La réunion est ouverte à 10 h 15.
Je vous présente ce matin le compte rendu du principal déplacement de l'année 2015 pour notre commission, qui s'est déroulé en Chine du 20 au 25 septembre derniers. Notre délégation comprenait cinq sénateurs, Jérôme Bignon, Evelyne Didier, Louis Nègre, Rémy Pointereau ainsi que moi-même.
Pourquoi la Chine ? Tout simplement parce que, dans la perspective de la Conférence de Paris sur le climat, plusieurs de nos interlocuteurs nous y avaient vivement encouragés au cours des derniers mois, en particulier Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations internationales sur le climat.
C'est la raison pour laquelle, le programme de notre déplacement a été très orienté autour des questions climatiques. Mais nous avons tenu à y ajouter une dimension développement durable, comprenant les aspects transports, infrastructures et mobilité, car c'est l'un des domaines dans lesquels la Chine s'engage résolument aujourd'hui. C'est aussi un secteur dans lequel nos entreprises sont présentes et actives.
Nous tenions également à ne pas rester uniquement à Pékin car beaucoup d'initiatives sont prises actuellement dans les villes de l'intérieur, « moyennes » à l'échelle de la Chine - c'est-à-dire tout de même des villes de plus de 10 millions d'habitants, en très forte croissance démographique, urbanistique, etc.
Concrètement, nous avons donc passé deux journées et demie à Pékin et deux journées et demie à Wuhan, capitale de la province du Hubei, au bord du fleuve Yang Tse Kiang, dans le centre de la Chine.
A Pékin, notre séjour s'est orienté autour de trois axes.
Le premier axe était une série d'entretiens de haut niveau avec les principales institutions concernées par les négociations climatiques internationales : la commission de la population, des ressources naturelles et de l'environnement de la Conférence consultative politique du peuple chinois, dont nous avons rencontré le premier vice-président ; le NCSC, think tank chinois qui pourrait s'apparenter à notre Commissariat au Plan, qui apporte un soutien technique au Gouvernement chinois pour fixer les objectifs de la politique climatique, et notamment pour fixer les objectifs de réduction des émissions et les répartir entre secteurs économiques et régions ; le département changement climatique de la Commission nationale pour la réforme et le développement dont est issue l'équipe des négociateurs chinois de la COP21.
Deuxième axe de notre séjour à Pékin : la rencontre avec des associations impliquées dans les questions environnementales. Nous avons ainsi passé une soirée avec M. Ma Jun, pionnier de la mobilisation environnementale en faveur de la qualité de l'air et de la qualité de l'eau. C'est grâce à lui et ses relais associatifs, à Pékin et dans de nombreuses autres villes du pays, que des mesures de la pollution sont effectuées désormais en temps réel et surtout rendues publiques. Nous avons d'ailleurs pu le constater, chaque habitant de Pékin pouvant consulter son smartphone pour connaître à tout moment l'indice de la qualité de l'air. C'est évidemment un sujet de préoccupation majeur pour la population. Et c'est grâce à l'obstination de personnes comme M. Ma Jun, qui a su à chaque étape aller aussi loin que le régime le lui permettait, que la population peut bénéficier aujourd'hui d'une réelle transparence sur cette question. Reste bien sûr le plus difficile : améliorer significativement la qualité de l'air dans toutes les grandes villes chinoises. Le défi est là immense. Lors de notre séjour, nous avons pu mesurer ce que signifie un ciel pollué puisque pendant une journée à Pékin, nous avons vécu dans une sorte de brouillard dense et piquant aux yeux et à la gorge.
Nous avons également rencontré deux autres associations, beaucoup plus modestes, mais qui tentent de mettre en place des modèles intéressants de développement durable auprès de familles pour un mode de vie sobre en carbone et pour favoriser des constructions à énergie positive. L'ambassade de France apporte un soutien à ces initiatives venues de la société civile chinoise.
