Commission des affaires économiques

Réunion du 13 février 2019 à 9h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Dans le cadre de notre cycle d'auditions portant sur les effets de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim), et notamment de son titre Ier, nous recevons des représentants de la distribution, après des représentants des producteurs agricoles et des industries agroalimentaires.

L'objectif de ces tables rondes est de réaliser, le plus en amont possible, un point d'étape sur la mise en application des mesures de la loi Égalim. Je pense évidemment à la hausse du seuil de revente à perte (SRP) de 10 % depuis le 1er février ainsi qu'à l'encadrement des promotions en volume et en valeur pour les denrées alimentaires. Cela concerne aussi l'encadrement des pratiques commerciales de la distribution.

Sur le volet « distribution », malgré certaines réussites de la loi comme les annonces dans la filière lait, certaines mesures pouvaient poser des difficultés.

Les premières critiques proviennent des consommateurs car ces mesures pourraient impacter directement les prix de plusieurs produits alimentaires au détriment potentiel du pouvoir d'achat d'un grand nombre de ces consommateurs.

Les secondes ont trait aux négociations commerciales actuelles qui pourraient se révéler encore très dures pour les industriels de l'agroalimentaire. Selon les premiers chiffres disponibles, on observe entre 1,5 et 4 % de déflation par rapport à 2018 - année où les négociations avaient déjà abouti à une baisse des prix.

Certes, tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne, si vous me permettez l'expression. Mais pour reprendre les propos de Dominique Chargé, président de Coop de France, qui a le sens de la formule, « il ne faudrait pas que le lait soit l'arbre qui cache la forêt ».

Cette audition sera l'occasion de faire un point sur les grandes tendances des négociations commerciales par filière, sans trahir le secret des affaires. Mais nous, parlementaires, devons bien mesurer l'impact des dispositions adoptées sur ces négociations.

Enfin, la troisième source de scepticisme sur les effets de la loi provient de l'adaptation des pratiques commerciales de la distribution aux mesures de la loi Égalim. Certains ont par exemple constaté un recours croissant aux remises sur carte de fidélité via des pratiques de « cagnottage », tandis que certaines enseignes se sont engagées à baisser les prix des produits sous marque de distributeur (MDD). Or ces marques ont, en général, davantage d'impact direct sur les revenus des agriculteurs français que les produits des grandes marques internationales.

Les personnes auditionnées lors des précédentes tables rondes considèrent que ces pratiques contournent l'esprit de la loi Égalim qui était d'améliorer, in fine, le revenu des agriculteurs.

Dans ses fonctions de contrôle, notre commission entend vérifier que les mesures de la loi Égalim atteignent leur objectif - même si le Sénat avait quelques réserves sur cette loi...

C'est pourquoi il nous a paru essentiel d'accueillir des représentants de la grande distribution : Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) ; Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E.Leclerc ; Thierry Cotillard, président d'Intermarché et de Netto, représentant le Groupement Les Mousquetaires, que je remercie de leur présence. Nous pourrons recevoir ultérieurement d'autres groupes de distribution qui ont souhaité être entendus.

Comment avez-vous mis en oeuvre les mesures de la loi Égalim entrées en vigueur ? Quels sont les premiers effets de cette loi sur les négociations commerciales en cours, qui se termineront le 28 février prochain ? Dans quelle mesure pensez-vous que la loi Égalim permettra in fine de trouver un équilibre entre l'augmentation recherchée du revenu des agriculteurs et le développement de vos activités ?

Debut de section - Permalien
Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD)

Cet après-midi, nous rencontrerons justement les ministres Didier Guillaume et Bruno Le Maire avec tous les distributeurs pour faire le point sur les négociations en cours au sein du comité de suivi. La FCD comprenant de nombreuses enseignes, le droit de la concurrence m'interdit de citer certains éléments.

Gardons en tête les fondamentaux : la consommation de produits de grande consommation est en légère baisse depuis deux ans, ce qui a un impact fort sur les négociations. La consommation des produits « grand frais » comme la viande, les fruits et légumes, les poissons, les produits laitiers - très peu concernés par les négociations, mais sujet majeur des États généraux de l'alimentation (EGA) - est en forte diminution. La déflation observée ces dernières années est globalement terminée ; les prix sont restés stables en 2018.

Désormais, les consommateurs achètent moins, mais des produits de meilleure qualité, même plus chers. Cette valorisation sensible atteint entre 1,5 à 2 % par an. Nous voulons satisfaire cette demande. On observe aussi un déport des grandes marques nationales vers les marques PME, notamment pour les produits de l'agriculture biologique, ceux sans gluten ou locaux, avec de petites séries. Celles-ci représentent plus des deux tiers de la croissance.

La loi Égalim prévoit différentes mesures. L'inversion des négociations, a priori, n'a pas été suivie d'effets ; nous n'avons que peu d'indications sur les négociations en amont dans le cadre des propositions de conditions générales de vente (CGV). Nous n'avons aucune transparence sur un éventuel retour au producteur après signature des accords.

Sur la prise en compte des coûts de production, les débats sur les indicateurs se déroulent dans le cadre interprofessionnel et sont difficiles. Nous sommes passés d'un indicateur de constat à un indicateur d'objectif de rémunération à 2 SMIC de l'ensemble des producteurs agricoles. Cet objectif n'est pas atteint aujourd'hui. Tout le monde considère que c'est un objectif légitime, mais ce n'est pas un indicateur, c'est un objectif. Les négociations ont avancé dans le secteur bovin : Interbev a défini un indicateur. La loi se met en place progressivement, mais pas encore totalement.

Hier soir, une étude de Nielsen a confirmé que la hausse du seuil de revente à perte était effective, avec notamment le relèvement des prix des produits de grandes marques, sans surprise.

Il persiste quelques inquiétudes sur le mécanisme des promotions. Après des négociations avec le Gouvernement et la publication de lignes directrices très précises dans une circulaire la semaine dernière, ce mécanisme s'applique et est contrôlé par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Dans les négociations en cours, nous avons trois priorités : les producteurs agricoles, qui doivent vivre de leur métier ; les consommateurs ; et les PME, en prenant en compte le prix des matières premières.

