Nous recevons ce matin M. Pierre Joly, président de l'Académie de médecine, et M. Patrice Queneau, auteur d'un rapport publié en 1998 sur « La iatrogénie médicamenteuse et sa prévention » et qui motive sa présence aujourd'hui.
Cette séance est ouverte à la presse et fera l'objet d'une publication sur le site du Sénat et éventuellement d'une diffusion sur la chaine Public Sénat.
En vertu de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ou si vous avez des liens avec des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
Jusqu'en 1993, j'étais le président de la Fédération internationale des industries du médicament. Depuis lors, j'ai cessé toute activité dans ce domaine.
Un de mes fils est cadre dans les laboratoires Servier et il travaille dans un service qui achemine des produits de base à l'étranger.
En outre, je possède quelques actions dans une entreprise familiale qui vend des bandes élastiques et de contention. En revanche, je n'ai jamais été salarié d'une entreprise pharmaceutique.
Lorsqu'un médecin s'exprime ou quand il publie un article, il devrait préciser ses liens d'intérêts mais la législation n'est pas respectée. Pourquoi ?
L'année dernière, je fais approuver un règlement en matière de conflit d'intérêts par l'Académie de médecine. Je me suis rendu compte que si ces règles n'étaient pas appliquées, c'était par manque d'habitude. Désormais, un membre du Conseil de l'Ordre est chargé de veiller à la bonne application de cette règle.
Je me réjouis d'être reçu par le Sénat sur un thème qui dépasse largement celui du seul Mediator. L'enseignement initial et continu fait peu de place à la thérapeutique. Cette discipline passionne, ou du moins, passionnait, assez peu.
Les universités, les jurys d'agrégation, certaines sociétés scientifiques n'accordent à la thérapeutique qu'une place mineure par rapport au diagnostic.
En 1992, grâce à l'Académie de médecine, j'ai publié un rapport intitulé : « Accidents médicamenteux : fréquence, nature et prévention ». Je n'arrivais pas à le faire paraître ailleurs.
L'Académie de médecine m'a chargé d'un rapport d'étape sur la sécurité du médicament et la pharmacovigilance. Or, la bibliographie française est très pauvre sur le sujet. Heureusement que l'Académie a écouté le professeur Paul Lechat, père de Philippe Lechat, directeur de l'évaluation des médicaments de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
Pendant des années, j'ai essayé de convaincre les ministres et les élus de tous bords de la nécessité d'un enseignement de qualité en matière thérapeutique. En fin de cursus, les professeurs ne consacraient en effet que très peu de temps à la thérapeutique, « cinq dernières minutes ». Je veux rendre hommage aux personnes qui m'ont aidé à me faire entendre. J'ai ainsi réussi à rencontrer M. Jacques Barrot lorsqu'il était ministre : il m'a donné une mission sur l'iatrogénie. J'ai auditionné une cinquantaine de personnalités avant de publier le rapport de 1998 que vous avez évoqué et qui reste d'actualité.
La formation des médecins face aux médicaments pourrait effectivement être améliorée.
Je voudrais revenir sur la position de l'Académie face au Mediator.
Notre mission a pour but d'évaluer et de contrôler les politiques mises en place par les pouvoirs publics. D'autres instances sont chargées de l'aspect judicaire. Je le dis d'autant plus que certains prétendent que les missions parlementaires n'ont pas respecté la présomption d'innocence.
Un article du Figaro ne doit pas vous troubler. Les chiens aboient, la caravane passe.
L'Académie a estimé qu'elle n'avait pas à se prononcer sur les aspects judiciaires du dossier. L'affaire du Mediator a cependant fait apparaître un certain nombre de dysfonctionnements qui nous ont amenés à réagir immédiatement. Dès la fin de l'année dernière, nous avons confié au doyen Queneau le soin de réfléchir sur les dysfonctionnements qui intéressent le Mediator, mais aussi l'ensemble des médicaments.
La publication de la liste de soixante-dix sept médicaments sous surveillance a eu un effet calamiteux et l'Académie a essayé de rassurer les malades : à l'époque, trois malades sur dix ont renoncé en partie ou en totalité à leurs traitements. Parfois des diabétiques ont cessé de prendre leur insuline !
Les pharmaciens, et il faut leur rendre hommage, ont réussi à convaincre un tiers de ces personnes à reprendre leurs traitements, mais environ 20 % des malades ont encore refusé leur traitement. Nous avons réagi vivement et le Conseil de l'Ordre des médecins a relayé notre point de vue en rappelant que la prise de médicament n'était jamais anodine et qu'il ne fallait pas interrompre un traitement sans en parler préalablement à son prescripteur.
M. Patrice Queneau présentera la semaine prochaine à l'Académie son premier rapport d'étape et nous allons vous faire part de l'essentiel de nos préoccupations.
Pouvez-vous nous donner les principales préconisations ? A l'occasion du rapport sur le Vioxx de 2006, nous avions proposé un certain nombre de pistes. Si elles avaient été suivies, nous n'en serions peut-être pas là aujourd'hui.
Nous proposons tout d'abord des « recommandations relatives à la réglementation actuelle et sa mise en application ». Nous préconisons le développement de la notification des effets indésirables par l'ensemble des professionnels mais aussi des patients. Pour le Mediator, le système de pharmacovigilance n'a pas bien fonctionné pour diverses raisons pratiques, alors que le principe était excellent. La procédure est en effet compliquée, les médecins qui ont signalé des faits ne sont pas tenus au courant des suites données à leur intervention et ils craignent d'éventuelles suites judicaires en cas de problème thérapeutique.
Nous faisons également des recommandations sur la notification des effets indésirables par le médecin prescripteur et sur la formation du prescripteur en pharmaco-thérapeutique : depuis des années, l'Académie déplore la modestie de l'enseignement que reçoit le corps médical en matière de thérapeutique et de pharmacologie. Les médecins doivent être vraiment formés pour comprendre les effets des médicaments. Or, certaines facultés consacrent plus de temps à l'enseignement de l'anglais qu'à celui de la pharmacologie. Pourtant, l'un des actes médicaux les plus importants, c'est la prescription. Il faut arrêter de former à demi les médecins !
Nous nous sommes interrogés sur les raisons qui expliquent la considérable sous-notification.
Tout à fait.
Quand le médecin prescripteur constate un accident chez un de ses patients, il craint d'être mis en cause. En outre, les formulaires de premières notifications sont beaucoup trop compliquées alors qu'il ne s'agit que d'un « peut-être ». Mais ce premier recueil de données est indispensable. Faut-il indemniser dès la première notification ou à partir de la deuxième notification, qui prend beaucoup plus de temps ?
En outre, il va falloir enseigner la notification, et imposer le retour d'information statistique mais aussi individuel auprès des notificateurs.