Troisième axe : les infrastructures et l'urbanisme. Nous sommes allés sur le site du futur second aéroport international de Pékin pour lequel ADP-international est très actif, notamment pour la conception du projet. Cette visite sur le terrain, à 50 km au sud de Pékin, a été très instructive car elle nous a permis de voir successivement les villages abandonnés, les villages détruits, les tas de gravats, les travaux de terrassements, puis enfin le lieu où les premières dalles ont été posées. La rapidité d'avancement d'un projet d'une telle ampleur - 6 pistes d'atterrissage pour accueillir 100 millions de passagers par an et 4 millions de tonnes de fret - est évidemment extrêmement frappante pour nous : du début des études de faisabilité en novembre 2014, à la mise en service de l'aéroport, prévue pour fin 2019, devraient s'écouler à peine cinq ans. En même temps, le souci de respecter un certain nombre d'objectifs verts et de règles environnementales est réel, aussi bien dans la construction de l'aéroport que dans son fonctionnement futur (architecture, bruit, eau, énergie), celui-ci devant être autonome sur le plan énergétique.
Autre visite, cette fois-ci dans Pékin, celle des quartiers anciens et traditionnels où sont menés des travaux de réhabilitation avec le souci de préserver le patrimoine ancien, tout en modernisant les infrastructures et en organisant la reconversion d'un certain nombre d'usines ou d'ateliers désaffectés.
A Wuhan, notre visite a été entièrement consacrée au thème du développement durable, avec un fort accent sur les coopérations franco-chinoises dans ce domaine. Wuhan a en effet été sélectionnée en 2009 par le Gouvernement central chinois pour être une ville modèle pour le développement durable.
Là aussi trois axes dans notre programme.
Premier axe : des entretiens officiels. Ces entretiens, avec le gouverneur du Hubei, avec le maire de Wuhan et avec le secrétaire du parti, ont tous concerné le projet de ville durable franco-chinoise. Celui-ci a été imaginé en juillet 2013. Il s'inscrivait dans la perspective du 50ème anniversaire de la relation diplomatique franco-chinoise (1964-2014). Mais il s'inscrivait aussi dans une continuité puisque dès 2006 a été lancé un partenariat sur l'efficacité énergétique des bâtiments à Wuhan.
Le projet de ville durable franco-chinoise du district de Caidan vise à faire d'une zone encore peu urbanisée de Wuhan un modèle de développement urbain, en prenant en compte tous les aspects de l'aménagement urbain, notamment celui de la mobilité. Malgré des visites sur place de Martine Aubry, initiatrice du projet, et de Manuel Valls, ce projet n'est pas encore parfaitement défini. Dans ce contexte, le consul général de France nous a demandé d'appuyer deux demandes des autorités françaises correspondant à deux points de blocage : la délimitation d'un périmètre cohérent de 100 km2 au lieu de 32 km2 et la présence d'une gare TGV au coeur même de cet éco-quartier afin d'en faire un vrai hub intermodal avec 3 lignes de métro et 2 lignes de tramway, et non en bordure de ce quartier.
Deuxième axe : l'urbanisme et l'urbanisation de demain. Nous avons visité la « Maison des Wuhanais » qui est une sorte de gigantesque musée de la ville avec toutes sortes de plans, cartes et maquettes, décrivant le passé, le présent et surtout le futur de Wuhan. Nous avons été extrêmement impressionnés par ces gigantesques maquettes sur lesquelles figurent tous les axes de transport (en particulier les nouvelles lignes de métro), les noeuds ferroviaires et routiers, l'organisation des différents quartiers, actuels et futurs (y compris la ville durable franco-chinoise), et même les nouveaux bâtiments envisagés, certains très hauts. On y prépare le passage de 10 millions d'habitants aujourd'hui à 50 ou 60 millions en 2030.
Troisième axe : la présence française, à travers près de 130 entreprises implantées à Wuhan et dans sa région, notamment les constructeurs automobiles PSA et Renault, mais aussi Alstom, Schneider, Keolis, Suez environnement, Veolia, L'Oréal, Carrefour, Auchan, Decathlon, etc. Une ligne aérienne directe relie Paris-Wuhan trois fois par semaine. Des échanges universitaires, des jumelages parfois anciens rendent cette relation franco-chinoise particulièrement vivante à Wuhan.
