Avant de commencer notre réunion, permettez-moi d'évoquer la mémoire de Jean-Louis Lorrain, dont nous avons appris le décès vendredi dernier et dont les obsèques se dérouleront cet après-midi en Alsace.
Sénateur de 1995 à 2004, puis à nouveau depuis mars 2010, Jean-Louis Lorrain avait constamment siégé au sein de la commission des affaires sociales, dont il était vice-président. Il participait activement aux travaux de notre commission et y défendait toujours avec conviction les valeurs auxquelles il était attaché. Il avait notamment été rapporteur des lois de financement de la sécurité sociale pour la branche famille, ainsi que de la loi Kouchner sur les droits des malades et de la loi de santé publique de 2004.
En cet instant, je voudrais avoir une pensée pour son épouse, ses enfants et petits-enfants. Je vous demande quelques instants de recueillement en hommage à notre collègue.
Je remercie Mme Yannick Moreau d'avoir bien voulu venir devant notre commission évoquer avec nous la situation et les perspectives des régimes de retraite.
Mme Moreau, vous avez présidé la commission pour l'avenir des retraites qui a été mise en place à la demande du Premier ministre à la fin du mois de février dernier et qui a rendu ses travaux trois mois et demi plus tard, le 14 juin.
Je précise que vous aviez présidé le Conseil d'orientation des retraites (COR) de 2000 à 2006 et qu'étaient réunis autour de vous, au sein de la commission pour l'avenir des retraites, neuf autres personnalités désignées par le Premier ministre. Vous êtes accompagnée de M. Philippe Laffon, rapporteur général de la commission.
Le Gouvernement a indiqué son intention de présenter mi-septembre son projet de loi portant réforme des retraites et on évoque pour ce texte un calendrier d'examen parlementaire particulièrement serré, avec une première lecture à l'Assemblée nationale début octobre puis au Sénat dans la foulée, avant l'examen du PLFSS mi-novembre.
Le rapport de la commission pour l'avenir des retraites fait suite à de nombreux travaux du COR. Il comporte une analyse des perspectives financières, mais également des principales caractéristiques de nos régimes de retraite et des conséquences qui en découlent sur les situations individuelles, dans leur grande variété.
Le rapport dresse également une liste de mesures envisageables aux yeux de la commission, sans nécessairement trancher parmi elles. Les décisions finales relèveront bien sûr du Gouvernement et du Parlement.
Pourriez-vous nous présenter les principales conclusions auxquelles vous avez abouti et les axes qui vous paraissent devoir être privilégiés ?
Vous avez participé les 20 et 21 juin derniers à la table ronde consacrée aux retraites présidée par Marisol Touraine lors de la Grande conférence sociale. Nous souhaiterions connaître vos impressions à l'issue du débat qui s'est engagé, à cette occasion, entre le Gouvernement et les partenaires sociaux.
Je vous passe la parole pour un exposé introductif.
Le rapport de la commission pour l'avenir des retraites s'appuie sur les nombreux travaux qui l'ont précédé, en particulier ceux du COR, dont il a notamment repris à son compte les projections financières. Je souhaiterais donc commencer par vous rappeler les principaux constats que nous avons effectués avant d'en venir aux pistes de réforme que nous avons formulées.
La situation démographique de notre pays constitue le premier point que la commission a considéré comme central pour mener à bien sa réflexion. Le défi est double. D'une part, les générations du baby-boom arrivent à l'âge de la retraite. D'autre part, la durée de la vie s'allonge. La conjugaison de ces deux facteurs engendre une baisse tendancielle du nombre d'actifs cotisants par rapport au nombre de retraités. A son maximum, ce ratio démographique était de quatre cotisants pour un retraité tandis qu'il est d'un peu moins de trois cotisants pour un retraité aujourd'hui. A l'horizon 2035, il se stabilisera autour de 1,5 cotisant pour un retraité. La baisse est donc rapide et nous avons devant nous vingt-deux années difficiles pour s'adapter au nouveau cours démographique. Mais il ne faut surtout pas faire croire aux jeunes générations que la situation est sans espoir.
Deuxième constat : la succession des réformes (1993, 2003, 2008 et 2010) à un rythme accéléré a produit des effets anxiogènes mais, bien que l'équilibre financier n'ait pas été atteint, on ne peut laisser croire qu'elles n'ont servi à rien. En effet, si elles n'avaient pas été réalisées, nous aurions 3,5 points de PIB de retraites de plus à financer aujourd'hui et, toutes choses égales par ailleurs, plus de 6 points de PIB de retraites supplémentaires à financer en 2035.
Les projections financières montrent que notre système de retraite évoluera selon deux phases distinctes. D'ici à 2020, un déséquilibre relativement grave prédominera. Il appelle des mesures rapides. Son ampleur s'explique par les deux crises économiques et financières successives que nous avons traversées et dont les effets n'ont pu suffisamment être compensés par les mesures adoptées dans le cadre de la réforme de 2010. En revanche, en prenant pour acquis que l'équilibre sera retrouvé en 2020, l'équilibre durable est possible à moyen-long terme pour l'ensemble du système à la condition, conformément au scénario B du COR, que la croissance annuelle de la productivité du travail soit d'au moins 1,5 %.
Il convient toutefois de garder à l'esprit que notre système de retraite est extrêmement sensible à la croissance. En effet, le mode de calcul des pensions dans le régime général, qui est le régime de retraite le plus important du point de vue de la masse des prestations servies, se base depuis 1993 sur une indexation sur les prix et non plus sur les salaires, tant des salaires portés au compte que des pensions. Par conséquent, le rythme de croissance des ressources est proche de celui de la croissance économique, tandis que les pensions ne suivent cette évolution que de manière plus diffuse et avec un effet différé. S'il contribue au financement du baby-boom, ce différentiel de croissance engendre une baisse certaine des taux de remplacement au cours du temps. Tant que les cotisations augmentent au rythme de la croissance des salaires, le système peut s'équilibrer. Mais en-deçà de ce niveau, les déficits se creusent.
