M. Paul Giacobbi a souhaité nous faire part de son expérience en tant que président de l'Agence des aires marines protégées.
Le concept d'une Agence des aires marines protégées est né en 2005 lors du premier Congrès mondial des aires marines protégées, à Geelong en Australie. Il était porté à ses débuts par M. Jérôme Bignon, alors député et président de Rivages de France, devenu depuis sénateur. La loi du 14 avril 2006 a entériné la création de l'Agence des aires marines protégées et instauré les parcs naturels marins. Avec l'Agence des aires marines protégées, la France s'est dotée d'un outil spécifique d'appui aux politiques publiques de protection de l'environnement marin. C'est un outil dont il n'existerait pas, semble-t-il, d'équivalent à ce jour à travers le monde.
L'Agence a réalisé un inventaire des oiseaux et mammifères marins qui alimente aujourd'hui les travaux de recherche sur la préservation des espèces et l'état de santé des écosystèmes marins, ce qui permet de mieux anticiper et planifier les interactions entre les activités humaines et le patrimoine naturel marin. Néanmoins, l'Agence vivrait ses derniers jours puisque, selon le projet de loi sur la biodiversité qui doit bientôt être examiné par le Sénat après une première lecture à l'Assemblée, elle a vocation à s'intégrer dans une future Agence française de la biodiversité.
Je souhaite rappeler l'enjeu général de la protection des aires maritimes. Comme vous l'avez dit, la France possède 11 millions de kilomètres carrés d'espaces maritimes inclus dans sa zone économique exclusive (ZEE). Cette zone ne constitue pas une zone de territorialité mais une zone placée sous la responsabilité de l'État d'un point de vue économique et de gestion de l'environnement. Elle couvre une surface comparable à celle des espaces maritimes des États-Unis d'Amérique. En extrapolant à partir des extensions sollicitées auprès de la Commission des Nations Unies et sans contestataire territorial possible, la France détiendrait le premier domaine maritime du monde. Par comparaison, le Japon, grande nation maritime, possède une ZEE de 4,5 millions de kilomètres carrés tandis que celle de la Chine se limite à 3,8 millions de kilomètres carrés.
La France porte donc une responsabilité mondiale sur ce sujet porteur d'enjeux géopolitiques. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale a créé une mission sur les frontières maritimes, animée par le député Didier Quentin et par moi-même. Par ailleurs, les nations qui portent des revendications dans le domaine des frontières maritimes utilisent systématiquement l'argument de la protection de la nature. Le Canada, par exemple, a classé parc national une émergence sableuse située au large de la côte de Nouvelle-Écosse qui ne présente aucun intérêt en termes de biodiversité mais qui lui permet de justifier sa territorialité. De même, la création d'un parc national aux îles Malouines par le Royaume-Uni n'est certainement pas motivée uniquement par des enjeux de protection de la nature.
La France possède donc un empire maritime immense mais les moyens qu'elle y consacre paraissent extrêmement limités. La Marine n'est pas uniquement une armée de mer. Elle joue un rôle fondamental dans la protection de la nature au titre de l'action de l'État en mer. Néanmoins, les moyens accordés aux missions de prévention des risques de dégradation de l'environnement marin et de respect du droit de la pêche, notamment en outremer, sont absolument misérables.
Le conseil d'administration de l'Agence des aires marines soutient fortement le projet de création de l'Agence française pour la biodiversité, sous certaines conditions portant notamment sur des questions de ressources humaines qui ne sont pas encore réglées à ce jour. Par ailleurs, il souhaite que cette agence soit dotée de moyens convenables par rapport aux enjeux, en tenant compte du fait maritime sachant que les Marquises, par exemple, concentrent une biodiversité plus grande que le reste du territoire français terrestre ou maritime. L'enjeu de l'Agence française de la biodiversité porte donc sur le maritime et sur l'outremer.
