Fabienne Keller et moi-même avons participé pendant deux jours à la conférence de Cancún du 8 au 10 décembre 2010, sur l'invitation de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement. Il nous a semblé intéressant de vous faire un bref compte-rendu de ces négociations et de cette expérience inédite d'immersion.
Je commencerai par vous présenter le contexte et les enjeux de la conférence de Cancún. Fabienne Keller vous fera le récit de ces deux jours et vous exposera les défis à venir.
Le contexte tout d'abord. Un retour en arrière s'impose.
Le cadre général est le suivant. La convention cadre des Nations unies pour le changement climatique, adoptée à Rio en 1992, fixe des objectifs généraux sur le climat. Aucune indication chiffrée n'y figure, mais deux catégories de pays y sont décrites : les pays développés et les pays non développés. Ces deux catégories n'ont pas les mêmes obligations. C'est sur cette base que le premier protocole à la convention cadre fut adopté à Kyoto en 1997. Ce protocole fixe des obligations aux seuls pays développés. Il prévoit une réduction des émissions pour la période 2008-2012 avec des références d'émissions de 1990. Les États-Unis ont signé le protocole de Kyoto, mais ne l'ont pas ratifié.
Il y a un an se déroulait la conférence de Copenhague, dite COP 15. L'enjeu était de passer à la vitesse supérieure dans un monde profondément transformé et d'adopter un nouveau protocole, le protocole de Kyoto arrivant à son terme en 2012.
Après des négociations difficiles, l'Union européenne était parvenue in extremis à définir une position de négociation avant l'ouverture de la conférence. L'Union s'était fixée pour objectif de parvenir à un accord mondial complet et juridiquement contraignant pour endiguer le réchauffement climatique.
Quels furent les résultats de Copenhague ?
L'approche globale et ambitieuse fut un échec. A deux doigts du fiasco, Copenhague a finalement débouché sur un accord de trois pages élaboré par 28 chefs d'État et de gouvernement, auquel se sont ralliés par la suite de nombreux pays membres de la Convention des Nations unies pour le changement climatique.
Cet accord entérinait l'objectif de limiter la hausse moyenne des températures à 2°c, sans préciser les objectifs de réduction des émissions, ni les moyens d'y parvenir. Il engageait aussi les pays développés à contribuer à un financement à mise en oeuvre rapide ( dit « fast start ») pour la période 2010-2012 à hauteur de 30 milliards de dollars, ainsi qu'à un financement à long terme (100 milliards par an d'ici 2020). Ces financements doivent aider les pays en développement à faire face aux effets du changement climatique.
Enfin, en matière de lutte contre la déforestation, il actait le principe d'un mécanisme récompensant les pays qui étendent ou protègent leurs superficies forestières.
Ce document a minima souffrait néanmoins d'un défaut majeur. Il n'avait pas été adopté par l'assemblée générale des États parties à la Convention des Nations unies. En conséquence, sa portée juridique était nulle.
Faible sur le fond, faible juridiquement, l'accord de Copenhague était une base fragile pour poursuivre le processus multilatéral de négociation. Tout l'enjeu des discussions en 2010 a donc consisté à ne pas rompre le fil des négociations, avec en ligne de mire la conférence de Cancún en décembre.
Rapidement, l'objectif d'un accord global et juridiquement contraignant à Cancún a donc été abandonné et reporté à plus tard. Les négociateurs ont adopté une approche réaliste et pragmatique pour avancer sur quelques dossiers concrets et sectoriels. Le but était de restaurer la confiance dans le processus multilatéral de négociation et de démontrer la capacité du système des Nations unies à aboutir à des résultats tangibles.
J'en viens donc aux enjeux de la conférence de Cancún.
L'enjeu principal était de consolider, dans le cadre des Nations unies, les éléments essentiels de l'accord de Copenhague. Je distinguerai plusieurs points importants.
Le premier était de décider de la suite à donner au protocole de Kyoto. Hormis l'Union européenne, peu de pays développés souhaitent prolonger Kyoto. Or, les pays dits en développement ont fait de Kyoto la clef de voute des négociations. Sans prolongement, ils refusent de s'engager sur un accord contraignant.
Le deuxième point concerne l'aide aux pays en développement pour faire face au réchauffement climatique. Comme je l'ai dit au début de mon intervention, les pays développés se sont engagés sur un financement à court et long terme. Reste à définir le contour, les modalités de gestion et le mode de financement de ce « fonds vert ».