Or, le troisième constat, particulièrement sensible, est celui de l'incertitude et de l'instabilité économiques, personne n'étant en mesure de garantir une croissance de la productivité des salaires de 1,5 point comme cela est prévu dans le scénario B du COR. La question est la suivante : comment faire face à la nouvelle donne démographique dans une situation économique incertaine et un système de retraite qui ne peut se maintenir à l'équilibre qu'à la condition d'un certain niveau de croissance ?
Parallèlement, la lisibilité et l'équité du système de retraite font l'objet de demandes multiples. Nous pensons que l'urgence principale n'est pas de procéder à une réforme systémique mais d'assurer la stabilisation financière, laquelle ne dépend pas d'un changement de système. Par exemple, il n'est pas nécessaire de passer à un régime par points pour piloter les régimes de retraite.
Quant à l'emploi des seniors, il a nettement progressé, même dans une période d'accroissement du chômage. Dans le même temps, la question de la pénibilité reste posée malgré la réforme de 2010.
En résumé, les trois enjeux qui se posent pour l'avenir sont d'assurer l'équilibre et la pérennité financière du système, de garantir son équité et d'agir sur emploi des seniors et la pénibilité.
S'agissant de l'équilibre financier à court terme, les prévisions établies par le COR en 2011 indiquent un besoin de financement de 20 milliards d'euros en 2020 pour l'ensemble des régimes de retraite. Dans les faits, ces 20 milliards d'euros se décomposent en trois grandes masses.
La première d'entre elles concerne les régimes complémentaires des salariés. Leur besoin de financement, estimé à 8,3 milliards d'euros à l'horizon 2020, sera réduit de plus de la moitié grâce aux mesures qu'ils ont adoptées au printemps dernier. Il reviendra aux partenaires sociaux de définir les autres mesures qui permettront de faire la seconde moitié du chemin.
La seconde masse concerne le régime de la fonction publique d'Etat, les régimes spéciaux et ceux qui sont équilibrés par des subventions de l'Etat. Les prévisions du COR prévoyaient un besoin de financement de 8,6 milliards d'euros en 2020. Dans l'intervalle, l'Etat a prévu de dégager 4,5 milliards au cours des budgets successifs. Il reste donc à trouver des ressources complémentaires qui pourront provenir de la transposition des mesures adoptées pour le régime général et les régimes alignés dans le cadre de la prochaine réforme ou bien de la contribution de l'Etat.
A cet égard, je rappelle que les déséquilibres démographiques des régimes n'atteignent pas tous leur pic au même moment. S'agissant de la fonction publique d'Etat, le déséquilibre démographique est aujourd'hui quasiment maximal car les personnes entrées dans la fonction publique au cours de la période de recrutements massifs sont en train de partir en retraite. En revanche, pour le régime général et les régimes alignés, les ratios démographiques vont se dégrader au cours du temps et la situation démographique est plutôt meilleure aujourd'hui. Au total, les besoins de financement qui seront nécessaires en 2020 pourront se révéler très importants si la croissance de la productivité des salaires n'était pas assez forte.
Avec un besoin de financement de 7 milliards d'euros en 2020, le régime général et les régimes alignés représentent justement la troisième masse financière, celle qui sera concernée au premier chef par la réforme.
A cet égard, la partie de notre rapport consacrée aux mesures qui pourraient être mises en oeuvre ne se veut pas prescriptive. Nous proposons deux scénarios qui se distinguent par la manière de répartir les efforts entre actifs et retraités. Le choix final appartiendra bien sûr aux partenaires sociaux et aux responsables politiques.
Parmi l'ensemble des mesures proposées, je remarque que, par rapport aux recettes nouvelles, ce sont les économies sur les dépenses qui sont les moins populaires auprès des partenaires sociaux.
S'agissant des retraités, nous pouvons prévoir des mesures de sous-indexation des pensions auxquelles échapperaient les plus petites retraites. Aujourd'hui, pour les jeunes retraités, les niveaux de pension sont assez bons. En d'autres termes, le taux de remplacement est historiquement haut. Ce niveau moyen cache cependant des disparités : les retraités les plus anciens, dont les pensions ont été calculées selon des modalités moins favorables, avec une longue période d'indexation sur les prix, ont un taux de remplacement plutôt moins élevé. De même, les pensions de retraite des femmes continuent de se caractériser par un niveau plus faible que la moyenne.
Nous pouvons également réviser les niches fiscales. Il s'agirait de remettre en cause en tout ou partie l'abattement fiscal de 10 % sur les pensions, de fiscaliser les majorations de pension pour enfants ou bien de procéder à une hausse ciblée des taux de CSG.
S'agissant des mesures de recettes, il peut être envisagé de procéder à une hausse de cotisations sociales - sachant qu'une hausse annuelle de 0,1 point a déjà un impact important - à une sous-indexation des salaires portés au compte pendant deux ou trois ans ou encore à une accélération de la montée en charge de l'augmentation de la durée de cotisation prévue par la réforme de 2003, voire à un recul de l'âge légal de départ en retraite.
Cependant, d'ici 2020, les mesures portant sur la durée d'assurance ou l'âge de départ ne rapporteraient pas beaucoup de recettes nouvelles car il ne pourrait s'agir que d'accélérer le calendrier de montée en charge de la réforme de 2003 tel qu'il est prévu par décret jusqu'en 2017, ce qui paraît difficilement envisageable. De plus, un passage de la durée de cotisation à quarante-trois ans dès 2020 ne rapporterait que 600 millions d'euros, une somme non négligeable mais qui ne permettrait pas à elle seule de rétablir l'équilibre financier du système.
J'ai néanmoins toujours considéré que la durée de la vie active allait devoir s'allonger compte tenu de l'augmentation de l'espérance de vie. A moyen-long terme, il ne fait d'ailleurs pas de doute qu'il faudra augmenter la durée ou l'âge, quel que soit le scénario retenu. Cependant, en France, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays comme l'Allemagne par exemple, une augmentation drastique de l'âge ou la durée ne sera pas nécessairement bénéfique aux comptes sociaux en raison du niveau de chômage élevé. C'est pourquoi, la commission a indiqué qu'elle n'était pas favorable à des mesures d'âge à court terme. Quoi qu'il en soit, nous privilégierions un peu plus les mesures portant sur la durée par rapport à celles portant sur l'âge car nous considérons que les premières permettent de mieux prendre en compte les différentes catégories d'assurés.
