Mes chers collègues, nous accueillons M. Yves Nicolas, vice-président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes.
Je vous rappelle, monsieur le président, que, conformément aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment et que tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
En conséquence, je vais vous demander de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Levez la main droite et dites : « Je le jure ».
(M. Yves Nicolas prête serment.)
Je vous remercie, monsieur le président.
Je vous propose de commencer l'audition par un exposé liminaire, puis de répondre aux questions de notre rapporteur, M. Éric Bocquet, ainsi qu'à celles des membres de la commission d'enquête.
Vous avez la parole.
Avant toute chose, je souhaite, monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les sénateurs, me présenter. Je suis vice-président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, ainsi que président de la compagnie régionale des commissaires aux comptes de Versailles, dans les Yvelines.
La Compagnie nationale des commissaires aux comptes, dont je vais vous exposer le rôle, organise la profession autour des compagnies régionales de commissaires aux comptes, les CRCC, qui sont du ressort des cours d'appel. Il y a autant de compagnies régionales que de cours d'appel.
Je suis diplômé de l'École supérieure de commerce de Paris et j'exerce la profession de commissaire aux comptes depuis plus de trente ans. Même si je suis également expert-comptable, j'exerce plus particulièrement la fonction de commissaire aux comptes dans un cabinet assez important, dont je suis le directeur général, à Neuilly, dans les Hauts-de-Seine. Ce cabinet est membre d'un réseau international.
Permettez-moi de vous expliquer le rôle et la fonction actuelle de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes.
On dénombre à la date du 1er janvier 2012, 19 052 commissaires aux comptes, dont 73 % de personnes physiques et 27 % de personnes morales.
A l'instar de nombreuses autres professions, celle de commissaire aux comptes se féminise de plus en plus. Aujourd'hui, la profession compte 19 % de femmes - c'est peu, mais, lorsque j'ai commencé, la proportion était bien moindre -, contre 81 % d'hommes.
Nous exerçons des mandats au sein de diverses formes de sociétés dans la mesure où la loi définit l'obligation pour certaines sociétés d'avoir un audit légal, et donc un commissaire aux comptes.
Les sociétés par actions simplifiées, les SAS, représentent presque 50 % de notre activité, contre 19,3 % pour les sociétés anonymes, les seules qui aient obligation, quelle que soit leur taille, d'avoir recours à un commissaire aux comptes, 8 % pour les sociétés à responsabilité limitée, les SARL, 11,8 % pour les associations et 11 % pour toutes les autres formes juridiques, souvent des organismes proches de l'État ou des collectivités locales.
Au total, cela représente 224 733 mandats. Vous vous en doutez, nous travaillons pour de toutes petites entreprises comme pour de très grandes, cotées au CAC 40.
Nos effectifs sont répartis de cette manière : les cabinets comptant plus de 50 salariés ne représentent que 15 % du total, alors que plus de la moitié d'entre eux ont moins de 10 salariés. Coexistent donc des cabinets de commissaires aux comptes qui peuvent compter jusqu'à 2 000 collaborateurs et des commissaires aux comptes qui exercent seuls.
Notre mission principale est de certifier les comptes de ces entités. A ce titre, nous émettons chaque année 224 733 rapports. Pour 97 % d'entre eux, il faut bien le dire, il s'agit d'une certification pure et simple - nous ne faisons ni observation ni réserve ; dans 2 % des cas, nous émettons des réserves et, dans 0,5 % des cas, ce qui a correspondu, l'année dernière, à 1 084 rapports, nous refusons de certifier les comptes.
Cette proportion peut vous sembler faible, mais il faut bien comprendre que, avant d'émettre notre rapport définitif, nous expliquons à l'entreprise que nous allons refuser de certifier ses comptes au motif qu'il y a des problèmes. Dans la majorité des cas, le conseil d'administration procède à des rectifications, car un refus de certification peut avoir un impact très important pour l'entreprise et pour son environnement.
Le commissaire aux comptes existe depuis longtemps. En effet, la fonction de réviseur des comptes a été créée pendant la révolution industrielle par la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés commerciales. Le métier a progressé avec la création, en 1969, de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, la CNCC. Se sont ensuivies deux phases d'évolution extrêmement importantes, avec la loi relative aux nouvelles régulations économiques, qui a unifié, en 2001, le statut du commissaire aux comptes et, dernièrement, la loi de sécurité financière, qui a instauré la séparation des fonctions d'audit et de conseil et qui a créé notre instance de supervision, le Haut Conseil du commissariat aux comptes, que nous appelons dans notre jargon abréviatif, le H3C.
La Compagnie nationale des commissaires aux comptes constitue l'instance représentative des 15 000 commissaires aux comptes personnes physiques en France. Elle vise à défendre les intérêts des professionnels auprès des pouvoirs publics. Elle rend compte aux régulateurs et au ministère de la justice, le ministère de tutelle.
Elle joue un double rôle d'autorité technique, morale et institutionnelle et d'animation du réseau régional, qui comprend, je l'ai évoqué précédemment, 33 compagnies régionales des commissaires aux comptes.
Notre organisation est assez simple.
Le Conseil national, qui est l'organe décisionnaire de la profession, est composé de 91 commissaires aux comptes. Il est représentatif de toutes les compagnies régionales. En fonction de leur importance, les conseillers régionaux sont élus conseillers nationaux. Il s'agit donc d'une organisation à deux étages : les commissaires aux comptes élisent les conseillers régionaux, dont certains deviennent conseillers nationaux.
Le Bureau national, organe exécutif, est élu par le Conseil national. Il est composé de 13 membres : le président de la CNCC, actuellement Claude Cazes, qui regrette de ne pas pouvoir être présent aujourd'hui,...
Je vous remercie !
... trois vice-présidents, dont moi-même, deux représentants du département des marchés financiers - une mesure instaurée par la loi de sécurité financière -, l'animateur de la réunion des présidents de CRCC et six autres membres.
Permettez-moi de revenir quelques instants sur la présence des représentants du département des marchés financiers.
Un certain nombre d'entités sont définies par la loi, ainsi que, dorénavant, par la directive « Audit » de la Commission européenne, comme étant des entités d'intérêt public. Certaines d'entre elles sont considérées comme étant plus importantes que d'autres en termes de poids économique ; je pense notamment aux sociétés cotées. Les commissaires aux comptes ayant des mandats dans les sociétés cotées font partie d'un département spécifique à l'intérieur de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, le département des marchés financiers, placé sous la cotutelle du ministère de la justice, du H3C et bien sûr de l'AMF, l'Autorité des marchés financiers.
Aux termes des articles L. 822-9 à L. 822-12 du code de commerce, les missions du commissaire aux comptes sont les suivantes.
