Mission d'information Développement de l'herboristerie

Réunion du 10 juillet 2018 à 18h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • médecin
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  • pharmacien
  • plante

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Louis-Jean de Nicolay

Je vous prie d'excuser Mme Imbert, présidente, retenue en séance publique. Nous recevons Mme Dominique Crémer, herboriste diplômée en Belgique où il existe un métier reconnu d'herboriste ; Mme Noémie Zapata, chargée d'études en anthropologie de la santé, et qui est notamment l'auteure d'une enquête sur les herboristeries à Madrid ; et Mme Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec, avec qui nous sommes en téléconférence. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est ouverte à la presse et au public.

Debut de section - Permalien
Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec (à distance)

La réglementation au Canada, et au Québec, se fait à la fois au niveau fédéral et provincial. Les règles fédérales encadrent les produits de santé naturels mis en vente. Le Gouvernement a tenté de les rendre plus strictes, mais nous sommes intervenus ! Cependant, avoir une source fiable d'information est, pour le consommateur, de première importance. Au niveau provincial, ce sont les thérapies qui sont réglementées, ce qui est plus problématique au Québec qu'ailleurs : en 1999, nous avons décidé de nous auto-réglementer et d'instaurer des formations sanctionnées par des examens afin d'accroître la sécurité des consommateurs. Pour autant, il n'est pas nécessaire de détenir une licence pour exercer.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis-Jean de Nicolay

La qualité de la transmission étant faible, certaines parties de votre propos nous ont échappé. Y a-t-il une liste des plantes autorisées au Canada ? Son respect est-il contrôlé ?

Debut de section - Permalien
Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec (à distance)

Oui, nous avons une nomenclature et, par rapport à l'Europe, peu de plantes sont interdites chez nous. Il est vrai que nous disposons pour chaque plante de monographies exposant les allégations thérapeutiques, et que nous accompagnons nos patients sur la durée.

Debut de section - Permalien
Dominique Crémer, herboriste diplômée en Belgique

En Belgique, voilà une vingtaine d'années qu'il existe un diplôme et une formation homologués par l'État. Deux structures s'occupent des plantes chez nous : Naredi, qui représente l'industrie, et Unadis, qui fédère les détaillants. Avant 1997, sous l'influence de l'association pharmaceutique belge, la ministre de la santé a rédigé une circulaire recensant la liste des végétaux pouvant être utilisés pour la fabrication de médicaments. Cette liste, qui comprenait le blé ou les carottes, ne comportait pas de champignons - et, pour la vente libre, le principe était « pas vu, pas pris » !

Puis, la détection de plantes toxiques dans des boissons stimulantes a conduit - nous étions encore avant la crise de la vache folle - à l'arrêté royal du 29 août 1997 relatif à la fabrication et au commerce de denrées alimentaires composées de ou contenant des plantes ou des préparations de plantes, qui prévoit une procédure de notification avant la mise sur le marché : ainsi, le ministère de la santé doit autoriser le produit, ce qui est très important pour sécuriser le vendeur, qui peut aussi consulter les informations utiles sur un site internet. Cet arrêté prévoit des exigences sur l'étiquetage et la publicité. Son annexe comporte trois listes : la première recense les plantes interdites comme denrées alimentaires ou dans les denrées alimentaires ; la deuxième, les champignons comestibles ; la troisième, les plantes autorisées. Et une méthode d'analyse conseillée pour les plantes autorisées est élaborée pour les transformateurs et les fabricants de compléments alimentaires. Depuis 2000, c'est l'agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire qui effectue les contrôles.

Le ministre peut subordonner le commerce de certaines plantes et préparations de plantes, sous forme pré-dosée ou non, à la détention de diplômes ou attestations déterminés. La formation au métier d'herboriste est effectuée par le Vizo, qui est un organisme de formation permanente flamand, par Naredi ou par l'institut de formation en alternance, qui forme notamment aux métiers comme la boulangerie ou la coiffure. La formation dispensée est homologuée par l'État. Herboriste n'est pas une profession réglementée, comme le sont la médecine ou la pharmacie, régies par la loi sur l'art de guérir et le ministère de la santé. L'herboristerie, elle, dépend du ministère des affaires économiques. Pour autant, la formation nous apprend à se détacher des objectifs économiques, pour éviter les accidents. Il m'arrive souvent, par exemple, de refuser de vendre certains produits qui nuiraient à ceux qui veulent les acquérir.