De surcroît, nous estimons qu'il faut être cohérent avec les autres dispositifs économiques mis en oeuvre par ailleurs comme par exemple le crédit d'impôt compétitivité emploi (Cice) qu'il ne faudrait pas contrecarrer par un alourdissement des charges.
S'agissant de la trajectoire de long terme, la commission a considéré que la crédibilité de ses propositions serait nulle si elle se basait sur un scénario donné, trop tributaire de l'environnement macro-économique. Elle a plutôt cherché à répondre à ce contexte porteur d'incertitudes en proposant deux types de mesures.
En premier lieu, ainsi que cela a été dit, dans une perspective de moyen-long terme, il pourrait s'agir de mesures portant sur l'âge de départ en retraite ou sur la durée d'assurance. A cet égard, la commission a considéré qu'il était raisonnable, dans un pays où la hausse de l'espérance de vie augmente et quel que soit le rythme de la croissance, de continuer à augmenter l'âge ou la durée après 2020. Même si nous nous situions dans le cadre du scénario B, cette augmentation pourrait suivre jusqu'en 2040, voire 2060, le rythme de la montée en charge aujourd'hui prévue par la réforme de 2003, soit un partage de l'espérance de vie à hauteur de deux tiers pour l'activité et un tiers pour la retraite. Mais nous pouvons également agir sur le niveau des retraites et le taux de remplacement. Je rappelle que nous partons aujourd'hui d'un bon niveau de retraite global (quatorze points de PIB).
En second lieu, des mesures de pilotage pourraient être mises en oeuvre. Dans le cadre du scénario B, nous sommes à l'équilibre mais le taux de remplacement connaît une baisse de l'ordre de dix à quinze points. Cette baisse ne s'est pas encore pleinement manifestée dans les régimes de retraite privés. On l'observe quelque peu pour les pensions des hommes au régime général mais elle est surcompensée par une hausse du taux de remplacement dans les régimes complémentaires. Je rappelle que la généralisation du taux de cotisation sociale maximum de 6 % dans le champ des retraites complémentaires date de 1999. Pour l'instant, l'effet de cette montée en charge est plus puissant que les baisses de rendement qui ont pu être décidées à d'autres moments. Mais l'incidence de ces baisses de rendement se fera sentir à compter de 2018. Leurs conséquences sur le taux de remplacement seront d'autant plus fortes que la croissance est élevée.
Comment faire pour assurer la pérennité financière dans les deux autres scénarios ? Nous proposons de mettre en place un pilotage annuel non automatique. Comme je l'ai indiqué précédemment, si la croissance de la productivité s'élève à au moins 1,5 %, l'équilibre financier est assuré. En-dessous de ce niveau, nous risquons de tirer périodiquement la sonnette d'alarme, ainsi que cela a été fait environ tous les cinq ans au cours des dernières décennies.
S'agissant des salaires portés au compte, nous considérons qu'il faudrait partir de l'indexation sur les salaires sur la base d'une moyenne sur plusieurs années. Ce mode de calcul reflète beaucoup mieux l'évolution de la situation économique. Mais au lieu de partir d'une indexation fixe sur les prix comme en 1993, nous proposons une indexation qui parte des salaires réels moins 1,5 % ou 1,3 %, afin d'absorber automatiquement les variations économiques.
Si les effets de l'indexation des salaires portés au compte sont beaucoup moins violents que les effets de l'indexation des pensions elles-mêmes, le nouveau mode d'indexation proposé peut apparaître assez brutal et il ne serait pas acceptable en l'état dans un pays comme le nôtre. En effet, il fait peser tout l'effort sur les futures générations de retraités et son automaticité fait peu de cas de la forte culture politique qui caractérise la France.
C'est la raison pour laquelle nous proposons que le mécanisme soit semi-automatique : nous partirions d'un calcul réalisé par un comité d'experts selon les modalités fixées dans la loi. Cet indicateur financier serait ensuite mis en regard d'indicateurs sociaux comme le niveau du taux de remplacement à la liquidation ou encore le niveau moyen des pensions de retraite par rapport aux revenus moyens.
L'Allemagne a adopté un système similaire à celui-ci. Elle dispose en effet d'un coefficient économique et d'un coefficient démographique pour ses salaires portés au compte et pour ses retraites, et assure parallèlement un suivi des taux de remplacement.
En France, l'indicateur financier établi par le groupe d'experts pourrait être présenté à une instance de débat comme le COR, ce qui permettra une sorte d'authentification des chiffres dans le cadre d'un diagnostic partagé. La décision finale appartiendrait, après consultation des partenaires sociaux, au Gouvernement et au Parlement. Elle serait prise dans la loi de financement de la sécurité sociale et consisterait soit à retenir le mode de référence prévu dans la loi, soit à faire des mesures d'effet équivalent, quelles qu'elles soient.
Cette piste d'un pilotage a été progressivement approfondie par le COR ; elle permettrait d'éviter les crispations sociales graves qui touchent périodiquement notre pays à l'occasion des réformes qui se succèdent.
Faut-il transformer notre système ? Sur ce point, nous avons voulu relativiser le débat un peu caricatural sur les intérêts respectifs des régimes par répartition, des régimes en comptes notionnels, des régimes par points et des régimes en annuités. Ces différentes techniques permettent d'atteindre à peu près les mêmes objectifs : elles permettent toutes de moduler les taux de remplacement par exemple. Or ce sont justement les objectifs assignés au régime de retraite qui importent. Il est vrai que la difficulté de piloter le système de retraite est accrue par l'existence d'une multiplicité de régimes. Mais le système de pilotage que nous préconisons est sans incidence sur la question de savoir s'il faut conduire ou non une réforme systémique.
Il n'est pas opportun d'opposer trop frontalement réforme paramétrique et réforme systémique. L'idée qu'il y aurait de « vraies réformes », comme celle du pilotage ou un rapprochement des régimes, par opposition à de « fausses réformes », est trop simplificatrice. Garantir la pérennité de notre système de retraite, premier volet de notre rapport, est indispensable pour mettre en oeuvre les deux autres priorités que celui-ci identifie.
