Compte rendu revu par le secrétariat de l'OPECST au Sénat)
La séance est ouverte à 17 heures.
Notre ordre du jour comporte cinq points, dont le principal consiste en l'audition de M. Bernard Meunier, président de l'Académie des sciences.
Cette nomination répond à une saisine de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, sur les enjeux économiques et environnementaux des biotechnologies. Elle intervient de façon décalée car la saisine est en date du 11 février 2015.
De fait, elle avait été discutée par le Bureau dès le 10 mars 2015, qui avait acté de mon intérêt et de celui de Mme Catherine Procaccia. Mais le Gouvernement avait annoncé entretemps, le 20 février, le lancement d'un rapport confié aux dirigeants des grands organismes de recherche sur le thème « Agriculture-Innovation 2025 ». Il avait été décidé, en conséquence, de différer le lancement de l'étude jusqu'à la sortie de ce rapport, prévue à l'automne et intervenue effectivement le 22 octobre 2015, afin que chacun reste dans son rôle.
Mais comme les statisticiens rétrospectifs risquaient de compter, comme durée effective de l'étude, le délai s'écoulant entre la date officielle de la nomination des rapporteurs et celle de la publication du rapport, il fallait caler la nomination des rapporteurs sur le lancement effectif de l'étude pour éviter l'injustice d'une image de lenteur du simple fait de cette période technique de latence...
D'où la confirmation de cette nomination aujourd'hui, et je soumets la proposition de confirmer la désignation de Catherine Procaccia et moi-même comme rapporteurs...
Je constate donc que cette nomination est confirmée à l'unanimité !
La saisine vise « Les enjeux économiques et environnementaux des biotechnologies ». En pratique, il s'agira de faire le point sur des techniques récentes comme le « genome editing », c'est-à-dire la réécriture du génome, qui contournent la transgénèse. Au déjeuner encore, M. Alain Brochiantz nous encourageait à évaluer ces nouveaux domaines de recherche.
Le sénateur Roland Courteau va nous présenter ses conclusions sur l'audition publique du 25 juin dernier « La stratégie pour la biomasse en France, un pas vers la bioéconomie ? ». La commission des affaires économiques du Sénat avait saisi l'Office de cette question. L'OPECST a abordé les questions liées à la biomasse dans plusieurs rapports mais M. Roland Courteau a choisi un angle d'approche original en situant son travail sous le chapeau de la bioéconomie, approche globale qui permet d'éviter les écueils résultant d'approches trop partielles souvent retenues lorsqu'on aborde l'utilisation de la biomasse. Le débat sur les conflits d'usage des ressources agricoles illustre l'inconvénient de telles approches, avec leurs erreurs de raisonnement et les obstacles qui en résultent pour le développement d'usages, qui, appuyés sur des solutions adaptées, sont porteurs d'espérances, à condition de pouvoir prendre en compte l'ensemble de leurs effets, y compris indirects. La bioéconomie est justement la science de l'utilisation parfaitement ajustée de la biomasse devant permettre de maximiser ses apports potentiels. J'ai moi-même participé à cette audition publique et j'ai pu constater l'excellent niveau des intervenants sur ce sujet. Sans plus tarder, je laisse la parole au sénateur Roland Courteau en lui demandant de se limiter à l'essentiel compte tenu de la densité de notre programme du jour.
sénateur, vice-président de l'OPECST, rapporteur. - Merci, Monsieur le Président. Cette présentation des conclusions de l'audition publique du 25 juin intervient à quelques jours de la COP21 et vous savez, bien sûr, que la biomasse est vue comme l'une des réponses aux problèmes liés aux changements climatiques. L'exploitation de la biomasse n'est pas une option, c'est une nécessité si l'on considère un avenir où les énergies fossiles auront disparu.
Quels sont les différents potentiels de la biomasse ? L'énergie, la production de matériaux de construction, la chimie verte, parmi d'autres filières. En France, le développement de la biomasse est conforté par des ressources naturelles abondantes, forestières et agricoles, mais aussi par l'existence d'infrastructures solides de recherche et développement et, enfin, par une base industrielle propice à la production de produits biosourcés. C'est une chance car la biomasse porte des promesses économiques majeures, indépendance énergétique, créations d'emplois..., sans compter ses bénéfices pour l'environnement planétaire.
Si notre pays possède des atouts, l'audition publique a, également, permis de cerner les obstacles à surmonter pour mobiliser les potentiels de la biomasse et, ainsi, de dessiner les contours d'une stratégie gagnante pour la biomasse.
En premier lieu, il apparaît que la biomasse devrait être la première mobilisée pour parvenir à un renforcement de la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique de l'avenir. Il s'agit de la faire passer de 14 % aujourd'hui à 23 % en 2020 et 32 % en 2030. Cela implique un changement de braquet important par rapport à la tendance actuelle de croissance des énergies renouvelables mais, surtout, ces objectifs vont nécessiter un renforcement très sensible de l'efficacité énergétique. Sans celui-ci, les conflits d'usage que peut susciter la mobilisation de la biomasse à des fins énergétiques créeraient des tensions difficilement surmontables.
Il faut aussi déplorer que les prix actuels des énergies fossiles ne favorisent pas une évolution dynamique des produits biosourcés en substitution de produits issus des matières premières fossiles. Force est de constater que les coûts des produits de la biomasse excèdent ceux des produits incorporant des matières premières fossiles et l'écart ne cesse d'augmenter à mesure que les prix des énergies fossiles chutent. Un prix du carbone fossile élevé et unique changerait la donne. Pour les court et moyen termes, le développement de la biomasse passe par une politique volontariste. Il faut noter que, à long terme, le scenario se modifiera sans doute. Avec la forte probabilité d'une raréfaction des produits fossiles, leurs prix devraient augmenter. Dès lors, le jeu du marché incitera spontanément à recourir, peut-être massivement, à la biomasse mais au terme d'une période intermédiaire plus ou moins longue. Il faut avoir ces paradoxes temporels à l'esprit avec, à court et moyen termes, la nécessité d'une politique publique très active pour développer les usages non alimentaires de la biomasse et, à long terme, la perspective d'un essor spontané des différentes utilisations de la biomasse qui pourrait exacerber les conflits d'usage et conduire à d'autres régulations.
Quant aux conflits d'usage, il y a lieu de les considérer avec attention. Ils concernent l'alimentation mais aussi bien d'autres points. Je mentionne, par exemple, les conflits entre filières utilisant la même ressource, comme dans l'alternative entre le bois de feu et le bois pour les matériaux. De même, je veux souligner une question importante : celle des sols. Ces derniers sont à la fois des puits à carbone et des porteurs de récoltes. Sur ce point, je signale l'existence d'un projet de recherche, lancé par le ministère de l'agriculture, sur la capacité des sols à absorber les gaz à effet de serre. L'objectif est de recenser et de mettre en pratique tous les moyens pour augmenter la capacité de piégeage du carbone par les sols. C'est le « programme 4 %o ». En effet, une telle augmentation pourrait permettre l'absorption par les sols de la totalité des émissions de CO2. Cette voie avait été proposée par les États-Unis d'Amérique lors de la Conférence de La Haye, a-t-il été rappelé lors de l'audition publique. Davantage de matière organique dans les sols, ce serait ainsi plus de fertilité, une meilleure rétention d'eau, précieuse dans un contexte à venir de sécheresses sévères, et moins de CO2 dans l'atmosphère.
En toute hypothèse, les conflits d'usage invitent à établir des hiérarchies et, pour cela, nous devons approfondir les bilans d'usage. Hormis la prééminence de l'alimentation, il nous faut rechercher les voies de mobilisation de la biomasse les plus porteuses d'effets économiques favorables mais aussi les plus efficaces d'un point de vue écologique.
Dans ce contexte, l'effort de recherche et développement doit être soutenu : biocarburants avancés, projet Futurol de déconstruction de la cellulose sur base enzymatique, recherches sur la biométhanation... La recherche semble guidée par l'objectif de réduire les coûts d'exploitation de la biomasse ; elle doit aussi se préoccuper de réduire l'intensité des conflits d'usage.
Par ailleurs, un choix économique devra être effectué entre des unités de production très industrielles, sur le « modèle de Rotterdam », et une logique relevant plutôt de l'économie circulaire. Il importe également de conforter la robustesse des filières, ce qui implique de veiller à la disponibilité des matières premières, à commencer par les ressources forestières. La gestion de la forêt française doit être améliorée.
Il convient aussi d'assurer la valorisation des investissements d'amont, ceux de la recherche, de sorte qu'elle donne lieu, en aval, à des productions sur le territoire national. Je rappelle que, en ce sens, aux États-Unis d'Amérique, un crédit d'impôt a facilité l'investissement dans des unités de production propres aux énergies renouvelables.
Enfin, pour conclure, il faut insister sur l'importance du dialogue avec les parties prenantes. C'est important pour régler les conflits d'usage mais aussi pour mieux ancrer le consentement à payer des contributeurs sollicités pour financer la diversification des usages de la biomasse. C'est important aussi pour dégager l'horizon des investisseurs dont, notamment, la sécurité fiscale doit être mieux garantie. C'est également souhaitable pour que, entre producteurs de matières premières et transformateurs, s'instaure un partage équitable de la valeur ajoutée.
S'agissant de l'échelon européen, il s'occupe beaucoup de discipliner les soutiens publics des États dans un sens qui n'est pas toujours approprié aux enjeux. Tout comme il manque une Europe de l'énergie, il manque une Europe de la biomasse. Enfin, l'échelon local compte beaucoup et la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte n'a pas manqué de le prendre en compte. Reste à lui donner toute sa force.
Pour conclure, nous pouvons proposer une réflexion prospective sur la bonne stratégie pour la biomasse en projetant deux scénarios opposés : celui de l'échec et celui du succès.
Le scenario de l'échec voit les conflits d'usage déboucher sur un rejet de la biomasse ; la recherche ralentit ; les investissements ne se font pas du fait d'un couple risque-rendement défavorable ou parce qu'ils sont frappés d'obsolescence ; les parties prenantes n'adhèrent pas au projet de développement de la biomasse, soit que le consentement à payer s'étiole, soit que les soutiens publics en amont ne débouchent pas sur des productions en France.
À l'opposé, dans le scenario gagnant, les contraintes de disponibilité sont levées dans un contexte où les différentes utilisations de la biomasse sont bien hiérarchisées. Elles apparaissent plus complémentaires que rivales. Les critères économiques et écologiques se rejoignent et l'exploitation de la biomasse trouve un cadre économique favorable qui en valorise pleinement les externalités actuelles et futures. La recherche est soutenue et remporte des succès valorisés sur le territoire national. L'adhésion des parties prenantes est confortée par les bénéfices économiques et écologiques des productions biosourcées sur fond de bonne information sur les enjeux et potentiels qu'elles recèlent.
Mes chers collègues, j'espère que nos travaux pourront donner un élan à la stratégie gagnante de la biomasse. Il faut le souhaiter car nous ne disposons pas de beaucoup d'autres solutions.
Je souhaiterais obtenir quelques précisions sur le « projet 4 %o » de piégeage du carbone par les sols. De quoi s'agit-il exactement ? Quelle serait l'ampleur de ses effets sur l'absorption des gaz à effet de serre ?
Il s'agit d'augmenter de quatre grammes pour mille grammes déjà stockés dans les sols leur capacité de piégeage du CO2. Cette augmentation permettrait d'absorber la totalité des émissions actuelles.
À l'inverse, comme le sol contient du carbone sous forme de matière organique, lorsque cette matière est exposée à l'oxygène de l'atmosphère, le carbone se lie à lui pour former du CO2. Ce phénomène est accéléré par certaines pratiques agricoles.
Depuis l'avènement de l'agriculture, les capacités d'absorption des sols ont été réduites de quatre cent cinquante-six milliards de tonnes de carbone. Les stocks de carbone piégés dans les sols ont diminué depuis les années 1960 du fait de l'intensification de l'agriculture et du retournement des prairies. Il est possible de renverser ce processus en adoptant des pratiques agricoles adaptées : moindre travail des sols, amélioration des apports de matières organiques (paille, fumier, compost...). Les prairies et le reboisement permettent également d'élever le stockage du carbone et d'augmenter la biomasse. Il reste d'énormes quantités de carbone stockées dans les sols. Les estimations tournent autour de deux mille gigatonnes de carbone dans les sols. Il faut y prendre garde et explorer les moyens d'augmenter ce stock.
Il faut prendre ces chiffres avec une certaine prudence. On sait désormais que l'écosystème de la forêt amazonienne semble saturé voire qu'il serait producteur net de CO2, ce qui n'est pas l'image qu'on en avait il y encore quelques années. Les conflits d'usage sont une réalité et il sera difficile de les dépasser. La voie des cultures spécifiques, pour stocker le carbone et exploiter la biomasse, paraît réserver des perspectives par leurs rendements élevés, avec les herbes à éléphants, par exemple. Elles permettent d'éviter les conflits qu'on rencontre avec des matières premières à usage alimentaire comme le colza ou la betterave mobilisés pour les biocarburants. Je pense qu'il faudrait approfondir le concept d'Europe de la biomasse afin de déterminer ce que l'échelon européen pourrait vraiment apporter.