Le troisième point est la lutte contre la déforestation. Là encore, il s'agit d'entrer dans le détail du fonctionnement du mécanisme dit REDD+ pour inciter les pays en développement à préserver leur forêt. Faut-il favoriser la replantation ou la préservation des forêts naturelles tropicales ? Quel mode de financement ? Comment vérifier les résultats sur le terrain ?
Le quatrième point est celui de la création d'un système de mesure et de vérification du respect par les pays de leurs engagements de réduction des émissions. Le jargon parle de mécanisme MRV. Les pays développés en font une condition du financement à long terme des pays en développement. Mais les pays en développement y voient une atteinte à leur souveraineté nationale.
Voilà quelques unes des questions à régler.
Je passe maintenant la parole à Fabienne Keller.
Je voudrais tout d'abord rendre compte de l'atmosphère à Cancún. C'est un type de conférence très particulier. On y croise dans des réunions formelles, mais aussi et surtout à l'improviste, dans un hall d'hôtel par exemple, les représentants de tous les pays du monde. Ce fonctionnement très éclaté et finalement déroutant m'a permis de saisir la lenteur, mais aussi la finesse de ces négociations climatiques. Les relations personnelles tissées par les participants jouent un grand rôle. J'ai ainsi constaté que Brice Lalonde, négociateur sur le climat pour la France depuis trois ans, connaissait tout le monde. À cet égard, Cancún se démarque de Copenhague par l'absence des principaux chefs d'État et de gouvernement. Cette différence explique peut-être le succès de Cancún, ce type de conférence multilatérale se prêtant mal aux effets d'annonce. Enfin, j'ai été frappée par la présence des organisations non gouvernementales qui n'hésitent pas à demander des comptes aux représentants des États.
J'en viens à présent au bilan de Cancún.
Cet accord a été salué par tous comme un succès. Il a permis de relancer réellement le processus dans le cadre des Nations unies. Sur tous les points évoqués des avancées ont été engrangées. Il faut d'ailleurs féliciter l'habileté de la présidence mexicaine, et particulièrement de sa ministre des affaires étrangères, Mme Patricia Espinosa.
S'agissant du protocole de Kyoto, son avenir n'a pas encore été tranché. Mais l'idée d'une deuxième période d'engagement figure explicitement dans l'accord et on se dirige vers une amélioration des mécanismes actuels de Kyoto.
L'accord de Cancún contient également des engagements sur l'effort de réduction des émissions. Les objectifs de réduction des pays industrialisés pour 2020 sont désormais inscrits dans le cadre de la Convention climat et un dispositif pour enregistrer et vérifier les actions des pays en développement est mis en place. Il reviendra au secrétariat de la Convention de les inventorier.
L'objectif de limiter à long terme l'augmentation de la température globale à 2°c est aussi inscrit, en incluant la possibilité de renforcer en 2015 cet objectif à 1,5°c. La nécessité d'atteindre le plus vite possible un pic des émissions est repris par le texte, avec un engagement des pays à en préciser la date et à élaborer des stratégies sobres en carbone.
Ces engagements sont le principal acquis, car ils impliquent une limitation des émissions globales dans les prochaines décennies. Comme l'effort des pays riches ne suffira pas, cela signifie que les pays émergents devront eux aussi s'engager à limiter leurs émissions.
S'agissant des mécanismes de vérification, outre le rôle précité du secrétariat de la Convention pour répertorier les actions de réduction des émissions, l'accord de Cancún prévoit que les rapports d'actions présentés par les pays seront analysés par des experts indépendants d'une façon « non intrusive, non punitive et respectant la souveraineté nationale ». Ce compromis délicat, où chaque mot compte, a été proposé par Jairam Ramesh, le ministre indien de l'environnement. Il est fondamental, car il a permis de rallier le soutien de la Chine.
Sur le « fonds vert », sa création est confirmée et les organes de sa gouvernance ont été précisés. Il sera gouverné par 24 membres représentant à égalité des pays développés et des pays en développement. La Banque mondiale est chargée à titre intérimaire de la gestion du fonds. En revanche, on ne dit rien sur son mode d'alimentation.
Au-delà de l'accord proprement dit, Cancún a aussi illustré la montée en puissance des pays émergents sur la scène diplomatique internationale. Les représentants de ces pays ont été les véritables pivots de la conférence. Jairam Ramesh, ministre de l'environnement de l'Inde, a été l'artisan des compromis décisifs. On peut citer également le représentant chinois Huang Hui Kang.