Quelles sont-elles ? Tout d'abord l'équité. Nous avons proposé des mesures qui apparaissent indispensable pour remédier à des situations particulières peu équitables, comme celles des polypensionnés ou des apprentis. Un autre point a également fait l'objet d'importants débats : les différences entre régimes privés et publics ainsi que les régimes spéciaux. Ces derniers ont déjà fait l'objet de deux réformes, en 2003 puis en 2008. Nous allons vers l'égalité de la durée de cotisation, la généralisation de la décote et de la surcote et l'égalité de l'effort de cotisation. La possibilité offerte, pour les catégories actives et certains régimes spéciaux, de partir à la retraite de manière précoce, ce qui choque nos concitoyens, est de plus en plus théorique. L'allongement de la durée de cotisation et la décote aboutissent en effet à un amenuisement sensible de la pension de retraite dans ce cas. Il faut trop souvent le rappeler aux acteurs politiques qui, pourtant, ont conduit ces réformes difficiles mais semblent les avoir oubliées. Les réformes, si elles ne sont pas totalement faites, le sont donc très largement.
Un malentendu très important persiste avec les Français, alimenté par certains : c'est celui du mode de calcul des pensions. Il n'est pas le même entre les régimes et paraît a priori beaucoup plus favorable dans le public, où la règle est celle des 75 % du salaire des six derniers mois, que dans le privé, où le calcul est fait sur la base de 50 % du salaire des vingt-cinq dernières années, avec une indexation sur les prix. La comparaison des taux de remplacement ne confirme pas cette première impression : ils sont similaires et augmentent dans le privé alors qu'ils diminuent pour les fonctionnaires. Cette baisse s'explique par le gel du point d'indice de la fonction publique et la hausse constante de la part des primes dans la rémunération des fonctionnaires, liée notamment à l'augmentation de la part d'emplois qualifiés. Peut-on dire d'un régime où le taux de remplacement baisse sans que les intéressés ne s'en rendent compte qu'il est bien piloté ? Je ne le crois pas, car il ne produit pas de consensus.
Nous proposons de rapprocher autant que possible les modes de calcul entre la fonction publique et le régime général, dans la mesure où c'est techniquement réalisable, car il y a parfois trop de disparités entre les modes de rémunération. Il est possible d'aboutir à des règles qui ne désavantagent pas les fonctionnaires, y compris les enseignants qui ne touchent pas de primes. Cela permettrait en outre d'intégrer le public au système de pilotage proposé pour le régime général et les régimes alignés. Alors que la population ne comprend pas le mode de calcul retenu dans la fonction publique, il ne serait pas acceptable de laisser ce régime à l'écart de la réforme du pilotage. Notre rapport prône donc une mesure de double lisibilité, que le Gouvernement est libre de reprendre, selon la conjoncture sociale. C'est en effet une question très délicate aux yeux des syndicats de fonctionnaires, car elle est étrangère au système tel qu'il existe à l'heure actuelle. Quelles qu'en soient les suites, je ne regrette absolument pas de l'avoir posée.
Les mesures de la loi de 2010 concernant la pénibilité ont été critiquées car elles reposaient sur l'incapacité de l'intéressé lors du départ en retraite. Or des situations de baisse d'espérance de vie liées uniquement à l'activité professionnelle ont été établies par de nombreuses études sans pour autant qu'elles puissent être médicalement constatées lorsque les intéressés font valoir leurs droits à la retraite. Nous proposons donc que les salariés en situation de pénibilité se voient attribuer des points alimentant un compte ouvrant droit à une formation professionnelle, à un emploi à temps partiel en fin de carrière ou à un départ à la retraite précoce. L'accent doit être mis sur la formation professionnelle et la reconversion en cours de carrière : l'objectif n'est pas de pousser les salariés à poursuivre une activité pénible pour partir plus tôt à la retraite.
Il y a bien deux facteurs importants : la démographie et l'incertitude économique, les retraites étant liées à la croissance. Je n'ai toutefois pas l'impression que vos propositions soient suffisantes pour atténuer ce lien ou corriger les difficultés rencontrées. Vous nous avez également confirmé que plus une personne part tôt à la retraite, plus le niveau relatif de sa pension se dégrade avec les années. Ce n'est donc pas lui rendre un service que de favoriser les départs précoces. Plutôt que d'allonger la durée de cotisation, avez-vous réfléchi à une augmentation de la durée de travail hebdomadaire ?
L'âge de la retraite est très théorique, car nombreux sont ceux qui, lorsqu'ils l'atteignent, n'ont pas cotisé suffisamment longtemps. Ne faudrait-il pas généraliser la décote et la surcote à tous les régimes spéciaux ?
Je me réjouis que ce rapport contribue au débat souhaité en 2013 lors de l'examen de la réforme de 2010. Il ne peut pas en être l'unique manifestation, contrairement aux propos que Marisol Touraine a tenus au Sénat récemment. J'espère donc que ce débat va se poursuivre avec les Français. Vos travaux font des propositions et nous disposons désormais de tous les éléments du puzzle que nous devons assembler pour parvenir à l'équilibre financier.
Je n'ai pas apprécié la façon dont vous avez traité la réforme systémique dans une réponse donnée à un journaliste du Monde, en estimant qu'elle ne correspond pas à la demande des Français et que ceux-ci n'en saisissent pas le sens. Je peux vous dire que les Français ont une exigence forte de justice, de transparence et d'équité concernant le système de retraite. On ne peut pas le nier. La question de l'équilibre financier est très importante.
J'avais participé en 2010, notamment avec Christiane Demontès, aux travaux de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur les retraites. Outre certaines des recommandations que vous formulez, celle-ci préconisait de fixer un horizon pour une réforme systémique, vers un système par points ou de comptes notionnels. Des mesures à court terme sont bien sûr indispensables, mais la détermination d'un tel objectif donne un sens précis à l'action visant à rapprocher tous les régimes. Sans horizon, on risque de décevoir les Français. Quant à ceux qui croient bénéficier d'un régime plus avantageux, le statu quo, à terme, les décevra. Il ne s'agit pas de revenir brutalement sur les avantages acquis, mais je regrette de ne pas avoir trouvé dans ce rapport d'horizon clairement exprimé.