À titre d'exemple, nous avons passé un moment dans les services de la municipalité de Wuhan qui a entrepris un travail de réhabilitation de 25 bâtiments publics, avec l'aide de PME françaises, le soutien technique de l'Ademe et le soutien financier de l'AFD (à hauteur de 20 millions d'euros). L'originalité du projet est non seulement de permettre de réduire la consommation et donc la facture énergétique de ces bâtiments, mais de démontrer l'efficacité d'un modèle de performance énergétique, en particulier d'économies d'énergie, qui permet de financer les travaux. En principe, une fois mis en place, ce projet est destiné à être étendu à un très gros parc de bâtiments publics.
Quelles conclusions tirer de ce voyage ?
Première conclusion : sur la COP21. La France et la Chine ont noué des contacts très étroits au cours des derniers mois dans la perspective de cette conférence :
- c'est à Paris, le 30 juin dernier, que le président Xi Ping a rendu publique la contribution nationale chinoise avec les engagements de ce pays en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ;
- c'est à Pékin, il y a quelques jours, que les présidents Xi Ping et Hollande ont déclaré ensemble leur souhait que l'accord de Paris puisse être revu tous les cinq ans.
Que contient la contribution chinoise et quels sont les engagements de la Chine ? Il y en a quatre :
- parvenir à un pic d'émissions de CO2 en 2030, ou plus tôt si possible ;
- réduire l'intensité carbonique de l'économie de 60 à 65 % en 2030 par rapport à 2005 ;
- atteindre au moins 20 % d'énergies renouvelables ;
- augmenter le stock forestier.
Pour y parvenir, nos interlocuteurs nous ont dit que la Chine misait désormais clairement sur le nucléaire ainsi que sur l'éolien et le photovoltaïque, mais aussi sur le développement d'une économie plus sobre en carbone. Le secteur des transports est en pleine évolution avec beaucoup de véhicules électriques : vélos, motos, voitures électriques, et un développement très rapide des transports en commun : bus, metro, trains intercités, etc.
Nos interlocuteurs nous ont tous assuré que la Chine accordait une très grande importance à la COP21. Ils nous ont aussi indiqué être optimistes sur ses résultats.
Mais ils nous ont aussi fait observer que la Chine n'avait pas achevé sa transition : plus de 300 millions d'habitants des campagnes vont rejoindre les villes au cours des 10 à 15 prochaines années. Il n'est donc pas possible de fixer un pic d'émissions avant cette date. Si la Chine est le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, c'est aussi parce que c'est la deuxième économie mondiale et que, dépourvue de ressources pétrolières ou gazières, elle est très dépendante du charbon.
Deuxième conclusion : sur la qualité de la relation franco-chinoise. La France est un partenaire ancien et loyal de la Chine, depuis la reconnaissance officielle par le Général de Gaulle de la Chine populaire, ce qui nous donne une place particulière dans ce pays, sur laquelle nous devons à l'évidence continuer à miser.
Le Gouvernement a beaucoup renforcé les services de l'ambassade et des consulats présents dans chacune des grandes villes et centres économiques de la Chine. Le but est de développer nos échanges commerciaux et de faire profiter nos entreprises de la croissance chinoise qui, même ralentie, reste significative, car nous pouvons lui apporter nos compétences.
Mais cela nécessite beaucoup de souplesse et de réactivité de notre part car les évolutions sont très rapides dans ce pays. Nous l'avons en particulier mesuré en visitant le site du futur nouvel aéroport de Pékin. C'était néanmoins pour nous un vrai motif de satisfaction de voir autant d'intervenants français présents dans tous les secteurs porteurs d'avenir du développement durable.
Je laisse maintenant mes collègues qui ont participé à ce déplacement compléter ces propos s'ils le souhaitent.
Je voudrais témoigner d'un voyage réussi. Il a montré qu'à tout point de vue, le raisonnement ne se fait pas à la même échelle en Chine où tout est plus grand et plus rapide.
