Commission d'enquête état des forces de sécurité intérieure

Réunion du 7 mars 2018 à 15h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • militaire
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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux par l'audition du Défenseur des droits. Notre commission d'enquête s'efforce d'analyser les différents aspects de l'actuel sentiment de malaise qui semble régner au sein des forces de sécurité intérieure, d'en comprendre les causes et de proposer des pistes d'amélioration. Au titre de votre rôle en matière de déontologie des professionnels de la sécurité, vous êtes en position de nous éclairer sur l'un des aspects au moins que traite notre commission : celui des relations entre la police et la population. Le Défenseur des droits peut en effet être saisi par toute personne estimant avoir subi un usage disproportionné de la force, de la part des agents de la sécurité publique mais aussi de la sécurité privée. Nos auditions des agents forces de sécurité intérieure ont mis en lumière leur sentiment d'être confrontés à des délinquants de plus en plus violents mais aussi à une population souvent hostile. Vous pourrez ainsi compléter l'analyse en nous indiquant si, inversement, les citoyens se plaignent davantage ou non de l'attitude de ces agents. Je rappelle que nous avons une heure pour cette audition. Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié. Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité :

Levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, prête serment.

Je passe à présent la parole au rapporteur de notre commission.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Monsieur le Défenseur des droits, j'aurai plusieurs questions à vous adresser. Quelles sont actuellement les principaux sujets de plainte des citoyens à propos des forces de l'ordre ? Les gendarmes et les policiers sont-ils parfois amenés à vous saisir, comme citoyens ? Par ailleurs, le nombre de vos saisines correspond-il, selon vous, à la détérioration ou, le cas échéant, à l'amélioration des relations entre la police et la population ? Quels sont les résultats de votre enquête conduite début 2016 sur les contrôles d'identité, sont souvent présentés comme un sujet de discorde entre la police et la population ? Considérez-vous comme indispensable le récépissé que les forces de l'ordre considèrent comme une surcharge procédurale au détriment de l'opérationnel ? Que pensez-vous de l'utilisation des caméras portatives par les forces de l'ordre ? Celles-ci nous semblent à la fois protecteurs des citoyens et des forces de l'ordre lorsqu'elles sont injustement mises en cause. De façon plus générale, quelles sont les relations entre le Défenseur des droits et les forces de l'ordre ? Le Défenseur des droits dispense-t-il aux forces de l'ordre des formations relatives à ses compétences ? Pourriez-vous, le cas échéant, nous préciser la teneur de ces formations, ainsi que le nombre d'agents concernés ? Très souvent, les policiers nous ont fait part de leur perception d'un décalage entre la mise en exergue, par les institutions ou les médias, de débordements, certes condamnables, et le caractère finalement marginal de ces débordements, contrastant avec le climat d'hostilité générale et quotidienne dont ils sont victimes. Enfin, la commission d'enquête se rend prochainement à Calais, où vous vous êtes rendu en juin 2017. Quelle a été votre analyse de la situation sur le plan de l'organisation des forces de l'ordre ? En particulier, vous-a-t-il semblé que leurs agents étaient correctement encadrés ou suffisamment formés pour faire face à cette situation difficile ?

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

Vous avez bien défini notre mission. Depuis que je suis Défenseur des droits, voire depuis la création de cette instance il y a six ans, le nombre des saisines a considérablement augmenté pour désormais dépasser le millier. Parmi les cinq missions qui sont les nôtres, la part prise par l'enregistrement de réclamation est, de loin, la plus grande. La commission nationale de déontologie de la sécurité, auquel le Défenseur des droits a succédé, n'avait quant à elle enregistré que 250 réclamations, alors qu'existait, il est vrai, un filtre parlementaire. Ce chiffre est également représentatif des événements qui ont ponctué l'année 2016 ; les manifestations contre la loi travail ayant, à elles seules, induit plus d'une centaine de réclamations. Le recours des citoyens au Défenseur des droits est donc clairement en augmentation. Est-ce à dire qu'il est possible de se prononcer sur les relations entre la police et la population à l'aune de ce chiffre ? Force est de constater la différence entre la manifestation du 11 janvier 2015, qui témoignait de l'harmonie des citoyens avec leur police, et le malaise généralisé, deux années plus tard, au sein des forces de l'ordre, qui a motivé la création de cette commission d'enquête. Certains sujets suscitent manifestement un malaise entre la police et la population, sans pour autant légitimer le constat d'une perte de confiance de la population dans les forces de sécurité.

D'emblée, la question de la formation est essentielle. Dans toutes les relations que nous avons avec les représentants de la police nationale, de la gendarmerie nationale, des polices municipales, ou encore des gardiens de prisons ou des vigiles privés, le constat de l'insuffisance de la formation, tant initiale que continue, est posé. Le Défenseur essaie de participer à cette formation en sensibilisant, chaque année, les élèves-gardiens de la paix aux questions qui relèvent de sa compétence. Les moyens que l'État entend consacrer aux forces doivent également répondre à ces besoins de formation.

