Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Dominique Martin, candidat pressenti pour le poste de directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) (en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique).
Nous recevons cet après-midi M. Dominique Martin, auquel le gouvernement souhaite confier la direction générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en remplacement du professeur Maraninchi. Cette audition s'inscrit dans le cadre fixé par l'article L. 1451-1 du code de la santé publique relatif aux procédures de nomination en qualité de président ou de directeur des agences sanitaires.
Nous savons les conditions dans lesquelles l'ANSM a été créée par la loi de 2011 sur la sécurité sanitaire des produits de santé, pour remplacer l'Afssaps, agence française de sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, avec des missions et des pouvoirs renforcés. Depuis, nous avons à plusieurs reprises évoqué le rôle de l'ANSM sur des questions telles que les dispositifs médicaux implantables, les vaccins, la sécurité des médicaments génériques ou le circuit du médicament.
Nous connaissons également M. Dominique Martin, directeur des risques professionnels à la caisse nationale d'assurance maladie, en charge à ce titre depuis près de trois ans de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP). Il a occupé par le passé plusieurs fonctions dans le domaine de la santé et il a notamment été durant neuf ans le directeur de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).
M. Martin m'a fait parvenir sa déclaration publique d'intérêts, que je tiens à votre disposition et qui ne mentionne aucune activité, aucun fait ou intérêt susceptible d'être soumis à déclaration. Je vais laisser M. Martin évoquer son parcours professionnel et la façon dont il aborde la fonction que le gouvernement souhaite lui confier.
C'est un honneur d'être entendu par votre commission. Vous avez cité l'article L. 1451-1 du code de la santé publique relatif aux procédures de nomination. Cet article a été introduit à l'occasion de la loi de 2011 qui a créée l'ANSM, à la suite de la crise du Médiator. La transparence, l'ouverture sociale et politique sont apparues, depuis ce scandale, indispensables. Si je suis nommé à la tête de l'ANSM, je serai amené à être auditionné régulièrement, ce dont je me félicite, car cet organisme doit rendre compte de ses activités.
J'ai 58 ans, j'ai travaillé dans le domaine sanitaire et social, je suis médecin, psychiatre, mais j'ai aussi une formation en statistique et en épidémiologie. J'ai suivi une formation complémentaire en sciences sociales et je suis passé par l'ENA. Depuis lors, j'ai travaillé successivement à la direction générale de la santé, puis en cabinet ministériel avec Mme Gillot et avec M. Kouchner où j'ai piloté la loi sur les droits des malades, ce qui m'a permis de tisser des liens avec les mouvements associatifs, mais aussi avec les professionnels de santé. Dès ma sortie de l'ENA, en 1997, je me suis occupé de la loi de renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, ce qui a conduit à la création de l'Afssaps. J'ai participé à la rédaction des décrets. Au cabinet de M. Kouchner, je me suis attaché à la disposition dite « anti-cadeaux » pour mettre fin aux avantages consentis par l'industrie pharmaceutique aux professionnels de santé. En 2002, j'ai créé l'Oniam avec Claude Huriet : cela fut une expérience enrichissante et je crois que nous avons fait du bon travail. J'ai beaucoup travaillé sur le médicament, sur les vaccins, sur les accidents médicamenteux, mais j'ai eu aussi à connaître du procès pénal sur les hormones de croissance. Nous avons également traité l'accident des sur-irradiés d'Epinal et de Toulouse afin d'indemniser rapidement les victimes, avant que le procès pénal détermine les responsabilités. J'ai intégré la direction de la branche AT/MP de la Cnam en 2011 ; je suis un peu triste de quitter si vite une instance où le dialogue social n'est pas un vain mot. Je suis également membre du comité de direction de la Cnam. Enfin, j'ai été membre de MSF où je me suis beaucoup occupé des conflits armés, d'abord sur le terrain puis, pendant de nombreuses années, au siège.
Mon parcours est marqué à la fois par le service au public en difficulté, voire en danger et par le fait que je suis un praticien - j'aime beaucoup ce terme - de l'humanitaire et de l'action publique.
Très attaché à l'accès à l'information et à la déontologie, je souhaite mettre à disposition de l'ANSM ma formation et mon expérience. Cette agence est essentielle dans le domaine de la santé publique et de la sécurité sanitaire. Bien sûr, elle a été marquée par le drame du Médiator. Après les assises du médicament, la loi de 2011 a constitué la feuille de route de l'Agence. L'enjeu principal est de continuer à mettre en oeuvre cette loi : ainsi, faudra-t-il que l'ANSM internalise l'expertise, alors que tel n'était pas le cas auparavant. Elle devra donc recruter et former le personnel, afin que l'expertise interne soit de qualité ; elle devra aussi surveiller les mises sur le marché et les produits commercialisés tout au long de leur vie : la modernisation du réseau de pharmacovigilance est indispensable. Il faudra également résoudre la problématique des sous-déclarations et permettre aux usagers de signaler des évènements indésirables. En outre, la pharmacovigilance européenne ne doit pas être négligée : la présence de notre pays y est indispensable. La pharmaco-épidémiologie devra enfin se développer, en s'appuyant sur l'expertise de la Cnam.