A côté, les pays développés sont souvent apparus embarrassés. Les États-Unis en raison du contexte politique et électoral. L'Union européenne en raison de ses difficultés à ajuster ses positions au fil de la négociation. L'Union apparaît très morcelée entre la Commission européenne, le Parlement européen et les 27 États membres. Nos partenaires n'y comprennent rien.
Ce succès de Cancún ne signifie pas que le chemin vers un accord global contraignant soit pavé de roses.
Beaucoup de détails cruciaux n'ont pas été réglés.
Ainsi, la question du financement du « fonds vert » reste ouverte. Quel financement innovant faut-il choisir ? Quelle est la part des financements publics et privés ? Vers quels pays orientés les fonds, tous les pays en développement ou seulement les pays les plus défavorisés ? Je rappelle qu'il existe déjà une polémique à propos des MDP, ce mécanisme qui permet aux pays développés d'acquitter leurs obligations de réduction des émissions au titre du protocole de Kyoto en finançant des projets de réduction des émissions dans des pays en développement. Or, aujourd'hui, 41 % des projets MDP financés le sont en Chine.
Autre point à trancher, le protocole de Kyoto. Sa prolongation n'est pas actée et les pays en développement n'ont toujours pas dit oui à un engagement contraignant avec des objectifs chiffrés de réduction des émissions.
Côté européen, il faut rapidement réfléchir à l'amélioration de la réactivité et de l'unité de la représentation européenne dans les négociations. Côté français, se pose la question de la succession de Brice Lalonde, négociateur sur le climat pour la France depuis 2007 et qui vient d'être nommé coordinateur exécutif de la Conférence de Rio+20 sur le développement durable qui se tiendra en 2012.
Le prochain grand rendez-vous sera la conférence de Durban en décembre prochain. Un des éléments de la confiance entre les parties au cours de l'année 2011 sera l'engagement des pays développés à mettre effectivement sur la table les crédits promis au titre du financement « fast start » pour 2011 et 2012. Pour les pays non développés, ce sera un baromètre important de la bonne volonté des pays riches.
Mme Catherine Ashton, Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, était-elle présente à Cancún ?
Elle n'était pas là. La Commission européenne était représentée par Mme Connie Hedegaard, commissaire à l'action sur le climat, et qui présida, je le rappelle, la Conférence de Copenhague un an plus tôt. Sur le fond, l'Union est en pointe de la lutte contre le changement climatique, mais elle ne parvient pas à convertir cet atout en outil d'influence dans les négociations climatiques. Elle reste trop divisée, ce qui suscite une grande confusion chez nos partenaires.
Le mandat de négociation donné à la Commission est mal taillé et trop rigide pour ce type de négociations.
Brice Lalonde va manquer à la France. À l'occasion d'un passage à Paris dans le cadre de ses nouvelles fonctions, notre commission devrait l'auditionner avant la Conférence de Durban à la fin de l'année.
Je retiens cette proposition et je compte sur vous deux pour continuer à suivre ce sujet tout au long de l'année. Je crois d'ailleurs que le G20 pourrait prendre des décisions en matière de financement innovant. Enfin, une réflexion s'impose pour déterminer comment l'Europe pourrait intervenir de manière plus unie dans ce type de conférence.
Nous présentons, Gérard César et moi-même, cette proposition de résolution sur le maintien des droits de plantation. Cela fait plusieurs années que nous travaillons sur ces questions vitivinicoles, d'abord séparément, puis conjointement puisque, en 2009, nous avons également présenté ensemble une proposition de résolution sur le coupage des vins rosés.
Depuis vingt ans, toutes les réformes de la PAC ont été inspirées par un seul principe : la dérégulation. Chaque année apporte de nouvelles preuves du caractère illusoire d'un tel choix en matière agricole quand il est poussé aux extrêmes.
Il est donc bien naturel de s'inquiéter d'une des mesures emblématiques de la dernière réforme de l'organisation commune du marché vitivinicole (dite « OCM vins ») : l'abandon des droits de plantation.
Après avoir rappelé le régime juridique des droits de plantation, j'expliquerai pourquoi l'abandon de cet outil de régulation nous semble être une décision sans recul et sans vision, incohérente et dangereuse.
