Dans la continuité de l'audition de Marie-France Hirigoyen la semaine dernière sur le harcèlement, nous entendons ce matin Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), pour évoquer les agissements sexistes au travail, qui sont encore bien présents, si l'on se réfère aux chiffres existants.
Je remercie Brigitte Grésy d'avoir une nouvelle fois accepté notre invitation. Je rappelle que nous l'avions auditionnée en 2016, avant l'examen de la « El Khomri1(*) ».
Le CSEP, sous son égide, a publié en mars 2015 un important rapport intitulé Le sexisme dans le monde du travail, entre déni et réalité, qui dresse un panorama complet du sexisme dans le monde du travail, de sa prise en compte dans le droit et des instruments de régulation et de sensibilisation mis en oeuvre au sein des entreprises.
En 2016, Madame la secrétaire générale, vous avez publié un ouvrage intitulé Le sexisme au travail, fin de la loi du silence, dont je recommande vivement la lecture. Comment définiriez-vous le sexisme et comment situez-vous l'agissement sexiste et le harcèlement ?
Qu'en est-il de la prévention de l'agissement sexiste depuis son introduction dans le code du travail par l'article 20 de la loi du 17 août 20152(*), à l'initiative de plusieurs membres de notre délégation ? Cette disposition est-elle mobilisée par les plaignantes et leurs avocats ? Quelle est la portée effective de cette interdiction ?
Pouvez-vous faire état de politiques d'entreprises prenant en compte les violences sexistes et sexuelles ? Quels leviers juridiques proposez-vous dans ce domaine ?
Nous nous interrogeons également sur les conséquences éventuelles de la disparition des Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et des délégués du personnel prévue par les ordonnances, pour ce qui concerne la prévention du sexisme dans l'entreprise. Ne peut-on craindre, en effet, que le CHSCT, qui peut interpeller les employeurs et demander des enquêtes en matière de sexisme et de harcèlement sexuel, ne soit affaibli dans cette prérogative par la fusion des instances représentatives du personnel ?
À cet égard, la CGT vient de recommander la mise en place de « référent-e-s violences » dans les entreprises pour accompagner les victimes, diligenter des enquêtes et suivre la mise en oeuvre de mesures de prévention. Qu'en pensez-vous ? Ces référent-e-s ont-ils leur place dans le code du travail modifié par les ordonnances ?
Le CSEP a-t-il constaté, dans le cadre de la libération de la parole, une hausse du nombre de plaintes et une plus grande mobilisation des entreprises et des syndicats en matière de prévention du harcèlement et du sexisme ?
Par exemple, le kit élaboré par le CSEP pour agir contre le sexisme dans le cadre de la campagne « Sexisme, pas notre genre » est-il largement diffusé dans les entreprises ?
Qu'en est-il plus particulièrement du MEDEF ? A-t-il, à votre connaissance, favorisé la mise en place d'outils pour aider les employeurs à s'approprier leur devoir de prévention ?
Nous comptons sur vous pour nous apporter des éléments de réponse sur ces nombreuses interrogations, ainsi que, le cas échéant, sur d'autres points que je n'aurais pas soulevés et qui vous paraîtraient importants.
À l'issue de votre présentation, les membres de la délégation feront part de leurs réactions et ne manqueront pas de vous poser des questions.
Je suis très heureuse de revenir devant vous, alors que la situation au regard du harcèlement a profondément changé. Je suis les questions d'égalité depuis 1999, à des postes différents - cheffe de service des Droits des femmes, directrice de cabinet de la ministre chargée des Droits des femmes, Inspectrice générale des affaires sociales - mais toujours sous l'angle des politiques publiques. Aujourd'hui, je constate un changement de posture. Un quart des agressions sexuelles se fait au travail et une salariée sur cinq est victime de harcèlement sexuel. Il existe un décalage entre la réalité du phénomène et sa prise en compte dans les structures collectives. Je précise que je n'évoque que la situation sur le marché du travail, qui est le champ d'action du CSEP, et non dans la fonction publique, qui relève du Conseil commun de la fonction publique. J'ajoute aussi que j'interviens aujourd'hui à titre personnel, et que les opinions que je vais exprimer devant vous ne reflètent pas la position officielle du CSEP.
On peut distinguer trois étapes.
Jusqu'en 2010 environ, l'égalité professionnelle était traitée comme un bloc : la situation respective des hommes et des femmes était évaluée à l'aune de différents critères - embauche, formation, qualifications... les violences et le harcèlement sexuel étaient traités à part. Ainsi, généralement, le 8 mars on parle de l'égalité professionnelle, et le 25 novembre - Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes - on évoque le harcèlement sexuel et les autres violences sexuelles au travail.