L'engagement de ce pays dans la lutte contre le réchauffement climatique est réel, la motivation principale en étant la pollution. La population chinoise, qui sait protester sur ce sujet, impose une véritable obligation de résultat au Gouvernement.
Celui-ci aborde la question essentiellement par le biais de l'énergie, avec trois priorités : le nucléaire, les énergies renouvelables et l'accroissement des forêts. Les économies d'énergie sont également jugées essentielles, par exemple lors de la rénovation de quartiers ou immeubles anciens, témoignant d'une grande capacité de réactivité, servie par le caractère autoritaire du régime.
Pour cette politique, la Chine dispose d'un atout incomparable : la maîtrise de la monnaie et des financements et une très grande capacité d'endettement.
C'est un grand pays qui souhaite être traité à l'égal des Etats-Unis et exige une dimension de respect dans ses relations avec les autres pays.
Je voudrais souligner la qualité des services français présents en Chine où se situe désormais la première ambassade de notre pays, ce qui témoigne de l'intérêt de la France pour la Chine.
Au-delà du caractère impressionnant de la dimension des projets, il faut indiquer que ceux-ci donnent lieu, quoiqu'on en pense, à un débat politique, avec des allers-retours entre le local et le Gouvernement central, l'organisation générale du pouvoir étant avant tout verticale. Il existe des points de vue différents au sein des 95 millions de membres du parti communiste chinois.
D'une manière générale, les dirigeants semblent obéir à un grand réalisme et même à une forme de cynisme en traitant par exemple le dossier de la pollution sous la pression de la population.
L'économie chinoise dispose d'une arme atomique avec ses excédents de 3 000 milliards. L'industrie ferroviaire française par exemple fait difficilement le poids face à la puissance financière chinoise.
Plusieurs impressions ressortent de ce voyage : la pollution avec le sentiment d'être dans un brouillard permanent ; la circulation très intense et le développement des vélos électriques ; le poids de la sécurité avec la présence généralisée de caméras dans les rues et de nombreux militaires ; le nombre impressionnant de grues et de chantiers de construction ; la mise en place prioritaire des infrastructures de transport avant tout développement urbanistique comme à Wuhan ; le doublonnement de tous les pouvoirs entre les responsables des collectivités et ceux du parti ; la croissance à deux chiffres du nombre de véhicules automobiles.
La progression du parc automobile est telle, notamment dans les très grandes villes, que le Gouvernement essaie de la limiter en instaurant un droit d'entrée élevé avec une taxe sur les plaques d'immatriculation.
Ayant eu l'occasion de visiter certains hutongs chinois, je peux témoigner que nombre de ces quartiers anciens sont simplement détruits et leur population rejetée à l'extérieur de la ville, ce qui est source de déstabilisation alors que, malgré leur pauvreté, ces quartiers avaient organisé une vraie solidarité entre les habitants.
Les classes moyennes qui ont émergé à Pékin cherchent maintenant à quitter la ville en raison de l'ampleur de la pollution.
Notre délégation a visité des hutongs réhabilités mais il y en a bien sûr aussi qui sont détruits. En allant visiter le site du nouvel aéroport de Pékin, nous avons longé des maisons de grand standing, on nous a indiqué qu'il s'agit de résidences secondaires.
J'ai un regard extérieur et plutôt méfiant à l'égard de la puissance chinoise qui a parfois pour objectif la captation des découvertes occidentales. Il est important que notre pays puisse toujours avoir un temps d'avance en matière d'innovation. Je note aussi que la Chine a des pratiques critiquables en Afrique. Elle n'a pas le système de protection sociale que nous connaissons dans notre pays.
C'est un pays qui se caractérise en effet pas son dynamisme, son gigantisme et son cynisme. Nous avons pu en observer certains aspects.
La commission s'est déplacée, le 23 octobre dernier, dans le Sud-Est de la France, à la suite des inondations ayant touché la région au début du mois d'octobre. Notre délégation était composée, pour notre commission, de Louis Nègre et moi-même, pour le département des Alpes-Maritimes, outre Louis Nègre, de Dominique Estrosi Sassone, Jean-Pierre Leleux et Marc Daunis, et pour le département du Var, de Pierre-Yves Collombat.