1. Les droits de plantation sont réglementés en France depuis 1953. La première OCM vin de 1970 s'accompagne d'un encadrement du potentiel de production qui en fait sa spécificité. En 1987, le régime des droits de plantation prend la forme qu'il aura jusqu'en 2008. Ainsi, l'architecture générale de l'OCM vin est articulée autour de trois outils :
- le contrôle des productions par les procédés de vinification ;
- la gestion des marchés en cas de surproduction (par la distillation à prix préfixés) ;
- la maîtrise des capacités de production par deux moyens : la diminution des surfaces plantées par une politique d'arrachage et le contrôle des plantations fondé sur des possibilités assez larges de replantation après arrachage mais un strict contrôle des plantations nouvelles.
Je rappelle que l'arrachage est massif puisque le programme d'arrachage porte sur 170 000 hectares dans l'Union européenne, même si la Commission européenne avait envisagé 400 000 hectares.
Ainsi, le régime des droits de plantation apparaît comme l'élément structurant de l'OCM vin. C'est une singularité dans l'ensemble de la PAC puisque l'OCM vin vise une discipline de production, alors que la PAC est globalement orientée vers la croissance des productions. D'ailleurs, je ne résiste pas à citer les propos de Michel Cointat, puisque son fils est là aujourd'hui, qui fut un grand ministre de l'agriculture au début des années 70, qui disait alors que « la PAC consiste à donner une Cadillac à ceux qui en ont déjà une ».
Trois réformes adoptées par des règlements du Conseil à la majorité qualifiée, organisent la fin du régime des droits de plantation, dans des termes de plus en plus clairs et rigoureux.
La réforme de l'OCM vin en 1999 est une étape cruciale dans la mesure où le régime des droits de plantation reste un pivot de l'OCM, mais est annoncé comme provisoire. L'échéance programmée est alors le 31 juillet 2010. En 2008, la nouvelle réforme de l'OCM vin annonce une disparition du régime des droits de plantation fin 2015, ou fin 2018 pour les États qui veulent encore le maintenir provisoirement. Cette nouvelle réforme de l'OCM vin constitue une rupture formelle et de fond avec le régime précédent. Le libellé a changé en régime transitoire des droits de plantation. Le dispositif est repris en 2009 lorsque l'OCM vin est intégrée à l'OCM unique.
Ainsi, la fin des droits de plantation est expressément programmée pour le 31 décembre 2015, avec toutefois une exception pour les États membres qui veulent les maintenir jusqu'au 31 décembre 2018 sur tout ou partie de leur territoire.
Il me semble que l'Union européenne a commis plusieurs erreurs en choisissant d'abandonner le régime des droits de plantation.
2. Vous me permettrez d'abord de penser qu'il s'agit d'une décision sans recul
La mise en oeuvre d'une discipline stricte des droits de plantation est le résultat d'une longue maturation, vieille de plus de mille ans d'histoire.
Pendant des siècles, les plantations de vigne ont été pratiquement libres. Les noms des rues dans des milliers de villages en France témoignent encore de cette époque où le vin était partout en France, ou presque partout puisqu'il semblerait que le vin ait été rare en Bretagne et en Normandie.
Trois phénomènes ont bouleversé cette situation. Les crises phytosanitaires du XIXe siècle ont ravagé les vignobles. L'émergence de la viticulture de prestige a donné une autre image du vin. Mais surtout, la première guerre mondiale a été le catalyseur du changement. Comment faire oublier le « pinard » chanté par les poilus ? En travaillant sur la qualité et, par conséquent, sur les quantités.
Cette exigence s'est d'abord traduite par la création des célèbres AOC. Les droits de plantation sur des aires délimitées et avec des cépages définis ont permis une discipline de production, ont apporté de la rigueur, et vont de pair avec une exigence de qualité.
Il est certain, en particulier, que le contrôle des droits de plantation a sauvé la viticulture française.
3. C'est donc une décision sans recul mais c'est aussi une décision sans vision.
Pourquoi avoir décidé d'abandonner les droits de plantation, fruits d'une longue maturation historique ? Trois facteurs peuvent être avancés.
Il y a d'abord un choix délibéré de dérégulation de la PAC dans son ensemble, à commencer par les instruments qui entravent les productions à l'image de l'abandon des quotas laitiers.