Depuis un certain nombre d'années, l'Agence des aires marines protégées s'est heurtée non à des difficultés budgétaires ou financières mais à un décalage entre ses obligations et les moyens dont elle dispose pour les remplir. Sa première mission consiste à créer et à gérer les parcs marins. Par exemple, nous préfigurons actuellement un parc marin du cap Corse. Le premier parc marin historique que constitue celui de la mer d'Iroise est très bien géré et bénéficie des moyens nécessaires. Il demeure néanmoins une exception car les parcs créés par la suite n'ont pas fait l'objet de la même attention.
La deuxième mission de l'Agence des aires marines protégées consiste à mener des études de suivi de la biodiversité et à satisfaire aux obligations souscrites par l'État en matière d'observation dans le cadre de Natura 2000 en mer. Depuis quelques années, par manque de moyens, l'Agence a réduit son niveau d'intervention dans le domaine des études pour préserver les ressources allouées à la gestion et à la création de nouveaux parcs. Il nous est demandé toujours plus et nous n'avons plus aujourd'hui les moyens de satisfaire nos obligations d'étude générale ni nos obligations de création de nouveaux parcs.
À l'échelle des budgets nationaux et de l'empire maritime national, les dotations de l'Agence des aires maritimes sont dérisoires. Avec 10 millions d'euros supplémentaires par an, elle accomplirait ses missions dans de bonnes conditions.
Nous nous trouvons donc face à un enjeu général français et à une responsabilité particulière de la France au titre de la biodiversité. Nous sommes obligés, par conséquent, de développer des moyens d'étude moins coûteux mais efficaces, tels que le recensement de la mégafaune marine par observation aérienne.
Le programme de recensement de la mégafaune marine par observation aérienne (REMMOA) a été élaboré en 2008 par l'Agence des aires marines protégées et par l'unité Pelagis du CNRS et de l'université de La Rochelle.
La France constitue la deuxième puissance maritime mondiale avec une zone économique exclusive de 11 millions de kilomètres carrés dont la quasi-totalité se situe à l'outremer, en particulier dans la zone intertropicale. Elle porte une importante responsabilité vis-à-vis des nombreuses conventions internationales ou régionales. C'est pourquoi il est essentiel de développer les connaissances sur l'écologie de cette zone, qui descend parfois à une profondeur de plusieurs milliers de mètres.
Nous nous sommes notamment intéressés aux prédateurs supérieurs, situés en haut de la chaîne alimentaire, tels que les oiseaux, les mammifères marins, les requins, les thons et les tortues, qui constituent des espèces emblématiques protégées par de nombreuses conventions internationales. Or la France est présente dans l'océan Atlantique, dans l'océan Indien et dans une partie de l'océan Pacifique. Les évolutions que nous observons sur les prédateurs supérieurs nous renseignent sur la qualité de l'écosystème marin sous-jacent, sur la chaîne alimentaire et sur la vulnérabilité des écosystèmes, qui subissent de nombreuses pressions avérées. L'arrêt de la pêche à la baleine, par exemple, permet une reconstitution de la population mais de manière très lente en raison de la faiblesse de la natalité.
Nous avons donc dû inventer une méthodologie efficace, standardisée et applicable sur l'ensemble des eaux de la ZEE française pour assurer la surveillance des écosystèmes pélagiques sur de grandes étendues océaniques. Le programme REMMOA, mis en place à partir de 2008, vise à établir une référence de la distribution et de l'abondance des prédateurs marins. Nous souhaitons également comprendre les raisons de leur présence aux endroits où nous les trouvons et éventuellement celles de leur absence ailleurs. Un autre objectif consiste à identifier les points chauds de la densité et les interactions avec les activités humaines (déchets, trafic maritime et pêche).
