Nous avons deux points à l'ordre du jour : l'avis de notre commission sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 et l'examen du rapport spécial sur la mission « Santé » du projet de loi de finances (PLF) pour 2020.
J'ai choisi cette année de resserrer l'examen du PLFSS sur l'étude de la trajectoire financière des comptes sociaux et des relations entre l'État et la sécurité sociale. Je laisse les questions thématiques - la crise constatée au sein des hôpitaux publics ou la taxe sur les boissons à base de vins aromatisés - à la commission des affaires sociales, saisie au fond.
Lors de la présentation du PLFSS pour 2019, le Gouvernement nous avait annoncé la fin du déficit de la sécurité sociale dès 2019. Le présent projet de loi de financement apporte un cruel démenti à cette perspective.
Abordons tout d'abord l'exécution de l'exercice 2018. La réduction attendue du déficit de la sécurité sociale en 2018 a été moins élevée que prévu. Cette réduction reste largement liée à une augmentation des recettes, la progression des dépenses demeurant supérieure à la croissance potentielle de notre pays.
Dans ces conditions, le déficit agrégé du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui s'établit à 1,2 milliard d'euros, dépasse la prévision retenue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, qui tablait sur un déficit de 1 milliard d'euros. Ce déficit est principalement alimenté par la branche maladie. On n'était donc pas très loin des prévisions.
Mais c'est en 2019 que les comptes dérapent véritablement En effet, l'exercice 2019 marque une rupture avec la trajectoire de retour à l'équilibre annoncée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. L'effet de la non-compensation des mesures d'urgence économiques et sociales ne peut justifier à lui seul le creusement du déficit des comptes sociaux, qui résulte pour moitié d'un défaut de pilotage. En effet, le ralentissement de la croissance économique, qui entraîne de moindres recettes à hauteur de 1 milliard d'euros, était prévisible, et la progression des dépenses, à hauteur de 1,4 milliard d'euros, aurait pu être mieux contenue. Un tel retournement trahit le manque de crédibilité des prévisions soumises au Parlement dans le cadre du PLFSS.
Je le rappelle, les dépenses de sécurité sociale à périmètre constant n'ont cessé, depuis 2000, à l'exception de 2015, d'évoluer plus rapidement que la croissance potentielle.
Les mesures adoptées en décembre 2018, dans le cadre de la loi du 24 décembre 2018 portant mesures d'urgence économiques et sociales, pour répondre à la crise des « gilets jaunes » ont également un impact direct sur l'équilibre des comptes sociaux.
Ainsi, l'exonération de cotisations sociales de la prime de fin d'année, adoptée en décembre 2018, conduit à ramener la progression de la masse salariale à 3 %. Les versements effectués - 0,5 milliard d'euros en 2018 et 1,7 milliard d'euros début 2019 - ont en effet pu se substituer à des primes qui devaient, en toute hypothèse, être attribuées. La direction générale du Trésor estime que, si elles avaient été soumises à prélèvements sociaux, lesdites primes auraient pu créer 400 millions d'euros de recettes supplémentaires - l'effet d'aubaine est incontestable -, et la masse salariale aurait pu ainsi progresser de 3,3 %.
Cette prime, dont j'approuve personnellement le principe, a été versée entre le 11 décembre 2018 et le 31 mars 2019. Elle est exonérée de prélèvements sociaux et d'impôts dans la limite de 1 000 euros pour les salariés dont la rémunération est inférieure à trois fois le SMIC. Les montants versés ont atteint 0,1 milliard d'euros au quatrième trimestre 2018 et 2,1 milliards d'euros au premier trimestre 2019, soit, au total, 12 % de la masse salariale. In fine, 4,8 millions de personnes ont bénéficié de cette prime, ce qui représente 401 euros par personne en moyenne. Malgré ces chiffres, je le répète, je reste favorable, pour ma part, à cette mesure de soutien au pouvoir d'achat.
Dans le même temps, l'avancée de septembre à janvier 2019 de l'exonération de cotisations sociales des heures supplémentaires devrait déboucher sur une moindre recette de 1,3 milliard d'euros. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoyait initialement la non-compensation de ce dispositif pour la période courant de septembre à décembre 2019. Au total, 224 millions d'heures supplémentaires ont été déclarées par 6,8 millions de personnes.
La réduction de 1,7 point du taux de la contribution sociale généralisée (CSG) sur les pensions comprises entre 1 200 et 2 000 euros devrait également réduire les recettes de la sécurité sociale de 1,5 milliard d'euros, le Gouvernement choisissant, là encore, de ne pas compenser cette mesure. In fine, 3,8 millions de foyers, soit 5 millions de retraités, sont concernés.
