Il y a deux ans, la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine clarifiait le cadre juridique applicable aux conservatoires. C'était d'autant plus nécessaire que ces institutions traversaient une grande période d'incertitude liés, d'une part, à l'application non achevée de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui avait prévu de décentraliser les enseignements artistiques aux différents échelons territoriaux et, en particulier, de transférer aux régions l'organisation et le financement des troisièmes cycles professionnalisant des conservatoires, via le transfert des crédits correspondants, et, d'autre part, au fort recul des financements de l'État à partir de 2013. Seules deux régions, le Poitou-Charentes et le Nord-Pas-de-Calais, s'étaient engagées dans la mise en place des cycles d'enseignement professionnel initial (CEPI), en dépit de la réussite, parfaitement reconnue, de ces deux expériences. Je connais bien le sujet pour avoir commis deux rapports consacrés aux enseignements artistiques en 2008 et 2011.
Malgré les nouvelles dispositions introduites par la loi LCAP, la situation ne me paraît pas encore parfaitement stabilisée. Je suis régulièrement sollicitée par les professionnels et les parents d'élèves qui manifestent de l'inquiétude quant à l'avenir de ces établissements.
D'une part, si l'État a repris son implication dans le financement des conservatoires à partir de 2016, il conditionne désormais sa participation à un certain nombre de critères, avec un accent particulier mis sur les questions d'éducation artistique et culturelle. Beaucoup s'interrogent sur la vision que porte le ministère de la culture sur le rôle des conservatoires, avec la confusion récurrente entre « élitisme » et « excellent ». Un nouveau système de classement des conservatoires est aujourd'hui engagé. Jusqu'ici, les conservatoires sont répartis en trois catégories : conservatoires à rayonnement communal et intercommunal (CRC et CRI), conservatoires à rayonnement départemental (CRD) et conservatoires à rayonnement régional (CRR). Nous serions très désireux que vous nous précisiez ce que vous envisagez, car nous constatons que l'attente actuelle alimente la crainte d'un déclassement de la part d'un grand nombre d'entre eux.
D'autre part, aucune région, en dehors de la Normandie, n'aurait, à ma connaissance, demandé à jouer un rôle de chef de file en matière d'enseignement artistique, comme la loi LCAP en a donné la possibilité. La Normandie a conclu une convention avec l'État en novembre 2017 à ce sujet, même s'il faut aussi dire que les choses ont peu avancé du côté du ministère entre le moment où nous avons signé cette convention et celui où vous avez pris vos fonctions.
C'est d'autant plus regrettable que les conservatoires jouent un rôle fondamental sur nos territoires : ce sont à la fois des acteurs majeurs de l'éducation artistique et culturelle, des institutions préparant nos futurs professionnels de la musique, mais aussi de formidables pôles ressources sur lesquels il convient de s'appuyer. N'oublions pas qu'il existe sur les territoires tout un réseau d'écoles de musique que les conservatoires peuvent contribuer à animer.
Notre commission a souhaité engager des travaux sur l'application des différentes lois territoriales. Une mission d'information consacrée aux nouveaux territoires de la culture pourra s'emparer de ces sujets.
Les travaux de notre matinée vont nous donner l'occasion de faire le point sur les différents enjeux relatifs aux conservatoires et d'avoir l'éclairage de nos différents invités sur les attentes des différentes collectivités publiques et des conservatoires eux-mêmes ainsi que de leurs usagers. À cette fin, nous recevons :
- Mme Sylvie Tarsot-Gillery, directrice générale de la création artistique du ministère de la culture, et M. Bertrand Munin, sous-directeur de la diffusion artistique et des publics,
- M. Maxime Leschiera, président de l'association Conservatoires de France,
- Mme Isabelle Vincent, vice-présidente de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC),
- et Mmes Martine Mabboux, présidente de la Fédération nationale des associations de parents d'élèves de conservatoires et écoles de musique, de danse et de théâtre (FNAPEC), et Marie-Claude Valette, vice-présidente.