La formation dispensée apprend à gérer une entreprise. Les cours y sont donnés par des professionnels de haut niveau et motivés : pharmaciens, médecins, botanistes, biochimistes... De fait, nous ne sommes pas en concurrence avec les pharmaciens. Nos ennemis sont plutôt les vendeurs non diplômés, car notre objectif premier est la sécurité de nos clients.

L'herboriste, dans la définition retenue par cette formation, n'est pas un thérapeute. C'est un conseiller. Il nous est interdit de recevoir dans un cabinet, de poser un diagnostic ou de faire une prescription, sous peine de sanctions pénales. Nous proposons, en fait, des alternatives aux médicaments, souvent avec l'accord du médecin. Certains herboristes travaillent en officine, pour aider le pharmacien à gérer la croissance de ce marché. Tous, en tous cas, affichent clairement leur diplôme, et s'en tiennent aux limites claires posées par la définition :

« L'herboriste est un professionnel du bien-être à part entière. En tant que détaillant, il assure le conseil et la vente de produits de bien-être, le plus souvent à base de plantes et de substances naturelles voire issues de l'agriculture biologique. Il veille à répondre très précisément à la demande du client par le choix d'un produit bien adapté, tout en étant conscient des limites d'utilisation et des risques liés à une utilisation abusive - personnes à risque, autres médications, etc. Le cas échéant, il est amené à dispenser des conseils d'hygiène de vie. Dans un contexte plus large, l'herboriste peut être amené à récolter et transformer les plantes dans le respect des règles de sécurité, d'hygiène et de protection de l'environnement. Pour ce faire, il utilise des techniques de protections adéquates et suit rigoureusement toutes les procédures de fabrication et de contrôle de qualité. Le métier d'herboriste requiert de la part de ceux et celles qui l'exercent : une excellente connaissance des plantes et de toutes les autres substances végétales, minérales ou animales utilisées, de leurs propriétés médicinales et du bien-fondé de celles-ci ; des connaissances de diététique et de physiologie ; une capacité à veiller à la bonne gestion quotidienne de son entreprise. »

Depuis 2009, un nouveau référentiel est en vigueur, qui tient compte des évolutions récentes du marché et du métier, notamment avec l'usage d'internet par les clients. La formation dure deux ans, à raison de deux soirées par semaine, soit un total de 550 heures. Il faut être bachelier pour y accéder, mais elle part des bases, et aucun prérequis scientifique n'est donc fixé. Elle se double de 40 heures de stage en magasin ou en industrie. Le mieux est d'essayer les deux. La difficulté du métier est de savoir poser les bonnes questions aux clients, tout en faisant preuve de la retenue indispensable. Pour obtenir le diplôme, il faut réussir les examens à la fin de chaque module, faire état d'une prestation de stage et passer l'examen intégré, qui consiste en la préparation de la monographie d'une plante et en sa présentation orale devant des spécialistes, en une mise en situation permettant de s'assurer que l'impétrant saura mettre le client en garde contre d'éventuelles contre-indications et s'en tenir à sa fonction de conseil, et en le dépôt et la présentation par oral d'un projet d'entreprise. Ces projets peuvent être l'ouverture d'une herboristerie mais aussi d'un laboratoire de transformation ou de culture.

L'objectif est de former des herboristes-conseils compétents, responsables et capables de prévenir toute mauvaise utilisation des produits contenant des plantes, et non des thérapeutes. Cela est clairement exposé lors d'une séance d'information préalable à l'inscription, ce qui en décourage toujours quelques-uns ! Les herboristes, à l'instar des pharmaciens, n'ont pas le droit de poser un diagnostic ni de prescrire, mais doivent orienter les clients vers l'utilisation judicieuse des plantes médicinales et des produits qui en contiennent. Ils ne font pas de préparations, c'est-à-dire qu'en dehors d'un laboratoire de transformation dûment déclaré au ministère de la santé, ils ne peuvent pas modifier le conditionnement dans lequel les produits leur sont livrés.

Chaque année, plusieurs dizaines d'herboristes sont diplômés, ce qui garantit le sérieux de la profession, la sécurité des consommateurs et le développement des entreprises du secteur. D'autres structures dispensent des formations en herboristerie, mais celles-ci ne sont ni contrôlées ni homologuées.

