Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Philippe Gillet, président du conseil d'administration de l'Agence nationale de la recherche (ANR).
Après avoir rappelé que l'Agence nationale de la Recherche (ANR) constituait l'un des éléments fondateurs de la nouvelle politique française de la recherche, M. Jacques Valade, président, a fait part des préoccupations de la commission s'agissant de l'articulation des recherches française et européenne et de la place de la France dans le paysage de la recherche mondiale.
a estimé que la France se trouvait aujourd'hui à un tournant, qui l'incite à sortir de traditionnels débats un peu stériles, par exemple concernant l'opposition entre agences de moyens et organismes de recherche ou entre grandes écoles et universités. Il a rappelé que les trois dernières années avaient été marquées à la fois par des mouvements initiés par les chercheurs et par une réforme des structures résultant de la loi adoptée en avril 2006. Relevant qu'un nouvel élan avait été donné à la recherche, il s'est félicité de la création de l'ANR, outil qui manquait cruellement et qui redonne à la recherche française une dimension internationale, alors que son attachement culturel aux organismes de recherche, s'il présente aussi des avantages, la singularise cependant dans le paysage international.
Il a indiqué que l'ANR avait été créée en 2005 sur la base de modèles existants, notamment aux Etats-Unis ou en Allemagne, toutefois avec des différences notables. Après avoir précisé que le budget de l'agence était de l'ordre de 830 millions d'euros par an, il a exposé ses modalités de fonctionnement par le biais d'appels d'offres annuels :
- un appel d'offres destiné aux « projets blancs », c'est-à-dire sans orientation prédéfinie, auxquels 25 % du budget de l'agence sont consacrés ; ces projets sont essentiels car ils représentent une garantie pour l'innovation scientifique de long terme et pour l'accroissement des connaissances ;
- des appels d'offres sur thématiques définies par l'agence, en interface avec le monde des petites et moyennes entreprises, afin de combler cette lacune française et de mieux prendre en compte les problématiques mises en avant par les entreprises.
a cité ensuite deux autres outils auxquels l'agence a recours, notamment afin d'amorcer des liens entre la recherche académique et le monde économique :
- des appels d'offres mettant en oeuvre une labellisation de projets de recherche par les pôles de compétitivité, ces derniers évaluant les projets avant qu'ils soient, le cas échéant, présentés à l'ANR ;
- le financement « d'instituts Carnot », qui incitent au regroupement de laboratoires réalisant déjà un chiffre d'affaires conséquent avec des entreprises. Cet outil d'interaction entre acteurs, qui s'inspire des « Fraunhofer » allemands, fait l'objet d'un second appel d'offres de 10 à 13 nouveaux instituts, qui s'ajouteront aux 20 existants.
a jugé nécessaire de veiller à la bonne organisation globale de l'ensemble des nouveaux outils structurants créés en faveur de la recherche et de coordonner, en particulier, l'action de l'ANR avec celle d'Oséo-ANVAR.
Après avoir souligné l'importance accordée par la commission aux « projets blancs » et à la recherche fondamentale, M. Jacques Valade, président, a demandé des précisions sur les relations de l'agence avec les PME-PMI, ainsi que sur les critères de sélection des projets. Il s'est interrogé aussi sur la coordination des actions entre l'Agence pour l'innovation industrielle (AII) et l'ANR.
a demandé quelles étaient les relations de l'ANR avec la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'industrie et il a sollicité des précisions sur les parts relatives des différents types de financements alloués par l'agence. Il a estimé nécessaire la transparence des critères de chacun des organismes, qu'il s'agisse de l'ANR, de l'AII ou d'Oséo-ANVAR. Enfin, il s'est interrogé sur les possibilités pour un projet, porté à la fois par un acteur académique et par une entreprise, et concernant, par exemple, le stockage de l'énergie électrique, d'être retenu par l'ANR.
a demandé des précisions sur la façon dont l'agence procède aux arbitrages, parfois contradictoires, entre les préoccupations de court terme et celles de long terme, ainsi que sur l'articulation de son action avec celle d'autres grandes structures. Après s'être interrogé sur la philosophie régissant l'ensemble de la nouvelle organisation de la recherche, il a regretté le faible investissement des entreprises françaises dans la recherche et le développement, par comparaison avec leurs homologues étrangères.