Je crois qu'il serait souhaitable que nous prolongions l'analyse des bilans et des perspectives des différentes fonctionnalités des sols relativement à leurs différentes contributions aux émissions de gaz à effet de serre par une ou deux auditions. Le programme d'étude du ministère de l'agriculture en lien avec l'INRA me semble devoir être suivi.
Je voudrais apporter une précision technique. Pour les terres céréalières, le taux d'humus dans les sols ne baisse pas alors qu'on ne leur applique plus le régime d'assolement. Il est exact que, lorsqu'on retourne une pâture, des dégagements de carbone se produisent, ce qui provoque une diminution de la matière organique des sols. Mais, après, le taux d'humus se stabilise. Par ailleurs, il faut bien voir que lorsqu'on paille le sol, des transmissions importantes de matière organique se produisent. Ainsi, il faut considérer ces phénomènes dans toute leur complexité.
Cette complexité invite à réunir davantage d'éléments d'appréciation pour affiner nos connaissances. À propos des conflits d'usage, il faut considérer quelques données. On oppose souvent à l'essor de la chimie verte la rareté des sols. Or, la chimie verte mobilise environ six millions d'hectares dans le monde sur 1,4 milliard d'hectares cultivés. Cela nous invite à relativiser certaines appréhensions d'autant que les terres cultivables non utilisées recouvrent 1,6 milliard d'hectares. Par ailleurs, il est bien vrai que certaines plantes peuvent offrir des rendements élevés. Parmi celles-ci, des graminées, le miscanthus, par exemple, présentent un fort rendement, permettant par-là d'épargner des surfaces cultivables.
Je souscris à l'idée qu'il faudrait approfondir nos connaissances des sols. Le rapporteur a mentionné les questions posées par les traitements mécaniques et leurs effets en termes de bilan de CO2. Il faut aussi considérer les phénomènes chimiques. Le travail des sols, quand il est excessif, aboutit à une disparition des organismes vivant qu'on y trouve et réduit, par-là, le potentiel de stockage de carbone. Il existe un choix à effectuer entre la vocation des sols à piéger le carbone et leur mobilisation pour produire une biomasse appelée à être convertie en énergie par sa combustion ou des processus de fermentation. Ceux-ci libèrent le carbone un temps stocké lors de la pousse. En somme, l'utilisation de la biomasse ne fait alors qu'opérer un report des émissions de gaz à effet de serre. Dans ces conditions, comme le suggère le rapporteur, il serait intéressant de mobiliser des experts pour cerner la dynamique globale du système. Ce qu'on souhaite c'est, en effet, d'avoir suffisamment d'énergie et de continuer à bénéficier d'un environnement viable. Il faut trouver le bon équilibre.
L'état des lieux et les lignes directrices d'une stratégie pour la biomasse apparaissent clairement. Ma première question porte sur la dimension européenne. J'ai bien compris qu'une stratégie européenne plus positive manque encore. Par ailleurs, je relève l'exemple donné par les États-Unis d'Amérique pour susciter le passage de la recherche à une industrialisation de la production des produits biosourcés dans le domaine énergétique. Y a-t-il des exemples de crédit d'impôt analogue en Europe ou dans le monde ? Par ailleurs, sait-on si, à l'occasion de la COP21, la France va porter un message fort sur le scenario gagnant de la biomasse ?
Je partage les observations de Mme Marie-Christine Blandin sur l'importance de compléter notre information sur les dynamiques des sols. Le miscanthus, que j'ai mentionné, offre un grand avantage, celui de ne pas nécessiter d'apports extérieurs pour sa croissance, tout en présentant un rendement élevé en biomasse, même dans des conditions hydriques très difficiles.
Par ailleurs, comme Mme Delphine Bataille l'a bien remarqué, les États-Unis d'Amérique ont eu le pragmatisme de cibler leurs soutiens publics non seulement sur l'amont mais aussi sur les phases industrielles. On pourrait utilement s'en inspirer en France. Je n'ai pas connaissance d'instruments de cette sorte en Europe.
Je remercie le rapporteur pour ce travail. Je souscris à la suggestion d'approfondir les questions posées par les usages des sols, notamment sur la dynamique des organismes vivants, c'est-à-dire le végétal, l'animal, le mycorhizien, soit les champignons et mousses, à la fois dans les sols et à leur surface. La pédologie a eu son heure de gloire mais, comme la physiologie des plantes ou, plus généralement, la physiologie, elle a été un peu délaissée faute de concepts. Mais, aujourd'hui, les pédologues travaillent beaucoup sur la question des transferts dans les sols, l'azote, le carbone, les phosphores, qui affectent la structuration des sols, leur porosité. Ces caractéristiques ont, bien entendu, des effets sur la rétention de l'eau, sur l'accès aux nutriments pour les végétaux, et, par conséquent, sur la vitalité de la biomasse. C'est un grand chantier scientifique qui est en train de s'ouvrir et qui ne concerne pas seulement la France ou l'Europe mais représente des enjeux mondiaux. Ce serait tout à fait justifié de suivre ce chantier de près. J'ajoute pour conclure que les sols ont des épaisseurs variées et sont sensibles à une grande diversité de paramètres. Il faut suivre comment la science s'empare de ce sujet.
Monsieur le Président, les débats confirment l'intérêt que j'avais exprimé d'un complément de mes travaux, en particulier pour étudier les questions posées par la pédologie à travers quelques auditions.
Pour conclure, je félicite le rapporteur pour ce rapport qui tire bien les conclusions de l'audition publique sur la biomasse. La biomasse représente les deux-tiers des énergies renouvelables. C'est important. Les débats de cet après-midi montrent un intérêt pour certains sujets comme la question des dynamiques des matières organiques dans les sols et en surface, l'intérêt de la biomasse statique dans la captation du carbone, l'état de la ressource en France et les conflits d'usage, la recherche, en particulier sur la biométhanation, c'est à dire l'utilisation du CO2 à travers des procédés organiques.
Nous disposons, avec les conclusions de l'audition publique du 25 juin 2015 que je vais vous proposer d'adopter, d'une base solide pour explorer l'ensemble de ces sujets. Nous pourrions réaliser quelques investigations complémentaires et organiser quelques tables rondes pour traiter à fond ces questions. Monsieur le rapporteur, si l'un des membres de l'Office le souhaitait accepteriez-vous pour ce faire, comme l'Office en a adopté la règle, de travailler en binôme ?
Je mets donc aux voix les conclusions de l'audition publique du 25 juin 2015. Elles sont adoptées à l'unanimité. Par ailleurs, je vous propose de conduire quelques travaux dans le sens indiqué. Je constate votre accord unanime. Merci à nouveau, Monsieur le rapporteur.
L'audition publique tenue le 7 juillet dernier, à l'initiative de Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido, sénateurs, a réuni les principaux acteurs de la politique spatiale française, européenne et aussi internationale.
La politique aéronautique et spatiale fait l'objet d'un suivi régulier de l'OPECST, depuis le premier rapport du sénateur Paul Loridant en 1991. Trente mois après le rapport du 7 novembre 2012 de Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido, sénateurs, le contexte de la politique spatiale européenne a connu des évolutions importantes :
- intensification de la concurrence dans les lanceurs avec l'Américain SpaceX ;
- irruption des « GAFA » (Google, Amazon, Facebook et Apple) dans le domaine spatial, avec les projets de lancement de plusieurs milliers de microsatellites, comparé aux vingt-cinq satellites par an auxquels l'industrie spatiale était habituée jusqu'à présent ;
- ruptures technologiques dans l'industrialisation de la construction spatiale, la propulsion électrique des satellites, la propulsion des lanceurs...
Dans ce contexte en mouvement rapide, la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne (ESA), tenue à Luxembourg en décembre 2014, a concrétisé la décision prise deux ans auparavant de construire le nouveau lanceur Ariane 6 et a fait évoluer la gouvernance européenne en confiant un rôle accru à l'industrie.
Les activités spatiales présentent des enjeux stratégiques aux plans scientifique, économique, environnemental et de souveraineté, avec un accès autonome à l'espace. Sans les satellites, de nombreux services ne seraient plus possibles : télécommunications, télévision, radio, géolocalisation, régulation des trains. J'ajouterai à cette liste l'agriculture de précision, comme nous l'avons découvert lors de notre audition sur « Big Data » (le traitement massif des données) et agriculture le 2 juillet dernier avec le programme « EO for Food » de l'ESA, et la gestion des catastrophes naturelles et du changement climatique comme cela a été évoqué lors de notre audition anniversaire du 24 septembre dernier...
En Europe, le domaine spatial voit ainsi se mettre en place une coopération exemplaire. Le domaine spatial connaît aussi des coopérations internationales réussies avec la Chine ou la Russie, alors même que le conflit ukrainien bat son plein.
Je passe maintenant la parole à M. Bruno Sido, pour synthétiser l'apport de la première table ronde, qui s'est attachée à analyser la dimension stratégique de la politique spatiale européenne ; puis Mme Catherine Procaccia évoquera la stratégie de filière et les applications.
Première table ronde : Ariane 6 face au nouveau contexte de la concurrence en matière de lanceurs
Les craintes exprimées lors du rapport de l'OPECST en 2012 se sont révélées fondées :
- malgré l'échec de son lancement du 28 juin 2015, SpaceX est en passe de réussir son pari de réduire de moitié le coût d'un lancement avec des simplifications radicales ;
- de nouveaux acteurs montent en puissance, notamment la Chine et l'Inde voire d'autres États comme les Émirats arabes unis.
Rappelons que SpaceX bénéficie d'un soutien public massif à travers un nombre important de lancements institutionnels chaque année et l'emploi de nombreux ingénieurs venant de la NASA et qu'il pratique des prix différenciés à l'exportation.
Les essais de SpaceX, à ce jour infructueux, de récupérer en bon état et à coût raisonnable des morceaux de fusée après lancement posent la question de l'évolution vers des technologies réutilisables, y compris en Europe. L'ESA, Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space y travaillent déjà.
Tous les participants de l'audition publique sont tombés d'accord pour dire que la décision, prise à Luxembourg, de construire Ariane 6 est un bon choix. L'Europe avait trop tardé à choisir le successeur d'Ariane 5 et la concurrence en a profité. Il convient néanmoins de faire preuve de prudence en raison de ruptures technologiques à venir.
Les lanceurs, qui répondent à un cycle de long terme, connaissent actuellement une optimisation des coûts à toutes les phases du processus industriel, avec comme objectif une réduction de coût de 50 % par lancement.
Avec deux lanceurs, Ariane 62 et Ariane 64, qui lui assureront modularité et flexibilité, Ariane 6 utilisera principalement des technologies éprouvées. Une forte synergie sera assurée au sein de la famille des lanceurs européens entre Ariane et Véga, avec le même moteur à carburant solide. La première version du lanceur Ariane 6 était fondée sur deux étages à propulsion à poudre. À Luxembourg, les industriels ont obtenu que le lanceur possède un moteur principal cryogénique, non réutilisable. On pourra évoquer ce point...
La rationalisation industrielle des activités spatiales est motivée par des objectifs prioritairement économiques et non plus seulement technologiques. L'intégration industrielle sera améliorée. Ce sont les conditions de la survie d'une filière européenne de lanceurs dans laquelle la France est en tête, avec un grand nombre d'emplois à la clé.
La date à laquelle les technologies réutilisables seront opérationnelles et viables économiquement constitue une incertitude majeure. Le programme LEE (Launcher Evolution Elements) de l'ESA soutient la recherche en matière de technologie réutilisable, pour préparer l'avenir. Tous les participants à la table ronde ont estimé qu'Ariane 6 ne doit pas être retardé, il doit être au rendez-vous de 2020 ; les travaux sur la récupérabilité des lanceurs sont à une échéance plus lointaine, autour de l'année 2030. Ariane 6 bénéficiera d'une adaptabilité grâce à laquelle certains éléments pourront être remplacés par des éléments réutilisables, en cas d'accélération de la maturation des technologies. Pour ces raisons, il convient de soutenir le financement du programme LEE.
La gouvernance de la politique spatiale européenne est maintenant fondée sur un modèle équilibré de partage des responsabilités, des coûts et des risques entre l'Agence spatiale européenne (ESA) et la coentreprise Airbus Safran Launchers (ASL). Cette dernière supportera en totalité les risques liés au marché commercial pendant l'exploitation, sans soutien des États membres, étant entendu qu'elle contrôlera l'exploitation commerciale des services de lancement et qu'un certain nombre de contrats seront conclus chaque année pour des lancements institutionnels européens.