Nous sommes ravis d'avoir la possibilité d'exposer notre vision de la politique des conservatoires et d'échanger avec les parties prenantes.
La politique des conservatoires est partagée et co-construite avec les collectivités territoriales. Les établissements de l'enseignement artistique relèvent de la compétence des collectivités territoriales. L'État s'intéresse néanmoins à cette question de près du fait du maillage territorial exceptionnel qu'il constitue, au même titre que les bibliothèques. Compte tenu de leur proximité avec les territoires et les populations, ils représentent un véritable enjeu en termes de démocratisation. C'est pourquoi le ministère de la culture soutient le réseau des conservatoires et exerce un contrôle pédagogique.
Il est vrai que les textes législatifs ont été appliqués de manière différenciée sur le territoire. Le retrait massif de l'État il y a quelques années s'explique par la direction qui avait été prise d'un transfert de compétences vers les collectivités territoriales. Comme vous l'avez souligné, l'État a ensuite progressivement repris sa participation. Notre volonté est aujourd'hui de préserver le niveau de nos dotations et d'engager un dialogue avec l'ensemble des parties prenantes autours d'une réforme du soutien de l'État aux conservatoires et aux écoles de musique.
La loi LCAP a marqué une étape importante en donnant aux conservatoires un nouveau cadre juridique. Elle leur a permis de délivrer un diplôme national, a ouvert la voie à l'élaboration de schémas régionaux de l'enseignement artistique, qui peuvent contribuer à structurer l'enseignement au niveau territorial, et a enfin prévu une procédure d'agrément pour le troisième cycle professionnalisant. La Normandie est aujourd'hui la seule région à avoir demandé le transfert de compétences. Il serait intéressant de comprendre pourquoi aucune autre région n'a souhaité s'emparer de ces attributions.
Quoi qu'il en soit, les conservatoires constituent véritablement des acteurs majeurs de la vie artistique et culturelle des territoires, comme de la création artistique. D'où l'importance que l'enseignement dispensé par ces établissements soit de qualité, ce qui recouvre à la fois la qualité des enseignements en tant que tel et la diversité des contenus pédagogiques, en particulier des esthétiques enseignées.
Nous avons engagé une réflexion pour faire évoluer le contrôle pédagogique de l'État sur ces établissements. À cette fin, des concertations ont été engagées avec les collectivités territoriales, les représentants des établissements et des enseignants pour réformer la philosophie générale de notre intervention, jusqu'ici fondée sur une logique de classement vertical. L'idée serait de créer un système s'appuyant sur une logique nouvelle, fondée sur la confiance et la co-construction avec les collectivités territoriales. Nous abandonnerions le principe d'un contrôle a priori au profit d'une procédure de suivi, s'appuyant sur un dialogue régulier avec les collectivités afin de nous assurer que le cahier des charges des établissements est respecté et que la qualité des enseignements est garantie. Jusqu'ici, le classement était attribué pour une durée de sept ans. À l'avenir, dans un souci de simplification, il s'agirait d'une certification, qui pourrait être attribuée pour une durée indéterminée, ce qui allègerait les procédures administratives. Cette certification serait donnée après avoir échangé avec les collectivités sur les choix, en particulier pédagogiques, retenus pour l'établissement et leur pertinence au regard des réalités territoriales et des besoins de la population. Pour être certifié, il conviendrait cependant que l'établissement enseigne au minimum deux spécialités, présente des garanties sur le maintien du niveau d'emploi des enseignants et élabore des propositions de parcours différenciés à destination des élèves.