Grâce à différents mouvements, français et anglo-saxons, on a assisté à un changement à partir des années 2010, et surtout à partir de 2013. On a pris conscience de la « tragédie des 20 % ». Alors que les femmes représentent plus de la moitié de l'humanité, il y a toujours un « gap » entre elles et les hommes. Les chiffres sont parlants : alors que 83 % des femmes âgées de 25 à 49 ans travaillent, l'écart de rémunération avec les hommes en moyenne brute annuelle s'élève à 27 % ; 25 % des experts des médias sont des femmes ; 20 % des salariés à temps partiel sont des hommes ; les hommes ne prennent en charge que 20 % du temps domestique. S'agissant de la mise en oeuvre de la loi Copé-Zimmermann3(*), si l'on prend en compte l'entièreté de son champ d'application, on a seulement 30 % de femmes dans les conseils d'administration des entreprises visées par la loi de 2011, alors que l'objectif était d'atteindre 40 %.
L'arsenal juridique de l'égalité est très complet, même si on peut toujours l'améliorer. Le discours politique sur l'égalité est tout à fait à la hauteur. Pourtant, tout se passe comme si les politiques publiques en faveur de l'égalité réelle, pourtant menées avec conviction, ne produisaient pas tous leurs effets. Cela s'explique par les résistances archaïques fondées sur la persistance des stéréotypes de sexe entre les femmes et les hommes, si bien mis en valeur par Françoise Héritier. Ces stéréotypes sont fondés sur la binarité des compétences et des aptitudes - masculin contre féminin, dur contre mou, rigueur contre intuition, actif contre passif -, et sur la stigmatisation et l'infériorisation de tout ce qui relève du féminin. Dans la vie comme dans la grammaire, le masculin l'emporte sur le féminin !
Les stéréotypes de sexe ne créent pas en eux-mêmes les inégalités, mais ils les légitiment en les rendant invisibles et naturelles. Ils peuvent aboutir à un traitement différencié des hommes et des femmes, c'est-à-dire à un système discriminatoire appelé le sexisme. Le sexisme au travail, c'est à la fois une idéologie qui érige la supériorité d'un sexe sur l'autre, et des actes, comportements, propos et attitudes qui infériorisent les femmes dans le monde du travail, ce qu'on peut appeler le sexisme ordinaire, et peuvent aussi porter atteinte à leur intégrité physique (harcèlement sexuel, agressions sexuelles, viol) et, in fine, créent une souffrance telle qu'elle produit des impacts forts, y compris sur la performance au travail.
Le CSEP a fait une enquête en 2013 auprès de 20 000 cadres, hommes et femmes, et en 2015 auprès de 16 000 non-cadres sur la question du sexisme ordinaire : 80 % des personnes interrogées ont déclaré avoir été victimes de sexisme au travail. Pour 90 % de ces personnes, le sexisme avait eu des conséquences négatives sur leur sentiment d'efficacité au travail et sur leur confiance en elles.
Il s'agit donc d'un phénomène massif et insuffisamment appréhendé. Le sexisme au travail couvre un champ qui va du sexisme ordinaire jusqu'au harcèlement sexuel, à l'agression sexuelle, au viol, en passant par la discrimination. Selon moi, il ne faut pas dire qu'il y a un continuum strict des violences : celui qui fait une blague sexiste à la machine à café n'est pas forcément celui qui va agresser sexuellement. Du moins, ce sujet n'est pas documenté. Simplement, le sexisme ordinaire crée un terreau favorable aux dérives en tous genres.
En 2015, nous avons abouti, grâce à votre délégation, à l'introduction de l'agissement sexiste dans le code du travail, grâce à la loi Rebsamen : « Nul ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. » Sont visés tous les petits mots ou comportements qui, l'air de rien, de façon sournoise, délégitiment, infantilisent, décrédibilisent les femmes dans le monde du travail.
Aux côtés de l'agissement sexiste, on trouve le harcèlement sexuel et l'agression sexuelle.
Il faut se demander si la discrimination à raison du sexe est une discrimination comme les autres. Doit-on s'en tenir à un principe d'équivalence des discriminations ? Les femmes ne sont non pas une minorité visible, mais une majorité invisible. Majoritairement, les femmes et les hommes travaillent et vivent ensemble tout au long du jour et de la nuit : il existe une interdépendance entre eux pour les besoins de la reproduction et du désir, ce qui crée une porosité entre la sphère du travail et la sphère privée. Sont ainsi importées dans la sphère du travail des représentations de la femme imprégnées de l'image privée. La femme a une double image, positive et négative : elle est celle qui protège, la mère, et celle qui pervertit, la putain. Et cette irruption de l'intime dans le monde du travail brouille les relations interpersonnelles et participe de l'invisibilité du phénomène.
À cela s'ajoute l'utilisation du temps, c'est-à-dire la charge, notamment mentale : les femmes assurent encore 80 % du travail domestique et les deux tiers du temps parental.
