Notre commission d'enquête, qui a déjà procédé à un grand nombre d'auditions, a souhaité entendre Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cette audition ne porte pas sur la réforme du collège, qui fera l'objet d'une audition demain après-midi devant la commission de la culture. D'avance, merci de me faciliter la tâche, car je ne voudrais pas devoir refuser des questions sans lien direct avec notre sujet.
Je l'assume. Madame la ministre, entrée au gouvernement en 2012 comme ministre des droits des femmes et porte-parole du gouvernement, vous avez également exercé comme ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports avant de prendre le portefeuille de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche le 26 août 2014, une semaine avant la rentrée des classes.
Je ne doute pas que vous apporterez des réponses concrètes à nos interrogations, éclairant nos travaux sur les menaces qui pèsent sur le système scolaire et sur les solutions pour refaire de l'école le creuset de notre République. Comme le bureau de la commission d'enquête l'a décidé, votre audition sera diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié dans le recueil des travaux des commissions, et sur le site du Sénat.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Vallaud-Belkacem prête serment.
Merci de cette occasion de faire le point : de nombreux évènements ont eu lieu depuis janvier dernier, mettant en lumière certaines fractures qui traversent notre société, dont l'école est à la fois la vitrine et la caisse de résonance. Après les attentats, beaucoup de Français se sont interrogés sur l'école : comment mieux éduquer les enfants afin que pareils évènements ne se reproduisent jamais ?
Dans divers établissements, la minute de silence a été perturbée. J'ai réuni la communauté éducative ; et j'ai décidé une « grande mobilisation de l'école pour les valeurs de la République ». En plus de transmettre des savoirs, l'école doit en effet inculquer des valeurs.
Afin que tous les incidents fassent l'objet d'une remontée d'information, nous avons renforcé les procédures de signalement, notamment sur les risques de radicalisation. La coopération entre l'éducation nationale et les services de l'État s'est accrue : au 20 mai, 816 faits avaient été transmis à la police ou la justice, grâce à la vigilance des établissements scolaires qui se sont bien approprié les nouveaux outils. Les cellules de suivi préfectorales analysent ensuite les faits pour déterminer s'il s'agit, ou non, de cas avérés de radicalisation.
Nous avons donc mis en place le Sivis, système d'information et de vigilance sur la sécurité scolaire, et des enquêtes de victimisation et de climat scolaire. Chaque soir, les chefs d'établissement transmettent aux autorités compétentes les faits problématiques qui se sont produits : les 816 signalements témoignent non pas d'une augmentation des violences mais d'une amélioration de nos statistiques.
La grande mobilisation autour des valeurs de la République est fondée sur l'idée que les enseignants ne peuvent répondre seuls aux défis qui se posent à eux. Nous avons voulu associer les collectivités locales, les associations de parents d'élèves et tous ceux qui sont disponibles pour soutenir ce projet. Grâce à la réserve citoyenne, des citoyens volontaires - ils sont aujourd'hui 4 660 - peuvent intervenir dans les écoles. En outre, à la prochaine rentrée, 5 000 jeunes en service civique seront mobilisés dans les établissements afin d'accompagner les projets des équipes pédagogiques et améliorer le climat scolaire.
Nos consultations ont montré l'importance accordée au principe de laïcité pour protéger les élèves du prosélytisme, des éruptions identitaires et, simplement, garantir une cohabitation harmonieuse. Certains enseignants ne sont pas suffisamment armés pour expliquer à leurs élèves la laïcité. Nous avons décidé de mieux les former. Et un enseignement moral et civique (EMC) sera dispensé dès la rentrée prochaine, du primaire au lycée. En avril et en mai, nous avons formé 1 200 cadres de l'éducation nationale, chefs d'établissement, inspecteurs, conseillers pédagogiques, référents laïcité qui, à leur tour, formeront 300 000 enseignants d'ici la fin de l'année.
Chaque élève, du primaire au lycée, suivra donc 300 heures d'EMC : le programme a été rédigé par le Conseil supérieur des programmes (CSP). Les débats auront une grande place, pour développer l'esprit critique des élèves. Ce qui leur manque, souvent, c'est la capacité à trier l'information, à bien utiliser les outils numériques. Chaque établissement organisera un parcours citoyen : les élèves participeront à la vie démocratique citoyenne des établissements, prendront des responsabilités, développeront des relations avec les associations. Ce parcours sera valorisé dans leur évaluation.
