La commission auditionne Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, sur la mission « Acte II de l'exception culturelle ».
Madame la ministre, nous avons entendu la semaine dernière M. Pierre Lescure que nous avons questionné sur son rapport « Acte II de l'exception culturelle ». Pouvez-vous nous dire quelle appréciation vous portez sur ce rapport et quel est l'avenir des propositions envisagées ?
À l'heure du numérique, les outils qui existent aujourd'hui en matière de politique culturelle doivent être réarmés. C'est l'un des axes constitutifs du nouveau pacte de politique culturelle qui figurait dans les engagements du Président de la République.
C'est un enjeu de taille, économique bien sûr pour des industries culturelles porteuses de compétitivité et d'emplois, mais surtout un enjeu symbolique de citoyenneté. Car la rémunération juste des créateurs et le financement efficace de la création doivent toujours être assurés en même temps que la diffusion la plus large des oeuvres et en particulier en direction de la jeunesse.
Comme vous avez pu le constater mercredi dernier lors de l'audition de Pierre Lescure, le rapport de la mission « Acte II de l'exception culturelle » est un outil extrêmement riche. Et je tiens à féliciter à nouveau Pierre Lescure et son équipe.
Vous connaissez le détail des 80 propositions. Il ne s'agit pas là d'une solution clé en main mais de propositions qui nécessitent une élaboration démocratique. Il faut maintenant passer de ce rapport à la mise en oeuvre concrète d'une nouvelle politique numérique culturelle. Cela suppose notamment d'identifier les mesures prioritaires, leurs modalités d'application et leur calendrier. Cette mise en oeuvre appelle des concertations, des arbitrages, une expertise technique et juridique. J'ai donc engagé une série de réunions avec les professionnels concernés. Une analyse juridique et technique sera menée par les services de l'État. J'ai aussi tenu à placer le dialogue interministériel et les temps d'échange avec le Parlement au coeur de cette mise en oeuvre car, vous le savez, je suis très attachée à cette élaboration conjointe, avec le Parlement, des textes législatifs sur lesquels il est appelé à se prononcer. Après l'audition devant l'Assemblée nationale il y a 15 jours, cette audition ici, au Sénat, constitue pour moi une étape décisive.
De ces 80 propositions, je retiens quatre grands domaines d'action : la mise en oeuvre d'une régulation nouvelle adaptée à l'univers numérique, l'amélioration de l'offre culturelle légale et de son accès, le financement de la création et la question du partage des revenus dans l'univers numérique et enfin, les actions à mener au niveau européen car c'est au niveau européen que nous devons, aussi souvent que possible, situer notre démarche.
Tout d'abord, la régulation. Elle doit s'entendre au sens large : si elle s'applique à l'offre culturelle légale elle doit aussi permettre de combattre efficacement l'offre illégale.
Nous sommes tous d'accord, le développement de l'offre légale est la clé du succès de la transition numérique. Cette régulation passe aussi par le combat contre l'offre illégale.
La lutte contre le piratage doit être réorientée très vite, pour viser en priorité le piratage commercial. C'est une mesure prioritaire : la lutte contre le piratage commercial, autrement dit contre les sites qui proposent des contenus illicites et génèrent des profits sans jamais rémunérer les créateurs, doit devenir l'axe majeur de lutte contre la circulation des contenus illicites. Pour cela, nous devons rapidement mobiliser tous les nouveaux acteurs autour d'une feuille de route précise. Il faut mettre autour de la table les fournisseurs de paiement et les régies publicitaires mais aussi les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les représentants des ayants droit et les organismes chargés du dépôt légal. J'ai décidé de confier à Mireille Imbert-Quaretta, auteur d'un récent rapport sur les moyens de lutter contre le streaming et le téléchargement direct illicites, la mission de définir et de mettre concrètement en oeuvre cette feuille de route.
La réforme de la riposte graduée est le deuxième aspect de la lutte contre l'offre illégale. Cela commence d'abord, vous le savez car je l'ai déjà annoncé, par la suppression de la coupure de l'accès à Internet. Cette mesure est loin d'être accessoire ou superflue comme certains voudraient nous le faire croire au motif qu'elle n'était jamais appliquée. La récente actualité leur donne tort et confirme la nécessité de la « coupure de la coupure » : il y a quinze jours, un tribunal d'instance a prononcé cette sanction à l'encontre d'un internaute contrevenant. Le décret, qui était ce matin en examen au Conseil d'État, devrait être publié dans les toutes prochaines semaines.