La plus connue d'entre elles est la certification des comptes annuels et consolidés. C'est une mission légale d'intérêt général qui consiste à exprimer une opinion sur la régularité, la sincérité et l'image fidèle des comptes annuels des sociétés et à vérifier la sincérité et la concordance avec les comptes annuels des informations financières fournies à l'assemblée générale - en dehors des comptes, de nombreuses autres informations sont données à l'assemblée générale. On retrouve souvent ces deux missions dans les autres pays européens.
En revanche, une particularité est purement française : le commissaire aux comptes doit prévenir les difficultés dans le cadre de la procédure d'alerte. Celui-ci ne vient pas seulement une fois par an examiner les comptes des entreprises, il doit observer ce qui s'y passe et, lorsque des situations difficiles apparaissent, il a l'obligation d'engager une procédure d'alerte auprès du président du conseil d'administration, puis, après un certain laps de temps, auprès du président du tribunal de commerce.
Il est important de savoir qu'une mission d'audit repose sur des contrôles effectués par sondages sur la base de l'évaluation des systèmes comptables et du contrôle interne de l'entreprise. Le commissaire aux comptes donne donc son opinion à partir d'un seuil de significativité ; il ne peut dire que les comptes sont justes à l'euro près. Tout est fonction de la taille de l'entreprise et de la significativité d'une erreur sur l'image fidèle des comptes.
Par ailleurs, le commissaire aux comptes a pour mission de vérifier les informations de nature comptable et financière données par l'entreprise ; de contrôler le respect de l'égalité entre les actionnaires, afin que certains n'aient pas des informations privilégiées par rapport à d'autres ; de communiquer les irrégularités et inexactitudes au conseil d'administration ; de prévenir, ainsi que je l'ai déjà souligné, en engageant une procédure d'alerte, qu'une entreprise va rapidement rencontrer des difficultés, des difficultés de trésorerie, par exemple ; de procéder à la révélation des faits délictueux auprès du procureur de la République, une mission d'ordre général qui n'implique de ne donner ni significativité ni contenu à ces faits ; enfin, de déclarer tout soupçon de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme auprès de TRACFIN, le traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins.
Vous le voyez, le panel de nos missions est assez large.
Pour ce faire, nous disposons de normes d'exercice professionnel, les NEP, que le commissaire aux comptes doit respecter. Ces normes sont au nombre de quarante-quatre, ce qui représente un vrai petit fascicule ! Autre particularité française, elles sont élaborées par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, qui les transmet au garde des sceaux pour homologation après avis du H3C.
Au-delà de ces normes, il existe des normes d'audit international, les International Standards on Auditing, les normes ISA, souvent élaborées en anglais, qui sont plus ou moins appliquées dans tous les pays du monde. Pour ce qui nous concerne, nous devons non seulement observer ces normes, mais les transcrire dans le contexte français et les faire homologuer par le garde des sceaux, contrairement à d'autres pays européens qui les appliquent directement.
La valeur des NEP est, à nos yeux, importante, dans la mesure où elles ont un statut d'arrêté ministériel ; elles ont donc un caractère public qui les rend opposables aux tiers et institutionnalise plus encore le rôle normalisateur de la Compagnie nationale.
Elles ont pour objet de définir la démarche d'audit du commissaire aux comptes - comment il doit s'y prendre pour comprendre l'entreprise, son environnement de contrôle - et d'organiser les travaux de celui-ci. Mais il existe surtout - c'est très important dans le monde où nous vivons -, un code d'éthique et de comportement professionnel beaucoup plus sévère que le code international d'éthique en vigueur au niveau mondial, qui est émis par l'IFAC, l'International Federation of Accountants, une institution dont vous avez peut-être entendu parler, qui rassemble, au niveau mondial, toutes les organisations professionnelles de comptables, dont, bien sûr, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes.
Voilà le portrait que je voulais dresser. Je ne sais si j'ai été trop long ou trop bref...
Avant de répondre à vos questions, permettez-moi d'évoquer la manière dont nous appliquons les procédures de déclaration à TRACFIN et de révélation au procureur de la République, car il s'agit, me semble-t-il, d'un sujet éminemment important pour votre commission.
Le champ d'intervention du commissaire aux comptes se limite aux missions précédemment exposées. Comme je l'ai dit, nous avons une obligation non pas de résultat, mais de moyens : nous donnons une opinion sur les comptes de l'entreprise et, d'une certaine manière, sur son devenir au travers des difficultés qu'elle est susceptible de rencontrer. En matière de fiscalité, notre mission n'est pas active : nous n'avons pas à rechercher des erreurs ou des fraudes fiscales.
Cependant, au cours de nos travaux, nous pouvons être confrontés à une situation de fraude fiscale. Dans ce cas, le commissaire aux comptes doit déclencher deux procédures parallèles : la révélation de faits délictueux auprès du procureur de la République et la déclaration à TRACFIN en cas de suspicion de blanchiment d'argent.
Nous disposons aujourd'hui de certaines statistiques dans la mesure où le commissaire aux comptes établit une fois par an une déclaration d'activité. Il doit auprès de la compagnie régionale à laquelle il est inscrit, laquelle consolidera les données auprès de la Compagnie nationale, déclarer non seulement ses mandats et le contenu de ses rapports - s'il a procédé à une certification pure et simple ou avec réserves -, mais également les révélations qu'il a été conduit à faire.
En 2009, sur un total de 223 388 mandats, 1 075 révélations ont été faites, ce qui représente 0,5 % des rapports. En 2010, il n'y a eu que 886 déclarations - franchement, je n'ai pas d'éléments à vous donner pour expliquer cette baisse - sur 223 570 mandats, soit seulement 0,4 %. Je ne pense pas que l'on puisse en déduire que les sociétés que nous contrôlons ont été beaucoup plus attentives à ces problèmes. Cette proportion est surtout liée au fait que nous soyons ou non confrontés aux fraudes fiscales.
Je souligne que nous ne vérifions les comptes que d'une minorité d'entreprises françaises. Certes, nous intervenons de façon obligatoire dans les grandes entreprises, mais, en dessous d'une certaine taille, le commissaire aux comptes n'intervient pas.
Dans le droit positif français, l'article L. 823-12 du code de commerce prévoit l'obligation de révélation et l'article L. 820-7 du code précité est relatif à la sanction de non révélation.
Aux termes de l'article L. 823-12, « les commissaires aux comptes signalent à la plus prochaine assemblée générale ou réunion de l'organe compétent les irrégularités ou inexactitudes relevées par eux au cours de l'accomplissement de leur mission ». Tous les actionnaires sont donc au courant. « Ils révèlent au procureur de la République les faits délictueux dont ils ont eu connaissance ». Souvent, l'opération se fait en deux temps : le commissaire aux comptes explique oralement au procureur de la République ou à l'un de ses substituts le problème qu'il rencontre et, ensuite, il envoie un courrier confirmant les faits. Vous vous en doutez bien, il arrive que le commissaire aux comptes n'ait aucune certitude : il constate des faits qui l'inquiètent et qui l'obligent à mener des investigations un peu plus poussées, mais il n'a évidemment pas les moyens de la police ou du procureur de la République pour aller beaucoup plus loin.
