Commission d'enquête sur la lutte contre le dopage

Réunion du 10 avril 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et tiens à vous féliciter, à titre personnel, pour la distinction que vous avez récemment obtenue.

Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christian Prudhomme prête serment.

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Je suis directeur du cyclisme chez Amaury Sport Organisation (ASO) depuis le 1er février 2007. De janvier 2004 à janvier 2007, j'étais adjoint et successeur potentiel de Jean-Marie Leblanc, après une carrière de journalisme professionnel. Le journalisme est et demeurera le métier de ma vie. Le directeur du Tour a quasiment toujours été un journaliste : un jour, mon nom est sorti du chapeau et j'ai dit oui à Patrice Clerc et Jean-Marie Leblanc qui me proposaient cette fonction, avec l'assentiment de Philippe Amaury.

Mes dix-huit années de journalisme se sont déroulées à la radio et à la télévision essentiellement. Je suis devenu finalement, au sein de France Télévisions, rédacteur en chef des sports. En tant que journaliste, j'ai couvert cinq Tours de France, deux pour Europe 1 en 1995 et 1996, et trois pour France Télévisions de 2001 à 2003.

Les sociétés organisatrices de compétitions cyclistes sont atypiques dans le monde du sport, puisqu'elles ont souvent été l'émanation de journaux sportifs. Le Tour de France a été créé par le journal L'Auto, celui d'Italie par la Gazzetta... Le Tour des Flandres, le Paris-Nice et d'autres courses doivent également leur existence à des journaux.

Les fédérations nationales et internationales détiennent le pouvoir réglementaire et sont maîtres du calendrier. Dans le cyclisme, les seuls événements directement organisés par les fédérations sont le championnat de France, au plan national, et les championnats du monde, organisés par l'UCI. Il est vrai que l'on n'imaginerait pas une coupe du monde de football qui ne soit pas organisée par la Fifa ! Les fédérations internationales édictent les règles, contrôlent et sanctionnent le dopage. Le rôle de l'organisateur est de financer et de mettre en place la logistique nécessaire au contrôle, mais sa première tâche est d'établir le parcours, garantir la sécurité et la logistique des épreuves.

Le cyclisme n'est qu'une discipline parmi d'autres au sein d'Amaury Sport Organisation. Nous gérons 100 jours de compétition cycliste par an, du Tour du Qatar féminin en février au Paris-Tours en octobre. Tantôt nous sommes propriétaires des épreuves, tantôt prestataires de services, comme pour le Tour du Qatar ou le Tour d'Oman. En France, nous organisons le Paris-Nice, le critérium international, le Paris-Roubaix, le Tour de Picardie, le critérium du Dauphiné, le Tour de France, ainsi qu'une nouvelle course, la World sports classic, entre Rotterdam et Anvers, et une course en Norvège qui verra sa première édition au mois d'août, la Vuelta. Nous sommes prestataires de services pour le Tour de Pékin. Notre rôle est plus ou moins important selon les courses : parfois, il s'agit juste d'installer les lignes d'arrivée et de départ. Pour le Tour de France, établir le parcours d'une édition, « livrer une course » dans notre jargon, nécessite trois ans de travail, en permanence au contact des élus et des collectivités.

Notre rôle d'organisateur nous conduit à prendre en charge les personnes chargées du contrôle du dopage : deux équipes de trois médecins préleveurs sur le Tour de France et les commissaires de l'UCI, qui viennent voir si tout se passe bien...

Nous n'avons aucun lien direct avec les coureurs, nos partenaires sont les équipes. Le Tour de France figure dans le classement mondial, le World Tour. Cela signifie que certaines équipes sont qualifiées d'office pour les épreuves. Au total, dix-huit équipes sont sélectionnées par la fédération internationale. Il reste quatre équipes à sélectionner pour l'organisateur, et même trois seulement cette année, l'UCI n'ayant pas réussi à évincer l'équipe russe Katoucha comme elle le voulait initialement.

L'organisateur ne s'en intéresse pas moins au dopage, qui est le problème numéro un du sport de haut niveau. En 2007, lorsque je suis devenu directeur du Tour de France, l'Oclaesp a été présente sur le Tour pour la première fois. Le général qui dirigeait la gendarmerie française m'avait alerté à l'automne 2006 : « il faut protéger le Tour ». Concrètement, six personnes de l'Oclaesp suivent le Tour pendant trois semaines et une dizaine sont mobiles, se déplaçant avec les équipes.

L'année 2008 a été particulière, à cause de la bagarre avec l'UCI. Grâce au soutien du président de la FFC, Jean Pitallier, le Tour de France est sorti du canevas international, s'est placé sous l'égide de la FFC, l'AFLD étant chargée des contrôles. Une réussite formidable, pour certains. D'un point de vue de l'efficacité de la lutte, cela ne fait pas de doute. Mais sur le plan médiatique, c'était autre chose ! À chaque fois qu'un coureur était pris sur le fait, les commentateurs n'y voyaient pas une victoire des organisateurs du Tour dans la lutte contre le dopage, ils nous administraient un coup de bâton !

En 2008, le groupe a pris la décision de mettre fin à la guerre. Les amoureux du vélo me disaient : « vous êtes fous dans le cyclisme, non seulement vous avez le dopage, mais en plus, vous vous tapez dessus ! » La paix a été scellée. Puis est arrivé le passeport sanguin : sans être la panacée, il a fait avancer les choses, au point que l'athlétisme et le ski de fond l'ont adopté, et la fédération française de tennis tout récemment. C'est un outil essentiel pour cibler et sanctionner. Quelques cyclistes ont été ainsi écartés, pas forcément les meilleurs, soit dit en passant.