Nous avons choisi l'observation aérienne, qui permet de mesurer la distribution des espèces de manière instantanée contrairement à l'observation par bateau.
professeur, directeur de l'observatoire Pelagis, université de La Rochelle. - Nous avons scindé l'espace maritime ultra-marin en quatre grandes régions à savoir les Antilles et la Guyane, le sud de l'océan Indien (îles Éparses, La Réunion et Mayotte), la Polynésie et la zone regroupant la Nouvelle-Calédonie et les îles Wallis et Futuna. Chaque région a été scindée en sous-secteurs correspondant à des strates écologiquement homogènes à savoir le plateau continental, le talus continental et la plaine abyssale.
Nous avons commencé, en 2008, par les Antilles et la Guyane, où nous avons mené des travaux de recensement dans les eaux françaises uniquement, alors que ce secteur comprend de nombreux pays facilement traversables par les espèces animales. Dans l'océan Indien, en revanche, nous avons couvert les eaux françaises et des pays voisins parce que les eaux françaises sont dispersées et qu'il était nécessaire de disposer d'une vision d'ensemble. Les régions de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie présentaient une homogénéité suffisante. Un échantillon d'observation peut représenter jusqu'à près de 100 000 kilomètres survolés en avion.
Par exemple, ces opérations de recensement ont permis de montrer que l'océan Indien est beaucoup plus riche en dauphins que la Polynésie. Par ailleurs, il apparaît que la densité de la présence de cet animal est plus élevée dans le canal du Mozambique et dans les Seychelles qu'à La Réunion, ce qui permet de définir des priorités. En Polynésie, les dauphins sont beaucoup plus présents dans les Marquises qu'au sud. La répartition des grands plongeurs est beaucoup plus homogène. Ces animaux se plaisent à peu près partout mais jamais en grande densité.
Parallèlement à l'aspect scientifique, nous avons développé progressivement une démarche de communication visant à obtenir l'adhésion des populations présentes dans les territoires couverts. L'objectif est de faire connaître le déroulement de la campagne scientifique et le patrimoine marin. Nous avons notamment organisé des animations scolaires et des réunions publiques. Nous avons ouvert un blog, diffusé des films et des documents pour la jeunesse, entretenu des contacts avec les autorités locales et les autorités coutumières et associé des artistes locaux à la conception des logos des campagnes.
Avant REMMOA, les efforts de recensement de la faune marine à l'échelle de la planète portaient principalement sur le Pacifique tropical, le nord du Pacifique, le nord de l'Atlantique et l'océan Antarctique. La bande tropicale était très peu connue. Par conséquent, REMMOA a permis de combler une partie de cette lacune. Nous avons amélioré l'état des connaissances sur les espèces marines dans les zones tropicales.
Par ailleurs, les relations entre les observations et les variables environnementales permettent de dresser des prédictions sur les zones tropicales qui présentent les mêmes caractéristiques que celles échantillonnées. Il en ressort des zones de très forte densité en mer de Chine, autour de l'Indonésie et dans la zone équatoriale de l'océan Indien et de l'Atlantique. A l'inverse, le Pacifique sud semble être de faible densité. Les travaux menés sur le territoire français peuvent donc être extrapolés à des pays où aucun recensement n'a été réalisé à ce jour.
À l'issue de la phase de recensement, nous mettrons en place une stratégie de suivi des spots de biodiversité et des zones en interaction avec les activités humaines. Les résultats de REMMOA 1 sont en cours de traitement. REMMOA 2 consistera à développer une stratégie de surveillance des écosystèmes marins, à capitaliser les acquis de méthodologie et d'organisation de REMMOA 1, qui a mobilisé vingt-cinq personnes, dont certaines issues des associations et des administrations locales, et trois avions, à encourager les approches régionales dans les Antilles, en Guyane, dans l'océan Indien et autour de la mer de Corail, notamment, et à incorporer les résultats dans les politiques publiques de gestion des espaces maritimes français.
Les résultats de REMMOA ont été présentés à la commission baleinière internationale. Nous bénéficions également de la reconnaissance scientifique des organismes spécialisés tels que l'université de Saint Andrews en Écosse. Nous entretenons, par ailleurs, des perspectives de coopération avec les Néerlandais dans les îles du Nord de l'Atlantique et aux Antilles.