Pour ce qui est des obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, elles sont définies au chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier.
La définition de « faits délictueux » retenue par la loi est la suivante : des faits ou irrégularités susceptibles de recevoir des tribunaux une qualification pénale et des faits susceptibles de présenter un caractère suspect au regard de la loi pénale. Il s'agit d'une définition pénale assez large. C'est la raison pour laquelle nous avons souvent un échange oral avec le substitut du procureur dans la mesure où la qualification pénale n'est pas toujours évidente pour nous.
Que faisons-nous lorsque nous sommes confrontés à une telle problématique ?
La base de notre métier, c'est le scepticisme et le jugement professionnel. Notre code de déontologie nous pousse à être le plus indépendant possible à l'égard de l'entreprise. Nous ne pouvons avoir personnellement des prêts, des emprunts, des contrats d'assurance, des liens personnels avec le chef d'entreprise. Tout cela est bien défini et contrôlé par le H3C, qui a aussi, j'ai oublié de vous le dire, un rôle important en matière de contrôle qualité : il contrôle nos cabinets, pour certains tous les ans et pour d'autres tous les trois ou six ans, afin de s'assurer de la bonne application de ces normes d'indépendance.
Comme je l'ai dit, les missions de conseil sont, pour la plupart, interdites, et le code de déontologie français est le plus strict qui soit ; on s'en enorgueillit même dans le monde entier. Il a d'ailleurs inspiré - peut-être en avez-vous entendu parler ? - le Livre vert qui a été dernièrement publié, sur l'initiative de Michel Barnier, commissaire européen, pour tenter d'homogénéiser notre profession au niveau européen.
Lorsque nous sommes confrontés à des faits qui nous semblent bizarres, nous devons conduire de plus amples investigations. Toutefois, nous n'avons pas à mener de recherche active des faits délictueux : notre travail ne consiste pas, je le répète, à rechercher une fraude fiscale ou des faits délictueux.
Au demeurant, s'il ne révélait pas de tels faits ou s'il les révélait de façon tardive, le commissaire aux comptes pourrait bien sûr être poursuivi pénalement. Il encourt également un risque disciplinaire - avertissement, blâme, interdiction temporaire, voire radiation de la liste - dans la mesure où il peut être poursuivi devant la chambre de discipline de la compagnie régionale des commissaires aux comptes, qui est pilotée par des magistrats du ressort des cours d'appel. Heureusement, ces poursuites ne sont pas très courantes !
Pour ce qui concerne la déclaration à TRACFIN en cas de suspicion ou de blanchiment de capitaux, prévue à l'article L. 823-12 du code de commerce, nous avons une NEP spécifique, une « norme d'exercice professionnel relative aux obligations du commissaire aux comptes relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ». Cela montre qu'il s'agit non pas d'une question subsidiaire, mais d'une diligence normale du commissaire aux comptes, homologuée par le garde des Sceaux.
Pour accomplir notre mission, nous devons nous acquitter d'un certain nombre de tâches obligatoires.
Tout d'abord, nous devons bien identifier l'entité : nous assurer que la société que nous auditons est évidemment inscrite au registre du commerce, identifier ses actionnaires et ses dirigeants, leur nationalité et, en cas de nationalité étrangère, nous renseigner sur leur lieu de résidence et sur les liens qu'ils peuvent avoir avec d'autres entreprises ou avec lesquelles leur propre entreprise peut avoir des liens commerciaux ou juridiques.
Ensuite, nous examinons les opérations réalisées par l'entité et vérifions la cohérence de celles-ci avec la connaissance que nous avons de l'entité. Toutes les transactions ou opérations exceptionnelles, qui ne relèvent pas de l'activité habituelle de la société, attirent évidemment notre regard et sont de nature à nous conduire à des investigations plus poussées.
Il nous est également demandé, ce qui n'est pas chose aisée, de rechercher le bénéficiaire effectif d'une transaction exceptionnelle, ainsi que l'actionnaire majoritaire ou l'actionnaire qui dirige cette entreprise.
Or nous pouvons être confrontés à des cascades de sociétés : l'actionnaire majoritaire peut être une société inscrite à l'étranger, qui est elle-même détenue par une autre. Vous voyez les difficultés que nous pouvons rencontrer. Pourtant, nous devons tout faire pour identifier le bénéficiaire effectif ultime.
J'en viens à la nature des opérations à déclarer à TRACFIN.
D'une part, nous devons déclarer les opérations portant sur des sommes dont nous soupçonnons, ou avons de bonnes raisons de soupçonner, qu'elles proviennent d'une infraction, hors fraude fiscale, passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou qu'elles participent au financement du terrorisme.
D'autre part, nous devons déclarer les sommes ou opérations dont nous soupçonnons, ou avons de bonnes raisons de soupçonner, qu'elles proviennent d'une fraude fiscale, uniquement lorsque nous sommes en présence d'au moins un critère défini par le décret du 16 juillet 2009.
Je résume : nous avons donc une obligation de révélation au procureur de la République de façon urgente. Il existe un délai de tolérance du parquet d'un mois environ, pour la bonne raison que nous devons poursuivre nos investigations avant de procéder à la révélation des faits afin d'être le plus précis possible.
Il faut savoir qu'il n'y a aucun niveau de significativité dans la déclaration des faits délictueux : nous devons déclarer tous les faits délictueux que nous rencontrons quel que soit le montant ou l'importance de ceux-ci. Nous devons même déclarer si le fait délictueux a été corrigé ou s'il a déjà été déclaré par l'entreprise, ce qui arrive souvent. En effet, les faits délictueux concernent non pas seulement le chef d'entreprise, mais également les employés de l'entreprise.
En la matière, nous avons une pratique assez ancienne, et nous avons d'ailleurs un dialogue continu avec chaque procureur de la République du ressort de la CRCC.
Concernant TRACFIN, cette procédure est plus récente. Nous avons eu des discussions avec les responsables de cette cellule. Ils veulent que nous soyons beaucoup plus rapides dans nos déclarations de soupçon. Toutefois, cette problématique ne faisant pas partie de nos objectifs, il est clair que c'est plutôt par hasard que nous tombons sur de tels faits. Nous devons alors examiner plus précisément la situation pour voir si les sommes d'argent visées font vraiment l'objet d'une transaction frauduleuse. Sinon, nous abreuverions TRACFIN de déclarations inutiles !
Telles sont les obligations extrêmement importantes auxquelles nous sommes soumis et sur lesquelles nous sensibilisons beaucoup nos confrères.
Je vous remercie de votre présentation, monsieur le président.