Un projet de collaboration entre la Belgique, la France et l'Italie a été lancé : le projet Belfrit. Il a conduit à une adaptation de l'arrêté royal sur les plantes en 2017. Son succès aurait pour effet d'uniformiser les procédures de notification en Europe.

Debut de section - Permalien
Noémie Zapata, chargée d'études en anthropologie de la santé

Je précise d'emblée que je ne suis pas espagnole mais que, faute de pouvoir exprimer ma vocation d'herboriste en France, j'avais formé le projet d'exercer ce métier en Espagne. En tous cas, j'y ai mené une enquête ethnographique dans le cadre de mon parcours universitaire en anthropologie il y a onze ans, et je l'ai récemment réactualisée en me rendant en Catalogne. Si l'herboristerie existe bien en Espagne, elle n'y revêt pas les formes que lui confèrent les représentations traditionnelles. Les herboristes tiennent en général un magasin d'alimentation biologique et diététique, où ils proposent des plantes médicinales sèches sous toutes leurs formes. En vingt ans, le métier s'est beaucoup diversifié, comme je l'ai constaté chez Trinidad, qui tient la plus ancienne herboristerie de Barcelone, où il n'existe plus que quelques herboristeries traditionnelles du même type. Ce n'est certes pas par plaisir que les herboristes se consacrent désormais à l'alimentation biologique ; c'est que la vente de plantes médicinales sèches ne paie plus : elle représente moins de 1 % de leur chiffre d'affaires.

Les herboristes sont souvent des petits commerçants, qui, pour l'essentiel, emploient moins de cinq salariés. Moins de la moitié d'entre eux sont installés depuis une dizaine d'années. Il s'agit donc d'une activité commerciale relativement précarisée et peu viable, car menacée par l'émergence de franchises, d'où la fermeture constatée de certains commerces. Cette activité commerciale ne relève pas de la législation de la santé et du paramédical. L'absence de formation et de qualification obligatoires pose problème et préoccupe grandement les herboristes.

La communauté herboriste regroupe des profils différents. Certains ont reçu un enseignement spécifique et ont une vraie conscience éthique sur la transmission des savoirs. D'autres sont des entrepreneurs de la santé et du bien-être, qui, malgré leurs compétences, n'ont pas forcément le recul nécessaire.

La loi du médicament de 1990 est la législation la plus récente sur le commerce des plantes médicinales. Elle autorise la vente des plantes médicinales sèches ou fraîches, en vrac, sous certaines conditions. Elle interdit de vendre des plantes médicinales présentant un fort risque de toxicité, de pratiquer la vente ambulante, de préparer des formes galéniques, des gélules, de faire des allégations thérapeutiques.

En Espagne, il a fallu attendre 2004 pour que le gouvernement édite la fameuse liste de plantes toxiques interdites à la vente libre. Pendant quatorze ans, ce fut le flou total, favorisant le maintien des pratiques passées. Dans cette liste figurent : les psychotropes et stupéfiants ; les espèces végétales reconnues comme étant la matière première de médicaments, à l'image de la digitale ; les laxatifs drastiques, comme la cascara sagrada ou le nerprun ; les plantes venimeuses ; les plantes présentant un problème de sécurité ; les plantes ayant une classification douteuse, dont la badiane et le séneçon.

La préoccupation centrale de la communauté des herboristes est liée au manque de formation. Si le secteur s'est organisé dès 1977 à Madrid, les nombreuses associations d'herboristes et de diététiciens, car elles vont souvent ensemble, ont du mal à se fédérer compte tenu de l'organisation administrative du pays en dix-sept communautés autonomes.

Dans le paysage des thérapies naturelles, l'Espagne n'est pas un exemple à suivre. Elle ne reconnaît pas l'ostéopathie. Pour la médecine, la pharmacie, les métiers de la diététique et de la nutrition, la formation universitaire est semblable à la France. Il reste possible pour les médecins de se spécialiser dans la phytothérapie, même si le nombre de formations est restreint.

Depuis une dizaine d'années, le scepticisme, voire la peur, à l'égard de l'homéopathie ou de l'acupuncture, a gagné la communauté médicale, poussant de nombreuses universités à arrêter les formations dans ces domaines. L'Ined, l'Institut national d'enseignement à distance, propose des diplômes de niveau bac+5 en phytothérapie, plutôt généralistes. La Catalogne est la plus avancée et propose un master en phytothérapie à distance, sur deux années. Cette formation est accessible à toutes les personnes justifiant d'un diplôme de niveau bac+4 ou bac+5. Depuis 2015, il existe un métier d'artisan herboriste, accessible après examen. Cette petite avancée juridique, assurant une reconnaissance des compétences en matière de préparation de plantes médicinales, a été accueillie avec enthousiasme.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Merci de vos interventions.