Il nous est également apparu que bien des élèves avaient un faible niveau d'expression en français. Or, comment défendre ses idées quand on ne maîtrise pas les mots ? Dans les nouveaux programmes, la maîtrise du langage sera prioritaire et une évaluation interviendra au cours du premier trimestre de CE2, afin de vérifier les acquis et d'adapter l'enseignement.
L'objectif de la réforme du collège est précisément de garantir l'acquisition des fondamentaux, dont la langue française. Le développement du travail en petits groupes renforcera la maîtrise de notre langue, la capacité à débattre et à devenir citoyen à part entière.
La grande mobilisation, de janvier à la mi-mai, a dépassé nos espérances puisque 50 000 personnes se sont exprimées, disant leurs attentes considérables à l'égard de l'école mais aussi leur disponibilité. L'école doit s'ouvrir davantage aux parents d'élèves, aux associations et même aux entreprises.
Dans votre communiqué de presse du 14 janvier, vous rapportiez 200 incidents lors de la minute de silence. Nos décomptes, sur le fondement des documents transmis par votre ministère comme par les différents rectorats, font état d'un chiffre bien supérieur. En avez-vous eu connaissance ? Faut-il intégrer la dimension antirépublicaine de certains incidents dans les enquêtes sur le climat scolaire ?
Beaucoup d'enseignants et de chefs d'établissements se sentent peu soutenus par leur hiérarchie lorsqu'il s'agit de discipline et d'atteintes aux valeurs républicaines. Comment y remédier ?
Au cours de nos auditions, les insuffisances de l'éducation civique, juridique et sociale (ECJS) ont été soulignées. Le futur enseignement moral et civique devrait y remédier mais je déplore l'absence des concepts de « nation » et de « patrie », résultat d'un choix idéologique du CSP, qui ne les considère pas assez « inclusifs ». Qu'en pensez-vous, une semaine après l'hommage solennel à quatre grandes figures de la Résistance ? Comptez-vous rétablir ces concepts ?
En matière de recrutement de personnel à l'éducation nationale, comment intégrer l'impératif de l'adhésion et de la capacité à faire partager les valeurs de la République ? Pourquoi ne pas restaurer une épreuve spécifique au certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (Capes), comme l'ancienne épreuve « Agir en fonctionnaire éthique et responsable » ? Dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ), une clarification des exigences en matière de laïcité est nécessaire. Les étudiants en Ml et M2B, les « reçus collés », ne sont pas astreints au respect de la laïcité : des jeunes filles peuvent ainsi porter librement le voile au cours de leur scolarité, à la différence de leurs condisciples élèves fonctionnaires en M2. Comment garantir la formation des enseignants à la transmission et au respect des valeurs de la République au cours de la formation initiale ?
Enfin, comment rétablir concrètement l'autorité des maîtres ? Comment remettre du rituel et de la solennité dans la scolarité, afin de lui donner du sens ?
Nous avons été avertis de 200 incidents lors de la minute de silence, mais je ne puis affirmer qu'il n'y en a pas eu plus. En revanche, nous avons donné des instructions afin de ne rien minimiser. Nous avons également adressé aux équipes enseignantes et aux chefs d'établissement un livret sur la façon d'identifier les signes de possible radicalisation. La dimension antirépublicaine de certains incidents y est prise en compte.
Chaque jour, le chef d'établissement informe l'inspecteur d'académie des incidents qui se sont déroulés dans la journée. L'inspecteur transmet à l'académie, qui à son tour transmet au ministère, les faits qui lui semblent les plus graves. Certains hésitent à signaler des incidents par crainte que l'établissement soit mal considéré... Nous avons dépêché des cadres aguerris - référents laïcité, inspecteurs - dans les établissements où des incidents s'étaient produits, pour reprendre la discussion avec les élèves. Nous avons dit et répété que mieux valait signaler les incidents que de les passer sous silence.
La généralisation des enquêtes locales de climat scolaire est inscrite dans la réforme du collège. Ces enquêtes ont vocation à nous informer sur le harcèlement, les violences scolaires et les incidents antirépublicains.