J'ai bien noté que vous rendiez un avis favorable dans 97 % des cas. Aussi, je m'intéresserai plus particulièrement au 0,5 % des cas qui ont fait l'objet d'un refus de certification - on s'intéresse toujours au train qui arrive en retard, et jamais à ceux, bien plus nombreux, qui sont à l'heure !
Ces cas sont-ils liés à des problèmes de fraude ou d'évasion fiscale ? Si oui, pourriez-vous nous donner quelques illustrations concrètes ?
Franchement, je ne peux vous en donner que très peu !
Les réserves que nous émettons sont plutôt liées à une absence d'informations - la société ne donne pas les bonnes informations à ses actionnaires -, à une mauvaise interprétation des méthodes comptables, ce qui a évidemment un impact sur l'image des comptes, ou bien encore à des incertitudes absolues sur certains actifs ou sur certains passifs, absolument colossaux, qui présentent un risque latent. En général, ces risques ne sont d'ailleurs pas de nature fiscale.
Il peut arriver que nous formulions des réserves parce que nous avons détecté un risque fiscal latent, qui n'a pas été appréhendé par l'entreprise. Le dirigeant peut nous rétorquer qu'il ne s'agit pas d'un risque absolu - des avocats vont l'aider à se défendre et à convaincre l'administration fiscale du bien-fondé de ce qu'il pense - ou que le risque n'est pas avéré et qu'il n'y a donc pas de raison de le provisionner. Dans ce cas, il revient au commissaire aux comptes de trancher la question.
Si je comprends bien, il s'agit, la plupart du temps, d'un désaccord sur le provisionnement d'un risque ?
Exactement !
Absolument !
Notre vision peut être différente dans la mesure où l'avocat fiscaliste a indiqué au chef d'entreprise que le risque est de tant, alors que les experts qui travaillent dans nos cabinets ont une appréhension quelque peu différente. Le commissaire aux comptes peut être conduit sinon à refuser de certifier les comptes en cas d'écarts d'évaluation gigantesques, du moins à émettre des réserves dans son rapport.
L'administration fiscale a-t-elle collaboré avec vous pour édicter en l'espèce des normes ?
Non.
Il faut bien comprendre que nous sommes des commissaires aux comptes et non pas des experts-comptables de l'entreprise. L'expert-comptable est, lui, un conseil de l'entreprise. Il lui revient donc de conseiller le chef d'entreprise sur ces questions.
Certes, mais vous exercez les deux métiers. Vous pouvez même parfois être commissaire aux comptes dans une entreprise et expert-comptable dans une autre. Vous avez donc les connaissances d'un expert-comptable.
Il est exact que la plupart des commissaires aux comptes sont experts-comptables ; c'est d'ailleurs le même diplôme. Mais notre code de déontologie est extrêmement strict : on ne peut pas être à la fois expert-comptable et commissaire aux comptes dans la même entreprise.
Les deux métiers sont complètement différents : l'expert-comptable est là pour assister le chef d'entreprise, le conseiller pour régler une problématique fiscale tandis qu'il revient au commissaire aux comptes de dire si cette question a été correctement traitée. Cela signifie que nous avons une certaine connaissance du sujet dans la mesure où nous avons pu le pratiquer dans une autre entreprise.
Vous avez indiqué qu'un code éthique comprenant des normes et des principes guide votre action. Apparemment, il est plus sévère en France que dans les autres pays européens.
Effectivement.
Toutefois, sans mettre en doute l'intégrité et le sérieux du travail des commissaires aux comptes, reste inévitablement posée la question de l'indépendance de ces derniers dans la mesure où ils sont rémunérés par leurs clients.
Oui.
Cela crée de fait, une dépendance. Vous avez dit que vous étiez le plus indépendant possible ; cela laisse une marge, sur laquelle on peut s'interroger.
Nous avons eu il y a quelque temps connaissance d'un licenciement d'auditeurs, mais je ne sais plus où exactement. Pouvez-vous nous indiquer quelles mesures et quelles dispositions ont été prises pour parvenir à résoudre cette question de l'indépendance totale et absolue du commissaire aux comptes par rapport à l'entreprise qu'il audite ?
J'ai commis une erreur de langage en disant que nous étions indépendants le plus possible. La question ne se pose pas : nous sommes indépendants, et cette indépendance est d'ailleurs vérifiée au travers du contrôle qualité effectué par le Haut Conseil du commissariat aux comptes, qui est complètement indépendant de la profession dans la mesure où il est présidé par un haut magistrat.
Je tiens à mentionner que nous sommes nommés pour une durée de six ans. Même si nous sommes rémunérés par l'entreprise, notre mission nous est confiée par l'assemblée générale pour six années, et les honoraires sont, en général, définis dès le départ au moyen, la plupart du temps, d'un appel d'offres. Les choses sont donc absolument transparentes. Il existe, par ailleurs, de nombreuses mesures de nature à garantir cette indépendance.
J'évoquerai tout d'abord la rotation des signataires.
S'agissant des sociétés faisant appel public à l'épargne, ce ne sera pas le même associé signataire qui interviendra si le mandat est renouvelé. C'est un autre associé du cabinet, indépendant, qui assurera ce nouveau mandat, sauf à prendre le risque de subir éventuellement les foudres d'une sanction pénale, civile, réglementaire, voire disciplinaire.
En effet, même si nous n'aimons pas trop parler de cet aspect des choses, notre profession est très surveillée par le H3C et par les magistrats. Nous cumulons les risques car, en tant que signataires à titre personnel ou au nom d'une personne morale, nous avons à faire face à d'éventuelles poursuites pénales, civiles, en réparation, réglementaires pour ce qui concerne l'AMF s'il s'agit d'une société cotée, et disciplinaires. Nous sommes donc très encadrés.
Il est, par exemple, absolument interdit de certifier les comptes d'une entreprise dont le dirigeant serait un parent ou d'accepter un prêt d'une entreprise dont on est le commissaire aux comptes ; ce serait la meilleure façon d'être définitivement radié ! Je mets bien en exergue le fait que nous sommes l'une des professions libérales les plus réglementées et les plus contrôlées qui soient.
Au demeurant, il existe bien d'autres mesures encore. Ainsi, dans le cadre des comptes consolidés d'un groupe de sociétés, intervient - nous sommes quasiment le seul pays au monde où cela existe de façon obligatoire - le co-commissariat aux comptes : deux commissaires aux comptes signent le même rapport. Imaginez que l'un d'entre eux accepte tout à coup les faveurs d'une société, l'autre serait évidemment là pour l'en empêcher, voire, le cas échéant, émettre un rapport différent du sien ; la visibilité du problème serait alors flagrante.
Je ne vous dis pas que tout est parfait dans le meilleur des mondes, car il y a toujours des complications, mais, du fait de ces réglementations, notamment de la loi de sécurité financière que j'ai évoquée tout à l'heure, qui a été adoptée à la suite des scandales américains Enron ou WorldCom, dont vous vous souvenez certainement, notre profession est très encadrée et très surveillée.