Je reviendrai sur six sujets. Le premier concerne le maintien de l'ordre ; sujet actuel puisque le Défenseur des droits a été saisi par le Président de l'Assemblée nationale d'une demande d'étude sur l'amélioration des méthodes et des principes de la doctrine du maintien de l'ordre dans notre pays. Notre rapport, récemment transmis au Président de Rugy, aborde le thème des « violences policières », ainsi que le contexte particulièrement tendu où évoluent les forces de l'ordre depuis ces trois dernières années. Le constat, tant chez les chercheurs que les acteurs du maintien de l'ordre, est unanime : les méthodes de maintien de l'ordre doivent évoluer vers plus d'accompagnement et contribuer davantage à l'apaisement ; cette tendance s'inscrivant dans la continuité de certaines expériences étrangères. Le renforcement de la formation initiale et continue de toutes les forces employées dans le maintien de l'ordre figure effectivement parmi les propositions de ce rapport. L'intervention de forces non dédiées dans des opérations de rétablissement de l'ordre suscite de nombreuses difficultés. L'utilisation des armes de force intermédiaire doit également évoluer. À cet égard, Bernard Cazeneuve, alors Ministre de l'intérieur, conformément à la recommandation du Défenseur des droits et après le drame du Barrage de Sivens en 2014, a décidé de la fin de l'usage des grenades offensives. D'ailleurs, plus de vingt réclamations concernent des personnes, décédées ou grièvement blessées, dans la plupart des cas, par des personnels non dédiés, ayant utilisé ces armes intermédiaires. Le Défenseur des droits a également demandé un moratoire pour l'utilisation de l'ensemble de ces armes. Les manifestations de 2016 et 2017 ont illustré la tendance à la pénalisation du maintien de l'ordre. Or, nous pensons qu'il faut plutôt recentrer le maintien de l'ordre sur des opérations de police administrative et veiller à mieux encadrer la possibilité de manifester, qui relève d'un droit fondamental. La Préfecture de police va dans ce sens et l'Institut national des hautes études judiciaires vient de lancer des études sur ce sujet. En s'inspirant de l'expérience d'autres pays et en utilisant davantage la communication et l'information préalable, il devrait être possible de contribuer significativement à l'apaisement et à la réduction des tensions. Cette démarche incombe aux ministères de l'intérieur et de la défense, qui ont connu des coupes budgétaires sévères, du fait de la révision générale des politiques publiques (RGPP) ; ce manque de moyens avivant les tensions actuelles.

Le deuxième sujet concerne les contrôles d'identité. Ceux-ci sont-ils conduits de manière discriminatoire ou avec objectivité ? D'une part, ces contrôles suscitent un grand nombre de réclamations, à l'instar des affaires fortement médiatisées, qui sont traitées à la fois au niveau judiciaire et en termes de déontologie policière. D'autre part, le récépissé n'est nullement la panacée. Ce qu'il faut, c'est pouvoir objectiver le choix de la personne contrôlée.

Pourquoi faut-il que dans un groupe de scolaires, en voyage de classe, seuls quelques-uns soient contrôlés, du fait de caractéristiques visibles évidentes ? Il est clair qu'un tel contrôle d'identité n'a pas été conduit de manière objective. Tel est ce que rappelle l'avis de la Cour de Cassation en 2017 qui confirme une décision de la Cour d'appel de Paris établissant la responsabilité pour faute de l'État lors d'un contrôle au faciès. Les personnes contrôlées doivent être informées sur le motif du contrôle. En outre, la traçabilité peut être assurée par d'autres voies que le récépissé, comme les nouvelles technologies, qui ont fait leurs preuves pour le contrôle des stationnements à Paris. Les caméras-piétons ont commencé à apporter une réponse et leur utilisation fait actuellement l'objet d'une évaluation conjointe au Défenseur des Droits, à la Gendarmerie et au Ministère de l'intérieur. L'utilisation de ces nouveaux instruments efficaces, au service des nouvelles compétences conférées, par la loi Savary, aux forces de sécurité des transports et à la police dans les gares et les trains, doit être évaluée. Globalement, la discrimination dans les contrôles d'identité a fait l'objet d'une étude sur 5 300 personnes publiée en janvier 2017 : ceux-ci ne concernent certes que 16 % de la population française, mais dans cet échantillon, 40 % des jeunes de 18 à 24 ans indiquent avoir été contrôlés, parmi lesquels les hommes perçus comme maghrébins ou noirs sont 80 % à avoir été contrôlés. Il y a là clairement un motif de discrimination. Le sujet des contrôles d'identité demeure irritant, parce que les représentants des forces de l'ordre invoquent leur nécessité pour conduire la politique du Gouvernement vis-à-vis des migrants. Or, comme le Défenseur des droits n'a eu de cesse de le rappeler depuis ces cinq dernières années, les conditions actuelles des contrôles d'identité créent un climat nocif qu'il serait possible d'améliorer, sans abaisser pour autant le niveau de sécurité.

Troisième sujet : les comportements discriminatoires de certains fonctionnaires que le Défenseur a dénoncé et pour lesquels il a demandé des sanctions disciplinaires. Ce type de comportements porte atteinte à l'image des forces de l'ordre et érode le lien de confiance avec la population. La formation doit jouer un rôle très important : ce qui n'est pas admissible chez un individu l'est moins encore, d'un point de vue déontologique, chez un membre des forces de l'ordre, dépositaire de l'autorité de l'État.

Quatrième sujet : Calais. En 2012, Dominique Baudis s'y était déjà rendu. En octobre 2015, j'ai remis un rapport sur ce sujet qui a conduit à l'établissement du camp de la Lande qui a cependant été démantelé l'année suivante. Entre 2014 et 2017, le Défenseur a ouvert 51 dossiers impliquant des agissements des forces de l'ordre sur cette zone et dans la plupart desquels la preuve des violences policières alléguées n'a pu être établie. L'avis du Défenseur des droits, rendu public en juin 2017, a ainsi donné lieu à toute une série d'avis. Il y a quinze jours encore, j'ai dépêché une mission pour évaluer la situation des plusieurs centaines de migrants implantés dans des campements et des bidonvilles notamment situés à Calais. Il est manifeste que les forces de sécurité, face aux migrants, que ce soit sous le métro parisien ou à Calais, demeurent laissées à elles-mêmes, faute de consignes fermes ou claires. Cette tâche est particulièrement difficile, puisqu'elle va à l'encontre des missions normales de protection assumées par la Police et la Gendarmerie. Sur le sol de France, ces migrants sont les personnes les plus vulnérables. Or, aujourd'hui, ce rôle essentiel de protection est largement occulté par la répression, via l'utilisation d'armes intermédiaires et suite aux consignes du Ministre de l'intérieur, visant à éviter l'implantation de ces personnes. Sept dossiers sont actuellement instruits par le pôle de déontologie du Défenseur des droits et un rapport retraçant les dernières visites des lieux d'implantation de migrants devrait être prochainement publié.

