Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a entendu une communication de MM. Philippe Dallier et Roger Karoutchi, rapporteurs spéciaux, sur l'agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Philippe Dallier, rapporteur spécial, a tout d'abord indiqué qu'il avait annoncé, en accord avec M. Roger Karoutchi, son intention de mener un contrôle en application de l'article 57 de la LOLF sur l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), seize mois auparavant, alors que l'agence était un sujet de polémique, des doutes étant émis sur sa capacité à fonctionner, sur les règles d'attribution des subventions et sur ses sources de financement.
Il a précisé que dans le cadre de ce contrôle, ils avaient effectué de nombreuses auditions et plusieurs déplacements à Orly, Saint-Etienne, Aulnay-sous-Bois, Amiens, Nogent-sur-Oise et Creil. Il a noté également que, dans le cadre de la mission commune d'information sur les quartiers en difficulté, il avait été amené à visiter de nombreux autres sites concernés par les opérations de rénovation urbaine. Il a ensuite souligné que l'Agence nationale pour la rénovation urbaine avait été créée, en 2003, sur une idée innovante s'inscrivant en rupture par rapport aux outils antérieurs de la politique de la ville, qui visait à mettre en place un guichet unique, une équipe légère d'environ 70 personnes et des moyens financiers concentrés et contractualisés.
est alors revenu sur les débuts parfois difficiles de l'ANRU, marqués notamment par le temps qui s'était écoulé entre le vote de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine et son installation effective par le décret du 9 février 2004. Il a observé, ainsi, que l'agence n'avait été véritablement opérationnelle que depuis mai 2004, ce qui correspond à un délai qui n'est pas excessif mais qui a suscité des critiques dans la mesure où il créait une période d'incertitude. Il a souligné que le gouvernement avait, en outre, fait précéder l'installation de l'ANRU de mesures transitoires et que 14 projets avaient été autorisés selon une procédure dérogatoire avant d'être validés par le conseil d'administration, dès sa première réunion.
Il a observé également que l'ANRU n'avait pas suffisamment communiqué sur son action et qu'elle avait élaboré progressivement ses règles de fonctionnement et son corps de doctrine, s'agissant en particulier des taux de subvention. Il a considéré qu'en raison de la nécessité de répondre à la diversité des situations, les règles de fonctionnement de l'agence étaient nécessairement complexes, comptant près d'une vingtaine de catégories d'opérations subventionnables selon des modalités différentes et avec des possibilités variées de modulation des taux de prise en charge.
Il a ensuite évoqué les interrogations et les critiques entendues « sur le terrain » lors des déplacements, parmi lesquelles revenaient souvent : les contraintes de délai imposées par l'ANRU qui ralentissent ou accélèrent la réalisation des projets et qui sont difficilement supportables en raison des faiblesses de la maîtrise d'ouvrage des collectivités ; le sentiment qu'une place trop importante est accordée aux démolitions, bien que cette impression soit contredite par les faits ; l'opacité des règles de sélection des projets ; l'absence de retour d'information de la part de l'agence après l'envoi des projets par les élus qui crée un « effet de tunnel » ; les lacunes de la concertation avec les habitants.
a observé que ces critiques avaient eu tendance à s'estomper avec la montée en puissance de l'ANRU. Il a ensuite constaté l'explosion des demandes formulées à l'ANRU, estimant que celle-ci risquait d'être dépassée par son succès. Il a rappelé que les objectifs exprimés en termes physiques du programme national de rénovation urbaine (PNRU) avaient été réévalués par la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, en ce qui concerne la mise à disposition de logements locatifs sociaux, passée de 200.000 logements dans le texte initial à 250.000, la réhabilitation de logements locatifs sociaux portée de 200.000 à 400.000 et, enfin, l'objectif de démolition qui a été fixé à 250.000 logements locatifs sociaux contre 200.000 dans le texte initial.
Il a ajouté que deux mesures législatives étaient intervenues pour allonger la durée du PNRU et renforcer la participation financière de l'Etat fixée initialement, en autorisations de programme, à 2,5 milliards d'euros sur la période 2004 à 2008, avec la contrainte qu'aucune dotation annuelle au cours de cette période ne peut être inférieure à 465 millions d'euros. Ainsi, la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale a étendu ce programme jusqu'en 2011 et, en conséquence, porté le montant global de la participation de l'Etat à 4 milliards d'euros sur la période, et la loi portant engagement national pour le logement, récemment adoptée, a étendu ce délai jusqu'en 2013 et fixé à 5 milliards d'euros le montant global de l'effort de l'Etat.