Dans ce cadre, nous souhaiterions que les moyens alloués par l'État aux enseignements artistiques spécialisés se concentrent autour de deux axes prioritaires : l'ancrage territorial, d'une part, qui aurait pour but de valoriser le travail de mise en réseau réalisé par les établissements avec les acteurs de l'enseignement et de la musique sur le territoire - c'est pour cette raison que nous avons déjà commencé à soutenir les conservatoires à rayonnement intercommunal, qui facilite cette logique de mise en réseau - ; et l'innovation pédagogique et la diversité des esthétiques d'autre part.
Les modalités de mise en oeuvre de cette réforme, dont je viens de vous dépeindre les grandes lignes, doivent encore être discutées. La semaine prochaine se tiendra un conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, réuni à la demande de Franck Riester, au cours duquel cette question pourra être abordée. Nous souhaitons engager ensuite une ou deux expérimentations de ce dispositif au niveau régional avec des collectivités volontaire afin d'arrêter les contours d'un dispositif pérenne susceptible d'être généralisé.
La FNCC avait participé, en 2015, à la réflexion autour des conservatoires initiée par le ministère de la culture et avait affirmé à cette occasion quatre positions.
Tout d'abord, le souhait que le soutien financier de l'État ne soit pas lié uniquement au label mais également au projet des conservatoires en prenant en compte la diversité des territoires et des esthétiques proposées. Mais l'État a-t-il le moyen de réaliser une telle évaluation ?
Ensuite, avoir un retour sur les résultats des enquêtes préalables réalisées par les DRAC auprès des conservatoires et des collectivités qui ont servi de matériau à l'élaboration du projet de réforme des conservatoires.
Nous avons par ailleurs fait part de notre interrogation sur le maintien de l'utilisation du mot « conservatoire ».
Enfin, nous considérons que la structuration des critères de labellisation des conservatoires - rayonnement régional, départemental ou communal et intercommunal - est imposée de manière trop homogène et mériterait d'être plus attentive aux variations de situation, aux spécificités des territoires et aux différences des projets politiques.
Notre association regroupe les directrices et directeurs d'établissements d'enseignement artistique.
Depuis l'adoption de la loi de 2004, les conservatoires ont beaucoup fait évoluer leur activité en diversifiant les disciplines, les parcours, les partenariats avec les milieux scolaires, associatifs ou sociaux, et en s'adressant à un public pluriel.
Les établissements d'enseignement artistique constituent aujourd'hui un très beau service public. Toutefois, nous déplorons une trop grande fragilité du financement public, variable selon les territoires, de même qu'une implication inégale des collectivités territoriales, notamment dans l'application de la loi de 2004. Certains départements n'ont ainsi toujours pas établi de schéma départemental de développement des enseignements artistiques. Cela aboutit à une offre hétérogène sur le territoire national.
Nous regrettons également parfois un manque de lisibilité dans l'application qui est faite en région des directives du ministère de la culture. Dans le cadre du Plan chorale, certaines DRAC conditionnement l'octroi des subventions à la mise en oeuvre de projets spécifiquement dédiés au chant choral, ce qui n'est pas le cas dans d'autres régions.
D'autres plans nationaux comme le plan « Tous musiciens d'orchestre » impliquent les conservatoires sans les associer à la réflexion préalable ce qui entraîne des difficultés dans la mise en oeuvre.
Il nous paraîtrait utile de faire évoluer les textes réglementaires relatifs au classement des conservatoires aujourd'hui en partie obsolescente.
Au sein des établissements d'enseignement artistique, l'emploi est fragilisé par les difficultés de financement des établissements et l'absence de concours de la fonction publique pendant plusieurs années. Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation où un grand nombre de personnels ont un statut précaire de vacataire.
Parmi les défis à venir des conservatoires figure le programme « 100 % EAC » qui vise à généraliser l'éducation artistique et culturelle. Les conservatoires ne pourront pas assurer seuls cet objectif et il conviendra de développer davantage les partenariats. Nous estimons d'ailleurs que le réseau de partenaires devrait faire partie des futurs critères de labellisation. Parallèlement à notre participation au programme « 100 % EAC », nous devrons poursuivre notre mission d'enseignement spécialisé en cursus et de formation des futurs artistes professionnels et amateurs dans des conditions budgétaires que l'on sait limitées. Dans ce contexte, nous devons rester attentifs à la qualité du maillage territorial de l'enseignement artistique qui se caractérise de plus en plus, désormais, par la présence d'une offre riche proposée pour les plus grandes villes, tandis que les zones blanches se multiplient en zone rurale.