Comment passer de la notification à l'imputabilité ? Un médicament est mis sur le marché à partir d'une norme pasteurienne alors qu'il est utilisé pour soigner des pathologies chroniques.
Il y a trois éléments fondamentaux : la vigilance, l'imputabilité, qui est une étape essentielle, et l'épidémiologie qui, dans notre pays, est aussi mal enseignée que la pharmacologie.
Une fois le médicament découvert, des études sont menées sur des cohortes de quatre à cinq mille personnes. Les mailles du filet sont serrées, mais pas assez. Une fois le médicament mis sur le marché, il va en effet être consommé par 100 000, voire 1 million de personnes : la dimension change complètement. Des patients avec de petits dérèglements pathologiques, qui pouvaient ne pas figurer dans le panel de départ, vont être concernés par les effets du médicament mis sur le marché. C'est pourquoi nous souhaitons, après la mise sur le marché, une autre étude qui porterait sur un grand nombre de malades pour obtenir des données statistiques bien plus fiables.
Il faut que cette étude soit menée une fois le médicament mis sur le marché. La pharmacovigilance est certes nécessaire, mais il faut aussi que la puissance publique demande une véritable expérimentation épidémiologique au laboratoire, même si cela coûtera un peu d'argent aux laboratoires.
Ce n'est pas si simple...
Ne serait-il pas plus rationnel de mettre moins de médicaments sur le marché, d'autant qu'un médicament inutile peut quand même se révéler toxique ? Une telle méthode serait révolutionnaire mais permettrait de lutter contre les effets indésirables. Malgré tous les moyens dont elle dispose, la pharmacovigilance ne parvient pas à déterminer tous les effets indésirables, tant ils sont nombreux et parfois masqués. Au cours de cette mission, nous avons très peu parlé d'iatrogénie médicamenteuse.
En ce qui concerne le nombre de médicaments, la situation est complexe : le médicament n'a pas un effet identique pour tout le monde. Les effets varient en fonction des individus.
Des structures étatiques sont là pour y veiller, comme l'Afssaps.
Mais elles ne jouent pas leur rôle ! Il faudrait ne rembourser que les médicaments qui apportent un véritable progrès thérapeutique.
Cette proposition en elle-même n'a rien de choquant. Certaines structures ne jouent sans doute pas tout leur rôle. Cela dit, les choses, dans la pratique, sont complexes. Qu'est-ce que le progrès thérapeutique ? Un exemple : depuis 1945, l'efficacité des antibiotiques s'est considérablement améliorée, mais grâce à de petites évolutions successives.
Interne, juste après la guerre, j'ai été dans un service de phtisiologie, comme on disait alors, qui traitait les tuberculeux. Nous n'arrivions pas à l'époque à sauver les jeunes femmes qui faisaient des méningites tuberculeuses : neuf sur dix mouraient, pour ne pas dire dix sur dix, dans des conditions affreuses, après trépanation, perte des cheveux, cachexie. La streptomycine est arrivée : cet antibiotique était parfaitement efficace, mais il rendait sourd de façon irréversible. En y ajoutant trois fois rien, nous avons disposé du jour au lendemain d'un médicament qui ne provoquait que de légères surdités. Un autre médicament, l'isoniazide était très efficace, mais il s'oxydait très rapidement au contact de l'air et il se révélait inefficace lorsqu'il était ingéré. Un confrère a eu l'idée de le mettre sous forme liquide et c'est ainsi qu'est né le PAS. En dix mois, nous avons inversé le pronostic : neuf jeunes femmes sur dix guérissaient. Il faut bien avoir à l'esprit que les améliorations des médicaments sont le plus souvent progressives. Il est donc toujours dangereux de vouloir être plus sélectif.
Il ne s'agit pas de sélectivité mais de privilégier les médicaments qui apportent un véritable progrès thérapeutique.
Il faut faire attention à ne pas juger la thérapeutique sur les médicaments de l'instant.
Il ne s'agit pas des médicaments de l'instant mais de ceux qui sont sur le marché depuis des années ! Pour l'hypertension, les diurétiques restent les médicaments les plus efficaces. Ce n'est pas parce qu'un médicament est vieux qu'il n'est pas efficace.
Certes ! Mais il ne faut pas mettre de freins à la capacité d'innovation des chercheurs. Quand nous sommes devant un éventail de produits, il faut bien évidemment ne prendre que ceux qui sont les plus efficaces.
Un nouveau médicament fait l'objet d'évaluations qui aboutissent à un service médical rendu. Il n'acquière sa commercialisation que pour autant qu'il améliore le service médical rendu (SMR). Mais je regrette que l'on ne procède pas à une réévaluation régulière des médicaments. Une chose est de disposer d'une gamme variée de médicaments, une autre de multiplier à l'excès leur déclinaison.
L'ancienneté ne préjuge pas de l'efficacité, mais sur les cent cinquante hypertenseurs, il convient sans doute d'en supprimer quelques-uns.
C'est plus discutable. Il ne faut en ajouter que si l'amélioration du service médical rendu (ASMR) est prouvée. Lorsqu'il y a pléthore et qu'un nouveau médicament est mis sur le marché, il faut réévaluer ceux qui sont sur le marché et en supprimer certains.
Vous avez proposé en 1998 de créer un observatoire national de l'iatrogénie et de la vigilance thérapeutique. Est-ce toujours d'actualité ?
Oui, car il faut développer la pharmaco-épidémiologie. Quand on se trouve face à un accident probablement imputé à un médicament, on essaye de voir dans quelles conditions il survient. Dans ce cas, les signaux sont très importants
Il est indispensable d'observer le médicament après qu'il a obtenu son autorisation de mise sur le marché (AMM) dans telle ou telle région ou tel ou tel pays de l'Union pendant plusieurs années, sur une large population. Ces études permettraient de repérer l'accident exceptionnel, tardif ou inattendu. Il ne s'agit pas de récuser la pharmacovigilance, mais d'aborder la question d'une autre manière.
L'imputabilité est une question délicate : les médicaments sont évalués initialement sur des populations âgées de vingt à soixante-cinq ans, qui prennent lesdits médicaments en monothérapie. Mais la majorité des médicaments sont prescrits chez des malades à risque, souvent âgés, à qui l'on a prescrit d'autres médicaments. D'où des interactions difficiles à maîtriser.
L'imputabilité est un problème qui, à ce jour, n'est pas réglé. Mon étude sur le bon usage de l'automédication m'a amené à interroger des chefs de services d'urgence qui voient des malades ayant subi des accidents médicamenteux. Il devient extrêmement difficile d'imputer un accident dès que l'on quitte la monothérapie. Les méthodes d'imputabilité sont beaucoup trop centrées sur l'épure du malade « parfait ». Comment savoir à quoi est due une perte de conscience chez un malade qui prend trois hypertenseurs, trois psychotropes et un traitement pour la prostate ? Il faudrait disposer de méthodes d'imputabilité qui prendraient en compte non pas le médicament, mais le malade.