Il y a ensuite l'idée d'appliquer à l'Europe les pratiques viticoles des nouveaux pays producteurs. Car les producteurs de vin du nouveau monde ne sont pas encadrés par des barrières administratives. Ils plantent où ils veulent, ce qu'ils veulent, comme ils veulent.
Y aurait-il distorsion de concurrence, comme le prétend la Commission ? Il s'agit seulement de deux stratégies de compétitivité et de deux productions différentes.
En quoi les droits de plantation seraient-ils un frein à la compétitivité ?
Il est incontestable que la concurrence avec les vins du nouveau monde est farouche et que les vins européens perdent du terrain sur les marchés internationaux et même sur le marché intracommunautaire. Mais l'explication est bien connue et n'a pas de lien avec le régime des droits de plantation ! Les nouveaux producteurs proposent des vins de cépage, faciles à identifier et donc faciles à vendre, tandis que les producteurs européens continuent à proposer des vins de caractère, parfois des vins d'assemblage, au risque d'un embrouillamini destructeur pour les producteurs eux-mêmes. Il faut d'ailleurs saluer les initiatives régionales telles que le label « sud de France » pour sortir de cet enchevêtrement de vins de pays, de coteaux, de châteaux... incompréhensible au consommateur étranger.
Il y a bien un problème de positionnement, d'identification, de commercialisation, mais sans lien avec le régime des droits de plantation. Y renoncer est d'autant plus grave qu'elle priverait les vins européens de leur atout : une réputation d'exigence et de qualité.
4. Le choix d'abandonner les droits de plantation est aussi une décision incohérente
Il faut bien avouer que la réforme de l'OCM vin a tout d'une énigme. En effet, comment justifier qu'au moment où l'Union européenne décide de libérer les droits de plantation, elle prépare cette libéralisation par une politique d'arrachages massifs des plants de vigne ?
Quelle est la cohérence d'un tel projet ? « Assainir le marché avant de laisser faire les forces du marché » répondait-on à la DG Agri au moment de la préparation de la réforme de l'OCM vin. Cette succession est tout simplement absurde. Comment piloter une voiture avec un pied à fond sur le frein (arrachage) et un pied à fond sur l'accélérateur (liberté de plantation) ? Personne ne peut comprendre que l'on prépare la liberté de plantation par une obligation d'arrachage !
La deuxième incohérence est liée à un manque d'analyse du marché et de respect des hommes. Cette libéralisation est presque humiliante pour tous ceux qui ont multiplié leurs efforts pour améliorer la qualité des vins.
Les plus hautes autorités des États allemand et français ont exprimé leur opposition de façon claire. En avril 2010, Mme Angela Merkel fut le premier chef de gouvernement européen à prendre une position officielle sur le soutien des droits de plantation.
Début 2011, le Président de la République a, à son tour, clairement exprimé son opposition à la libéralisation des droits de plantation. « Supprimer ou libéraliser les droits de plantation, c'est choisir le produit au plus bas coût possible. C'est condamner à terme une culture du savoir-faire et de la qualité. Une idée qui conduira à la catastrophe (...) » « Je ne sais pas qui a pensé à cette idée, mais il faut qu'il change d'avis ! »
Cette convergence au plus haut niveau entre Français et Allemands est une nouvelle donnée fondamentale. L'échéance est fixée par un règlement communautaire, mais cette volonté commune ne peut être ignorée. La décision de supprimer le régime des droits de plantation est une décision sans recul, sans vision, et incohérente. La charge est déjà lourde. Mais le pire est que ce choix est également dangereux.
La libéralisation totale des droits de plantation entraînera inévitablement de profondes perturbations du marché vitivinicole et des territoires. Les conséquences régionales de la libération totale des droits de plantation seront redoutables. La liberté de plantation ne peut pas ne pas s'accompagner d'une délocalisation du vignoble des coteaux vers les plaines. Quel intérêt y aurait-il à travailler, dur, souvent à la main, sur des pentes à 10 % alors que les vignes peuvent être plantées sur des terrains plus accessibles ? La liberté de plantation est, tout simplement, la condamnation à mort de la viticulture en zone aride.
Cette éventualité ne choque apparemment pas la Commission européenne, qui, dans un document de travail, sur les conséquences de la dérégulation du marché viticole, mentionnait, je cite : « les risques considérables liés à la nécessité d'une forte restructuration et un déplacement éventuel de la production entre régions », mais sans s'émouvoir plus que cela.