REMMOA est exceptionnel par son ampleur. Nous avons déjà échantillonné un tiers du territoire de 11 millions de kilomètres carrés, soit l'équivalent de six à sept tours de la Terre en avion. La méthode standardisée a été appliquée sur l'ensemble des zones, ce qui permet d'effectuer des comparaisons.
Le programme est ambitieux par son ampleur et par ses objectifs et donne des résultats importants à suivre.
Vos travaux de recensement incluent-ils les poissons qui sont exploités commercialement ?
Notre étude n'apporte pas une estimation des espèces commerciales, qui vivent plutôt en profondeur. Les observations aériennes portent sur les populations de surface ou qui passent par la surface comme les raies ou les requins, mais également les tortues et les oiseaux.
Nous recensons toutes les populations visibles en surface depuis un avion, dont quelques poissons, notamment les thonidés et les espadons. Nous ne pouvons pas mesurer l'abondance réelle des espèces de profondeur mais seulement comparer des densités relatives.
Nous n'avons pas couvert Clipperton ni les terres australes et antarctiques françaises en raison de l'absence de piste d'aviation. Nous devrons donc appliquer une autre méthode à ces régions. Saint-Pierre-et-Miquelon dispose d'un aéroport mais la ZEE française y est tellement réduite qu'un échantillonnage nécessiterait d'être mené conjointement avec le Canada.
Un contentieux territorial très sérieux oppose la France au Canada sur Saint-Pierre-et-Miquelon. Le dernier arbitrage international, qui date des années 1990, accorde une petite ZEE à la France. Le Gouvernement français, poussé par les parlementaires, a saisi la commission des Nations Unis compétente d'une revendication tendant à l'extension du plateau continental au droit de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette proposition est contredite par le Canada alors qu'elle se fonde sur des arguments scientifiques extrêmement sérieux. Une observation aérienne limitée à la ZEE française actuelle de Saint-Pierre-et-Miquelon ne serait pas pertinente et une étude complète de la région supposerait un apaisement de la relation avec le Canada.
Quels seront les liens entre l'Agence des aires marines protégées et l'Agence de la biodiversité ? Par ailleurs, il existe de nombreux autres moyens de vérifier l'état d'une aire marine protégée qu'un programme d'observation des espèces visibles d'avion. Le biologiste Craig Venter, notamment, a obtenu, il y a près de dix ans, l'autorisation de prélever des microorganismes dans la zone du Pacifique pour accroître la connaissance génétique des espèces marines. Une autre campagne sur les microorganismes marins vient d'être lancée dans cette zone. Ces champs font-ils partie de vos compétences ? Dans l'affirmative, quelles sont les autres compétences de REMMOA ?
L'Agence des aires marines protégées a vocation à disparaitre au 31 décembre 2015, ses personnels et ses missions étant intégralement reprises par l'Agence française pour la biodiversité. Nous souhaitons que les conditions de gouvernance locales ou générales et la prise en compte de la mer demeurent grâce à cette nouvelle agence, sachant que la biodiversité marine est beaucoup plus vaste que la biodiversité terrestre tant en superficie qu'en nombre d'espèces à protéger.
L'Agence des aires marines protégées et l'Agence française pour la biodiversité n'ont pas pour rôle de mener des études exhaustives et globales de recherche scientifique fondamentale sur les espaces sous juridiction. Elles dressent un état de la biodiversité ne serait-ce que pour justifier la création des aires marines protégées, et suivent son évolution. Il ne s'agit pas de recherche à proprement parler mais d'observation et de suivi.
Quelles sont vos relations avec l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer ?
Nous entretenons des relations étroites de partenariat avec l'Ifremer. Il participe à nos travaux institutionnels et nous nous appuyons sur lui pour un certain nombre d'études.