En mars 2009, nous avons gagné devant le tribunal des affaires de sécurité sociale : nous ne voulions de l'équipe Saunier Duval au départ du Tour de France. Nous avons en revanche perdu devant le tribunal de grande instance de Nanterre dans l'affaire Tom Boonen, ce cycliste sanctionné pour avoir fumé un joint. Deux ans plus tôt, nous avions perdu en justice face à l'équipe Astana.

Lors de la présentation du Tour en octobre 2012, j'ai insisté sur le rôle clé des managers d'équipe. Certains sont formidables, mais s'agissant d'autres, je dirais que le poisson pourrit par la tête... On parle de changement de génération : mais le problème, ce n'est pas le coureur ! Tant que les managers et les médecins ne seront pas poursuivis, rien n'avancera. C'est pourquoi j'ai parlé du Mouvement pour un cyclisme crédible, dont les membres appliquent des règles plus strictes que celles du code mondial antidopage. J'ai aussi annoncé que nous n'inviterions à nos courses que des équipes membres du mouvement...

Nous souhaitons qu'un organisme véritablement indépendant gère l'antidopage, avec à sa tête des personnalités qui n'ont rien à voir avec le cyclisme. En outre, la règle doit être identique dans tous les pays et pour tous les cyclistes. Toutes les initiatives sont vouées à l'échec si un pays agit seul. Les coureurs français du mouvement pour un cyclisme crédible sont soumis à certaines obligations. Les étrangers d'autres équipes, comme les Néerlandais d'Argos, s'y soumettent parce qu'ils l'ont choisi. Aux autres, il est impossible de leur reprocher : ils respectent le code mondial.

L'Oclaesp, les gendarmes, la police et les douanes ont un rôle essentiel. Mais des progrès notables sont intervenus ces dernières années : ils ne sont plus les seuls à débusquer les tricheurs, le pouvoir sportif lui aussi identifie des coupables. Enfin, nous n'arriverons à rien sans l'aide des laboratoires. Nous avons besoin de gens qui détectent les nouveaux produits.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Vous êtes face à des passionnés de sport et des amoureux du Tour de France qui considèrent cette épreuve comme un élément du patrimoine national. Le cyclisme doit faire l'objet d'un traitement équitable, par rapport aux autres disciplines : ni bouc émissaire, ni laxisme... C'est parce que nous aimons cette course que nous sommes exigeants, surtout en tant qu'élus locaux qui recevons chez nous des étapes du Tour. Y a-t-il comme l'affirmait dès le XIXe siècle, en 1894, Henri Desgrange, un lien particulier entre la culture du dopage et le cyclisme ?

D'après un ancien ministre des sports que nous avons entendu, les organisateurs sont forcément au courant des pratiques des équipes. Pouvez-vous affirmer, sous serment, que vous n'avez jamais reçu d'éléments sérieux sur l'usage de produits dopants par certains sportifs ou par certaines équipes ? Si vous en avez reçu, les avez-vous immédiatement transmis aux autorités françaises ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Je n'en ai jamais reçu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Vous êtes proche de Patrice Clerc concernant les orientations sur le dopage. Y a-t-il eu un infléchissement de la stratégie ces dernières années en matière de lutte contre le dopage ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Durant l'été 2008, le groupe a décidé de mettre fin à quatre ans de guerre avec les instances internationales, dans l'intérêt du cyclisme, et de revenir dans le giron du sport mondial. La fédération française avait été sanctionnée, des menaces pesaient sur nos athlètes pour la participation aux championnats du monde et même pour les Jeux olympiques. Nous risquions de mettre en péril toute la discipline.

Je ne participais pas aux discussions, mais l'UCI a alors mis en place le passeport biologique, qui est entré en vigueur après le Tour 2008. Une fédération montrait qu'elle pouvait s'engager dans la lutte contre le dopage, alors qu'auparavant, elle n'avait pas fait ce qu'il fallait...

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Il y a un problème de crédibilité des résultats du Tour de France. À en croire les contrôles, le dopage est en recul, mais les performances sont les mêmes, voire supérieures. Le 15e d'une étape du Tour monte le dernier col aussi vite que le vainqueur d'il y a dix ans : il y a de quoi s'interroger...

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Un seul coureur a fait le Tour à une moyenne de plus de 42 kilomètres par heure, il s'agit de Lance Armstrong. Méfions-nous des moyennes générales : une étape de plaine très rapide ou très lente ne signifie pas grand-chose et pourtant elle influe sur la moyenne générale. Je n'ai pas du tout les mêmes chiffres que vous sur les montées : Pierre Rolland a gagné la montée de l'Alpe d'Huez en 2011, mais il aurait été dans les choux les années précédentes avec le 24e temps de la montée en 42.10, soit quatre minutes de retard sur le temps de Marco Pantani quelques années plus tôt ; Amstrong, lui, a gagné en 2001 en 38.01. Landis a gagné l'étape de Morzine en 2006 à 36 de moyenne, Rolland celle de La Toussuire à 31.5. Il y a moins de progrès dans le cyclisme depuis une dizaine d'années que dans d'autres sports. L'équivalent du record du 100 mètres n'a pas été battu dans le Tour de France...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

À la différence des autres sports, les grandes épreuves de cyclisme passent par un organisateur qui n'est pas la fédération ; les plus prestigieuses le sont par ASO. Cette configuration particulière n'attire-t-elle pas l'attention sur le cyclisme, qui n'est pas plus concerné que d'autres sports par le dopage ? L'organisateur est-il un frein ou un accélérateur de la lutte antidopage ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Même si, compte tenu de nos ennuis, personne ne le souhaite, je pense que tout le sport gagnerait à être organisé de cette façon. Nous ne faisons pas les règles, nous n'établissons pas le nombre de contrôles : nous ne sommes pas juge et partie. Je ne dis pas que le cyclisme n'a jamais triché : il a commencé avant les autres et est allé plus loin. Mais les choses ont changé. Ce qui fait défaut, c'est une lutte internationale. Après l'affaire Festina en 1998, seule la France a agi. Il a fallu attendre huit ans après l'affaire Festina pour que l'affaire Puerto éclate en 2006 et que Jan Ullrich descende de son piédestal de héros en Allemagne ! Festina, ce n'était pas leur problème... Le monde du vélo a commis l'erreur terrible de dire que seul Festina trichait, alors que la gangrène était partout. Chacun pense que son pays et sa discipline sont épargnés... « Le cannabis ne sert à rien ! », entendons-nous. « Tout est adapté à tout », vous disait avec pertinence Jean-Pierre de Mondenard. Quelle que soit la discipline, il existe quelque chose pour vous rendre plus performant.