Le rapport de la Mecss de 2010 demandait l'organisation d'un rendez-vous en 2013 pour faire le bilan de la réforme de 2010 et précisait que la question d'une réforme systémique devait être posée. Il s'agissait d'une hypothèse à discuter, mais nous n'avions pas tranché le débat.
Je salue la clarté et l'exhaustivité de l'exposé qui vient de nous être fait, ainsi que la qualité du travail d'analyse de notre système de retraite réalisé par la commission pour l'avenir des retraites.
De nombreuses réformes ont été conduites depuis 1993 : elles ont eu pour effet d'inquiéter les Français. Ils sont d'ailleurs surtout inquiets pour leurs enfants. En quoi la réforme de 2010 a-t-elle été insuffisante, selon l'expression que vous venez d'utiliser ?
La sous-indexation des retraites constitue une piste envisagée, tout en préservant les petites retraites. A quel niveau les situez-vous ?
L'hypothèse de l'augmentation des cotisations est présente dans votre rapport, pour les salariés comme pour les employeurs. Vous suggérez une hausse de 0,1 point pendant quatre ans. Quel serait le gain financier ?
Les pensions de réversion jouent un rôle dans la réduction des écarts de pension entre les hommes et les femmes. Les règles d'application sont très hétérogènes selon les régimes. Comment instaurer davantage d'équité ?
En matière de pénibilité, les critères posés par les dispositions de la loi de 2010 sont très restrictifs pour les personnes qui voudraient pouvoir en bénéficier. Vous proposez la création d'un compte individuel pénibilité. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Le débat est loin d'être terminé, il va débuter avec les partenaires sociaux ; nous disposons désormais grâce à ce rapport des éléments d'analyse. Ensuite, ce sera au Gouvernement et au Parlement de prendre les décisions qui s'imposent.
Ce rapport contribue à l'effort pédagogique actuellement à l'oeuvre dans notre pays afin de démontrer que le problème des retraites est lié très étroitement aux réalités économiques et aux évolutions démographiques.
J'avais réalisé en 2000 pour le Conseil économique et social un rapport sur les retraites. C'est un choix politique, de société. Il faut donc voir comment adapter la société que nous voulons construire à ces réalités économiques et sociales. Nous ne sommes plus dans le modèle patriarcal s'étendant sur trois générations mais bien dans une société où cohabitent cinq générations et dont la clé de voûte est l'actif en fin de carrière qui doit encore s'occuper d'un parent très âgé mais aussi aider ses enfants et petits-enfants.
Il faut donc poursuivre le débat public. En 2000, j'avais suggéré de maintenir l'âge d'ouverture des droits à soixante ans, chacun pouvant choisir de partir ou non à cet âge en fonction de sa situation actuarielle. Dans un couple, cette opportunité peut être privilégiée pour débuter sa troisième vie, quand bien même la pension obtenue serait plus faible. Peut-on mesurer le coût d'une telle hypothèse ?
J'aurais aimé avoir des précisions sur les retraites des femmes. Les constats sont connus : emplois précaires, souvent à durée déterminée ou à temps partiel et de nombreuses interruptions tout au long de la vie professionnelle font que les pensions touchées par les femmes restent inférieures à celles des hommes. Qu'en dit votre rapport ?
Vous préconisez la suppression de l'exonération fiscale de la majoration de pension de 10 % pour les retraités ayant eu trois enfants ou plus. Ce serait une atteinte supplémentaire à la politique familiale. Les femmes, dont les pensions sont déjà faibles, devraient perdre le bénéfice de cette mesure alors que ce sont nos enfants qui financeront nos retraites. Quelle a été la réaction du Gouvernement à cette proposition ?
Le Gouvernement, en 2008, n'a pas souhaité remettre en cause, pour des raisons symboliques, la possibilité d'un départ précoce dans les régimes spéciaux. Quels sont les inconvénients de ces règles, auxquelles s'appliquent la décote et la surcote ? Permettre aux gens de liquider leur pension très tôt, moyennant décote, ne leur donne droit qu'à une retraite faible. Au bout de trente ans, ces personnes constituent la majorité des pauvres retraités.
C'est une question de mesure : on peut laisser une liberté de choix tant qu'elle reste raisonnable. Le critère de durée est plus fluide que celui de l'âge. Il faut toutefois réfléchir au degré de complexité du système et ne pas l'accentuer au travers des trois facteurs que sont l'âge, la durée et la décote. Le critère d'âge obéit d'ailleurs à une double borne : soixante-deux ans, âge minimal du départ en retraite, mais avec une décote si l'on n'atteint pas la durée de cotisation pour le taux plein, et soixante-sept ans, âge à partir duquel la décote ne s'applique plus. Toutefois, durant nos travaux, nous n'avons pas pu obtenir de chiffrage sur l'impact financier qu'aurait eu le maintien à soixante-cinq ans de l'âge de départ sans décote. Il faut donc trouver un point de compromis entre âge et durée afin d'éviter qu'il y ait trop de retraites faibles. Plusieurs pays sont confrontés à un tel cas de figure. Ainsi la Suède qui combine un âge de départ de soixante et un ans et l'existence d'une décote, réfléchit à donner plus d'importance à la durée de cotisation car le niveau des pensions liquidées est trop faible.
Nous n'avons pas travaillé sur l'hypothèse d'une augmentation de la durée de travail hebdomadaire ; cela n'entrait pas dans notre mandat. Est-ce pertinent ? Les actifs souhaitent avant tout une garantie sur le taux de remplacement assuré par leur retraite. Il serait très compliqué d'évaluer l'efficacité de cette solution, alors que le gain social et économique serait faible. Je ne pense pas qu'il faille lier la question des retraites à celle de la durée du travail en France.
Je regrette que mes propos dans Le Monde aient pu être mal interprétés. J'ai surtout voulu souligner que les problèmes actuels de nos régimes de retraite appelaient des réponses d'une autre nature qu'une réforme systémique. Il ne faut pas laisser croire qu'une réforme qui ne serait pas systémique serait une mauvaise réforme. C'est pourtant le sens de nombreux articles de journaux. Les Français veulent plus de lisibilité et mieux comprendre les différences entre régimes...
