Déposé le 3 janvier 2020 par : Mme Muriel Jourda, rapporteur.
Supprimer cet article.
L’article 4 du projet de loi tend à établir la filiation d’un enfant issu d’une procédure d’assistance médicale à la procréation (AMP) avec donneur, lorsque celle-ci aura été demandée par un couple de femmes, comme l’autoriserait l’article 1er.
Le projet de loi vise donc à prendre en compte le désir d’enfant des couples de femmes, alors qu’elles ne sont pas, au regard de la procréation, dans la même situation que les couples de sexe différent. Le Gouvernement fait donc primer le souhait des parents – qui peut légitimement être entendu – sur l’intérêt de l’enfant.
Or, le rôle du législateur est de garantir la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, récemment érigé au rang d’exigence constitutionnelle[1].
Cette réforme ne le permettrait pas, pour deux séries de raisons.
En premier lieu, l’établissement obligatoire d’une double filiation maternelle aurait pour effet de priver délibérément un enfant de filiation paternelle, ce qui n’est pas, selon certains pédopsychiatres, sans conséquences pour le développement et l’équilibre de l’enfant. Certes, les avis sont divergents sur ce point et les études françaises manquent. Toutefois, dans le même temps, le projet de loi tend à permettre aux enfants nés d’un don de connaître leurs origines biologiques : preuve en est donc que le père de l’enfant ne peut pas être éludé.
Cette réalité est d’ailleurs flagrante en droit de la famille où le législateur n’a cessé de renforcer le rôle du père, que ce soit pendant la grossesse de la mère (création du congé de paternité et du congé parental) ou pour l’éducation de l’enfant, que les parents soient en couple ou se séparent (partage de l’autorité parentale et résidence alternée notamment).
Outre l’intérêt de l’enfant, insuffisamment pris en compte, cette réforme imposerait en second lieu une remise en cause de l’ensemble du système français de filiation : il s’agirait d'assumer de fonder la filiation sur la seule volonté.
Tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, l’article 4 établirait la filiation de l’enfant sur ce fondement pour les deux femmes, même celle qui accouche, au mépris du principe selon lequel la mère est toujours certaine en raison de l’accouchement (mater semper certa est).
Mentionnée dans le projet de loi initial, la « femme qui accouche» n’apparaît plus dans la version adoptée par l’Assemblée nationale.
Cette volonté d’établir à tout prix la filiation de manière identique pour les deux femmes en dépit de la réalité biologique est symptomatique des conséquences en chaîne qu’entraînerait l’acceptation de cette réforme.
Aujourd’hui, le seul mode de filiation électif, fondé sur la seule volonté d’être parent, est la filiation adoptive (Titre VIII du livre Ierdu code civil), ouverte aux époux de même sexe depuis la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
En revanche, le modèle français de filiation de droit commun correspond au modèle de la procréation charnelle, c’est-à-dire de la procréation naturelle entre un homme et une femme. En conséquence, ses règles, aujourd’hui établies au titre VII du livre Ierdu code civil, sont fondées sur la vraisemblance biologique ou la vérité scientifique en cas de contestation.
L’introduction d’un critère de volonté pure risquerait de rendre le critère de la vraisemblance biologique caduque et de fragiliser tout le système français de filiation.
La reconnaissance d’une filiation d’intention sans aucune vraisemblance biologique reviendrait ainsi à admettre une forme de filiation contractuelle qui pourrait, à terme, supplanter le mode de filiation actuel et remettre en cause les principes de la parentalité.
Dès lors, s’il est possible d’établir la filiation sur le fondement de la seule volonté, la limitation à deux du nombre de filiations possibles – hors adoption – à l’égard d’un enfant pourrait être réinterrogée, puisqu’elle découle directement des possibilités de la procréation charnelle.
La consécration d’une parentalité d’intention ne manque pas, non plus, de renvoyer à la question de la gestation pour autrui (GPA) qui fait, dans les pays où elle est permise, l’objet d’un contrat et dans laquelle l’un des parents, voire les deux, le sont par la seule volonté. La reconnaissance légale d’une parentalité d’intention pour les enfants nés d’une GPA s’inscrit dans la continuité de celle des enfants nés d’une AMP demandée par un couple de femmes. Or, il ne peut exister de « GPA éthique». Il s’agit toujours et avant tout d’une forme de réification de l’enfant que la France doit continuer à prohiber.
En 2016, dans un rapport publié au nom de la commission des lois, notre ancienne collègue Catherine Tasca et notre collègue Yves Détraigne[2]indiquaient que l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes ne pouvait être retenue en raison de ses conséquences sur le droit de la filiation.
Cette prise de position ne peut qu’être réitérée : les conséquences de l’extension de l’AMP aux couples de femmes pour l’enfant à naître et pour notre modèle de filiation sont trop importantes pour que la réforme soit acceptable.
[1]Conseil constitutionnel, décision n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019.
[2]Défendre les principes, veiller à l'intérêt des enfants - Quelle réponse apporter au contournement du droit français par le recours à l'AMP et à la GPA à l'étranger ?, Rapport d'information n° 409 (2015-2016) de M. Yves Détraigne et Mme Catherine Tasca, fait au nom de la commission des lois, 17 février 2016.
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