Faites attention aux sondages partiels, qui ne prennent en compte, par exemple, que 450 entreprises agroalimentaires sur 17 000, faisant fi des règles déontologiques en la matière et donnant des résultats éloignés de la réalité. Nous avons mis en place un observatoire exhaustif, enseigne par enseigne. Nous plaidons en faveur d'un tel observatoire officiel, général, des résultats des négociations.

Ce qui nous a été envoyé dans l'ensemble des augmentations de tarifs est en moyenne à + 4 %, selon les chiffres reçus de nos adhérents, mais avec de grandes différences selon les produits. Certaines hausses demandées sont déconnectées de l'augmentation du prix des matières premières, comme pour le sucre, le café, le jus d'orange ou l'huile... Ces mauvaises pratiques concernent aussi des produits industriels à faible composante en matières premières.

Nous observons déjà de nombreuses signatures de contrats. Entre 15 et 40 % des contrats sont déjà signés avec les PME ; ces contrats prennent en compte le prix des matières premières et la priorité que nous accordons aux PME. Mais il est difficile de savoir ce qui aura un effet sur le prix. Entre 20 à 30 % des contrats sont signés avec les grandes marques, dans toutes les catégories mais représentent jusqu'à 40 % des volumes.

Pour les secteurs sensibles, de très nombreux contrats ont été signés dans le secteur laitier cette année, avec la quasi-totalité des industriels, mais sans une transparence suffisante. Les cours de la viande sont orientés à la hausse. Nous avons quelques difficultés avec certaines entreprises, qui ont parfois l'habitude de signer au dernier moment. Nous avons reçu des propositions de tarifs la semaine dernière, notamment en raison de la publication tardive des textes.

Cette année, les choses se présentent mieux que l'année dernière, avec des contrats significatifs respectant tant la lettre que l'esprit de la loi Égalim.

Debut de section - Permalien
Thierry Cotillard, président d'Intermarché et de Netto, représentant le Groupement Les Mousquetaires

Intermarché est un modèle particulier : nous sommes à la fois producteur et commerçant. Avec 62 outils de production, 4 milliards d'euros produits, nous sommes le quatrième industriel français. Nous négocions en direct avec 20 000 agriculteurs au travers de nos usines. Un produit sur deux que nous vendons provient de nos usines. Nous sommes en contact quotidien avec 1,5 million de Français venant dans nos enseignes et qui nous rappellent que le pouvoir d'achat est un sujet important en France.

Nous avons une conviction : n'opposons pas une meilleure rémunération des agriculteurs et le pouvoir d'achat.

La loi Égalim est une formidable opportunité pour mieux rémunérer les agriculteurs. Nous avons donné des signes volontaristes : le 6 décembre, nous avons été la première enseigne à signer un accord avec le laitier Bel, puis avec Savencia et Sodiaal.

Certains industriels ont joué le jeu de la transparence cette année. En matière économique, je n'ai pas de religion mais j'ai du mal à croire à la théorie du ruissellement - parlons plutôt de transmission de valeur. Nous avons un niveau de transparence suffisant pour que l'augmentation des tarifs bénéficie aux agriculteurs et non au compte d'exploitation de l'entreprise. Le syndicat du lait évoquait un prix cible de 390 à 400 euros les mille litres - à atteindre progressivement. Nous avons signé pour 375 euros les mille litres.

Second combat, la défense du pouvoir d'achat est dans l'ADN d'Intermarché, pour lutter contre la vie chère. Nous avons une position commerciale assumée : par rapport à une hausse des prix de parfois 10 %, nous baissons les prix des produits de nos marques ; il est plus simple pour nous de faire baisser les prix de 5 500 produits dont nous maîtrisons les conditions de production, mais 1 350 produits augmentent en moyenne de 5 %. C'est le prix à payer pour mieux rémunérer le monde agricole - on parle de 40 euros, avant la péréquation et les baisses sur nos propres marques. Le pouvoir d'achat devrait être préservé.

Une fois le contrat signé avec l'industriel, il est appliqué chez nous. Nous avons signé un accord avec l'organisation des producteurs de lait (OPL) de notre laiterie Saint-Père pour la marque Pâturages sur la base de 375 euros les mille litres. Nous avons dû faire preuve de discernement. Le monde agricole bénéficie d'une plus grande transparence et de meilleures garanties. C'est une révolution dans la distribution : nous avons donné comme consigne à nos acheteurs d'acheter plus cher les produits. Nous faisons preuve de discernement avec les PME travaillant avec les agriculteurs. Certaines multinationales travaillent avec les agriculteurs, tandis que d'autres nous demandent des augmentations significatives inacceptables et ne jouent pas le jeu : certains alcooliers exigent des hausses de 14,4 %, de 9,2 % ou de 11,5 % ! Nous avons un peu plus d'accords signés que la FCD : 50 % en général, et 80 % avec les PME, dans tous les périmètres, soit une amélioration par rapport à l'année dernière à cette date.

Debut de section - Permalien
Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E.Leclerc

Représentant le mouvement E.Leclerc, j'ai davantage de liberté de parole que M. Creyssel, qui doit représenter la diversité des membres de la FCD. La loi Égalim prévoit l'amélioration du fonctionnement de la filière agricole et agroalimentaire et la revalorisation globale du revenu des agriculteurs, ainsi que l'augmentation du seuil de revente à perte, voire l'encadrement des promotions - dans une moindre mesure. Nous avons traité différemment ces deux sujets.

La charte signée il y a 15 mois met en place la promesse d'amélioration du fonctionnement de la filière. Dans la filière « oeufs », nous avons signé des contrats de cinq ans avec des engagements de volume et un référentiel de prix calqué sur les coûts de production. Pour les fruits et légumes frais, nous signons des contrats de trois ans au minimum avec les producteurs, avec des engagements de volumes et avec une fourchette de prix, encourageant à la labellisation Haute valeur environnementale (HVE). Nouveauté : nous nous sommes engagés dans la durée avec d'Aucy et Bonduelle, nos plus gros fournisseurs de conserves de légumes, avec une fourchette de prix. C'est notre responsabilité de distributeur que d'accompagner également les familles de producteurs dans la conversion vers le bio, un des secteurs où la croissance est la plus forte, et pour lequel nous devons importer, notamment des fruits et légumes - ce qui est paradoxal !