Il est bien question de la nation dans le programme d'EMC : le sens républicain de la nation fait partie de l'enseignement, de même que le drapeau national, l'hymne national, la fête nationale ou encore la défense nationale.
J'ai écrit aux présidents des jurys des concours, afin que les thématiques de la laïcité et de la citoyenneté aient toute leur place dans les épreuves.
Je vais réunir les directeurs des ÉSPÉ dans quelques semaines afin d'harmoniser le tronc commun de la formation initiale : la loi qui a créé les écoles supérieures mentionne un si grand nombre de sujets qu'il en est résulté une hétérogénéité d'un territoire à l'autre. La transmission des valeurs républicaines doit faire partie du tronc commun. Bien sûr, les fonctionnaires stagiaires sont tenus de respecter eux aussi l'obligation de neutralité.
Le concours a lieu en L3. Tant que l'étudiant n'est pas en master, il n'est pas fonctionnaire et n'est donc pas soumis aux obligations de neutralité. L'interdiction du port du voile ne s'impose pas aux étudiantes.
Chaque projet d'établissement devra comprendre une célébration commémorative afin que les élèves puissent travailler sur les rites républicains : il sera ainsi question de transmission des valeurs républicaines et de la mémoire.
Je suis satisfait par ce que vous venez de dire, madame la ministre. Le groupe socialiste a fait part de son étonnement sur le format retenu pour traiter de ces préoccupations, une commission d'enquête, avec tout le formaliste solennel que ça suppose. Cela nous entraîne parfois sur un terrain glissant. Plusieurs auditions nous ont fait frémir, notamment celles de certains philosophes. D'autres nous ont rassérénés, comme celle de M. Bidar.
L'école a besoin d'apaisement ; les enseignants doivent recevoir une formation ; les programmes méritent des réformes et l'EMC est bienvenu. Les diatribes de notre rapporteur contre le « pédagogisme » m'inquiètent. Les enseignants ont suffisamment à faire avec la pédagogie ! Notre rapporteur évoque une prétendue baisse du niveau scolaire. Pour lui, l'école n'a pas à éduquer mais à instruire.
Posez votre question. Nous n'en sommes pas au débat d'orientation sur nos recommandations.
Je voulais planter le décor. Certains excès de langage mettent en cause l'institution scolaire, les enseignants. Comme l'a dit M. Léonnet, directeur central adjoint de la sécurité publique, il n'y a pas eu autant d'incidents qu'on a bien voulu le dire. Or, cette commission d'enquête avait été créée pour démontrer le contraire.
Je pense, madame la ministre, que vous avez rassuré notre rapporteur. Nous attendons avec beaucoup d'impatience le contenu du rapport pour nous prononcer.
Comment faire comprendre aux élèves et aux parents que le climat à l'école doit être serein, que les questions cultuelles doivent rester à la porte des établissements ? Comment affirmer une laïcité stricte tout en accueillant de façon bienveillante tous les collégiens, lycéens et étudiants ?
Où commence et où s'arrête l'école, madame la ministre ? Les enseignants que nous avons rencontrés nous ont fait part de leurs difficultés, par exemple, au sujet des signes ostentatoires : ils se sentent insuffisamment soutenus par leur hiérarchie et rencontrent des difficultés à l'extérieur des établissements : qu'en est-il des accompagnements pour les sorties scolaires, pour les activités culturelles et sportives ? Quid aussi des conseils de classe ?
L'école est une caisse de résonance des soubresauts qui agitent la société, mais elle ne saurait en être tenue pour seule responsable. Le budget de l'éducation nationale se monte à 66 milliards d'euros, tandis que la politique de la ville est dotée de plus de 40 milliards. Ne faudrait-il pas plus de transversalité pour assurer la cohérence d'ensemble ?
Les valeurs de la République feront à juste titre partie du tronc commun de l'enseignement dispensé par les ÉSPÉ. Les directeurs seront-ils encouragés à associer des acteurs de l'éducation populaire qui prônent de belles valeurs, comme le respect de l'autre ou la culture de l'engagement ? Ce rapprochement avait été prévu dans la loi de refondation de l'école.