Madame Gagnon, êtes-vous effectivement « herbaliste » ?

Debut de section - Permalien
Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec (à distance)

Le terme d'herbaliste n'est pas utilisé au Québec et je n'en connais pas la définition précise. C'est le français Christophe Bernard qui se qualifie comme tel. Il a fait sa formation aux États-Unis, qui ressemble plus à celles que nous dispensons, à savoir entre 1 500 et 2 000 heures d'enseignement.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Je vous ai posé la question, car je suis tombé sur une brochure qui vous définissait comme herbaliste. Outre votre qualité d'herboriste et de présidente de la guilde des herboristes du Québec, vous dirigez l'école FloraMedicina. Le diplôme d'herboriste sanctionne-t-il une formation diplômante ? Le métier est-il reconnu ?

Debut de section - Permalien
Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec (à distance)

Il n'y a pas de reconnaissance du métier, qui n'appartient à aucun ordre professionnel. Nos membres pratiquent l'autogestion, l'autorégulation. Il y a un consensus parmi nous sur ce que doit recouvrir la formation d'herboriste, qui est aussi un conseiller en santé. Nous non plus n'avons pas le droit de poser des diagnostics ni de faire des prescriptions.

Nous consacrons entre une heure et une heure et demie à chacun de nos clients, pour les accompagner dans une démarche thérapeutique. La formation s'appuie sur des enseignements assez poussés en matière de physiologie, de plantes, de pathologies, de diététique, de relationnel. Je le redis, nous ne faisons pas de psychologie.

Notre approche de la pratique clinique, de l'accompagnement, du regard sur l'autre est le fruit d'un héritage mixte, s'inspirant à la fois de l'herboristerie française, de ce qui se fait en Amérique du Nord, ainsi que de la médecine chinoise et de la médecine traditionnelle indienne, l'ayurveda.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Dans les trois pays que vous représentez, quel type de relations y a-t-il entre la profession d'herboriste, reconnue ou non, et la profession de pharmacien ?

Debut de section - Permalien
Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec (à distance)

Le métier d'herboriste se pratique surtout en privé. Les professionnels présents en boutiques n'ont pas tous suivi la formation de cinq ans nécessaire. Il arrive que des plantes médicinales soient vendues sous forme de gélules en pharmacies. En tant que thérapeute, je m'efforce le plus possible, dans une démarche collaborative, d'aller parler aux pharmaciens de mes clients : l'objectif est de nous assurer qu'il n'y a pas d'interaction négative avec un traitement médicamenteux.

Debut de section - Permalien
Dominique Crémer, herboriste diplômée en Belgique

En Belgique, cela se passe en bonne concurrence, si je puis dire, tout du moins en bonne intelligence. En général, herboristes et pharmaciens se connaissent. Il n'y pas de problèmes tant que chacun reste à sa place : l'herboriste n'est qu'herboriste.

Pour le moment, la Belgique reconnaît la formation, le diplôme, mais pas la profession, ce qui donne de l'eau au moulin de ses détracteurs. C'est dans la durée que nous montrerons le bien-fondé de notre travail. Déjà, il n'y a plus d'accidents, du fait, notamment, de la réglementation sur les plantes. Qui plus est, les pharmaciens n'ont pas constaté de baisse de leurs ventes. Certains d'entre eux emploient même des herboristes diplômés.

Chez les nutrithérapeutes, tous n'ont pas une formation reconnue, ce qui peut provoquer des tensions avec les diététiciens. Cela vaut pour tous les métiers liés à la santé.

En vingt ans d'expérience, je n'ai jamais eu le moindre problème avec les pharmaciens, bien au contraire. Je n'hésite pas à conseiller à mes clients certains produits vendus uniquement en pharmacies. Et la réciproque est vraie.

Debut de section - Permalien
Noémie Zapata, chargée d'études en anthropologie de la santé

Je rejoins les propos de Dominique Crémer, il n'y a pas de situation de concurrence entre pharmaciens et herboristes. Le consommateur espagnol trouvera plus légitime de se rendre dans une herboristerie plutôt qu'en pharmacie pour s'approvisionner en plantes médicinales. Les tensions se cristallisent davantage avec l'industrie pharmaceutique, très méfiante à l'égard des herboristes.