Cinquième sujet : le refus d'enregistrement de plaintes est récurrent, en matière notamment de harcèlement sexuel. En effet, il est très difficile pour les victimes de déposer plainte dans les brigades de gendarmerie ou au commissariat. En outre, lorsque le Défenseur des droits dénonce un manquement et demande une sanction disciplinaire, il n'obtient aucun retour que ce soit de l'Inspection générale de la Gendarmerie nationale ou de l'Inspection générale de la Police nationale. Une formation plus poussée à l'écoute et à l'enregistrement systématique des plaintes, alliée à une plus grande transparence du système disciplinaire, contribuerait à apaiser les esprits et infirmerait le sentiment, dans la population, d'une impunité des forces de l'ordre.

Je terminerai mon propos en évoquant l'état moral des forces de sécurité. L'augmentation du nombre de suicides, qui a concerné 47 policiers et 16 gendarmes, est à l'origine de la création de votre commission d'enquête. La lassitude ou la colère des membres des forces de l'ordre et de leurs conjoints s'explique notamment par leur sollicitation croissante. Certains comportements, relatés dans les dossiers enregistrés par le Défenseur des droits, peuvent s'expliquer par la fatigue physique et l'usure des personnels ; l'année 2016 étant particulièrement éprouvante, suite à la lutte contre le terrorisme, après les massacres du 13 novembre 2015, et aux différentes manifestations contre la loi travail, sans compter Nuit debout et Notre Dame des Landes, ou encore la situation des migrants. Pour preuve, le démantèlement du camp de la Lande a mobilisé des centaines d'effectifs. La pression exercée par la politique du chiffre participe également à ce climat. D'autre part, les forces de sécurité ne sont pas placées dans une situation homogène ; la réforme de 2009 n'ayant pas été poussée à son terme. En effet, subsistent des différences entre les fonctionnaires de la Police nationale et les militaires de la Gendarmerie, ainsi qu'entre territoires. Le directeur général de la Police nationale a envisagé la création en 2019 d'une académie de police destinée, je le cite, « à regrouper en un seul et même lieu la totalité des commissaires, des officiers et des gardiens de la paix, afin de faciliter le brassage, la connaissance et la reconnaissance mutuelle de l'ensemble des corps de police ». Une telle proposition souligne les différentes disparités entre les différents grades de la Police nationale qui transparaissent dans les dossiers que nous instruisons. De nombreux policiers éprouvent la violence et l'hostilité de la population. Est-ce à dire que le seuil de tolérance réciproque entre populations et forces de l'ordre s'est abaissé depuis ces vingt dernières années ? D'autres se sentent visés par des personnes cherchant à atteindre leur intégrité physique. Cette perception de la violence par les forces de l'ordre alimente leur sentiment d'insécurité et de peur.

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

À cela s'ajoute la perception que les violences visant les policiers sont moins réprimées et que la hiérarchie ne les soutient pas, ce qui avive un sentiment d'injustice. Tel est ce que les dossiers nous enseignent ! Enfin, je rappellerai que le Défenseur a instruit des dossiers de harcèlement sexuel à l'intérieur des forces de sécurité, parmi lesquels trois mettent en cause les militaires de la Gendarmerie nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Le Défenseur des droits est à l'écoute des plus faibles et plus vulnérables. Je déplore cependant la disparition du Défenseur des enfants !

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

La Défenseure des enfants n'est autre que mon adjointe et elle agit notamment en faveur des mineurs isolés dans votre département !

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

La discrimination existe, comme j'ai pu le constater à la fois comme adjointe chargée de la sécurité de la ville de Tourcoing et comme directrice des études de l'institut d'études judiciaires. Les étudiants des « minorités visibles », que vous évoquiez, ne trouvaient que très difficilement des stages à l'issue de leurs études. Mais dans un autre sens, j'ai pu mesurer la haine dans le regard des plus jeunes que je rappelais à l'ordre suite à des incivilités. Ce climat d'incompréhension relève d'un problème de société. Demander à la police de se rapprocher de la population est certes louable, mais sur le terrain, de nombreuses instances, comme les centres sociaux ou les écoles, fournissent aussi des repères. La police n'est pas la mieux placée pour jouer un tel rôle ! Les policiers étaient souvent victimes de guet-apens dans des zones urbaines prioritaires accueillant une forte concentration de populations d'origine étrangère ; ce qui explique certaines statistiques. Alors que la police municipale fonctionne de manière relativement transparente avec les élus, le fonctionnement des commissariats me semble beaucoup plus opaque.

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

Je suis d'accord avec vous. Il faut conserver au travail social toute son importance et toute sa valeur. L'administration, la police, n'a pas à assumer ce qui relève du travail social ! L'État, les départements et les communes doivent ainsi préserver la spécificité du travail social !

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Leroy

Au lieu d'entendre le Défenseur des droits, j'ai eu l'impression d'assister à une plaidoirie contre les membres des forces de l'ordre qui ne peuvent que saisir leur hiérarchie !

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

Ils peuvent également saisir le Défenseur des droits !

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Leroy

Très peu le font ! Le Défenseur des droits doit également être celui des forces de l'ordre. L'utilisation des forces non dédiées relève du commandement. Il faut distinguer entre le maintien de l'ordre, préventif, et le rétablissement de l'ordre, qui est offensif et où l'utilisation de forces non dédiées est source de dérapages. Votre noble mission devrait être de comprendre l'origine du désarroi éprouvé par les forces de l'ordre, à l'instar de ce qui s'est produit lors de l'affaire Théo, où privées du soutien de leur hiérarchie et de leur ministère, elles ont été systématiquement accusées. En outre, la formation continue existe dans la Gendarmerie et elle est permanente. Devenez le défenseur réel des droits des forces de sécurité plutôt que d'instruire leur procès !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain CAZABONNE

Les forces de l'ordre, lors des contrôles d'identité, sont souvent sur le qui-vive et font parfois preuve d'une grande nervosité qui nuit à leur relation avec la population. Une meilleure communication des motifs des contrôles permettrait sans doute de réduire ces tensions. Par ailleurs, ne pensez-vous pas que l'image de certains quartiers véhiculée par les médias avive parfois l'angoisse des forces de l'ordre qui y sont déployées ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Dans certaines zones urbaines, on peut parler de délit de contrôle au faciès qui vise les personnes d'origine maghrébine ou africaine. Cependant, les forces de l'ordre soulignent que cette pratique répond à la sociologie des personnes prévenues et que l'intensification de ces contrôles, selon ces critères, est nécessaire. Comment analysez-vous une telle situation ? Lorsque vous donnez un avis, votre objectivité est-elle étayée par des données quantitatives ? En outre, les policiers ne dissuadent-ils pas, en définitive, les citoyens de porter plainte, du fait du classement sans suite qui est susceptible d'intervenir ?

