Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 24 octobre 2006 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission a procédé à l'audition du général Elrick Irastorza, major général de l'armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2007.

Le général Elrick Irastorza, après avoir indiqué qu'il s'exprimait au nom du général Bruno Cuche, chef d'état-major de l'armée de terre, a tout d'abord qualifié de paradoxale la situation des forces terrestres, actuellement engagées avec succès sur les théâtres d'opérations mais confrontées, dans la préparation de l'avenir, à certaines difficultés. Ces dernières, a-t-il précisé, tiennent notamment aux rigidités d'un système hérité de la période de la guerre froide alors que l'instabilité, le terrorisme et les guérillas ont remplacé la menace conventionnelle symétrique. Aussi a-t-il jugé urgent que l'armée de terre cible ses priorités et recentre ses efforts sur les engagements réels les plus probables.

Il a détaillé les principaux constats résultant de la réflexion prospective et doctrinale novatrice dans laquelle s'est engagée l'armée de terre. La menace conventionnelle symétrique a pour l'instant disparu et l'asymétrie, c'est-à-dire la recherche par l'adversaire des déséquilibres dans tous les domaines, militaires mais surtout civils, a remplacé les schémas classiques de la stratégie directe. Les capacités de destruction françaises, sans pour autant devenir inutiles, ne suffiront plus à elles seules à emporter la décision. Quant à la technologie, évidemment indispensable, son efficacité reposera avant tout sur la capacité humaine à la convertir en avantage. Le concept de bataille décisive n'est plus aussi pertinent qu'auparavant et c'est désormais sur la phase de stabilisation de l'espace terrestre que se concentre l'effort principal, avec une combinaison des moyens militaires et civils, de l'action politique, diplomatique et militaire.

Le général Elrick Irastorza a estimé que l'armée de terre s'était adaptée pour répondre à ce défi, s'affirmant d'ores et déjà comme une armée d'emploi, et non plus comme une armée d'attente. Ainsi, plus de 20 000 soldats français sont en posture opérationnelle permanente, en alerte ou en opération sur le territoire national ou à l'étranger. Au total, chaque année, 60 000 hommes et femmes des forces terrestres sont mis à contribution dans le cadre de ces engagements opérationnels, ce qui démontre la validité d'une organisation articulée autour du concept de réservoir de forces modulaires, le niveau satisfaisant de la préparation opérationnelle et la pertinence des choix d'équipement effectués en début de loi de programmation militaire, privilégiant des matériels polyvalents, facilement projetables, bien protégés et intégrant en réseau les dernières technologies de l'information.

Le général Elrick Irastorza a ajouté que ce processus d'adaptation permanente se poursuivait. La chaîne de commandement sera rendue plus réactive, la synergie avec l'état-major des armées et avec la Délégation générale pour l'armement devant être renforcée afin d'accélérer le cycle d'acquisition des équipements en fonction des impératifs opérationnels. Par ailleurs, une nouvelle politique d'emploi et de gestion des parcs doit permettre de mieux cibler les efforts financiers de maintenance sur les priorités opérationnelles, en modifiant la répartition actuelle des matériels majeurs. La préparation opérationnelle sera davantage axée sur les engagements réels, en s'appuyant notamment sur le centre d'entraînement en zone urbaine (CENZUB) de Sissonne, et visera à renforcer l'intégration interarmées, à prendre en compte systématiquement les problématiques civilo-militaires et à maintenir le niveau d'interopérabilité avec les alliés européens et atlantiques.

Abordant le projet de loi de finances pour 2007, le général Elrick Irastorza l'a jugé globalement satisfaisant pour l'armée de terre, en dépit de la persistance de certains décalages entre la réalité de la ressource et les besoins opérationnels.

Les crédits de maintien en condition opérationnelle du matériel terrestre seront majorés de 20 millions d'euros, ce qui permettra d'amorcer un assainissement de la situation financière sans pour autant éviter la diminution programmée de la disponibilité technique des chars Leclerc ni, en 2008, le retrait du service actif du système de défense sol-air Roland. A moyen terme, et indépendamment de la nouvelle politique d'emploi et de gestion des parcs, l'effort financier devra être poursuivi pour faire face à la forte augmentation des coûts de possession des matériels neufs et des matériels les plus anciens, qui sont particulièrement sollicités en opérations extérieures.