Prescrire trois hypertenseurs et trois psychotropes, est-ce raisonnable ?
Il convient en effet de pratiquer « l'art de prescrire », mais les trois hypertenseurs peuvent être nécessaires.
Les résultats des méthodes d'imputabilité qui ont une source épidémiologique exclusive ne sont valables qu'en monothérapie. Il faut donc croiser ces résultats avec des données cliniques.
Ce qui n'est pas suffisamment le cas à l'heure actuelle.
Dans le cas du Mediator, les patients étudiés étaient-ils en monothérapie ? Nous nous sommes rendu compte qu'il était impossible de croiser les données épidémiologiques avec les données cliniques.
Nous avons besoin de médecins cliniciens dans les structures d'évaluation, surtout que l'imputabilité n'a rien de mathématique. Tous les paramètres doivent être pris en compte.
Dans son livre, Mme Irène Frachon parle de la lettre de l'Académie nationale de médecine que les médecins reçoivent et dans laquelle figurait une pleine page de publicité pour les laboratoires Servier. Je ne conteste pas le fait qu'une société savante puisse utiliser la publicité d'un laboratoire, mais est-il possible de parler d'indépendance, de liberté d'esprit ? Les finances de l'Académie dépendent-elles des laboratoires ?
Les ressources de l'Académie frisent le ridicule : une dotation de l'État de 300 000 euros, qui suffit tout juste à payer le chauffage, l'électricité et les autres frais de base. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que l'Académie soit sollicitée pour des partenariats portant sur des actions strictement culturelles. J'ai instauré l'an dernier un contrat de coopération culturelle : ainsi le rôle de chacun sera clair et l'autonomie de notre institution respectée. Vous évoquez un passé lointain...
Nous ne sommes pas stipendiés pour trois francs et six sous ! Un de mes prédécesseurs a accepté que Servier prenne en charge les frais de routage de notre Lettre, que nous ne pouvions assumer.
Ils ont comme les autres le droit d'être un mécène. Je souhaite pour ma part des collaborations culturelles avec des fonctions bien définies pour chaque partenaire, consignées dans des contrats rendus publics.
Moins de 50 000 euros. C'est accessoire. Je le répète, personne au sein de l'Académie ni du conseil n'a jamais ressenti la moindre gêne à l'égard de Servier. Le livre que vous citez nous fait un procès d'intention. Que dire ? C'est le style moderne... Mais quand, dans un congrès, les pochettes distribuées aux participants portent le logo d'une banque, personne ne se sent otage de cette banque !
Oui. Le contrat avec Servier est du reste en cours de signature, car ce mécénat n'était auparavant pas formalisé, ce qui est malsain. Cette contractualisation me tient à coeur.
L'Académie remplit bien son rôle scientifique, ses fonctions de santé publique. Mais nos médecins enseignent aussi à l'étranger, nos chirurgiens opèrent à coeur ouvert en Chine, notre médecine a dans le monde une aura très grande : lorsque le patron de l'Institut Pasteur arrive au Brésil on déroule le tapis rouge, ce que l'on ne fait pas pour le ministre de la santé. Il faut exploiter cela, c'est un moyen peu coûteux de s'implanter dans un pays, quitte à créer des petites structures avec des sponsors.
Je vous assure les yeux dans les yeux que les laboratoires ne sont pas notre problème.
Il est heureux pour vous que les laboratoires considèrent l'Académie de médecine comme leur problème.
Ils trouvent certes leur intérêt, mais lorsque vous faites un don à la Croix rouge, vous êtes heureux de rendre service, sans en retirer d'autre profit !
Les laboratoires font-ils des dons à la Croix rouge ? Je n'en suis pas certain. Je prends note du fait que, pour vous, ce sont des philanthropes.
Ils peuvent avoir une vocation de mécènes.
Combien d'heures seraient nécessaires dans la formation initiale pour former valablement les étudiants à la pharmacologie et à la thérapeutique ? Comme ces disciplines évoluent constamment, quelle formation continue pourrait-on envisager, afin que les médecins soient vraiment responsables et informés ?
Est-ce le nombre d'heures qui importe ? Je crois que l'enseignement initial dans cette matière doit viser à sensibiliser les étudiants. Il y a lieu de renforcer l'enseignement en pharmacologie là où il est faible - car il y a entre facultés une grande hétérogénéité. Entre soixante et quatre-vingts heures d'enseignement me sembleraient suffisantes pour constituer un socle solide. Quant à la thérapeutique, elle ne se résume pas aux seuls médicaments, il faut aussi prendre en compte la conduite, la décision, le choix d'une prescription : tout cela s'apprend à la faculté, mais aussi au pied du lit du malade. Le suivi est également fondamental : tolérance du médicament, observance par le patient...
Les étudiants apprennent par intérêt pour la matière, mais aussi pour réussir les épreuves : or l'examen de fin de deuxième cycle a des modalités discutables et je plaide depuis toujours pour un « permis de prescrire », délivré après une épreuve comportant des questions techniques et des cas concrets et complexes... et un oral. Cela existe dans de nombreux pays. Il est crucial d'évaluer ainsi la compétence à devenir médecin, d'autant que dès l'entrée en troisième cycle on attend des étudiants une compétence en matière de soins : je trouve inadmissible qu'en première année d'internat, des futurs médecins soient désemparés s'il leur faut prendre une décision durant leur garde à l'hôpital.
Nous recevons MM. Gérald Simonneau, professeur des universités, chef de service de pneumologie et réanimation respiratoire, coordinateur du Centre de référence national pour l'hypertension artérielle pulmonaire sévère et Marc Humbert, professeur des universités, praticien hospitalier dans le service de pneumologie et réanimation respiratoire, à l'hôpital Antoine Béclère.
D'abord la question rituelle : avez-vous des liens avec l'industrie pharmaceutique ?
Oui, car dans le cadre de nos recherches, et de l'innovation thérapeutique en particulier, nous procédons à des essais thérapeutiques de concert avec les laboratoires Actélion, Bayer, GSK, Novartis, Pfizer, United Therapeutics et Lilly. Mais nous n'avons aucun conflit d'intérêts avec Servier.