a relayé le souhait de certains organismes, tels que le Centre national d'études spatiales (CNES), d'être informés des projets soutenus par l'ANR et concernant le même secteur. Elle a demandé quelles étaient les relations entre l'agence et le Haut conseil de la science et de la technologie, ce dernier étant censé -d'après les informations qui avaient été communiquées à l'occasion de l'examen de la loi de 2006- définir les orientations et les thématiques prioritaires de l'agence, qui devait constituer comme son « bras armé ». Elle s'est interrogée en outre sur les moyens de faire entrer une nouvelle thématique au sein des priorités de l'agence. S'agissant du développement durable, elle a demandé sur le fondement de quels critères scientifiques les projets étaient retenus par l'agence.
Enfin, Mme Marie-Christine Blandin a suggéré qu'à l'instar des nouveaux modes de financement européens, un pourcentage supplémentaire (ou « préciput » allant jusqu'à 25 %) au montant accordé au projet, soit destiné à la structure d'accueil concernée.
a apporté les éléments de réponse suivants :
- les grandes entreprises sont de plus en plus sensibilisées à la nécessité d'un tissu de PME dense, d'autant que le maillon des entreprises de taille intermédiaire (de 200 à 500 personnes) est insuffisant en France ;
- il sera nécessaire de vérifier la cohérence de tous les outils mis en place au service de la recherche et de veiller à leur bonne coordination ;
- la Direction générale des entreprises est représentée au sein du conseil d'administration de l'ANR ;
- les montants alloués en 2006 ont concerné les « programmes blancs » à hauteur de 130 millions d'euros (170 millions si l'on ajoute les chaires d'excellence et les actions d'accompagnement aux jeunes chercheurs) et les « labels Carnot », à concurrence de 36 millions d'euros ;
- en 2005, l'agence a organisé 35 appels d'offres ; 5 600 dossiers ont été présentés, dont un tiers de projets non thématiques ; le taux de succès, de 25 %, est similaire aux pratiques étrangères ; enfin, l'agence a travaillé avec 4 500 partenaires, dont 800 entreprises ;
- s'agissant des thématiques prioritaires, on peut citer la matière et l'information pour 24 %, la biologie et la santé pour 19 %, l'énergie et l'environnement pour 18 %, l'écosystème et le développement durable à hauteur de 19 % ;
- le Haut conseil à la science et à la technologie n'est pas intervenu pour l'instant dans les choix opérés par l'ANR ; d'ailleurs l'ANR a été mise en place antérieurement à sa création et elle mène une politique volontariste afin d'amener des compétences dans les secteurs qui constituent, de l'avis des chercheurs eux-mêmes, des enjeux de développement (tels que par exemple la capture du CO2) et de faire travailler ensemble les différents acteurs concernés. L'agence exerce donc un rôle d'incitation à la mobilisation des acteurs sur certaines thématiques ; à cette fin, l'agence envoie à l'ensemble des directeurs de laboratoires un appel à idées sur les thématiques de recherche ;
- un projet portant, par exemple, sur le stockage de l'énergie électrique, y compris s'il est porté par une PME, peut entrer dans l'appel d'offres aux « projets blancs », si la recherche concernée se situe très en amont ;
- les relations entre le monde académique et les entreprises, réputées difficiles, se sont en réalité sensiblement améliorées ;
- l'agence finance également des programmes en sciences humaines et sociales ;
- le financement de la recherche par les entreprises varie selon les secteurs. S'il est vrai que la recherche française est majoritairement publique, il convient d'étudier les comparaisons internationales au regard des différents outils et mécanismes utilisés (avec beaucoup de fondations aux Etats-Unis et d'instruments de défiscalisation en France), lesquels présentent des points communs au niveau macro-économique. Il faut relever aussi l'impact des fonds versés à leur université par d'anciens élèves ; ces fonds permettent ainsi à Harvard de bénéficier de plusieurs millions de dollars de réserves ;
- il conviendra de définir le rôle des organismes de recherche au sein de l'agence. Celui-ci a évolué, dans la mesure où ils avaient un rôle décisionnaire au sein du groupement d'intérêt public qui préfigurait au statut actuel de l'agence ;
- un « rapport d'étonnement » du président du conseil d'administration de l'ANR, en poste depuis moins de deux mois, lui permettra d'avancer un certain nombre d'idées ;
- l'agence a aussi pour rôle d'être un acteur de la prospective de la recherche scientifique ;
- le fait qu'un projet soit retenu par l'agence a un impact réel sur l'établissement d'accueil des personnes concernées (en termes de consommations diverses) et il conviendrait donc qu'une fraction (de l'ordre de 15 % du montant du projet) soit ajoutée au montant alloué pour le projet lui-même et versée à l'opérateur physique, afin de compenser ces coûts additionnels.