En ce qui concerne les programmes d'équipement, l'année 2007 sera marquée par la livraison des huit derniers chars Leclerc, de six hélicoptères Tigre, de 110 petits véhicules protégés, de 25 drones de reconnaissance au contact et des 358 premiers équipements du combattant Felin, ainsi que par l'achèvement du programme de valorisation des véhicules de l'avant blindé. Les commandes porteront notamment sur 117 véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), de 5 000 Felin, de 2 000 postes radio de quatrième génération et des systèmes d'information du champ de bataille. S'agissant de l'hélicoptère NH 90, des éléments rassurants ont été apportés, mais il convient de rester vigilant compte tenu de notre déficit en moyens de projection tactique et de l'abandon de la rénovation du Puma, alors que celle du Cougar n'a pas encore donné lieu à une commande.

Le général Elrick Irastorza a estimé que la sanctuarisation des grands programmes « phare » était indispensable mais ne devait pas s'effectuer au détriment d'autres programmes qui pourraient être menacés, comme le Véhicule Haute Mobilité ou la rénovation des hélicoptères Cougar.

Evoquant la composante humaine de l'armée de terre, il a estimé la situation satisfaisante, quoique fragile.

Le budget pour 2007 permettra d'atteindre l'objectif initial de 96 jours d'activité et le passage à 375 millions d'euros de la provision relative aux surcoûts des opérations extérieures ira dans le sens d'une plus grande sincérité budgétaire. Les crédits destinés à la masse salariale permettront de stabiliser les effectifs militaires et civils à un niveau raisonnable.

A ce propos, le général Elrick Irastorza a considéré que le niveau de « saturation » n'était pas encore atteint, bien que le rythme des missions extérieures soit soutenu et éprouvant, engendrant l'usure des soldats et pouvant les amener à quitter prématurément l'institution.

Après avoir précisé que la mise en oeuvre du plan d'amélioration de la condition militaire et du fonds de consolidation de la professionnalisation se déroulait de manière satisfaisante et que l'effort en faveur des personnels civils serait poursuivi, le général Elrick Irastorza a souligné que la condition des militaires constituait un enjeu majeur étant donné la difficulté de recruter et de fidéliser des personnels de qualité. Il a estimé que dans un contexte de concurrence accrue sur le marché de l'emploi, l'effort de consolidation de la professionnalisation devait être durable et concerner aussi l'entourage immédiat des soldats.

Il a également évoqué l'impact sur les conditions de vie et de travail des personnels des crédits de fonctionnement courant des forces, dont le volume, en baisse continue depuis 2002, est encore en diminution de 7 millions d'euros en 2007, soit l'équivalent de cinq budgets de fonctionnement d'un régiment des forces, alors que le coût des services et de l'énergie est en forte augmentation. Il a estimé que la limite des efforts de rationalisation engagés était désormais atteinte, sur la base du dispositif territorial actuel de l'armée de terre.

Le général Elrick Irastorza a ensuite évoqué la contribution de l'armée de terre au projet national et les intérêts économiques, sociétaux ou sécuritaires qui s'y attachent.

Sur le plan économique, un régiment de 1 000 hommes de l'armée de terre compte toujours parmi les plus gros employeurs publics locaux et représente en moyenne près de 30 millions d'euros par an injectés dans l'économie locale, sous la forme de salaires et de contrats passés avec des entreprises privées. Par ailleurs, l'armée de terre recrute chaque année 17 000 personnels de toutes origines et de tous niveaux scolaires, y compris des jeunes gens non qualifiés. Elle demeure, dans son fonctionnement, une institution unique de promotion sociale fondée avant tout sur le mérite, qui forme, instruit et éduque, portant ainsi les valeurs républicaines de fraternité, de travail, d'intérêt général, de savoir-faire et de savoir-être qui irriguent la société au quotidien, partout où des unités sont implantées. Enfin, l'armée de terre est prête, dans le cadre d'une démarche interarmées et interministérielle, à renforcer, lorsque les circonstances l'exigent, sa contribution à la sécurité intérieure.

En conclusion, le général Elrick Irastorza a insisté sur le besoin en forces terrestres modernisées, efficientes et en nombre suffisant, contribuant, par la diversité de leurs modes d'action et leur souplesse d'emploi, à mieux assurer la sécurité des Français et à défendre les intérêts de la France. Il a souligné la nécessité de garantir dans les années à venir la cohérence entre les ressources allouées et les impératifs opérationnels.