Les inondations ont eu lieu le samedi 3 octobre, dans la soirée. En quelques heures, tous les records d'intensité des précipitations ont été battus. Ce phénomène climatique avait été anticipé par Météo-France, mais pas dans son extrême concentration dans le temps, et a donné lieu au déclenchement de l'alerte orange et de l'alerte Apic, avertissement pluies intenses dans les communes, en milieu de journée.
Le bilan a été très lourd puisque ce sont au total 20 morts, des dégâts privés et publics, évalués autour de 650 millions d'euros par les assureurs. Ce montant n'inclut pas les effets induits. On nous a par exemple expliqué que le central téléphonique de Cannes ayant été inondé, on ne pouvait plus payer par carte bancaire, alors que des congrès se tenaient à ce moment-là. Le coût total des inondations serait plutôt le double que ce qui est annoncé aujourd'hui. Le bilan aurait pu être beaucoup plus lourd, si l'événement n'avait pas eu lieu un soir de fin de semaine.
La préfecture des Alpes-Maritimes a engagé une procédure d'enquête très approfondie sur l'ensemble des phases de l'événement : prévision par Météo France et le service de prévention des crues, alerte, prise en compte de l'alerte, mobilisation des secours, transmission d'informations. L'idée est de pouvoir tirer les leçons de l'événement complètement et au plus vite car, nous le savons, ce type de phénomène est amené à se répéter.
Comment s'est déroulée notre journée ?
Le matin, nous avons été reçus par le président du département, Éric Ciotti. Nous avons ensuite suivi une réunion très intéressante à la préfecture avec l'ensemble des services concernés par les inondations. Nous sommes ensuite allés à Biot, commune d'environ 10 000 habitants, dans un environnement naturel, où des mesures de prévention avaient été mises en place, avec des bassins, des embâcles. Malgré cela, la commune a été violemment touchée.
Nous nous sommes ensuite rendus à Cannes. Les séquelles de l'événement sont visibles au coeur de la ville et ne résultent pas de problèmes d'urbanisation récente. Il y avait encore de nombreux gravats dans les rues, ce qui mettait en lumière un problème annexe important auquel on ne pense pas d'emblée : l'évacuation d'une très grande quantité de déchets.
Nous avons participé, avec Louis Nègre, à l'assemblée générale des maires des Alpes-Maritimes, ce qui a été l'occasion de présenter le message du président du Sénat Gérard Larcher et d'annoncer les fonds débloqués par le Sénat pour l'après-inondations.
Louis Nègre va vous présenter un premier bilan de l'événement, au regard des préconisations qui avaient été faites dans le rapport réalisé avec Pierre Collombat en septembre 2012 sur les inondations dans le Var et le Sud-Est.
Monsieur le président, vous avez été bien inspiré d'organiser ce déplacement. Le département et les maires ont apprécié que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat vienne sur le terrain se rendre compte de ce qui s'était passé.
J'avais présidé la mission commune d'information qui avait travaillé sur les inondations dans le Var et dans le Sud-Est de la France. Notre mission avait remis ses conclusions, sur le rapport de Pierre-Yves Collombat, le 24 septembre 2012. Plusieurs constats avaient été faits. La conclusion principale était la très grande insuffisance accordée dans notre pays, dans les faits comme dans le discours, à la prévention. Nous ne sommes pas trop mauvais dans la gestion des catastrophes. En amont en revanche, nous souffrons de graves insuffisances.
L'analyse des événements de juin 2010 et de novembre 2011 nous avait également montré qu'il y a deux types de crises : la crise théorique pour laquelle toutes les procédures standard ont été prévues, et la crise exceptionnelle, imprévisible, pour laquelle les procédures ne fonctionnent pas. Dans le cas des inondations d'octobre dernier, au vu du bilan tragique que le président a rappelé, nous étions dans le second cas de figure. Malheureusement, il semble se répéter.