Le Gouvernement français, en s'appuyant sur le CNES, continuera d'assumer ses fonctions régaliennes pour les vols institutionnels ainsi que pour le volet défense, comme il continue d'être le financeur des développements d'Ariane 6.
L'ESA et le CNES assurent la maîtrise d'ouvrage des lanceurs, le CNES gère le centre spatial guyanais, ASL assure la maîtrise d'oeuvre et la commercialisation, au travers le rachat des parts du CNES dans Arianespace.
La conférence de Luxembourg comporte un engagement des acteurs institutionnels, notamment la France, l'Allemagne, l'Italie et la Commission européenne, d'opérer cinq lancements chaque année. Il convient de rester vigilant quant au respect de cet engagement. Est-ce à dire, cependant, que l'Europe a définitivement renoncé à la préférence communautaire pour ses marchés institutionnels ?
Le rapport de l'Office en 2012 constatait déjà une gouvernance européenne complexe comparée à celle des États-Unis d'Amérique ; il appelait à redistribuer et clarifier les rôles. L'ESA et la Commission européenne ont souligné la nécessité de rapprocher, sans les confondre, leurs actions respectives, en réaffirmant la place de l'ESA dans l'expertise et la définition des actions engagées par l'Union. Nous ne pouvons plus nous permettre de doublons, nous devons accroître l'efficacité européenne. Il reste encore à fluidifier les relations entre l'ESA et la Commission européenne, à préciser la politique spatiale européenne, à définir les priorités entre les investissements lourds en fonds publics et à éviter le saupoudrage.
La règle du retour géographique n'a été remise en cause par aucun des participants à l'audition publique. C'est bien dommage ! Il reste que la plus grande prise de responsabilités par l'industrie pourra, à terme, entraîner une évolution de la règle du retour géographique, vers, par exemple, celle d'une « juste contribution », qui paraît plus compatible avec une meilleure productivité.
L'audition publique a également permis de s'interroger sur une situation dans laquelle la France finance plus de la moitié du coût des lanceurs et les deux tiers du coût du centre spatial de Kourou en Guyane, soit 1,44 milliard d'euros en 2015.
Deuxième table ronde : Quelle stratégie de filière pour l'Europe spatiale ?
La France représente la moitié des emplois de la filière Ariane. Comme cela avait été demandé par le rapport de l'Office en 2012, un comité de concertation État-industrie sur l'espace (CoSpace) a enfin été créé en France en 2013, sous l'impulsion de Mme Geneviève Fioraso. Il a enfin permis la définition d'une politique de filière priorisant les technologies et évitant la dispersion ou les doublons. Il poursuit une politique d'indépendance, en particulier au niveau des composants spatiaux.
L'audition publique a permis de souligner l'importance des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans l'industrie spatiale européenne. Il en a été notamment ainsi avec l'audition du directeur général de MT Aerospace (groupe OHB), représentatif du modèle allemand du « Mittelstand », c'est-à-dire ces PME et ETI spécialisées dans l'innovation et la haute valeur ajoutée, orientées vers les marchés à l'exportation, qui développent une stratégie industrielle à long terme et qui ont tissé des liens étroits avec le monde universitaire et celui de la recherche.
PME et ETI, notamment les jeunes pousses (start-up), brillent par leur expertise, savoir-faire, spécialisation, compétences, recherche, innovation, mais aussi réactivité et disponibilité. Sans elles, l'industrie spatiale ne pourrait exister. Les grands groupes industriels et les agences montrent la voie au travers de leurs programmes structurants. Il est dès lors essentiel qu'ils partagent avec les PME et ETI leurs perspectives d'évolutions techniques et technologiques. Il convient de resserrer les liens avec et entre ces PME, dont les compétences et contributions sont complémentaires. La maturité des processus d'étude et des procédés de production des PME du secteur spatial devrait leur permettre de prolonger leur valorisation sur d'autres marchés à haut niveau de fiabilité : le médical implanté, le nucléaire...
L'audition publique a montré l'importance d'équipements au sol compétitifs, techniquement et économiquement. Or dans le domaine de l'accès à internet, les équipements au sol sont quasiment tous d'origine américaine ; l'Europe devrait s'en préoccuper.
La filière spatiale européenne concerne les infrastructures - lanceurs, satellites et segments au sol - mais aussi les services en découlant qui représentent aujourd'hui plus du double de l'activité des infrastructures spatiales. Selon les chiffres de l'OCDE, les services spatiaux représentaient en 2013 un marché mondial de près de 120 milliards d'euros, soit un fort effet de levier par rapport aux 67 milliards d'euros de l'industrie spatiale.
L'audition publique a permis, pour la première fois à ce niveau, d'aborder l'arrivée des GAFA dans l'industrie aéronautique, avec notamment les projets de lancement de milliers de microsatellites de communication. Les entreprises de la Silicon Valley affichent des ambitions considérables et disposent de capacités massives d'investissement pour parvenir à fournir l'accès à internet aux plus de trois milliards d'individus qui n'en bénéficient pas encore. OneWeb vient de conclure un partenariat avec Airbus Defence and Space, Arianespace et Virgin Galactic pour construire et lancer une constellation de 900 microsatellites de télécommunication de basse altitude pour l'internet entre la fin de l'année 2017 et celle de l'année 2019. Les constellations LEO (basse orbite) de microsatellites avec propulsion électrique, voire les ballons, représentent une véritable rupture technologique. En 2012, quand nous parlions de satellites à propulsion électrique, on nous riait au nez...
L'audition publique a permis de montrer la complémentarité entre les satellites LEO (basse orbite) et GEO (orbite haute) stationnaires. Dans l'internet, les premiers sont appréciés pour leur faible latence ou pour la desserte des zones difficiles d'accès, alors que les seconds permettent un fort volume d'échange de données. Conjointement, ils amélioreront l'accès à l'internet et à la téléphonie mobile partout dans le monde, avec la disparition des zones blanches ou grises dans les pays en développement et dans les zones à faible densité de population y compris des pays développés. Si les satellites LEO offriront des services de télécommunication, la diffusion (télévision) restera cependant l'apanage des satellites GEO. Il n'en reste pas moins que l'irruption des constellations en orbite basse entraîne à terme une modification en profondeur de l'offre des opérateurs de télécommunications.
En matière de satellites, marchés institutionnel et commercial sont complémentaires. L'audition publique a permis de dresser un constat de faiblesse du marché intérieur européen au-delà des programmes phares Galileo et Copernicus. Or le spatial est un outil de développement et de service indispensable. Certains proposent un plan public visant à la connexion (internet haut débit et téléphonie mobile) du plus grand nombre possible de personne sur l'ensemble du territoire.
L'audition publique a montré l'importance de missions spatiales scientifiques comme Philae (Rosetta) ou Mars. Les scientifiques sont de plus en plus convaincus de l'existence de vie extraterrestre et les sondes que nous envoyons à l'intérieur du système solaire peuvent trouver des vestiges de cette vie, les télescopes en orbite peuvent observer des exoplanètes. Avec les lancements en orbite de la Terre concédés à l'industrie privée, la NASA concentre son activité sur l'exploration lointaine avec notamment le projet d'un vol habité vers Mars. L'audition publique a rappelé l'importance de la coopération internationale en matière spatiale, avec notamment la station spatiale internationale (ISS) et le projet de la NASA vers Mars.
Dans le contexte de la prochaine conférence internationale sur le changement climatique (COP21), il convient de noter que les satellites d'observation contribuent aux travaux du GIEC sur le réchauffement climatique, pour prévenir et mieux gérer les évolutions et les dérèglements qu'il provoque. Pour l'étude du climat, sur les 50 variables climatiques essentielles, 26 peuvent être observées seulement depuis l'espace. Le contrôle des émissions de CO2 et de méthane nécessite cependant une complémentarité de moyens au sol et spatiaux.
Aujourd'hui, commencent à apparaître des projets pour, d'une part, mesurer l'influence de l'activité anthropique sur le climat, mais surtout, pour s'assurer que les accords internationaux seront bien respectés. L'Europe ne pourra pas se contenter d'observations et mesures effectuées par ses partenaires, elle devra disposer de propres capacités permettant non seulement de mesurer ses variables environnementales, mais aussi contrôler les variables déclarées par les autres pays, notamment les émissions de CO2 ou de méthane.
Une prise de conscience internationale a eu lieu sur la question des débris spatiaux. On ne peut pas dire que les choses avaient évolué beaucoup depuis notre rapport de 2012, même si deux accords ont été signés par le CNES au Bourget. Le premier, au niveau européen, réunit autour du CNES des agences nationales pour mettre en commun les données radar dont elles disposent pour le suivi des objets spatiaux. Le second accord a été conclu avec la NASA : les Américains fournissent au CNES leurs données et le CNES leur fournit en retour sa méthodologie pour les exploiter au mieux. La meilleure façon de limiter les débris n'est pas de nettoyer l'espace, mais de ne pas le salir, avec la rentrée des étages par désorbitation. Un consensus est intervenu lors de la table ronde pour l'élaboration d'une convention internationale sur les déchets spatiaux.
L'industrie spatiale est duale, c'est un fait. Le rôle du spatial s'amplifie dans la défense et la sécurité : satellites de communication sécurisée ou d'observation détaillée, missiles balistiques pour la force de dissuasion... Les forces armées ne peuvent conduire des OPEX, notamment en Afrique, sans nos satellites. Nous sommes donc passés à une logique de dépendance. Le maintien d'une filière européenne des lanceurs permettant un accès autonome à l'espace est donc essentiel. Les technologies spatiales de défense doivent cependant rester duales si elles veulent évoluer et rester abordables. Les équipements spatiaux à usage militaire peuvent bénéficier de la baisse des prix du spatial civil, tout comme, inversement, certains acteurs civils peuvent avoir besoin de communications sécurisées par satellite.
Un autre point indiqué de manière très forte lors de l'audition publique est qu'il faut continuer d'investir dans la science et dans l'innovation. La place du spatial dans la stratégie nationale de recherche a été soulignée. En France, en Europe - comme ailleurs dans le monde -, l'industrie spatiale ne peut se passer d'un soutien public fort ; prise de risque sur des investissements lourds et à long terme et externalités pèsent sur sa rentabilité.
Tous les intervenants à l'audition publique se sont prononcés pour une meilleure connaissance de l'espace : dans les écoles d'ingénieur, les instituts d'études politiques, les écoles de commerce, voire les programmes de géographie dans les lycées... Nous avons besoin de donner envie à nos jeunes étudiants ou futurs étudiants de travailler dans l'industrie spatiale. Les activités spatiales sont une source d'innovation, d'excellence scientifique, de progrès technologique, de croissance économiques et d'inspiration pour les jeunes générations. Elles les incitent à étudier les sciences, les mathématiques, la technologie ou l'ingénierie. Si nous voulons continuer de faire rêver, nous devons transmettre ce rêve aux enfants, aux lycéens et aux universitaires.
Il convient enfin de penser « espace » dans tous les compartiments de l'action publique. La recommandation du rapport de 2012 de voir réapparaître le mot « espace » dans le nom du ministère de l'enseignement supérieur de la recherche n'a malheureusement pas encore été suivie d'effet ; nous l'avons évoquée devant le ministre lors de l'audition publique.
À la suite de ces auditions, et compte tenu des questions que nous avons posées, le CNES nous fait savoir que la réutilisabilité des lanceurs pourrait constituer un prochain sujet d'étude. Autant le sujet était éloigné des préoccupations en 2013 et 2014, autant, en 2015, il revient sur le devant de la scène dans un certain nombre de pays non européens.
Monsieur Sido, pourriez-vous préciser votre appréciation sur la règle du retour géographique ?
La règle du retour géographique signifie que, quand un État membre de l'ESA finance ses activités, son territoire doit accueillir une partie de la production à due proportion. Cela nuit à la compétitivité. L'objectif est de construire un lanceur qui ne soit pas plus cher que celui de SpaceX. Le prochain lanceur européen sera peut-être plus performant, plus fiable, mais je crains qu'il revienne plus cher, auquel cas nous perdrions les marchés.
J'insisterai sur deux points. L'absence de principe de préférence communautaire, malgré l'engagement pris de confier aux lanceurs Ariane cinq lancements institutionnels par an, n'est pas sans entraîner de conséquences pour les PME et PMI de la filière européenne. Ma deuxième remarque a trait aux orbites basses et géostationnaires : je considère qu'elles sont complémentaires.
Je crois enfin que les rapporteurs ont eu raison d'insister sur les missions scientifiques nouvelles, avec des coopérations internationales, ainsi que sur l'importance des actions dans le domaine de l'éducation.
L'engagement de cinq lancements par an a le mérite d'exister, mais il confirme implicitement l'abandon de la préférence communautaire.
L'Europe est la seule zone au monde à lancer des appels d'offre et à ne pas assurer à son industrie ses vols institutionnels. Par comparaison, je note que la NASA a confié, il y a quelques jours, le ravitaillement de la station spatiale internationale (ISS) à l'entreprise SpaceX, sans appel d'offre, pour pouvoir se passer des lanceurs russes.