Debut de section - PermalienPhoto de André Dulait

A la suite de cet exposé, M. André Dulait, rapporteur pour avis pour les forces terrestres, a demandé des précisions sur le projet de réforme de la gestion des parcs de matériels de l'armée de terre. Il a notamment souhaité savoir si certains matériels seraient mis « sous cocon ». Par ailleurs, rappelant que l'armée de terre serait dotée du missile sol-air moyenne portée Aster 30, il a demandé si une démarche interarmées était envisagée pour la formation des personnels ou le soutien et la mise en oeuvre de ce missile, dans la mesure où il équipera également l'armée de l'air. Enfin, il s'est interrogé sur la mise en oeuvre du projet d'externalisation de la formation initiale des pilotes d'hélicoptères à Dax, et notamment sur les économies qui pouvaient en résulter.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

a relevé que l'exposé du major général de l'armée de terre laissait percer quelques motifs d'inquiétude rejoignant ses propres préoccupations quant à la réalisation de tous les objectifs de la loi de programmation militaire. Par ailleurs, il a souhaité savoir si l'on constatait des difficultés en matière de fidélisation des personnels engagés et si le rythme élevé de déploiement sur des théâtres d'opérations très dispersé était un facteur aggravant.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean François-Poncet

a demandé au major général de l'armée de terre si les limites étaient désormais atteintes en matière de capacité de déploiement de troupes ou si, au contraire, les armées seraient en mesure de faire face, le cas échéant, à un engagement supplémentaire en opérations.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Luc

a évoqué les nouveaux types de conflits et d'engagements auxquels était confrontée l'armée de terre et les adaptations qu'ils impliquent, tant dans la formation des personnels que dans la politique d'équipement. Elle s'est inquiétée de l'effet d'usure que pourrait provoquer, sur les personnels, le rythme d'engagement particulièrement élevé à l'heure actuelle. Elle a demandé si les dotations supplémentaires prévues en 2007 pour le maintien en condition opérationnelle seraient suffisantes pour couvrir les besoins liés au coût d'entretien croissant des matériels. Elle s'est interrogée sur les conséquences de l'arrivée tardive de l'hélicoptère de transport NH 90 dans l'armée de terre. Elle a souhaité des précisions sur les conditions de déploiement des troupes françaises au Liban.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Nogrix

a souhaité savoir quel rôle jouait le renseignement pour la protection de nos forces en opération extérieure. Il a relevé l'accent mis, ces derniers temps, sur le rôle joué par les forces spéciales, et a demandé si, par rapport à ces dernières, nos autres forces connaissaient des limitations d'emploi significatives.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Vinçon

président, a observé que le renforcement de la participation française à la FINUL, dont le principe était largement approuvé, avait relancé les interrogations sur les risques de « surchauffe », compte tenu du niveau déjà élevé de nos autres engagements en Afrique, dans les Balkans et en Afghanistan. Il a par ailleurs évoqué les conséquences de la réduction de nos capacités aéromobiles, du fait de l'arrivée tardive des hélicoptères de transport NH 90 et de l'abandon, l'an dernier, du projet de rénovation d'une partie du parc Puma, qui était censé en atténuer les effets.

En réponse à ces différentes interventions, le général Elrick Irastorza a apporté les précisions suivantes :

- l'armée de terre maintient un niveau très élevé de disponibilité, de l'ordre de 90 %, pour les matériels projetés en opérations extérieures, et même de 100 % pour les matériels majeurs ; ce résultat implique de disposer, sur nos multiples théâtres d'opérations, de personnels formés à l'entretien des matériels, de pièces de rechange en nombre suffisant et d'un outillage spécialisé et adapté ; le contrecoup de cet effort se traduit, en métropole, par une situation beaucoup plus contrastée ; il est évident que les tensions sur le maintien en condition opérationnelle ne peuvent, à l'avenir, que s'accentuer, du fait de coûts d'entretien croissants, tant pour des matériels vieillissants que pour des matériels neufs et hautement sophistiqués ; à titre d'exemple, le coût des pièces de rechange pour notre parc de véhicules de l'avant blindés (VAB) augmente sur un rythme de 10 % par an ; quant au coût de l'heure de vol d'un hélicoptère de combat Tigre, il est évalué à 9 000 euros, contre 640 euros pour celui de l'actuel hélicoptère Gazelle ;