Trois points me semblent fondamentaux : l'alerte, la culture du risque et enfin, la compétence de gestion de l'eau et des milieux aquatiques (GEMAPI).
L'alerte tout d'abord. Samedi 3 octobre, six départements du Sud-Est, dont les Alpes-Maritimes, ont fait l'objet d'une alerte orange « orages » et « pluies-inondations », émise par Météo France. En émettant cette vigilance orange, Météo-France a prévenu que des phénomènes importants allaient survenir, suggérant à la population d'être « très vigilante » et de se tenir « au courant de l'évolution de la situation ».
Au vu du bilan désastreux, humain et matériel, la question se pose : pourquoi n'a-t-on pas déclenché une alerte rouge ? En cas d'alerte rouge, les habitants doivent non seulement se tenir au courant de la situation, mais surtout suivre impérativement les consignes de sécurité des autorités, notamment l'interdiction de se déplacer. Cette forme de vigilance est très contraignante. Le préfet doit en outre procéder à l'alerte systématique des maires et des services concernés, ce qui n'est pas le cas pour une vigilance orange. Je me suis trouvé, en tant que maire de ma commune touchée par les inondations, sans la moindre information le soir des événements, ni des autorités, ni des pompiers que je n'ai pas réussi à joindre pendant la soirée.
Météo-France indique que l'épisode orageux a été correctement cerné et que les vigilances rouges concernent généralement des phénomènes de plus grande ampleur. Ici, seule une partie limitée du département a été touchée.
Pour autant, je suis convaincu que les réactions des élus comme de la population auraient été très différentes si l'alerte fournie avait été adaptée. Il y avait le soir des inondations un concert ainsi qu'un match de foot à Nice, qui ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes. Compte tenu du peu de prévention mis en oeuvre, nous ne devons qu'à la chance que le bilan n'ait pas été plus lourd !
L'alerte est donc véritablement un point à creuser dans la suite de nos travaux. La commission mise sur pied par le préfet des Alpes-Maritimes a bien identifié ce problème.
Les citoyens sont habitués à voir constamment à la télévision des alertes orange et nous sommes face à un problème d'accoutumance à ces alertes. Se pose donc la question de la compréhension par les élus locaux et par les citoyens de la signification de l'alerte et des comportements à adopter. Un certain nombre de destinataires dans ma commune ont reçu l'alerte orange lors de son déclenchement. Personne ne me l'a transmise. Météo-France nous a expliqué qu'il n'y avait eu que deux alertes orange dans l'année dans le département. Le phénomène d'accoutumance est dû à la répétition des alertes au niveau national. Dans notre cas, même tardivement, il aurait fallu déclencher une alerte rouge, qui permet de débloquer des moyens de réponse.
Ce qui m'amène à mon deuxième point : la culture du risque. L'inondation est le premier risque naturel en France. Un habitant sur quatre est concerné mais la population n'est pourtant pas informée sur les conduites à suivre en cas de survenue d'un événement extrême. J'en veux pour preuve les circonstances de certains des décès constatés le 3 octobre. Plusieurs des morts sont attribuables au fait que les personnes sont descendues dans leur garage souterrain et ont tenté de sauver leur véhicule. Ce type de comportements ne devrait pas se produire, ou se reproduire, si nous avions une culture du risque. Des messages simples pourraient être transmis à la population : rechercher les points hauts, ne pas se réfugier dans les sous-sols, éviter de prendre les voitures. Des simulations pourraient également être organisées en grandeur nature. La culture du risque est donc le deuxième chantier à approfondir dans le cadre de nos travaux.
Enfin, concernant la GEMAPI, nous avions constaté lors de la mission inondations en 2012 qu'aucune politique globale n'était menée en France, faute de compétence clairement définie et attribuée. La compétence de gestion des milieux aquatiques et prévention contre les inondations a donc été créée, avec un financement adapté, à l'initiative de Pierre-Yves Collombat, soutenu par moi-même et suivi par le Sénat, dans le cadre de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles. Cette compétence, confiée aux intercommunalités, a vocation à être exercée par des établissements publics territoriaux de bassin, en ce qui concerne les grands fleuves, et par des établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau, pour les sous-bassins fluviaux. Le texte que nous avons voté et que l'Assemblée nationale a confirmé prévoit également que la gestion des ouvrages et équipements de prévention soit rationalisée.