Le Tour de France est un géant, en particulier médiatique. Sur ma feuille de paye, je ne suis pas directeur général du Tour de France, mais directeur du cyclisme chez ASO ! Mettre du général partout, voilà qui est médiatique. Je ne taperai pas sur les medias - le journalisme est le métier de ma vie -, mais il faut se méfier des approximations. M. Bordry vous parlait l'autre jour de la course Cholet-Angers comptant pour le championnat de France : il s'agit de la course Cholet-Pays de Loire comptant pour la coupe de France ; le Tour de l'Aube est le Tour de l'Aude... Il faut être plus précis.

Dans l'idéal, nous devrions être à l'abri des rumeurs, ne pas lire les journaux. Que cette strate supplémentaire existe est plutôt une garantie pour le sport.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Bailly

Le passeport biologique est une avancée. L'équipe La Française de jeux utilise le profil de puissance record (PPR). D'après son entraîneur, Frédéric Grappe, « le PPR n'est pas une arme fatale contre le dopage, c'est une arme fatale pour le suivi du coureur... ça évite qu'un jour le manager d'une équipe dise je ne savais pas ». Bien sûr, un sportif peut progresser, bien sûr, les limites physiques peuvent être repoussées, mais on ne passe pas de 1 à 1 000.

Peut-on généraliser ce process et le faire labelliser par l'UCI ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Je suis plutôt favorable au PPR, sous réserve que le système soit exactement le même d'une équipe à l'autre et que les machines soient étalonnées tous les jours. Mais est-il bien scientifique d'établir la puissance d'un cycliste à partir des courses à la télévision ? Frédéric Grappe fait un travail important, mais on ne peut progresser seul dans la lutte contre le dopage.

Ce qui me paraît essentiel, c'est l'aspect santé. Il n'est pas possible d'être au départ du Tour avec une prothèse de hanche, comme Floyd Landis en 2006, même avec un certificat médical... Nous ne disons pas qu'il triche, mais qu'il est impossible de faire le Tour de France dans ces conditions. Or, nous ne pourrions imposer ceci qu'aux Français. Cela a-t-il un sens, s'agissant de la première course cycliste mondiale ? Nous n'avons pas réussi à avancer sur ce sujet : la médecine de santé, ce n'est pas possible...

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Vous avez rappelé le rôle de l'organisateur. Qui doit garantir le principe d'équité sportive auprès du public ? Avez-vous une responsabilité ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Nous avons bien sûr une responsabilité. J'ai devant moi un bouton : si j'appuie dessus, vous ne m'entendrez plus. L'organisateur ne peut appuyer sur le bouton : il n'y a pas accès. Nous n'avons pas la délégation ! Et je pense que nous ne devons pas l'avoir, même si nous sommes médiatiquement responsables.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Ne sont-ce pas là les limites du système ? Vous êtes à la merci d'une action de groupe de spectateurs floués qui vous demanderont des comptes sur un Tour qu'ils ont suivi et qui sera annulé quelques mois plus tard... L'organisateur n'a pas les moyens de garantir au spectateur que l'équité sportive est respectée.

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Il faudrait pour cela une autre organisation mondiale du sport, avec un organisme totalement indépendant dans toutes les disciplines et dans tous les pays pour lutter contre le dopage.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Savin

Vos propos confirment ce que nous avons déjà entendu sur la difficulté à gérer les membres de l'entourage et en particulier les managers. Qui peut prendre des sanctions contre eux ? Est-ce l'organiseur, la fédération française, la fédération internationale...? Le cyclisme amateur est aussi très touché ; des éducateurs ou pire, les familles de certains jeunes, ferment les yeux voire encouragent la prise de produits dopants. Un travail a-t-il été engagé sur ces sujets ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Il y a dans le cyclisme une culture du dopage. Quelqu'un qui avait trop bu m'a interpelé un jour en me disant « Vous n'y arriverez jamais » et cela m'a marqué.

J'applaudis la décision de l'UCI d'interdire à un coureur suspendu pendant plus de six mois de devenir manager, celle-ci ne s'appliquant toutefois qu'à compter de 2011. Une année, nous n'avons pas accrédité Bjarne Riis comme manager sur le Tour de France. Mais lorsqu'il a décidé, comme par hasard, de prendre une chambre d'hôtel sur la course et de s'y rendre avec son ordinateur et son téléphone portable, que pouvait-on faire de plus ? La solution passe par l'arrivée d'une nouvelle génération de managers. Il en existe déjà qui se battent au quotidien contre le dopage et qui sont aujourd'hui terriblement frustrés. Lors des championnats du monde à Hamilton en 2003, j'ai entendu Alain Bondue, ancien manager de l'équipe Cofidis passé ensuite par la prison, me dire lors d'un petit déjeuner que Moncoutié n'avait rien compris. Oui, il faut se battre pour des coureurs comme David Moncoutié, dont on a volé la carrière.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Vous nous avez dit que Landis n'aurait pas dû prendre le départ du Tour. Je m'interroge sur l'autorisation d'utiliser certains produits à des fins thérapeutiques... Lorsque l'on voit que 80 % des athlètes des Jeux olympiques sont asthmatiques, tout le monde a envie de l'être !