Concernant les évaluations, le Conseil supérieur des programmes a dit l'importance de mêler rigueur, exigence et bienveillance afin que l'élève se sente respecté. Le secrétaire général de l'enseignement catholique nous a confié qu'une annotation telle que « copie nulle » portait à ses yeux atteinte à la dignité de l'élève.
Ne faudrait-il pas prévoir la signature d'une charte d'entrée en profession pour les nouveaux enseignants, à la manière du serment d'Hippocrate que prêtent les médecins ?
Je me garderai bien d'attaquer le concordat, mais dans les départements d'Alsace-Moselle un enseignement religieux est dispensé pendant les heures de cours - sauf celui de l'Islam, d'ailleurs, ce qui en soi pose un problème d'égalité. Ces créneaux horaires ne devraient-ils pas plutôt être consacrés à l'EMC ?
L'école doit être un lieu sanctuarisé, condition d'un climat scolaire serein et de l'apprentissage du vivre ensemble. La charte de la laïcité a été affichée dans tous les établissements scolaires. J'étais hier dans une petite école à Nancy, dans un quartier en zone urbaine sensible, et cette charte, qui prône la cohabitation harmonieuse, était affichée à la vue de tous. Au-delà de cette charte, nous avons décidé de faire du 9 décembre la journée nationale de la laïcité, qui sera célébrée dans tous les établissements.
Notre grand plan de formation à la laïcité servira de base aux relations avec les parents. À chaque rentrée scolaire, ils seront invités à signer le règlement intérieur et la charte pour partager nos valeurs communes. Nous devons veiller à ce qu'enseignants et parents tiennent le même discours, d'où la nécessité de promouvoir la coéducation. Les enseignants et les éducateurs doivent aussi tenir le même langage sur les valeurs de la République et la laïcité : toutes les ressources pédagogiques que le ministère développe pour former les enseignants seront mises à disposition des animateurs périscolaires. Nous y travaillons avec l'AMF dans le cadre des plans éducatifs territoriaux pour les rythmes éducatifs. Il importe de décloisonner, afin que l'éducation nationale ne fonctionne plus en silo.
Parler le même langage ne signifie pas être sourd au monde extérieur. Luc Chatel avait signé une circulaire interdisant aux femmes voilées d'accompagner les enfants lors des sorties scolaires. Je ne jette la pierre à personne, mais il faut évaluer les politiques menées : celle-ci a eu un terrible impact sur le terrain. Une génération d'enfants s'est braquée contre le principe même de laïcité. Je suis opposée à toute forme de prosélytisme mais je refuse de stigmatiser les parents bénévoles. Les équipes doivent faire preuve de discernement.
En matière de laïcité, discernement est le maître mot. Les règles nationales doivent prendre en compte les réalités du terrain. Ainsi, les parents de cette jeune fille qui se rendait à son établissement en jupe longue ont été convoqués par l'équipe enseignante. Les professeurs estimaient que cette élève perturbait la classe. J'ai soutenu cette initiative car l'attitude de cette jeune fille, effectivement, n'était pas acceptable. Afin de renforcer les capacités de discernement, nous avons prévu des formations initiales et continues pour les enseignants, ainsi que leur accompagnement par des spécialistes. Depuis 2012, nous avons créé dans chaque académie des référents laïcité.
Le ministère de l'éducation nationale soutient les acteurs de l'éducation populaire : nous souhaitons leur implication dans les formations délivrées par les ÉSPÉ. D'autant que les nouvelles pratiques pédagogiques doivent promouvoir l'interdisciplinarité. Cela se retrouvera dans les programmes. La réforme du collège est un tout : à la rentrée 2016, l'organisation du collège et les pratiques pédagogiques évolueront. Le nouveau diplôme du brevet sera exigeant mais aussi stimulant, car l'évaluation est faite pour encourager et faire progresser les élèves. Il donnera toute sa place à l'oral et au travail en groupe. Il sera en vigueur à la rentrée 2016.
L'idée d'une charte d'entrée en enseignement mérite qu'on y réfléchisse. C'est une excellente idée. Enfin, je souhaite le renforcement de l'enseignement laïc du fait religieux : le CSP est en train d'y travailler. Les trois monothéismes seront expliqués, avec pour objectif de développer l'esprit critique, non la foi.