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

Dans le rapport que nous avons remis au Président de l'Assemblée nationale, nous avons souligné l'importance de faire assurer les opérations de rétablissement de l'ordre par des forces dédiées et de réduire le plus possible l'engagement de forces non spécialisées et impréparées. Deux éléments - l'un statistique et l'autre ponctuel - illustrent la position du Défenseur des droits vis-à-vis des forces de l'ordre : d'une part, dans moins de 10% des réclamations que nous traitons, nous dénonçons un manquement à la déontologie. Ce chiffre illustre notre impartialité. D'autre part, dans l'affaire de Sivens, en novembre 2016, soit deux ans après les faits, nous avons souligné que le gendarme incriminé avait respecté le cadre d'emploi, dans les circonstances nocturnes, de son arme, comme le confirmera ultérieurement le juge d'instruction. En revanche, après avoir exonéré la responsabilité du personnel de sécurité, le Défenseur des droits a souligné le défaut dans la chaîne de commandements à l'origine de cette affaire. C'est la raison pour laquelle Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'intérieur, a rappelé les règles de la présence des préfets sur les théâtres d'opération.

Les forces de l'ordre exercent un métier difficile, d'autant plus dans un contexte médiatique sensationnaliste qui rend nécessaire la transparence.

Vous venez de définir une discrimination, à l'instar de ce qu'avaient déclaré les représentants du ministère de l'intérieur pour légitimer les contrôles au faciès. Dans les 26 cas de discrimination visés par la loi, figurent l'appartenance religieuse, l'ethnie ou encore la couleur de peau. Il m'incombe, en tant que Défenseur de droits, de le rappeler.

Enfin, comme le souligne notamment la question du harcèlement sexuel suite à l'affaire Weinstein, le Parquet n'est pas en mesure de donner suite aux plaintes. Effectivement, cette incapacité est de nature à motiver un sentiment d'inutilité chez celui ou celle qui les enregistre. Les nouvelles technologies de dématérialisation ou de numérisation, comme le dépôt de pré-plaintes en ligne, permettraient de faire des progrès dans ce domaine. Toute personne, qui a le sentiment d'avoir été victime d'un agissement contraire au code pénal ou à la déontologie, doit avoir la possibilité de le signifier et de le voir enregistrer.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Merci, Monsieur le Ministre, pour votre intervention et à vos collaborateurs qui vous ont accompagné durant cette audition.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition des associations professionnelles nationales de militaires (APNM) de la gendarmerie.

Messieurs, vous représentez deux APNM actives au sein de la gendarmerie nationale. Je rappelle que ces associations ont été créées par la loi d'actualisation de la programmation militaire du 28 juillet 2015 et doivent permettre, selon les termes de cette loi, de « préserver et de promouvoir les intérêts des militaires en ce qui concerne la condition militaire ».

Notre commission d'enquête s'efforce d'analyser les différents aspects de l'actuel sentiment de malaise qui semble prévaloir au sein des forces de sécurité intérieure. Nous souhaiterions en conséquence que vous nous fassiez part de votre analyse sur l'état d'esprit actuel des personnels de la gendarmerie nationale, ainsi que sur les difficultés particulières qu'ils rencontreraient dans l'exercice de leurs missions.

Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Thierry Guerrero, Jean-Pierre Bleuzet et David Ramos prêtent serment.

Merci.

Je passe maintenant la parole au rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

La gendarmerie nationale a été, au cours des derniers mois, touchée par une vague de suicides, mais dans une moindre mesure par rapport à la police nationale. À quoi tient, selon vous, cette différence ? La gendarmerie présente-t-elle moins de facteurs de risques psycho-sociaux ? L'esprit de corps qui caractérise votre institution contribue-t-il à une meilleure prévention ? La gendarmerie nationale, en tant qu'institution, est-elle mieux dotée pour lutter contre les risques psycho-sociaux ?

Comment expliquez-vous l'absence de mouvements comparables à la « Mobilisation des policiers en colère » dans la gendarmerie ? Pensez-vous que cela soit lié au constat que j'évoquais précédemment, sur les risques psycho-sociaux, ou simplement à la culture militaire ?

Où en est-on de l'application à la gendarmerie du protocole social « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) du 11 avril 2016 ? Quel est l'état de la réflexion sur l'application à la gendarmerie nationale des dispositions de la directive européenne de 2003 relative au temps de travail ?

Nous avons pu constater que le moral des forces était souvent affecté par les conditions matérielles. En tant qu'élu local, je connais d'ailleurs les différences de conditions de vie des gendarmes logés dans des casernes mises à disposition par les collectivités territoriales et ceux logés par l'État...

Le moral peut également être affecté par le fonctionnement de la chaîne pénale, au sens large, qui participe à donner ou non du sens au travail des forces de sécurité intérieure. Nous savons que ces dernières consacrent environ deux tiers de leur temps à de la procédure et un tiers seulement à l'opérationnel. À cet égard, que pensez-vous de la réforme de la procédure pénale qui se profile ?

Enfin, la gendarmerie nationale a engagé des efforts en matière de proximité, par le biais de ses brigades de contact. Dans quelle mesure serez-vous impliqués dans la future police de sécurité du quotidien ?

Debut de section - Permalien
Thierry Guerrero

Je voudrais, à titre liminaire, apporter une précision sur les APNM. Ces associations sont récentes, mais l'expression des gendarmes de terrain a émergé il y a une dizaine d'années déjà, notamment sur l'Internet.