Je voudrais insister tout d'abord sur les problèmes liés aux droits d'inscription qui sont différents selon les conservatoires et qui, globalement, augmentent en raison de la baisse des financements publics. Le conservatoire de Nîmes a ainsi multiplié ses tarifs d'inscription par dix d'une année à l'autre. Le résultat de cette politique a été une baisse des inscriptions ainsi que l'interruption de certains apprentissages. La loi est censée prévoir un égal accès à l'éducation artistique et culturelle. Nous voyons sur le terrain que ce n'est pas le cas.
Nous constatons que les demandes d'aide sous critères sociaux diminuent et avons alerté le ministère sur ce sujet. Les raisons de cette diminution pourraient être de deux ordres : une part de la population des élèves passerait une licence d'instruments et demanderait par conséquent une bourse dans les facultés, ou, alors, les élèves inscrits actuellement dans les établissements d'éducation artistique seraient davantage issus de populations aisées. Ce serait là un retour en arrière, et fort dommage alors que beaucoup d'efforts ont été faits pour que les conservatoires s'ouvrent à des nouveaux publics.
La loi LCAP a créé les classes préparatoires mais aucun examen final ne vient sanctionner l'apprentissage. Les élèves ne savent pas s'ils doivent désormais passer un diplôme d'études musicales (DEM) ou aller en classe préparatoire. Il serait bon, je crois, de lever cette incertitude.
Vous soulignez également l'absence de lisibilité dans l'offre d'enseignements artistiques. Je crois, comme vous, qu'il conviendrait de clarifier cette situation où certaines régions ont choisi d'appliquer la loi de 2004 et où les classes préparatoires proposent un diplôme national d'orientation professionnelle de musique (DNOP) tandis que d'autres ont conservé le système antérieur du diplôme d'études musicales (DEM). Une équivalence peut-elle être envisagée entre ces deux régimes ?
S'agissant du niveau des frais d'inscription, je rappelle que ce sont les villes qui supportent encore à 80 % le budget des conservatoires. Une meilleure répartition entre les différents niveaux de collectivités territoriales devrait être opérée. N'oublions pas que la loi NOTRe a maintenu, à leur demande, la compétence partagée des collectivités territoriales en la matière.
Après plusieurs années de débat et de réflexion, les acteurs sont en attente d'un cadre institutionnel stabilisé. Les critères de répartition de l'enveloppe annuelle de 21 millions d'euros entre les régions vont-ils évoluer ? Comment les expérimentations envisagées seront-elles conduites ? L'existence d'une tarification sociale sera-t-elle prise en compte dans votre évaluation des établissements ? Comment et par qui les contrôles seront-ils menés ? Les élèves inscrits dans les cycles pré-professionnalisant bénéficient-ils du statut étudiant et des droits afférents ?
Les quinze établissements dotés d'un cycle d'enseignement professionnel initial (CEPI), dans les deux ex-régions du Nord-Pas-de-Calais et de Poitou-Charentes, qui avaient accepté la décentralisation de cette compétence, ont obtenu d'office leur agrément et leurs élèves bénéficient donc du statut étudiant.
Contrairement à ce que nous redoutions, nous n'avons constaté aucune arrivée massive de demandes d'agréments des autres établissements : seuls deux d'entre eux, Paris et Chalon-sur-Saône, ont déposé une telle demande. Cela peut s'expliquer par la méconnaissance de la loi LCAP mais aussi, peut-être, par le travail entrepris de mise en réseau des établissements sur leurs territoires, afin de passer d'une logique de rayonnement à une logique de solidarité entre établissements.