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Je suis tout à fait d'accord avec vous. Comme Jean-Pierre Verdy l'a indiqué devant vous, en France, les autorisations d'usages à des fins thérapeutiques (AUT) sont soumises à trois experts. Il faudrait qu'il en soit partout de même, ce qui ne signifie pas pour autant que nous soyons des parangons de vertu.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Vos propos illustrent la très grande complexité de la lutte contre le dopage. La situation est-elle la même pour les classiques d'une journée ? Quelle est l'ampleur du phénomène chez les amateurs ou parmi les jeunes de nos écoles de cyclisme ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

L'éducation est un sujet capital. N'étant pas président de la fédération française de cyclisme, je ne peux toutefois vous répondre à propos des amateurs et des jeunes même si je vois les mêmes choses que vous. Alors que la fédération internationale recommande de procéder à trois contrôles lors de classiques, nous en effectuons six sur le Paris-Roubaix. De même, sur le Tour où nous devrions en effectuer une centaine - soit quatre contrôles par jour -, nous en faisons plus de 550 grâce au travail de l'AFLD et nous avons obtenu que ce niveau soit maintenu. De surcroît, les contrôles sanguins sont désormais plus nombreux que les contrôles urinaires. Aujourd'hui, c'est le ciblage qui est essentiel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Depuis 2003, les observateurs de l'Ama ne sont venus sur le Tour qu'une seule fois, en 2010. Ne serait-il pas utile de les associer davantage ? Avez-vous véritablement suivi les recommandations émises par l'agence ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Les observateurs de l'Ama sont venus en 2003 et en 2010. Je rêve, conformément au projet initial, d'une Ama qui ait des bras. Je rêve d'une agence qui fasse les choses sur le terrain mais ce n'est pas le cas. Parmi ses recommandations, il y a eu le fait de placer les véhicules de contrôle plus près de la ligne d'arrivée et surtout l'instauration des chaperons, actuellement au nombre de huit. Le rapport de l'Ama intervient toujours après coup ; pourtant si l'on sait quelque chose dès la deuxième étape, ne vaut-il pas mieux agir immédiatement plutôt que d'attendre la fin du Tour ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

L'Ama a mis en cause le caractère trop prévisible des contrôles, passés de quatre à six par jour à la demande de l'UCI. Participez-vous aux choix en la matière ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Non, ce que nous souhaitons c'est rester au même niveau. Nous avons financé 548 contrôles en 2008, 555 en 2009, 634 en 2010 ou encore 566 en 2012. Une réunion a lieu chaque année à l'AFLD avec l'UCI et nous-mêmes pour définir le nombre de personnes présentes ; à nous d'organiser ensuite la prise en charge des équipes de médecins et de deux fois trois agents de contrôle.

Depuis mon arrivée, je n'ai de cesse d'insister sur l'importance de contrôles effectués avant la compétition, entre fin avril et juin, période où les coureurs se préparent. Prenons-les au moment où ils trichent car après le départ du Tour, c'est trop tard. Il est arrivé que l'on demande et que l'on finance des contrôles dont seul le dixième a été effectué...

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Jeannerot

Jacques Lozach, rapporteur. - L'Ama considère que l'attachement malsain aux coureurs de beaucoup de personnes, y compris celles chargées de la lutte antidopage, est une entrave à leur mission. L'UCI fait-elle tout pour que les contrôleurs-préleveurs agissent de façon indépendante ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Quelle que soit notre fonction et que l'on soit sur le Tour depuis longtemps ou depuis peu, les champions fascinent et fascineront toujours. J'ai vu des médecins les prendre en photos. Doit-on considérer que c'est mal ?

Pour le reste, je ne vois de solution que dans la création d'un organe totalement indépendant chargé de la lutte antidopage pour tous les sports et dans tous les pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Je me suis laissé dire que vous auriez recours à des enquêteurs privés. Est-ce le cas et si oui, ceux-ci collaborent-ils avec la police et avec l'administration des douanes ? Après l'affaire Festina, les douanes auraient reçu pour instructions de limiter leurs interventions sur le Tour de France ; est-ce plausible ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Je ne suis que le directeur cyclisme d'ASO, entreprise de 220 salariés ; je n'ai pas la main sur les douanes ! Contrairement à ce qui vous a été dit, celles-ci sont intervenues sur le Tour en 2008 ; la voiture de Johnny Schleck, le père de Franck et d'Andy, a été fouillée mais sans rien trouver.

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Il n'est pas une réunion d'avant course ou je ne martèle aux responsables des équipes mon sermon du Père Fouettard. Je n'aimerais pas le Tour si je ne le faisais pas.

On me parle d'expéditions nocturnes en voiture. Il y a quelques jours, on m'interrogeait sur l'emploi d'hélicoptères ; bientôt ce sera des sous-marins !

Il est vrai que lors d'une réunion - me semble-t-il en 2010 - j'ai évoqué la poursuite à une heure du matin d'une voiture de l'équipe Astana par l'Oclaesp. Tout le reste, n'est que rumeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Bailly

Lors de nos auditions, il a été fait état des difficultés pour les préleveurs d'accéder aux coureurs. Comment améliorer cette situation ? Un retard de dix minutes peut altérer la qualité d'un contrôle... Ne devrait-il pas s'agir d'un point dur de vos discussions avec les équipes ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Attention, l'ère Amstrong est révolue, les choses ont bien changé notamment grâce à l'instauration du passeport. L'UCI pourrait toujours ajouter quelques contrôles mais il y en a déjà beaucoup. Ce qui importe désormais c'est d'effectuer des contrôles en mai et en juin, pendant les stages.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Savin

Un manager peut-il ignorer que l'un de ses coureurs se dope ? Si tel n'est pas le cas, est-il possible de les sanctionner ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Il peut l'ignorer une fois mais pas dans la durée. Comme l'équipe Cofidis, le mouvement « pour un cyclisme crédible » (MPCC) a mis en place un système d'auto-sanction de l'équipe qui l'empêche de prendre le départ pendant une durée plus ou moins longue selon la durée de suspension de l'un ses coureurs. Cela pénalise tout le monde, y compris le sponsor. Rendre ce dispositif obligatoire changerait beaucoup de choses.