Dans les interventions des deux rapporteurs, nous avons entendu un résumé de ce qui s'est dit lors de l'audition publique. Je vous propose de rassembler et d'ordonner les conclusions des rapporteurs de façon synthétique.
L'Office adopte, à l'unanimité, les conclusions suivantes :
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques :
- rappelle l'importance des enjeux de la politique spatiale européenne en termes d'accès autonome à l'espace, de maîtrise de technologies clés et de retombées économiques ; estime, en conséquence, nécessaire le maintien à haut niveau des soutiens publics à cette politique européenne ;
- soutient les décisions prises à Luxembourg en décembre 2014 confirmant la construction du nouveau lanceur Ariane 6, à horizon 2020, tout en faisant évoluer la gouvernance européenne en confiant un rôle accru à l'industrie ;
- suivra avec attention le processus de refonte des processus de production des différents éléments des lanceurs Ariane 6 et Vega C, avec pour objectif de diviser les coûts par deux ; s'interroge, dans le cadre de cette restructuration industrielle, sur la pertinence du principe de retour géographique ;
- regrette l'absence de préférence communautaire pour les lancements institutionnels ; à défaut, veillera au respect rigoureux des engagements pris par la Commission européenne, l'Agence spatiale européenne (ESA) et les États membres de réserver un certain nombre (« cinq ») de lancements institutionnels chaque année aux lanceurs Ariane ;
- souhaite que l'Europe ne rate pas le tournant des lanceurs réutilisables ; en conséquence, assurera une veille active sur les ruptures technologiques pouvant permettre la réutilisabilité de certains éléments des lanceurs et soutient, d'ores et déjà, les recherches européennes en la matière ;
- rappelle le rôle crucial des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans la filière industrielle spatiale européenne ;
- insiste sur la nécessité impérieuse d'équipements au sol compétitifs, techniquement et économiquement, et incite l'Europe à se préoccuper du retard accumulé en la matière ;
- rappelle l'importance des secteurs économiques constitués par les services permis par les équipements spatiaux (communications électroniques, télédiffusion, géolocalisation, surveillance de la Terre...) ;
- considère que les projets de lancement de constellations de milliers de microsatellites en orbite basse sont complémentaires des satellites en orbite géostationnaire, mais pourraient, à terme, entraîner une modification en profondeur de l'offre des opérateurs de télécommunications ;
- rappelle la dimension stratégique des moyens spatiaux, par nature duaux, pour la défense nationale ;
- soutient les missions spatiales scientifiques visant à accroître les connaissances, dans le cadre de coopérations internationales ;
- souligne l'importance des moyens spatiaux pour contrôler, en complément des moyens au sol, les engagements internationaux relatifs aux changements climatiques qui résulteront de la COP21 en décembre 2015 ;
- appelle instamment à l'élaboration d'une convention internationale sur les déchets spatiaux ;
- se prononce pour une meilleure connaissance de l'espace à tous les niveaux : écoles, enseignement supérieur et recherche, ministères...
L'Office autorise ensuite la publication du rapport sur la politique spatiale européenne.
Nous saluons le président Bernard Meunier et le vice-président Sébastien Candel, prévu pour prendre le relais de la présidence de l'Académie après 2016. Nous les accueillons avec beaucoup de plaisir à l'Office parlementaire d'évaluation de choix scientifiques et technologiques.
C'est chaque fois un honneur de recevoir l'Académie des sciences. Les présidents successifs de l'OPECST y ont toujours veillé.
Cette visite intervient dans la 349e année de l'Académie, puisque l'année prochaine vous célébrerez le 350e anniversaire de votre savante institution créée par Colbert en 1666. D'emblée, d'ailleurs, l'idée était que la science constitue une richesse au service du développement du pays, au niveau de son rayonnement mais également au niveau de sa puissance économique et technologique. Il s'agissait de : « favoriser la science pour l'utilité publique et la gloire », a dit le décret royal qui lui a donné son premier statut trente ans plus tard.
Comme vous le savez, nous sommes en contact fréquent avec des académiciens, dont certains sont membres de notre conseil scientifique. Ils sont pour nous des relais précieux et des intervenants de qualité pour nos auditions publiques : je citerai ceux qui ont participé aux dernières d'entre elles : M. Yves Brechet pour notre audition de juin sur la cuve de l'EPR, M. Serge Abiteboul pour l'audition de juillet sur « La place du traitement massif des données (Big Data) dans l'agriculture : situation et perspectives ».
Jeudi, nous visiterons le plateau de Saclay et nous retrouverons, au moment du déjeuner, deux académiciens qui travaillent sur ce plateau : MM. Alain Aspect et Albert Fert, prix Nobel.
Je rappelle, au passage, que l'Académie a un effectif digne d'une assemblée parlementaire : 263 membres, 125 associés étrangers et 91 correspondants.
L'Académie « encourage et protège l'esprit de recherche, et contribue au progrès des sciences et de leurs applications ». C'est sa première mission, et je crois, Monsieur le président, que vous souhaitiez nous voir pour nous proposer votre analyse de l'état de la recherche en France. Votre jugement est précieux, et nous intéresse tout particulièrement, puisque, comme vous le savez, aux termes de l'article 15 de la loi du 22 juillet 2013, l'OPECST est tenu d'évaluer la stratégie nationale de recherche. Peut-être pouvez-vous nous donner votre avis sur la mécanique d'élaboration de cette stratégie nationale de recherche ?
Mais l'Académie a une deuxième mission très importante, je cite : « Elle veille à la qualité de l'enseignement et oeuvre pour que les acquis du développement scientifique soient intégrés dans la culture des hommes de notre temps », le mot « hommes » désignant ici l'humanité, bien sûr.
Lors de nos échanges durant le dernier partenariat entre l'Office et votre Académie pour mettre en place des jumelages, vous aviez abordé les difficultés pour la science de se frayer un chemin jusqu'aux salles de rédaction de la presse. C'est un point sur lequel vos réflexions ont peut-être progressé et nous serions heureux d'en reparler avec vous, d'autant qu'on a connu récemment une petite expérience dans ce domaine.
Peut-être le premier vice-président Bruno Sido souhaite-t-il ajouter quelques mots... Sinon, je propose qu'il conclue cette audition.
Monsieur le président et Monsieur le vice-président, vous avez la parole.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de me recevoir. J'ai centré mon propos sur le problème du financement de la recherche, qui préoccupe l'Académie depuis plusieurs mois, sinon quelques années.
L'Académie des sciences s'est réformée voici une douzaine d'années, et nous élisons 50 % de nos nouveaux membres parmi des personnes âgées de moins de cinquante-cinq ans. Ce qui signifie qu'au moins la moitié de nos membres sont en prise directe avec la vie des chercheurs. Et lorsque Mme Catherine Bréchignac, M. Jean-François Bach et moi-même avons été reçus, le 25 août, par M. Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous lui avons fait observer que nous étions mieux informés que lui de l'état de la recherche publique. En effet, la remontée d'information s'effectue beaucoup plus vite au niveau des membres de l'Académie des sciences qu'elle ne peut se faire au travers des canaux hiérarchiques du ministère de la recherche. Nous sommes une source d'information crédible et indépendante de différents groupes d'opinion ou de pression.
Nous avons publié un rapport en septembre 2012, intitulé « Remarques et propositions sur les structures de la recherche publique en France », comportant 70 à 80 pages, et trois avis plus ciblés sur le financement de la recherche en décembre 2013, octobre 2014 et juin 2015, intitulés respectivement « Cri d'alarme de l'Académie des sciences sur le financement de la recherche », « Inquiétudes dans les laboratoires de recherche » et « Le financement de la recherche publique : un chantier urgent ». Ces titres résument bien l'état d'esprit de l'Académie sur le sujet. Ces trois avis sont des textes courts ayant pour but d'être lus par les décideurs de la politique scientifique de notre pays et doivent être considérés comme des alertes fortes.
Pour comprendre les raisons des difficultés de la recherche fondamentale en France, il est nécessaire de reprendre quelques-uns des points essentiels évoqués dans le résumé du rapport de septembre 2012. Permettez-moi de citer le début de ce rapport, qui reste d'actualité: « La recherche publique française souffre ! Elle souffre de trop de complexité, de trop de papiers à remplir, de trop peu de temps à consacrer à la recherche elle-même. Consolider l'existant, ne rien changer, ou pire, faire plaisir à toutes les chapelles qui se sont construites et consolidées au cours des trente dernières années, ce serait un poison lent qui conduirait à la paralysie des nombreux laboratoires qui essaient, coûte que coûte, de se maintenir au meilleur niveau international. »
Cette capacité de se maintenir au meilleur niveau international de certains laboratoires force d'ailleurs l'admiration de certains collègues étrangers bénéficiant d'un contexte universitaire plus facile.
Depuis trente à quarante ans, l'arrivée de l'informatique dans les laboratoires a été l'occasion de produire des milliers de formulaires que les chercheurs doivent remplir. Autrefois, la production d'une note de service sur papier comportait de nombreux freins pratiques : papier carbone, mise sous enveloppe, timbrage. Aujourd'hui, la magie de la bureautique moderne permet, en quelques clics, d'envoyer à des centaines de directeurs d'unité un formulaire à remplir, de dix ou vingt pages, qui remonte ensuite dans des « cimetières à informations » mais qui n'intéresse personne.
La vie d'un chercheur moderne est faite de traitement des courriels, de remplissage de formulaires. Je m'en suis expliqué très ouvertement avec un certain nombre de présidents d'organisme, ayant été moi-même président du CNRS voici une dizaine d'années.
Aucune tentative de simplification n'a abouti. Le nouveau secrétaire d'État en charge de la recherche s'occupait antérieurement de simplification administrative ; on espère qu'il continuera le même combat dans le cadre de ses nouvelles responsabilités. Faire simple au lieu de faire compliqué pourrait être le slogan de la recherche fondamentale française.
Concernant l'évaluation et le rôle de l'ex-AERES renommée HCERES, il y a peut-être matière à simplification, sachant qu'une grande partie de l'évaluation se fait directement au plus près des chercheurs, dans les organismes, ou dans les universités, que ce soit à travers le Comité national du CNRS ou à travers le Comité national des universités. Il y a probablement une redondance, car on ne peut pas dissocier l'évaluation des chercheurs de l'évaluation des équipes et des laboratoires avec, d'un côté, l'évaluation par les comités nationaux et, de l'autre, l'évaluation par l'AERES. En effet, les laboratoires sont composés d'individus, de talents.
Pour améliorer l'attractivité des métiers de la recherche, il est primordial d'améliorer les rémunérations des jeunes chercheurs pour faciliter l'embauche dans les universités et les organismes de recherche dans les dix ou douze premières années de la carrière, en particulier dans les villes où la vie, et surtout le logement, sont beaucoup plus chers qu'ailleurs.
Nous avions demandé, dans notre rapport de 2012, la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives afin d'affirmer la spécificité d'une formation obtenue à bac + 8. Il semble que cela commence à se mettre en place pour quelques conventions collectives. Mme Geneviève Fioraso avait beaucoup oeuvré en ce sens.
Mme Geneviève Fioraso s'était également beaucoup investie dans l'accès des titulaires d'un doctorat aux grands corps de l'État, ceux-ci étant principalement réservés aujourd'hui aux anciens élèves de Polytechnique et de l'ENA. Nous avons le sentiment qu'il manque un peu de diversité intellectuelle dans ces grands corps ; la filière Sciences-Po-ENA, par exemple, pourrait être plus ouverte à la science, en accueillant des intervenants venant présenter les grands enjeux scientifiques. Mme Geneviève Fioraso avait, à ma connaissance, obtenu un début d'ouverture du côté du corps des Mines et du corps des Ponts ; il serait souhaitable que M. Thierry Mandon poursuivre l'oeuvre engagée sur ce terrain.
S'agissant du financement de la recherche publique, j'indiquerai en préambule qu'il correspond à un besoin très variable d'un domaine à un autre. Les chercheurs en mathématiques purs sont mieux lotis, car ils n'ont pas besoin des instruments, équipements, ou petits matériels qu'on appelle des « consommables » qui, à l'inverse, sont indispensables à la recherche en chimie expérimentale ou en biologie expérimentale. L'école française de mathématiques, qui est brillante, n'a donc aucun problème pour rester au meilleur niveau international.
De même, les chercheurs dont l'activité est liée à l'utilisation de grands instruments, ceux du CERN ou encore les satellites et les grands télescopes, bénéficient du support de financement de plusieurs États dans le cadre des grands programmes internationaux.
La situation de leurs collègues en sciences expérimentales est bien plus difficile lorsqu'ils ne bénéficient pas de l'aide de grandes fondations privées ou d'associations caritatives, comme c'est possible dans le domaine médical. Ils ont notamment besoin de crédits dits « récurrents » qui permettent de démarrer une recherche originale sans avoir à rédiger de nombreuses demandes de financement.