L'existence d'une tarification sociale est un critère obligatoire pour pouvoir prétendre à la subvention de l'État. Il n'est pas optimal mais nous avons conscience qu'il s'agit de la libre administration des collectivités territoriales et que la part de financement de l'État est minime.
Les modalités des futurs contrôles ne sont pas encore tranchées. Nos services ont malheureusement subi une perte de compétences suite à l'arrêt du suivi des conservatoires en 2014 et nous devons donc envisager de former les personnels des services déconcentrés qui seraient chargés de ce contrôle. Par ailleurs, les DRAC ont connu d'importantes réorganisations après à la réforme territoriale de 2015 et les conservatoires relèvent désormais, soit du conseiller création, soit du conseiller de l'action culturelle.
Ces quinze dernières années, les conservatoires ont beaucoup évolué et nous devons tenir compte des nouvelles pratiques qui se sont mises en place, notamment des solidarités qui ont émergé au sein des EPCI. Nous devons aussi veiller à préserver les compétences et les métiers des enseignants, suite au récent rapport du Haut Conseil de la fonction publique territoriale sur le statut des enseignants : je sais qu'il y a des inquiétudes mais notre objectif est bien de conforter l'enseignement artistique spécialisé ainsi que la place et le rôle des conservatoires dans les territoires.
Dans l'enseignement préparant à l'entrée dans le supérieur, les « classes préparatoires » des conservatoires, nous constatons une diminution des demandes de bourses sur critères sociaux (seuls 1,2 million d'euros ont été consommés en 2018 sur une enveloppe budgétaire disponible de 1,5 million d'euros).
À ce stade, nous le constatons mais notre objectif demeure d'ouvrir plus largement l'accès à l'enseignement artistique spécialisé à tous les citoyens.
Les conservatoires ne peuvent pas toujours accueillir plus, peut-être faudrait-il aussi accueillir autrement, sur d'autres parcours ou à autres classes d'âge.
Nous devons aussi nous poser la question de la formation des enseignants et des professionnels du ministère de la culture.
L'enveloppe budgétaire destinée aux conservatoires ne devrait plus diminuer. Notre état d'esprit n'est pas de déstabiliser ou de pénaliser les établissements mais de les accompagner dans un esprit de dialogue. Lorsque les établissements rempliront les critères souhaités par le ministère, notre intention sera de maintenir, voire de renforcer si cela est possible, notre soutien.
Je suis rassurée de voir que ces sujets sont aujourd'hui repris. Le Sénat était monté au créneau en 2013, 2014 et 2015 pour dénoncer la situation. Un travail collectif est nécessaire au bénéfice de ces enseignements artistiques.
On constate une demande croissante pour élargir les missions des conservatoires sans toutefois les faire bénéficier de crédits supplémentaires. Il existe donc un risque que leurs missions premières soient délaissées. Comment voyez-vous l'évolution de ces lieux d'excellence dans les territoires et le poids respectif de la musique, de la danse et du théâtre ?
Concernant la certification « cousu main », il faudrait plus de transparence sur les critères afin de pouvoir obtenir une explication rationnelle sur les différences de moyens attribués selon les territoires. Les moyens dont dispose mon territoire sont passés de 400 000 à 50 000 euros ce qui a obligé les collectivités territoriales à accroître leur participation.
L'État est-il prêt à porter ce message ? Ces dépenses pourraient-elles être exclues du plafonnement imposé aux collectivités territoriales afin de faciliter le financement de ces établissements et de lutter contre les disparités.
Vous avez insisté sur l'égal accès à tous. À Paris, nous avons 17 conservatoires municipaux et un à rayonnement régional. Il existe cependant un tel déséquilibre entre l'offre et la demande que la mairie a mis en place un tirage au sort. C'est une procédure injuste qui écarte de nombreux candidats ayant des dispositions. Les familles ayant des moyens peuvent se tourner vers le privé ce qui n'est pas le cas des autres. Dans le 15ème arrondissement, qui compte 230.000 habitants, il y a 17 places pour 200 demandes. Pouvez-vous nous dire si d'autres municipalités pratiquent le tirage au sort ?
Le développement intercommunal constitue une évolution logique pour les conservatoires. Il permet une offre plus grande et une diversification des enseignements. Toutefois, il y a une difficulté d'ordre financier car c'est la ville-centre qui investit et ses contribuables sont de plus en plus sollicités. Or, il est difficile de faire participer les autres communes. En l'absence de participation de celles-ci, il est possible d'établir des tarifs différenciés. Il est nécessaire de travailler sur ces sujets.
L'autonomie des collectivités territoriales est un principe fondamental pour le ministère et il ne saurait être remis en cause. Le ministre de la culture plaide pour développer le dialogue. Celui-ci peut échouer pour des réalités économiques. Il revient alors à l'État de jouer le rôle d'aiguillon pour rechercher des solutions.
La situation de Paris est très singulière. Le tirage au sort constitue un non-choix et donc une non-politique. On peut comprendre, cependant, qu'il est difficile d'étudier dans le détail toutes les demandes mais la situation n'est pas totalement satisfaisante. L'État a pour mission de garantir l'équité sur le territoire.
Le ministère de la culture pousse également l'idée que certaines dépenses culturelles mériteraient d'être exclues du pacte financier établi avec les collectivités territoriales. Mais nous avons des difficultés à nous faire entendre. Il s'agit de petites mesures financières mais qui ont de grands impacts sociaux.
La ville-centre prend des décisions qui ont des conséquences au-delà de son périmètre.
Concernant les missions premières, ce sont les collectivités territoriales qui financent ces établissements et ses missions ne doivent pas être mises en cause. Il y a un socle et l'État est garant que ces missions sont bien financées. Il doit encourager les mutualisations et l'innovation.
Concernant la transparence des critères, c'est un sujet de réflexion dans le cadre de la réforme de la certification des établissements. On souhaite déconnecter la certification des financements. La certification doit assurer le socle premier et l'aide de l'État peut permettre de faire plus ou autrement, par exemple en aidant la coopération avec des établissements non certifiés.
La transparence est souhaitable mais elle est complexe à mettre en oeuvre dans tous les établissements. On a essayé de faire en sorte que les aides soient attribuées au prorata de ce qu'elles étaient avant 2014. Mais on peut se poser la question de savoir si la tarification sociale doit être le seul critère. Ne faut-il pas également prendre en compte le projet d'établissement porté par la collectivité ?
Nous sommes d'avis de garder les critères existants y compris la tarification sociale obligatoire, introduite en 2016. Ces quatre critères ont été rédigés en s'appuyant sur des expérimentations qui avaient déjà été mises en place dans nos territoires. Chaque ville est attachée à l'équipement culturel que représente le conservatoire, c'est un élément de cohésion sociale qui représente un choix politique des territoires malgré le coût élevé que ces structures représentent. Ainsi, je ne pense pas que des conservatoires puissent prochainement être fermés. L'accompagnement symbolique des conservatoires par le ministère et le dialogue permanent ayant lieu entre ces structures sont des éléments positifs qu'il faut maintenir.
Je souhaite apporter une précision concernant la faible demande d'agrément pour l'enseignement préparatoire présentée au ministère. Une logique de réseau s'est aujourd'hui constituée entre les établissements. La question qui se pose aujourd'hui pour les directeurs de conservatoire est celle du risque de fragiliser ce réseau permettant d'obtenir le diplôme d'étude musicale, tandis que l'enseignement préparatoire n'est pas diplômant. Cela explique la prudence d'un certain nombre de territoires concernant cette demande d'agrément.