Comme vous, nous souhaitons la transmission des valeurs républicaines, la réaffirmation du principe de laïcité et la lutte contre les inégalités.
Dans le cadre de la mobilisation de l'école pour les valeurs de la République, vous avez prévu 250 millions d'euros en trois ans, dont 71 millions cette année. À quoi servira cette dotation : à rémunérer les 1 200 formateurs ? Les 816 signalements ont-ils été suivis d'effet ? Un accompagnement spécifique de ces élèves a-t-il été mis en place ?
Malgré les attentats de janvier, les incidents graves se poursuivent : certains élèves, mais aussi certains enseignants ne sont plus en sécurité. Y a-t-il un lien entre les 816 signalements et ces agressions ?
Votre ministère n'a pas attendu les terribles évènements de janvier pour prôner les valeurs républicaines et le principe de laïcité. Nombre d'enseignants font de la transmission de ces valeurs la pierre angulaire de leur action.
Il y a cinq ans, le précédent Président de la République avait affirmé : « personne ne remplacera le prêtre dans la transmission des valeurs ». Je dirai plutôt que personne ne remplacera l'enseignant.
Pourtant, les choses ne sont pas si simples. Ce matin encore, un jeune enseignant en physique-chimie, en région parisienne, a été confronté à un élève qui refusait de procéder à une expérience, au motif qu'elle impliquait de manipuler de l'alcool. Ce professeur va procéder à un signalement mais comment doit-il régir dans sa classe ? Enseigner, c'est un métier exaltant mais de plus en plus difficile : vous avez bien raison de remettre leur formation à l'honneur.
Au-delà des contrevérités que nous entendons sur la réforme du collège, nous sommes nombreux à vous soutenir : le collège est un maillon essentiel de notre système éducatif mais, fragilisé, il doit s'adapter.
La maîtrise du langage est capitale pour manier les concepts et développer l'esprit critique des élèves. L'évaluation en CE2 interviendra trop tard car les dernières années de maternelle et le CP sont déterminants. Ne conviendrait-il pas de faire appel, en dehors du temps scolaire, aux associations et aux acteurs de la politique de la ville ?
Les 250 millions que nous avons dégagés après les évènements de janvier financeront les formations que j'ai évoquées, mais aussi abonderont les fonds sociaux des établissements, pour aider les enfants en situation de pauvreté. En dix ans, ces fonds ont fondu de moitié. Or combien d'élèves ne sont pas habillés, nourris ou équipés correctement... Le malaise à l'école provient aussi de l'absence de mixité sociale et du dénuement de certains élèves. Les programmes de réussite éducative bénéficieront également de cette enveloppe.
Nos efforts de transparence sont réels, ce qui n'a pas toujours été le cas par le passé. En 2001, puis à nouveau en 2005, les minutes de silence avaient été perturbées également, mais l'information n'avait alors guère été transmise. En janvier dernier, nous avons tout dit, car c'est la condition pour tout penser. Le rapport Obin de 2004 évoquait la difficulté dans certains établissements à enseigner certaines périodes de l'histoire : nous ne voulons rien éluder, nous devons répondre à toutes ces questions.
Les 816 signalements ont donné lieu chacun à un examen par les cellules de suivi, pilotées par les préfets. Il n'y a pas radicalisation dans tous les cas, parfois les enfants relèvent plutôt d'un suivi par les spécialistes de l'enfance en danger. La cellule de suivi propose alors à la famille une prise en charge assurée par des professionnels.
J'ai souvent entendu les enseignants dire combien il était devenu difficile d'exercer leur métier dans des classes où règne le relativisme généralisé. Les élèves sont beaucoup plus tentés qu'auparavant de contester ce qu'on leur enseigne. On assiste, par exemple, au grand retour des théories créationnistes, ce qui peut surprendre. Aucune discipline n'est à l'abri, ni l'histoire, ni les sciences, ni les mathématiques. La vraie menace pour les jeunes générations, c'est leur incapacité à trier l'information qui a été démultipliée par le numérique.