De ce fait, on ne peut pas utiliser pour les femmes les mêmes leviers d'action que ceux applicables aux autres groupes discriminés. Si les lois ne fonctionnent pas à l'égard des discriminations à l'encontre des femmes, c'est parce que le sexisme au travail repose sur des systèmes de pensée archaïques très ancrés. Il faut donc prendre en charge ce problème culturellement. Quelques illustrations de cet ancrage profond des inégalités : les métiers majoritairement féminins sont sous-valorisés par rapport à ceux qui sont majoritairement masculins. Je le dis souvent, il est aussi difficile de porter une personne âgée dépendante - le quotidien de celles qui travaillent dans les métiers du Care - que de porter un sac de ciment, ce que l'on retrouve dans les métiers industriels, mais ce n'est pas valorisé comme tel dans la classification des métiers. Toutes les compétences discrètes des femmes - gestion des conflits, anticipation... - sont moins valorisées que les compétences requises dans les secteurs comme la chimie ou la sidérurgie, qui se réfèrent à une conception classique de la pénibilité. On nous dit que les big datas, fondés sur les algorithmes savants, vont faire disparaître les discriminations entre les sexes, alors que les données fournies pour construire les algorithmes intègrent les stéréotypes sexistes.
Entre 2013 et 2015, donc, a émergé l'idée que le sexisme faisait déraper les choses. C'était une première évolution.
Puis est arrivée l'affaire Weinstein, et l'explosion de la parole et de l'écoute. Dès lors, les questions de politique d'égalité professionnelle ne peuvent qu'intégrer les atteintes à l'intégrité du corps des femmes, ce qui n'était pas le cas auparavant. Tout à coup, le 8 mars s'invite le 25 novembre, et les questions relatives aux violences s'inscrivent dans la réflexion sur l'égalité professionnelle ! L'égalité professionnelle doit aujourd'hui être traitée par des politiques structurelles sur l'embauche et la formation, mais aussi en agissant sur la culture symbolique du sexisme.
Pour répondre à votre question, Madame la présidente, il n'y a eu jusqu'à présent aucun contentieux sur le fondement de l'agissement sexiste, car on ne se l'est pas encore approprié. Aujourd'hui, nous avons l'occasion de mettre sur la table la question des violences sexistes et sexuelles. Auparavant, je considérais le sexisme non pas comme de la violence, mais comme des actes qui infériorisaient les femmes. Certains partenaires sociaux travaillent depuis longtemps sur cette question, comme la CGT ou la CFDT, FO également. Aujourd'hui, il me semble qu'il est plus facile de traiter tout en bloc : le sexisme ordinaire, l'agression sexuelle, le harcèlement sexuel, le viol.
Alors que peut-on faire ? Je vais vous exposer ma position personnelle sur la question et non la position officielle du CSEP, comme je le disais tout à l'heure.
On peut agir sur un certain nombre de leviers. Le premier est celui de la négociation. L'obligation de négocier un accord sur l'égalité professionnelle et la qualité de vie au travail est une disposition d'ordre public. Cette obligation de conclure un accord ? à défaut, l'entreprise doit produire un plan unilatéral - doit être respectée par toutes les entreprises de plus de 50 salariés, sous peine d'une sanction qui peut aller jusqu'à 1 % de la masse salariale. Cette sanction porte sur neuf domaines d'action - le neuvième a été ajouté en 2014 et concerne « la santé et la sécurité au travail ». Les entreprises de plus de 300 salariés doivent décliner au moins quatre domaines sur neuf ; celles de moins de 300 salariés, trois domaines sur neuf. Un domaine est obligatoire : l'égalité des rémunérations.
Il est temps d'ajouter à la formule « santé et sécurité au travail » les mots « dont les violences sexistes et sexuelles ». Dans la partie réglementaire du code du travail, il faudrait prévoir un indicateur sur les violences sexistes et sexuelles.
Le deuxième levier est celui de la prévention. On prend désormais en considération les risques psychosociaux. Dans l'Accord national interprofessionnel de 2010 sur le harcèlement et la violence au travail et dans celui du 19 juin 2013, il était indiqué que la question de la violence et des stéréotypes devait être prise en compte.
Aux termes de l'article L. 4121-2 du code du travail, les employeurs doivent mettre en oeuvre des actions de prévention fondées sur neuf principes généraux. Parmi ceux-ci figuraient déjà les risques liés au harcèlement moral et sexuel. Ont été intégrés en 2016 ceux liés aux agissements sexistes.
Nous avons donc les moyens législatifs pour agir. Mais 80 % des entreprises (source CGT) ne prévoient pas de plan de prévention. La CGT a proposé une disposition nouvelle prévoyant une sanction.
Par ailleurs, aux termes de l'article L. 4121-3 du code du travail, l'évaluation des risques doit tenir compte de l'impact différencié de l'exposition aux risques en fonction du sexe. Cela traduit l'idée que les risques n'atteignent pas de la même façon les hommes et les femmes. Peu de choses sont faites dans ce domaine. Il faudrait mettre en place un groupe de travail pour élaborer un outil prévoyant une méthode d'évaluation des risques pour la santé liés aux violences sexistes et sexuelles, et des mesures de prévention à intégrer dans le document unique d'évaluation des risques et le plan de prévention. Nous avons là dans la loi une pépite que l'on n'exploite pas !