- pour faire face au poids financier croissant du maintien en condition opérationnelle, l'armée de terre étudie la mise en oeuvre d'une gestion différenciée des parcs de matériels, projet qui avait déjà été envisagé il y a plus d'une dizaine d'années ; cette réforme se fonde sur l'idée que la disparition de la menace aux frontières rend moins nécessaire la disponibilité immédiate de la totalité des matériels ; leur répartition pourrait ainsi être optimisée de sorte que les unités soient assurées de pouvoir disposer des équipements nécessaires lorsqu'elles en ont besoin, pour leurs périodes d'entraînement en garnison ou en camp, et bien sûr pour les opérations, même si ces équipements ne sont plus en permanence stationnés dans leurs quartiers ; on peut effectivement imaginer que certains matériels soient placés « sous cocon » avec un degré d'entretien minimal permettant leur réactivation en tant que de besoin ; une telle utilisation plus rationnelle des parcs pourrait engendrer des économies substantielles, qui amortiraient la hausse des coûts de maintien en condition ;

- la dotation supplémentaire de 20 millions d'euros prévue en 2007 par rapport à 2006 pour le maintien en condition opérationnelle permettra d'entamer la résorption sur cinq ans du déficit de fin 2006, évalué à 100 millions d'euros ;

- s'agissant du missile sol-air moyenne portée Aster 30, la responsabilité de sa mise en oeuvre pourrait soit être partagée entre l'armée de terre et l'armée de l'air, soit être entièrement confiée à l'armée de l'air ; en tout état de cause, l'armée de terre dispose, dans ses régiments d'artillerie sol-air, des capacités techniques et humaines nécessaires pour mettre en oeuvre ce missile, que les régiments concernés soient placés ou non pour emploi auprès de l'armée de l'air ;

- l'externalisation de la formation initiale des pilotes d'hélicoptères à Dax devrait être effective à partir de 2008, la signature des contrats étant prévue en 2007 ; l'état-major des armées a revu la mesure initialement envisagée, qui imputait dès 2007, de façon anticipée, des économies à ce titre sur les crédits de fonctionnement ;

- la fidélisation des personnels est aujourd'hui pour l'armée de terre une préoccupation majeure, avant même le recrutement ; l'objectif est de réduire le taux de départ constatés dans les premiers mois de contrat et d'améliorer le taux de renouvellement des contrats ; parmi les mesures à l'étude figure une modification de la formation initiale des engagés, avec notamment une mise en place plus progressive de l'instruction militaire proprement dite ;

- l'armée de terre peut aujourd'hui pleinement répondre au contrat opérationnel fixé par la loi de programmation militaire, les limitations provenant moins du volume global des effectifs disponibles que de l'adaptation des capacités de combat aux besoins constatés dans les opérations ; ainsi, l'armée de terre ne dispose plus que de 20 régiments d'infanterie, comptant chacun environ 1 000 hommes ; pour remédier à cette limite objective aux missions d'infanterie que nous sommes en mesure de remplir, il est fait appel à d'autres unités en configuration PROTERRE pour remplir, dans un contexte de basse intensité, des missions communes de sécurité; les forces spéciales de l'armée de terre, qui comptent deux régiments et un détachement ALAT- le 1er régiment parachutiste d'infanterie de marine, le 13e régiment de dragons parachutiste et le DAOS (détachement ALAT des opérations spéciales)- peuvent elles aussi être sollicitées ; elles disposent d'un niveau d'entraînement et de matériels particuliers qui leur permettent de gérer des situations complexes ; une meilleure adaptation des capacités en hommes aux besoins pourrait être obtenue par un rééquilibrage non seulement entre les différentes armes (infanterie, artillerie, génie, ...), mais également entre les différents métiers (combat, gestion, ressources humaines, ...) ;

- le niveau de disponibilité technique opérationnelle des hélicoptères Puma est actuellement maintenu à 54 %, au prix d'un effort financier soutenu ; il sera nécessaire d'éviter une distorsion entre le rythme de montée en puissance des NH 90 et celui du retrait du service des Puma ; la réduction de 34 à 12 du nombre de NH 90 commandés en 2007, par rapport à l'échéancier initial, ne devrait pas remettre en cause l'échéancier de livraison ;

- le renforcement de notre contribution actuelle à la FINUL est encore à l'étude;

- le caractère essentiel du renseignement, notamment pour la protection des troupes, doit être pleinement pris en compte au sein de toutes les unités en opérations extérieures, ce qui n'exclut pas la nécessité de renforcer les moyens des unités spécialisées.