L'Ifremer considère qu'il n'est pas responsable de l'étude des mammifères marins.
S'agissant des différentes méthodes d'observations, l'océanographie classique consiste actuellement à approfondir l'étude des processus des fonds de l'océan à partir d'approches ponctuelles. Les approches spatiales importantes par voie navale ou aérienne permettent quant à elles d'observer de nouvelles espèces et de modéliser les effectifs.
Dans le cadre de REMMOA, nous analysons la chaîne trophique à partir des prédateurs supérieurs. Nous devons approfondir nos analyses pour les étendre au plancton et aux espèces microscopiques.
Nous utilisons des jeux de données portant sur la même couverture spatiale que les nôtres et non des données collectées ponctuellement ou sur un petit périmètre. Nos principales sources de données océanographiques et biologiques sont des sources d'imagerie satellitaire, qui apportent des renseignements sur un grand nombre de paramètres physiques (température, salinité, hauteur d'eau) et sur la production planctonique. Nous les utilisons pour établir des corrélations avec nos observations et construire les cartes que nous vous avons présentées.
Les fonds marins sont formés de trois grandes catégories bathymétriques. Le plateau continental constitue le prolongement du continent sous la mer, jusqu'à 200 mètres de profondeur. Il se produit ensuite un décrochement, que l'on appelle la strate de pente, ou talus continental, de 200 à 2 000 mètres. Au-delà, nous trouvons les zones abyssales. Ces discontinuités bathymétriques sont liées à des phénomènes courantologiques qui entraînent très souvent une production biologique importante dans la strate de pente. Nous y trouvons des assortiments d'espèces et des densités différentes de celles des deux autres catégories bathymétriques. Par conséquent, nous couvrons les trois catégories mais nous les échantillonnons séparément.
La strate de pente atlantique de la métropole correspond soit à une discontinuité soit à une concentration de biomasse plus importante. Les ondes de marée qui se produisent au large remontent des nutriments au niveau de cette strate.
L'un de nos collègues parlementaires a constaté récemment que l'ile de Clipperton est très polluée. L'Agence des aires marines protégées a-t-elle une mission de nettoyage des zones polluées ?
Les campagnes d'observation visuelle incluent les macro-déchets visibles depuis un avion, jusqu'à ceux de la taille d'une bouteille. Néanmoins, nous n'avons pas encore analysé les données que nous avons récoltées sur ce sujet. En revanche, l'Agence des aires marines ne mène pas d'actions de nettoyage en très haute mer.
L'île de Clipperton a été habitée et occupée par l'armée américaine pendant la Seconde Guerre Mondiale, d'où la présence de déchets. Elle a ensuite été explorée dans le cadre d'une campagne du Museum National d'Histoire Naturelle dans les années 1980, puis abandonnée. Il ne pèse pas sur l'écosystème de l'île de Clipperton un risque qui justifierait une aire marine protégée. L'enjeu est géopolitique. Il appartient plutôt aux halieutes de dire s'il existe une ressources biologique importante autour de l'île, auquel cas la France aura intérêt à en assurer la surveillance.
Comment expliquez-vous la richesse de l'océan Indien par rapport à l'océan Pacifique ?
Le canal du Mozambique est une zone particulièrement productive de l'océan Indien en raison de séries de tourbillons qui se forment répétitivement au sud des Comores et descendent le canal en remontant les nutriments des eaux profondes, permettant un enrichissement de la production phytoplanctonique. Des tourbillons existent également en Polynésie, dans la zone des australes. Néanmoins, l'eau qu'ils pompent n'est pas particulièrement riche en nutriments.
Quel est l'effectif de l'Agence des aires marines protégées ?
L'Agence comporte 150 emplois permanents et une quarantaine d'emplois précaires, soit 190 ETP. Une campagne de survol des Antilles et de la Guyane coûte de l'ordre de 200 000 € en incluant le traitement des données. Pour la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, le budget s'élève à 1,5 million d'euros, ce qui est limité par rapport à une campagne océanographique. En effet, les frais de fonctionnement d'un navire océanographique s'élèvent à 30 000 € ou 40 000 € par jour.