Avec l'intégration du CHSCT dans le Comité social et économique (CSE) a émergé la crainte d'une dilution des sujets. Aujourd'hui, un seul délégué peut saisir le CSE sur un sujet donné ; mais il faudra être vigilant. Cette peur a été exprimée lors de la dernière réunion plénière du CSEP, qui portait sur la prise en compte des violences sexistes et sexuelles au travail.
Une déléguée syndicale nous a indiqué avoir participé à une réunion où le nombre de présents et de sujets évoqués était tel que des cas de harcèlement n'avaient pu être évoquées. Quelle portée donnons-nous à la parole et à ces sujets sensibles ?
Au-delà de la prévention, il faut recourir davantage à des instruments de régulation dans l'entreprise, et notamment le règlement intérieur, qui est sous-utilisé. C'est un acte réglementaire de droit privé, obligatoire dans les entreprises et les établissements de plus de 20 salariés, et établi de manière unilatérale par l'employeur. Il a des clauses obligatoires en matière d'hygiène, de sécurité et de règles générales de discipline. La loi du 8 août 20164(*) a obligé, via l'article L. 1321-2 du code du travail, à citer dans le règlement intérieur les agissements sexistes à côté des harcèlements moral et sexuel. Le CSEP a analysé plusieurs règlements intérieurs ; la plupart du temps, la formulation des dispositions est insensible au genre ; le contenu de la loi de 20125(*) - le harcèlement est caractérisé par la répétition ou une pression grave - n'est pas inscrit dans les règlements intérieurs, et la technicité et la généralité de ses dispositions sont telles qu'elles sont incompréhensibles si elles ne sont pas expliquées et commentées.
Il faudrait recommander aux entreprises de libeller une clause générale, afin que l'ensemble du personnel ait des comportements respectueux envers les hommes et les femmes. Une circulaire de la Direction générale du travail pourrait ainsi obliger les règlements intérieurs à comporter l'intégralité des dispositions de la loi de 2012 sur les harcèlements moral et sexuel, ainsi que sur les agissements sexistes, exemples à l'appui.
En Belgique, toute nouvelle personne recrutée doit signer le règlement intérieur. On pourrait ainsi compléter l'article R. 1331-1 du code du travail par un deuxième alinéa prévoyant que le règlement intérieur est remis en mains propres à tout nouvel employé et signé à nouveau en cas d'avenant au Règlement intérieur contre une décharge affirmant sur l'honneur qu'il a pris connaissance du règlement intérieur.
Autre instrument, les codes d'éthique, qui nous viennent des États-Unis, et qui sont une base d'autorégulation. Nous en avons examiné plusieurs, américains ou français. Généralement, ils sont insensibles au genre - sauf un code d'éthique français. Il faudrait obliger l'employeur à intégrer dans ce document le sexisme au sens large, et à définir ses différentes manifestations, en rappelant l'interdiction des agissements liés au sexe. Il en est de même dans le label Égalité, qui prévoit des dispositions très complètes dans son cahier des charges, mais mentionne le sexisme sans autre précision. Le sexisme ordinaire, l'humour sexiste devant la machine à café doivent être prohibés, mais pas l'humour...
Troisième pilier, la formation doit être renforcée. Je vous ai apporté des guides qui fleurissent dans des organisations comme FO, la CFDT ou certaines entreprises. Ces outils de sensibilisation sont essentiels. J'ai moi-même fait du sexisme sans le savoir. Ce sexisme exclut les femmes et les auto-exclut. Nous sommes tous tombés dans la marmite des stéréotypes depuis que nous sommes petits, et avons intégré leurs prédictions autoréalisatrices.
La formation et la sensibilisation sont essentielles. Il faut rendre obligatoire, par la loi, une formation aux violences sexistes et sexuelles. Le CSEP a réalisé un guide et interrogé les entreprises. Les formations à la négociation collective étaient nombreuses, surtout depuis la loi Génisson (encore une sénatrice !) de 20016(*) qui rendait obligatoire la négociation sur l'égalité professionnelle. Et ces formations se sont renforcées lors de la loi de 2010 qui prévoit des sanctions. Mais il existe aussi le mythe de « l'égalité déjà là » et les entreprises se sont tournées depuis quelques années davantage vers les formations sur les stéréotypes de sexe mais sans en tirer toutes les conséquences sur les effets du sexisme. Dès lors, il faudrait rendre obligatoire une formation aux violences sexistes et sexuelles, pour tous les salariés, et en particulier pour les membres des Comités sociaux et économiques (CSE, futures instances représentatives du personnel), les partenaires sociaux, les managers et les responsables des ressources humaines. Ces formations doivent permettre de réfléchir, de montrer comment certains comportements peuvent déboucher sur du sexisme, et lutter contre certains travers : la femme qui se sent coupable, dont on booste la confiance, ou bien l'absence d'interrogation sur la responsabilité collective du sexisme... Aujourd'hui, il faut des formations liant les violences sexistes et sexuelles à l'égalité professionnelle, et intégrer une obligation de former. La loi du 27 janvier 20177(*) a modifié l'article L. 1131-2 du code du travail pour faire en sorte que dans « toute entreprise employant au moins trois cents salariés et toute entreprise spécialisée dans le recrutement, les employés chargés des missions de recrutement reçoivent une formation à la non-discrimination à l'embauche au moins une fois tous les cinq ans. » Prévue à l'article L. 4141-2 du code du travail, la formation à la sécurité est également obligatoire. Rajoutons donc dans les formations obligatoires une formation sur les violences sexuelles et sexistes à destination de tous les salariés, sinon au moins aux managers, partenaires sociaux, responsables des ressources humaines et responsables de la santé et de la sécurité au travail.