Notre rapport ne ferme pas la porte à une possible réforme systémique, qui passerait par des rapprochements entre les régimes. Sur les avantages familiaux et les pensions de réversion, nous sommes favorables à l'unification des systèmes, que ce soit pour les régimes de base ou complémentaires. Mais c'est un sujet sensible. Les régimes complémentaires ne sont pas forcément ouverts à une unification avec les régimes de base.
Un travail particulier, qui ne peut de toute évidence être achevé avant la fin de l'année, doit être réalisé pour les pensions de réversion. Il faut unifier leurs principes. C'est une source d'incompréhension pour les Français, qui trop souvent ne connaissent que les règles de leur régime de base et pas celles de leur régime complémentaire. Des conditions de ressources peuvent s'appliquer dans certains régimes et pas dans d'autres, les taux peuvent être différents, tout comme les conséquences d'un remariage.
Les pensions de réversion pour les générations actuelles sont particulièrement élevées, compte tenu du niveau de la retraite des femmes. Toutefois, la situation sera différente dans vingt ans, lorsque la moitié d'une génération ne sera pas mariée. Deux réformes sont donc nécessaires : l'unification aujourd'hui et ensuite la préparation du futur.
Seule une organisation syndicale est porteuse d'une réforme systémique : la CFDT, avec ardeur et constance. La demande des Français est ambigüe. Qui est réellement prêt à abandonner son propre régime ? Cela ne me semble pas être le cas des fonctionnaires, ni des professions libérales. Un seul point d'appui chez les partenaires sociaux est insuffisant, tandis que je ne vois pas d'empressement de la part des partis politiques. Beaucoup d'argent est dépensé pour les retraites, d'une manière qui ne rapproche pas assez les Français. Il faut aller vers plus de cohésion et de force du système social. La branche retraites est celle qui est la source de plus de crispations inutiles.
Il est incontestable que la réforme de 2010 a permis d'importants gains financiers et a aidé les régimes complémentaires. Elle a été présentée comme une réforme équilibrée, sur la base d'un scénario pour 2020 moins dégradé qu'actuellement et de compléments apportés par des ponctions non pérennes sur le Fonds de réserve des retraites (FRR). Il n'est pas interdit de faire appel à celui-ci. Mais en comptant en partie sur des mesures non durables, la réforme de 2010 n'a pas permis d'atteindre un équilibrage sincère en 2020. C'est en cela que je la juge insuffisante.
On peut qualifier de petite retraite des revenus inférieurs à 1 000 euros par mois. Le minimum de pension dans le régime général est d'environ 800 euros, l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) étant actuellement de 787,26 euros. L'objectif fixé en 2003 était de la porter à 85 % du Smic. Ce n'est pas encore le cas, mais il faut poursuivre en ce sens. La revalorisation des pensions avec l'inflation fait que celles-ci progressent moins vite que le niveau de vie, et les plus faibles d'entre elles vont être rattrapées par le minimum vieillesse. Il faut donc tenir le taux de remplacement, qui reste malgré tout historiquement très bon. Le niveau de vie des retraités est à parité avec celui des actifs par unité de consommation. Mais la période de grand rattrapage des retraites, lorsque la pauvreté touchait essentiellement les retraités, est derrière nous.
Qui ne connaît pas des personnes touchant une petite pension de réversion mais devant en consacrer une grande partie pour payer leur loyer ? C'est une situation malheureusement banale.
C'est la raison pour laquelle il faut refuser leur sous-indexation. Les petites retraites seront malgré tout touchées par la sous-indexation des régimes complémentaires, qui ne distinguent pas selon le niveau de la pension.
L'augmentation de 0,1 point des cotisations, pendant quatre ans, rapporterait au total 3 milliards d'euros. On ne peut bien sûr pas indéfiniment les augmenter mais il était impossible d'exclure une telle mesure a priori de nos scénarios, bien que cela ait beaucoup déplu au Medef.
Lors de la conférence sociale, durant laquelle j'étais facilitateur de la table ronde présidée par Marisol Touraine, j'ai présenté les conclusions du rapport. Les propos ont été moins vifs que ceux exprimés dans la presse, mais ce n'est pas pour autant qu'un seul euro supplémentaire a été dégagé pour 2020. Le Gouvernement tranchera, car aucun syndicat n'acceptera de signer un accord.
Nous ne proposons pas de diminution des moyens consacrés aux avantages familiaux pour la retraite. L'enveloppe doit rester constante. Toutefois, la bonification actuelle pour trois enfants et plus nous paraît mal ciblée car elle profite surtout aux hommes, dont la pension est plus élevée. L'idée serait de forfaitiser cet outil. Il faut également redéployer les avantages familiaux pour qu'ils bénéficient davantage aux femmes. En revanche, les pensions de réversion ne sont bien sûr pas concernées. Ce nouveau mécanisme reposerait sur le versement d'une somme fixe par enfant. Ainsi, les femmes, dont les niveaux de pensions sont plus faibles, bénéficieraient d'un avantage supérieur à la majoration actuelle de 10 %.
C'est une idée qui paraît intéressante, mais l'enveloppe globale va-t-elle changer tous les ans ? Comment serait calculée la somme forfaitaire par enfant ?
Des projections sont réalisées par des experts, afin de calculer le niveau d'équilibre des avantages familiaux à moyen terme. Un niveau de majoration est ensuite fixé, ainsi que les règles d'évolution de celle-ci.
Vos explications montrent la complexité du système actuel et la pertinence croissante d'une réflexion sur la création d'un régime universel.
Concernant les régimes spéciaux, quel est l'intérêt de maintenir un âge d'ouverture des droits artificiellement bas alors qu'en pratique les affiliés poursuivent leur carrière plus longtemps ? Alors qu'il concentre les suspicions et les critiques, voilà bien un débat dont on pourrait se passer.
La fiscalisation de certains avantages fait partie de vos hypothèses de travail. Cela doit s'intégrer dans une réflexion globale, avec les autres branches de la sécurité sociale. La fiscalisation de tous les revenus d'un ménage, et pas seulement de certaines catégories, doit être discutée. C'est une question de justice.