Comment ne pas comprendre la méfiance des Français pour une telle construction européenne qui déconstruit, au contraire, au nom du libre marché ? Un tel aveuglement ne peut conduire qu'aux catastrophes.
Il faut remettre du bon sens, avant qu'il ne soit trop tard. Et pour ce faire, conserver les droits de plantation.
La France est bien consciente que cette réforme suscite de plus en plus d'appréhensions dans le milieu viticole. Mais ces appréhensions touchent aussi un nombre de plus en plus important de pays.
Le règlement OCM unique prévoit que « la Commission élabore un rapport sur le secteur viticole avant la fin de 2012 en tenant compte en particulier de l'expérience acquise dans le cadre de la mise en oeuvre de la réforme ». Tenir compte de l'expérience doit commencer par une écoute des parlements nationaux. C'est tout le sens de cette proposition de résolution.
De plus, la prochaine réforme de la PAC est une opportunité pour intervenir et modifier l'OCM unique.
Ce serait vraiment une catastrophe si la libéralisation totale des droits de plantation était appliquée sans restriction. Pour donner une idée du déséquilibre que cela induirait, je peux évoquer une récente mission en Ukraine, où Simon Sutour et moi-même avons visité une exploitation de 1 000 hectares de vignes, plantées par des Géorgiens. Mais la pression existe aussi en Roumanie, en Bulgarie, en Hongrie. Tous ces pays sont prêts à se lancer dans une production de masse dont nous connaissons les effets. Une telle orientation se fera au détriment d'une présence équilibrée sur les territoires, et au mépris des hommes qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes pour travailler sur la qualité.
Cette proposition de résolution me convient tout à fait. La libéralisation est en oeuvre et va très vite. Croire que le marché va tout régler est utopique et je pense, comme l'a demandé notre groupe de travail sur la PAC, que la France doit tenir bon quand elle demande la sauvegarde des outils de régulation. Or, peu à peu, tout est démantelé, et les discours officiels rassurants sont vains. Je rappellerai par exemple que, le 13 décembre 2007, M. Michel Barnier, qui était alors ministre de l'agriculture, avait annoncé qu'« il ne lâcherait pas sur le régime des droits de plantation ». Mais, en avril 2008, c'était fait. Le règlement OCM vin était adopté.
Je ne peux que me féliciter que la déclaration commune des parlements français et allemand évoque la nécessité d'un « cadre de régulation ».
Il faut bien reconnaître qu'il est difficile d'avoir une claire vision d'une politique viticole quand ceux qui la mènent boivent du lait ! Ce qui fut le cas il y a quelques années. Il faut revenir à la raison et au bon sens. En revanche, il me semble que la tonalité de la proposition de résolution est trop défensive. Il me paraît important d'insister sur l'articulation entre la maîtrise des droits de plantation et la politique de qualité.
L'expérience du Languedoc doit être rappelée, car les viticulteurs ont su tirer partie de la réglementation européenne qui a permis aux vins de pays d'avoir le nom d'un cépage. Ces vins sont présents en Europe et s'en tirent très bien, mieux que les « châteaux » inaccessibles et incompréhensibles. La réglementation européenne n'est pas forcément négative ! Mais les droits de plantation sont légitimes parce qu'ils sont un des éléments qui assurent cette qualité. La proposition de résolution devrait être aménagée en ce sens, en rappelant cette exigence non dans les considérants généraux, mais dans les objectifs explicites.
Les viticulteurs alsaciens sont eux aussi très préoccupés par la disparition du régime dels droits de plantation. Je pense qu'il y a un rapprochement à faire entre le vin et le fromage, qui sont deux productions qui font partie de notre richesse patrimoniale. Il y a quelques années, on a voulu abandonner la spécificité des productions fromagères au lait cru pour créer des productions standardisées. Cette banalisation aurait été une erreur car la qualité et l'identité d'un produit sont des atouts irremplaçables. On ne peut appliquer à l'alimentation la même logique que s'il s'agissait de vendre des produits interchangeables, avec des productions mondialisées comme les boissons au cola ou comme les téléphones portables ! Priorité à la qualité, et le maintien des droits de plantation y contribue.