Un petit historique de l'Isoméride, d'abord : l'hypertension pulmonaire est une maladie rare qui peut être idiopathique - sans cause connue - ou due à des maladies ou des médicaments. L'hypertension pulmonaire (HP) idiopathique représente deux cas par million d'habitants par an, soit cent cinquante cas en France. L'hypertension pulmonaire est aussi associée aux risques causés par les anorexigènes. Dans les années soixante a été observée une épidémie due à l'aminorex, un coupe-faim amphétaminique voisin du benfluorex, vendu en Suisse, Autriche et Allemagne. Le nombre de cas d'hypertension pulmonaire a brutalement augmenté après la mise sur le marché de ce médicament, et chuté après le retrait, au bout de trois ans, en 1967.
A la fin des années 80, nous avons été alertés sur une relation de cause à effet entre les coupe-faim et des hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP). Nous avons dés lors interrogé les malades : 25 % d'entre eux prenaient de la fenfluramine, contre un risque d'HTP de 5 % dans le total de la population saine. Servier a été obligé de réaliser une étude cas-contrôles pour étudier ce lien : il en a chargé le docteur Abenhaïm, lequel en 1995 est arrivé au même résultat que nous dans nos observations cliniques, un risque multiplié par cinq en cas de prise de médicament à base de benfluorex, par vingt-cinq en cas d'exposition prolongée. Le produit n'est pas retiré mais on considère alors qu'il doit être encadré, réservé aux diabétiques, etc. Or, moins de six mois après, en 1996, la Food and Drug Administration autorise sa mise sur le marché ! Nous étions en mauvaise posture, Servier a contre-attaqué. Mais nous avons été sauvés, si je puis dire, par les valvulopathies, car un an après le groupe de Rochester à la Mayo Clinic met en évidence des valvulopathies cardiaques chez les patients exposés à l'Isoméride. Le produit a donc été retiré du marché mondial en 1997 comme tous les amphétaminiques. Comme beaucoup de coupe-faim étaient préparés en cocktails par les pharmaciens, l'Afssaps a interdit le benfluorex dans les préparations magistrales, dosées par les pharmaciens, mais les comprimés n'ont pas été retirés du marché.
Nous n'étions pas au courant ! En 1999, un médecin de Saint-Antoine nous adresse un patient qui souffre d'hypertension idiopathique et nous indique que ce patient a pris du benfluorex, substance que le cardiologue pense proche de l'Isoméride. Cette molécule ne faisait à l'époque l'objet d'aucune information dans le Vidal. Mais le dictionnaire critique des médicaments d'Henri Pradal expliquait dés 1978 que le benfluorex était très proche de l'Isoméride. Je préviens l'Afssaps et apprends que onze cas étaient déjà décelés, parmi des patients atteints d'HTAP et qui prenaient du Mediator. Une expertise a été menée en 1998.
Oui. Les cas examinés en 1998 étaient compliqués : tous ces patients avaient pris de l'Isoméride, puis du Mediator, aucun cas n'était pur. Mais la plupart des patients qui prenaient dans le passé de l'Isoméride étaient passés au Mediator : il avait bien fallu que quelqu'un informe les médecins de la parenté entre les deux médicaments !
En tout cas ce relais systématique suscite chez moi une suspicion forte.
Entre 1999 et 2005, il y a eu peu de cas d'hypertension pulmonaire médicamenteuse, sans doute parce que la consommation de Mediator n'a augmenté que progressivement : 150 000 malades en 1999, 450 000 en 2005. L'Afssaps n'a délivré aucune information aux médecins et rien n'a été dit sur le Mediator. Il est vrai qu'une alerte aurait consisté à dire : « ce produit est similaire à un autre déjà retiré du marché ; et selon les diabétologues il ne sert à rien ». Bref, l'alerte aurait tué le produit. Il fallait soit le retirer, soit ne rien dire.
Dès que j'ai su que le métabolite actif était la norfenfluramine, j'ai pensé que le produit n'avait plus sa place. Du reste, il était retiré des préparations magistrales ! Quoi qu'il en soit, un effet toxique médicamenteux rare, en l'absence d'alerte et d'information des médecins, est presque impossible à découvrir.
La structuration en centre de référence et centre de compétence nous permet d'interroger l'ensemble des centres spécialisés dans l'hypertension pulmonaire, recenser les cas et les analyser. Rien n'est simple, les causes sont nombreuses et chaque cas exige un examen très détaillé. Début avril, nous avons pu établir un premier rapport portant sur quatre-vingt-cinq cas. Une mise à jour sera effectuée régulièrement. Un cathétérisme cardiaque est systématiquement effectué lorsqu'une HTAP est identifiée, pour déterminer si les causes de la pression élevée proviennent d'une maladie pulmonaire ou cardiaque - il existe aussi des cas mixtes. Sur ces quatre-vingt-cinq cas, soixante-dix se sont révélés pré-capillaires, autrement dit relevant purement de causes pulmonaires, deux post-capillaires - causes cardiaques - et treize mixtes. La durée moyenne d'exposition est de quarante-neuf mois en moyenne, un temps plus long que dans le cas de l'Isoméride. Les atteintes pulmonaires se rencontrent chez les patients les plus exposés. Le délai entre l'exposition et le diagnostic est de huit ans et demi. Il apparaît que 24 % au moins des patients ont été exposés à l'Isoméride avant le Mediator.
L'effet de l'alerte est évident, et instructif pour l'avenir : en 1999, nous entamons les investigations, à partir du premier cas dans notre centre, mais c'est seulement entre 2006 et 2008 que le nombre de cas a commencé à augmenter, et à cette période les rumeurs et les interrogations commençaient à se répandre, avant l'alerte. Certains cas avaient été considérés comme idiopathiques en 2002 ; ils ont été réexaminés après l'alerte Mediator.
Les patients exposés au Mediator sont des gens plus âgés que ceux qui prenaient des anorexigènes dans les années quatre-vingt : soixante ans en moyenne. Ils sont plus « ronds », la proportion d'hommes est un peu plus élevée, et dans 80 % il existe un facteur de risque cardio-vasculaire - diabète, hypertension artérielle - qui n'est pas un facteur de risque d'HTAP, je le précise, et qui pourrait correspondre éventuellement à une partie de l'indication du Mediator.
La plupart des malades que nous voyons présentent une pathologie sévère, ils marchent deux fois plus lentement que la moyenne de la population, leur pression artérielle est trois fois supérieure à la normale, la pompe cardiaque a un débit de 2,4 en moyenne et non de 3. Le coeur souffre. Sur ces soixante-dix patients, huit sont décédés, deux ont subi une transplantation pulmonaire, mais l'un d'eux est décédé des suites de l'opération. Dans les années 80, les personnes qui prenaient des anorexigènes n'étaient pas toujours des obèses, elles étaient seulement soucieuses de rentrer dans leur maillot de bain l'été suivant. La durée de l'exposition est de trente mois pour le benfluorex, six pour la fenfluramine. Il se peut qu'il y ait des différences entre les produits, plus de valves et quelques HTAP pour le Mediator, plus de HTAP et moins de valves avec l'Isoméride, du moins en France car les observations ne sont pas les mêmes aux Etats-Unis.