Les gendarmes expriment deux inquiétudes majeures : d'une part, leur retraite ; d'autre part, leurs conditions de travail, que l'on parle d'emploi, de matériel, d'immobilier. Certes, des améliorations notables ont été conduites au cours de la dernière décennie, avec une augmentation sensible des budgets, mais les difficultés persistent. Nous sommes, à cet égard, particulièrement inquiets des annonces faites par le Gouvernement dans le cadre du dernier budget. Or, nous le savons, les conditions de travail influent directement sur le moral des agents.

En ce qui concerne les suicides, il y en a effectivement moins que dans la police. Cela peut être en partie lié, comme vous le disiez, à l'esprit de corps. Mais cela tient surtout, à notre sens, aux différences de conditions de travail : la vie en caserne facilite la détection du mal-être d'un collègue, même si la culture au sein de la gendarmerie est encore imperméable à l'idée d'une possible faiblesse du gendarme.

Par ailleurs, le contexte de travail de la gendarmerie demeure différent : le travail en milieu urbain est plus difficile, le contact avec la population moins aisé. D'une manière générale, il nous semble que les policiers sont plus sollicités, même si, dans certains secteurs, le phénomène de la rurbanisation tend à rapprocher les conditions de travail du gendarme de celles du policier.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Bleuzet

Au sein de la gendarmerie nationale, des choses ont été faites en matière de prévention des risques psycho-sociaux et des suicides depuis 1998, mais un suicide est toujours de trop. Pour avoir une meilleure appréhension du phénomène, des études doivent être conduites sur plusieurs années ; c'est ce que nous avons essayé de faire au sein de GENDXXI, dans l'étude que nous avons publiée l'an passé.

Debut de section - Permalien
David Ramos

Nous mesurons la responsabilité qui est la nôtre, aujourd'hui, devant vous, tant le sujet est grave et ses conséquences terribles. Les suicides sont la conséquence d'une problématique multifactorielle complexe et dont les symptômes sont perçus, endurés et traités individuellement.

La thématique des suicides est un sujet que nous avons analysé dans le cadre d'une étude publiée l'année dernière. Elle s'attachait à démontrer que la population des « gendarmes » était plus touchée par ce fléau que la majorité de la population civile, exception faite des agriculteurs qui sont aujourd'hui le corps de métier où le taux de suicide est le plus élevé. Notre étude n'abordait pas de manière directe les éléments menant aux actes auto-agressifs mais évoquait l'étroite implication entre les facteurs personnels et les facteurs professionnels.

Choisir d'embrasser la carrière de gendarme, c'est bien plus qu'exercer un métier. C'est un mode de vie. Un gendarme a un lien au service de 96h par semaine en moyenne. Un tel taux de sujétion n'est possible que par la vie en caserne. De la formation initiale jusqu'à la retraite, le gendarme est un militaire qui vit sur son lieu de travail. Qu'il soit en quartier libre, en repos ou en permission, il est sollicité par la population civile qu'il protège, ou par ses camarades qui vont évoquer tel ou tel dossier. Nous disons souvent que le gendarme est un militaire qui est 7j/7 et 24h/24 sur son « territoire d'opération », avec sa famille. La famille subit directement les effets de la disponibilité des gendarmes, appels de nuits qui réveillent toute la famille, horaires à forte amplitude, inquiétude au départ de chaque intervention, sujétion forte.

Il est donc illusoire de penser que la sphère personnelle et la sphère professionnelle puissent être considérées comme deux choses indépendantes, imperméables. Parler de suicide consécutif à des « difficultés personnelles » pour un gendarme est un déni de la spécificité de notre métier.

Ce mode de fonctionnement, adossé à une importante culture militaire, est le socle de cet « esprit de corps » qui existe au sein de l'institution. Il est un pilier de la gendarmerie. Il permet à ces unités en sous-effectif chronique de tenir la mission, d'assurer la sécurité des français et il permet aux gendarmes de tenir.

Mais c'est également une arme à double tranchant. En effet, vivre sur son lieu de travail prend un autre sens lorsque vous êtes victime de menaces, de harcèlement par votre chef. Il n'existe plus de refuge, plus de barrière. Vous êtes au contact permanent de la source de vos angoisses et de votre mal-être. Ces dernières années, nous avons pu constater une hausse des conflits entre les militaires de terrain et les premiers échelons de commandement, qui doit légitimement poser la question de la sélection et de la formation des personnels titulaires d'un commandement. C'est un problème également lorsque votre logement est insalubre, et que vos conditions de vies sont dégradées.

Choisir d'embrasser la carrière de gendarme, c'est aussi une quête de sens. Vous avez choisi la voie d'un engagement au profit des citoyens, pour la République. Les termes « respect », « justice », « sacrifice » et « reconnaissance » ont un sens dans votre action quotidienne. Mais de nombreux gendarmes souffrent de la multiplication effrénée des « axes prioritaires », des « causes nationales », des « plans d'action », des « réformes pénales ». Tout est urgent, tout est prioritaire. Il ne perçoivent pas l'adéquation pourtant nécessaires à leur secteur, à leur moyens de ces décisions centrales, ils ne ressentent que les heures qui s'accumulent de service coordonné en service coordonné, d'indicateur chiffré en objectif implicite, avec des procédures toujours plus lourdes ou plus complexes, sans vrai formation continue.

Ils sont également sensibles au résultat de leur travail, et je ne parle pas là de statistiques, mais des peines prononcées sur le fondement des procédures judiciaires traitées par les gendarmes. Le Général Soubelet s'était fait l'écho de ce sentiment de peines inadaptées, et du sentiment d'impunité. Je tiens à préciser que, si le sentiment est toujours bien présent, les militaires de la gendarmerie ne sont pas dupes. Ils ne tiennent pas les magistrats pour responsables. Bien au contraire, ils partagent leur peine. Lorsque vous sollicitez début mars une convocation par officier de police judiciaire et que la date d'audience est en novembre, vous prenez vite conscience des contraintes qui pèsent sur le calendrier d'audiencement, vous comprenez le recours aux alternatives aux poursuites, vous comprenez que pour incarcérer un mis en cause, il va falloir libérer de la place dans les centres pénitentiaires. Aujourd'hui, un militaire a parfois l'impression de travailler pour rien. Il ne blâme pas les magistrats. Il voit un système à bout de souffle, qui est à saturation et qui, lui aussi, a urgemment besoin de moyens...

