La mission a procédé à l'audition de M. Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d'orientation des retraites.
a indiqué que la Mecss a choisi de consacrer son prochain rapport à un sujet difficile, celui des pensions de réversion. Cette mission a été confiée à deux rapporteurs, le premier issu de la majorité sénatoriale, M. Dominique Leclerc, le second du groupe socialiste, M. Claude Domeizel, ce qui donnera à ces travaux d'expertise une autorité renforcée.
Au préalable, M. Dominique Leclerc, rapporteur, a rappelé l'ambition de la commission des affaires sociales du Sénat d'être, en 2008 et quel que soit le prochain gouvernement, un acteur important et une force de proposition à l'occasion de la première clause de rendez-vous de la réforme des retraites. Dans ce contexte, il est indispensable de conduire une réflexion approfondie sur la problématique de la réversion : les travaux en cours de la Mecss fourniront sur ce point une contribution particulièrement utile. S'exprimant à titre personnel, il s'est ensuite félicité du contenu réaliste du rapport publié par le Conseil d'orientation des retraites (Cor) en janvier 2007, alors qu'il avait exprimé son scepticisme, en mars 2006, sur les projections réalisées par cet organisme, tant en ce qui concerne l'hypothèse d'un retour rapide à un taux de chômage de 4,5 % que pour le choix d'un niveau moyen de productivité de 1,8 % par an au cours des prochaines décennies.
s'est réjoui, à titre liminaire, de constater que le Cor est aujourd'hui unanimement reconnu comme un lieu rare de rencontres, de réflexion à long terme et d'expertise, rassemblant l'ensemble des acteurs de la question des retraites. Il a toutefois souligné que la préservation de ce rôle suppose que cette institution n'intervienne pas directement dans les négociations proprement dites. A l'automne 2004, le Cor n'avait ainsi accepté d'être saisi et de rendre un avis sur les mesures réglementaires d'application de la réforme des pensions de réversion introduites par la loi du 21 août 2003 qu'à la condition que cette démarche revête un caractère exceptionnel et en raison de l'émotion considérable que cette question soulevait dans le corps social.
Le rapport publié le 11 janvier 2007 par le Cor constitue en quelque sorte le prélude de la clause de rendez-vous de 2008 sur les retraites, dont les contours restent toutefois à définir. Au sens strict du terme, la loi du 21 août 2003 ne prévoit en effet que l'intervention de trois mesures nouvelles : la première porte sur l'opportunité d'ajuster le calendrier prévisionnel d'allongement d'un trimestre par an de la durée de cotisation des assurés sociaux ; la deuxième concerne l'éventualité de compléter l'indexation des pensions sur les prix par un « coup de pouce » supplémentaire ; la dernière consistera à dresser un bilan de l'objectif minimum de 85 % du niveau du Smic, pour les pensions des salariés ayant effectué une carrière complète sur la base de ce minimum social, et à envisager la suite à donner à cet engagement au-delà de l'horizon de 2008.
Au-delà de ces dispositions obligatoires, les pouvoirs publics auront naturellement toute latitude pour élargir le rendez-vous de 2008 sur les retraites à d'autres sujets et ils pourront s'inspirer, dans cette hypothèse et s'ils le souhaitent, des travaux du Cor. En attendant que le prochain gouvernement fasse connaître ses priorités dans ce domaine, le Cor consacrera quatre séances de travail, jusqu'à la fin du premier semestre de l'année 2007, au thème de l'égalité entre les femmes et les hommes.
S'agissant plus particulièrement des questions des pensions de réversion et du veuvage, M. Raphaël Hadas-Lebel a indiqué que, compte tenu des contraintes de son propre programme de travail, le Cor n'est malheureusement pas encore en mesure de fournir l'ensemble des éléments chiffrés et des données statistiques souhaités par la Mecss. D'importants travaux sont néanmoins en cours, dont la synthèse devrait être prochainement publiée à l'issue des séances plénières de mars et d'avril. Sur le fond, il a considéré toutefois que le sujet de la réversion apparaît explosif et nécessite sans doute d'être appréhendé avec beaucoup de prudence : sans aller jusqu'à plaider en faveur du maintien du statu quo, toute démarche d'harmonisation éventuelle impliquerait de savoir ce que les assurés sociaux sont susceptibles de gagner ou de perdre. Pendant longtemps, le système d'indemnisation des veuves a trouvé son fondement dans l'institution familiale elle-même : la réversion était le prolongement de l'obligation de protection, par son mari, de la femme restée au foyer. Puis, à partir des années soixante-dix, et notamment de la loi du 17 janvier 1978 reconnaissant un droit automatique à réversion en faveur des femmes et des hommes divorcés, cette conception a progressivement évolué vers une notion de solidarité financière entre les époux. Cette modification revêt une dimension quasi-patrimoniale, dans la mesure où l'ouverture du droit à pension est justifiée par le fait que les deux époux ont contribué en commun au fonctionnement du foyer.
Le droit français de la réversion apparaît aujourd'hui quelque peu hybride, combinant cette approche patrimoniale avec une logique de minimum social reflétée par l'instauration d'une condition de ressources.
Or, même si certains pays d'Europe du Nord ont carrément supprimé les pensions de droit dérivé, il semble impossible, en l'état actuel des choses, de transposer en France une telle conception de l'individualisation des droits sociaux. Les membres du Cor ont ainsi tout récemment réaffirmé leur attachement au principe même de la réversion, pour un troisième motif s'ajoutant au lien familial et à la logique patrimoniale : l'ampleur des inégalités dont pâtissent les femmes au regard de la retraite. En effet, l'écart du niveau moyen de leur pension par rapport à celui des hommes demeure aujourd'hui supérieur à 30 %.