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Non, la moitié des équipes du Tour ont opté pour ce système ainsi que la totalité des équipes de deuxième division notamment parce qu'elles y voient un moyen d'être admises à nos compétitions. On nous dit que des raisons juridiques empêchent de rendre obligatoire ce dispositif actuellement fondé sur le volontariat.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

À combien s'élève chaque année votre contribution financière aux contrôles, pour laquelle l'Ama vous félicite ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Au total, environ 700 000 euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Si les produits utilisés par Armstrong n'avaient rien de révolutionnaires, il semble en revanche qu'il ait bénéficié de protections et de complicité. Il avait droit à une protection rapprochée et à des hélicoptères qui l'attendaient à l'arrivée. Comment cela se justifie-t-il, ne serait-ce qu'au regard de l'équité sportive ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Les hélicoptères sont réservés aux coureurs retenus après la course par des obligations protocolaires - les podiums - ou par les contrôles antidopage ; faute de quoi, pour redescendre d'une arrivée en montagne il leur faudrait plus de quatre heures. Ayant gagné - ou volé - sept fois le Tour et de nombreuses étapes, il est évident qu'Armstrong y a eu souvent recours. Il ne s'agit de rien de plus que l'application de cette règle à laquelle je n'ai dérogé qu'une seule fois, lors du dernier Tour, en décidant d'évacuer par hélicoptère les vingt premiers du classement général avant l'étape contre la montre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Vous n'avez pas eu connaissance des difficultés des préleveurs pour accéder à Armstrong ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

En 2009, M. Bordry nous avait indiqué que les choses s'étaient mal passées en Andorre. En revanche, je n'avais pas eu connaissance du fait qu'au Mont Ventoux, la même année, les contrôleurs et les inspecteurs de l'UCI se seraient accordés pour ne pas contrôler Armstrong au motif qu'il l'avait déjà été la veille et que son hôtel était à 70 kilomètres du départ de l'étape suivante, distance que j'ai tout de même vérifiée entre temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Outre le maintien des contrôles pendant les épreuves, vous plaidez pour leur renforcement au cours des stages de préparation. En y ajoutant la condamnation des AUT et le développement des contrôles inopinés, je suis convaincu que nous parviendrons à rendre les contrôles plus efficaces.

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Il est aussi important de renforcer le ciblage des contrôles effectués durant les épreuves, de développer la dissuasion et de communiquer à l'AFLD la localisation des champions. Créer un système à deux vitesses qui distinguerait les Français des autres n'aurait pas de sens.

Quant à la médecine de santé, elle devrait constituer un argument non pas pour dire aux coureurs qu'ils sont des tricheurs mais que vu leur état de santé, ils ne peuvent être admis à prendre le départ du Tour.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

La lutte contre le dopage repose essentiellement sur le contrôle, mais d'autres moyens d'investigations sont-ils nécessaires ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Oui car pendant longtemps, les affaires ne sortaient que grâce à l'action de la police, de la gendarmerie et des douanes. De même, si l'Usada (agence antidopage américaine) ne s'acharne pas, rien ne se passe.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Au-delà des sanctions sportives ne faudrait-il pas envisager aussi des sanctions pénales ? En contrepartie de la tricherie, le coureur a obtenu la gloire et parfois l'argent.

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Je pense qu'il faut s'en tenir aux sanctions sportives mais en les augmentant, par exemple en passant de deux ans à quatre ans d'interdiction pour les produits lourds comme l'EPO et en revenant sur leur effet rétroactif. La condamnation rétroactive de Contador à deux ans de suspension a pris dix-huit mois : lorsqu'elle est intervenue, il n'était donc plus interdit que pour six mois et entre temps il avait gagné le Tour d'Italie... auquel il était après coup supposé n'avoir jamais participé ! Il ne s'agit pas d'aligner le temps de la justice sur le temps médiatique, mais tout de même... Si les coureurs en attente de sanctions ne pouvaient pas prendre le départ, cela changerait aussi les choses.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Jean-Claude Killy a-t-il joué un rôle de médiateur dans l'apaisement des tensions existant entre ASO et l'UCI au cours des années 2005 à 2008 ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Le groupe a pris la décision politique de mettre fin à la guerre avec l'UCI mais je n'ai pour ma part, pas participé à ces discussions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Que pensez-vous d'un retour aux équipes nationales et à la création d'un pool de médecins à la disposition de tous les coureurs ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Que l'Allemagne de l'Est était belle ! Cela n'a rien à voir avec la lutte contre le dopage... Si vous dites aux sponsors qu'ils peuvent être partenaires de toutes les courses sauf le Tour de France, les choses risquent d'être compliquées. Il faut vivre avec son temps. Je crois davantage aux équipes soutenues par une région, avec des racines, même si l'équipe Euskatel est récemment revenue sur le principe de n'être composée que de coureurs originaire du pays basque. Cet ancrage est important dans un sport populaire où les champions vont vers les gens.