Chers collègues, comme vous le savez, l'Office a organisé la semaine dernière un déplacement dans les Ardennes. Étant la seule à y avoir participé, il m'a semblé intéressant de vous en faire aujourd'hui un bref compte rendu.
Initialement, l'organisation de ce déplacement répondait à une invitation du président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs à accompagner celle-ci durant une visite d'un réacteur nucléaire en déconstruction, à Chooz.
Cette commission a été créée par la première loi de 1991 sur la gestion des déchets nucléaires, dont notre collègue Christian Bataille était rapporteur. Elle a été reconduite, sous une nouvelle forme, par celle du 30 juin 2006, d'où son autre nom CNE2. Elle est composée de scientifiques de haut niveau, pour partie étrangers, tous bénévoles.
Une station de transfert d'énergie par pompage se trouvant sur le chemin du retour, je l'ai également visitée.
Je vais donc commencer par vous dire quelques mots de mes constats sur la déconstruction en cours à la centrale de Chooz. Cette centrale comprend, à côté de deux réacteurs nucléaires de dernière génération de 1 450 mégawatts chacun, le premier réacteur à eau pressurisé (REP) construit en France, dénommé Chooz A. Ce réacteur, d'une puissance de 350 mégawatts, est entré en service en 1967. Il est installé dans deux cavernes rocheuses, sous la colline. L'une de ces cavernes accueillait le réacteur entouré de ses quatre générateurs de vapeur et l'autre la piscine pour les combustibles usés, ainsi que les circuits de secours. Son exploitation commerciale a pris fin en 1991.
Suite à la publication du décret de mise à l'arrêt définitif du réacteur en 1993, EDF a d'abord adopté une stratégie de « démantèlement différé », consistant à attendre, après l'évacuation des combustibles et des fluides (qui représentent 99 % de la radioactivité), la décroissance progressive de la radioactivité dans la partie nucléaire de l'installation.
Mais, à partir de 2001, EDF a changé de stratégie, en optant pour un « démantèlement immédiat ». Le décret autorisant le démantèlement complet de Chooz A a été publié en 2007. À ce stade, seuls les bâtiments conventionnels, tels que la salle des machines ou les locaux administratifs, avaient été démolis.
J'ai été assez surprise de découvrir que la déconstruction de ce réacteur avait contraint EDF à construire de nouveaux équipements sur le site, par exemple une installation d'entreposage temporaire, un système de ventilation, un atelier de découpe ou encore de nouvelles plateformes de travail.
J'ai constaté que, depuis l'autorisation de 2007, le circuit primaire avait été complétement découpé et évacué, tout comme les quatre générateurs de vapeur de plus de cent tonnes chacun. Le dernier, repeint à neuf, était encore entreposé à l'extérieur de la centrale, en attente d'être transporté vers le Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (Cires) de Morvilliers.
En tant que premier réacteur à eau pressurisé démantelé en France, Chooz A constitue pour EDF une occasion de mettre en oeuvre des techniques qui pourront être adaptées, le jour venu, pour les 58 réacteurs de la filière REP actuellement en service.
Certaines de ces techniques ont déjà été mises en oeuvre dans d'autres pays, par exemple en Allemagne ou aux États-Unis d'Amérique. Cela explique qu'il soit, par exemple, fait appel, dans le cadre d'un appel d'offres européen, à la société américaine Westinghouse pour découper la cuve du réacteur.
Il faut bien comprendre que le démantèlement des centrales nucléaires constitue une nouvelle activité industrielle, en développement dans le monde, nécessitant de nouvelles compétences et représentant un large gisement d'emplois. À cet égard, M. Bertrand Martelet, directeur du Centre d'ingénierie déconstruction environnement d'EDF (CIDEN), a précisé qu'il avait engagé des démarches auprès des établissements de formation de la filière nucléaire pour le recrutement de jeunes diplômés.