Le secteur laitier est le plus sensible. Nous avons signé des accords spécifiques avec Lactalis et Danone dès décembre 2018, vertueux, mais qui ne sont pas transparents. Comme le signalait Thierry Cotillard, le prix minimum du lait est un prix d'objectif : les industriels gèrent la mise en oeuvre de cet objectif. Le distributeur n'a aucune transparence sur la réalité de cette application. Les industriels refusent des accords tripartites. Mais c'est déjà un premier pas, attendons de voir les résultats. Comme le dit le proverbe, « c'est à la fin de la foire que l'on compte les bouses ! »

Nous soutenons les cours du porc au marché au cadran de Plérin depuis six mois, tout comme Intermarché, en achetant plus cher que la moyenne des cours. Mais de gros opérateurs achètent jusqu'à 10 % de moins au cadran. Nous avons une démarche très volontariste. Leclerc et Intermarché sont parmi les seuls à se fournir quasi exclusivement en viande porcine française (VPF), notamment dans notre usine de Kermené.

Nous n'avons pas reçu la totalité des conditions générales de vente aujourd'hui. Sur les produits sensibles, notamment le lait et la viande, je ne peux pas vous donner de chiffres, mais les prix augmentent, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros par rapport à 2018. Parmi nos priorités, 95 % des accords sont signés dans le secteur bio, 57 % des accords avec les PME, et les accords sur le « grand frais » verront des hausses de prix. Mais en aucun cas, nous n'avons de garanties contractuelles des industriels dans ce fameux ruissellement...

L'augmentation du seuil de revente à perte a un impact de 4 % selon Nielsen, mais est inégalement répartie : 5,4 % pour Leclerc, mais 0,1 à 0,2 % seulement dans les enseignes les moins bien positionnées. Cela illustre le caractère pervers de la mesure que nous dénonçons depuis le début : la hausse du SRP sert simplement à augmenter les prix des produits des multinationales, mais elle n'a aucun effet ailleurs faute d'un ruissellement qui reste une illusion...

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Nous terminons un premier tour de table après avoir entendu les producteurs et les transformateurs. Quel est l'état des négociations sur les produits de grandes marques ? Y a-t-il eu davantage d'accords avec les grandes marques qu'avec les PME cette année ?

Les négociations concernent les marques qui ne représentent souvent que 50 % de la production vendue par une entreprise.

Le niveau de 375 euros les mille litres est-il également valable pour les MDD ?

Avez-vous intégré les surcoûts demandés pour justifier la montée en gamme, au-delà de la base des 375 euros ?

Les étiquettes évoluent : de plus en plus souvent, elles mentionnent « origine Europe ». Avez-vous appliqué la disposition du texte prévoyant les mêmes exigences pour les produits importés en Europe que pour ceux produits sur le continent ?

Pour l'article 51, où en êtes-vous de l'amélioration de la procédure de retrait des denrées alimentaires à la suite des travaux que nous avons menés sur le cas Lactalis ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

La notion de ruissellement est plutôt illusoire. Comment peut-il fonctionner de l'aval vers l'amont, dans le sens inverse de la pente, sauf à installer une pompe de relevage qui est au reste très coûteuse ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Un petit effort a été réalisé, notamment sur le lait, mais ce n'est pas une gloire, puisqu'on partait de très bas. C'est comme lorsqu'on souligne une augmentation du revenu agricole après trois ans de diminution...

Comment obtenir la transparence, lorsque l'accord sur les 375 euros les mille litres de lait ne concerne pas la totalité de la production du fournisseur ? Quel serait le prix final si cela se répercutait sur le producteur ?

Sur l'accord interprofessionnel au sein d'Interbev relatif aux indicateurs, des contrats sont-ils signés avec des fournisseurs de viande où l'on prévoit le prix de revient de la viande et le retour au producteur ?

Où en êtes-vous de la contractualisation dans le secteur des fruits et légumes, produits fragiles ? La notion de prix de revient est-elle prise en compte ?

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

La loi Égalim vous transforme en maillon « péréquateur », et augmente les marges pour les redistribuer aux producteurs. Comment traduisez-vous concrètement ce mécanisme ? Certaines pratiques entrent en contradiction avec l'esprit de la loi : certains réduisent les prix des produits MDD de 10 % ou font des remises de 10 % sur les cartes de fidélité... Quelles pistes proposez-vous pour plus de transparence ? Quelles sont les avancées en matière de contractualisation, notamment dans la filière viande ?

Debut de section - Permalien
Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD)

La vitesse de contractualisation avec les grandes marques et les PME est très variable selon les enseignes. Nous observons, parmi nos adhérents, un certain retard, purement technique, vis-à-vis des PME, uniquement dû à la sortie tardive des textes réglementaires sur les promotions. Les négociations se sont déroulées un peu plus rapidement avec les grandes marques, mais avec de fortes variations selon les enseignes. Ni le grand frais ni les MDD ne sont concernés par les négociations commerciales annuelles, qui visent moins de la moitié des produits. Néanmoins, des discussions sont en cours.

La montée en gamme est un sujet majeur, encore insuffisamment pris en compte dans les interprofessions. J'ai signé une vingtaine de plans filières ; malheureusement, le débat est souvent déplacé vers les indicateurs. Dans la filière bovine, l'objectif d'obtenir 40 % de viande sous Label rouge est essentiel. Actuellement, 80 % du porc bio est importé, alors que la rémunération est largement supérieure à celle du porc conventionnel. Ce n'est pas en répartissant mieux la valeur qu'on améliorera la situation de tous, c'est en la créant ; les consommateurs sont prêts à payer plus.

Debut de section - Permalien
Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD)

Je répondrai à l'envers : 30 % des Français font leurs courses à l'euro près. La valorisation atteint 2 % par an, soit plus que la croissance française. Le consommateur peut faire les deux : acheter du beurre premier prix pour sa cuisine, et du beurre premium pour sa tartine... Mais vers le 15 ou le 20 du mois, de nombreux clients n'ont plus les moyens de payer certains produits.