Nous pensons également que la question du niveau territorial d'intervention selon les missions dévolues aux conservatoires se pose. Le conservatoire a une mission de participation à l'objectif d'initiation aux arts pour les enfants du territoire, il s'agit d'une mission locale pour laquelle la relation entre les collectivités et les conservatoires est centrale.
Ce n'est qu'une fois le jeune sensibilisé à l'art, par exemple au sein de son établissement scolaire, qu'un processus de spécialisation vers une formation de plus haut niveau peut être envisagé. Le nombre de jeunes décidant de se spécialiser étant de plus en plus faible aujourd'hui, le territoire couvert par un conservatoire de ville-centre a tendance à s'élargir. Ce qui pose la question du coût que ces conservatoires de villes-centres doivent assumer et des conséquences de la tarification parfois différenciée entre les jeunes résidant dans cette ville centre et ceux résidant à l'extérieur, la tarification unique n'étant pas appliquée partout. En conséquence, certains jeunes sensibilisés dans des territoires ruraux pourraient renoncer à se spécialiser en ville centre. Face à ce problème, l'intercommunalité peut apporter des réponses.
Je voudrais savoir plus précisément ce qui va être mis en place dans les territoires, principalement les territoires ruraux, pour favoriser l'accès de tous aux conservatoires. Je souhaiterais également savoir quelle catégorie de conservatoires est la plus performante parmi les conservatoires à rayonnement communal, départemental et régional. Mme la présidente pourrait-elle nous faire un bilan de la démarche spécifique qui a été mise en place en région Normandie ? L'augmentation des demandes d'inscription en conservatoire a-t-elle été anticipée suite à la mise en place du Pass culture ?
Une évaluation a mis en lumière que les enseignants avaient plusieurs employeurs ; il faut donc prendre en compte cette spécificité. Le jumelage des classes culturelles me paraît être une idée intéressante à mettre en place dans les territoires plus réduits. En ce sens, les partenariats et conventions entre le ministère de l'éducation nationale et le ministère de la culture sont à encourager. Je pense en effet qu'il n'y a pas suffisamment d'engagement de la part du ministère de l'éducation nationale, qui propose des changements, comme le plan chorale, pour lesquels les financements ne suivent pas.
Face à l'impossibilité financière et structurelle des conservatoires à dispenser à la fois une formation diplômante tout en maintenant ou développant les activités de loisir et d'initiation, certaines familles s'orientent vers des structures privées, peu contrôlées. Souvent les familles attendent des structures privées qu'elles puissent fournir une certification au même titre que les conservatoires publics. Cette certification pourrait également permettre à ces établissements de se développer.
Je souscris aux propos de ma collègue Catherine Dumas sur le problème posé par la procédure de tirage au sort pour l'accès aux conservatoires parisiens. Des directeurs de conservatoire m'ont fait part de leurs inquiétudes concernant la possibilité que les personnes possédant un diplôme universitaire de musicien intervenant puissent devenir directeurs de conservatoire, pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Le véritable enjeu pour les collectivités territoriales est de parvenir à conjuguer un enseignement de haut niveau et la pratique amateur. Ce n'est pas évident de répondre à ces deux enjeux. Vous nous avez bien expliqué les différentes manières d'accéder à l'enseignement musical et vous avez souligné qu'il existait des alternatives au conservatoire. Je m'interroge sur les conséquences de la réforme en cours des lycées : ne risque-t-on pas de fragiliser l'une des voies d'accès alors même que la continuité fait défaut avec le collège ? Enfin, il faut prendre conscience que la participation parfois demandée aux familles dans le cadre des classes à horaires aménagés peut constituer un frein pour nombre d'entre elles.