Il n'est cependant pas question dans le rapport Lescure d'abolir toute sanction à l'encontre des internautes pratiquant le téléchargement illégal. Au contraire, il propose, de manière très pragmatique, de maintenir la réponse graduée en l'aménageant et en ne la conservant que pour une durée déterminée. Le rapport souligne en effet très justement le caractère transitoire de la réponse graduée du fait de l'extrême volatilité des comportements des internautes. La mission propose de confier la mise en oeuvre de la réponse graduée au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) dont les compétences seront réorganisées pour être adaptées à l'ère numérique. J'ai demandé des expertises précises à ce sujet, notamment sur le type de sanctions -judiciaires ou administratives- le plus approprié.
L'entrée dans l'ère numérique suppose par ailleurs de confier, en ce qui concerne l'Internet, de nouvelles missions au CSA, avec une approche profondément renouvelée de la régulation. Cela pourra faire l'objet de la « deuxième loi audiovisuelle », qui abordera de manière plus globale la régulation de l'offre culturelle en ligne. Le CSA serait ainsi chargé de la mise en oeuvre d'un mécanisme de conventionnement fondé sur un équilibre entre des engagements volontaires (exposition de la diversité, financement de la création, tarifs réduits ou ciblés) et des contreparties en termes d'accès aux aides publiques, d'accès aux consommateurs, voire d'accès anticipé à la distribution des oeuvres. Concernant ce dernier point, le rapport suggère d'aménager la chronologie des médias. Ce dispositif nécessitera un temps de concertation approfondi avec les différentes parties prenantes. C'est pour cela que j'ai décidé de lancer bientôt une concertation professionnelle dans le prolongement des Assises de l'Audiovisuel du 5 juin dernier. Parce qu'il s'agit là d'une étape indispensable de l'Acte II de l'exception culturelle, je souhaite qu'elle trouve une traduction législative avant la fin de l'année 2013.
Le deuxième point important consiste dans l'amélioration de l'offre légale et de l'accès à cette offre.
Le rapport propose plusieurs pistes pour développer l'offre culturelle légale tout en prenant en compte les nouveaux usages. Les plus urgentes me semblent être les suivantes.
Tout d'abord, je l'ai déjà évoqué, il nous faut reprendre la discussion sur la chronologie des médias. La discussion est en cours ; elle se déroule sous l'égide du CNC. Je souhaite qu'elle aboutisse d'ici la fin de l'année.
Il est aussi proposé de subordonner les aides publiques, en particulier les aides à la numérisation, à la disponibilité de l'oeuvre au format numérique.
Concernant enfin sa création et sa diffusion, il s'agit de définir un nouveau cadre juridique pour le contrat d'édition numérique. J'y travaille depuis un an : et nous avons obtenu, grâce au professeur Sirinelli, un accord historique entre éditeurs et auteurs dans le domaine du livre. Je souhaite que cet exemple se généralise. Ainsi, nous travaillons avec les parties intéressées pour voir si une médiation comparable pourrait être engagée dans le secteur de l'édition musicale.
Le rapport propose aussi plusieurs pistes afin de sécuriser le cadre légal des pratiques existantes. C'est un enjeu décisif dont il faut se saisir sans tarder dans l'intérêt de la relation entre les créateurs et le monde de l'Internet.
Il s'agit tout d'abord de mettre plus efficacement les oeuvres à la disposition des personnes handicapées. À ce titre, un rapport de l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) vient de m'être remis et j'attends, avant l'été, un rapport sur la dimension internationale de la question, rédigé dans le cadre des négociations qui viennent de se terminer à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
Il s'agit ensuite de réfléchir, dans la lignée de la piste ouverte par le rapport Lescure, aux échanges non marchands dans le cadre du cercle privé, une notion qu'il convient de définir car elle si elle dépasse le cercle familial, elle ne peut être extensible à l'infini ; l'Hadopi, comme vous le savez, vient d'ouvrir, de son côté, ce chantier, mais avec une approche différente, davantage économique que juridique. C'est bien la dimension juridique que je souhaite quant à moi privilégier.
Il nous faut aussi sécuriser le cadre juridique applicable aux oeuvres dites transformatives -le mashup ou le remix- pour mieux accompagner le développement des nouvelles pratiques artistiques à partir du numérique.