Nous partons de très bas dans les négociations. Je rencontrais le président de la Fédération nationale des coopératives laitières hier. Même si on peut toujours mieux faire, les évolutions sont déjà positives : on observe un changement d'état d'esprit après les EGA. Espérons qu'il se poursuivra dans tous les secteurs.

Dans le secteur de la viande surgelée, les négociations progressent, même si nous avons des problèmes de transparence. L'accord d'Interbev porte non pas sur les prix - c'est interdit -, mais sur des éléments de référence relatifs aux coûts de production ; il n'est pas approuvé par les industriels, la négociation doit se poursuivre.

Madame Loisier, les promotions sont encadrées par une note du ministère des finances. On peut prévoir des cagnottes sur la carte de fidélité si elles ne sont pas affectées. La baisse des prix des MDD est également autorisée ; les promotions sont limitées et non pas totalement interdites ; pour le consommateur, certains prix augmentent, d'autres baissent. Les MDD sont d'abord produites par des PME ; lorsqu'on baisse les prix, on améliore les ventes et cela profite aux PME.

Debut de section - Permalien
Thierry Cotillard, président d'Intermarché et de Netto, représentant le Groupement Les Mousquetaires

Comment le distributeur joue-t-il un rôle de péréquation ? Il est plus facile pour nous d'augmenter les prix aux producteurs pour notre propre laiterie, mais certains industriels jouent aussi le jeu. Dans l'accord avec Savencia sont mêlés différents éléments, comme le lait brut et les produits transformés, la crème, le beurre... L'accord prévoit également qu'un auditeur extérieur s'assure de la transparence entre les deux cocontractants.

Pour défendre le pouvoir d'achat du consommateur, Intermarché a baissé les prix de ses propres marques plutôt que de jouer sur la carte de fidélité. Certaines enseignes ajoutent 10 % sur ces cartes, mais ce n'est pas l'esprit de la loi... Le rapport à l'alimentation est en train de changer, et nous concentrons nos 5 % de remise via la carte de fidélité sur le bio et les fruits et légumes, afin qu'ils soient accessibles à tous. Nous n'avons pas renchéri sur ce point.

Bel a été précurseur pour plus de transparence et a signé avec les organisations de producteurs un accord à 375 euros les mille litres, faisant le pari que les distributeurs suivraient. Les industriels commencent à être responsables, même Lactalis est désormais plus ouvert... Cependant, un industriel du secteur de la viande qui fait 60 % du marché n'est pas transparent...

L'avenir de la filière agricole passera par des engagements dans la durée, afin d'avoir de la visibilité sur la trésorerie et rassurer les banquiers. Lorsque le cours tombe à 1,15 euro, nous le sécurisons à 1,30 euro - et Leclerc fait de même. L'avenir est à la contractualisation, et certains industriels sont prêts à le faire. Dans le secteur de la viande, le sujet est tripartite, demandez plutôt aux industriels...

Debut de section - Permalien
Stéphane de Prunelé

Nous avons choisi de baisser les prix de nos produits MDD dès le 2 janvier, pour toute l'année 2019. Cette mesure est financée intégralement par notre marge, qui provient du relèvement du seuil de revente à perte. Cela répond implicitement au sujet des PME.

L'encadrement des promotions a un véritable effet pervers pour les PME, car les multinationales ont d'autres leviers de marketing et de communication pour augmenter les ventes, comme doubler leurs investissements à la télévision - ce que ne peuvent pas faire les PME. Les promotions permettent aux PME de commercialiser leurs produits. Nous avons donc privilégié une baisse des prix des produits MDD, en espérant que cela augmentera les volumes des produits vendus par les PME.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Si l'on vous écoute, finalement tout va bien ! Je rappelle que, sur 100 euros de dépenses alimentaires, 7 euros seulement reviennent à l'agriculture et 21 euros au commerce. Même si les négociations permettent de rééquilibrer cette répartition, la question de la construction du prix reste posée : de l'agriculteur au consommateur, un certain nombre d'intermédiaires légitimes et obligatoires assurent la commercialisation des produits.

Si des personnes sont aujourd'hui prêtes à payer plus pour des produits de qualité, il n'en demeure pas moins que 30 % des consommateurs sont à l'euro près. Il nous appartient collectivement de nous soucier des plus faibles, qui seraient fragilisés par une augmentation trop importante des prix.

Vous avez beaucoup évoqué la transparence. La formation du prix tout au long de la chaîne et sa répartition entre les différents acteurs est une question assez mal connue : que pourriez-vous faire pour que le consommateur soit plus et mieux informé ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Janssens

La loi Égalim s'est donné pour objectif de mieux rémunérer les agriculteurs et d'améliorer les relations entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs. Ces intentions louables n'auront d'efficacité que si les distributeurs jouent véritablement le jeu en répartissant les marges, comme le prévoit la loi.

Or, de l'aveu même de Michel-Édouard Leclerc, cette redistribution éveille un scepticisme au sein de la grande distribution : « Personne ne comprend, personne n'est capable d'expliquer par quel mécanisme de ruissellement cet argent supposé gagné par les distributeurs ira chez les éleveurs de lait. » En réalité, le ruissellement ne commence-t-il pas par une valorisation renforcée des producteurs locaux dans les enseignes de la grande distribution ?

En effet, la loi Égalim n'atteindra ses objectifs que si les distributeurs s'engagent à mettre davantage de produits locaux dans leurs rayons, avec des prix de vente qui assurent la juste rémunération des agriculteurs et des éleveurs.

Pouvez-vous détailler les actions concrètes réalisées par vos enseignes pour valoriser les produits locaux et garantir des prix de revient justes et suffisamment rémunérateurs pour nos producteurs locaux ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Tissot

La mission première de la loi Égalim, c'est d'assurer un revenu décent aux producteurs et aux éleveurs. Aujourd'hui, en entendant les représentants des distributeurs, je suis rassuré : les rôles sont bien définis ! Mais, ici, nous sommes aussi dans notre rôle : s'assurer que la loi atteigne son but.