Il a souligné qu'au total, la capacité de subvention de l'ANRU, incluant la contribution de l'Union d'économie sociale pour le logement (UESL), atteignait 10 milliards d'euros et que le programme national de rénovation urbaine pourrait ainsi mobiliser, grâce à l'effet de levier de l'intervention de l'ANRU, plus de 30 milliards d'euros pour des travaux rénovant en profondeur les quartiers, qui concerneront plus de 3 millions d'habitants.
a remarqué que le pari gagné de l'ANRU avait une contrepartie dans l'augmentation très rapide de ses besoins financiers. Il a souligné que les besoins en moyens d'engagement seraient concentrés sur les années 2008 à 2010 et, qu'en raison du décalage des réalisations et de leur concentration dans le temps, l'ANRU se trouverait confrontée à des difficultés de trésorerie importantes à compter de 2011. Il a indiqué que le besoin complémentaire de financement était estimé par l'ANRU entre 577 millions d'euros et 337 millions d'euros par an sur la période 2007 à 2011, selon que l'on retient le rythme d'approbation actuel des nouveaux projets ou une modération du calendrier de conventionnement qu'il a jugée ni probable ni souhaitable.
est ensuite intervenu pour présenter les orientations et les solutions qu'il proposait dans le cadre du contrôle engagé. Il a, au préalable, souligné que l'ANRU avait atteint l'objectif qui lui était assigné de mettre en place un guichet unique efficace au profit des collectivités territoriales. Il a jugé indispensable d'étayer, par tous les moyens, cette réussite pour éviter une perte de confiance des élus et des habitants. Revenant sur les propositions, il a tout d'abord observé qu'une large partie des critiques adressées à l'ANRU concernait le volet social et de développement économique de la rénovation urbaine qui ne relève pas de l'agence. Il s'est déclaré, à cet égard, critique sur l'orientation prise par le comité d'évaluation et de suivi de l'ANRU, dont il a jugé qu'il avait excédé sa mission, en réclamant notamment de fixer les critères de sélection des dossiers, alors que cette compétence relève du conseil d'administration de l'ANRU. Il a rappelé que cet organisme avait été mis en place en juillet 2004 pour jouer, selon les termes mêmes de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, le rôle de « vigie républicaine » et qu'il était composé de personnalités diverses issues du monde associatif et caritatif, de la presse, de l'architecture, de partenaires sociaux et d'experts du monde économique. Il a souhaité une clarification rapide du rôle et de la place de ce comité dont il s'est étonné de l'augmentation très forte du budget de fonctionnement.
a ensuite considéré que l'ANRU et sa tutelle devaient afficher plus clairement encore leurs priorités. Constatant que la liste des 188 quartiers prioritaires dits de catégorie 1, sur lesquels l'ANRU concentre 70 % de ses crédits, est connue, il a observé qu'il n'en était pas de même des quartiers dits de catégorie 2. Il a vivement souhaité la publication par l'ANRU de cette liste, établie sur les propositions des préfets de région, et dont l'adoption définitive doit intervenir au prochain conseil d'administration de l'ANRU prévu le 12 juillet 2006.
S'agissant de la maîtrise d'ouvrage au niveau local considérée comme une des lacunes majeures révélées par le PNRU, il a souligné qu'elle était une condition indispensable de la réussite du montage des projets et de leur réalisation future. Il a préconisé, à cet égard, la généralisation de la création d'équipes dédiées « rénovation urbaine » auprès des délégués territoriaux de l'ANRU, indiquant que cette formule avait très bien fonctionné en Seine-Saint-Denis.
Abordant ensuite les aspects financiers, il s'est prononcé pour l'application la plus rapide possible de la règle des trois tiers qui permet d'assurer une répartition équilibrée de l'effort financier entre l'Etat, les partenaires bailleurs et les collectivités territoriales.
Soulignant que les villes et EPCI assuraient 11 % des financements des projets, il a regretté l'insuffisante participation des départements et surtout des régions. Il s'est félicité que plusieurs régions aient conclu des conventions avec l'ANRU ou soient en cours de négociations en vue de réévaluer leur contribution, citant le Nord-Pas-de-Calais, l'Auvergne, la Basse-Normandie, la Bretagne, l'Ile-de-France, la région Rhône-Alpes, la Bourgogne, Poitou-Charentes et les Pays de Loire.
Il a regretté que seuls quatre départements se soient engagés dans une démarche similaire : l'Eure, le Val-de-Marne, la Seine-Maritime et les Hauts-de-Seine.
a considéré que cette contribution des collectivités était indispensable à la réussite des projets ANRU, et qu'elle devait être encouragée, y compris par un renforcement de la représentation de ces collectivités au conseil d'administration de l'ANRU.
Soulignant, ensuite, qu'il n'était pas envisageable que l'agence soit contrainte de recourir à l'emprunt, il s'est déclaré en faveur d'un redressement de la contribution du budget de l'Etat, qui assure certes le respect strict des engagements de la loi de programmation du 1er août 2003, mais dans des conditions qui font appel à des ressources extra-budgétaires, progressivement augmentées au fil des années. Il a émis des doutes sur le montage de la participation de l'Etat pour 2006 qui associe à une dotation initiale de 305 millions d'euros inscrite sur le programme « rénovation urbaine » de la mission « Ville et logement », un versement de 100 millions d'euros issu du Fonds de renouvellement urbain (FRU) et l'affectation de 60 millions d'euros de ressources non budgétaires, jugeant cette construction trop fragile.
Estimant cette évolution inquiétante, M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, a ensuite évoqué l'hypothèse de la reconstitution d'un nouveau fonds de rénovation urbaine, logé au sein de la Caisse des dépôts et consignations. Il a souligné que cette idée ne manquerait pas de se heurter à des réticences de principe, la Caisse des dépôts et consignations n'étant pas destinée par nature à servir de « caisse budgétaire ». Il a fait état, cependant, de la possibilité d'alimenter un tel fonds par une contribution annuelle de la Caisse des dépôts et consignations, imputée sur ses obligations de financement de missions d'intérêt général, qu'elle ne semble pas avoir satisfaites dans leur totalité au cours des derniers exercices. Il a ajouté que cette reconstitution d'un FRU faisait l'objet d'une étude poussée du ministère du budget qui pourrait envisager d'en poser les principes dans le projet de loi de finances pour 2007. Il a précisé que la proposition qui serait faite pourrait intégrer parmi les ressources du fonds, outre une contribution récurrente de 100 millions d'euros par an, une participation exceptionnelle assise sur les bénéfices réalisés par la Caisse des dépôts et consignations.
En conclusion, M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, s'est déclaré convaincu que, six mois après les émeutes urbaines de l'automne 2005, il était impératif de donner à l'ANRU les moyens de son action car un ralentissement ou un blocage des programmes aurait des conséquences graves sur la politique de « reconquête » des quartiers les plus difficiles.
a remercié les rapporteurs pour leurs interventions et constaté qu'après un démarrage qui avait suscité des impatiences, les structures opérationnelles de l'agence étaient désormais en place et qu'elle avait prouvé son efficacité. Il s'est interrogé sur les possibilités d'augmentation des contributions des collectivités territoriales dans un contexte où les plus concernées d'entre elles avaient d'ores et déjà bénéficié d'un supplément de crédits grâce à la réforme de la dotation de solidarité urbaine. Il a, enfin, déclaré que l'éventualité d'une reconstitution du FRU ne devait pas inciter à la débudgétisation de l'effort de l'Etat pour la rénovation urbaine.
a indiqué que les villes, qui portent la plupart des projets soumis à l'ANRU et sont les bénéficiaires de la réforme de la DSU, s'investissaient de manière importante dans leur financement. Il a jugé que la difficulté se situait au niveau de la participation des départements et, plus encore, des régions qui sont moins concernées par les transferts de compétences. Il a fait valoir que l'ANRU compensait actuellement l'insuffisante contribution des régions par des taux de subventions plus importants mais que l'équilibre des projets pourrait être mis en cause si une solution n'était pas trouvée.
Répondant à M. Jean Arthuis, président, qui s'interrogeait sur le niveau de contribution accepté par les régions, M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, a indiqué que pour la région Ile-de-France, actuellement en négociation avec l'ANRU, la participation pourrait atteindre 150 millions d'euros par an, soit le doublement de son niveau de financement actuel.
En réponse à M. Auguste Cazalet, les rapporteurs spéciaux ont enfin donné des précisions sur la répartition régionale des projets acceptés par l'ANRU.
La commission a ensuite décidé, à l'unanimité, d'autoriser la publication de la communication de MM. Philippe Dallier et Roger Karoutchi, rapporteurs spéciaux, sous la forme d'un rapport d'information.