De quels outils efficaces disposez-vous pour détecter les anomalies que vous avez énoncées tout à l'heure, concernant, par exemple, les prix de transfert ou le recours à des montages ou à des refuges fiscaux opaques ? Avez-vous alors accès à l'ensemble des documents de l'entreprise concernée ? Quels sont vos moyens d'investigation ?
Monsieur le rapporteur, vous posez de bonnes questions.
Tout dépend du contexte. S'il s'agit d'une entreprise française, avec des actionnaires français, les choses peuvent être assez simples. Bien sûr, le commissaire aux comptes a le droit d'obtenir toutes les informations qu'il demande ; dans le cas contraire, ce serait considéré comme un obstacle à sa mission, et il pourrait, à ce titre, dénoncer cette situation auprès du procureur de la République. S'il s'agit d'une société française, je dirai donc qu'il dispose de tous les moyens pour mener ses investigations. Il ne rencontre dans ces conditions pas beaucoup de problèmes, sauf s'il a affaire à des chefs d'entreprise qui veulent lui cacher des choses.
En dehors de son investigation personnelle, il peut aussi avoir recours à des spécialistes de son cabinet ou à des sous-traitants pour ce qui concerne les risques fiscaux ou les manipulations informatiques. Tout dépend de la taille du cabinet : les grands cabinets comptent évidemment des spécialistes de ces questions, qui peuvent contrôler les procédures informatiques ou les déclarations fiscales ; les plus petits cabinets, eux, peuvent parfaitement demander à un sous-traitant de les aider à traiter un point particulier.
La situation est plus complexe lorsqu'il s'agit d'une filiale d'un groupe étranger car la problématique du prix de transfert que vous avez évoquée n'est pas facile à examiner dans la mesure où elle est gérée au niveau du siège social. Le commissaire aux comptes français peut demander un certain nombre d'informations, mais il peut ne pas les obtenir et ne sera donc pas en mesure de savoir ce qui se passe au siège social situé à l'étranger.
Le problème est donc plus complexe lorsque nous auditons une filiale d'un groupe au sein duquel nous n'avons pas de liens directs. Il arrive même quelquefois que le conseil d'administration de la société française comprenne de nombreux membres de nationalité étrangère, qui ne sont pas domiciliés en France. Vous voyez toute la difficulté pour nous d'obtenir des informations !
Si le groupe est sérieux - et la plupart des groupes étrangers qui travaillent en France le sont ! -, l'auditeur de la société mère, qui a une vision globale du groupe et qui doit, eu égard aux normes de travail internationales, examiner la question des prix de transfert, demandera un certain nombre d'informations au commissaire aux comptes français pour qu'il puisse donner une opinion sur les comptes consolidés. Mais le commissaire aux comptes français peut, lui aussi, bien sûr demander un certain nombre d'informations à son confrère étranger qui contrôle le groupe.
Les choses sont plus faciles si le commissaire aux comptes français est membre du même réseau international. Vous le savez, pour auditer les groupes français, mais aussi les filiales de groupes étrangers, notre profession est de plus en plus organisée en réseau : même si chaque commissaire aux comptes est bien sûr indépendant localement, il fait partie d'un réseau international qui permet d'assurer une meilleure communication. Nous avons des méthodes de travail communes, avec des demandes et des retours d'informations.
Cela signifie-t-il que vous seriez favorable à la généralisation du reporting pays par pays ? Ce système, qui est dans l'air du temps, n'est-il pas de nature à répondre aux difficultés que vous rencontrez pour mener à bien votre action dans les grands groupes ?
Ce matin, cette question a été posée à un représentant d'une grande entreprise française, qui a estimé que cela allait trop loin et que c'était une hérésie. Qu'en pensez-vous ?
Il y a peut-être des problèmes de faisabilité, mais je ne suis pas spécialiste en la matière pour vous répondre. Les transactions d'un groupe sont de plus en plus imbriquées dans les différentes filiales de celui-ci. La situation fiscale du groupe est telle qu'il me paraît compliqué d'en venir à une vision pays par pays.
Il est évident qu'il serait intéressant pour le commissaire aux comptes français de pouvoir disposer, pour les transactions françaises, d'informations pertinentes sur l'impact des décisions fiscales à l'étranger. Mais, comme je vous l'ai dit, je crois plus au fait que l'auditeur de la maison mère communique mieux avec l'auditeur de ses filiales.
Concernant les signalements à TRACFIN ou au procureur de la République, avez-vous un bilan chiffré et qualitatif de l'application de ce dispositif dans le domaine plus spécifique de la fraude fiscale ?
Non. Pour les révélations des faits délictueux, nous n'avons que les chiffres globaux que je vous ai communiqués tout à l'heure ; je ne peux pas vous dire quels sont les faits liés à la fraude fiscale. Il en est de même pour TRACFIN. Je n'ai pour le moment que des informations globales.
Vous avez évoqué la responsabilité des commissaires aux comptes en cas de non-signalement d'une situation douteuse, « bizarre », pour reprendre votre terme. Mais, en cas de redressement fiscal d'une entreprise dont les comptes ont été certifiés par un commissaire, la responsabilité de celui-ci peut-elle être, de la même manière, engagée ?
Selon la jurisprudence, le commissaire aux comptes a une obligation de moyens et pas de résultat. Sa responsabilité pourrait être engagée si l'on pouvait prouver que ses diligences étaient insuffisantes et qu'il n'a pas fait le travail de qualité qu'il aurait dû faire et qui lui aurait permis de détecter le problème.
Comme je vous l'ai dit, nos contrôles sont effectués par sondages et nous donnons une opinion à partir d'un seuil de significativité. Tout dépend du niveau de la fraude fiscale. Si celle-ci était vraiment monumentale, et donc visible, les tribunaux pourraient, me semble-t-il, soulever la question de la responsabilité du commissaire aux comptes.
Certes, elle est parfois visible, mais on peut aussi imaginer qu'il y ait justement des territoires ou des dispositifs opaques ; je pense aux trusts ou aux prête-noms. Avez-vous déjà été confronté à de telles situations ? Si oui, comment procédez-vous pour mener vos investigations ?
Je n'ai pas été personnellement confronté à cette situation.
Si une société a cet objectif, elle se donnera en France - c'est parfaitement possible - une personnalité juridique qui ne prévoit pas la présence d'un commissaire aux comptes. Dès lors que vous savez que tel ou tel régime juridique entraîne la présence obligatoire d'un commissaire aux comptes qui va vous contrôler, pourquoi le choisir ?
Je pense à la plus grande banque française, voire européenne, qui dispose d'entités dans des paradis fiscaux. Comment peut-on, d'une part, accéder à toutes les informations et, d'autre part, certifier les comptes de cet établissement bancaire, qui, à l'évidence, dissimule certains actifs ?