Nous craignons de rentrer dans une mécanique où chacun avec ses arguments, certes louables, démontre qu'il n'y est pour rien et que le but final, c'est-à-dire le renforcement du revenu de l'agriculteur, est difficilement atteignable. Mais il reste des zones d'ombre : le consommateur doit évidemment être protégé mais sans perdre de vue l'objectif de la meilleure rémunération du producteur. On ne parle pas des maillons intermédiaires, comme celui des distributeurs et de leurs marges. M. Cotillard a simplement évoqué la diminution des marges sur certains produits. Or je voudrais une transparence totale : quels efforts allez-vous consentir ?

M. de Prunelé a évoqué les difficultés d'approvisionnement s'agissant des produits bio et sa volonté d'accompagner la filière bio. Concrètement, comment allez-vous faire pour développer l'offre des producteurs bio ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

La loi Égalim, c'est l'équation impossible ! On parle de 5 centrales d'achat et de 12 000 à 16 000 fournisseurs. Si l'on regarde l'application des différentes lois, on constate qu'à chaque fois la grande distribution fait ce qu'il faut pour contourner ou biaiser les différentes lois.

Comment faire augmenter les prix alors que, tous les samedis, des milliers de personnes réclament du pouvoir d'achat supplémentaire et qu'on assiste à une guerre effrénée entre toutes les marques de distributeurs ? Si cette guerre n'existait pas, il y aurait non pas seulement 5 centrales d'achat, mais bien plus... Pendant des années, vous vous êtes acharnés à vous faire disparaître mutuellement de façon à augmenter vos parts de marché.

Vous dites que le ruissellement va atteindre l'agriculteur, comme si une rivière pompée par différents intermédiaires coulait encore suffisamment jusqu'au bout... Pendant des années, le principe commercial exacerbé de la grande distribution a fait que la totalité des transformateurs sont devenus des « centimiers », alors qu'ils gagnent énormément d'argent. On me répondra que certaines entreprises privées confortent leurs résultats davantage par les investissements réalisés à l'étranger que par leur activité en France. Intermarché ne peut pas dire que son activité laitière soit florissante en termes de bénéfices...

Pour le SRP et l'encadrement des promotions, les réponses sont la carte fidélité de Carrefour et un communiqué de Leclerc sur la loi Égalim... C'est toujours cette équation impossible, le pot de fer contre le pot de terre.

Nous disons tous qu'il faut de la transparence pour que les choses marchent. Cette transparence doit être doublée par une forme de confiance.

Première question : on constate une avancée avec le lait. Est-ce l'arbre qui cache la forêt ? Comment allez-vous communiquer sur cet élément de transparence qui nous permettra peut-être de développer la confiance ?

Deuxième question : nous évoquons ces questions maintenant, mais la nature humaine a tendance à vite oublier... Combien de temps dureront les bonnes intentions dont les distributeurs nous font part aujourd'hui ?

Troisième question, dans vos magasins, vous vendez aussi des produits transformés, utilisant comme matière première des produits agricoles qui ne sont pas obligatoirement français. Si vous voulez développer la transparence et la confiance, comment allez-vous faire pour limiter au maximum ces produits étrangers, de façon à favoriser l'agriculture française ? Merci, madame la présidente, de votre indulgence !

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Je suis heureux de parler après Laurent Duplomb, car je suis d'accord avec son analyse !

Sur la forme, on a entendu le monde agricole, avec toutes les difficultés qui perdurent en termes de rémunération ; on a entendu les industriels, qui parlent au travers de leurs communicants. Vous qui représentez la grande distribution, vous êtes également tous les trois des communicants ; vous êtes en rivalité les uns avec les autres, même si le président de la Fédération est présent - et vous êtes fédérés, alors même que le secteur est très concentré... Vous êtes donc extrêmement forts pour défendre vos intérêts !

Vos propos étaient extrêmement vertueux : vous tenez à une juste rémunération des producteurs, sans oublier vos clients qui sont à l'euro près - ce qui est vrai. En revanche, dans vos « temples de la consommation », vous faites tout pour pousser les clients à consommer. Les produits alimentaires, notamment bio, sont parfois des produits d'appel pour vendre autre chose...

L'avenir, à mon sens, est ailleurs parce qu'il y a moyen de contourner ce système. Les magasins de producteurs, qui marchent très bien, permettent de donner une rémunération beaucoup plus juste au producteur, sans coûter plus cher aux transformateurs.

Vous avez tenu avec virtuosité des propos vertueux sur le bio ! Selon le syndicat des entreprises bioagroalimentaires, il a d'emblée été demandé à pas moins de 28 % de ses entreprises de baisser leurs prix d'appel - je tenais à vous interpeller sur ce point.

Enfin, quelle est votre position sur la question des importations, dont la traçabilité et la main d'oeuvre posent problème ?

Debut de section - Permalien
Stéphane de Prunelé

Sur la transparence des marges et la construction des prix, les distributeurs sont totalement transparents depuis quelques années. Tout ce qui concerne la construction des prix des produits frais et les marges des distributeurs figure dans les rapports de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM). À ma connaissance, vous n'avez jamais contraint les industriels et les transformateurs à faire preuve de la même transparence...

L'une des raisons pour lesquelles nous avons beaucoup de mal à connaître la répartition de la marge et de la valeur dans la filière agroalimentaire tient à l'opacité complète du secteur de la transformation. Nous donnons tous les ans, sur la base de comptes d'exploitation de nos entreprises, la répartition des marges et des prix. Nous sommes transparents, tout comme le sont les producteurs.

Sur la valorisation des produits locaux, nous avons lancé, il y a dix ans, une opération appelée « Les alliances locales ». Nous avons accéléré la contractualisation avec les producteurs locaux ; nous aurons à la fin de l'année 15 000 accords d'approvisionnement direct de producteurs locaux dans les centres Leclerc à des prix peu, voire pas, négociés. Nous n'avons pas attendu la loi Égalim pour le faire !