À la question, « quel est le Tour de mes rêves », Augustin, le fils d'un de mes collaborateurs, a trouvé la plus belle des formules en répondant : « c'est le Tour qui passe chez moi ». Le Tour repose en effet sur trois piliers : le sport, la mise en valeur des terroirs et le lien convivial fédérant des spectateurs de toutes conditions et de tous âges. On sort des maisons de retraites comme des centres aérés ou des colonies de vacances pour le voir passer. La fin de la guerre avec l'UCI a été décidée car il est absolument impossible de défendre le Tour si l'on est seul.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Êtes-vous en relation avec les organiseurs du Giro ou de la Vuelta ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Oui, je préside l'association internationale des organisateurs de courses cyclistes (AIOCC) au sein de laquelle nous nous réunissons trois fois par an. Nous y discutons à la fois des difficultés économiques - des courses disparaissaient en Espagne quasiment tous les jours - et de la nécessité d'un organe indépendant chargé de lutte contre le dopage dans toutes les disciplines et dans tous les pays. Sur ce dernier point, nous sommes tous d'accord.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Comment expliquer l'amélioration des relations ente ASO et l'UCI ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Il y a eu une période de guerre déclenchée par la fixation du calendrier Pro Tour mais aussi causée par des divergences éthiques. La décision a été prise de mettre fin à ce conflit l'année de la mise en place du passeport. Comme je vous l'ai dit, je l'assume complètement. Depuis cette période, je siège parmi les douze membres du conseil du cyclisme professionnel où nous avons voté l'interdiction pour les coureurs condamnés pour plus de six mois d'exercer des responsabilités au sein des équipes, qui ne s'impose hélas que pour l'après 2011. Les relations sont normalisées et je vois M. Mc Quaid régulièrement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Compte tenu du rapport de l'Usada, l'UCI est-elle crédible dans la lutte contre le dopage ?

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Le passeport a réellement fait évoluer les choses mais j'ai sur le passé les mêmes interrogations que n'importe quel citoyen.

Debut de section - Permalien
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France cycliste

Je souhaiterai simplement redire qu'il s'agit d'une bataille internationale que l'on ne gagnera pas seuls, que la question se pose du rôle de la médecine de santé, qu'il faut un organisme indépendant et que l'action sur les entourages - managers et docteurs en médecine prétendument médecins - est essentielle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Merci. Le nombre de questions montre l'intérêt soulevé par votre audition.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Nous recevons M. Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État chargé des sports auprès de la ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.

Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bernard Laporte prête serment.

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Merci de votre invitation. La question du dopage dans le sport est très importante. Au ministère, j'ai poursuivi les actions engagées par Mme Buffet et ses successeurs. J'ai pu constater, lors des réunions de l'Ama, que la France était considérée comme l'un des pays les mieux organisés et les plus engagés dans la lutte contre le dopage. Nous devons rester leader en la matière. J'ai connu des déboires, notamment quand l'AFLD, qui avait pourtant fait ses preuves lors du Tour de France 2008, fut écartée au profit de l'Ama pour le Tour 2009. Pourquoi l'AFLD, qui était indépendante, n'a-t-elle pas été reconduite ? Sans doute parce que la fédération internationale de cyclisme ne pouvait la mener à la baguette !

Un mot sur le rugby. La diffusion de certaines informations peut faire du tort au sport. Certes, les rugbymen ne sont pas plus intelligents que les autres et il faut être vigilant, mais je ne connais pas un entraîneur de club français qui serait au courant qu'un de ses joueurs se dope. Quant au dopage collectif, il n'existe pas. Or mon sport est attaqué, montré du doigt. Il y a des cas de contrôles positifs... au cannabis ! Ce n'est pas ça qui risque d'améliorer les performances sur le terrain ! Attention donc à ne pas diffuser des informations qui jettent le discrédit sur ce sport. J'encourage l'ALFD à faire preuve de la plus grande rigueur. L'an dernier, les journaux ont fait état de suspicions de dopage pesant sur deux joueurs du RC Toulon, Steffon Armitage et Eifion Lewis-Robert, or ils ont bénéficié d'un non-lieu. Ils avaient pris un produit codéiné autorisé, qui se métabolise naturellement en morphine. Je le répète, il ne faut pas jeter l'opprobre sur un joueur tant qu'il n'est pas condamné.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Notre commission d'enquête ne met pas l'accent sur un sport plutôt qu'un autre. L'AFLD a précisé les déclarations faites devant nous, dont certains journaux avaient tiré des conclusions quelque peu hâtives. Nous ne visons pas un sport en particulier ; au contraire, nous craignons que beaucoup, voire tous, soient concernés par le dopage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Je vais vous poser la même question qu'à David Douillet ou Alain Calmat : au cours de votre parcours sportif, avez-vous été confronté à des cas de dopage ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Non, je n'ai jamais eu affaire à un partenaire ni entraîné un joueur qui se dopait. Il y a vingt-cinq ans, quand je jouais, nous prenions tous des cachets de Captagon, sans savoir que c'était interdit. À revoir les matchs, je peux dire que ce n'est pas ça qui nous rendait meilleurs !

Lorsque j'étais entraîneur de l'équipe de France, j'ai été confronté à l'affaire Pieter de Villiers. Ce joueur avait absorbé de la drogue à son insu en boîte de nuit. Il n'avait pas pris volontairement de produit dopant pour améliorer sa performance, et n'a d'ailleurs jamais été inquiété au cours de sa carrière. Le problème pour nous était surtout qu'il se trouvait en boîte de nuit à cinq heures du matin ! Les joueurs doivent montrer l'exemple. C'est pourquoi il a été suspendu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Comment jugez-vous l'architecture globale de la lutte contre le dopage en France, entre le ministère, les fédérations sportives, le comité olympique, le laboratoire de Châtenay-Malabry, l'AFLD ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Elle ne me dérange pas. Nous avions tenu des réunions rassemblant les représentants de tous les sports. Le cyclisme se plaignait d'être le seul sport à se voir imposer le système de sportifs ciblés, susceptibles d'être contrôlés à tout instant ; nous l'avons donc étendu aux autres sports, afin que tous soient logés à la même enseigne. Cette saison, notre joueur cible est Carl Heyman. C'est un système contraignant mais positif, car le contrôle peut avoir lieu à tout moment. Il commence à être mieux accepté. Le RC Toulon a fait l'objet d'un contrôle inopiné il y a quelques semaines, à huit heures du matin. Je trouve cela très bien. Cela montre qu'il y a un engagement pour lutter contre le dopage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Certains dénoncent au contraire ces contrôles inopinés. Je retiens que l'essentiel est de continuer à avoir des contrôles.