Quatrième point, au-delà de la prévention et de la sensibilisation, il faut s'attaquer au traitement des victimes du sexisme. Les délégués du personnel ont un droit d'alerte, prévu à l'article L. 2313-2 du code du travail. L'employeur peut alors diligenter une enquête avec le délégué. C'est une organisation juridique intéressante. Parallèlement, certaines entreprises ont mis en place un dispositif d'alerte professionnelle comme des cellules d'écoute ou le traitement des plaintes et réclamations. Ainsi, chez Areva, « tout salarié doit pouvoir faire état et porter à la connaissance de l'entreprise des événements discriminatoires - discriminations, agissements ou harcèlements discriminatoires. » Les parties rappellent que de telles situations peuvent remonter par les voies normales et habituelles que sont les lignes hiérarchique, fonctionnelle, les ressources humaines, les représentants du personnel, les déontologues, voire les voies judiciaires. Ces réclamations peuvent également être portées à la connaissance du responsable en charge de la lutte contre les discriminations au sein de la Direction de la diversité et de l'égalité des chances. Cette possibilité est aussi ouverte à des tiers témoins. Le traitement des réclamations et alertes est interne au groupe, centralisé et complémentaire aux voies de recours précitées, soumises à autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Ces cellules d'alerte existent seulement dans certaines entreprises. Il faut aussi faire attention à certains points : le choix ou non du principe d'anonymat ou de la confidentialité, pour éviter les dénonciations calomnieuses ; la légitimité des instances ou des personnes saisies de l'alerte ; le périmètre de l'alerte ; la traçabilité des données recueillies. On pourrait imaginer un lieu d'écoute et de libération de la parole, soit interne, soit externe à l'entreprise, comme évoqué dans l'accord national interprofessionnel de 2002.
L'article 6 de la loi du 9 décembre 20168(*) relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique crée le dispositif du lanceur d'alerte, d'abord pour la lutte contre la corruption économique. Mais le lanceur d'alerte y est défini comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit ». Un décret précise qu'il faut un référent légitime, stable, une pratique de signalement, et prévoit comment pratiquer les signalements.
Un travail reste à mener sur le lanceur d'alerte et le droit d'alerte pour savoir s'il faut construire quelque chose, éventuellement obligatoire - mais en mutualisant pour les petites entreprises - afin de permettre le recueil de la parole, qui doit être bienveillant sans être complaisant. Le conflit est consubstantiel à toute vie collective, et donc à la vie dans l'entreprise, il peut être riche sauf s'il est lié à un motif de discrimination et notamment en raison du sexe : dans ce cas, il détruit la personne. Le sexisme est différent de la compétition entre les individus. On vit huit à douze heures ensemble chaque jour en entreprise... Il faut faire la part des choses : sensibiliser, prévenir et traiter.
Les effectifs de l'Inspection du travail ont diminué de 20 % depuis 2010. D'après la circulaire de novembre 2012 du directeur général du travail, consécutive à la loi sur le harcèlement, elle a comme mission d'informer sur les nouvelles dispositions, donc sur celles concernant les agissements sexistes. Mais la sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles ne fait pas l'objet d'une évaluation par l'Inspection du travail. Autre mission, elle contrôle et peut réaliser des enquêtes. Mais le traitement des violences sexistes et sexuelles n'est pas identique dans toutes les régions ; il faudrait se pencher sur ce sujet.
Cinquième pilier, les sanctions et les réparations doivent être renforcées. L'entrepreneur se doit d'être réactif. Il a différents moyens, comme son pouvoir disciplinaire, insuffisamment utilisé. Il doit insister sur le caractère inacceptable de ces violences. Il faut aussi permettre la réparation, soit en nature sur le contrat de travail ou la rémunération, soit en dommages et intérêts ou indemnités.
Le CSEP a rédigé un Kit pour agir contre le sexisme ; trois outils pour le monde du travail, sous le logo « Sexisme, pas notre genre ! » dont Mme Rossignol est responsable...