Debut de section - Permalien
Thierry Cotillard, président d'Intermarché et de Netto, représentant le Groupement Les Mousquetaires

En matière de transparence, nous devons mener un travail de pédagogie et de marketing : les consommateurs veulent savoir où va la valeur ajoutée. Nous avons lancé, il y a un an, une action appelée « Les éleveurs vous disent merci ! ». Sur la brique de lait figurait l'indication : « 44 centimes pour l'éleveur, 20 centimes pour le distributeur et 20 centimes pour la laiterie ». Nous avions prévu de distribuer 5 millions de litres ; au final, 19 millions de litres furent écoulés ! La transparence s'est traduite par un succès commercial.

J'en viens à la pérennité de la loi. L'actualité et la pression poussent les acteurs à faire des efforts et à s'inscrire dans une démarche vertueuse. Mais aucune obligation de transparence ne s'impose à l'industriel ou au distributeur. L'équilibre est fragile car rien n'assure sa pérennité. L'exercice va bien se passer pour 2019, mais qu'en sera-t-il demain ?

Si l'on schématise, la répartition de la valeur est la suivante : pour le monde agricole, la rentabilité est nulle, voire négative ; pour la distribution, le taux est de 2-3 %. Jacques Creyssel pourrait vous parler de certains groupes qui sont presque leaders, mais qui connaissent pourtant d'importantes difficultés. Amazon pourra supporter un compte d'exploitation négatif pour l'alimentaire : les distributeurs seront alors en danger alors même qu'ils représentent des centaines de milliers d'emplois. Il faudra investir dans le digital pour se préparer à la guerre qui nous attend avec les concurrents étrangers.

Le taux de rentabilité de la laiterie qui fait de la MDD est de 3 % ; pour les PME qui travaillent pour la grande distribution, il est entre 3 et 5 % ; pour certaines multinationales, il est à 15 %. Pour la laiterie Saint-Père, je vous confirme que le taux n'est même pas de 1 %.

Il faudrait aussi évoquer les autres secteurs : nous sommes prêts à mener une action du type « Les éleveurs vous disent merci ! » pour la viande, puisque nous avons nos producteurs.

S'agissant du sourcing et du made in France, certaines marques de charcuterie vendent des produits comprenant 50 % de porc espagnol et 50 % de porc allemand. Le meilleur appui au cours du cadran, que Leclerc soutient évidemment, c'est d'acheter français. Les consommateurs sont favorables au made in France : il appartient donc aux industriels de changer leur stratégie de sourcing et d'aller acheter à Plérin plutôt que de faire venir des camions d'Espagne.

Debut de section - Permalien
Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD)

Nous avons besoin d'une agriculture puissante, avec des agriculteurs qui vivent dignement de leur métier. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'avec les organisations agricoles et industrielles, nous avons fait un certain nombre de propositions qui ont abouti aux États généraux de l'alimentation et à la loi Égalim.

Il est tout à fait essentiel que, dans cette évolution vers toujours plus de qualité, les agriculteurs français, qui incarnent cette exigence de qualité, soient mis en avant. Il faut sortir de cette idée selon laquelle nous serions les fossoyeurs de l'agriculture française : 70 % de nos produits agricoles sont vendus par notre intermédiaire et c'est grâce à nous que beaucoup de belles réussites se font dans ce domaine.

En ce qui concerne la transparence, nous sommes le seul pays au monde où les grands distributeurs rendent publiques leurs marges par produit. Ces dernières années, nous n'avions pas la même transparence pour un certain nombre de produits industriels ; là aussi, les choses progressent. Je rappelle aussi que nous étions d'accord avec les syndicats agricoles pour indiquer « origine France » sur les produits, contrairement aux industriels.

Pour répondre à certaines critiques, la distribution est un secteur majeur pour l'économie française. C'est souvent le premier employeur local dans vos territoires ; il fait vivre vos villes.

Debut de section - Permalien
Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD)

Nous avons créé 2 800 magasins alimentaires de proximité depuis sept ans. Nous représentons plus de 750 000 emplois, qui sont aujourd'hui en danger, parce que les marges de la grande distribution sont historiquement les plus basses que l'on n'ait jamais connues, alors même qu'il faut investir pour réinventer les magasins et le commerce face non seulement à Amazon, mais aussi aux Chinois. La vitesse à laquelle les choses changent est considérable ! La marge nette d'Amazon est de - 6%, sans payer d'impôts - cela représente un avantage de 10 % -, alors que la nôtre est inférieure à 1 %...

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Cuypers

Quels sont les critères de mise en rayonnage de produits appelés « Top Budget » ? S'agit-il simplement de promotions ? Comment apprécier la qualité de ces produits ? Quelle est la conséquence de ces produits d'appel sur le producteur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Buis

Je vois d'un bon oeil les avancées en matière de contractualisation. J'enregistre avec satisfaction l'idée selon laquelle les consommateurs sont prêts à payer plus pour avoir un produit de qualité, ce qui peut être bénéfique à terme - encore faut-il parvenir à les produire. Les producteurs doivent bénéficier des retombées, mais encore faut-il que des contre-publicités du style « Quand la loi nous oblige à augmenter les prix, le ticket Tartempion est là pour défendre le pouvoir d'achat » ne viennent pas phagocyter ces avancées...

Quand aurons-nous sur les tickets de caisse l'indication de ce qui revient au producteur en face du prix des articles ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

Il faudrait se mettre d'accord sur la constitution des prix, et notamment sur le prix de la matière première, dans les produits vendus. Si sur un litre de lait vendu 1 euro, la matière première coûte 0,4 euros, une augmentation du prix de vente de 5 % devrait rapporter 12 % au producteur - c'est mathématique ! Je n'arrive pas à comprendre pourquoi, lorsqu'on augmente ou baisse un prix, on ne dit pas clairement ce qui doit revenir au producteur.

Par ailleurs, vous vous plaignez souvent de la réglementation. Mais pourquoi ne pas faire l'effort d'être vertueux ? À partir du moment où une marchandise contient 90 % de produits français, on lui donne un label produit français. Comment une viande produite en Pologne mais conditionnée en France devient-elle une viande française ? Il va falloir éviter ce genre de dérives.

Madame la présidente, il faudra aussi entendre tous les acteurs de la restauration hors domicile. Les Français sont contents de se restaurer pour pas cher dans les cantines, mais il va falloir leur dire ce qu'ils mangent...