Enfin la réflexion sur la consécration positive de la notion de domaine public me paraît très importante pour pleinement reconnaître et valoriser ce patrimoine commun qu'est le domaine public numérique.
Le financement de la création et le partage des revenus dans l'univers numérique constitue le troisième grand axe.
Le transfert significatif de valeur vers les canaux de distribution et de diffusion, au détriment des contenus culturels, est largement illustré dans le rapport Lescure. La valeur créée par le développement des usages culturels numériques a beaucoup plus profité aux industries numériques qu'aux créateurs. Il nous faut corriger ce déséquilibre et retrouver un partage équitable de la valeur.
Le rapport Lescure propose de créer une contribution sur les terminaux connectés (CTC), qui permettent de stocker ou de lire des contenus culturels. Cette contribution aurait vocation à devenir un véritable outil d'exception culturelle dans l'univers numérique. Elle permettrait d'alimenter un compte d'affectation spéciale dans les conditions prévues par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Son produit serait affecté prioritairement au financement d'actions de soutien au développement numérique des industries culturelles. Les domaines concernés prioritairement sont la musique et la photographie, très touchées par la révolution numérique. Elle permettrait aussi de financer des actions transversales telles que l'harmonisation et la circulation des bases de métadonnées qui jouent un rôle essentiel à la structuration et à la lisibilité des offres. Cette mesure s'inscrit dans la droite ligne des engagements présidentiels pour une rémunération des créateurs financés non plus seulement par les usagers mais par tous les acteurs de l'économie numérique qui profitent de la circulation numérique des oeuvres. C'est une mesure qui permettrait, comme dans l'univers analogique, de restaurer la solidarité entre l'amont et l'aval de la chaîne. La discussion engagée sur ce point doit aboutir dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014. J'aurai alors besoin de tout votre soutien sur cet aspect majeur de modernisation de nos circuits de financement de la création.
Parmi les autres pistes de financement figure également le régime de la copie privée. Je l'ai souvent rappelé, je suis très attachée à ce mécanisme vertueux et moderne. Je précise que 25 % des sommes collectées financent des actions d'intérêt général qui irriguent toute la filière, et les festivals en particulier. Le rapport de Pierre Lescure appelle à consolider ce mécanisme, dans la lignée de la décision de la commission de la copie privée du 14 décembre dernier qui a refondu la quasi-totalité des barèmes avec une méthodologie clarifiée. Au-delà de cette étape essentielle, l'avenir de la copie privée reste à écrire. Pierre Lescure a fait sur l'architecture de ce système des propositions intéressantes qui sont en cours d'analyse dans mes services.
Par ailleurs, je souhaite que soit renforcé le rôle de l'Institut de financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), cet établissement de crédit spécialisé sur ce secteur des industries culturelles, dont la compétence est largement reconnue, et appréciable alors que le modèle de ces industries fonctionne souvent sur le prototype, et que le tissu de ces entreprises est majoritairement composé de très petites entreprises (TPE). Un partenariat avec la Banque publique d'investissement (BPI) permettrait à cet établissement d'étendre le périmètre de ses interventions vers des secteurs et des TPE qui n'accèdent aujourd'hui que marginalement aux ressources des « investissements d'avenir ». Nos industries culturelles ne sont pas sous perfusion. Riches en emplois, porteuses de croissance et de capacités d'exportation, elles ont simplement besoin, comme toutes les autres entreprises, de financements adaptés. À cette fin, l'IFCIC doit jouer le rôle de « poisson pilote » de la BPI.
Il importe enfin, dans le cadre du réaménagement en cours des investissements d'avenir, que ceux-ci puissent contribuer à financer le développement de plateformes et de services numériques innovants.
Le partage de la valeur concerne aussi tous les acteurs des différents secteurs. Des règles plus claires doivent éviter aux créateurs de l'univers numérique d'être toujours lésés au profit des producteurs ou des diffuseurs. Si les modèles économiques changent à l'ère numérique, il reste nécessaire de contrebalancer le rapport de forces défavorable aux créateurs. Ce principe n'est pas neuf puisqu'il a motivé la création du droit d'auteur en France.
Dans le domaine de la musique enregistrée, des négociations devraient être très rapidement engagées pour évoquer la rémunération des artistes au titre de l'exploitation en ligne de leurs oeuvres. Le rapport propose plusieurs pistes, passant d'abord par la négociation et, en l'absence d'accord, par la mise en place, par la loi, d'une gestion collective obligatoire. Je souhaite que des négociations puissent rapidement s'engager à l'automne.