Nous avons travaillé sur dix leviers de lutte contre le sexisme ordinaire - ou les violences sexistes et sexuelles, c'est la même chose... Ce guide est un must dans les entreprises : souvent, on nous en demande 40, 50 ou 100 exemplaires. Il est téléchargeable sur le site du CSEP. Plusieurs entreprises s'inspirent de ce kit pour réaliser leurs guides, complétés avec leurs propres exemples. Elles se l'approprient donc totalement, ce qui est une très bonne chose. Les leviers de lutte contre le sexisme valorisés par le kit sont : construire un programme d'action contre le sexisme, porté au plus haut niveau de l'entreprise ; définir clairement les actes prohibés ; mettre en place une politique de prévention du sexisme ; intégrer la lutte contre le sexisme dans le dialogue social ; sensibiliser à la question du sexisme l'ensemble des personnes appartenant à l'entreprise ; prendre en charge les victimes et traiter les situations de sexisme ; instaurer une vigilance sur les stéréotypes de sexe dans les procédures du ressort des ressources humaines ; construire une communication interne et externe dépourvue de caractère sexiste - au contraire de la dernière campagne de communication du Salon de l'étudiant, par exemple, qui cantonnait les femmes aux métiers du Care et à la communication ; assurer une promotion active du programme d'action contre le sexisme ; établir un baromètre de confiance au sein de l'entreprise et procéder à des évaluations régulières...
Merci de votre intervention. Pourquoi, à votre avis, n'y-a-t-il pas de contentieux à ce stade sur le fondement de l'agissement sexiste ? Est-ce parce que ce type de contentieux a peu de chances de prospérer ?
On peut observer, il me semble, des différences de traitement dans l'accueil des femmes victimes de violence selon les entreprises et la taille des entreprises. Souvent, les obligations sont plus importantes dans les grandes entreprises que dans les PME, instaurant de facto une inégalité de traitement des femmes. Les grandes entreprises ont établi des guides, qu'en est-il des PME ?
Merci de votre intervention. Vous nous aidez à avancer. De nombreuses choses existent déjà, même si les dispositifs peuvent toujours être améliorés. Il faut de la formation, de la prévention et appliquer les sanctions, vous avez raison de le souligner.
Je réagis positivement à vos propositions sur le règlement intérieur des entreprises ; j'avais fait adopter certaines dispositions dans le code du travail lors de la discussion de la loi « El Khomri »9(*), notamment à la suite de l'affaire Baby Loup. Le règlement intérieur est un outil qu'il faut absolument mobiliser. Si l'on arrive à responsabiliser l'encadrement supérieur, les directeurs des ressources humaines et l'ensemble des salariés, ce sera une grande avancée. Inspirons-nous de l'exemple belge que vous nous avez commenté pour responsabiliser les salariés. Une fois le règlement intérieur signé, la personne est censée l'avoir lu. Cela doit accompagner la signature du contrat de travail. Renforçons la loi et insistons aussi sur tout ce qui existe déjà.
Merci pour cet exposé complet. La loi est extrêmement riche, mais tout le problème réside dans son application. Creusons cette piste : faut-il augmenter les sanctions, notamment financières ? Actuellement, certaines entreprises peuvent se défausser. Tenons compte des entreprises vertueuses sur l'égalité salariale et professionnelle, qui jouent le jeu et appliquent la loi.
Rappelons-nous que faire évoluer la condition des femmes, c'est faire progresser toute la société. En 2017, je suis horrifiée par l'absence d'égalité salariale : c'est une perte pour le budget de l'État et pour la protection sociale. Le patriarcat est un système puissant.
Vous rappelez votre manque de moyens pour diffuser le guide sur le sexisme. Dès qu'il s'agit de droit des femmes, c'est le bénévolat qui domine. Vous êtes bien placée pour le savoir, Madame la secrétaire générale. Les budgets ne sont pas à la hauteur des enjeux ; c'est scandaleux !
La discrimination sexiste et sexuelle est-elle un facteur aggravant d'autres discriminations ? J'ai moi-même entendu une jeune femme d'origine indienne se plaindre de discrimination pour raisons sexistes et sexuelles, et on lui a répondu que c'était plutôt du racisme de base... J'ai l'impression que les deux discriminations se cumulaient. Comment faire la part des choses dans le code du travail ?
Je vous recommande la lecture du livre de Brigitte Grésy, La Vie en rose, excellent ouvrage pour comprendre les stéréotypes de sexe. Après le discours de l'Élysée du 25 novembre du Président de la République, la ministre du Travail a été chargée d'organiser une table ronde et un groupe de travail. Où en est-on ? Le CSEP a-t-il été sollicité ?
Par ailleurs, je m'adresse tant à l'agrégée de grammaire qu'à la spécialiste des stéréotypes. Quel est votre avis sur l'écriture inclusive et la féminisation de la langue ?
Après toutes ces années d'observation du monde du travail, avez-vous détecté une corrélation entre le sexisme au travail et la parité ? Dans le secteur de l'édition dans lequel je travaille, les femmes sont majoritaires, et la question du sexisme se pose moins. Dans le monde politique, il a fallu instaurer des quotas et la parité... Lors des élections locales, le sexisme est moins présent qu'auparavant. Les hommes reconnaissent que les femmes travaillent différemment et nous montrent plus de respect. Mais ce n'est pas encore le cas au Parlement, vous l'avez souligné...