La politique du médicament doit prendre en compte à la fois la production, les contrôles, la distribution, la prescription et la consommation. Je vous incite à consulter l'excellent rapport Bégaud et Costagliola : notre pays est en surconsommation médicamenteuse, ce qui entraîne le plus souvent des mésusages. Or, ces derniers impliquent que la pathologie n'est pas traitée, que des effets secondaires apparaissent et que des crédits sont dépensés en pure perte. Il faut donc créer un service public du médicament pour mettre en lien l'ANSM, la HAS, la Cnam et l'InVS.
Les thérapies innovantes coûtent cher et les autorisations temporaires d'utilisation (ATU) sont nécessaires, tout comme des AMM adaptés aux enfants.
Notre présence au niveau européen est cruciale. Avec l'affaire du Médiator, la France a perdu en influence, mais les choses s'améliorent et l'ANSM a retrouvé une certaine crédibilité.
En 2012 et 2013, l'ANSM a mis son personnel sous forte pression : sur 1 000 personnes, 800 ont changé de poste ou de fonction. Je m'inscrirai dans la continuité de la loi, mais je renforcerai le dialogue social afin d'apaiser les tensions.
Dans l'affaire du Médiator, l'instruction est bientôt terminée. D'ici la fin de l'année, une ordonnance de règlement sera prise : l'ANSM sera renvoyée, ou non, en correctionnelle.
Le contrat d'objectif et de performance devra être signé avec l'Etat d'ici la fin de l'année. Je serai très attentif à ce que les moyens de l'établissement ne soient pas trop réduits afin, notamment, de pouvoir intervenir au niveau européen.
Le contrôle de la Cour des comptes s'est achevé et les observations provisoires devraient être remises avant la fin de l'année. Il s'agit toujours d'un moment difficile pour un directeur, mais le rôle de la Cour est essentiel. Les conclusions de la mission IGAS devraient bientôt être publiées.
Je tiens à rendre hommage au travail du professeur Maraninchi qui a fait preuve d'un grand courage en prenant la direction de l'Afssaps en 2011. Beaucoup a été fait, mais il faut poursuivre la modernisation de cette agence dans un climat serein.
Comment l'ANSM pourra-t-elle reprendre sa place en Europe ? Comment assurer l'indépendance des chercheurs et comment éviter le lobbying des grands groupes ?
Une tribune libre s'attaquant violemment aux génériques est récemment parue dans Les Echos, estimant que les excipients ne sont pas les mêmes et que les effets psychologiques sur les malades peuvent être catastrophiques. Qu'en pensez-vous ?
Le projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale que nous venons d'adopter traite, entre autres, de l'élargissement de la recommandation temporaire d'utilisation (RTU), en s'appuyant sur deux jugements de la Cour de justice de l'Union européenne. Cette disposition a été présentée par certains comme dangereuse. Quelle est votre analyse ?
Comment le directeur de l'ANSM peut-il être indépendant face aux intérêts économiques et financiers ?
Certes, l'ANSM ne fixe pas les prix, mais peut-elle avoir une influence sur leur niveau ?
Nous ne pouvons tolérer que ceux qui fabriquent les médicaments les évaluent. Comment assurer l'indépendance des chercheurs ? Pouvez-vous préciser ce que vous voulez dire lorsque vous parlez d'internaliser l'expertise ?
Le Parlement a voté une loi pour protéger les lanceurs d'alerte, mais tous les décrets d'application n'ont pas été publiés.
Comment moderniser la pharmacovigilance ?
Que faire pour que l'Agence puisse contrer efficacement les lobbies ?
L'ANSM a demandé le retrait de certains lots de sang qui présenteraient un risque de maladie de Creutzfeldt-Jakob. Or, la France est le seul pays à opérer une telle distinction si bien que l'Etablissement français du sang est obligé d'acheter du sang à d'autres pays, sang qui est récolté de façon bien moins éthique que dans notre pays. Allez-vous modifier cette façon de faire ? En outre, l'Etablissement français du sang est en concurrence avec un laboratoire pour les médicaments dérivés du plasma : que comptez-vous faire ?