C'est pourquoi je suis surprise d'entendre dire, parfois, que l'école devrait se tenir à l'écart des évolutions numériques et fonctionner en « mode avion ». Les enfants sont noyés dans ce monde. Nous devons leur apprendre à s'y repérer, à faire la part entre l'information et la désinformation, à devenir des citoyens numériques. Le plan que le Président de la République a annoncé il y a quelques jours est essentiel : il consacre 1 milliard d'euros sur trois ans à la formation des enseignants au numérique et à l'équipement des élèves et des établissements.
Je crois beaucoup au développement d'un partenariat avec les associations. Grâce aux programmes de réussite éducative, l'enfant qui est entouré de plusieurs adultes bénéficie de leurs regards croisés. Derrière l'échec scolaire, se cachent parfois des causes aussi simples que des lunettes mal adaptées qui empêchent de voir au tableau, ou une alimentation déficiente qui nuit à la concentration. L'ancien directeur général de l'enseignement scolaire Jean-Paul Delahaye m'a remis récemment un rapport sur la pauvreté en milieu scolaire. Des initiatives très simples suffiraient à améliorer la situation, comme d'offrir un petit déjeuner à l'école, par exemple. C'est aussi comme cela que l'on favorisera la réussite et le rétablissement de l'égalité entre les élèves.
Un sondage réalisé auprès des villes de France a montré que 75 % des activités périscolaires mises en place dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires ont trait à l'apprentissage des valeurs républicaines. Cela prouve le bien-fondé de la réforme. Il faudrait amplifier ce mouvement. Quant à l'apprentissage de la langue, il est essentiel, or il se fait par la communication avec les autres enfants. Le rapport de Jean-Paul Delahaye donne ce chiffre terrifiant de 1,2 million d'enfants pauvres, ces silencieux et ces invisibles qui restent à l'écart des polémiques qui nous occupent. À tous ceux qui dénoncent des valeurs républicaines en perdition, j'opposerai qu'elles doivent être vécues plus qu'affirmées. Or, comment les faire vivre dans une école fermée à la mixité sociale ? On enseigne que la République est porteuse des valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, mais certains enfants font surtout l'expérience de la ségrégation scolaire. Comment inverser cette tendance et favoriser une réelle mixité dans les établissements ?
Loin de moi l'idée de faire un procès à l'école et encore moins aux enseignants. Quant au concordat, nous aurons d'autres occasions d'en reparler.
Pour éduquer les élèves à la citoyenneté, on a réservé une heure et demie durant le temps scolaire à l'ECJS. J'ai pu constater que cette mission était souvent confiée à des enseignants en sous-service et non formés à cette mission, avec comme seul critère de combler les trous d'un emploi du temps. C'est un dysfonctionnement auquel il est urgent de remédier, en confiant ce travail aux enseignants que vous formerez - hors du temps d'enseignement, j'espère ?
Vous évoquiez le relativisme ; je rappellerai la relativité des 200, 300 ou même 400 incidents recensés, par rapport au nombre des collèges et des lycées. Il faut avoir cela en tête si l'on veut raisonner sereinement. Un enseignant un tant soit peu formé aurait su exercer son autorité et transformer la minute de silence en minute de parole pour clore l'incident. Dans un collège compliqué où les élèves, en majorité d'origine musulmane, ne sont pas très sensibles à l'histoire et aux souffrances de leurs compatriotes juifs, un professeur a eu assez d'autorité pour mettre en place et faire fonctionner durant toute une année un programme de théâtre autour d'une pièce intitulée Les chemins du ciel, consacrée à la Shoah. Comment consolider l'autorité des enseignants ? Ne faudrait-il pas revaloriser leur formation, leur statut et leur salaire et faire en sorte que ce ne soit pas les plus inexpérimentés qui soient envoyés dans les zones difficiles ?
L'apprentissage du français est une de nos priorités. L'acquisition des fondamentaux ne se résume pas aux évaluations de l'entrée en CE2. Pour éviter que se creusent les écarts de langage, nous encourageons la pré-scolarisation des enfants de moins de trois ans, avec un objectif fixé à 50 % à l'horizon 2017, dans les territoires relevant de la politique de la ville. La démarche engage le ministère de l'éducation nationale tout autant que les collectivités locales. C'est un travail de longue haleine.