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Ces tables rondes, qui sont très intéressantes, nous permettent d'évaluer la loi. Quand on reçoit les parties séparément - nous avons invité les professionnels et les syndicats, aujourd'hui les distributeurs, puis nous écouterons les transformateurs -, elles veulent toutes revaloriser le revenu des agriculteurs.

J'ai entendu, avec satisfaction, que la grande distribution avait besoin des agriculteurs, tout comme les agriculteurs ont besoin des transformateurs et de la grande distribution... Mais chacun rejette la faute sur les autres ! Il faudrait les réunir tous ensemble pour savoir qui a raison et qui a tort.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

On a évoqué d'une part la volonté de certains consommateurs de payer plus cher pour des produits de qualité et d'autre part le manque de productions bio. Vous avez donné l'exemple du porc bio, importé à 80 %. Vous n'avez pas répondu à la question de certains de mes collègues sur votre stratégie pour développer l'offre bio, afin d'importer moins. J'ai cru comprendre que la consommation de ces produits augmentait sensiblement, avec des taux à deux chiffres par an. J'insiste, comment développer l'offre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Bertrand

Michel Raison vous a interrogé sur les fruits et légumes. La contractualisation existait avant la loi Égalim. Qu'en est-il maintenant ?

Par ailleurs, vous avez parlé « d'accompagner » la conversion en bio. Qu'est-ce que cela signifie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

On a beaucoup évoqué la transparence, les distributeurs, les fabricants et les industriels se renvoyant la balle. J'ai le sentiment que cette transparence est plus facile à obtenir avec les organisations coopératives sur un produit comme le lait ou sur les filières organisées agricoles qu'avec des industriels de la transformation. Mon sentiment repose-t-il sur une réalité ?

J'en viens à la péréquation dans les rayons et au rapport entre marques nationales et marques de PME. J'ai bien compris qu'avec le SRP + 10 %, vous alliez gagner plus d'argent avec les marques nationales, puisque vous êtes en quelque sorte « obligés » de faire une marge. Si j'étais commerçant, je donnerai plus de place aux produits sur lesquels je gagne plus d'argent. Accordez-vous davantage de place à produits ? Cela serait logique d'un point de vue commercial, mais réduirait la place des marques de PME dans les linéaires. Y a-t-il aussi un effet en termes de promotions - il est plus facile de baisser le prix de marques sur lesquelles on gagne plus d'argent ?

Vous avez évoqué, monsieur Creyssel, la mise en place d'un observatoire des négociations pour disposer d'un outil neutre et bienveillant. N'est-ce pas le rôle de l'Observatoire des prix et des marges ?

Enfin, vous avez exprimé votre volonté d'avoir davantage de produits à valeur ajoutée, comme les produits bio ou AOC. On remarque la tentation de les utiliser comme produits d'appel et d'en baisser les prix, ce qui serait terrible pour nos agriculteurs - avec des problèmes à la fois de volume et de prix.

Debut de section - Permalien
Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD)

Sur le bio, une série d'initiatives a été prise par les enseignes pour aider à la conversion, notamment par des contrats de plus long terme, de façon à garantir le marché. Aujourd'hui, la grande distribution représente plus de la moitié du marché du bio. Malheureusement, nous avons des difficultés dans ce domaine : par exemple, nous n'arrivons pas à faire accepter notre candidature au conseil d'administration de l'Agence Bio (Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique). C'est pourtant le lieu où nous devrions discuter tous ensemble de ce sujet. Le Syndicat du bio, qui représente d'abord et avant tout un grand distributeur spécialisé et pas vraiment des producteurs, défend plutôt l'augmentation des parts de marché de certains commerces spécialisés par rapport à la distribution générale. Nous considérons, pour notre part, que le bio doit être pour tout le monde, et pas seulement pour certains happy few.

La transparence sur ce qui revient au producteur, qui est un vieux débat, n'est possible que sur un produit déterminé, comme avec « C'est qui le patron ? ». C'est évidemment un élément positif, mais cela ne peut être fait que produit par produit, pour ceux qui le veulent.

Les débats actuels sur l'ordonnance relative aux prix abusivement bas montrent que la transparence au sein des coopératives est un sujet délicat. Je ne suis pas certain qu'on puisse en tirer les conclusions que vous évoquiez. Cette ordonnance est un cas intéressant en matière de transparence : à ce stade, il a été décidé qu'elle ne s'appliquerait qu'au premier niveau, entre le producteur et l'industriel, car pour qu'elle soit du deuxième niveau, il aurait fallu que l'ensemble des coopératives et des industriels soient totalement transparents pour vérifier si le prix était abusivement bas ou non. Les professionnels en question ont préféré que nous ne soyons pas concernés par ce sujet pour éviter cette transparence excessive. Cela fera certainement l'objet d'un débat intéressant le jour où vous devrez ratifier cette ordonnance.

Le Gouvernement a demandé au médiateur des relations commerciales agricoles de travailler avec les professionnels sur la mise en place d'un observatoire. Nous aurions souhaité qu'il intervienne pendant les négociations ; finalement, il le fera a posteriori, et les résultats seront disponibles en avril prochain. C'est déjà une première étape importante ; notre souhait est de sortir du théâtre qui était évoqué chaque année. L'observatoire que nous mettons en place au sein de la FCD est un élément tout à fait important puisqu'il concerne l'ensemble de nos enseignes et des produits, afin d'avoir une vision objective, parallèlement à l'Observatoire des prix et des marges, qui a une autre ambition.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Il me semble que toutes les parties ne sont pas adhérentes de la FCD.

Debut de section - Permalien
Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD)

Effectivement, mais nous sommes tous attachés à la transparence !

Debut de section - Permalien
Thierry Cotillard, président d'Intermarché et de Netto, représentant le Groupement Les Mousquetaires

Top Budget est la ligne de premiers prix d'Intermarché, apparue dans la grande distribution en réponse à l'arrivée des hard discounters. Lidl et Aldi ne vendent pas de marques nationales, mais leurs marques de produits, avec un écart prix de l'ordre de 30 à 35 %. Les marques des distributeurs sont 20 % moins chères que les marques nationales ; les lignes de premier prix sont 30 % moins chères.