Oui, le fen-phen. C'est aussi que les malades sont beaucoup plus obèses.
Une circonstance rend l'analyse parfois complexe : la combinaison, liée à l'âge, entre maladie vasculaire et maladie cardiaque. Pour la première fois valvulopathie et HTAP coexistent chez les mêmes patients. Cela concerne 28 % des patients - 23 % chez les pré-capillaires. C'est une particularité de l'épisode Mediator.
J'en viens à la pharmacovigilance. Entre 1999 et 2007, il y a eu seulement quatre déclarations ; ensuite, plus de cinquante. Après l'alerte et la prise de conscience, le questionnaire a été adapté, on a demandé aux patients quels médicaments ils prenaient et pourquoi. Pour poser ces questions, il faut une motivation. Le lanceur d'alerte joue un rôle moteur.
Et encore tous les cas ne sont-ils pas déclarés ! Certains centres régionaux disent qu'ils n'en ont pas encore eu le temps, que tout est trop compliqué. Il serait utile de simplifier les formalités, une réflexion est en cours...
En dépit de l'alerte et de la médiatisation, nous n'en sommes qu'à 70 % de déclarations. Il y a un décalage de plusieurs mois.
Si ! Le CHU de Brest et l'hôpital Antoine Béclère-Paris Sud ont publié cinq cas en 2009, le New England Journal of medecine a publié de très beaux papiers sur les coupe-faim...
et sur la présence de norfenfluramine dans le métabolite du benfluorex ?
Il y a eu une revue générale en 2007 dans la plus grande revue de cardiologie américaine.
Si : M. François Brenot avait fait une publication en 1993, le New England Journal a publié l'étude du docteur Abenhaïm, la revue Chest a publié tous nos cas, il y a eu aussi en 2002 une étude sur le fenfluoramine, plus particulièrement sur les cas retardés, une publication en 2007 sur l'atteinte des valves cardiaques et sur l'hypertension pulmonaire due au benfluorex. Et bien sûr, il y a eu la publication du docteur Frachon sur les valvulopathies.
Il y a toujours eu des papiers anglais sur les anorexigènes. Le cas benfluorex était plus complexe, parce qu'il n'avait pas clairement une indication d'anorexigène.
Le congrès mondial de 1973 à Genève avait été organisé en raison de l'épidémie liée à l'aminorex.
Jusqu'à l'étude confiée par Servier au docteur Lucien Abenhaïm, le déni était total au sein de ce laboratoire et une collaboration avec les équipes de chercheurs était impensable. De nombreux cas leur ont été signalés, une vingtaine par an, en même temps qu'ils l'étaient auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Mais ce n'est qu'après de multiples pressions que l'agence a ordonné une étude en 1992. Ce fut difficile à obtenir !
Les cas nous remontent, certains sans facteur de risque associé autre que médicamenteux. Sur les soixante-dix cas purement pré-capillaires, quarante-neuf étaient dans ce cas.
J'ai précisé que 24 % des patients avaient pris de l'Isoméride avant de prendre du Mediator.
Ce qui signifie que 76 % des patients n'en avaient pas pris.
Dans une population de soixante ans présentant des risques cardiovasculaires, on prend forcément des médicaments, mais seul le Mediator émerge comme facteur de risque de l'HTAP.
Elles sont scientifiquement difficiles à démontrer.
Les essais réalisés par les laboratoires sont-ils publiés, qu'ils soient positifs ou négatifs ? Doit-on imaginer une base de données de tous les essais, qu'ils aient ou non abouti à une AMM ?
Il existe un registre international de tous les essais. Et un essai ne peut donner lieu à une publication s'il n'a pas été déclaré au début. Par ailleurs, la toxicité - qui n'est pas l'inefficacité - n'est pas détectable sur quelques centaines de patients, lorsque les effets secondaires sont rares - pour l'Isoméride par exemple, ils apparaissent dans un cas sur 10 000. En revanche, pour l'hypertension pulmonaire, lorsque la molécule déclenche la maladie sur un terrain prédisposé, une prise de quelques semaines suffit. Le médicament déclenche la maladie - dans un cas sur 10 000, certes, mais c'est beaucoup pour un médicament qui ne sert à rien...
Que pensez-vous des études telles que celle de Mme Catherine Hill ? Etes-vous d'accord avec son évaluation du nombre de morts ?
Il s'agit des valvulopathies et je ne peux me prononcer sur le nombre de morts, d'autant que pour un médicament qui ne sert à rien, un mort est un mort de trop.
Pour prouver la responsabilité du médicament, un examen anatomo-pathologique est-il le seul argument concret que l'on puisse apporter à ceux qui nient le danger du médicament ?
Pour les valvulopathies, l'examen montre des signes spécifiques.
Et pour l'hypertension idiopathique, on ne recherche pas des explications ?
Dans notre réseau, 40 % des cas sont inexpliqués. Il y a les causes génétiques, les coupe-faim, certes.
Quand le facteur de risque entraîne la maladie dans 1 cas sur 10 000, c'est qu'il y a d'autres facteurs de risque. Des patients atteints du virus VIH, seuls 0,5 % développent la maladie. Quand la toxicité est directe, 100 % des patients sont théoriquement touchés.
A quel stade aurait-il fallu agir ? En 1998, après l'expertise du professeur Bechtel de Besançon ? En 1999, après les premières alertes auprès de l'Afssaps ? En 2001, lorsque l'Agence italienne du médicament a dit la nocivité du médicament ?
Les laboratoires Servier ont longtemps caché aux cliniciens que le métabolite actif du Mediator était la norfenfluramine, dont la toxicité était connue ! Ensuite, des erreurs sont intervenues à tous les niveaux ; il n'y a pas un responsable, c'est tout le système qui a dysfonctionné. Les premiers cas analysés, en 1995, avaient pris de l'Isoméride, il était impossible de conclure.... En 1999, on rapportait un cas de valvulopathie, un cas de HTAP, tout le monde savait que le produit dégageait de la norfenfluramine, les diabétologues estimaient que le Mediator était un mauvais produit : la messe aurait du être dite ! Le retrait du produit des préparations magistrales était preuve que sa toxicité était identifiée !
Le 17 juin 1999, nous avons envoyé un mail à notre collègue de Bologne pour l'informer de nos problèmes avec le benfluorex. Il nous a répondu n'avoir pas connaissance de cas semblables, mais n'avoir pas posé la question sur ce produit, qui n'était pas présenté comme un anorexigène. Le Mediaxal, le Mediator italien, n'a été qu'à moitié retiré du marché ; il est resté autorisé dans les préparations magistrales jusqu'en 2005.