Dans le domaine de la musique toujours, le rapport propose la création d'un droit sui generis des producteurs de spectacles vivants. Cette proposition répond à des attentes fortes. Nous avons entrepris une expertise approfondie de cette piste et allons commencer le travail avec les professionnels concernés.
Concernant la photographie, l'enjeu est grand. Je l'ai déjà dit, c'est un secteur extrêmement touché par la révolution numérique. Nous devons définir un code de bonne conduite, notamment pour encadrer le recours à la mention « DR » - droits réservés. Dans le secteur de la photographie de presse, j'ai confié à M. Francis Brun-Buisson, conseiller maître à la Cour des comptes, une mission de médiation entre les agences et les éditeurs de presse.
Le quatrième point décisif est relatif à la dimension européenne.
Nous devons nourrir une ambition européenne pour la culture. C'est ce qu'a démontré le récent débat au sein du Conseil européen et le succès de notre combat au nom de l'exception culturelle. C'est aussi la conclusion à laquelle conduisent les propositions du rapport Lescure.
En matière fiscale, nous voulons défendre la pleine consécration du principe de neutralité technologique par l'application des mêmes taux de TVA aux services en ligne et aux services traditionnels, comme c'est le cas, déjà, pour le livre numérique ;
En matière d'aides d'État, la mission préconise de défendre auprès des instances communautaires l'inclusion des aides aux services et plateformes culturelles numériques, pour la diffusion et la distribution, dans les aides à la promotion de la culture. Dans une perspective de simplification et d'allègement des procédures, l'exemption de l'obligation de notification des aides d'État à la culture est une demande qui me tient à coeur, ainsi qu'à mon homologue allemand de la culture, M. Bernd Neumann : nous avons adressé ensemble un courrier à ce sujet à la Commission européenne.
En matière de concurrence, la mission suggère de plaider pour une réforme de la directive Service médias audiovisuel (SMA) afin d'appliquer à ces services la règle du pays de destination du service et de définir des règles communes pour tous les distributeurs de services audiovisuels, numérique inclus. C'est un chantier décisif pour l'avenir de la réglementation audiovisuelle européenne.
En matière de lutte contre le piratage, il nous faut lancer une réflexion à l'échelle européenne : nous devons nous interroger sur le rôle des intermédiaires de l'Internet dans la prévention et la cessation des comportements délictueux ou criminels sur Internet.
En matière de droits d'auteur, enfin, une mission a été engagée, confiée au Professeur Sirinelli sur les enjeux qui doivent nous guider dans le débat qui s'ouvre sur une éventuelle réouverture de la directive 2001/29 sur le droit d'auteur et les droits voisins.
Vous le voyez, beaucoup de ces propositions reposent sur le dialogue communautaire. Je veillerai, comme j'ai pu le faire récemment, à expliquer les réflexions menées au niveau national et à en souligner la dimension européenne. Le rapport de Pierre Lescure a été remis à chaque membre du Conseil européen des ministres de la culture. Pierre Lescure ira d'ailleurs le promouvoir en missi dominici dans différents pays européens. Vous l'aurez compris, nous sommes dans une phase de réappropriation des propositions de ce rapport. Et la France a un rôle pilote dans ce secteur.
Nous aurons aussi l'occasion de discuter de ces questions lors du prochain Conseil informel des ministres de la culture en octobre en Lituanie. Car en défendant ces idées au niveau européen, nous montrons que nous portons une véritable ambition pour la politique culturelle européenne, dans un dialogue constant avec les autres pays membres, au premier rang desquels l'Allemagne.
Vous avez donc pu vous en rendre compte, le programme est dense. Parce que l'enjeu est considérable, parce que notre ambition est grande.
Merci Madame la ministre pour cet inventaire complet des mesures envisagées par le Gouvernement suite au rapport Lescure consacré aux conséquences à tirer de cette mondialisation numérique, qui s'insinue dans notre quotidien et jusque dans l'intimité de nos foyers. De ce que vous venez de nous dire, nous retenons qu'un certain nombre de changements seront négociés avec les professionnels sans intervention directe du Parlement et que d'autres feront l'objet de directives européennes.
En revanche, nous serons concernés au premier chef par la contribution sur les terminaux connectés, qui sera discutée lors de la discussion de la prochaine loi de finances, à l'automne prochain.