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Absolument.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Certaines fédérations sont-elles plus engagées, plus volontaires que d'autres ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Le cyclisme estimait ne pas être traité comme les autres sports, nous avons donc élargi les contrôles. J'ai senti tout le monde très concerné. Lors des réunions de l'Ama, certains trouvaient d'ailleurs que nous en faisions trop ! J'ai souvenir d'une discussion, à Montréal, avec le ministre des sports jamaïcain qui critiquait l'intransigeance de la France... Pour vous répondre, les affaires sont si nuisibles que tout le monde travaille ensemble pour que la lutte contre le dopage fonctionne bien.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

M. Laporte a eu plusieurs casquettes : joueur, entraîneur de l'équipe de France, ministre... Je suis donc heureux de l'entendre plaider pour les contrôles inopinés, que certaines décrient, et souhaiter que tous les sports soient traités à égalité.

Le calendrier des compétitions de rugby devient démentiel, le rythme de jeu s'accélère, le nombre de minutes jouées augmente, la vitesse aussi, la violence des contacts est parfois préoccupante. Le changement de morphologie des joueurs vous inquiète-t-il ? Est-ce un signe avant-coureur de pratiques qui pourraient être assimilées à du dopage ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Aujourd'hui, un match de haut niveau, c'est 40 minutes de jeu effectif, contre 20 à 23 minutes à mon époque. Oui, la morphologie des joueurs a évolué : on a désormais affaire à des joueurs-athlètes, qui pratiquent la musculation quotidiennement. Ce n'était pas le cas à mon époque. Christian Dominici me disait ce matin, en assistant à l'entraînement de mes joueurs, qu'il avait joué à la bonne époque ! C'est surtout derrière que les choses évoluent : regardez les joueurs des îles, comme Nalaga ou Sivivatu à Clermont : ils sont costauds, ils ont un physique naturellement hors norme, sans que l'on puisse les soupçonner de dopage. Le rugby ressemble de plus en plus au jeu à XIII ; tous les joueurs, du 1 au 15, doivent être capables d'affronter deux défenseurs sans perdre le ballon. C'est la force des grandes équipes...

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Bailly

Quel est le rôle de l'encadrement des clubs ? En 2012, deux joueurs du RC Toulon ont été contrôlés positifs, avant d'être blanchis. Comment se fait-il que le médecin de l'équipe, qui est depuis devenu le médecin de l'équipe de France, ait pu leur administrer des produits qui tombaient sous le coup de la loi ? N'est-ce pas un peu léger ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Je ne suis pas médecin, mais le Dr Grisoli avait donné aux joueurs de la codéine, parfaitement autorisée mais qui, si l'on en prend trop, produit des substances interdites en se dégradant dans l'organisme. Il ne s'agit pas d'un produit dopant en soi. Quel médecin prendrait la responsabilité de donner un produit dopant à un joueur qui n'y connaît rien ? Il en va de sa carrière ! Enfin, il ne faut jamais dire jamais, et on peut toujours tomber sur un fou...

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

La semaine dernière, Laurent Bénézech déclarait au Monde : « Le rugby est dans la situation du cyclisme avant l'affaire Festina ». Quelle est votre réaction ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

C'est grave. S'il a des preuves, qu'il les apporte ! Il est facile de jeter le discrédit, de faire l'intéressant ! S'il vivait avec les clubs professionnels, avec l'équipe de France, il s'apercevrait vite que ce n'est pas vrai. Comment peut-il dire une chose pareille ? Je trouve cela lâche, ridicule !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Dans le combat de première ligne entre Serge Simon et Laurent Bénézech, vous êtes donc résolument du côté du premier ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Sur le terrain, je préfère jouer avec Simon qu'avec Bénézech...

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Le calendrier de compétitions imposé aux clubs qui participent aux compétitions européennes est-il encore compatible avec une pratique saine ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Oui, à condition d'avoir un effectif pléthorique, comme à Clermont-Ferrand, à Toulouse ou à Toulon. Sinon, impossible de tenir. Voyez notre match de dimanche dernier contre Leicester : j'ai rarement vu mes joueurs aussi fatigués après une rencontre. Ils n'en étaient pas encore remis ce matin. Heureusement, tous les matchs ne sont pas de la même intensité. Il ne serait pas possible de livrer 40 matchs de ce type en une saison.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Vous avez été à l'origine d'un projet de loi contre le trafic de produits dopants. Estimez-vous que les nouvelles incriminations pénales créées à l'occasion aient fait leurs preuves ? La coordination entre les douanes, l'Oclaesp et l'AFLD était-elle selon vous efficace ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Ce complément à la loi sur le dopage faisait suite à l'affaire Rasmussen, ce coureur dont la femme transportait des produits dopants dans le coffre de sa voiture.

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Nous avons complété la loi pour incriminer, entre autres, le transport de produits dopants. Cette incrimination a-t-elle fait ses preuves ? Je n'ai pas entendu parler de cas de flagrant délit. À l'évidence, la sanction fait peur, et a mis un terme à certains comportements. C'était le but.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Faut-il responsabiliser davantage les fédérations sportives ? Nous avons entendu des positions différentes : certains veulent dissocier lutte antidopage et mouvement sportif, au motif que ce dernier serait juge et partie, d'autres souhaitent au contraire l'impliquer davantage, notamment dans la prévention.

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Je suis pour impliquer davantage le mouvement sportif ; en pratique, plutôt les ligues que les fédérations. Il faut que les informations passent, que le mouvement sportif participe à la prévention.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Lors des réunions de l'Ama, avez-vous ressenti des divergences entre les anglo-saxons et la France sur le sujet du dopage ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Les anglo-saxons ont toujours été à nos côtés, mais j'ai ressenti que la lutte contre le dopage n'était pas une priorité dans tous les pays. Certains trouvaient que la France en faisait trop, allait trop loin. Tous les pays n'étaient pas en phase avec nous.