Les moyens sont une composante importante de la reconnaissance. En effet, lorsque vous êtes autant engagé que peut l'être un militaire de la gendarmerie, vous attendez des pouvoirs publics qu'ils vous donnent les moyens humains et matériels de remplir votre mission. Cependant, l'état des finances publiques a conduit à des choix budgétaires qui n'ont pas toujours été bien compris. L'état des véhicules, les dotations en carburant, les fournitures basiques comme le papier sont des postes sur lesquels les militaires ne comprennent pas que l'on puisse transiger.

Plus récemment, la répartition des effectifs se fait au détriment de la gendarmerie, sans que la décision ne soit explicitée. C'est d'autant plus problématique que la gendarmerie s'est montrée exemplaire dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, dans les opérations de transformation de poste ou dans l'adaptation des états-majors lors de la fusion des régions administratives. Demain, c'est la question des laboratoires qui va se poser alors que la gendarmerie s'est montrée efficiente avec l'accréditation des plateaux techniques et la mise en place d'un réseau de police technique et scientifique de proximité.

Les questions financières sont également sources de déceptions. GENDXXI est notamment intervenue au sujet des antennes GIGN qui sont en situation de décrochage, à mission équivalente, avec le RAID et la brigade de recherche et d'intervention de la préfecture de police de Paris (BRIPP). L'ajournement du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) a été également mal perçu. Enfin, certaines primes, telles que l'indemnité de fonction et de responsabilité (IFR) et la prime de résultats exceptionnels (PRE) posent de véritables questions de cohérence ou de légitimité. Sans parler de l'actuelle réforme des retraites qui inquiète et suscite des interrogations sur l'engagement et les sacrifices consentis par les militaires et la reconnaissance de la Nation qui en découle.

Je terminerai mon propos en évoquant les dispositifs mis en place pour détecter les personnels en difficultés et leur porter assistance. Si des efforts notables ont été faits en la matière par le biais de la mise en place des psychologues en régions, par le biais des cellules « Hygiène, sécurité, conditions de travail » (HSCT), par une meilleure prise en compte des risques psycho-sociaux, il s'agit de mesures à posteriori. Nous devons poursuivre cet effort en systématisant la recherche des causes, en étudiant les conditions de travail d'un militaire suicidaire ou suicidant et en tirant les conclusions qui s'imposent.

Nous souhaitons identifier et traiter les facteurs d'origine pour minimiser les effets. Il n'aura échappé à personne que GENDXXI est particulièrement impliquée dans les conditions de travail des gendarmes notamment dans le cadre de la transposition de la directive temps de travail, car nous pensons que le bien être des personnels passe par une meilleure prise en compte des temps de repos. Nous avons évoqué devant vous les notions de « sens de la mission », des « moyens » qui lui sont alloués, et de la « reconnaissance » qu'attend un militaire de la gendarmerie. Ces éléments sont des facteurs importants.

En interne, nous devons mener une réflexion sur la formation au management, sur la détection des personnels à risque et sur les processus internes d'analyses des causes. C'est un devoir que nous avons pour la mémoire des camarades qui nous ont quittés, pour les militaires en activités, pour les générations à venir.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Raimond-Pavero

J'aurais plusieurs questions à vous poser.

La semaine dernière, j'ai assisté, sur mon territoire, aux côtés des gendarmes, au lancement de la police de sécurité du quotidien. La mise en place de cette politique se fera-t-elle au détriment d'autres missions de la gendarmerie ?

Vous avez évoqué l'esprit de corps au sein de la gendarmerie ainsi que les plus grandes facilités, par rapport à la police, à détecter un camarade en difficulté, notamment du fait de la vie en caserne. Estimez-vous que les services de prévention à votre disposition soient aujourd'hui suffisants ? Comment améliorer l'accompagnement des agents ?

S'agissant par ailleurs du nouveau régime d'usage des armes, dont les conséquences sont décrites par certains comme dramatiques, il semblerait qu'il ait conduit, dans la pratique, de manière paradoxale, à une diminution de l'usage des armes. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

La ministre des armées, Mme Florence Parly, a récemment annoncé la mise en place d'un plan d'accompagnement des familles pour les militaires. Vous qui êtes également, dans le cadre de vos missions, régulièrement éloignés de vos familles, pensez-vous qu'un plan similaire soit souhaitable pour la gendarmerie nationale ?

Enfin, et ce sera ma dernière question, nous faisons le constat aujourd'hui d'une réponse pénale inadaptée. L'une des pistes de réforme annoncée concerne le développement du placement sous surveillance électronique. Que pensez-vous de cette mesure ? L'incarcération a le mérite de faire comprendre au délinquant qu'il a commis un délit. Mais qu'en est-il des peines alternatives ?

Debut de section - Permalien
Thierry Guerrero

S'agissant de votre première question, la police de sécurité du quotidien est l'ADN de la gendarmerie nationale. C'est l'essence même de son travail quotidien, notamment en raison de son implantation territoriale. Ce n'est, pour nous, ni une nouveauté, ni une révolution, mais plus un retour à ce qu'était la gendarmerie auparavant. Sur la question de l'efficacité des brigades de contact, attendons de voir les résultats.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Raimond-Pavero

Mais la mise en place de cette police de sécurité du quotidien se fera-t-elle aux dépens d'autres missions ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

C'était le reproche fait, en son temps, à la police de proximité : avoir soustrait des effectifs à la police d'intervention.

Debut de section - Permalien
Thierry Guerrero

Il est évident que les 2 500 postes annoncés seront insuffisants. En outre, il convient de rappeler que la transposition de la directive européenne sur le temps de travail a entraîné la perte d'environ 6 000 équivalents temps plein au sein de la gendarmerie.

Il y a également un enjeu de restructuration en interne, notamment de redécoupage territorial.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Vous aviez fait de nombreuses propositions sur la réforme de la procédure pénale. Avez-vous obtenu ce que vous souhaitiez, notamment dans l'objectif d'alléger la charge procédurale ?