Au même moment, nous examinerons également deux textes relatifs au Conseil supérieur de l'audiovisuel, destinés à garantir l'indépendance de l'audiovisuel public et de la nomination de ses présidents.
La multiplicité des questions posées par le numérique fait que nous devrons avoir recours à de multiples instruments législatifs.
Nous vous devons un satisfecit quant à la façon dont vous avez fait valoir l'exception culturelle au début des négociations sur le libre-échange, mais nous vous invitons à ne pas baisser la garde, la Commission européenne pouvant à tout moment être tentée de céder aux États-Unis, en réintroduisant dans la négociation ce cheval de Troie que constitue l'offre culturelle sous ses formes dématérialisées.
En tant que rapporteur de la loi sur la rémunération pour copie privée, je ne partage pas votre enthousiasme pour les mécanismes de prélèvement actuels, qui ont d'ailleurs été remis en cause par le rapport Victorino. Le système en vigueur, caractérisé par son opacité et ses barèmes inadaptés, favorise l'émergence d'un marché gris sur des produits achetés à l'étranger et profite à des organismes privés, alors que ces recettes pourraient abonder le budget de l'État.
L'exclusion de l'exception culturelle des négociations sur l'accord transatlantique de libre-échange est un succès, mais le différend qui nous oppose aux États-Unis après la découverte des écoutes qu'ils mènent à l'encontre de leurs alliés ne risque-t-il pas de tout remettre en cause ? Le front européen ne risque-t-il pas de s'effriter ? Le Président de la République vient d'exiger des explications, mais quelle sera notre réaction quand on nous aura répondu ?
La jeunesse constitue une population très à l'aise dans l'univers du numérique, mais peu sensible aux enjeux économiques, ainsi qu'aux notions de propriété intellectuelle ou artistique. Par-delà la lutte contre le piratage, nous devons engager une action pédagogique d'ampleur auprès des jeunes afin de les éduquer en les sensibilisant à ces questions.
Comme plusieurs de mes collègues, je voudrais saluer votre combat pour l'exception culturelle, tout en insistant sur le fait qu'une certaine vigilance reste de mise, s'agissant notamment de nos partenaires européens, dont nous devons nous efforcer d'entretenir la motivation de façon permanente.
Je souhaiterais avoir votre avis sur la fiscalité des écrans qui, selon moi, reste un sujet tabou : le prélèvement que vous préparez doit-il se substituer à un autre ou s'ajouter au dispositif ? D'autre part, comment envisagez-vous l'utilisation et la répartition des sommes collectées ? Vont-elles contribuer au financement de l'audiovisuel public ?
Je souhaitais aussi vous faire part de quelques craintes concernant le maintien des aides territorialisées, qui m'apparaissent tout à fait indispensables au secteur du cinéma, tant au niveau européen qu'au niveau national.
Je pense, comme ma collègue Dominique Gillot, que la sensibilisation des jeunes aux notions de droits et de propriété intellectuelle doit désormais faire partie de leur éducation. Je souhaiterais aussi rappeler les immenses possibilités offertes par le numérique en termes de supports pédagogiques et la nécessité de s'entendre avec les professionnels pour l'élaboration et la diffusion d'outils nouveaux.
En juin dernier, nous avons donné à nos négociateurs un mandat pour des discussions qui prendront sans doute plusieurs années. L'exception culturelle n'est pas le seul domaine exclu du champ des négociations de l'accord transatlantique de libre-échange, car les marchés publics et les marchés liés à la Défense ne seront pas traités dans ce cadre. Par ailleurs, chaque État nord-américain ayant sa législation propre, la conclusion d'un accord avec les États-Unis ne lèvera pas forcément instantanément tous les obstacles aux échanges.
S'agissant du numérique, nous devons aussi garder à l'esprit que de nombreuses « start-up » françaises opérant sur ce secteur bénéficieront d'un accord de libre-échange qui facilitera leurs exportations.
Enfin, je souhaiterais savoir si des mesures sont envisagées pour faire bénéficier les personnes handicapées d'offres numériques moins coûteuses.
Madame la ministre, je me permets d'ajouter une question sur la protection des droits liés aux productions de spectacles vivants et je vous laisse la parole pour répondre aux différents intervenants.