Si elles étaient mises en oeuvre, les propositions de votre commission rapprocheraient le système de retraite français du modèle suédois qui n'a pas spécialement fait ses preuves.
Comme l'a dit Christiane Demontès, votre commission a ouvert des pistes de travail dont il reviendra aux responsables politiques de débattre avant de trancher. A cette occasion, des solutions qui n'ont pas été explorées par votre commission pourront être évoquées. Je pense par exemple à la hausse des cotisations patronales. Votre rapport n'évoque que la possibilité d'une augmentation de 0,3 % de ces cotisations. Or, si nous mettions fin aux exonérations de charges sociales patronales, nous gagnerions 20 milliards d'euros, ce qui est loin d'être négligeable. Sans aller jusqu'à l'exonération totale, nous pourrions moduler les exonérations patronales en tenant compte des efforts réalisés par les entreprises.
Ensuite, je pense que le rapport de votre commission fait la part belle à l'idée selon laquelle l'allongement de la durée de vie induirait nécessairement l'allongement de la durée d'activité. Mais c'est l'espérance de vie en bonne santé qu'il faut prendre en compte. Or, si l'on en croit les chiffres de l'Insee pour la France métropolitaine, l'espérance de vie en bonne santé s'élève à 63,5 ans pour les femmes et 61,9 ans pour les hommes.
Je reviens par ailleurs sur la situation des femmes qui souffrent d'un faible taux de remplacement dans un contexte de carrières morcelées, fortement empreintes par le travail à temps partiel et un moindre niveau de salaire que les hommes. Si l'égalité salariale était véritablement appliquée, la branche vieillesse de la sécurité sociale bénéficierait de 5 milliards d'euros de recettes supplémentaires en 2015 et de 10 milliards d'euros en 2020. Pour l'ensemble des branches, l'apport serait même de 50 milliards d'euros.
Plus généralement, je relève la baisse d'ambition reflétée par l'emploi privilégié du mot « équité » par rapport à celui d'« égalité ». Ils ne sont pas synonymes !
Je serais également très intéressée par vos réponses sur les questions déjà posées relatives à la pénibilité.
Enfin, je partage l'idée d'indexer les retraites sur les salaires et non sur les prix. J'espère qu'elle trouvera à s'appliquer.
Je vous remercie, Madame Moreau, d'avoir fait référence aux réformes de 2003 et 2010, d'autant plus courageuses qu'elles ont été mises en oeuvre dans un contexte de fortes contestations qui a empêché les gouvernements de l'époque d'aller jusqu'au bout de leur démarche.
Je rappelle que si ces réformes n'ont pas produit tous les effets escomptés, c'est parce que le monde a été confronté à une crise sans précédent. Les produits des cotisations n'ont pas été à la hauteur de ce que nous attendions. Dans le contexte économique que nous connaissons, je crains que l'hypothèse d'une croissance de la productivité de 1,5 % soit quelque peu optimiste et que nous soyons contraints de revoir la copie plus tôt que vous ne l'envisagez.
Comme plusieurs de mes collègues, je regrette les appels à relever les cotisations sociales, les entreprises étant déjà bien mal loties actuellement. Je regrette également vos propositions consistant à dégager des recettes nouvelles par le biais de la fiscalité. A cet égard, je rappelle d'ailleurs que l'abattement de 10 % pour les retraités est plafonné à hauteur de 3 600 euros et que ce sont donc encore les classes moyennes qui risquent d'être mises à contribution.
Ma question est la suivante : comment concevez-vous la passerelle entre la création de recettes fiscales supplémentaires dans le budget de l'Etat ou de celui de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et leur affectation durable aux régimes de retraite ?
Lorsque nous avons voté la réforme de 2010, les personnes de bonne foi savaient que nous ne serions pas à l'équilibre en 2018. Nous avions néanmoins demandé à ce qu'un travail soit effectué à compter de 2013 sur l'éventualité d'une réforme systémique. Vous nous indiquez aujourd'hui que celle-ci ne constitue pas l'urgence principale, à l'inverse du rétablissement de l'équilibre financier. J'en conviens. Mais je m'étonne que vous n'ayez pas insisté sur le fait que si nous voulons une réforme systémique, quelle qu'elle soit, elle nécessiterait environ deux décennies pour être mise en oeuvre. On dit aujourd'hui que nous ne sommes pas prêts à l'évoquer ; ces ajournements successifs me semblent extrêmement inquiétants car je suis sûre que nous serons obligés, dans cinq ans ou même avant, de revenir sur les décisions qui seront prises à l'automne, et il faudra de nouveau négocier avec de nombreux partenaires pour déboucher sur des modifications a minima.
S'agissant des régimes spéciaux, vous avez rappelé que ceux-ci allaient progressivement s'aligner sur le régime général. Actuellement, les actifs du régime général doivent cotiser 41,5 annuités pour pouvoir partir en retraite à taux plein avant l'âge d'annulation de la décote. Dans combien de temps les retraités du régime de la SNCF, où l'âge légal de départ en retraite est aujourd'hui fixé à cinquante-deux ans pour les catégories actives, devront-ils remplir la même condition d'annuités que dans le régime général ?
Ils le pourront à compter de 2017 pour la génération née en 1955. Dans le passé, la direction de la SNCF avait le droit de mettre à la retraite d'office les agents de la SNCF à cinquante ans, donc même sans leur accord.
Cela n'est plus possible aujourd'hui. Actuellement, les comportements de départ en retraite se modifient sensiblement. Il en va de même dans la fonction publique. La culture particulièrement catégorielle et corporatiste de notre pays contribue à expliquer pourquoi l'âge légal de départ en retraite n'a pas été modifié en 2010 pour les régimes spéciaux.
Le relèvement des bornes d'âge pour les régimes spéciaux, c'est-à-dire le passage de cinquante à cinquante-deux et de cinquante-cinq à cinquante-sept ans, se met en place graduellement jusqu'en 2024. Notre commission a considéré que si nous revenions sur la question du report des âges de départ en retraite, cela remettrait en cause des évolutions déjà engagées et décidées dans la concertation.