Debut de section - Permalien
Thierry Cotillard, président d'Intermarché et de Netto, représentant le Groupement Les Mousquetaires

Très honnêtement, vous en avez pour votre argent. Cette ligne a été limitée ces dernières années à des produits de première nécessité, comme la farine et le sucre, qui ne subissent pas de transformation. Avant, nous faisions 4 % de notre chiffre d'affaires sur ces produits ; en trois années, pendant lesquelles le rapport à l'alimentation a évolué, nous sommes passés à 2 %. Nous essayons de faire disparaître cette ligne, mais elle couvre les besoins de consommateurs ayant des problèmes de pouvoir d'achat.

Peut-on généraliser la transparence du prix payé à l'éleveur ? Intermarché le fera pour les produits dérivés du lait - pour le beurre, c'est déjà le cas. Nous irons plus loin au printemps, avec les oeufs. Nous avons l'ambition de le faire sur le porc et le boeuf, ce qui serait un exploit ! Pour cela, il faut faire « basculer » encore davantage d'éleveurs dans nos contrats. Pour le porc, 50 % des éleveurs sont contractualisés. Si l'on veut être crédible, il faudrait que ce soit le cas pour les trois quarts des éleveurs qui livrent les abattoirs d'Intermarché. On aura alors tout intérêt à le revendiquer sur les étiquettes.

S'agissant du made in France, on le signale autant que faire se peut, car c'est un critère de choix aujourd'hui du consommateur. Si vous ne voyez pas d'indication d'origine française, c'est que malheureusement les matières premières viennent de l'étranger.

Concernant la conversion en bio, les démarches sont très longues : pour le lait, quatre ans d'aides et pour le porc, douze. Il faut trouver l'éleveur qui se jette dans le vide, le sécuriser, l'accompagner financièrement dans les périodes où il ne produit pas... Le chemin sera long mais nous avons intérêt à le faire car les ventes de bio en grandes et moyennes surfaces augmentent aujourd'hui de 23 à 24 %. Il faut absolument travailler main dans la main avec le monde agricole, car le véritable risque, c'est l'importation ! C'est tout l'enjeu de rejoindre les interprofessions, qui est l'un des objectifs de la loi. Leclerc, Intermarché, la FCD s'y attellent.

Debut de section - Permalien
Thierry Cotillard, président d'Intermarché et de Netto, représentant le Groupement Les Mousquetaires

C'est aujourd'hui une stratégie commerciale que d'attirer le chaland avec des produits attractifs sur le bio. Il est vraiment important que le producteur ne soit pas impacté par ces prix. J'entends qu'il peut être choquant d'avoir un produit qui ne soit pas valorisé. Si l'on prend l'exemple du porc, les consommateurs délaissent cette viande pour les fêtes de fin d'année, ce qui conduit à une surproduction en janvier. Le seul moyen de l'écouler est de proposer des prix attractifs.

Sur l'impact de la loi, vous avez raison, madame la présidente, dans la logique de l'achat. Mais je fais le pari inverse : nous avons un boulevard pour ce qui est du développement des ventes des produits issus des PME, puisque l'écart prix va s'accroître. Nous nous sommes donné deux ans pour faire changer la loi. Je vous alerte sur les PME qui font leur chiffre d'affaires avec des promotions. Nous avons identifié des secteurs d'activité et des PME en danger en raison du plafond à 25 %. Il faudra être très réactif : n'attendez pas deux ans pour changer la loi.

Debut de section - Permalien
Stéphane de Prunelé

Sur l'accompagnement du bio, une étude de Que choisir ? a montré que les marges pratiquées dans le bio par les circuits spécialisés - des enseignes qui trustent le Syndicat du bio - étaient plus élevées que celles de la grande distribution.

Pour illustrer ce que peut être l'accompagnement, je citerai deux exemples que nous mettons en oeuvre au travers de la société fabriquant nos marques de distributeurs, la Scamark.

La Scamark a lancé un label de conversion, appelé « Les récoltes d'avenir » : nous avons passé un accord avec la coopérative « Les celliers associés », qui regroupe 460 producteurs de pommes normands et bretons. Ils s'engagent à ne pas utiliser de pesticides, de chimie et de radiation, avec un délai de transition de 3 à 4 ans. La première année, les produits, notamment les jus de fruits, de ces 460 éleveurs intègrent notre « marque repère » qui est notre marque de distributeur de premier niveau en conventionnel. Les deuxième et troisième années, ils intègrent la marque « Les récoltes d'avenir », qui signale au public que les producteurs sont en train de passer au bio et qui traduit un engagement de qualité sanitaire et environnementale. Une fois cette transition terminée, les producteurs auront le label « Bio Village ». Tout cela se fait dans un cadre contractuel, avec des engagements de prix et de volume.

Nous faisons à peu près la même démarche en matière de fruits et légumes, avec le label de transition « La voix des champs ». Le principe est le même, avec une transition sur plusieurs années pour parvenir à des produits qui seront labellisés bio, plus chers que les produits conventionnels. Là aussi, le cadre est contractuel.

Des produits sont déjà en phase de test, car nous n'avons pas attendu la publication des ordonnances pour le faire. Nous avons des références de barquettes de pommes, de pommes de terre, de salade, de concombre, et nous allons bientôt le faire avec les tomates et les carottes.

Je ne sais pas si les prix des produits des coopératives sont plus transparents ; je me demande si le problème n'est pas plutôt lié au taux de transformation du produit. Plus le produit est transformé, plus il est difficile d'obtenir de la transparence de la part de l'industriel.

Enfin, je voudrais répondre très brièvement sur une publicité de Michel-Édouard Leclerc. Leclerc est la plus touchée par la loi Égalim. Nous sommes donc légitimes à défendre notre image, qui profite aux consommateurs, même si nous faisons beaucoup d'efforts en faveur des producteurs agricoles. Un distributeur doit servir ses consommateurs : c'est ce que nous avons voulu dire par cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Je vous remercie. J'ai bien retenu votre proposition sur les promotions. Comme cela m'a été suggéré, nous organiserons un échange entre les différents intervenants lors d'une prochaine table ronde.

La réunion est close à 11 h 25.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.