La commission a ensuite entendu M. Benoît Bougerol, président du Syndicat de la Librairie française.
a indiqué que le Syndicat de la librairie française (SLF) regroupait 500 entreprises, dont l'activité principale est la vente de livres et qui respectent une charte, garantissant notamment leur indépendance. Il a précisé, ensuite, les missions de ce syndicat professionnel, au titre desquelles il s'est vu confier par le ministère de la culture la vérification de la bonne application de la loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre. Il s'agit ainsi d'assurer la diversité culturelle et de défendre le rôle du livre au service de la culture.
Il a indiqué que le syndicat enverrait prochainement aux candidats aux différentes élections les demandes du SLF visant à aider le secteur fragilisé des librairies indépendantes, qui pourraient, par exemple, bénéficier de mesures similaires à celles mises en oeuvre en faveur du cinéma d'art et essai.
Puis il a évoqué la montée en puissance d'une part, de la grande distribution qui n'offre aux consommateurs qu'un choix limité d'ouvrages et, d'autre part, de la diffusion des livres sur internet. Cette dernière « déstabilise » quelque peu les professionnels, qui jouent un rôle essentiel et gratuit de conseil auprès des lecteurs, que ne peut offrir internet. Les pouvoirs publics, tant l'Etat que les collectivités territoriales, ont d'ailleurs conscience de l'enjeu, culturel et économique, que représentent ces acteurs qu'ils tentent parfois d'accompagner.
Après s'être félicité de l'impact positif de la loi sur le prix unique du livre, M. Benoît Bougerol a relevé que le livre numérique n'avait pas bouleversé le marché, comme certains l'avaient annoncé voilà 6 ans. Les nouvelles technologies feront cependant évoluer les secteurs nécessitant des mises à jour immédiates, telles que la documentation professionnelle, par exemple.
s'est interrogé sur la pérennité de la loi de 1981, compte tenu du fait que son esprit s'avère bafoué par les éditeurs, petits et grands. En effet, l'article premier de la loi -qui édicte que l'éditeur fixe son prix- entraîne la détermination par les éditeurs de la rentabilité des entreprises en aval de la chaîne. Or, fascinés par la montée en puissance des grands magasins tels que la FNAC dans les années 80, des hypermarchés dans les années 90 puis d'internet depuis les années 2000, les éditeurs accordent à l'ensemble de ces acteurs des remises identiques à celles des libraires indépendants, alors même que l'article 2 de la loi leur permettrait de moduler ces remises afin de maintenir la diversité et la couverture territoriale des diffuseurs.
Cette évolution est inquiétante et la promesse de mettre en place un « médiateur du livre », avancée par M. Jean-Jacques Aillagon, alors ministre de la culture, n'a pas été tenue, alors même qu'une éthique doit être respectée par l'ensemble des acteurs du secteur afin de préserver son avenir.
a indiqué que le syndicat ne tenait cependant pas un discours défaitiste s'agissant des ventes par le biais d'internet, dans la mesure où ces dernières ne représentent qu'environ 4 % du marché. Une étude réalisée par Ipsos et Livres Hebdo montre que sur un marché en légère diminution, les librairies indépendantes de « premier niveau » avaient mieux résisté ; l'inquiétude porte en revanche sur les librairies de « second niveau » (souvent situées dans de petites villes).
Il a fait valoir la nécessité de garantir la pérennité des libraires indépendants, qui emploient 11.000 salariés et permettent, en outre, de préserver l'édition indépendante.