Je considère que, compte tenu de son image de leader du secteur nucléaire, la France dispose d'un vrai potentiel dans cette nouvelle activité. Mais nos voisins semblent prendre de l'avance, grâce à une approche pragmatique et industrielle. Je me demande si des réticences idéologiques internes à nos grandes entreprises EDF et AREVA - réticences aux mutations de politique énergétique - n'ont pas contribué à retarder le développement de ce pôle de compétitivité.
Au-delà de la question des compétences subsiste aussi celui des volumes, gigantesques, de la traçabilité, a priori bien assurée, et du devenir des déchets, encore en débat.
Sur les 36 000 tonnes de déchets que doit produire le site, 26 000 tonnes ne sont pas radioactives. Elles proviennent des structures extérieures, comme les bâtiments administratifs. Le reste est traité en fonction du niveau de radioactivité. 7 200 tonnes de déchets très faiblement radioactifs (TFA) seront transportés au centre de Morvilliers. 2 800 tonnes de déchets faiblement et moyennement radioactifs à vie courte (FMA-VC) iront au centre de Soulaines. Enfin, 30 tonnes de déchets moyennement radioactifs à vie longue (MAVL), issus de la cuve du réacteur, seront entreposés sur le site de l'Iceda (Installation de conditionnement et d'entreposage de déchets activés), près de la centrale du Bugey.
Enfin, les difficultés d'évacuation de certains éléments, par exemple les générateurs de vapeur, proches de leur infrastructure en béton, qui ont pu être résolues en faisant appel à des logiciels de simulation en trois dimensions, rappellent la nécessité de futures « écoconceptions » dans les filières énergétiques afin d'anticiper les fins de vie.
En conclusion de cette visite de la centrale de Chooz, le professeur Hervé de Kerret, chercheur au laboratoire « Astroparticule et cosmologie » de l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3), au CNRS, a présenté le projet « Double Chooz ». Ce projet est, pour une bonne part, financé par EDF. Il vise à étudier le comportement des neutrinos émis sur ce site en très grand nombre (plus d'un millier de milliards de milliards chaque seconde) par les réacteurs nucléaires en activité, tout comme par de nombreuses autres sources (soleil, supernovas, etc.)
Dans le cadre de ce projet, deux détecteurs ont été installés, l'un à proximité de ces réacteurs en activité et l'autre à une distance de l'ordre du kilomètre, dans l'une des galeries d'accès au réacteur Chooz A, sous 150 mètres de roche. Ces recherches pourraient conduire à diverses applications pratiques, comme la lutte contre la prolifération nucléaire. Un détecteur de neutrinos pourrait être installé près d'un réacteur, afin de caractériser à distance le combustible brûlé, à visée civile ou militaire, évitant ainsi les inspections sur site de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
J'en viens maintenant à la station de transfert d'énergie par pompage (STEP) de Revin. Cette centrale hydroélectrique a été mise en service en 1976. Elle comprend deux bassins d'environ neuf millions de mètre cubes, séparés par un dénivelé de 230 mètres. Les équipements sont installés dans une caverne d'une longueur de 115 mètres. En heures creuses, quatre gigantesques turbines pompent l'eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur. Pour vous donner une idée du poids de ces machines, sachez que le rotor pèse à lui seul environ 300 tonnes. Aux heures de pointe, l'eau est relâchée au travers d'une chute de neuf mètres, à raison d'un débit maximal de 400 mètres cubes par seconde, pour actionner ces mêmes turbines (400 mètres cubes, c'est presque le double du débit moyen de la Seine). Deux minutes seulement après leur démarrage, les turbines développent une puissance totale de 800 mégawatts, équivalente à celle d'un réacteur nucléaire. Je vous rappelle que la majorité des réacteurs du parc nucléaire ont une puissance de 900 mégawatts et qu'il leur faut plusieurs jours après un démarrage pour atteindre cette puissance.