De ce que j'ai pu observer, les relations restent cordiales, dans la mesure où chacun fait son travail. Certains pharmaciens reconnaissent même la qualité du travail de conseil des herboristes. Tous voient d'un mauvais oeil les vendeurs de plantes sur les marchés, qui bravent l'interdit de la vente ambulante. Ce non-respect de l'herboristerie traditionnelle porte atteinte à l'ensemble de la communauté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Gontard

La limite entre prescription et orientation peut être assez floue. Comment arrivez-vous à la gérer au quotidien ? Une personne qui se rend dans une boutique parce qu'elle n'arrive pas à dormir se voit conseiller de prendre une tisane : est-ce de l'orientation ou de la prescription ?

S'agissant des relations avec les pharmaciens et les médecins, notamment en Belgique, où la profession d'herboriste semble plus encadrée, les premiers ont-ils pris l'habitude de prescrire des plantes ou d'orienter vers un herboriste ? En France, ce n'est que très rarement le cas.

En Espagne, y a-t-il une réflexion pour aller vers la reconnaissance du métier d'herboriste, pour changer la réglementation, dans un sens ou dans l'autre ?

Debut de section - Permalien
Dominique Crémer, herboriste diplômée en Belgique

Pour ce qui est de la limite entre la prescription et le conseil, je reprendrai votre exemple de la personne qui a des difficultés à dormir. Pour ma part, je vais d'abord essayer d'en savoir plus, tant il y a pléthore de plantes disponibles, et, la plupart du temps, je conseillerai plusieurs possibilités. La discussion peut se prolonger, parce que, souvent, la personne a besoin de parler et que son insomnie cache autre chose. Cela étant, je me limite à ce que je sais faire.

Nous sommes véritablement davantage dans le cadre du conseil que de la prescription. Je me contente d'insister sur le nécessaire respect de ce qui est indiqué sur les boîtes ou l'emballage. Recommander des dosages plus élevés est ridicule. La personne qui vient nous voir a une demande précise à formuler. Nous avons un rôle d'aiguilleur, mais il nous est interdit de recevoir nos clients dans une pièce à part : tout se passe en boutique, ce qui limite les possibilités de consultation.

Si certains pharmaciens orientent vers des plantes, la demande vient le plus souvent des clients eux-mêmes. Quand le produit n'est pas disponible, il arrive que le professionnel me le commande ou m'adresse la personne concernée. L'objectif tant du médecin que du pharmacien est de répondre à la demande du patient, du client, faute de quoi il risque de le perdre. Personne n'est dupe de ce point de vue.

Debut de section - Permalien
Noémie Zapata, chargée d'études en anthropologie de la santé

La situation est semblable en Espagne. Les herboristes jouent constamment sur le fil de cette limite entre orientation et prescription. Derrière leur comptoir, ils doivent réguler les savoirs et alerter leurs clients, qui parfois arrivent avec des idées toutes faites, sur la dangerosité de telle ou telle plante. L'art de l'herboriste, qui est aussi un commerçant, est de bien conseiller, quand bien même le conseil n'a aucune incidence sur le projet d'achat du consommateur. De manière officieuse, le rôle de prescripteur de l'herboriste est reconnu, y compris par les médecins et pharmaciens. Cela ne pose, a priori, pas trop de problèmes.

À ma connaissance, il n'y a pas de projet de réglementation. Chaque communauté autonome réfléchit à une possible reconnaissance du métier d'herboriste, en tout cas des habiletés requises sur le plan technique pour l'exercer, lesquelles sont liées à la transformation des plantes médicinales. Mais l'objectif n'est pas forcément de reconnaître le commerce herboriste. J'ai cité l'exemple de la Catalogne, qui reconnaît depuis très récemment le métier d'artisan herboriste. Dans d'autres communautés autonomes, la reconnaissance de ces compétences se fait plutôt au niveau de l'artisanat alimentaire, basculant ainsi du côté des producteurs et des cueilleurs de plantes médicinales, métiers auxquels les commerçants herboristes espagnols ne sont pas formés. Cela reste, comme en France, très sectorisé.