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

La Jamaïque, par exemple.

Mais cela ne vaut pas que pour le sport ! J'ai senti chez certains un engagement modéré. Certains font le strict minimum en la matière, sans doute aussi faute de moyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Estimez-vous suffisants les moyens consacrés aujourd'hui à la lutte contre le dopage ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Quand j'étais au gouvernement, le patron de l'AFLD, Pierre Bordry, réclamait toujours plus de moyens ! Quand ceux-ci sont justifiés, il faut les accorder. À l'Agence de dire si les moyens actuels lui suffisent. À l'époque, j'avais fait un effort pour que le budget de l'AFLD soit préservé ; nous travaillions main dans la main.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Entre l'Ama au niveau mondial et l'AFLD au niveau national, êtes-vous favorable à la création d'un échelon européen intermédiaire ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Une agence européenne ne serait pas de trop. Cette question avait été évoquée lors du conseil des ministres informel qui s'était tenu à Biarritz en novembre 2008.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Bailly

Quel est votre sentiment sur le passeport biologique, qui permet des contrôles en amont et sur le long terme ? Est-il applicable à tous les sports ? Certaines fédérations sont enthousiastes, d'autres moins...

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Quand je suis entré au gouvernement, Mme Bachelot venait d'entériner la création du passeport biologique. On ne peut être contre ! C'est l'outil le plus sécurisant qui soit. Il concerne surtout les cyclistes, mais pourquoi pas, en effet, l'étendre à tous les sports, à condition que les moyens suivent.

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Un contrôle dans la continuité est une bonne chose, je suis favorable à son extension. La seule question est celle du coût...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

La finalité de la lutte antidopage est l'éradication, la tolérance zéro. Faut-il rester sur une position intransigeante ou faire preuve de tolérance et assouplir les règles ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Je suis pour l'intransigeance, c'est une évidence. Tolérance zéro ! On ne peut faire deux pas en arrière après en avoir fait dix en avant, ce ne serait pas crédible. Il faut entretenir le sentiment de peur, que les joueurs sachent qu'on ne leur fera pas de cadeau, que la sanction sera immédiate.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Le droit français n'envisage pas de traitement de faveur pour les sportifs « repentis », qui donneraient des informations. Faut-il les impliquer davantage, ou au contraire rester prudent ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Je ne suis pas du tout pour. D'abord, la délation, ce n'est pas beau. Continuons le travail que nous avons engagé, nous sommes sur la bonne voie. Il n'y a pas lieu de recourir à des procédés qui, pour ma part, me déplaisent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Quels sont à vos yeux les points indispensables pour renforcer la lutte contre le dopage ? Avez-vous des regrets, des suggestions pour vos successeurs ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Je suis pour un renforcement des moyens de l'AFLD et des contrôles inopinés, qui ne me gênent pas du tout. Je suis pour la tolérance zéro, pour beaucoup de contrôles, beaucoup de suivi. Certes, nos sportifs sont parfois en concurrence avec des sportifs de pays moins regardants ; tant pis, qu'ils se fassent battre, mais sans compromettre nos principes et notre honneur.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Bernard Laporte est convaincu que dans sa discipline, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Reste qu'on voit des joueurs français changer de morphologie, prendre 13 à 14 kilos de muscle en l'espace d'un an... J'observe en outre que beaucoup de jeunes rugbymen sont souvent blessés. Ces blessures à répétition ne sont-elles pas inquiétantes ? « Nous ferons de vilains vieux », avait dit Michel Crauste. Je crains qu'ils ne fassent pas de vieux du tout !

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

À Toulon, il n'y a pas de joueur qui enchaîne les blessures, à Clermont non plus. Le rugby est de plus en plus physique, de plus en plus athlétique, de plus en plus violent au sens noble du terme, c'est vrai, mais les blessures ne sont pas plus fréquentes pour autant.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Ne craignez-vous pas pour l'intégrité physique des joueurs ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Un engagement comme celui de dimanche dernier ne peut que laisser des traces, mais les joueurs ont une vraie carapace qui amortit les chocs ! C'est l'entraînement qui fait l'intensité du jeu. Ils feront certainement de vilains vieux : certains piliers de trente ans ont du mal à se tourner...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Lors du récent colloque du Cnosf sur le dopage, le médecin de la fédération française de rugby a évoqué un cas suspect de recours à un préparateur physique individuel. Les rugbymen peuvent-ils effectivement faire appel à un préparateur physique autre que celui du club ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

C'est possible. Le club a son staff ; chez nous, il y a trois préparateurs physiques. À ma connaissance, aucun joueur ne va voir ailleurs, mais cela peut arriver. Je connais le cas auquel vous faites allusion. Les doutes venaient du fait que le préparateur physique en question vendait des compléments alimentaires. Il faut faire attention, ai-je toujours dit aux joueurs. Ils m'ont affirmé lui faire confiance, et n'ont d'ailleurs jamais été contrôlés positifs. Attention, là encore, à ne pas affirmer sans preuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Faut-il ajouter une sanction pénale à la sanction sportive en cas d'usage de produits dopants ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Oui s'il s'agit d'une action délibérée, programmée, mais il me semble que si le joueur a été dopé à son insu, il faut être plus indulgent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Quel message souhaitez-vous nous faire passer au terme de cette audition ?

Debut de section - Permalien
Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État

Il est bon que le Sénat s'intéresse à ce problème. C'est un honneur pour les sportifs, il faut continuer, il faut le faire savoir. Mes joueurs s'étonnaient que les politiques veuillent m'auditionner sur un tel sujet. Je suis venu très volontiers, même entre deux gros matchs, car il faut montrer que nous sommes tous en phase, tous déterminés à poursuivre la lutte contre le dopage.