Une question manque à nos débats : quel objectif poursuivons-nous ? S'agit-il de considérer la musique au même titre qu'une autre matière, au risque de lui faire perdre sa singularité ? Nous devons être bien conscients du rôle profond de la musique dans nos sociétés, on y apprend à s'écouter, on y apprend aussi le rythme et la mesure. L'audition du ministre de l'éducation nationale au moment de sa nomination m'avait rassuré mais je ne vois pas d'initiatives suivre. 34 millions d'euros ont été débloqués pour le Pass Culture et rien pour la musique. Les conservatoires sont des structures d'apprentissage et d'excellence qui doivent être préservés.
Je tiens à indiquer que le rôle des conservatoires ne se limite pas à la musique mais peut également s'étendre à la danse ou encore au théâtre. Ils sont en mesure d'exercer ces missions sur le territoire, notamment grâce à un corps enseignant très impliqué et de très haut niveau, sous réserve qu'on leur en donne les moyens. L'éducation nationale est un partenaire indispensable sans lequel rien ne peut se faire ; une collaboration avec les collectivités territoriales est donc indispensable. Je partage, enfin, vos craintes quant à l'impact de la réforme du lycée.
Les conservatoires doivent bel et bien concilier l'excellence avec une éventuelle finalité professionnelle et la pratique amateur. Cela n'est, à mon sens, pas incompatible comme le montre l'exemple de l'Allemagne. La relation entre le ministère de l'éducation nationale et le ministère de la culture est complexe, ce dernier devant sans cesse inciter l'éducation nationale à promouvoir la pratique musicale. Je confirme, enfin, que le Pass Culture est totalement ouvert aux conservatoires.
Je tiens, en réponse à Mme Billon, à évoquer l'exemple de la Normandie. Comment assurer l'enseignement de la musique sur des territoires vastes et avec des familles qui ne disposent pas toujours de moyens financiers importants ? Je regrette, à ce propos, que la loi de 2004 n'ait pas été appliquée. À l'époque, le transfert des techniciens de l'éducation nationale (TOS) ne s'était pas accompagné d'une formation et d'une information des élus qui ont pu se trouver démunis. Les expérimentations menées ont été des succès, chaque collectivité étant intervenue à son niveau pour assurer un bon maillage territorial et répondre aux besoins des plus jeunes. La loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine de 2016 a incité les régions à prendre cette responsabilité aux termes de débats nourris. Les régions doivent donc travailler à un schéma régional en lien avec les DRAC. Il existe néanmoins de grandes disparités entre les départements et entre les territoires. La Normandie a choisi de s'intéresser en priorité à cette question et on ne peut qu'espérer que les autres régions s'en saisissent également. Le Sénat a instauré une commission culture au sein de la conférence territoriale de l'action publique (CTAP) pour responsabiliser les différents acteurs. L'association des régions de France (ARF) va, je vous l'annonce, traiter prochainement de cette question.
Il appartient aux collectivités territoriales de s'entendre pour assurer un maillage efficace au niveau des territoires. Mon expérience dans l'Yonne m'a bien montré toute la complexité d'une telle organisation et je crois profondément qu'il nous faudrait étudier la question d'une forme de péréquation qui permettrait d'intervenir en complément de l'éducation nationale. Le système doit être pensé au profit des enfants sans oublier de faciliter la pratique des enseignants souvent dispersés entre plusieurs lieux d'exercice pour différents employeurs.
Je réitère les interrogations sur les conditions de travail des enseignants.
Cette préoccupation est commune à tous les territoires qui sont organisés soit en petites structures autonomes, soit avec un centre disposant de plusieurs implantations. Il faut concilier la nécessité de rapprocher l'éducation musicale des territoires avec les conditions de travail des enseignants.
Dans les territoires ruraux, cette question dépend prioritairement de l'appétence des élus qui n'ont pas encore tous biens intégré cette problématique. Je souligne enfin que, si selon les échanges que je peux avoir régulièrement, les conservatoires sont ouverts à un élargissement de leur champs d'action, il doit être accompagné financièrement, ce qui n'a, par exemple, pas été le cas pour le plan chorale.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 55.