S'exprime actuellement un intérêt pour revaloriser ces savoir-faire, dans la volonté de redynamiser le milieu rural. La production de plantes médicinales et aromatiques est un secteur encore peu représenté. Les gros producteurs travaillant à l'échelle industrielle sont plutôt spécialisés dans la monoculture. Les petits producteurs, également cueilleurs, sont minoritaires et proposent d'autres activités, telle que l'hébergement touristique, des ateliers de sensibilisation à la nature, dans le cadre notamment de jardins ethnobotaniques, très à la mode en Espagne. C'est peut-être pour les soutenir qu'un projet de législation verra le jour.

Debut de section - Permalien
Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec (à distance)

En France, les produits de l'herboristerie, à l'instar de la valériane, étant disponibles en vente libre, le consommateur n'a pas à passer par un intervenant médical ou un herboriste pour se les procurer. Dès lors, le rôle de l'herboriste est d'aider le consommateur à bien choisir en fonction de sa situation personnelle. Même l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, le souligne, nombreuses sont les personnes à se dire insatisfaites des médicaments et à chercher une solution de remplacement. Si la valériane, associée au houblon, constitue un traitement efficace contre l'insomnie, mon rôle, en tant qu'herboriste, est de vérifier qu'il est adapté au cas de la personne qui est en face de moi.

Les médecins et les pharmaciens avec qui je travaille ne sont pas formés. Nos métiers sont donc complémentaires. La stratégie de l'OMS pour la médecine traditionnelle pour 2014-2023 donne des balises intéressantes en vue d'aider à la reconnaissance de tous ces savoirs.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

On met souvent en avant les risques liés à l'usage des plantes qu'il y aurait sur la santé. En tant que professionnelles, pouvez-vous nous dire si des accidents surviennent liés au métier d'herboriste ?

Debut de section - Permalien
Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec (à distance)

Il m'est parfois demandé : « Mais où sont les cadavres ? ». Certains se plaisent en effet à invoquer le grand danger des plantes médicinales. Voilà quelques années, les critiques portaient sur l'inefficacité des plantes médicinales, pas sur leur dangerosité.

L'innocuité des plantes médicinales est indéniable. Même en comparaison de la prise excessive de caféine, les risques sont moindres. Je le répète, le rapport entre les risques et les bénéfices est excellent. Les plantes médicinales sont notamment bénéfiques aux personnes souffrant du foie ou des reins, aux femmes enceintes, aux bébés. Depuis la nouvelle réglementation en vigueur au Canada et aux États-Unis sur les produits de santé naturels et les plantes médicinales, les cas d'interactions ou de réactions néfastes sont extrêmement rares. Lorsque cela se produit, c'est souvent dû à une consommation abusive de la plante, du point de vue soit quantitatif soit qualitatif, donc à un défaut de conseil. Un tel problème de traçabilité ou de qualité du produit, une bonne législation peut l'encadrer.

Il arrive également qu'une personne abandonne son traitement médicamenteux par volonté de se soigner uniquement de façon naturelle. Or un diabétique qui cesse les injections d'insuline, par exemple, court un grave danger. Les professionnels conscients de ces risques permettent d'éviter les erreurs et de faire les bons choix, en vue de consommer en toute sécurité les plantes médicinales.

Debut de section - Permalien
Dominique Crémer, herboriste diplômée en Belgique

J'abonderai dans le même sens. Avant même le début de la formation, nous précisons d'emblée, dès la première séance d'information, que nous ne formons pas des thérapeutes. Cela permet d'écarter toutes les personnes qui se complaisent dans une attitude par trop militante, criant haro sur le monde médical ou pharmaceutique.

Il m'est arrivé de dire à des personnes qui se présentaient dans mon commerce que je ne pouvais rien pour elles et qu'elles devaient aller voir leur médecin pour se faire prescrire un médicament, car une plante ne suffirait pas à les soigner. Je me souviens d'une femme et de son enfant souffrant de troubles respiratoires et de réactions inflammatoires, à qui j'ai refusé de donner en plus un traitement à base de plantes.

Nous devons pouvoir refuser une vente, poser une limite. Certes, nous faisons du commerce, mais il s'agit de prendre notre métier au sérieux : nous jouons avec la santé des gens. À l'évidence, nul ne peut empêcher les déviances dans les pratiques quotidiennes, mais, comme dans tous les métiers, un diplôme n'est jamais une assurance tous risques.