En 2010, la situation était assez difficile pour les régimes spéciaux et il n'a pas été possible d'aller jusqu'au bout de ce qui était théoriquement envisageable. Je vois néanmoins que les régimes spéciaux sont en train de se réformer, ce qui est une bonne chose. Mais l'importance symbolique qui y est donnée me gêne.
Le jour où des passerelles existeront entre les métiers à la SNCF, certains conducteurs pourraient certainement, s'ils le souhaitent, poursuivre leur carrière dans l'entreprise. Ce serait sans doute plus difficile pour d'autres métiers, comme les aides-soignants. Aujourd'hui, c'est uniquement en se basant sur l'âge, la fonction et la personne que les possibilités de départ à la retraite sont calculées. La stigmatisation des « privilégiés » qui peuvent partir plus tôt à la retraite ne prend pas en compte le fait qu'il n'y a pas assez de solutions qui leur sont offertes pour rester dans l'emploi.
L'adaptation de la société française à l'augmentation moyenne de l'âge des salariés et à l'allongement de la durée de vie se joue sur l'emploi des seniors. Sur ce point, la fonction publique a beaucoup de travail à faire et pourrait utilement s'inspirer des Pays-Bas où, pour certaines professions comme les pompiers, des mesures de reconversion sont prévues dès le début de la carrière. C'est un exemple qui peut être intéressant pour les catégories actives, même si on ne peut pas demander aux administrations d'avoir des postes administratifs pour tous leurs agents.
Concernant la pénibilité, les aides-soignants de la fonction publique font partie des catégories actives, qui pouvaient partir à la retraite dès cinquante-cinq ans et à l'avenir à cinquante-sept ans. Dans la fonction publique hospitalière, la plupart des métiers sont classés en catégorie active.
Ce n'est plus le cas des infirmières, ce sont désormais surtout les aides-soignants et les agents des services hospitaliers.
Il y a bien évidemment des métiers pour lesquels, du fait de leur pénibilité, il est justifié de partir plus tôt à la retraite. Un effort généralisé d'amélioration des conditions de travail et d'adaptation des équipements doit être réalisé. De nombreux métiers peuvent encore être exercés à soixante ans dès lors que les équipements sont adaptés. Sur ce point, plusieurs pays sont très en avance sur le nôtre.
Certains métiers sont très fatigants. Il faut donc prévoir une reconversion en cours de carrière. Le compte individuel pénibilité tel que proposé par le rapport va dans ce sens, au bénéfice des salariés comme des entreprises. Pour d'autres professions enfin, la solution repose sur un départ précoce à la retraite.
En Suède, au Canada, en Allemagne ou au Japon, c'est-à-dire dans des régimes par annuités, par points ou par comptes notionnels, le pilotage tient compte, dans la revalorisation des droits, de la situation économique. C'est tout à fait faisable. En France, la difficulté tient dans la transposition des mesures prises pour le régime général aux régimes spéciaux ou à la fonction publique. Il faudra procéder par ajustements successifs.
La réponse à la question suivante ne peut être que politique : faut-il mettre en place un pilotage économique et social annuel des régimes de retraite ? Nous le proposons, mais je ne connais pas la position du Gouvernement à ce sujet.
Je ne suis pas certaine que l'égalité salariale soit la réponse définitive au problème des pensions de retraite des femmes. Cette mesure serait évidemment positive, mais il faudrait en examiner toutes les conséquences, c'est-à-dire l'impact sur les dépenses de pension, et pas seulement sur les rentrées de cotisations. Le champ de cette question dépasse cependant celui de notre mission.
La suppression des exonérations patronales relève plutôt d'une réflexion sur le financement de la protection sociale. Il ne faut pas détricoter celui-ci à partir des retraites.
On peut ne plus être en très bonne santé et continuer à travailler : j'en suis l'exemple. Ce n'est pas antinomique du travail. Il n'en reste pas moins que parmi les indicateurs à regarder de près dans le pilotage social des régimes de retraite figure l'évolution de l'espérance de vie en bonne santé. L'observatoire des fins de carrières professionnelles, dont la création est préconisée par le rapport, doit permettre de remédier à la situation actuelle car on ne sait pas ce qui se passe dans les cinq années qui précèdent la retraite. Que font les entreprises de leurs salariés âgés ? Quels sont les stratagèmes utilisés pour les sortir de l'emploi ? Ce n'est pas satisfaisant. Alors que l'Europe se fait l'apôtre de l'allongement de la durée de la vie active à un tel point que j'en suis parfois circonspecte, il n'en reste pas moins qu'une société s'enrichit lorsque sa population active augmente.
Enfin, s'agissant du financement des régimes de retraite, la compensation est critiquée par tous les régimes. Sa suppression procurerait au régime général un gain immédiat de 3,5 milliards d'euros. Une clarification est nécessaire, mais elle ne peut pas se faire d'un trait de plume. Il faut aussi présenter autrement les concours de l'Etat au financement des régimes de retraite, car l'incompréhension est trop grande aujourd'hui.
C'est un point que notre rapporteur général Yves Daudigny ainsi que la Cour des comptes ont relevé : ces relations financières doivent être simplifiées.
La commission désigne :
Yves Daudigny, rapporteur général, (équilibres financiers et assurance maladie) ;
Georges Labazée (secteur médico-social) ;
Isabelle Pasquet (famille) ;
Christiane Demontès (assurance vieillesse) ;
Jean-Pierre Godefroy (accidents du travail - maladies professionnelles).
Nous passons à la désignation des rapporteurs pour avis pour le PLF pour 2014.
Sont désignés :
- Gisèle Printz (mémoire et liens avec la Nation) ;
- Christiane Demontès (régimes sociaux et de retraite) ;
- Aline Archimbaud (solidarité, insertion et égalité des chances) ;
- Ronan Kerdraon (ville et logement) ;
- Dominique Watrin (santé) ;
- Laurence Cohen (action Mildt : mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie) ;
- Karine Claireaux (outre-mer) ;
- Claude Jeannerot (travail et emploi).
La commission nomme Mme Isabelle Pasquet en qualité de rapporteur sur le projet de loi n° 1219 (AN-XIVe législature) relatif à l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat.