Mission d'information Démocratie représentative, participative et paritaire

Réunion du 29 mars 2017 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Nous échangeons aujourd'hui en visioconférence avec M. Jean-Éric Paquet, secrétaire général adjoint de la Commission européenne, accompagné de son équipe.

L'Union européenne a mis en place des procédures de consultation pour recueillir l'opinion des citoyens et des parties prenantes lorsqu'elle élabore des politiques ou des mesures législatives. Ces consultations sont publiques, de même que les réponses adressées aux contributeurs et les suites qui leur sont données. Pourriez-vous nous présenter votre méthode et les améliorations que vous avez pu lui apporter, notamment au regard des critiques qui ont pu vous être retournées. Combien de temps dure cette procédure et quel est son coût ?

S'ajoute à ces consultations la procédure d'initiative citoyenne européenne (ICE), entrée en vigueur le 1er avril 2012, qui permet à un million de citoyens de l'Union européenne de participer directement à l'élaboration des politiques européennes, en invitant la Commission européenne à présenter une proposition législative, celle-ci conservant toutefois le choix de le faire ou non. Trois initiatives visant à abolir la vivisection, à protéger la dignité et l'intégrité de l'embryon humain et à faire du droit à l'eau et à l'assainissement un droit humain imprescriptible sont ainsi parvenues à recueillir le nombre prévu de soutiens. L'engouement pour cette forme d'expression ne semble pas se démentir : le 22 mars dernier, la Commission européenne a ainsi enregistré deux nouvelles initiatives citoyennes européennes consacrées aux droits des citoyens de l'Union dans le contexte du retrait d'un État membre de l'Union européenne - l'avenir dira si ces propositions prospèrent - tandis qu'elle rejetait une troisième proposition visant à s'opposer au Brexit, au motif que celle-ci ne relevait pas de sa compétence. Quel bilan dressez-vous de cette procédure ? Quelles en sont les limites et les évolutions éventuelles ?

Cette audition est ouverte au public et à la presse et fera l'objet d'un compte rendu écrit.

Debut de section - Permalien
Jean-Éric Paquet, secrétaire général adjoint de la Commission européenne

Merci. Je note que le Sénat est particulièrement bien informé, y compris sur les tous derniers développements de l'ICE. Je vous propose de traiter d'abord la consultation.

La Commission européenne a une pratique longue de la consultation dans le cadre de la recherche d'une meilleure réglementation. En mai 2015, son président M. Jean-Claude Juncker et son premier vice-président M. Frans Timmermans ont souhaité aller plus avant dans la consultation des parties prenantes et des citoyens. Il a ainsi été décidé qu'elle aurait lieu à toutes les étapes, et pas seulement pendant la phase traditionnelle de consultation publique, qui a donné lieu à 700 consultations au cours des dernières années avec, en moyenne, 400 contributions par consultation, permettant dans bien des cas d'ajuster la portée des dispositions.

Nous consultons ainsi les citoyens dès le début du processus, lorsque les services de la Commission préparent la « feuille de route » d'un texte, qui décrit le contexte et présente les éléments-clés. Depuis un an, un portail électronique permet à chacun de commenter ce document et notamment d'indiquer si des éléments ont été oubliés. Le portail recueille aujourd'hui une douzaine de prises de positions en moyenne... C'est peu ! Il s'agit généralement des acteurs directement concernés.

Puis vient à proprement parler l'étape de la consultation publique, avec un questionnaire couvrant les éléments les plus concrets de la proposition. Son élaboration nécessite de trouver un équilibre entre la nécessité de laisser s'exprimer les citoyens et les parties prenantes et celle d'obtenir des réponses précises. La consultation dure douze semaines. La Commission mène dans presque tous les cas des consultations plus ciblées : réunions avec les parties intéressées y compris dans les États membres, réunions avec les administrations des États membres ou avec leurs parlements.

Une fois que la Commission a adopté sa proposition législative et qu'elle l'a présentée aux co-législateurs, le Conseil et le Parlement européen, elle prévoit aussi une période de huit semaines où les parties peuvent faire valoir leurs vues en les présentant aux co-législateurs. Ce mécanisme est tout récent et son utilisation est encore trop limitée. L'un des chantiers que nous menons est de rendre plus populaires cette phase ainsi que la phase préparatoire.

Autres points très important pour le président et le premier vice-président de la Commission européenne : l'acquisition d'outils informatiques, et le fait de montrer à nos interlocuteurs qui ont fait l'effort de participer à nos travaux que leur contribution a été prise en compte, même si nous ne reprenons pas forcément leur position. C'est le rôle du document que nous établissons pour chaque consultation et qui en retrace les résultats, mais cet outil indispensable peut encore être amélioré.

Les consultations ont une dimension politique : montrer que le travail législatif de la Commission est participatif, ouvert, transparent. Elles ont aussi une dimension analytique et technique, car dans nombre de cas, les analyses d'impact ont été très largement documentées par les contributions.

Dernière évolution qui se concrétisera dans les prochaines semaines : la traduction des consultations dans toutes les langues communautaires. Aujourd'hui, en effet, si elles sont rarement dans une seule langue, elles ne sont jamais traduites dans toutes les langues de l'Union.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Merci de vos explications. Notre but est de contribuer à résoudre les blocages de la société française - qui valent aussi pour l'Europe - que sont la difficulté à réformer et à construire de grandes infrastructures, mais aussi la défiance vis-à-vis des politiques, qui nous inquiète beaucoup. Nous cherchons si la démocratie participative ne pourrait pas nous aider, sans remettre en cause l'organisation de la démocratie depuis la Révolution, selon laquelle le peuple s'exprime par la voix de ses représentants.

Pour vous, qu'est-ce qu'une consultation numérique réussie ? Mesure-t-on ce succès au nombre de contributions ? À la qualité de l'information reçue par les participants ? Les contributions doivent-elles être obligatoirement signées ou peuvent-elles être anonymes ? Tout projet donne-t-il lieu à une consultation, ou bien faites-vous une sélection ?

Debut de section - Permalien
Jean-Éric Paquet, secrétaire général adjoint de la Commission européenne

Aux consultations pour les actes législatifs, qui sont systématiques, il faut ajouter les actes délégués et les actes de mise en oeuvre, qui représentent le droit secondaire européen, comme sur les pesticides et les OGM, pour citer des sujets sensibles. Lorsque la Commission prépare ces actes, elle pose des questions aux États membres, mais elle met également les textes à disposition des parties prenantes pour une dernière vérification avant l'entrée en vigueur. Les retours éventuels sont utilisés de manière discrétionnaire par le collège.

Sur la question des tarifs transfrontaliers de téléphonie sans fil - le roaming - qui disparait cette année, par exemple, la consultation a eu un impact très substantiel sur la teneur de la mesure effectivement adoptée.

La qualité de la consultation publique dépend d'abord du travail au sein de la Commission. Le questionnaire est déterminant. Le secrétariat général accompagne les directions thématiques pour sa rédaction. Sur la politique agricole commune (PAC) par exemple, il s'agissait de savoir comment on pouvait la faire évoluer pour mieux accompagner les bouleversements, et faire face aux exigences écologiques.

Un deuxième point est la durée de la consultation. Celle-ci a été fixée à douze semaines, mais à chaque fois, nos collègues de la Commission font valoir une situation d'urgence et demandent une réduction à huit semaines, voire moins. Mais le secrétariat général reste très strict dans ce domaine : il faut une durée suffisante pour que chacun puisse s'exprimer.

Nous recueillons parfois des centaines de milliers de contributions, comme sur la protection de la nature, qui en a suscité 150 000. Certes, les contributions sont souvent des lettres types préparées par des organisations de défense de l'environnement ou de chasseurs... Les contributions sont venues de tous les États membres. Cela a permis de constater l'attachement de l'ensemble des parties prenantes à la législation actuelle de protection de la nature dont chacun, y compris les chasseurs et les acteurs économiques, reconnaît la valeur mais dont il faut améliorer la mise en oeuvre.

Une autre façon de juger la qualité d'une consultation est de mesurer les informations apportées, notamment en termes d'impact, permettant de mieux distinguer les options disponibles.

Dernier point, dans une approche plus stratégique : il faut choisir le bon moment pour une consultation large du public, pour organiser des séminaires ou des conférences, pour travailler avec les États membres, pour distiller les orientations de la Commission... Dans ce domaine, les directions thématiques sont assez libres.

Sur la signature des contributions, les personnes sont libres de signer ou de rester anonymes.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Comment repérez-vous, sur 400 contributions en moyenne, celles qui sont contrôlées par les lobbies ? Comment savoir si le résultat d'une consultation n'a pas été influencé par des gens plus motivés, mieux organisés que les autres ? Comment faire face au risque de dérapage, d'instrumentalisation inhérent à chaque consultation ? Cela me semble être un travail d'analyse considérable pour les services de la Commission : utilisent-ils des algorithmes ? Ont-ils recours à des traitements automatisés ?