Pour bien comprendre l'évolution des choses, je propose d'en passer par l'analyse de quelques chiffres, tirés des rapports d'activité du CNRS, qui sont désagréables à entendre, mais dont il faut prendre connaissance.
En particulier, le rapport masse salariale sur dotation de l'État (rapport MS/DE) est un indicateur important ; la Cour des comptes a souhaité qu'il fasse l'objet d'un suivi par les organismes et, probablement, les universités. C'est un des indicateurs les plus difficiles à obtenir, sauf pour le CNRS.
En 1960, ce ratio MS/DE était de 47 % au CNRS. Cela signifie que, à partir du 2 janvier, le directeur général du CNRS, après avoir mis de côté 47 % du budget pour payer les salaires jusqu'au 31 décembre, en conservait 53 % pour mener une politique scientifique.
En 1980, le ratio MS/DE du CNRS est passé à 74 %. À la direction générale du CNRS, un certain nombre de personnes ont essayé, à l'époque, de tirer le signal d'alarme. Mais personne n'avait envie d'entendre ce chiffre.
En 2010, trente ans plus tard, le ratio MS/DE du CNRS devient égal à 84 %. Il faut savoir que, lorsque l'État français est invité à payer sa quote-part aux grands équipements internationaux, CERN ou télescope d'Hawaï, il se retourne vers le CNRS en lui demandant de la prendre en charge sur son budget ; cela représente 5 % à 7 % de la dotation d'État. On arrive ainsi à 90 %. Si l'on ajoute 4 % à 5 % pour le financement des services centraux du CNRS, il reste 5 %. Voilà la situation réelle des laboratoires de recherche en France.
Comme la science n'est pas faite que de salaires, puisqu'il faut des équipements pour faire de la recherche expérimentale, on aboutit à des situations de chômage technique.
Prenons, comme élément de référence internationale, les instituts Max Planck, équivalents du CNRS en Allemagne : leur ratio MS/DE est de 65 % actuellement. C'est ce chiffre qu'il faut viser pour retrouver la joie de chercher dans les laboratoires français.
Je ne peux pas vous fournir les chiffres correspondants pour les universités françaises. Lorsque j'évoque le sujet avec mes collègues présidents d'université, ils me disent que le chiffre de 85 % à 90 % n'est sans doute pas loin de la vérité ; mais personne n'accepte de certifier ce chiffre par écrit.
On ne manque pas d'indicateurs sur la recherche, on croule même sous leur nombre ; ils sont rassemblés chaque année dans une publication de 150 pages, et beaucoup ne sont pas sérieux. Nous aurions besoin de moins d'indicateurs, mais qui fournissent une vraie information.
M. Thierry Mandon a été mis au courant de ces chiffres ; il réfléchit à des solutions, mais les contraintes budgétaires sont fortes.
Mais alors, comment finance-t-on la recherche en France, puisque les organismes et les universités n'ont pratiquement plus de crédits récurrents ? Nous sommes passés à un mode de financement par projet, via notamment l'Agence nationale de la recherche (ANR) créée il y a dix ans.
L'ANR, qui finance de la recherche fondamentale et de la recherche moins fondamentale, a vu son budget diminuer de moitié après avoir culminé autour de 800 millions d'euros. Ce que l'Académie des sciences regrette, c'est la quasi-disparition des programmes blancs, c'est-à-dire les financements de projets proposés par les chercheurs sur la base d'une idée qu'ils pensent originale, indépendamment de toute prédétermination de l'utilisation des crédits sur tel ou tel domaine. Nous tenons essentiellement à ce que ces programmes blancs restent blancs ; je me permets de préciser que le « blanc cassé » n'est pas la bonne solution. Car les programmes blancs actuels de l'ANR sont, de fait, plutôt « blancs cassés », et j'ai eu l'occasion d'en discuter directement avec le président de l'ANR, M. Michael Matlosz, qui a très bien compris ce que je voulais dire puisque, avant de devenir président, il s'était occupé des programmes blancs.
L'idéal serait probablement de consacrer 50 % des crédits de l'ANR aux programmes blancs. Car il faut que les jeunes chercheurs, que l'on recrute au CNRS, à l'université, à l'INSERM , à l'INRA, à 31, 32, 33 ou 34 ans, après leur thèse et deux ou trois années post-doctorales dans les meilleures laboratoires à l'étranger, n'aient plus autant de difficultés pour trouver le financement de leur recherche. On peut, certes, les diriger vers des recherches programmées au sein de différents groupements mais la valeur scientifique de ces vastes opérations décroît avec le nombre des partenaires.
Cette critique peut paraître sévère, mais nous l'avons déjà émise pour ce qui concerne l'Europe, qui dispose de deux modes de financement de la recherche : la recherche programmée dans le cadre de l' « Horizon 20-20 », et les fonds alloués par le European Research Council (ERC-Conseil européen de la recherche) selon un principe équivalent à celui des programmes blancs de l'ANR. On pourrait d'ailleurs très bien imaginer que les programmes blancs de l'ANR, utilisés pour le lancement des recherches, soient relayés par les crédits de l'ERC au niveau européen ; c'est un enchaînement qui fonctionne dans les universités anglaises, suisses, allemandes, avec un taux de succès, au niveau de l'ERC, supérieur à celui de nos jeunes chercheurs français, pourtant brillants.
Comment redonner des moyens à l'ANR ? Dans notre dernier avis du mois de juin 2015, l'Académie indiquait que le crédit impôt-recherche est une excellente chose s'il est utilisé raisonnablement et correctement. Mais l'Académie n'est pas convaincue de la pertinence d'inclure, par exemple, dans son périmètre les recherches sur les produits dérivés bancaires ou les produits d'assurance. Les premiers sont à l'origine, comme on le sait, de la dernière grande crise de l'économie mondiale, et devant des banquiers, je les avais désignés comme des « objets de destruction massive de PIB ».
Si l'on restreignait le périmètre du crédit impôt-recherche, tout en y maintenant les jeunes entreprises innovantes, ainsi que les grandes entreprises qui font l'effort de conserver leurs laboratoires de recherche sur le territoire national, on pourrait imaginer de libérer un montant, certes difficile à évaluer, en raison de la complexité des transferts à opérer, mais qui pourrait atteindre deux cents, trois cents, quatre cents, quatre cent cinquante millions d'euros. Ils pourraient abonder les programmes blancs de l'ANR, et cela ferait respirer le système de recherche français, changerait l'ambiance dans les laboratoires, et enclencherait une dynamique vers la recherche fondamentale.
Je rappellerai une chose importante : il n'y a aucune recherche appliquée qui ne soit pas issue d'une recherche fondamentale brillante. La difficulté n'est pas dans le choix entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée mais dans le choix entre la bonne recherche fondamentale et celle qui se croît bonne ; de même qu'on peut distinguer la bonne recherche appliquée de celle qui se croit bonne. Cela met en jeu une évaluation difficile, mais qui doit être faite de manière courageuse, sinon on navigue sur de l'a priori, en donnant des à-coups pour s'orienter exclusivement vers la recherche appliquée ou vers la recherche fondamentale ; en fait, les deux sont nécessaires mais sur la base d'une sélection qui permet aux jeunes générations de chercheurs de donner le meilleur d'eux-mêmes.
La recherche fondamentale de qualité, et la recherche appliquée de qualité sont des indicateurs essentiels pour le développement économique des pays. Je rappelle un chiffre : dans les années 1985-1990, on comptait dans les biotechnologies, dont on commençait à parler dans les médias à l'époque, 5 000 emplois en France et en Europe, alors que les États-Unis d'Amérique en étaient déjà à 200 000 emplois. Aujourd'hui, il est évident que la France occupe une bonne position dans le secteur numérique ; les Français y ont une excellente réputation, et créent des produits ; mais, dans la réalité, tout le matériel informatique utilisé en France a été conçu aux États-Unis d'Amérique et fabriqué en Asie, et la France voit sa part de marché réduite à quelques logiciels. Cela montre que des batailles ont été perdues, et j'en donnerai un autre exemple : aujourd'hui, tous les appareils utilisés dans un hôpital en France (IRM, scanner ou autres) sont produits, depuis l'absorption de la CGR par General Electric Medical Systems devenu GE Healthcare, par des consortiums internationaux sans participation française ; de même, les lits médicalisés ne sont plus produits par des constructeurs français, qui ont tous été rachetés par des groupes étrangers. Et pourtant, la France dispose du savoir-faire et des ingénieurs nécessaires, puisqu'elle sait fabriquer des avions, par exemple, qui sont d'un degré de complexité supérieur à un IRM.
Cela montre qu'il faut débrider notre système pour maintenir une recherche fondamentale et une recherche appliquée à haut niveau, pour développer notre industrie, et ne plus enregistrer les pertes que nous constatons dans beaucoup de secteurs. L'histoire a montré que nous en étions capables. Dans le domaine médical, la France est en mesure de produire autre chose que des accessoires comme des serviettes ; même les seringues jetables sont actuellement fabriquées à l'étranger.
En conclusion, nous avons besoin d'une stratégie créant une nouvelle dynamique positive de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée afin de favoriser l'évolution économique de notre pays. Je vous prie de m'excuser si certains de mes propos ont pu paraître un peu brutaux ; en tout cas, ils sont sincères.
Je suis en accord total avec ce qu'a dit notre président, notamment en ce qui concerne notre perception de ce qu'il se passe dans les laboratoires. J'appartiens personnellement à une instance de conseil auprès du président directeur général de l'ANR et je suis donc bien placé pour constater que l'ANR se trouve dans une situation difficile, puisque le nombre de projets sélectionnés est de l'ordre de 9 %, ce qui crée une situation très différente de celle qu'a connue l'ANR dans ses débuts. Les laboratoires qui mettent leurs espoirs de financement dans l'ANR sont souvent très déçus ; même de très bons projets se trouvent écartés.
J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt cette présentation, qui reprend des idées que vous m'aviez déjà exposées lors d'un entretien précédent. Chaque fois que je rencontre un chercheur, j'entends la même chose, et cela ne peut plus durer. Aujourd'hui encore, au cours du déjeuner avec M. Alain Brochiantz, on me disait que l'absence de perspective de recherche allait entraîner la disparition de la France comme pays qui compte dans le monde ; de plus, c'était très convaincant.
J'aurais une première question concernant l'interprétation de l'évolution du ratio masse salariale/dotation d'État évoqué par vous. Est-ce la dotation qui a stagné ou bien est-ce la masse salariale qui a augmenté plus vite que la dotation ?
Vous avez indiqué que l'informatique générait le meilleur comme le pire, et vous avez mentionné la multiplication des formulaires à remplir et l'accumulation de la paperasse qui empêchait, finalement, de se consacrer à la recherche. À combien estimez-vous cette perte de temps causée par les tâches administratives ?
Ma troisième question concerne mon étonnement de découvrir, par exemple, lorsque j'écoute les informations du matin à la radio, qu'il existe au CNRS des spécialistes du Tadjikistan. Est-il vraiment pertinent que le CNRS couvre ce genre de domaine qui me semble a priori relever plutôt du quai d'Orsay ?
Enfin, que peut-on faire pour retrouver ce ratio de référence de 65 %, qui est celui des instituts Max Planck ? Car, personnellement, je suis très soucieux que la France soit en mesure, par le maintien d'une recherche performante, de conserver son rang.
Je vais répondre à la première question très franchement, car la dérive du ratio MS/DE était pour moi une forte préoccupation lorsque j'étais à la tête du CNRS, et j'avais proposé au ministère de l'aborder sous deux angles : le nombre de postes que l'on souhaite financer au CNRS, et le rapport entre le nombre des personnes impliquées dans l'administration de la recherche et les chercheurs.
Il est évident qu'on a assisté dans les périodes fastes, lorsque le budget de la recherche croissait une et demi à deux fois plus vite que l'inflation, à une sédimentation des décisions ; au niveau de la direction générale, on s'est laissé aller à satisfaire les demandes de personnel supplémentaire émanant des services centraux et des délégations régionales ; la tendance naturelle, dans ce cas-là, n'est pas de dire : « non, il faut penser au financement de la recherche » mais d'éviter de dire des choses désagréables à son entourage immédiat.
Une dérive s'est ainsi enclenchée peu à peu et on n'a pas voulu la voir ; on a pensé qu'il y aurait suffisamment de financement sur contrats de recherche, que l'Europe allait prendre le relais. On s'est persuadé qu'un surplus d'organisation de la recherche permettrait que cela marche bien.
Mais, à partir du moment où, dans nos institutions, on ne dispose pas des bons indicateurs, on ne peut pas avoir de pilotage correct ; de même, un avion avec un horizon artificiel défaillant aura immanquablement des difficultés.