Cependant, l'entrée en vigueur de ce dispositif a été plusieurs fois reportée. Nous avons voté la loi en 2014. La GEMAPI a d'abord été reportée à 2016, et nous en sommes maintenant arrivés à 2018 ! Là aussi, s'il nous faut approfondir le sujet sur certains points, il n'en reste pas moins qu'il y a urgence. On ne peut continuer à renvoyer indéfiniment le traitement de ce dossier douloureux qui, je le rappelle, cause chaque année de nombreuses victimes et des milliards d'euros de dégâts. Si le dispositif doit être amélioré, améliorons-le en concertation avec les différentes parties prenantes, mais il est nécessaire maintenant d'agir et d'agir sans délai. Nous n'avons que trop tardé.
Ces événements sont amenés à se reproduire. Arrêtons de parler d'événement exceptionnel. Seul un manque de mémoire longue peut laisser croire que chaque inondation exceptionnelle est un événement sans précédent. Au titre des statistiques de Météo-France, l'événement d'octobre est exceptionnel. Une telle quantité d'eau n'avait jamais enregistrée en aussi peu de temps. Nous avions pourtant connu le même type d'événement dans le Var. Il est à craindre que le changement climatique se traduise par une récurrence accrue de ces inondations dites « exceptionnelles ».
Aux Pays-Bas, pays pourtant largement situé sous le niveau de la mer, et donc selon les critères administratifs français, en zone rouge absolue, il y a des décennies que les inondations ne se soldent plus par des morts, contrairement à notre pays. Avec la volonté politique et le financement nécessaires, les Néerlandais nous ont montré que, dans ces zones à risque majeur, il était possible de continuer à vivre et même à se développer. Si nous nous en donnons les moyens, il n'y a aucune raison que la France ne puisse faire de même : vivre, se développer et prendre les mesures nécessaires et adaptées aux contraintes locales pour protéger aussi efficacement la population.
Je vous propose que nous poursuivions nos travaux sur ce sujet et que nous organisions à cet effet deux tables rondes : une table ronde sur la question de l'alerte météorologique et une table ronde sur la culture du risque. Il y a à réfléchir et à agir sur ces deux sujets.
L'alerte orange était sans doute insuffisante. Quand on voit une alerte orange et qu'on reçoit des appels par un automate de la préfecture, ce n'est pas de nature à permettre de mesurer l'importance de l'alerte. Une gradation pourrait être envisagée dans l'alerte orange. D'autres questions pourraient être abordées sur les alertes : leurs destinataires, leur prise en compte, les mesures de suivi, la formation des personnes concernées.
Concernant la culture du risque, nous avons rarement les bonnes réactions, comme prendre sa voiture et se déplacer. Comment développer la culture du risque ? Quelles formations dispenser ? Quelles actions pédagogiques mener ? Comment font les autres pays ?
À partir de ce que nous aurons observé et conclu de ces tables rondes, notre commission pourra examiner les suites à donner sur ces différents points, en lien avec les résultats de l'enquête menée par la préfecture des Alpes-Maritimes.
Nous sommes tous convaincus que ces événements vont se reproduire. Si on ne peut pas les empêcher, on peut au moins prévenir les conséquences observées début octobre.
Je suis particulièrement touché par cette communication. Les répercussions du changement climatique vont affecter l'ensemble de nos territoires. La catastrophe des inondations survenues dans le Sud-Est de la France n'est malheureusement pas isolée : la Martinique a été par exemple gravement touchée il y a quelques jours.
J'adhère totalement aux propositions énoncées. Il est nécessaire de s'approprier la culture du risque. Sa prise en compte ne se fait que progressivement au sein d'une population qui s'est historiquement développée en bordure de fleuves.
Le fonctionnement des alertes météorologiques, trop nombreuses aujourd'hui et pas nécessairement pertinentes, doit être revu. Leur contenu doit être précisé et structuré autrement.