Dans ma société, la responsabilité sociétale de l'entreprise (RSE) est une question souvent saisie par les femmes. Lorsque les femmes sont à parité, voire majoritaires, le regard est différent. Qu'en est-il aussi de l'égalité salariale ? Malgré la loi Copé-Zimmermann, il est très difficile pour des femmes d'accéder à des postes d'administrateurs, a fortiori de membres de comités exécutifs et ce, même si, comme moi, elles ont suivi une formation spécifique...
Plus nous creusons ce sujet, plus je suis choqué. Stendhal, en 1840, affirmait : « L'admission des femmes à l'égalité parfaite sera la marque la plus sûre de la civilisation et elle doublera les forces intellectuelles du genre humain ». Les choses ont changé, mais les inégalités salariales n'ont été réduites que de 3 % en 20 ans. À ce rythme, nous atteindrons l'égalité parfaite en 2186... Il est nécessaire de s'attaquer aux stéréotypes sexistes dès le plus jeune âge !
Il n'y a pas de contentieux spécifique sur les agissements sexistes, mais parfois des entreprises concluent de magnifiques accords qui ne les empêchent pas de tolérer des agissements sexistes. Nous avons écrit ce guide pour montrer que les leviers d'action ne sont pas forcément les mêmes. On joue sur la culture, mais les stéréotypes perdurent. Ce sont souvent les grandes entreprises qui se saisissent du sujet. Dans les accords sur l'égalité, il y a eu environ 2000 mises en demeure depuis 2003 et 100 pénalités. Plus de 80 % d'entre elles concernent des PME. Lorsqu'il n'y a pas de service de ressources humaines ou de structuration suffisante, les responsables font comme ils peuvent, à flux tendu. Dans les PME, il y a aussi une telle proximité avec les individus qu'il peut y avoir des ajustements de l'ordre de l'interrelationnel - sauf présence de déviants notoires. Mais cela repose sur la bonne volonté, à la différence des grandes entreprises qui mettent en place des politiques structurées.
Il existe une énorme différence dans la prise en compte de l'égalité professionnelle selon la taille des entreprises. Seules les entreprises de plus de 50 salariés doivent signer un accord, alors que celles de moins de 50 salariés n'ont à prendre en considération qu'un objectif d'égalité professionnelle. Il faudrait un véritable site Internet sur l'égalité professionnelle porté par le ministère du Travail et celui des Droits des femmes, facile d'accès, et comprenant de nombreux exemples : comment faire un accord, qu'est-ce que le sexisme, comment le traiter...
Nous avons aussi besoin de régulation et d'outils d'encadrement pour faciliter le travail des PME. À l'heure du numérique, il n'y a pas suffisamment d'informations disponibles sur Internet.
Il faut responsabiliser les entreprises. Faut-il augmenter les sanctions - c'est une piste possible ; augmenter le nombre de domaines concernés, renforcer certains d'entre eux ? Certaines dispositions, actuellement uniquement supplétives, pourraient être déclarées d'ordre public.
Il y a un véritable problème d'appropriation des outils relatifs à l'égalité. Faut-il aller jusqu'au name and shame ou privilégier le name and honour ?
Peut-être faut-il aussi prendre en compte la recommandation européenne sur la transparence des rémunérations. Les lois anglaises et finlandaises vont plus loin. Il y a un mouvement vers la transparence des rémunérations. En France, les entreprises sont obligées d'en faire une synthèse portée à la connaissance des salariés et disponible sur le site Internet, mais il n'existe qu'un seul indicateur sur les rémunérations moyennes ou médianes. Il faudra travailler sur la transparence dans ce domaine et, éventuellement, prendre des sanctions.
Nous avons une obligation de progrès. On pourrait établir des classements, comme le baromètre Ethics and board, sur la place des femmes dans le top 100 des entreprises - mais, rappelons-le, ce baromètre ne traite pas des rémunérations. Il manque une réflexion plus globale sur l'impact de l'égalité professionnelle et de l'égalité de rémunération. Il faut avoir conscience du fait que lorsqu'on améliore les conditions de travail des femmes sur les chaînes de montage, par exemple en créant des outils de portabilité par exemple, on améliore aussi l'ergonomie pour les hommes moins costauds ou qui prennent de l'âge !
Il faut faire le même raisonnement à propos des temps de vie. Pour moi, il y a un droit individuel de chacun à la parentalité. La performance au travail est liée au réseau d'interdépendances, souvent prises en charge par les femmes. Si l'on prend en compte l'équilibre du temps de vie, on laisse du temps non seulement pour la vie familiale, mais aussi pour le mandat syndical, le sport, la récupération...
Lorsque les femmes sont arrivées en nombre dans le secteur médical, certains craignaient une dévaluation de l'exercice de la médecine. Certes, les femmes avec de jeunes enfants ont fait en sorte de ne pas avoir à se réveiller trois fois par nuit pour des urgences, et ont préféré se regrouper dans un cabinet où une personne par nuit gérait les urgences. Et d'ailleurs, avoir trois regards sur un même patient plutôt qu'un n'est pas forcément plus mal. Ce sont les conditions de l'exercice de la médecine qui changent, pas forcément sa qualité qui se déprécie...
