou deux mères. Elle s'est dite perturbée par cette situation, en se demandant si les enfants ne pouvaient pas l'être à plus forte raison. Puis elle a évoqué les difficultés juridiques communes à toutes les familles recomposées.
a ensuite rappelé qu'il était particulièrement traumatisant pour un enfant d'avoir été abandonné et adopté et s'est demandé si l'adoption par un couple homoparental ne pourrait pas constituer une perturbation supplémentaire de son équilibre.
S'agissant de la terminologie employée par l'enfant dans le cadre d'une famille homoparentale, Mme Mireille Brioude a indiqué que, dans certaines familles lesbiennes, l'enfant pouvait appeler « maman » à la fois la mère biologique et sa compagne, tandis que, dans d'autres familles, celle-ci pouvait être appelée par son prénom, notamment si le couple lesbien est de formation plus récente. Elle a précisé qu'en tout état de cause, il ne s'agissait pas de mentir à l'enfant sur la façon dont il a été conçu, mais de constater qu'il est élevé par deux personnes. Puis elle a constaté que, dans la pratique, les enfants parvenaient eux-mêmes à trouver la terminologie qui leur est la plus confortable.
a, pour sa part, indiqué que l'APGL n'avait aucun credo précis, ni aucune consigne autoritaire en la matière. Puis il a fait observer que, dans la réalité vécue, les enfants opéraient eux-mêmes un travail d'ajustement terminologique.
Evoquant l'épisode au cours duquel l'enfant se trouve nécessairement confronté à la société, il a indiqué que les nombreuses études effectuées sur le sujet faisaient apparaître que les enfants vivant avec des couples homosexuels ne présentaient pas de traumatisme particulier.
Par ailleurs, il a regretté que l'adoption par un couple homosexuel puisse être considérée comme à l'origine d'un traumatisme, sur le même plan que le traumatisme de l'abandon, en estimant que le facteur essentiel n'était pas l'orientation sexuelle des parents adoptifs, mais l'affection qui est portée à l'enfant.
a précisé qu'en dehors de toute considération sur l'orientation sexuelle des parents, son expérience en matière de délivrance d'agrément pour l'adoption la conduisait à insister sur l'importance de donner à l'enfant un référent homme et un référent femme dans son entourage, ce qui conduit généralement à prendre des précautions pour confier un enfant à un célibataire.
a précisé que cet argument était invoqué de manière systématique et que son association travaillait à montrer que ce facteur hétérosexuel n'était pas essentiel à la structuration de l'enfant, tout en soulignant le rôle fondamental de l'affection qui lui est portée.
citant le résultat d'un certain nombre d'études, a indiqué que les enfants élevés par deux femmes trouvaient très tôt des références stables : leurs jeux ne se distinguent pas de ceux des autres enfants et ils ne présentent pas de tendance particulière à devenir homosexuels eux-mêmes, ce qui constitue des indices assez significatifs.
a fait observer que les enfants abandonnés se trouvaient fréquemment dépourvus de repères et qu'il lui semblait préférable de les confier à une famille hétérosexuelle. Elle a ajouté que l'adoption comportait toujours un risque et a constaté qu'en pratique, les échecs étaient plus fréquents en cas d'adoption par un parent célibataire.
Elle a précisé qu'en France, très peu d'enfants étaient proposés à l'adoption et que l'adoption était très difficile à obtenir à l'étranger par un célibataire ou par un couple homosexuel.
après avoir analysé les préjugés défavorables aux familles homoparentales et estimé souhaitable de tenir compte avant tout de l'intérêt de l'enfant, a indiqué que seuls trois pays au monde acceptaient, à l'heure actuelle, l'adoption par un parent célibataire.
Evoquant la perspective d'une évolution de ce contexte juridique, il a souhaité que la France puisse prendre des mesures d'avant-garde en matière d'adoption par des parents homosexuels.
s'est déclarée, au risque de décevoir les intervenants, opposée à la parentalité homosexuelle, en évoquant à la fois ses convictions religieuses et personnelles.
Elle s'est, en revanche, déclarée pleinement favorable à l'adoption des enfants abandonnés, en évoquant les actions qu'elle avait pu conduire pour leur venir en aide.
a salué le courage de Mme Christiane Kammermann dans l'expression de ses convictions.
a indiqué qu'il comprenait parfaitement ce point de vue, en rappelant que de nombreux homosexuels étaient passés par une phase au cours de laquelle ils avaient estimé impossible à des couples de même sexe d'élever des enfants. Il a cependant considéré que la meilleure démonstration a contrario consistait à observer des situations vécues par des enfants élevés dans des conditions normales par des couples homosexuels, constatant que dans la pratique ces enfants étaient des enfants « comme les autres ».
a estimé qu'il était particulièrement difficile pour ces enfants d'être « comme les autres ».
citant Mme Elisabeth Roudinesco, a considéré que les enfants de parents homosexuels étaient dans une situation comparable à celles des enfants de parents divorcés il y a plusieurs décennies. Puis il a évoqué les transformations de la cellule familiale qui, aujourd'hui, contribuent à une meilleure acceptation des différences.
a rappelé que les enfants de parents divorcés avaient un père et une mère, ce qui n'est pas le cas des enfants vivant dans des familles homoparentales.
a estimé fondamental de s'interroger, de manière générale, sur le caractère traumatisant ou non des séparations ou de la situation familiale sur les enfants, plutôt que de focaliser le débat sur le seul critère de l'homoparentalité. S'agissant des problèmes identitaires, il a rappelé que l'APGL militait de longue date pour la reconnaissance des origines.
a estimé choquant de considérer comme des parents deux personnes de même sexe, en précisant par ailleurs que, dans les familles recomposées, l'enfant distinguait parfaitement le père et le beau-père, qui n'avait jamais la même place et le même rôle que le père.
s'est demandé, en analysant ce point de vue, si le point de blocage ne se situait pas dans la terminologie, auquel cas il conviendrait de trouver des termes adéquats pour préciser les rôles respectifs des parents ou des beaux-parents homosexuels.
Puis, interrogé par Mme Gisèle Gautier sur la création d'un « livret de famille de l'enfant » proposée par l'APGL, M. Mathieu Peycéré a indiqué que cette proposition correspondait au souci d'une reconnaissance sociale des personnes qui élèvent l'enfant, en clarifiant leur situation, et permettrait également de répondre à un souci de transparence des origines.
s'est demandé si la révélation des origines ne risquait pas de restreindre le nombre de donneurs.
a précisé qu'en Hollande, depuis quelques années, la loi qui permet à l'enfant de connaître ses origines n'assortit cette connaissance d'aucun droit ni pour l'enfant, ni pour le parent.
En réponse à une demande de précision de Mme Muguette Dini à l'égard des inégalités en matière de prestations sociales, M. Mathieu Peycéré a constaté par exemple que les personnes vivant au sein d'un couple homosexuel n'avaient pas le droit de bénéficier de l'allocation au parent isolé (API).
a remercié les intervenants pour la qualité et le caractère concret de leurs propos, tout en leur rendant hommage pour avoir placé au centre de leur analyse le bonheur de l'enfant.