Puis M. Raphaël Hadas-Lebel a rappelé les grandes lignes de la réforme importante des pensions de réversion incluse dans la loi du 21 août 2003 : suppression de la condition d'âge, suppression de la durée préalable du mariage, d'une part, et de non-remariage ultérieur, d'autre part, pour l'ouverture du droit à pension. A cela s'ajoute la simplification de la condition de ressources.
Dans l'hypothèse où les pouvoirs publics choisiraient à l'avenir d'aller au-delà, les termes du débat porteraient probablement sur l'opportunité d'étendre la réversion aux personnes pacsées et aux concubins, sur l'idée du maintien ou de la réintroduction d'une condition d'âge et sur la création éventuelle d'une mesure spécifique en faveur des enfants à charge. Par ailleurs, certains observateurs ont émis l'idée de rendre proportionnel le montant de la pension de droits dérivés à la durée du mariage ou d'améliorer le sort des jeunes veuves. Sur le plan de la méthode, il conviendrait alors de s'interroger au préalable sur l'opportunité de dégager des moyens supplémentaires ou, à l'inverse, d'engager une réforme à coût constant. Pour guider sa réflexion, la Mecss aurait tout intérêt à analyser les mesures introduites en Suède ou en Allemagne, pour les comparer avec le cadre juridique français.
s'est demandé quelles leçons il convient de tirer de la mise en oeuvre de la réforme des pensions de réversion et de l'assurance veuvage, intervenue dans le cadre de la loi d'août 2003, d'une part, et des adaptations dont elle a fait l'objet en 2004, d'autre part.
a précisé que, depuis la parution du décret du 23 décembre 2004, la question des pensions de réversion ne semble plus susciter d'inquiétude particulière. Pour autant, on ne dispose encore que d'un faible recul pour en apprécier les effets et, in fine, cette réforme ne comporte plus que des éléments favorables aux assurés sociaux.
Le Cor ne disposera pas d'informations statistiques supplémentaires avant plusieurs semaines mais la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et statistiques (Dress) dispose, pour sa part, des résultats de l'échantillon interrégimes.
s'est interrogé sur la viabilité financière du dispositif actuel de couverture du risque veuvage, dans un contexte de vieillissement de la population impliquant une hausse relative des besoins de financement de l'assurance maladie et du coût des régimes de retraite, ainsi qu'une montée en charge des dépenses liées à la dépendance. Il s'est également demandé si la France ne se situe pas à contre-courant de ses partenaires européens, qui semblent, à l'inverse, avoir durci, ces dernières années, les conditions d'accès aux systèmes de réversion et d'assurance veuvage.
a précisé que le Cor examinera le cas des pays étrangers à l'occasion de sa réunion des 27 et 28 mars prochains, mais que les premiers éléments en sa possession donnent effectivement plutôt le sentiment d'une spécificité française, la réforme de 2003-2004 ayant globalement assoupli les conditions d'ouverture du droit à pension. Il s'est demandé par ailleurs si la suppression de la condition d'âge, intervenue à cette occasion, n'aurait pas représenté une contrepartie plus utile à présenter dans le cadre d'une réforme ultérieure.
s'est interrogé sur le caractère utopique de la démarche qui consisterait à vouloir tracer une perspective d'harmonisation, voire d'unification progressive des règles des différents régimes sociaux, en matière de réversion.
a estimé que si l'unification des règles de réversion dans les différents régimes semble irréalisable, il n'apparaît pas pour autant inutile de réfléchir aux voies pouvant conduire à terme à une meilleure harmonisation, à condition toutefois de faire preuve de prudence et de réalisme.
Revenant sur la clause de rendez-vous de 2008 sur les retraites, il a rappelé que son objet est d'ajuster le pilotage de l'assurance vieillesse, et non de concevoir une nouvelle réforme de même ampleur que celle de 2003. Les réversions devraient être traitées dans le même cadre. Il s'est par ailleurs réjoui qu'il soit possible, à condition que certains efforts soient accomplis tenant notamment au taux d'emploi, de préserver les fondements mêmes de notre système de retraite par répartition et d'en garantir l'équilibre financier à l'horizon 2020. Compte tenu de l'ampleur des bouleversements provoqués par le vieillissement de la population, il ne s'agit pas d'une mince performance. Il a toutefois attiré l'attention des parlementaires sur la nécessité de conduire une politique volontariste en faveur de l'emploi des seniors.
s'est félicité de ce que le président du Cor ait rappelé les fondements des mécanismes de réversion et a regretté que les femmes continuent à disposer de retraites de droits propres bien inférieures à celles des hommes.
a souligné, à ce titre, que les retraites des femmes sont encore inférieures de 50 % à celles des hommes et que les pensions de réversion permettent de ramener cet écart de revenus à - 38 %. Compte tenu de leur ampleur, de telles inégalités ne peuvent se réduire que très lentement : on estime ainsi que les femmes aujourd'hui âgées d'une trentaine d'années disposeront à terme d'une retraite de droit direct encore 30 % inférieure à celle des hommes.
s'est demandé si les principes de la retraite par répartition ne subissent pas un effacement progressif.
Après avoir considéré que les pensions de retraite reposent toujours clairement sur un fondement contributif, M. Raphaël Hadas-Lebel a estimé qu'il convient sans doute d'éviter que la France ne s'engage sur la voie d'un système davantage fondé sur l'assistance sociale, à l'instar du Royaume-Uni. Un tel système provoquera en effet automatiquement une demande en faveur du développement de régimes de retraites par capitalisation. Or, il est techniquement possible de conserver un socle contributif à l'horizon 2050.