Je ne peux pas vraiment répondre à votre question, car je ne connais pas le dossier que vous évoquez.
En règle générale, si un commissaire aux comptes d'un groupe français constate que certaines filiales sont situées dans des paradis fiscaux, il mène évidemment des investigations pour connaître la raison de cette implantation et l'objectif poursuivi par le groupe. Mais encore faut-il que ces filiales aient une importance significative. En effet, il peut y avoir dans certains paradis fiscaux de toutes petites filiales, qui ne sont pas dans le périmètre de consolidation, et sur lesquelles le commissaire aux comptes n'intervient pas forcément.
Y a-t-il des commissaires aux comptes aux Îles Vierges britanniques, par exemple ?
Il y a, localement, des auditeurs.
Ils sont soumis aux règles locales, que je ne connais pas exactement.
Je puis toutefois vous dire que les auditeurs locaux membres de réseaux internationaux ont l'obligation de respecter les normes d'audit international, les normes ISA que j'ai évoquées tout à l'heure dans mon propos liminaire.
Vous avez indiqué que vous meniez des investigations lorsque vous êtes confronté à des écritures comptables traduisant un montage juridique à haut risque qui peut aller, par ordre de graduation, de l'optimisation fiscale à peu près certaine sur le plan de la régularité juridique à l'acte anormal de gestion, à l'abus de droit, voire à la fraude.
Imaginons que vous n'arriviez pas à vous sortir de la tête l'impression qu'une opération est douteuse. Ouvrez-vous alors le parapluie, comme on dit ? En termes plus juridiques, faites-vous un signalement automatiquement ou invitez-vous l'entreprise à corriger son montage ?
Je veux préciser un point que j'ai omis de rappeler dans ma présentation : nous ne devons pas nous immiscer dans la gestion. La direction d'une société fait les montages qu'elle souhaite. Nous n'avons pas à dire si c'est bien ou mal.
En revanche, lorsque les montages sont quelque peu compliqués, il est de notre devoir, surtout si les montants sont significatifs, de regarder s'ils n'aboutissent pas à des risques fiscaux. C'est là une question de jugement professionnel.
Il revient au commissaire aux comptes d'estimer si un délit est constitué. Dans ce cas, il saisira le procureur de la République.
Concernant une opération particulière, il m'est difficile de vous répondre par l'affirmative ou par la négative sur la décision à prendre, car nous sommes toujours confrontés à un cas d'espèce. Le commissaire aux comptes émet un jugement professionnel en fonction d'une situation donnée. En général, il consulte soit ses associés, s'ils sont plusieurs dans le cabinet, soit le président de la compagnie régionale - cela m'est arrivé - pour déterminer s'il y a un vrai problème.
En général, les commissaires aux comptes sont des gens raisonnables : dès lors qu'ils ont vraiment un doute, la plupart du temps ils en discutent avec la Direction de l'entreprise et éventuellement appellent le procureur de la République pour lui exposer l'affaire. Celui-ci peut accepter, dans un premier temps, de donner un avis. Cela aboutira à un courrier, et donc à une procédure de dénonciation, en cas de problèmes importants avérés.
Les rapports des commissaires aux comptes sont déposés au greffe du tribunal de commerce.
Tout le monde peut y avoir accès ? Y compris l'administration, en usant de son droit de communication ?
Franchement, je réfléchis, mais je ne trouve pas d'exemple, je crains d'avoir à vous dire qu'elle ne le fait pas très souvent. Toutefois, elle peut le faire d'elle-même sans passer par le commissaire aux comptes. Il faudrait plutôt que vous posiez la question aux greffiers.
Il s'agit d'une excellente question, non pas parce qu'elle vous gêne ou que vous n'y répondez pas,...
Elle ne me gêne pas !
mais parce qu'il serait bon de savoir si l'administration fiscale va vraiment un peu plus loin.
Pour ma part, je reviendrai sur la question de l'homogénéisation des normes sur le territoire européen. Vous avez indiqué que vous rencontriez plus de difficultés dans certains pays que dans d'autres. Lesquels ? Existe-t-il un lien particulier avec la gestion supposée bonne ou mauvaise de ces pays ?
Par ailleurs, vous dites ne pas avoir connaissance du nombre de faits délictueux soumis au procureur de la République en matière de fraude fiscale ou à TRACFIN en matière de blanchiment de capitaux. Je suppose que vous ne connaissez pas non plus le montant que cela pourrait représenter.
Je n'en ai aucune idée !
Est-ce difficile de le savoir ? Nous essayons de trouver des pistes visant à améliorer l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale. Or je me rends compte que tout cela semble assez compliqué pour vous, soit parce que les moyens dont vous disposez pour agir sont insuffisants, soit parce que vous avez un objectif de moyens et non de résultat.
Est-ce que le fait d'aller vers un objectif de résultat serait une solution parmi d'autres de nature à garantir une meilleure efficacité ? Cela supposerait-il beaucoup plus de moyens pour les commissaires aux comptes ? Pardonnez le caractère quelque peu béotien de ma question, mais j'essaie de voir comment les commissaires aux comptes pourraient régler cette problématique de manière optimale.
L'homogénéisation européenne est un énorme chantier, qui est loin d'être achevé.
Je vous ai parlé d'homogénéisation non pas tellement par rapport à la lutte contre la fraude fiscale, mais plutôt par rapport au statut de l'auditeur ou du commissaire aux comptes, qui est très différent d'un pays à l'autre. Je l'ai dit, en France, les normes de travail sont homologuées par le garde des Sceaux, après avis du H3C. Nous sommes le seul pays européen où de nombreuses personnes extérieures à notre profession examinent notre manière de travailler. Ailleurs, c'est le commissaire aux comptes lui-même ou son institution qui définit ses normes de travail.
Pour ce qui est de l'indépendance du commissaire aux comptes, notre code de déontologie est beaucoup plus sévère que celui qui est en vigueur à Londres ou à Berlin par exemple. C'est d'ailleurs l'un des sujets de réflexion de la Commission européenne, qui a pour objectif de réformer notre profession en l'homogénéisant à partir de la situation française.
Je le répète, notre mission est non pas de rechercher la fraude fiscale, mais bel et bien de donner une opinion sur des comptes. Si les comptes que nous examinons sont entachés de risques fiscaux importants, cela nous intéresse bien évidemment et notre rapport en fait état, mais il peut tout aussi bien s'agir de risques environnementaux ou autres, qui nécessitent d'être provisionnés ou solutionnés. Eu égard au travail que nous faisons, nous évaluons la situation de l'entreprise pour savoir si ces risques sont réels. Dans l'affirmative, nous vérifions que l'entreprise a prévu les provisions suffisantes pour y faire face. Mais tant que le risque n'est pas vu, soupçonné ou avéré, nous n'avons pas à le prendre en compte.
Dans d'autres pays, les commissaires aux comptes ont-ils un rôle plus particulier par rapport à la fraude fiscale ?