Nous travaillons à une nouvelle uniformisation de la formation entre la Wallonie et la Flandre, justement pour inciter les autorités publiques à reconnaître notre métier. C'est une question de santé publique. Ne laissons pas les charlatans prospérer, notamment sur internet. Il nous faut être encore plus stricts. D'où l'idée de nous intéresser à ce qui se fait en Allemagne avec les Heilpraktiker, totalement intégrés au système de santé publique.

Mme Gagnon le rappelait, la réglementation sur les produits en amont est très importante : les contre-indications sont mentionnées sur les emballages ; c'est une obligation européenne. D'où l'importance d'anticiper, de mettre en garde et de bien conseiller. Par exemple, si une personne qui prend du gingko biloba est sur le point de se faire opérer, il importe de lui dire de bien prévenir l'anesthésiste et le chirurgien, car cette plante est susceptible de liquéfier le sang. De même, la prise simultanée d'un psychotrope et de millepertuis ou de ginseng n'est pas toujours conseillée. C'est aussi ce qui permet de garder ces produits en vente libre et accessibles au plus grand nombre.

Debut de section - Permalien
Noémie Zapata, chargée d'études en anthropologie de la santé

Les herboristes espagnols sont eux aussi clairement conscients du risque de toxicité. Mais ce dernier n'est pas plus important que dans le cadre des produits médicamenteux classiques.

Souvent, une personne se rend dans une herboristerie soit avant d'aller consulter un médecin, soit parce qu'elle a fait le tour de la médecine allopathique sans trouver de réponse. Il est fréquemment recouru à la phytothérapie pour soigner des maladies chroniques et limiter des traitements médicamenteux allopathiques beaucoup plus lourds et aux nombreux effets secondaires.

Je n'ai pas eu connaissance de problématiques de mortalité liée à l'herboristerie. Cette crainte de la toxicité et ce doute sur l'efficacité viennent nourrir le discours contre la reconnaissance des médecines complémentaires, notamment de l'herboristerie. J'évoquais ce mouvement très fort de discrédit actuellement à l'oeuvre. Au sein du collège des médecins s'est créé un observatoire pour dénoncer les dérives du charlatanisme. Le ministère de la santé a identifié 139 thérapies douteuses, dont l'acupuncture, l'homéopathie, la médecine anthroposophique, plus aisément reconnues en France. Un collectif a même organisé une mise en scène voilà deux ans autour d'une tentative de suicide aux granules homéopathiques, justement pour dénoncer l'inefficacité prétendue de ces produits.

On ne prend pas les herboristes suffisamment au sérieux, on ne leur donne que trop peu de moyens pour exercer cette activité proche de celle du thérapeute, même si, en Espagne, il n'y aucune volonté des herboristes de se substituer aux médecins. Si vous ajoutez à cela les critiques sur la toxicité, l'herboristerie devient un sujet de crispation politique.

Debut de section - Permalien
Caroline Gagnon, présidente de la guilde des herboristes du Québec (à distance)

L'herboristerie contribue à diminuer la prise de médicaments parce qu'elle est essentiellement préventive.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Je vous remercie vivement de vos interventions, qui ont montré combien vous êtes des professionnelles responsables. Madame Gagnon, vous avez insisté sur la recherche d'un consensus au Québec avec le monde médical, sur l'autorégulation. Madame Crémer, la Belgique se distingue par une inventivité remarquable. J'ai vu que, dans le cadre de l'examen que vous organisiez, vous alliez jusqu'à mettre directement les candidats en situation, au travers d'un jeu de rôle.

Aucun des trois pays n'est mieux placé que les autres. La situation n'est pas idéale et il va falloir avancer. Vos expériences nous intéressent donc grandement. Nous avons eu l'occasion d'auditionner des herboristes français, paysans-herboristes ou herboristes de comptoir : ils font preuve, tout autant que vous, d'un vrai sens des responsabilités. Derrière votre discours et le leur, c'est la passion pour ce métier qui s'exprime, la passion de l'humain et de la santé humaine. Vous l'avez dit, il importe de travailler en amont sur la question du bien-être, de la prévention. C'est là que peuvent se trouver les complémentarités entre les différents métiers, entre ceux qui sont liés directement à la thérapie et le métier d'herboriste.

Je vous donne rendez-vous pour une prochaine fois. Lorsque la mission aura rendu ses travaux, nous poursuivrons sans doute la réflexion.

La réunion est close à 19 h 40.