Les activités périscolaires peuvent être exploitées pour transmettre les valeurs républicaines. D'où l'importance de travailler avec les collectivités locales et de signer des plans éducatifs territoriaux, car en mutualisant les moyens, on garantira un périscolaire de qualité. Lorsque nous avons reconduit le soutien financier de l'État aux communes à hauteur de 400 millions d'euros par an, avec pour contrepartie l'obligation de signer des plans éducatifs territoriaux, certains invoquaient la difficulté pour les communes à élaborer un tel plan, les démarches administratives trop complexes, etc. On a pourtant déjà dépassé les 10 000 communes signataires, et notre objectif devrait donc être atteint d'ici la fin de l'année.
C'est une évidence : les enfants qui vivent la ghettoïsation et qui n'ont pas accès aux mêmes rêves que les autres peuvent difficilement comprendre ce que sont les valeurs de la République. L'Unesco a publié un rapport sur cette question cruciale de la mixité sociale. Nous devons veiller à prévoir des secteurs de collèges plus larges. Pour calmer les inquiétudes légitimes des parents, il faut également veiller à ce que tous les établissements proposent une offre d'excellence. C'est ce que vise la réforme du collège : on ne peut pas se satisfaire que certaines options soient réservées à certains établissements. Les enquêtes démontrent que tous les élèves auraient à gagner à davantage de mixité sociale et scolaire. Aux pouvoirs publics de l'organiser. Nous procédons de manière pragmatique, en consultant les conseils départementaux et en mettant à leur disposition des outils pour mesurer le degré de mixité sociale et concevoir les moyens de l'améliorer.
L'ECJS n'a pas toujours été très bien traité ces dernières années. Nous avons conçu autrement l'enseignement moral et civique, qui prendra le relais cette année. Alors que l'ECJS était une composante des cours d'histoire-géographie aux programmes déjà bien chargés, l'EMC bénéficiera d'un créneau horaire propre, à hauteur de 300 heures sur l'ensemble d'une scolarité, je l'ai dit.
Dans l'un des établissements où s'était produit un incident lors de la minute de silence, le principal a invité Mme Latifa Ibn Ziaten. Après l'avoir entendue, les élèves ont demandé à refaire la minute de silence et ont applaudi à la fin. Tout en se montrant ferme, il est important de ne pas se braquer. N'opposons pas un mur aux interrogations des élèves, ce n'est pas cela, la vertu éducative de l'école ! N'hésitons pas, en revanche, à faire appel à d'autres personnes, qui ont un autre regard. D'où le concept de réserve citoyenne.
Pour qu'un enseignant ait de l'autorité, il faut qu'il y croie. Les maîtres ont été mis à mal ces dernières années. Leur rémunération est trop faible. Lorsque nous sommes arrivés en 2012, nous avons paré au plus pressé : la formation, les postes manquants, la pré-scolarisation des enfants de moins de trois ans, etc. La rémunération n'en reste pas moins un sujet important qu'il nous faudra traiter. Les maîtres ont également le sentiment d'être déconsidérés dans le débat public, car ils sont constamment soumis à des injonctions paradoxales, sommés de répondre à toutes les fractures de la société. La responsabilité n'est pas seulement celle des enseignants ; elle est partagée par les pouvoirs publics, les collectivités locales, les parents... C'est cette responsabilité collective qui rétablira l'autorité des enseignants. Aux médias, également, d'en prendre conscience et de se garder de toute caricature.
Je vous remercie. Cette audition qui est la dernière de notre commission d'enquête. Nous veillerons à insister dans le rapport sur le respect des enseignants et la nécessité de relativiser les incidents : une minute de silence aurait dû être précédée d'une heure de parole !
Soyez remerciée pour votre honnêteté : nous parlions de 200 incidents et vous n'avez pas hésité à faire état des 816 signalements de radicalisation. Vous avez dit qu'il fallait être pragmatiques en ce qui concerne les sorties scolaires, j'en conviens. Mais le fait que des personnes voilées accompagnent des classes en sortie peut donner lieu à des dérives communautaristes et jette le discrédit sur l'école. Je conclurai en reprenant ce que disait M. Obin : il y a dix ans les gens souriaient des incidents, dix ans plus tard des jeunes font le djihad. Nous y sommes, hélas.
Notre commission se réunira le 11 juin pour un débat d'orientation.
La réunion est levée 17 h 55.