EDF dispose à ce jour de quatre stations de ce type. La plus importante est celle de Grand'Maison, en Isère, d'une puissance supérieure à 1 100 mégawatts. Au-delà de leur rôle premier de report de la production, ces centrales assurent de multiples services, comme le réglage de la tension et de la fréquence sur le réseau, la garantie de puissance en heure de pointe, le secours en cas d'incident majeur sur le réseau et, après un éventuel blackout de ce dernier, l'aide au redémarrage des centrales électriques.
Le directeur de la centrale m'a d'ailleurs indiqué que le développement des énergies renouvelables variables a profondément modifié les conditions d'exploitation de la STEP de Revin. Cette centrale était à l'origine simplement destinée à reporter la production d'énergie des périodes nocturnes de faible demande vers les périodes diurnes de demande plus conséquente. Aujourd'hui, elle est sollicitée de façon constante. En 2014, elle a connu 4 476 démarrages, soit plus de douze fois par période de vingt-quatre heures, pour 6 800 heures de fonctionnement, soit plus de dix-huit heures quotidiennement.
Je tiens à souligner que l'importance croissante de ces installations pour la résilience du réseau électrique pose la question délicate de leur rentabilité. Le rendement global - c'est à dire le rapport entre l'énergie restituée par turbinage et celle consommée lors de la phase de pompage - de la centrale hydroélectrique de Revin s'établit à 74 %. Compte tenu des charges d'amortissement des investissements, de maintenance et d'exploitation, le rapport entre le prix de l'électricité en heure creuse et celui en heure pleine devrait être significativement inférieur à ce pourcentage pour atteindre l'équilibre financier. Or, ce ratio a tendance à se réduire en Europe, du fait de la production d'électricité d'origine renouvelable. À ce problème financier, s'ajoute, pour les nouveaux projets, celui de l'acceptabilité sociale. Il n'est donc pas surprenant qu'un certain nombre de projet de création ou d'extension de STEP se trouvent retardés en Europe.
L'existence d'un opérateur national tel qu'EDF permet, indépendamment du seul critère de rentabilité financière, une prise en compte plus globale des gains procurés par une station de transfert d'énergie par pompage, notamment en termes de sécurisation du réseau et des systèmes électriques. Par exemple, j'ai appris que, en cas de blackout sur le réseau - un événement heureusement hautement improbable -, c'est la centrale de Revin qui permettrait d'assurer le rétablissement de la fréquence de 60 hertz sur le réseau électrique et le redémarrage des centrales nucléaires de Chooz, Cattenom, Fessenheim et Gravelines.
Le directeur de la centrale de Revin a expliqué que la direction d'EDF a décidé de privilégier la rénovation des STEP existantes plutôt que la création de nouvelles installations. Par exemple, à Revin, EDF a engagé, sur la période 2014-2019, une rénovation représentant un investissement de l'ordre de 100 millions d'euros. Cette opération doit permettre un gain de rendement de l'ordre de 3 % et la prolongation d'une quarantaine d'années de la vie de l'installation. Durant ces travaux, la centrale hydraulique continuera de fonctionner normalement avec trois groupes en exploitation, à l'exception de deux périodes de trois mois en 2016 et 2019.
Pour conclure, je veux souligner que, à Revin, j'ai été frappée par l'attention portée à la sécurité par l'équipe d'EDF qui comprend une trentaine de salariés. Même les personnels des sous-traitants bénéficient d'une formation rapide à la sécurité (actuellement, Alstom et la société autrichienne Andritz sont impliqués dans les travaux de rénovation). A contrario, la direction du site de Chooz A, où interviennent pourtant trois niveaux de sous-traitance, m'avait indiqué que leurs seuls interlocuteurs sur cette question cruciale étaient les responsables des entreprises contractantes.