Debut de section - Permalien
Jean-Éric Paquet, secrétaire général adjoint de la Commission européenne

C'est, à l'évidence, un enjeu majeur. Sur la protection de la nature comme sur l'accord de libre-échange transatlantique, nous avons reçu quelques 150 000 contributions. Faire une analyse quantitative prend un peu de temps mais n'est pas si compliqué. Dans l'étude d'impact du projet, nous quantifions l'origine des contributions reçues.

Il faut ensuite identifier systématiquement les contributions. Pour être tout à fait transparent, le secrétariat général de la Commission est fréquemment critique à l'égard du travail des directions thématiques, dont l'analyse est souvent partiellement orientée pour favoriser les options qu'elles prennent.

Nous insistons sur la nécessité de bien rendre compte de la consultation : sur le secteur ferroviaire, par exemple, il faut présenter à la fois la position des opérateurs historiques, celle des nouveaux entrants, etc.

Le plus difficile est de parvenir à capturer les attentes des citoyens, en dehors des parties prenantes constituées. Cela passe bien sûr par des statistiques - c'est le plus facile - mais aussi par des outils de data mining par mots-clés ou expressions-clés, plus ou moins performants, et qui ne sont pas utilisés de manière systématique. Un des chantiers en cours est précisément d'en équiper tous les services de la Commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Bravo pour vos consultations. Mais - sans vouloir faire de provocation - quelle en est le véritable but ? S'agit-il pour la Commission de pouvoir dire au Conseil et au Parlement européen : « nous avons consulté tout le monde ; vous voyez bien que l'Europe n'est pas éloignée des citoyens » ? S'agit-il, en d'autres termes, d'une « consultation prétexte » ou bien d'une consultation utile ? Dans nos communes, il est souvent reproché au maire d'organiser des réunions de quartier qui relèvent plus de la communication que de la consultation proprement dite.

Debut de section - Permalien
Jean-Éric Paquet, secrétaire général adjoint de la Commission européenne

Il ne s'agit en aucun cas de « consultations prétextes ». C'était peut-être le cas il y a dix ans, lorsque nous avons commencé ; mais aujourd'hui nous avons professionnalisé l'exercice.

Les consultations ont une dimension politique très importante pour la Commission, en démontrant qu'elle a été à l'écoute des citoyens, que les politiques publiques européennes se construisent avec l'ensemble des sociétés européennes. Cela rejoint l'inquiétude du Sénat à propos de la méfiance des citoyens. Nous répondons avec cet instrument, mais aussi avec les autres outils de transparence concernant le circuit de la décision de la Commission.

Les lobbies font partie du système et sont utiles pour fournir l'information indispensable à la prise de décision. L'enjeu est d'assurer de manière systématique que l'ensemble des parties prenantes aient accès à la Commission, et pas seulement les lobbies industriels comme on le prétend parfois. C'est dans ce cadre que des ONG, oeuvrant dans le domaine de la consommation ou de l'environnement, sont en partie financées par le budget européen.

Debut de section - Permalien
Mona Björklund, chef de l'unité « Analyse d'impact » au sein de la direction « Réglementation intelligente et programme de travail » du secrétariat général

Les consultations sont un bon moyen pour collecter des informations, notamment des données scientifiques pouvant être d'accès difficile. Sur le copyright, en août et septembre de l'année dernière - matière clivante s'il en est - la consultation a permis de savoir quelle voie pouvait être acceptée par les différentes parties. La consultation a servi à trouver le juste milieu.

Debut de section - Permalien
Jean-Éric Paquet, secrétaire général adjoint de la Commission européenne

Autre exemple, les carcinogènes dans l'environnement professionnel au sujet desquels la réglementation est en train d'être mise à jour. L'étude d'impact avec les agences européennes sur le seuil licite d'exposition des travailleurs a suscité des réactions extrêmement positives au sein des États membres. La consultation peut ainsi faciliter les discussions politiques au Conseil.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Pour les consultations publiques, les contributions sont-elles réparties équitablement au sein des États membres, ou y en a-t-il de plus participatifs que d'autres ? Peut-être le relais national en matière de publicité est-il plus efficient dans certains pays ?

Debut de section - Permalien
Jean-Éric Paquet, secrétaire général adjoint de la Commission européenne

La répartition est rarement équilibrée. Nous avons beaucoup de contributions belges, pour des raisons géographiques évidentes. Il y a aussi une question linguistique. Les relais nationaux ne sont pas utilisés de manière systématique.