Pas du tout ! Je ne l'ai peut-être pas assez dit.
Absolument ! La France est l'un des seuls pays au monde à avoir prévu une procédure de révélation au procureur de la République. D'ailleurs, dans les autres pays, le métier d'auditeur n'est pas le même que le nôtre : il s'agit en général d'un rôle contractuel et non pas légal.
Ainsi, dans la plupart des pays anglo-saxons, l'auditeur est nommé pour un an par le management, et non pas par l'assemblée générale. Il a une lettre de mission, qui est acceptée par l'entreprise, afin qu'il exprime une opinion sur les comptes. On n'est pas du tout dans le même contexte.
Enfin, lorsque vous constatez dans la trésorerie d'une entreprise de très importants mouvements de liquidités, qui n'ont rien à voir avec le fonctionnement normal de celle-ci, que faites-vous concrètement ? Quel est votre rôle ?
Tout d'abord, le commissaire aux comptes demande des explications au comptable, au directeur financier ou au directeur général, en fonction du régime juridique de l'entreprise, ainsi qu'à des tiers pour avoir confirmation et explication de ce qui s'est passé ; je pense notamment à la banque. S'il y a eu des transferts d'argent, le banquier en a eu a priori connaissance. Ensuite, on recherche des pièces justificatives pour comprendre la réalité de la transaction.
Dès lors qu'un commissaire aux comptes a identifié ce type de risque, il va, me semble-t-il, jusqu'au bout. Toutefois, il faut bien comprendre que, dans certaines grandes entreprises notamment, les transactions quotidiennes se comptent par milliers. Il est donc difficile de toutes les vérifier.
Je répondrai à votre dernière question en disant que, si nous avions une obligation de résultat, il nous faudrait, dans certaines entreprises, multiplier nos honoraires par dix ou par vingt. Je pense que c'est complètement irréaliste !
Le secteur bancaire a été particulièrement chahuté ces dernières années, notamment au plus fort de la crise financière. Des commissaires aux comptes avaient-ils été amenés à formuler des remarques ou des réserves sur l'activité de certains établissements en amont de ce que la crise a pu révéler ?
Oui, par le biais du rapport sur les comptes annuels du commissaire aux comptes remis à l'assemblée générale, dont nous avons beaucoup parlé. Mais les établissements financiers importants disposent de nombreux autres rapports, qui sont examinés avec la direction de l'entreprise et les comités d'audit. Ceux-ci font état des diligences effectuées par le commissaire aux comptes, des risques qu'il a vus, des problèmes qu'il a rencontrés, des solutions qu'il faudrait apporter, et mentionnent même des recommandations.
En effet, si le commissaire aux comptes ne peut pas donner de conseils, il peut faire des recommandations, en soulignant que telle problématique comptable devrait être traitée différemment.
Si vous demandiez à une banque tous les rapports émis par les commissaires aux comptes - et pas seulement celui sur les comptes annuels -, vous verriez qu'ils traitent beaucoup de choses. Je ne puis vous en parler précisément car je n'ai pas été confronté à ce problème dans mes dossiers, mais vous constateriez sûrement qu'ils pointaient des problèmes à traiter et mettaient en exergue des risques qui devraient peut-être apparaître un jour de façon plus visible. Mais on aborde là un sujet très passionnant, celui du rôle préventif du commissaire aux comptes.
Notre mission actuelle consiste à donner une opinion sur les comptes qui ont été arrêtés. En revanche, il serait intéressant - mais c'est un débat un peu plus général - de nous confier également un rôle un peu plus préventif, à l'instar de ce que nous faisons lorsque l'entreprise est en difficulté.
En effet, connaissant bien les rouages de l'entreprise en général et l'activité concernée, le commissaire aux comptes est à même d'avoir une opinion sur l'état des risques et l'éventualité que ceux-ci se réalisent. Le Livre vert de Michel Barnier - c'est d'actualité dans notre profession - a d'ailleurs pour origine la crise bancaire : qu'ont fait les auditeurs ? Avaient-ils repéré les problèmes ? Ne faudrait-il pas élargir leur mission ? C'est une question passionnante dont nous sommes prêts à discuter, mais je déborde là du sujet de votre commission.
Pas tout à fait ! De quelle façon pourrait-on élargir votre mission pour éviter que cette situation ne se reproduise à l'avenir ?
Pour le moment, il n'y a rien d'établi. Mais, dès lors que le commissaire aux comptes est un tiers indépendant ayant une vision sur les risques de l'entreprise, ne pourrait-il pas faire un rapport sur ces risques ? Les comptes de l'entreprise sont certes certifiés, mais celle-ci encourt un certain nombre de risques : des risques environnementaux, des risques liés à son activité, laquelle peut être difficile à mener ou en pleine évolution, des risques liés à son organisation interne ou à son système informatique, qui n'est peut-être pas efficient, ainsi que, bien sûr, des risques fiscaux, juridiques, contractuels, etc. Un chef d'entreprise est malheureusement « cerné » par des risques de tous ordres.
Dans les nombreux dossiers que vous avez traités, avez-vous constaté des délocalisations d'actifs immatériels dans des territoires à fiscalité privilégiée, comme les Bermudes ? Je pense notamment à la gestion des brevets.
Personnellement, non. Certes, nous voyons bien que des entreprises ferment une usine pour délocaliser, mais, comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, nous ne nous immisçons pas dans la gestion. Si elles le font, nous vérifions qu'elles respectent les lois et les règlements de la République française.
Concernant les prix de transfert, diriez-vous qu'ils sont correctement contrôlés dans les grandes entreprises ?
Au vu de mon expérience personnelle, notamment à l'égard de groupes français, je dirai oui, et de mieux en mieux.
En général, les groupes français se sont outillés de spécialistes, qui ont mis en place des procédures. Ils savent très bien qu'ils sont surveillés par l'administration fiscale : c'est un sujet assez systématique.
Que pensez-vous du projet de mettre en place en Europe une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés, l'ACCIS ? J'imagine que vous en avez entendu abondamment parler. Auriez-vous des propositions à formuler à ce sujet ?
Tout ce qui peut aboutir à plus de clarté au niveau européen me semble une bonne chose. Il s'agit là d'une très bonne question. Mais nous n'avons pas d'opinion précise sur la manière de procéder. Tout ce que je puis vous dire, c'est que cela va dans le bon sens, vers la clarification et la transparence.
Pas par les commissaires aux comptes.
Je poserai une question très simple : un commissaire aux comptes a-t-il les moyens de détecter une fraude fiscale dans la mesure où il vérifie la sincérité des comptes de l'entreprise ? Par ailleurs, a-t-il les moyens d'analyser, à l'intérieur de l'entreprise, des faits qui auraient pu - j'emploie le conditionnel à dessein - être délictueux ?
Je l'ai dit, le commissaire aux comptes a une mission de vérification des comptes. Lorsqu'il voit des montages ou des opérations financières, il doit se poser la question de l'impact fiscal dans la mesure où il audite le résultat net après fiscalité. Bien sûr, je ne vous dirai pas qu'il a les moyens de tout voir et de tout vérifier puisqu'il a une obligation de moyens et non de résultat. Mais si vous voulez parler de ses compétences, il a, par essence, des compétences fiscales et, comme je l'ai déjà dit, s'il s'agit d'un point extrêmement complexe, il peut faire appel à des spécialistes de son cabinet ou à l'extérieur.
Dans son Livre vert, M. Barnier fait des propositions en matière d'harmonisation européenne, mais, en réalité, il va falloir convaincre nos partenaires. Si l'harmonisation se fait a minima, cela peut se retourner contre votre profession...
Vous avez indiqué que la France est l'un des seuls pays où il existe, en fonction du chiffre d'affaires de l'entreprise, un co-commissariat aux comptes.
Oui, pour les comptes consolidés des groupes.
Une harmonisation européenne pourrait être de nature à nous faire revenir en arrière, avec un seul commissaire aux comptes.
Vous avez raison, monsieur le président, et c'est pourquoi nous sommes extrêmement vigilants.
Même si la France est le pays le plus intransigeant en matière de normes et de contrôles, elle n'a pas encore convaincu ses partenaires de l'efficacité de son système.
Vous avez parfaitement raison, monsieur le président. Nous sommes très attentifs à ce que l'homogénéisation ne se fasse pas par le bas, en supprimant, au niveau européen, des règles que la France applique déjà.
Pour ce qui est du co-commissariat aux comptes ou, pour utiliser le terme international, du joint audit, la Commission européenne a heureusement prévu cette possibilité en option. Cela reste donc possible en France.
A priori, nous conserverons nos règles spécifiques. Toutefois, si je vous ai bien compris, vous pensez qu'il serait souhaitable, au regard de la compétitivité à laquelle sont confrontées nos entreprises, tout au moins pour ce qui concerne nos grands voisins, que cette harmonisation s'inspire de notre système. Mais encore faut-il convaincre de l'efficacité de celui-ci.
C'est parfaitement vrai.
Par ailleurs, je voudrais que vous nous parliez de l'ambiance actuelle, parce que c'est ce qui nous intéresse, nous, membres de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux. Avez-vous le sentiment que l'évasion fiscale, l'optimisation fiscale, voire la fraude ont été, ces dernières années, au coeur des préoccupations des dirigeants d'entreprises françaises ou pensez-vous, au contraire, qu'ils ne subissent pas de pression en la matière et ne s'interrogent pas sur la stratégie fiscale qu'ils doivent avoir ?
Est-ce un sentiment qui se développe tout simplement parce que les entreprises, même de taille moyenne, sont de mieux en mieux informées sur la question de la concurrence fiscale en raison de la pression de plus en plus forte qui pèse sur elles ? Ou pensez-vous, au contraire, que cette problématique a toujours existé ? Certaines entreprises ont toujours eu tendance à franchir la ligne jaune, mais ce n'est pas le plus grand nombre.
J'ai le sentiment que l'optimisation fiscale a été une préoccupation permanente des entreprises et qu'elle le demeure. Je n'ai pas de raison de penser qu'il s'agit actuellement d'une préoccupation plus particulière.
Oui. Je pense que beaucoup d'entreprises ont réfléchi à cette problématique depuis longtemps et l'ont mise en place. Cette préoccupation n'est pas plus prononcée aujourd'hui.
Je vous poserai encore deux petites questions.
Le CPO, le Conseil des prélèvements obligatoires, avait rendu un rapport il y a quelques années mettant en évidence le fait que les grands groupes du CAC 40 paient un impôt sur les sociétés à hauteur de 8 %, contre 33 % pour les autres. Ce débat est récurrent, mais il est, à mon avis, très légitime. Quelle approche avez-vous de cette situation ?
L'auditeur vérifie la charge d'impôt globale du groupe, s'assure que le calcul est correct et que le groupe a respecté la réglementation française.
Dans quel pays l'IASB, l'organisme qui définit les normes comptables, a-t-il son siège ?
Il est à New York.
C'est plus compliqué que cela. L'IASB définit certes les normes comptables internationales, mais il est très influencé par l'Europe dans la mesure où l'Union européenne a été la première à demander que ces normes s'imposent.
La problématique actuelle est la suivante. L'autre série de normes mondialement reconnues, ce sont les normes américaines. Pendant plusieurs années, on a cherché à rapprocher les deux types de normes pour qu'il n'y ait plus que des normes admises au niveau mondial. Or on constate aujourd'hui qu'il s'agit plutôt d'un échec, car les Américains continuent de suivre leurs normes particulières, tout en étant membres de l'IASB et en y ayant une grande influence. Cela aboutit évidemment à des discussions assez âpres.
Au demeurant, c'est Michel Prada qui a été nommé président des trustees de la Fondation IFRS, dont fait partie l'IASB. On voit bien que l'influence européenne est assez forte par rapport au passé.
Toutefois, vous avez raison, dès lors que des normes internationales sont élaborées, elles s'appliquent forcément aux grands groupes, notamment aux grands groupes français, et peuvent donc avoir un impact très important sur l'image fidèle des comptes de ces entreprises.
Pour aller dans le même sens que M. le rapporteur, je vous demanderai s'il existe une vraie disparité en matière de fiscalité entre les très grandes entreprises et les PME ? En tant que praticien, quel est votre avis sur ce point ? Cette question revient régulièrement au cours des auditions. Y a-t-il une vraie différence entre une grande entreprise internationale et une PME régionale ? C'est la question que posait en réalité M. le rapporteur.
Il est facile de dire que votre mission ne consiste qu'à vérifier que l'entreprise a acquitté ses impôts. Je comprends bien que ce soit la loi. Mais, au regard de la fiscalité, avez-vous le sentiment qu'une entreprise régionale, une PME, a les mêmes chances d'évolution qu'un grand groupe ?
J'estime que tout le monde a la même chance. Certes, les armes dont disposent les entreprises ne sont pas forcément les mêmes, mais la taille de celles-ci diffère aussi.
Contrairement à un grand groupe international, un dirigeant d'une PME n'a évidemment pas les moyens de compter dans ses effectifs des fiscalistes. Il fera alors appel à un expert-comptable, lequel lui donnera a priori de bons conseils...
pour optimiser ce qui peut l'être dans le cadre de la loi. On ne peut pas dire que les uns soient plus avantagés que les autres, car les problématiques à traiter sont forcément différentes du fait de la taille de l'entreprise - elles sont moins complexes pour une PME - et du volume des transactions.
Je vous remercie, monsieur Nicolas, de votre exposé complet, qui, je l'espère, a éclairé les membres de notre commission.