Une vraie discussion devrait pouvoir s'engager entre les élus et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Les positions très arrêtées de ces dernières sont souvent catastrophistes, et pas seulement dans le Sud-Est ! Contrairement à ce qu'estime l'administration, il me semble par exemple possible de s'installer en bord de Loire en mettant en oeuvre des techniques de construction et d'aménagement adaptées...
Les problèmes soulevés se posent en effet sur l'ensemble du territoire. Les tables rondes que nous organiserons ne concerneront pas seulement le Sud-Est de la France.
Les mêmes questions se posent en effet partout. Je suis bien entendu volontaire pour approfondir ce sujet.
Je m'interroge sur les propos tenus par le Président-directeur général de Météo-France qui avait indiqué devant notre commission, peu de temps avant les inondations, que les moyens d'information en cas de danger étaient au point !
Je pense que la réflexion des DREAL doit s'améliorer lors de l'élaboration des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI). Il ne s'agit plus, aujourd'hui, de tracer des lignes en fonction des catastrophes passées, mais de s'interroger sur les risques à venir.
Un plan communal de sauvegarde (PCS) a été défini dans ma commune. Les préfets ne devraient-ils pas davantage attirer l'attention des élus locaux sur ce document ? Ne serait-il pas pertinent d'en simplifier l'élaboration ? Son efficacité actuelle est, de toute façon, à revoir elle aussi.
Si je suis favorable aux exercices de simulation d'alertes réalisés localement, je m'interroge sur leur portée réelle. Ils permettent de se donner bonne conscience mais pas de prendre conscience des risques !
Le Président-directeur général de Météo-France a eu la chance d'être entendu en commission une semaine avant les inondations du Sud-Est. Sur le terrain, nous avons constaté que les représentants de cet établissement public n'avaient pas amorcé la moindre autocritique.
D'une manière générale, l'administration donne l'impression de chercher principalement à adopter les mesures qui lui permettront de s'exonérer de toute responsabilité. Les incessants appels automatiques reçus à tort et à travers en témoignent !
Je suis d'accord pour participer aux travaux qui seront menés sur ces sujets.
Les alertes rouges sont aujourd'hui déclenchées par Météo-France. Ne serait-il pas plus pertinent de confier cette responsabilité au préfet ? Aux Pays-Bas, le service qui surveille le risque d'inondation répond directement à la Reine ! Il serait intéressant d'effectuer un déplacement dans ce Royaume qui a su développer une culture du risque et des solutions techniques alors que 40 % de sa surface est située au-dessous du niveau de la mer.
Je souscris aux critiques sur les alertes automatiques transmises aux élus. Le système donne le sentiment que les services se couvrent en envoyant une multitude de messages inadaptés.
Une réflexion doit également être menée sur les plans de sauvegarde. Lorsqu'ils sont mis en oeuvre, le pouvoir de décision est transféré aux préfets et les maires ne sont même plus tenus informés, s'agissant par exemple de l'ouverture et de la fermeture des ouvrages d'art.
Face au manque de moyens locaux, une piste intéressante est à signaler : la possibilité de signer des partenariats avec les services de la Protection civile.
Ces différentes réactions confirment que les problèmes d'inondations concernent tous les territoires.
La culture du risque n'est pas facile à acquérir. Je le constate dans ma commune : les réunions d'information sur les incendies et sur les inondations n'attirent pas la population civile. C'est un vrai problème.
Je pense aussi que les élus locaux devraient être davantage associés à l'élaboration des PPRI par les DREAL. Ce n'est pas l'administration mais le ministère chargé de l'environnement qui, au niveau politique, impose jusqu'à présent une vision binaire alors qu'une troisième voie est parfois possible. On le constate aux Pays-Bas ! Ce pays a des solutions à proposer.
La France n'a pas encore pris la mesure de la situation. Pourtant, nous déplorons des victimes et des dégâts matériels chaque année.
Mes chers collègues, puisque tout est à revoir, un beau chantier s'ouvre à nous.
La réunion est levée à 11h55.