Debut de section - Permalien
Mona Björklund, chef de l'unité « Analyse d'impact » au sein de la direction « Réglementation intelligente et programme de travail » du secrétariat général

Nous demandons aux lobbies de s'inscrire sur un registre, ce qui nous permet de savoir s'ils se sont exprimés ou non sur un sujet et de les avertir de l'ouverture d'une consultation.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Passons maintenant au second point : l'initiative européenne citoyenne (ICE). Est est-elle aussi difficile à mettre en oeuvre qu'on le dit ? Comment s'articule-t-elle avec le droit de pétition ? Pouvez-vous nous faire un retour d'expérience sur ces sujets ?

Debut de section - Permalien
Jean-Éric Paquet, secrétaire général adjoint de la Commission européenne

Je ne peux pas vraiment m'avancer sur le droit de pétition : les pétitions sont adressées au Parlement européen, dont une commission permanente est chargée de les instruire.

L'ICE, introduite par le traité de Lisbonne, est encadrée par un règlement de 2012. Depuis cette date, on en compte 43, qui ont récolté globalement 6 millions de signatures, mais dont 3 seulement sont parvenues à atteindre le seuil du million de signatures dans 7 États membres : celle sur la vivisection, l'initiative « un de nous » et celle sur le droit à l'eau.

Cette procédure est très encadrée pour éviter la prolifération de référendums en Europe et pour que la mobilisation importante de ressources qu'elle implique soit pertinente. La toute première étape est donc de déterminer si un objet peut être éligible au titre du traité. Ce n'était pas le cas pour l'initiative « Stop Brexit », certes très positive politiquement, mais qui n'a pu être enregistrée.

Depuis la semaine dernière, nous acceptons le principe d'un enregistrement partiel d'une initiative, ce qui était impossible jusqu'à présent, en vertu du règlement. Un arrêt de la Cour de justice et des discussions au Parlement européen ont conduit le collège à évoluer sur ce point. L'une des initiatives sur le Brexit, par exemple, proposait la création d'une citoyenneté européenne pour des Britanniques, y compris si leur pays quittait l'Union. Dans le cadre des traités, c'est impossible, car la citoyenneté européenne est attachée à la nationalité d'un des États membres. Mais il a été considéré qu'une partie des droits attachés à la citoyenneté européenne pouvait être reconnue à des citoyens d'États tiers.

Ce matin même, le collège des commissaires a également décidé d'enregistrer une autre initiative citoyenne sur ce que ses promoteurs appellent les « nationalités régionales ou minoritaires », qui concerneraient selon eux 40 à 60 millions de citoyens. Cette initiative avait été refusée en 2013, car sur les onze actions spécifiques, 3 étaient inéligibles et 8 éligibles. La Cour de justice a estimé que la décision de la Commission n'était pas assez motivée.

L'enregistrement et l'analyse juridique ne préjugent en rien de ce que la Commission ferait si l'initiative recueillait ensuite un million de signatures dans sept États membres. Il s'agit simplement du point de départ des douze mois de récolte des signatures. Il y a aujourd'hui de grandes divergences au sein des États membres sur la méthode d'identification qui évite les doubles signatures. À la demande du Parlement européen, la Commission travaille pour faciliter techniquement l'action des organisateurs des initiatives.

À ce jour, seulement trois initiatives ont été couronnées de succès ; « Stop vivisection » et « Un parmi nous » n'ont pas eu de suites législatives. La Commission doit à chaque fois justifier son choix. Elle peut organiser une conférence des parties prenantes pour leur permettre de débattre avec le Parlement de son éventuel suivi. L'initiative sur le droit à l'eau aura une suite cette année, un peu décalée dans le temps, mais il fallait attendre le moment approprié. La procédure d'ICE suscite un regain d'intérêt : 6 initiatives ont été déposées depuis septembre 2016, notamment celle sur l'usage de glyphosate et de pesticides dans l'agriculture, dont le suivi politique sera sensible si elle aboutit.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Au regard de votre vision très large des 28, ou plutôt des 27 pays de l'Union européenne, y a-t-il des pratiques de consultation numérique particulièrement pertinentes dans les États membres ?

Debut de section - Permalien
Jean-Éric Paquet, secrétaire général adjoint de la Commission européenne

La Finlande dispose d'un outil informatique de consultation de très bonne qualité, qui permet même l'échange entre les contributeurs. C'est un choix courageux, car cela demande aussi que l'on modère le forum. Si la Commission faisait ce choix, il serait difficile à traiter. Il existe des États membres ambitieux pour parvenir à une meilleure réglementation : sous réserve de précisions ultérieures, je pense au Royaume-Uni, au Danemark, aux Pays-Bas et à l'Allemagne en matière de consultation.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Cela correspond à ceux que nous avions repérés. Merci de votre disponibilité. Nous ne manquerons pas de vous informer du résultat de notre réflexion.

La réunion est levée à 12 heures.