Debut de section - Permalien
Thierry Guerrero

Non, les annonces ne vont pour l'instant pas assez loin. Bien évidemment, un équilibre doit être trouvé entre l'enjeu de simplification et la nécessaire protection des droits. Sur ce point, la dématérialisation des procédures constitue un véritable enjeu pour alléger les services. Elle doit être approfondie.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Bleuzet

Permettez-moi de vous donner un exemple. Sur une procédure de conduite en état d'ivresse, douze à treize pièces sont aujourd'hui nécessaires, là où il n'y en avait que six ou sept il y a dix ans. Or, la multiplication des pièces augmente les risques d'erreurs.

Afin de prendre à bras le corps cette question, nous sommes favorables, au sein de GENDXXI, à l'organisation d'une table-ronde réunissant tous les acteurs de la sécurité - policiers, gendarmes, douaniers, magistrats, représentants de l'administration pénitentiaire.

Debut de section - Permalien
David Ramos

Tout le monde traite des procédures judiciaires au sein d'une brigade territoriale, à l'exception des gendarmes adjoints volontaires. Tous les agents peuvent donc être amenés à traiter une procédure judiciaire de bout en bout. Les agents de police judiciaire sont sous le contrôle d'un officier de police judiciaire, mais d'un point de vue général, l'ensemble des unités élémentaires présentes sur une circonscription peut être amené à traiter ces affaires. Il y a un principe de subsidiarité et à partir d'un certain degré de gravité, cela peut être une brigade de recherche ou une section de recherche qui prendra le dossier en charge.

S'agissant des psychologues actuellement présents en gendarmerie, leur nombre est insuffisant. Il y a aujourd'hui un à deux psychologues par région, ce qui ne permet pas d'avoir une prise en charge et un suivi adaptés. Il y a par exemple une psychologue clinicienne à Clermont-Ferrand et deux à Lyon. Le problème de leur disponibilité peut être une barrière à la consultation. Ils tiennent des permanences sur l'ensemble des départements de France. Il y aurait toutefois matière à améliorer le dispositif en en augmentant le nombre.

Sur le régime d'usage des armes en gendarmerie, nous n'avons pas eu de réduction drastique des capacités.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Raimond-Pavero

Nous avons entendu, à l'occasion de l'une de nos auditions en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qu'il y avait des cas de réduction de l'usage des armes dans les armées.

Debut de section - Permalien
Thierry Guerrero

Nous n'avons pas d'informations sur le cadre d'usage des armes en gendarmerie, mais il semblerait que cette dernière ne soit pas concernée par ces éventuelles restrictions. Les cas d'usage des armes en gendarmerie n'ont, en tout état de cause, jamais été très nombreux. Il y a toutefois des problématiques géographiques particulières. En outre-mer, par exemple, les cas d'usage des armes sont récurrents, comme en Guyane, où j'ai été en poste pendant trois ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Leroy

Les cas d'usage des armes ne sont pas remis en question en gendarmerie. Ils le sont davantage en police, qui souhaiterait avoir le même cadre que celui de la gendarmerie.

Debut de section - Permalien
Frédéric Le Louette

Concernant le plan famille ; nous y sommes bien évidemment favorables et nous pensons notamment à nos camarades de la gendarmerie mobile qui sont en déplacement la plupart du temps. Nous pensons qu'il serait opportun de faire un grand plan d'aménagement comparable à celui prévu pour les armées.

Sur la délinquance, les annonces faites à Agen par le président de la République ont été une surprise, concernant notamment les peines en milieu ouvert. Lorsque Rachida Dati était garde des sceaux, il y avait eu une loi pour obliger l'aménagement de peine lorsque cette dernière était inférieure à 24 mois. Il pouvait s'agir par exemple de l'obligation de port d'un bracelet électronique. N'ayant pas lu le détail des annonces, je ne peux pas mesurer la portée de cette nouvelle mesure et la différence par rapport aux dispositions antérieures. Christiane Taubira, alors également garde des sceaux, avait aussi mis en oeuvre une disposition sur la prison en milieu ouvert, qui était sous-employée. La gendarmerie souhaite, dans tous les cas, qu'il y ait une réponse pénale ferme et effectivement appliquée. L'individualisation de la peine provient de l'autorité judiciaire qui a une connaissance des faits au pénal et de la situation sociale de l'intéressé. Nous souhaitons simplement que la peine soit effectivement et rapidement appliquée.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain CAZABONNE

J'ai bien compris que vous étiez absorbés par des tâches subalternes. Comme vous parlez librement, n'avez-vous pas le sentiment que l'un des principaux responsables est le législateur ? Les gendarmes me disent souvent avoir de nombreuses tâches et consultations inutiles rendues obligatoires par la loi. Je pense que nous sommes responsables car il faut arrêter de faire de la législation inutile. Je pense par exemple aux contrôles de navigation effectués par la gendarmerie sur les lacs, qui visent à vérifier la présence de fusées dans les embarcations, alors que l'obligation en question est supprimée quelques mois plus tard. Je pense que nous vous imposons des tâches qui ne sont pas nécessaires.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Bleuzet

Le problème est réel, et un gendarme de brigade est multitâche, contrairement à la police. Il peut traiter d'histoires de chasse, d'escroquerie, de coups et blessures, ou encore de viol. Ceci devient de plus en plus compliqué. Ceci est un peu différent en police, puisqu'il y a du travail en équipe. Le gendarme est parfois confronté à des questions diverses et variées, parfois techniques, qui peuvent dépasser ses compétences initiales.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Vous venez de faire une comparaison entre les méthodes des policiers et des gendarmes, en expliquant qu'au sein de la gendarmerie, vous preniez les affaires du début à la fin. Voyez-vous un avantage ou un inconvénient à ce qu'un dossier soit traité ainsi de bout en bout ou avez-vous un regard envieux sur les méthodes de travail de la police ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Le Louette

C'est un système à double tranchant. Le fait d'être un généraliste de la délinquance présente certains inconvénients ; il faut être compétent dans une multitude de domaines. Néanmoins, ceci a un impact très positif sur l'implication du militaire concerné. Lorsqu'il y a passage d'une affaire de service en service, ceci peut entrainer une moindre implication des agents.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Je souhaitais vous faire remarquer, ainsi qu'à mes collègues, que vous aviez employé plusieurs fois le terme de camarades, ce que je trouve particulièrement touchant. Ceci montre un qu'il existe au sein de votre institution un véritable esprit d'équipe et une relation humaine entre vous.