Je voudrais préciser que les premières propositions relatives au mandat de négociation de l'accord de libre-échange qui nous ont été soumises par la Commission européenne, et qui ont été refusées à l'unanimité, faisaient bien état d'une exception culturelle, mais celle-ci ne concernait que les supports analogiques. La victoire nette obtenue a consisté à exiger que l'exception culturelle soit adaptée à tous les aspects du contexte nouveau généré par la révolution numérique. Cette discussion va durer longtemps. La règle de l'unanimité est préservée et la France va pouvoir faire valoir sa position sur l'exception culturelle. Nous voulons que le principe soit acté afin de pouvoir adapter notre dispositif au numérique. Nous savons que les Américains ont une position offensive sur le numérique culturel. Et c'est pour cela que nous avons défendu notre position qui n'est pas du tout réactionnaire ! C'est tout l'enjeu du combat.
Concernant la rémunération pour copie privée, c'est un modèle qui repose sur le droit d'auteur. Aujourd'hui, la société de perception et de répartition des droits (SPRD) gère ces droits d'auteur. Elle attribue 25 % selon des critères qui lui sont propres. On peut demander plus de transparence mais cela ne doit pas remettre en cause ce mécanisme.
Sur la consolidation de la gouvernance, un arbitrage est en cours. La CTC peut permettre de contrebalancer le rendement de la copie privée, d'ici quelques années, selon un mécanisme de ciseaux L'objectif est d'éviter le recoupement des différentes fiscalités. Il n'est pas contraire aux règles européennes de mettre en oeuvre des aides indirectes, de compenser le préjudice potentiel de copie privée. Le financement des nouveaux acteurs se ferait par trois mécanismes qui ne fonctionnent pas de la même manière et qui ne se recoupent pas dans un objectif de court et moyen terme.
S'agissant des écoutes à grande échelle menées par les services américains, le Président de la République a exigé toutes les explications nécessaires. Quant à l'accord de libre-échange, je suis favorable à un accord global avec certaines conditions concernant la culture, l'agriculture, la défense... Je serai très vigilante sur ma partie. Je souhaite préserver notre capacité à nous projeter dans le monde, notre capacité d'influence et, surtout, de conserver nos filières de création. C'est un enjeu stratégique majeur. C'est au coeur même de la souveraineté de la France et de l'identité de l'Europe. Quinze Etats membres ont soutenu notre démarche et l'ensemble de la presse européenne a salué la position française sur l'exception culturelle. L'opinion publique nous a également soutenus, notamment en Allemagne.
Concernant la pédagogie, l'essentiel est d'apprendre aux jeunes l'économie de la création. Il faut leur expliquer comment une oeuvre se crée et quelles sont les conditions matérielles de la création. Cela doit être inclus dans le cadre de la formation, au collège, au « brevet Informatique et Internet » (B2i) et j'y suis favorable.
Je propose de rester vigilante à la fiscalité sur les écrans. Il faut s'adapter aux usages et la neutralité technologique fiscale doit s'appliquer partout. Je soutiens la mise en place de la CTC dans le but d'alimenter les filières culturelles et non les caisses de Bercy !
Sur la communication « cinéma », je vais demander le report du rapport du commissaire européen, qui n'est pas du tout satisfaisant.
En matière pédagogique, nous travaillons sur l'exception pédagogique avec le ministère de l'Éducation nationale, à la création d'un espace numérique de travail entre les enseignants et les élèves. Nous progressons sur ce sujet. Il faut trouver un équilibre dans l'utilisation des extraits d'oeuvre dans le cadre de cet espace.
Sur les prix de l'offre culturelle, dans le cadre des nouveaux conventionnements, des pistes seront proposées en fonction des différents publics, des tarifs seront ciblés selon les plateformes... Je travaille aussi sur l'offre proposée par le ministère de la culture. C'est un axe majeur.
Enfin, s'agissant des producteurs de spectacles vivants, nous sommes actuellement dans une zone de non-droit. Les producteurs voient leurs spectacles captés sans sécurisation. Nous réfléchissons à ce sujet pour créer un droit sui generis.
Concernant Amazon, nous travaillons à l'amélioration de notre système pour soutenir les librairies françaises qui se mutualisent sur des sites de vente en ligne et qui renvoient vers des librairies de proximité.
Les photographes nous ont également alertés sur Google +, qui invite les utilisateurs à créer une page identitaire qui « avale » immédiatement vos photos privées et en fait un mur d'accès public pour tous. Désormais, la presse utilise ces images privées et ne rémunère plus les professionnels de la filière. La question de la non-spoliation fait aussi partie de l'exception culturelle.