Comment améliorer la notification des effets indésirables et mieux prendre en compte les notifications directes par les patients, le cas échéant avec le concours d'un médecin généraliste ou spécialiste ? Les urgences sont-elles un bon relais ?
Mon service a recruté, sur ses fonds propres, une pharmacienne, responsable des interrogatoires médicamenteux. Elle est chargée d'interroger cent patients consécutifs sur tous les médicaments qu'ils ont pris au cours des années précédentes, car il faut tenir compte du temps de latence.
Nous avons décidé que tous les médicaments suspects seraient déclarés : on peut donc s'attendre à une explosion du nombre d'alertes de pharmacovigilance. Il faut distinguer les complications rares entraînées par des médicaments prescrits de façon rare comme le dasatinib, qui a fait l'objet d'une alerte ; les complications rares entraînées par un médicament prescrit fréquemment ; les complications fréquentes d'un médicament prescrit fréquemment.
Le professeur Queneau préconise de créer à l'hôpital des comités de lutte contre la iatrogénie médicamenteuse (Cli). Est-ce ce que vous mettez en place ?
N'est-ce pas au service de pharmacie de l'hôpital de dédier les moyens nécessaires pour l'ensemble des services ?
Ce serait possible, mais compliqué. Mieux vaut réfléchir, tester différentes méthodes, avant de multiplier les comités...
Cette pharmacienne a été recrutée en accord avec la pharmacie de l'hôpital.
Le professeur Queneau souhaitait que les patients puissent notifier les effets indésirables de médicaments.
Nous pouvons êtres des lanceurs d'alerte, mais il y a sept mille maladies rares... L'imputabilité est difficile à établir, car on nous dit qu'il n'y a pas de lien de causalité ! Il faut lancer les alertes, de façon raisonnable. L'hôpital est-il le lieu idéal ? Pour les complications rares, oui ; pour les complications fréquentes, c'est le cabinet.
Le « lien de causalité » est délicat à démontrer, même dans le rapport entre tabac et cancer du poumon. On sait que cela augmente le risque. Mais en disant qu'il n'y a pas de lien de causalité, on laisse entendre qu'il n'y a pas de relation de cause à effet : « circulez, il n'y a rien à voir » ! Attention au langage employé.
Il est déterminant. Pour la HTAP, le Mediator ne servait à rien. Le dasatinib, en revanche, peut sauver des vies. Si le rapport bénéfices-risques est intéressant, il faut l'intégrer dans la réflexion.
Dans le cas du Mediator, le bénéfice était faible, et le risque fort !
Vous avez déclaré que l'affaire du Mediator relevait d'une « banale incompétence du service public ». Pourriez-vous nous expliquer cette assertion ? L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), agence qui dispose d'une certaine indépendance, fait-elle partie de ce service public ?
A cette seconde question, je réponds oui sans hésitation : l'Afssaps est le bras armé du service public.
Permettez-moi de revenir sur la déclaration que vous citez. J'ai été pendant sept ans secrétaire général chargé des fonctions d'appui : finances, ressources humaines, informatique. Je ne m'occupais pas de sécurité sanitaire, ce n'est pas mon métier. J'ai découvert les informations concernant le Mediator en novembre 2010, comme beaucoup ; j'ai appris dans la presse que des signaux existaient mais n'avaient pas été reçus par l'Agence.
Lorsque l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a conduit sa mission à l'Afssaps en janvier, elle n'a pas jugé bon de m'interroger. Elle s'est attachée à l'aspect scientifique et historique du Mediator. Ma crainte était que l'on oublie l'importance du management : l'Agence est dirigée par des hommes, et le management compte beaucoup dans le bon et le mauvais fonctionnement d'une institution. Je pensais avoir quelque chose à dire à ce sujet.
Non, l'Igas décide en toute liberté de son champ d'intervention. Dans ces documents, qui n'étaient pas adressés à l'Igas mais dont les inspecteurs ont eu connaissance avant la publication de leur rapport, je notais quelques dysfonctionnements dans la chaîne hiérarchique du service de surveillance du marché et de la pharmacovigilance. J'y disais que la non-réceptivité des signaux et la mauvaise gestion du système méritaient investigation. Je ne visais que ce secteur particulier, et suis navré de voir l'opprobre retomber sur l'Agence dans son ensemble, où l'on fait un travail sensationnel.
Comment articuler pharmacovigilance, AMM et transparence ? Quelles réformes de structure proposez-vous ? Quel rôle devrait jouer le ministre dans le dispositif de sécurité du médicament ?
Je m'inquiète de voir que cette affaire conduit à remettre en cause les structures existantes. Pour ma part, c'est le management seul que je mets en cause. Il est certes surprenant d'avoir, d'un côté, une commission d'AMM, de l'autre une commission de transparence qui ne s'exprime pas pour ne pas empiéter sur le domaine de la première...
J'ai trouvé dans le rapport de l'Igas confirmation de ce que j'avais présupposé en lisant la presse. Les dysfonctionnements du service chargé de recueillir les signaux et de les faire exploiter sont impressionnants. L'étude demandée à Servier à la fin des années 1990 a mis neuf ans à être réalisée ! Preuve qu'il y avait bien un problème de compétence au sein du service de surveillance du marché, qui n'a pas suivi le déroulement de l'opération.
Il s'agit de l'étude sur les conséquences, notamment cardiologiques, du Mediator, qui est devenue par la suite l'étude Regulate. Le rapport l'évoque page 9 et page 71. Sans ce délai, on aurait connu les conséquences cardiologiques du Mediator dès 2001-2002 !
Je ne sais, mais c'est une question secondaire. Le problème n'est pas la structure, mais les personnes en charge.
Le directeur général de l'Afssaps était-il en position de surmonter les contradictions entre la commission de pharmacovigilance et la commission d'AMM ?
Le rapport de l'Igas souligne que les deux commissions ont en effet rendu des avis contradictoires. Etonnamment, l'affaire semble avoir été traitée par e-mail par le directeur général, qui s'est rangé à l'avis de la commission d'AMM, la dernière à avoir parlé... Le rôle des responsables est pourtant d'apprécier et de départager les avis des experts. Il n'y a pas de vérité scientifique absolue. A la lecture du rapport de l'Igas, la manière dont a été traitée l'affaire laisse perplexe.
L'information des experts par l'administration de pharmacovigilance a également été défaillante. Le comité de pharmacovigilance n'a pas été informé des cas de pharmacovigilance, des échanges au niveau européen, du retrait du médicament en Espagne après un cas de valvulopathie. Il faut en tirer les leçons.
Comment concilier la nécessité pour l'Afssaps de participer aux travaux de l'EMA (European Medicines Agency) et ses missions propres ?
Le partage de compétences est assez clair. L'Europe voit son champ de compétences s'élargir progressivement ; le reste de la gestion relève du plan national. Sur le long terme, il y a une montée en puissance du fait européen.
Le financement de l'Agence lui pose un problème d'image. J'étais en charge, avec l'agent comptable, de percevoir les impôts prélevés sur les laboratoires ; nous n'avions aucune relation avec les laboratoires, et étions d'ailleurs strictement contrôlés. Je n'ai donc pas d'états d'âme à ce que l'Afssaps soit financée à 80 % ou 100 % par ces taxes parafiscales. Nous avons expliqué que ce mode de financement ne compromettait pas l'Agence, sans être entendus. Peut-être, faut-il un autre circuit de financement pour laver l'Afssaps de tout soupçon.
On peut imaginer que les laboratoires versent leur contribution au budget général, et qu'elle soit ensuite rapatriée à l'Afssaps, sous forme de subvention. Attention toutefois à ce que ce rapatriement se fasse bien à l'euro près ; sinon, l'Agence aura plus de mal à investir et à s'équiper, notamment en systèmes d'information et en matériel de laboratoire.
Si le nombre de dossiers instruits par l'Afssaps devait baisser, ses ressources diminueraient également. Elle serait alors contente d'avoir une autre source de financement ! Aujourd'hui, les taxes parafiscales acquittées par les laboratoires financent des actions qui devraient relever de l'Etat, comme la veille ou le contrôle. La participation de l'Etat est passée de 50 % à 20 % puis à 0 %. Il faut nuancer les jugements sur le mode de financement actuel.
Sans doute. Reste que le financement était contrôlé par l'agent comptable et moi-même, et n'avait aucun impact sur l'action opérationnelle.
Je saisis cette occasion pour demander aux parlementaires que vous êtes de nous aider à améliorer le contrôle de ces services publics. Pendant mes sept années à l'Afssaps, le contrôle parlementaire sur l'Agence s'est limité à la fixation d'indicateurs, dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) - en l'occurrence, le délai de l'AMM - et à des questionnaires parlementaires sur l'exécution, le budget et les grands évènements de l'Agence.
L'Afssaps avait été contrôlée par la Cour des comptes en 2006 ; celle-ci, dont ce n'est pourtant pas le métier, avait attiré l'attention sur la pharmacovigilance, citant le Mediator. J'ai été choqué de voir que tout le monde l'avait oublié ! Si je ne l'avais pas signalé à l'Igas, cela ne figurerait même pas dans son rapport !
Il s'agit bien du fameux rapport de la Cour des comptes où le directeur de l'Afssaps disait que le Mediator était retiré du marché ?
Il s'agissait d'une erreur de plume, qui a été corrigée. Tout le monde avait oublié ce rapport. Les établissements comme l'Afssaps ne sont pas suffisamment audités, et les audits ne sont pas exploités. Le service de pharmacovigilance a fait l'objet d'un audit en 2002, qui portait essentiellement sur les fonctions centrales. La Cour des comptes a repris en 2006 les critiques de la revue Prescrire.
Un service essentiel comme la pharmacovigilance devrait être audité tous les trois ou quatre ans. Les parlementaires devraient demander à connaître la date du dernier audit, ses conclusions, son suivi.
J'ai dit lors de notre réunion avec l'Agence en Seine-Saint-Denis, qu'il est dommage que nous n'exercions notre mission de contrôle qu'en période de crise.
En 2006, le Sénat a publié un rapport sur le Vioxx. Si ses préconisations avaient été prises en compte, nous n'en serions peut-être pas là, sept ans plus tard ! En Italie, le président de la commission parlementaire chargée de la santé conduit chaque année une mission de contrôle des institutions ou de la politique sanitaire.
L'Afssaps prend des décisions souveraines. Le travail du rapporteur pour avis du budget de l'Agence ne porte en rien sur les décisions techniques et scientifiques. La responsabilité du directeur de l'Afssaps devrait-elle être modulée par l'obligation d'informer l'exécutif, ou le Parlement ? J'ai été étonné d'entendre le ministre Jean-François Mattei dire ne pas avoir été au courant des problèmes relatifs au Mediator...
Par ailleurs, le circuit de l'Afssaps paraît assez fermé par rapport aux agences européennes ou mondiales ; on l'a vu avec cette affaire du Mediator.
Loin de moi l'idée que les parlementaires devraient exercer un contrôle sur les aspects scientifiques : je parlais du contrôle sur le fonctionnement administratif. Même les comités techniques de pharmacovigilance n'étaient pas au courant des informations dont disposait le service ! Vous avez les moyens de contrôler les services-cibles, leur management, via les questionnaires parlementaires.
En auditionnant l'une de vos consoeurs, Madame, nous avons appris que vous étiez l'auteur de plusieurs articles relatifs aux laboratoires Servier, signés du pseudonyme « Dr Claire Bonnot ». Un responsable de la presse médicale que nous avons entendu a estimé anormal que le pseudonyme d'un journaliste ne figure pas dans l'ours.
Cela m'étonne. Les noms de journalistes ne figurent pas tous dans les ours.
Docteur en pharmacie, j'ai d'abord exercé en officine. Les médecins connaissent peu le médicament. Souhaitant transmettre l'information, je me suis orientée vers la presse pharmaceutique : j'ai ainsi écrit dans Le Quotidien du pharmacien, Le Quotidien du médecin, Le Moniteur des Pharmacie. J'ai été embauchée par le groupe Impact il y dix ans. Depuis trois ans, je dirige la rédaction d'Impact Médecine.
Quelle place tient la publicité dans le modèle économique des publications pour lesquelles vous travaillez ?
Les abonnements représentent le quart du chiffre d'affaires du groupe.
Avez-vous déjà subi des pressions de la part des annonceurs ? La publicité a-t-elle une influence sur le contenu rédactionnel ? Comment y remédier ?
La publicité n'influe nullement sur le contenu rédactionnel. Il s'agit d'un journal professionnel à destination des médecins généralistes, auxquels nous apportons des informations professionnelles pour les aider à exercer au mieux leur profession. Nous sommes donc conduits à traiter plus souvent d'affections fréquentes, comme le diabète, que de maladies rares, même si nous ne les oublions pas.
Comment Impact Médecine et Prescriptions Santé ont-ils rendu compte de l'affaire du Mediator ? Disposez-vous d'un comité de lecture ? Les articles sont-ils signés par des journalistes ou des scientifiques ? Des règles déontologiques spécifiques s'appliquent-elles aux auteurs d'articles ?
Prescriptions Santé est un mensuel qui s'adresse aux équipes marketing de l'industrie pharmaceutique : c'est un cas à part.
Impact Médecine a évoqué le Mediator au moment de son retrait, en 2009. Nous n'avons pas parlé du livre d'Irène Frachon, qui expliquait rétrospectivement les circonstances du retrait : cela ne relevait pas de l'information pratique du médecin. La presse grand public a commencé à parler du Mediator en octobre 2010, avec les études Cnam 1 puis 2. Que pouvait répondre le médecin aux patients? Il n'y avait pas d'éléments tangibles. Nous avons immédiatement rendu compte de la conférence de presse de l'Afssaps, qui évaluait le nombre de décès entre cinq cents et mille : il fallait que les médecins rappellent les patients ayant pris du Mediator. Nous avons ensuite rendu compte du rapport de l'Igas, dont la conférence de presse se tenait le samedi ; nous bouclions le mardi, pour une parution le jeudi. Je me souviens avoir titré : « Xavier Bertrand, Reformator ».
Nos règles déontologiques sont celles de la presse et les règles de santé publique. Nous avons comme journalistes à la fois des scientifiques et des non-scientifiques. Des médecins et des pharmaciens contribuent, comme pigistes. Le directeur de la rédaction des revues spécialistes est médecin. Nous n'avons pas de comité de relecture.
Avez-vous des attentes vis-à-vis des pouvoirs publics en matière de réglementation ou de soutien à la presse médicale ? Les laboratoires ont-ils une attitude particulière à votre égard ?
Les pratiques se sont assainies, généralement en réaction à des crises sanitaires, comme l'affaire du Vioxx. Il y a eu la création de l'Agence du médicament en 1993, des retraits de médicaments, la charte de la visite médicale...
La Haute Autorité de santé (HAS) juge que cette charte ne sert à rien. Relativisons.
Nous avons toujours participé aux débats, par exemple en 2010, sur la grippe H1N1, avec la HAS et l'Afssaps. De telles relations me semblent claires et normales.
J'ai commencé mon travail à Impact médecin. Lorsque la dénomination a changé, j'étais simple journaliste, éloignée de la rédaction générale. Pour autant que je me souvienne, nous avons perdu le bénéfice de la commission paritaire, celle-ci ayant des doutes sur les abonnements payants, mais nous avons été réintégrés deux mois plus tard, après avoir apporté les preuves de leur effectivité.
Mme Virginie Bagouet m'a fait parvenir un courriel d'où il ressort que les industriels concernés relisaient avant publication ce qui les concernait. Je citerai l'exemple d'un article consacré à l'ivabradine, un bradycardisant commercialisé par les laboratoires Servier sous le nom de Procoralan. Mme Bagouet vous a transmis son texte, que vous avez adressé aux laboratoires Servier pour correction. Alors que vous l'avez publié dans la rédaction, après approbation par le laboratoire, vous n'avez pas informé le lecteur de cette relecture. Pourquoi ? M. Gérard Kouchner nous a dit il s'agissait là d'une obligation éthique. Vous en être abstenue correspondait-il à une pratique habituelle de votre publication, ou s'agissait-il d'un traitement de faveur réservé à Servier ?
L'article traitait de l'étude Systolic heart failure treatment with the inhibitor ivabradine trial (SHIFT-ivabradine), dont tout le monde parlait à l'époque, même à la radio. La hot line mise en place à Stockholm par la Société européenne de cardiologie était en anglais, rapide et orale. Nous devions donc éviter tout retard dans la publication. L'étude en question était coordonnée par le professeur Komajda, qui présidait la Société française de cardiologie. N'ayant pu le joindre, je me suis tournée vers les laboratoires Servier, pour validation des chiffres. Il ne s'agissait que d'une vérification.
J'aurais été bien plus gênée par la publication d'une erreur. Au demeurant, la seule rectification opérée par le laboratoire était désavantageuse pour le médicament, puisque le rédacteur initial de l'article avait surestimé la baisse de la fréquence cardiaque procurée par l'ivabradine.
Au demeurant, nous nous sommes adressés à la seule direction médicale.
Comme rédacteur en chef, je vérifie les données avant de les publier.
Vous auriez tout de même pu faire savoir aux lecteurs que l'article avait été corrigé par le laboratoire, dont la publicité ne manque pas dans votre publication.
Je ne suis pas certaine qu'il aurait été utile d'indiquer la modification d'un chiffre...
J'ai pour devoir de recouper les informations publiées dans mon journal. Etre en contact avec une direction scientifique ne me semble pas choquant.
Est-il exact que vous publiez surtout des articles portant sur les produits des laboratoires Servier ou de ses filiales ? Telle semble être la spécialité de « Claire Bonnot ».
Non. « Claire Bonnot » n'écrit pas spécifiquement sur Servier. Symétriquement, elle ne dispose d'aucun monopole au sujet de ce laboratoire.
Mme Bagouet m'a communiqué le texte de plusieurs articles, corrigés puis publiés sous son nom. L'un d'eux comportait in fine le paragraphe suivant : « Par ailleurs, une étude de quarante cas de valvulopathie chez des patients ayant été traités avec du benfluorex, publiée en ligne le 31 décembre dans European Journal of Echocardiography, montre que 40 % des patients présentaient également une hypertension artérielle pulmonaire. Jusqu'à présent, la pharmacovigilance n'avait pas permis de mettre en évidence un excès de risque d'hypertension artérielle pulmonaire chez les patients ayant pris les traitements contenant du benfluorex, contrairement à ceux traités avec du chlorhydrate de dexfenfluramine (Isoméride). »
Pourquoi avoir supprimé ce paragraphe ?
Impact médecine a pour fonction d'apporter des informations pratiques aux généralistes. L'article dont vous parlez annonçait la mise en place d'un numéro vert par l'Afssaps. Nous appliquons le principe « un papier, une idée ».
Il s'agissait en l'occurrence d'une information nouvelle et importante. Pourquoi en avoir privé les médecins ?
L'article ne portait pas sur les hypertensions artérielles pulmonaires.
L'information rendait pourtant le recours au numéro vert encore plus indispensable.
Les médecins savaient déjà que le benfluorex avait des effets secondaires.
Je ne sais pas.
Pour vous, elle n'était pas très importante...
Je sais bien que vos rapports avec les laboratoires Servier se bornent strictement à la sphère scientifique, mais, pour être crédible, vous auriez dû publier aussi des informations qui ne soient pas systématiquement favorables à ses médicaments.
Nous en avons publié !
Notre hebdomadaire s'accompagne d'un site mis à jour quotidiennement. Je ne peux tout me rappeler. Je vais donc vérifier ce que nous avons publié.