Il a relevé que la dématérialisation du livre laisserait intacte la question du choix des oeuvres par les lecteurs et il a souligné que le libraire pouvait exercer son rôle de conseil quel que soit le support (papier comme électronique). Dans ces conditions, le SLF lancera, sur internet, en 2007, avec le soutien du Centre national du livre, un portail des libraires indépendants. Cette mutualisation offrira aux clients des perspectives en matière de dématérialisation, de téléchargement ou de feuilletage des oeuvres.
Il a insisté, ensuite, sur la nécessité de consolider le secteur des livres scolaires, qui représente 10 à 25 % du chiffre d'affaires des libraires indépendants. Il a regretté que les modalités d'action de certaines régions pour instaurer la gratuité des livres scolaires fragilisent les libraires, notamment ceux installés dans des villes de taille modeste. Le problème est politique, car il concerne l'accessibilité des familles et des jeunes au livre.
s'est interrogé sur la place de la grande distribution spécialisée, ainsi que sur le temps de latence nécessaire au passage de l'édition d'un livre broché à un livre non broché de petit format. Evoquant le rôle joué par certaines collectivités territoriales en vue de soutenir de petits libraires en difficulté, il a insisté sur le véritable rôle de service public joué par le libraire.
a demandé si l'explosion des ventes de petits formats, du type livre de poche, menaçait les grands formats et elle a sollicité des précisions sur les ventes réalisées sur les sites présents sur internet.
Etablissant un parallèle avec les actions des collectivités territoriales en faveur des salles de cinéma, M. Jack Ralite a indiqué que la ville d'Aubervilliers avait acheté le fonds de commerce d'une librairie en difficulté et que cette opération s'avérait concluante, cet endroit constituant, en outre, un lieu de vie et d'échanges au coeur de la ville. Enfin, il s'est interrogé sur les éventuels effets pervers de la « best-sellerisation ».
Les intervenants ont apporté les éléments de réponses suivants :
- le livre n'est pas au coeur de l'activité des magasins de la grande distribution spécialisée, même s'il leur permet de bénéficier d'une image culturelle. En effet, le chiffre d'affaires concerné ne représente que 18 % du chiffre d'affaires total de la FNAC et 13 % de celui de Virgin. Ces magasins n'assurent pas le rôle de conseil joué par un libraire et ne mettent pas en valeur de la même manière les oeuvres nouvellement éditées ;
- le développement, au cours du temps, d'autres types de loisirs, puis de nouveaux circuits de distribution, ne représente pas une « révolution » dans le secteur, mais entraîne un réel et sérieux effritement de la place du livre et des libraires ;
- les ventes de livres de petit format, enregistrées depuis déjà 10 à 15 ans, ne nuisent pas nécessairement aux autres ventes et les deux types d'édition se soutiennent parfois mutuellement, par exemple lorsque l'oeuvre nouvelle d'un auteur permet de relancer la vente de ses livres précédents. En revanche, la vente de livres à 1 euro pose la question de la responsabilité du producteur à l'égard des acteurs de l'aval de la chaîne du livre ;
- s'il n'est pas régi par un texte, le délai moyen entre la date de la parution d'un livre broché et celle de sa parution en petit format est de 6 à 12 mois pour un roman, la moyenne étant plus basse pour les essais dont l'obsolescence est plus rapide. L'édition en petit format nécessite cependant la réalisation d'un nombre de vente suffisant de l'oeuvre en grand format ;
- bien que la librairie participe de la vie culturelle d'une commune, les élus semblent avoir une meilleure compréhension du rôle des salles de cinéma à cet égard ;
- les libraires subissent la hausse des baux commerciaux et, avec le renouvellement des générations, le problème de la transmission des librairies indépendantes se pose cruellement. Ce problème de l'immobilier commercial devra être traité en vue de faciliter ces transmissions si l'on veut préserver ces librairies ;
- les collectivités territoriales peuvent agir en faveur du maintien du bail commercial de la librairie, indépendamment même de toute subvention ;
- le syndicat travaille sur un projet de labellisation de la librairie indépendante, à l'image du cinéma d'art et essai.