J'en viens aux vaccins au sel d'aluminium. Je suis favorable aux vaccins, mais certaines affaires ont jeté le doute sur l'indépendance des études menées.
Pour être crédible au niveau européen, l'ANSM doit être irréprochable mais aussi pragmatique : ainsi, les délais pour traiter les dossiers doivent être respectés. Or, nous ne sommes pas encore assez diligents en la matière. La réputation du professeur Maraninchi a beaucoup contribué à la crédibilité de l'ANSM. Nous allons devoir recruter un pharmacologue de très haut niveau à réputation internationale pour porter la parole de l'Agence en Europe et dans le monde. Nous allons devoir aussi nouer des alliances, notamment avec les Allemands, car il existe déjà un axe anglo-suédois.
J'ai effectivement lu l'article sur les génériques dans Les Echos. Je vous assure que les génériques subissent les mêmes contrôles que les originaux, le princeps est identique même si les excipients sont un peu différents. Et les praticiens peuvent toujours indiquer sur l'ordonnance que le médicament n'est pas substituable... Les génériques sont-ils moins efficaces ? N'oublions pas l'effet placébo, sans doute plus important avec un médicament original. Ce qui me semble important, c'est de ne pas considérer les dossiers comme clos : il faut qu'ils restent ouverts car la science évolue.
L'élargissement de la RTU s'imposait : l'accès aux soins en sera amélioré.
Avant la loi de 2011, l'Afssaps était financée par les taxes. Désormais, l'ANSM est financée par le budget de l'Etat, ce qui est préférable. En outre, l'expertise a été internalisée, si bien que les agents de l'ANSM, s'appuyant sur des expertises externes, étudient les dossiers. En outre, l'Agence dispose de moyens d'intervention pour financer les recherches sur les niches qui n'intéressent pas l'industrie pharmaceutique. Elle peut également inciter l'INCa, l'ANRS ou l'Inserm à conduire des études sur des secteurs qui n'intéressent pas le secteur privé. Ce faisant, nous répondons aux problématiques de santé publique. Les grandes agences publiques ont tout intérêt à coopérer sous l'autorité de l'Etat pour créer une véritable puissance publique. Un recueil d'information commun serait ainsi indispensable.
Certes, il faut protéger les lanceurs d'alerte, mais faisons en sorte de réagir avant leur intervention ! Ayons la capacité d'analyser les signaux faibles et les statistiques. La pharmacovigilance peut encore être améliorée.
C'est en France que la maladie de Creutzfeldt-Jakob, avec la vache folle et l'hormone de croissance, a le plus frappé, ce qui explique notre sensibilité particulière à cette problématique.
Nous avons connu diverses crises vaccinales, notamment celle contre l'hépatite B, d'où une méfiance de certains de nos concitoyens à l'égard des sels d'aluminium. L'ANSM doit préserver la vaccination mais le dossier reste ouvert. Le principe de précaution est un bon principe car il permet d'éviter des actions malheureuses.
Un grand service public du médicament est indispensable. Faut-il, comme dans d'autres pays, limiter le nombre de médicaments ? Nous en consommons 20 à 30 % de plus que les autres pays européens...La question mérite réflexion.
Comme pour les collectivités territoriales, le mille-feuille des médicaments s'épaissit : même s'ils ne sont plus remboursés, ils continuent d'être vendus.
La coordination entre les diverses agences et autorités indépendantes me semble une bonne idée.
Les médicaments mis sur le marché par l'industrie pharmaceutique ne devraient-ils pas être expertisés par des chercheurs indépendants, comme cela se fait en Italie ?
Pourquoi les vaccins obligatoires sans sels d'aluminium ont-ils été retirés du marché ? Les explications ne sont pas convaincantes.
L'industrie pharmaceutique mène ses études, mais sous le contrôle de l'ANSM qui délivre ensuite l'AMM. Ces essais sont standardisés et relativement faciles à contrôler. En outre, la surveillance post-AMM s'est beaucoup développée depuis la loi de 2011. Enfin, l'Agence a lancé une réévaluation bénéfice-risque des médicaments anciens.
Je ne sais quel serait le coût pour l'Etat des essais cliniques mais je crains que la direction du budget n'y soit pas favorable.
La loi de 2011 a moralisé les pratiques et trois sénateurs et trois députés siègent au conseil d'administration de l'Agence.
J'aime vous entendre dire qu'il ne faut pas fermer les dossiers. L'industrie pharmaceutique souhaite conserver les médicaments qui lui rapportent de l'argent, d'où l'importance de l'ANSM.
Nous comptons sur vous, Monsieur Martin pour que l'Agence reste vigilante.
La réunion est levée à 16 h 20.