À chaque fois qu'on met de l'égalité, on transforme les processus d'organisation et les modèles culturels. C'est valable dans tous les domaines. Cette problématique est insuffisamment traitée. On considère l'égalité comme un business case : mettez de l'égalité, votre chiffre d'affaires va augmenter. Et, en conséquence, les femmes sont recrutées pour leur valeur ajoutée. Elles ont été exclues du contrat social (cf. Rousseau) sous prétexte qu'elles étaient différentes et incapables de faire. Voilà qu'elles sont incluses précisément au motif qu'elles devraient être différentes, et donc complémentaires des hommes. Le talent des femmes est tellement repéré que des analystes mettent en évidence l'augmentation du PIB qui résulterait d'un taux d'activité des femmes équivalent à celui des hommes et de l'égalité de rémunération. Les inégalités de rémunération sont donc responsables d'un manque à gagner en cotisations sociales et en fiscalité, en talents, en absence d'équilibrage des compétences et en gâchis des capacités extrêmement pénalisant. Mais ne les traitons pas seulement par le prisme de la performance. Il s'agit aussi d'un modèle social à transformer. On ne peut faire la révolution numérique et la transition énergétique si l'on ne pose pas la question du salarié au travail. L'arrivée des femmes aux postes de gouvernance est un fait et les hommes auront moins accès à des postes de gouvernance. Mais est-ce une catastrophe ? Qu'est-ce qu'une belle carrière ? Là aussi, il y a une réflexion à mener. On pourrait avoir des postes de management, puis d'audit, avant de manager de nouveau, et différemment... Une carrière ne serait pas linéaire mais irait dans plusieurs directions. Il faut imaginer des conditions de travail et des carrières différentes.
Vous évoquiez le manque de moyens, sachez que je suis bénévole depuis cinq ans à mon poste...
Quant au cumul des discriminations, à la question de l'intersectionnalité, ils ne sont pas suffisamment étudiés - on parle de discrimination systémique, avec par exemple le cumul sexe, origine et âge. On a progressé sur la discrimination directe, mais la discrimination à raison du sexe est une discrimination indirecte. La discrimination systémique a un effet multiplicateur. Mais notez que le fait d'être une femme d'origine indienne travaillant dans l'informatique par exemple peut être un avantage, voyez à Bangalore...
Une table ronde, multilatérale, sur les violences sexistes et sexuelles se tiendra en janvier, et le CSEP est mobilisé. Tous les partenaires sociaux doivent envoyer leurs remarques à Muriel Pénicaud avant le 15 décembre. Je n'en sais pas plus.
La féminisation des titres de fonction est le B-A BA. Au Moyen-Âge, on féminisait de manière assez systématique. Vaugelas et Malherbe sont responsables de l'idéologie ayant imposé le masculin, le mâle étant considéré comme plus noble que la femelle. Au XIXe siècle, on disait encore la médecine et la médicineuse. L'introduction de l'école publique obligatoire à la fin XIXe siècle a abouti à simplifier les règles - et à les appauvrir. Contrairement à ce que prétendent les tenants du masculin, il n'y a pas de neutre dans la langue française.
Oui, au XXe siècle, elle a noyauté le sujet. Mais désormais, une femme fait bouger les choses de l'intérieur... Je suis partisane de l'écriture inclusive car elle donne de la visibilité aux femmes. Ajouter « .e » ou « .e.s » est certes long, mais au prix d'une contrainte légère, à laquelle on s'habitue car ce « point milieu » devient un réflexe ; on obtient des textes riches de toutes les différences, comme un tableau de Brueghel, qui font apparaître la multiplicité de la population, au lieu de la neutralité qui noyait la diversité. La règle de la proximité - on ne peut faire plus simple ! - a été utilisée par Ronsard. Elle s'imposera, je ne suis pas inquiète. Auparavant, l'absence de féminisation des fonctions représentait une inégalité de traitement entre madame la directrice d'école et madame le directeur d'une grande banque.
La montée en puissance de la parité réduit le sexisme. L'appropriation et la familiarisation avec des visages féminins réduit le sexisme, même si cela n'empêche pas des poches de résistance, des montées de la masculinisation et des poussées de peurs identitaires qui ressurgissent, comme la peur inspirée il y a quelques années par les ABCD de l'égalité. Non, ce n'est pas parce que l'on agit comme le font majoritairement les hommes à certains postes que l'on deviendra un homme... Faisons la différence entre l'identité et l'orientation sexuelle et l'identité sexuée. Les femmes et les hommes ne sont pas faits pareil mais peuvent faire pareil dans le monde du travail, quasiment à tous les postes. Cela ne doit pas créer de peurs identitaires.
Je vous remercie.
* 1 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
* 2 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi (dite loi Rebsamen).
* 3 Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle.
* 4 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
* 5 Loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.
* 6 Loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
* 7 Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté.
* 8 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
* 9 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.