Par ailleurs, nous nous sommes livrés à notre passion française pour la complexification ; nous manifestons un véritable génie dans ce domaine. Un exemple : si on interroge un professeur de l'Université d'Oxford sur les statuts de cette université, il répondra « Je ne sais pas, cela doit pouvoir se retrouver quelque part » ; en France, tous les acteurs de l'université connaissent leurs statuts puisqu'ils changent tous les quatre à cinq ans.
Quant au temps consacré respectivement aux tâches administratives et à la recherche par un chercheur, il est très variable. Dans le cas de M. Alain Connes, professeur de mathématiques au Collège de France, sa part d'administration est très réduite ; en général, les mathématiciens sont préservés de ces tâches. Mais c'est une exception. Du temps où j'étais moi-même jeune chercheur, mon patron de laboratoire réglait les tâches administratives avec sa secrétaire en une heure et demie par semaine. Actuellement, les directeurs d'unité n'ont plus que leur samedi et leur dimanche pour faire de la recherche ; le reste de la semaine est absorbé par des tâches administratives, sauf lorsqu'ils peuvent participer, de temps en temps, à des séminaires, qui sont autant de trouées de lumière dans leur agenda.
Donc, si l'on osait évaluer la part de temps consacré par les chercheurs aux tâches administratives, on trouverait des chiffres de 30 %, 40 %, voire 50 % ou 60 % dans certains cas. Je crois qu'il faut revenir en arrière. Pour ma part, je ne peux plus accepter, moi personnellement, d'être confronté à des formulaires de trente à quarante pages.
Récemment, j'ai pu discuter avec un fonctionnaire de la DG12 à Bruxelles, en poste depuis trente ans ; il m'a indiqué que les formulaires de l'« Horizon 20-20 » font 3 000 à 4 000 pages. Personne ne les lit. Pour les renseigner, il faut impérativement remplir la ligne N pour accéder à la ligne N+1 ; il n'est pas possible de sauter une ligne, et si le formulaire n'est pas complet, on ne peut pas déposer le projet. On passe donc son temps à effectuer ce genre de tâches.
Je suis professeur en Chine, en chimie thérapeutique : on m'a recruté après mon départ à la retraite de ma position de directeur de recherche au CNRS ; on m'a proposé un contrat de cinq ans et un budget dont je n'ose mentionner le montant, que je n'avais jamais vu au cours des quinze dernières années en France, et qui a levé toutes mes hésitations. Pour postuler, on m'a demandé de rédiger un projet ; j'ai présenté un document se réduisant à quatre pages, ce qui ne m'a pas empêché de signer mon contrat. C'est la confiance qui a permis cela. On a estimé que mon curriculum vitae garantissait ma capacité à réaliser ce que j'ai décrit dans les quatre pages, sans avoir à remplir tout un fatras de formulaires.
De toute façon, ce n'est jamais sur la base des montagnes de formulaires que les décisions sont prises. C'est cela le vrai drame. Donc simplifions, simplifions, simplifions !
Ce même exposé a été effectué devant M. Thierry Mandon, qui, dans son poste ministériel précédent, avait identifié la recherche française comme grande productrice de formulaires.
Je suis assez effrayée de ce que vous relatez, car cela confirme, certes, ce que j'entends dans mes auditions de rapporteur pour avis du budget de la recherche au Sénat mais cela l'amplifie grandement. Je souhaiterais qu'on fasse la part entre les ressentis personnels, et ce qu'il se passe effectivement dans le dialogue entre les responsables de la recherche et les autorités ministérielles, qui s'efforcent de trouver un équilibre entre la nécessité et la raison.
S'agissant de l'évolution du ratio « masse salariale rapportée à la dotation d'État » de 1960 à 2010, sa lecture pourrait être déprimante sauf si l'on considère que la dégradation peut s'expliquer par le fait que la dotation d'État diminue en réalité moins que le budget des organismes n'augmente, et vous avez-vous-même mentionné cette piste en évoquant le souhait de ne contrarier personne : il y a ainsi des choses qui perdurent et qui ne sont pas forcément utiles.
S'agissant de l'opportunité de poursuivre des études sur le Tadjikistan, il ne faut pas mésestimer l'intérêt de tel ou tel secteur de recherche mais, au contraire, mettre en avant que les responsables politiques ne font pas assez appel aux chercheurs pour éclairer leurs analyses, et étayer leurs décisions. La situation que nous vivons aujourd'hui face à la radicalisation montre le besoin de se tourner vers les travaux des chercheurs dans les domaines des sciences sociales, humaines, culturelles et cultuelles, y compris pour trouver comment accompagner au mieux nos concitoyens dans l'appréhension de ce contexte nouveau.
Je confirme que le ministre en charge de la recherche est sensible à la demande de simplification. Mais il ne faut pas non plus laisser croire que la recherche française est complètement asphyxiée par une bureaucratisation qui n'est, en fait, que relative car nous-mêmes, sur nos ordinateurs et nos tablettes, nous pouvons nous laisser complètement déborder par des courriels, des renseignements à donner ; par exemple, j'ai passé toute mon après-midi d'hier à remplir ma déclaration d'intérêts en étant confrontée à cette contrainte, parfois absurde, de ne pouvoir sauter une ligne, alors qu'elle a perdu son sens, compte tenu des autres réponses déjà faites.
Concernant l'ANR, vous évoquez une diminution de moitié de son budget, alors qu'il est de 540 millions d'euros pour 2016, ce qui est certes insuffisant pour couvrir l'ensemble des missions qui lui sont confiées, comme l'explique son président directeur général. Le chiffre, répété à l'envi, qu'il n'y aurait que 9 % des projets qui accèderaient à un financement, n'est pas exact ; c'est un résultat partiel au terme d'une première sélection en juillet qui sera corrigé par une deuxième campagne de sélection avant la fin de l'année. Par ailleurs, ce chiffre traduit aussi une inflation du nombre de projets candidats, résultant d'une simplification de la présentation du dossier qui a encouragé la multiplication des dépôts. Pour apprécier la réalité de la situation, il faudra tenir compte rétrospectivement de la qualité des dossiers retenus, et notamment de ceux soutenus par l'ANR pour l'obtention de financements européens. Néanmoins, le ministre en charge de la recherche a bien indiqué que la dotation de l'État à l'ANR avait atteint, selon lui, une valeur-plancher, en deçà de laquelle il faudrait s'interroger sur l'intérêt de maintenir une agence de financement sur projets.
Donc, aujourd'hui, je pense que, après les réformes des dernières années entreprises notamment à travers la loi LRU de 2007 instituant l'autonomie des universités et la loi du 22 juillet 2013, une mise en ordre de marche démocratique des établissements s'est engagée, notamment à travers les regroupements, qui vont permettre de refonder le lien entre l'enseignement supérieur français et la recherche. On peut donc considérer que les choses avancent et il serait temps d'avoir une attitude responsable et plus confiante vis-à-vis des nouvelles entités, en poursuivant l'effort de simplification et de réorganisation, notamment des fonctions de support.
Vous émettez une critique très vive de la capacité de la France à opérer du transfert technologique. C'est une analyse qui n'est pas confirmée par les indicateurs qui nous sont communiqués. De nombreux dispositifs sont en charge de ce transfert ; les grands organismes (CNRS, INSERM, CEA, IFPEN, ...) ont des structures consacrées à cela ; les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) ont été spécialement créées à cette fin en 2010. D'autres dispositifs existent par ailleurs (Instituts Carnot, Instituts de recherche technologique, etc.), et cela justifierait une évaluation pour clarifier le paysage et améliorer sa lisibilité car il y a peut-être des redondances. Néanmoins cette fonction de transfert à partir de la recherche française est créatrice de richesses et d'emplois, et c'est la raison pour laquelle le ministre de l'économie, M. Emmanuel Macron, vise, à travers son projet de loi dit « Noé » sur les « nouvelles opportunités économiques », à l'éclosion de toutes les petites innovations qui n'ont pas encore eu leur chance.
Si vous avez des éléments, que nous n'aurions pas, vous permettant d'étayer votre position férocement critique sur l'incapacité des entreprises françaises à profiter du fruit de la recherche, il serait utile que vous nous en fassiez profiter.
Il y a deux semaines, je me trouvais, avec trois collègues du groupe interparlementaire d'amitié, en Australie où nous avons rencontré des chercheurs français expatriés, travaillant dans plusieurs domaines. Aucun n'avait l'intention de revenir en France, au grand désespoir de M. Marc Daunis, président de notre délégation. Les raisons qu'ils invoquaient rejoignaient les propos du président Meunier : quelle que soit la structure à laquelle ils étaient rattachés en Australie, ils étaient déchargés de toute tâche administrative, et pouvaient se concentrer entièrement à la recherche ; ils n'avaient pratiquement aucun problème de financement pour leurs travaux, et avaient, en cas de difficulté, un accès direct au responsable de leur laboratoire, sans devoir en passer par un rendez-vous. Leur rémunération était dix fois plus importante que celle qu'ils auraient eue en France. Ceux qui étaient établis là depuis dix ou quinze ans avaient eu la possibilité de créer leur propre équipe de recherche.
Cela rejoignait des observations que le président Bruno Sido et moi avions déjà pu recueillir, en Californie, lors de notre mission sur la politique spatiale. On peut se demander, dès lors, si cette logique d'expatriation sans retour est générale et si cela ne traduit pas, tout à la fois, l'excellence de notre enseignement supérieur et notre incapacité à accorder aux chercheurs la considération qu'ils méritent ; en ce cas, la France est-elle condamnée à contribuer à la recherche mondiale par son effort de formation, sans pouvoir retenir ses meilleurs chercheurs chez elle ?
S'agissant du Tadjikistan, le problème n'est pas que le Quai d'Orsay devrait se substituer aux chercheurs mais qu'il devrait écouter les chercheurs. Si vous consultez le livre intitulé « Le piège Daech » de Pierre-Jean Luizard, vous aurez, comme moi, envie de l'envoyer à nos ministres des affaires étrangères successifs, avec le sentiment que la stratégie internationale de la France aurait pu être mieux éclairée, si l'on était parvenu à trouver le « chaînon manquant » entre la science sociale et la décision politique.
S'agissant de l'expatriation sans retour des chercheurs français, elle est contrebalancée par le flux de chercheurs venant de l'étranger, la moitié des doctorants et post-docs, qui demeurent ensuite en France.
Quant au crédit d'impôt-recherche, on peut s'interroger sur la manière dont il a aidé aux travaux des prix Nobel français et des chercheurs récompensés, tout à l'heure, par les grands prix de l'Académie des sciences, au cours de la cérémonie à laquelle j'assistais. Ce crédit est utilisé pour des études dans le domaine de la banque et de l'assurance alors que les véritables travaux scientifiques qui nourrissent l'innovation dépendent des financements classiques de la recherche. Est-ce qu'il existe des chiffres, ou du moins des indications, qui pourraient nous aider à revendiquer un fléchage du crédit d'impôt-recherche plus favorable à la recherche scientifique ?
Je pense que nous devons considérer l'analyse du président de l'Académie des sciences avec tout le respect que mérite l'institution qu'il représente. Il me semble notamment très important d'attirer l'attention sur le faible niveau de la rémunération des jeunes chercheurs.
Lorsque j'ai accompagné le Président de la République, lors de sa visite à l'École polytechnique de Lausanne au printemps, j'ai rencontré des jeunes chercheurs français qui soulignaient l'écart de leur rémunération avec ce qu'ils auraient gagné en France. Il faut d'ailleurs observer que cela concerne des personnes d'âge plus avancé qu'autrefois, car la carrière de recherche commençait à l'âge de vingt-cinq ans, sur un poste d'assistant, lorsque je m'y suis engagé ; aujourd'hui, elle commence à l'âge de trente-cinq ans, et les salaires sont donc bas pour des débutants d'âge mûr.
L'analyse de l'évolution (masse salariale/dotation d'État) mérite d'être affinée, car, au début de la période considérée, en 1960, la dotation d'État représentait l'essentiel du financement. Aujourd'hui s'y ajoutent au moins trois autres sources de financement : les investissements d'avenir (labex, equipex) depuis 2010, les crédits européens (10 milliards en 2015, avec un taux de retour de 15 % cela fait 1,5 milliard devant revenir en France), et les dotations de l'ANR (dont la diminution globale des moyens a effectivement, je crois, une incidence très grave sur les programmes blancs) depuis 2007. L'analyse devrait donc considérer la manière dont ces différents flux profitent aux laboratoires et les composantes du personnel des laboratoires qui en bénéficient le plus.
Concernant l'ANR, il faut effectivement s'inquiéter de la baisse du taux de sélection, mais je ne suis pas d'accord avec l'argument de Mme Dominique Gillot concernant le biais introduit par la simplification des procédures, via une présélection car, au final, le taux de sélection sera encore plus bas. D'après mes retours d'information du côté des membres des comités de sélection de l'ANR, on en arrive à devoir faire des choix totalement aléatoires entre d'excellents dossiers dont certains se trouvent fatalement écartés. C'est une situation d'autant plus absurde qu'elle prive d'activité d'excellents chercheurs qui sont de toute façon rémunérés. On a là affaire à une ineptie stratégique.