Je retiens de l'exposé de nos deux rapporteurs l'incohérence de la mesure. Dans une région qui a été conduite à arracher des milliers d'hectares de vigne, comment expliquer que dans quelques années, les droits de plantation seront totalement libres ? La vigne, c'est aussi les paysages, le tourisme, la lutte contre les incendies, la lutte contre les inondations... Les déséquilibres territoriaux qui pourraient suivre la libéralisation totale des droits de plantation sont énormes. La décision est tout simplement incompréhensible pour l'ensemble de la profession, qui a fait des efforts pour améliorer la qualité des productions.
La libéralisation sur tous les fronts m'inquiète. Je suis satisfait de cette proposition frappée du coin du sens, mais il faudrait avoir le même recul sur l'ensemble des questions agricoles. Les conséquences des accords internationaux sont préoccupantes. Sur le sucre, l'Europe excédentaire, il y a encore trois ou quatre ans, est devenue importatrice ! De même, le Parlement européen a donné quitus à la négociation de l'OMC sur la banane, ce qui pourrait avoir des conséquences redoutables sur la production des Antilles. Il ne me semble pas qu'un député UMP/PPE s'y soit opposé. Je souhaite plus de cohérence politique et plus de recul.
Il faut éviter les jugements abrupts sur les négociations commerciales internationales, car l'exercice est fondé sur l'équilibre des concessions. La négociation sur la banane fait suite à un contentieux lourd. L'objectif est désormais de parvenir à des compensations adéquates pour les DOM. Nous venons d'adopter une proposition de résolution à ce sujet.
Concernant la proposition de résolution, la politique des marques a supplanté la politique traditionnelle des indications géographiques, mais il faut rester très vigilant sur ce point qui a structuré nos productions. Sur la résolution, il me semble que nous devons dire plus clairement quelle place nous laissons à la subsidiarité, à la possibilité pour les États de garder ou non les droits de plantation à leur choix. Qu'en pensent les rapporteurs ?
L'idéal serait bien sûr de maintenir le régime des droits de plantation partout en Europe. Mais il faut reconnaître que cet objectif sera difficile à atteindre. L'Espagne a une politique de libéralisation beaucoup plus poussée. Elle attaque le marché chinois avec des vins à un euro la bouteille ! L'accord avec les Allemands paraît assuré, mais il ne faut pas croire que nous aurons l'unanimité sur les droits de plantation. La faculté laissée aux États de maintenir un régime dérogatoire est plutôt un objectif de second rang, comme une proposition de repli. La rédaction de la proposition de résolution doit être ajustée en conséquence, en ajoutant au dernier alinéa l'expression « à défaut ».
La résolution s'adresse à notre gouvernement. Autant avoir une position ferme, quitte, en effet, à avoir une solution de repli.
Le débat qui nous anime montre que le vin suscite toujours beaucoup de passion. Chacun est bien conscient des effets dévastateurs, d'une part de la libéralisation totale qui va conduire à l'abandon d'exploitations et à la multiplication des friches, d'autre part de l'incohérence et même de l'absurdité de la politique européenne qui prône à la fois l'arrachage des plants de vigne et la libéralisation des droits. Depuis le traité de Lisbonne, le Parlement européen est codécideur. La résolution s'adresse formellement au gouvernement, mais la cible est aussi européenne.
À l'issue de cette proposition, la commission a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu les articles 85 septies et octies du règlement (CE) N° 491/2009 du Conseil du 25 mai 2009 modifiant le règlement (CE) n° 1234/2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole,
Vu l'article 184 § 8 du même règlement donnant mission à la Commission d'établir, avant la fin de 2012, un rapport sur le secteur vitivinicole en tenant compte de l'expérience acquise,
Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions en date du 18 novembre 2010 : « La PAC à l'horizon 2020 : alimentation, ressources naturelles et territoire - relever les défis de l'avenir » [COM (2010) 672 final],
Considère que les droits de plantation constituent un outil éprouvé et moderne de gestion harmonieuse du potentiel viticole européen, garant de la qualité des productions européennes,
Craint que la libéralisation totale des droits de plantation n'entraîne des délocalisations des vignobles et n'ait des répercussions dramatiques sur l'activité vitivinicole de certains territoires,
Se félicite que les plus hautes autorités d'Allemagne et de France se soient prononcées pour le maintien des droits de plantation,
Demande que cette manifestation d'intention se traduise par des actes juridiques,
Souligne que les droits de plantation sont un instrument indispensable pour une politique de qualité et de promotion des « terroirs »,
Souhaite que le régime communautaire et transitoire des droits de plantation soit modifié afin de permettre le maintien permanent des droits au-delà de 2015,