La deuxième chose que je souhaitais relever porte sur la déontologie. Je souhaitais savoir si, au cours de votre formation et de votre carrière, ces questions étaient évoquées.

Un troisième point me paraissant important est celui des femmes gendarme et de leur traitement au sein des casernes. Il y a quelquefois de jeunes familles déracinées ; la gendarmerie les épaule-t-elle, par le biais, par exemple, de la gestion de crèches ? Y-a-t-il une prise en charge de cette cellule familiale au sein de la caserne ?

Debut de section - Permalien
Thierry Guerrero

Cette vie de famille est prise en compte non pas par la gendarmerie en tant qu'institution, mais par la caserne. Il y a un soutien, de par la culture militaire. Il ne s'agit pas de quelque chose d'institutionnalisé mais de naturel, du fait de cette culture militaire.

S'agissant de la déontologie, cette dernière nous guide et nous motive toute notre carrière. Il faut bien comprendre qu'il s'agit là encore de quelque chose de culturel et d'ancré.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Je voudrais vous féliciter pour votre action et pour votre esprit de camaraderie. Il très agréable de vous entendre parler de vos collègues ainsi.

Je souhaitais parler du logement et notamment du casernement. Vous avez indiqué vous viviez ensemble, que vous travaillez et habitez sur le même lieu, même si vous faites des sorties. C'est une force, car lorsqu'un camarade est en détresse, vous avez la possibilité de le détecter et d'agir probablement plus facilement que la police nationale. Il y a toutefois un problème lié à l'état de l'immobilier ; pourquoi en est-on arrivés là ? L'avez-vous signalé suffisamment à l'avance ? En Gironde, par exemple, de nombreuses communes nous saisissent sur l'état de la gendarmerie.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Ayant dirigé un département pendant longtemps, je sais les efforts qui ont été faits par ces derniers en matière de construction de gendarmerie. Je crois qu'il y a une différence entre le patrimoine géré par les départements et celui géré par l'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

De fait, nombre de logements sont encore insalubres. Je pense par exemple à la caserne de Créon. Avez-vous, dans ce cas, des propositions alternatives ? Ce casernement n'est-il pas un problème aujourd'hui ?

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Bleuzet

Vous évoquez le logement de fonction, concédé par nécessité absolue de service. Les mentalités à ce sujet changent. Il y a évidemment de plus en plus de militaires qui commencent à se poser la question de la pertinence de ce logement. Je suis même étonné du fait que cette question se pose de plus en plus vite dans la carrière. Il est clair que le logement de fonction peut être un avantage, même si cela dépend de l'endroit et des casernes, car il y a encore de gros problèmes, comme à Satory.

Debut de section - Permalien
Thierry Guerrero

Il ne faut pas oublier que la caserne est la première chose que l'on voit en arrivant dans une unité. Lorsqu'on arrive, on est déraciné ; la caserne et le logement ont donc un impact important sur le moral du militaire. En arrivant devant une « ruine », le moral du gendarme et du conjoint peut être totalement sapé. Il reste donc un gros effort à faire.

Debut de section - Permalien
Frédéric Le Louette

Le système du logement concédé par nécessité absolue de service est indispensable au bon fonctionnement du service. A l'heure actuelle, nous ne souhaitons pas avoir de modification de ce régime. La solution de la réhabilitation, difficile car coûteuse, est la seule que nous soutenons.

Debut de section - Permalien
Thierry Guerrero

On peut très bien imaginer des casernes comportant des lieux de vie et de travail distincts. Il y a donc plusieurs pistes qui pourraient être envisagées.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Leroy

Il n'y a pas, en gendarmerie, l'équivalent du « Mouvement des policiers en colère » mais il y a eu, en 1988-1989, une colère des femmes de gendarmes exprimée dans la rue. Je rappelle que les gendarmes sont logés par nécessité absolue de service. Ceci fait partie des gènes de la gendarmerie. Si on enlève cela, on enlève l'âme de la gendarmerie.

Je voudrais également rappeler que la police de sécurité du quotidien ou la police de proximité sont dans les gènes de la gendarmerie. Auparavant, la gendarmerie faisait des tournées de communes, et les gendarmes étaient amenés à rencontrer tous les corps sociaux. Nous y revenons mais, pour que ce soit soutenable, cela implique de réduire les tâches pénales. La gendarmerie ne dit jamais non, et refuse aucune mission. Seul Denis Favier a eu le courage de défendre la gendarmerie sur ce point. Par ailleurs, 300 propositions ont été formulées, dont moins de 10 % ont été retenues. Nous devrions réfléchir au pourcentage de propositions qu'il faudrait retenir. Nous pourrions reprendre cet inventaire et voir les propositions qui permettraient d'améliorer la vie d'une des branches essentielles des forces de sécurité. Aujourd'hui, Richard Lizurey est également attaché à cette évolution.

Si les gendarmes ne sont pas aussi mal en point que les policiers, ils ne vont toutefois pas très bien. D'autres questions, comme celle des retraites, que nous n'avons pas eu le temps d'évoquer, sont également prégnantes. Le casernement, comme il a été dit, est une des causes essentielles du malaise.

Debut de section - Permalien
Jean-Pierre Bleuzet

Nous vous remercions de nous avoir reçus, et espérons vous avoir donné les informations les plus pertinentes possibles.

Debut de section - Permalien
Thierry Guerrero

Je vous remercie également, et vous rappelle que vous pouvez nous solliciter. Les APNM sont peut-être nouvelles réglementairement, mais disposent d'une grande expérience du terrain. Les informations que nous faisons remonter sont donc « brutes de décoffrage ».

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Merci, Messieurs, pour votre intervention.

La réunion est close à 18 h 15.