Les crédits de l'ANR devaient permettre de rattraper la dérive du ratio (masse salariale/dotation d'État) en abondant les moyens de recherche. De fait, ils ont conforté cette dérive, car l'habitude s'est développée, notamment dans le domaine de la biologie, d'utiliser ces crédits pour recruter du personnel. On reprochait au CNRS d'avoir trop recruté dans les années fastes et le travers s'est, de fait, transmis aux crédits de l'ANR qui devaient permettre de le corriger. On se retrouve aujourd'hui avec du personnel dont on ne sait que faire. Au lieu de renforcer les moyens de recherche, certains directeurs de laboratoire ont préféré créer de la « chair à paillasse », en utilisant les crédits pour des embauches, quelquefois à un niveau de compétence très inférieur aux normes du CNRS.
Dans l'ensemble, je partage donc vos analyses, Monsieur le Président.
Je note que vous ne nous avez pas donné votre avis sur la stratégie nationale de recherche.
Nous n'avons pas été consultés à son sujet.
Cela ne nous empêchera de vous demander l'avis de l'Académie dans le cadre de l'évaluation dont l'OPECST a la charge en application de la loi.
Concernant le crédit d'impôt-recherche, je crois qu'il faut préciser qu'il concerne les entreprises uniquement, et ne constitue pas une ressource directe pour les laboratoires. À mon avis, c'est un outil nécessaire, mais il faudrait mieux circonscrire son périmètre car son objet initial n'était pas d'aider à développer les études sur les produits financiers.
S'agissant du rôle des sciences sociales, nous allons organiser le 21 janvier 2016, en lien avec l'Alliance ATHENA, une audition publique sur les synergies entre les sciences humaines et les sciences technologiques. On pourra, à cette occasion, poser la question d'éventuels doublons. En tous cas, je souscris totalement à l'analyse de Mme Marie-Christine Blandin lorsqu'elle regrette que les services de l'État n'aient pas plus utilisé les travaux des chercheurs qui donnaient l'alerte sur la menace que représentait Daech. Je signale d'ailleurs au président Bernard Meunier et au vice-président Sébastien Candel que des représentants de l'Académie seront les bienvenus à cette audition publique.
Une précision préalable : mon exposé n'exprimait pas une opinion personnelle, mais retranscrivait l'avis de l'Académie mentionné dans les documents que j'ai cités, qui ont été adoptés en assemblée générale à l'unanimité.
S'agissant des sciences humaines et sociales, elles relèvent, au sein de l'Institut de France, de l'Académie des sciences morales et politiques. L'Académie des sciences n'a pas compétence pour intervenir dans ce domaine.
Concernant la situation des jeunes chercheurs à l'étranger, il faut prendre en considération qu'il y a toujours eu des flux croisés dans la recherche internationale, les personnes changeant de pays pour une raison ou pour une autre. Le jour où je verrai un professeur de cinquante ans démissionner de l'EPFL pour prendre un poste en France, non pas pour des motifs personnels comme un divorce, mais pour poursuivre une recherche, j'estimerai que la situation est redevenu favorable. La France a fourni à l'EPFL, en chimie, ses deux derniers professeurs « ordinaires », comme l'on dit en Suisse, de cinquante ans, mais aucun professeur en chimie de l'EPFL n'a démissionné pour venir occuper une position dans une université française ou au CNRS. Je crois que l'inquiétude de mes confrères de l'Académie des sciences vient de ce qu'ils sentent bien qu'on n'a pas atteint ce genre d'équilibre. Il faut en particulier prêter attention aux talents dans la tranche d'âge 35, 40, 50 ans, qui regroupent des brillants jeunes chercheurs et ce qu'on appelle des jeunes seniors, et qui sont essentiels à la recherche.
Je partage votre point de vue lorsque vous dites qu'il n'est pas raisonnable de profiter d'un flux financier pour embaucher des gens dont on pense qu'on ne les embaucherait pas au CNRS. Il y a là quelque part une irresponsabilité ; c'est une dérive interne, traduisant certains comportements, à laquelle il faut faire attention. L'éthique même des chercheurs doit les conduire à ne recruter que des personnes dont ils pensent qu'elles peuvent les remplacer.
Le budget de l'ANR a culminé vers les 850 à 900 millions d'euros, et se trouve réduit à 540 millions pour l'année prochaine. Cela correspond tout de même à une diminution de 360 millions d'euros, même si je concède que la réduction n'atteint pas la moitié.
Quant au ratio « masse salariale rapportée à la dotation d'État », sa valeur en 1960 ne tenait pas compte des financements de la recherche en provenance de l'industrie française, qui était florissante à l'époque, et sous-traitait une bonne partie de ses recherches aux laboratoires académiques. Les bons chercheurs acceptaient des contrats sur des projets ciblés en imposant une taxe de 30 % afin de disposer par ailleurs de moyens pour faire autre chose. Les industriels jouaient le jeu car ils y voyaient le moyen d'accéder à des personnes de talents.
La discussion du ratio pourrait être affinée avec des statistiques sur l'évolution des effectifs au niveau central ou au niveau régional mais ce serait entrer dans les polémiques.
En fait, en citant l'exemple que j'ai mentionné tout à l'heure, je voulais surtout dire que, lorsqu'on n'a plus les moyens, il faut concentrer les moyens, et c'est comme cela que j'aurais dû le dire.
J'ai mission de conclure mais c'est une tâche très difficile. À travers l'évolution du « ratio », vous avez avancé des chiffres ; c'est une base indispensable pour réfléchir. Des vrais chiffres sont aussi indispensables pour les scientifiques que pour les politiques. On ne peut pas se contenter d'échanger des amabilités lorsqu'il faut décortiquer un problème. Les enjeux du financement de la recherche sont connus, ce sont les mécanismes expliquant ses dérives qu'il convient de mettre à jour.
J'ai découvert, en discutant un jour avec M. Alain Aspect, physicien mentionné comme futur prix Nobel, car il a su démontrer qu'Einstein s'était trompé sur un point, que le salaire des chercheurs de ce niveau-là était si bas que c'en était indécent, même si le fait d'être marié à une chercheuse pouvait rendre la situation d'un ménage plus acceptable, permettant de vivre à Paris. Il y a derrière tout cela un vrai problème. Et il me semble que l'OPECST devrait se pencher sur le financement de la recherche, en commençant par une audition publique.
Comme le rappelait tout à l'heure Mme Catherine Procaccia, nous avons été tous les deux surpris du nombre de chercheurs français que nous avons rencontrés à Caltech (California Institute of Technology), y compris le président lui-même.
Oui, M. Jean-Lou Chameau, qui a depuis lors été remplacé.
Il est maintenant en Arabie Saoudite, à Djeddah, en tant que président de l'université des sciences et technologies du Roi Abdallah. Il a été transféré pour un bon salaire.
Tant mieux pour les Américains, tant mieux pour les Saoudiens, mais c'est vraiment une perte de cerveaux dommageable pour les Français. Vous-même illustrez cette perte de cerveaux, puisque vous avez été embauché par les Chinois alors que vous étiez en retraite.
D'ailleurs, cela prouve bien que certains chercheurs mériteraient de travailler au-delà de soixante-cinq ans, tandis que d'autres pourraient quitter la recherche à quarante ans. Certaines règles administratives affaiblissent donc la recherche. Voilà pourquoi j'insiste sur l'idée que l'OPECST pourrait utilement approfondir la question.
Il me reste à remercier le président Bernard Meunier, et le vice-président Sébastien Candel.
Il me reste à remercier le président Bernard Meunier, et le vice-président Sébastien Candel.
Nous savons que nous pouvons compter sur l'Académie des sciences avec laquelle nous entretenons des contacts réguliers, ne serait-ce qu'à travers notre Partenariat pour les jumelages.
Au cours de la réunion de Bureau, nous avons, en premier lieu, décidé de clarifier les différentes modalités d'investigation de l'OPECST, et notamment le rôle des auditions publiques à la suite de diverses manifestations d'incompréhension de la part des membres de l'Office, dont Mme Marie-Christine Blandin, qui nous a écrit à ce sujet.
Nous pouvons faire l'objet de saisines selon différentes modalités, via la loi en particulier ; et c'est pourquoi je puis répondre positivement à la suggestion du président Sido : l'OPECST est tenu, en application de la loi du 22 juillet 2013, d'évaluer la stratégie nationale de recherche ; c'est une étude que nous conduirons collectivement jusqu'à la remise du rapport, je pense, en 2017, ce qui nous laisse presqu'un an et demi ; et nous pouvons tout à fait organiser une audition publique permettant d'analyser les conditions du financement de la recherche dans ce cadre.
Pour en revenir au récapitulatif des différentes formes que peuvent prendre la mise en oeuvre de la mission, définie par la loi du 8 juillet 1983 qui a créé l'Office, « d'informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d'éclairer ses décisions », il convient d'abord d'observer que cette même loi définissait de manière assez large ces formes d'intervention, puisqu'elle précisait : « À cet effet, [l'office] recueille des informations, met en oeuvre des programmes d'études et procède à des évaluations. »
La principale forme d'intervention consiste en la conduite d'une étude sur saisine, qui aboutit, au terme de diverses auditions publiques et privées, et souvent de plusieurs déplacements en France et à l'étranger, à la présentation d'un rapport devant l'Office, comportant des recommandations. Les auditions publiques successives et complémentaires sur l'épigénétique (saisine de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale), les terres rares (saisine de la commission des affaires économiques du Sénat), les semences (saisine de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale) relèvent de ce cadre classique. Une unique audition publique peut suffire lorsque le sujet le justifie ; c'est le cas pour l'étude sur les adjuvants vaccinaux (saisine de la commission des affaires sociales du Sénat), l'étude « numérique et santé » (saisine de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale). L'étude sur la bioéconomie de notre collègue Roland Courteau, qui fait suite à une saisine de la commission des affaires économiques du Sénat relève de ce premier cas.
La saisine peut avoir pour origine une loi : outre la mission d'évaluation de la stratégie nationale de recherche que je viens d'évoquer, c'était le cas récemment pour le rapport sur l'évaluation du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) 2013-2015, ou pour le rapport sur l'évaluation, prévue par l'article L. 1412-1-1 du code de la santé publique, des conditions du débat public relatif à la fin de vie.
La deuxième forme d'intervention entre dans le cadre d'un droit de suite sur les sujets déjà abordés antérieurement dans le cadre d'une étude sur saisine. Elle peut donc être déclenchée sans saisine. Elle donne lieu à des auditions publiques organisées le plus souvent par les rapporteurs de l'étude d'origine.
C'était le cas pour l'audition publique de mars 2013 sur la pollution en Méditerranée (suite du rapport de Roland Couteau sur le même sujet en 2011), l'audition publique sur les ressources halieutiques de février 2014 (suite du rapport de Marcel Cléach sur le même sujet en 2008), l'audition publique de septembre 2014 sur le tournant énergétique allemand (suite du rapport de Bruno Sido et Christian Bataille sur l'avenir de la filière nucléaire en 2011), l'audition publique sur le défaut de la cuve de l'EPR en juin 2015 (suite des nombreux rapports de l'OPECST sur la sûreté nucléaire, le dernier en 2011, après l'accident de Fukushima), enfin pour l'audition publique récente sur l'état de l'art en matière de mesure des émissions de particules et de polluants pour les véhicules (suite du rapport de Fabienne Keller et Denis Baupin de 2014 sur la mobilité durable). L'audition publique sur la politique spatiale de juillet 2015 (suite du rapport de Bruno Sido et Catherine Procaccia sur le même sujet en 2012) dont nous venons d'entendre les conclusions entrait dans le cadre de ce droit de suite.
Enfin, la troisième forme d'intervention est liée à la nécessité d'éclairer, dans une certaine urgence, un fait d'actualité. C'est une manifestation du dynamisme et de la réactivité de l'Office. Elle se traduit par l'organisation d'une audition publique. C'est le Bureau de l'OPECST qui l'autorise. À défaut de pouvoir réunir un Bureau rapidement, l'opération est décidée dans le cadre d'une concertation étroite entre le Président, le Premier vice-président et les vice-présidents ou membres de l'Office concernés ; en ce cas, l'organisation est validée par la plus prochaine réunion de Bureau.
Cette pratique, conforme à l'esprit de la loi de 1983, mais qui n'a pris forme progressivement qu'à la fin des années 1990, pour devenir plus fréquente au cours des cinq dernières années, a été organisée par plusieurs décisions du Bureau. Celles-ci ont imposé que chacune de ces « auditions publiques d'actualité » soit suivie de conclusions, présentées lors d'une réunion de l'Office. Les actes complets de l'audition publique, y compris les conclusions et leur discussion, voire les amendements proposés en vue d'inscrire dans la loi la position de l'OPECST, sont publiés sous la forme d'un petit rapport. L'OPECST ne peut organiser plus d'une audition publique d'actualité par mois.
Au nombre des exemples d'auditions publiques d'actualité, on peut citer celle de novembre 2012 sur l'affaire Séralini (OGM), celle de décembre 2012 sur les assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, celle de février 2013 sur les greffes d'organes, celle de février 2013 sur le risque numérique, celle d'avril 2013 sur les économies d'énergie dans le bâtiment, celle de juin 2013 sur la recherche et l'innovation au service de la transition énergétique, celle de juillet 2014 sur la recherche environnementale, celle de novembre 2014 sur les drones, celle de janvier 2015 sur les médicaments biosimilaires, celle de juillet 2015 sur le traitement massif des données dans l'agriculture.
Une audition publique d'actualité peut donner lieu ensuite à une saisine et une étude, comme cela a été le cas notamment dans deux domaines : les économies d'énergie dans le bâtiment (rapport de Jean-Yves Le Déaut et Marcel Deneux de juillet 2014), et le risque numérique (rapport de Bruno Sido et Anne-Yvonne Le Dain de janvier 2015).
Les listes d'exemples illustrant ces différentes modalités d'investigation de l'OPECST sont, certes, longues mais c'est la preuve que l'OPECST remplit pleinement sa mission prévue par la loi de 1983, et que celle-ci ne manquait pas de pertinence.
De fait, rien n'a été changé dans les règles.
C'est que les rapporteurs manifestent une préférence pour les auditions publiques, collectives, contradictoires, notamment dans le cadre de la conduite de leurs études. Ils pourraient ne pas y recourir, encore qu'il soit conseillé d'en organiser au moins une au cours d'une l'étude.
Le Bureau a autorisé cinq nouvelles auditions publiques :
- les conséquences des changements climatiques sur la migration des vecteurs infectieux ; c'est une demande de François Commeinhes, avec une date envisagée en février ou mars 2016 ;
- l'apport des avancées technologiques aux sciences du vivant ; cette audition reprend et élargit le sujet initialement prévu sous le nom « l'atome au service des sciences du vivant », qui était envisagée en liaison avec le département des sciences du vivant du CEA - mais la réorganisation en cours au sein du CEA a conduit à la reprogrammer sous cette nouvelle forme, pour une date envisagée en avril 2016 ;
- la place de l'effacement et du stockage dans l'évolution du système électrique (en invitant Energy Pool, et en évoquant le modèle d'Artelys à 100 % renouvelable), qui pourrait être organisée en mai ou juin 2016 ;
- une audition faisant le point sur les avancées de la COP21 dans les quatre domaines d'innovation identifiés par la conférence anniversaire de l'EPTA du 24 septembre 2015, qui aurait lieu en octobre 2016 ;
- le point sur les politiques de valorisation et de propriété intellectuelle en France, à la demande d'Anne-Yvonne Le Dain - cette audition sera intégrée à l'évaluation de la stratégie nationale de recherche.
Le Bureau a autorisé deux voyages d'étude s'inscrivant dans le suivi de rapports :
- une visite par Bruno Sido, en janvier 2016, d'une mine de lignite et d'une centrale au lignite, dans la continuité de l'audition publique qu'il avait organisée, le 25 septembre 2014, sur le tournant énergétique allemand ; il fera une communication devant l'Office ;
- une visite de Christian Bataille aux États-Unis d'Amérique en mars 2016, dans la continuité de son étude sur les hydrocarbures non conventionnels, pour étudier l'organisation du pilotage de la politique énergétique aux États-Unis, notamment en vue de mieux comprendre le rôle de certaines agences gouvernementales dans le déploiement des innovations nécessaires à l'exploitation à grande échelle des gaz et huiles de schiste et dans la mise en place des mécanismes de financement nécessaires ; il présentera un petit rapport de synthèse.
Le Bureau a discuté des contacts avec divers organismes qui ont sollicité l'OPECST :
- il a approuvé la poursuite du suivi des travaux du groupe MURS-IS sur l'intégrité scientifique ; il a laissé en suspens la décision d'éditer le compte rendu de la réunion du 9 juillet 2014 sur ce sujet, jusqu'à la présentation de ce travail devant un prochain colloque sur ce sujet à Bordeaux ;
- il a décidé l'audition par le Bureau des auteurs de l'étude CASIMIR préconisant de s'appuyer sur les sciences humaines et sociales pour affiner les filtres des données recueillies dans le cadre du renseignement et du contre-espionnage ;
- il a décidé également l'audition par le Bureau des chercheurs du CETCOPRA, équipe pluridisciplinaire de Paris I, qui a proposé à l'Office d'engager une étude sur les méthodes et les produits de l'OPECST.
Le Bureau a décidé de deux démarches par courrier :
- l'une, pour signaler au Premier ministre la nécessité d'effectuer une étude sur les technologies d'interception et de traitement d'informations, sachant que son caractère confidentiel, voire secret, imposerait de la confier à des parlementaires en mission spécialement accrédités ;
- l'autre, à destination des membres de l'Office, pour faire le point, comme je viens de l'esquisser, sur les différentes modalités d'investigation de l'OPECST, et notamment sur le rôle des auditions publiques.
Je vous remercie beaucoup pour cette clarification et la description du paysage de nos différentes modalités de travail. Néanmoins, je pense que l'évolution de nos travaux, même si nous sommes restés dans la logique de convivialité et de pluralisme qui caractérise l'OPECST, a ouvert des brèches de non-démocratie parce que les choses n'étaient pas dites.
Je prends un exemple, qui est résolu désormais : il s'agit du sort des conclusions faisant suite à une audition publique, dont on ne savait pas si elles étaient soumises à un vote ou simplement à une autorisation de publication. La première fois que j'ai posé cette question, le président et le premier vice-président ont fait des réponses contraires ; M. Bruno Sido a dit : « On publie simplement ce qui a été dit, et la conclusion est de pure forme » ; tandis que vous, Monsieur le président, avez expliqué qu'on demandait aux rapporteurs de donner leur avis, et que celui-ci était soumis au vote de ses collègues.
Cette règle étant claire, je m'y suis tenue pour l'audition publique sur les semences et j'ai demandé à ce qu'une petite communication soit rajoutée au rapport ; sauf que, dans ce cas, il y a eu, hors délai, une communication sur ma communication, qui était un commentaire pour dire que tout ne doit pas être fait pour favoriser la filière agroalimentaire, parce que je trouvais que c'était excessif ; en effet, tout doit être fait pour favoriser le bien commun dans le respect de la diversité génétique et de la production agricole. Puis il y a eu le commentaire de mon commentaire. Si cela se passe de cette manière, il n'y a pas de fin. Donc voilà une règle qu'il faut clarifier.
Deuxième chose qui m'a dérangée : je me suis mise en porte-à-faux en demandant à mon groupe une saisine sur un sujet que j'avais défini en lien avec le Haut Conseil des biotechnologies : « Nouvelles nomenclatures des modifications de biotechnologie », pour essayer d'établir un gradient lisible depuis la sélection des tulipes jusqu'aux OGM en passant par les huitres triploïdes, de façon qu'on puisse savoir à quoi correspondent les divers noms et ce que sont, dans chaque cas, les conditions d'entrée sur le marché. L'idée était d'établir un guide pour le citoyen. Et voilà qu'on me répond qu'il y a déjà une saisine. Or je suis désolée mais, en tant que membre de l'Office, je devrais être au courant des saisines ; j'ai relu tous les comptes rendus, il n'en est fait mention nulle part. J'en suis au point de songer à saisir la CADA pour avoir copie de la lettre de cette saisine.
Il n'y avait aucune volonté de cacher quoi que ce soit. Comme je l'ai indiqué en début de réunion, c'est une saisine de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, en date du 11 février 2015, sur les enjeux économiques et environnementaux des biotechnologies.
C'est votre droit. Il s'agit de savoir comme les nouvelles biotechnologies vont pouvoir prendre le relais de techniques plus grossières comme la transgenèse. Cela consistera, en particulier, à évaluer le genome editing. C'est le Bureau du 10 mars 2015 qui a discuté de cette saisine. J'ai indiqué tout de suite ma candidature au titre de mon investissement passé sur la question des OGM, et Mme Catherine Procaccia a été désignée en tenant compte de ce qu'elle n'avait pas été retenue précédemment sur d'autres sujets (le bâtiment, notamment). Le problème est que les organismes de recherche ont reçu au même moment mission de conduire une étude « Agriculture-Innovation 2025 », et qu'on a préféré attendre la publication de leur rapport, et donc la réunion d'aujourd'hui pour confirmer la nomination des rapporteurs.
Si les sujets ne se recouvrent pas, il n'y a donc aucun problème pour faire droit à une saisine.
Le sujet de votre saisine est beaucoup plus vaste, et pourrait tout à fait englober ma préoccupation, à savoir d'établir une nomenclature indiquant les procédures afférentes à chaque type de produit.
Concernant l'analyse du cas des huitres triploïdes, nous avons déjà répondu, en concertation avec M. Alain Vidalies qui était chargé, au nom du Gouvernement, de répondre à une question sur ce sujet au Sénat, qu'elle serait justement intégrée à cette étude de l'OPECST. Pour revenir à ton interrogation initiale, il y a donc bien eu une saisine, que le Bureau a décidé de traiter de façon décalée, et c'est bien plus tard que vous avez manifesté cet intérêt pour ce nouveau sujet dont, d'ailleurs, nous ignorions tout.
Mon seul objet de fâcherie, c'est l'ignorance où j'étais de l'existence de cette saisine, qui m'a fait entreprendre une démarche bloquée par le Bureau du Sénat ; et, d'autre part, si le rapporteur qui a organisé une audition publique doit donner son avis dans le compte rendu, et donc qu'il y a vote et possibilité de formuler un commentaire, je ne comprends pas qu'il y ait ensuite la possibilité d'un commentaire sur le commentaire.
Ce que je propose, c'est que désormais toute saisine fasse l'objet d'une publicité auprès de tous les membres de l'Office.
Concernant la valeur donnée aux conclusions d'une audition publique, il est exact que Bruno Sido n'avait pas le même avis que moi. Nous en avons discuté en bureau, et nous sommes arrivés à l'idée qu'il était mieux que le rapporteur puisse proposer une conclusion, et que ses collègues puissent ajouter une contribution ; mais il n'a pas jamais été question que le rapporteur puisse répondre aux contributions.
Pourrait-on avoir accès à un compte rendu de cette réunion du Bureau ? Même sous forme simplifiée ?
Jusqu'à présent, on établissait un relevé de décision qui était présenté, comme je l'ai fait aujourd'hui, lors de la réunion suivante de l'Office.
D'accord. Ce relevé sera transmis à tous les membres. Sachant bien que ce qu'une réunion de Bureau fait, une autre réunion de Bureau peut le défaire.
Moi, j'ai suggéré déjà depuis quelques temps une proposition d'audition publique concernant l'intelligence artificielle et les objets connectés. J'en ai parlé avec le président Bruno Sido qui s'est montré intéressé par la question.
Je vous ai envoyé un courrier et, par ailleurs, justement, j'ai lancé le recueil des quarante signatures de sénateurs requises pour déclencher une saisine.
Pour une saisine, le mieux serait de passer par une commission permanente.
J'appartiens à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, qui ne me suivra pas.
C'est ce que j'ai fait en lançant le recueil des quarante signatures. Cette affaire traîne maintenant depuis un an. Pourtant, c'est un sujet qui est en plein dans l'actualité, car la traque des terroristes passe par la mise au point d'algorithmes informatiques.
C'est effectivement un beau sujet, très voisin de celui que je porte au niveau du Conseil de l'Europe, « Intelligence artificielle et droits de l'homme ». On peut donc décider tout de suite qu'il y sera donné suite, dans un premier temps, par l'organisation d'une audition publique. Une étude pourra être engagée dans la foulée dès lors qu'on aura reçu les quarante signatures.
Ce sujet prend de plus en plus d'importance dans l'actualité ; il a fait déjà l'objet d'une conférence internationale à Genève cette année. Les chercheurs du monde entier ont lancé des alertes sur la nécessité d'approfondir la question. On m'a conseillé de m'associer l'expertise d'un chercheur pour mieux définir les contours de la question. Je l'ai fait, et ce chercheur serait prêt à m'accompagner dans une démarche d'étude. Je n'ai peut-être pas formulé ma demande dans les bonnes formes mais il suffirait de m'indiquer comment faire.
Pour conclure, je propose que le secrétariat aide à la finalisation de la saisine, pour sa rédaction comme pour l'enregistrement des signatures, et qu'un créneau soit recherché pour l'organisation d'une audition publique.
La séance est levée à 20 heures.