Ainsi, au total, la non-compensation des mesures d'urgence économiques et sociales se traduit par une perte de recettes pour la sécurité sociale dont le montant peut être estimé à plus de 3 milliards d'euros : la non-compensation des mesures « gilets jaunes » représente donc plus de la moitié du déficit de 2019.
Dans ces conditions, le déficit cumulé du régime général et du FSV devrait atteindre 5,4 milliards d'euros, alors qu'un excédent de 0,1 milliard d'euros était espéré en début d'exercice ; énorme rechute ! La sécurité sociale est, de fait, utilisée pour répondre à des impératifs politiques en matière d'augmentation du pouvoir d'achat, ce qui entre en contradiction avec ses missions originelles. Le traitement de la crise des « gilets jaunes » est en partie financé par la sécurité sociale...
Le Gouvernement justifie la non-compensation des mesures relatives aux « gilets jaunes » en se référant à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. Aux termes de celle-ci, les baisses de prélèvements obligatoires sont supportées par l'État ou la sécurité sociale, en fonction de leur affectation. La participation de la sécurité sociale au financement du coût des allégements de charges est justifiée par l'effet bénéfique de ces mesures pour l'emploi et donc pour la masse salariale, sur laquelle sont assises ces cotisations.
Il en découle une rénovation des relations financières entre l'État et la sécurité sociale, dont les modalités sont désormais les suivantes : les exonérations spécifiques de cotisations sont toujours prises en charge par l'État ; les allégements généraux ne donnent pas lieu à compensation, même si aucun effet rétroactif n'est appliqué sur les allégements généraux mis en oeuvre avant 2019 ; les transferts entre l'État et la sécurité sociale donnent lieu à l'affectation d'une fraction de TVA supplémentaire. Par ailleurs, il est instauré une solidarité financière entre les deux sphères, dans le triple contexte d'un renforcement des dispositifs d'allégement du coût du travail, d'une perspective de retour durable à l'équilibre de la sécurité sociale et du maintien d'un déficit budgétaire élevé de l'État.
Cette nouvelle architecture permet de déroger, annuellement, aux dispositions de l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, introduit par la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, dite « Veil ». Aux termes de cet article, toute mesure de réduction ou d'exonération de cotisations de sécurité sociale donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l'État, pendant toute la durée de son application.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoyait déjà 2,1 milliards d'euros de mesures non compensées. Cette non-compensation pouvait paraître justifiée, dans la mesure où la Cour des comptes avait relevé, à la fin de 2016, une surcompensation par l'État des allégements généraux de l'ordre de 3 milliards d'euros. L'impact des mesures d'urgence adoptées fin 2018 n'est pas, en revanche, absorbé par cette surcompensation. Le principe de la non-compensation vient exacerber une dérive des comptes sociaux.
Je m'interroge, pour ma part, sur l'architecture des deux lois de financement, la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale. On a l'impression d'une usine à gaz, pleine de compensations et de non-compensations. La sécurité sociale avait vocation, à l'origine, à être financée par les cotisations, mais, aujourd'hui, son financement repose à 50 % sur les cotisations et à 50 % sur la fiscalité. Peut-être faudrait-il revenir sur l'architecture de nos finances publiques.
Venons-en désormais aux perspectives pour 2020. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit un déficit cumulé du régime général et du FSV de 5,1 milliards d'euros, et il diffère le retour à l'équilibre à l'horizon de 2023. Cette perspective peut sembler optimiste, compte tenu des hypothèses retenues en matière de progression de la masse salariale et en l'absence de mesures structurelles visant les dépenses de l'assurance-maladie. En effet, sans mesure particulière, je ne crois pas du tout au retour à l'équilibre en 2023, car je ne vois pas ce qui pourrait inverser des déséquilibres si importants, d'autant que les nouvelles dépenses non compensées vont être consolidées.
Le texte confirme la non-compensation par l'État d'un certain nombre de dispositions ayant un impact sur les comptes sociaux, dont les mesures d'urgence économiques et sociales. Il prévoit ainsi de limiter la compensation de l'exonération de cotisations sociales visant les jeunes entreprises innovantes, alors qu'il s'agit pourtant d'une exonération ciblée. L'exonération des cotisations et contributions sociales sur les indemnités de rupture conventionnelle des fonctionnaires est par ailleurs assimilée à un allégement général et ne donnera pas lieu à compensation. Donc, même pour ses propres agents, l'État ne compense pas les exonérations qu'il décide...
Ces dérogations, si modestes soient-elles - il s'agit d'environ 36 millions d'euros -, démontrent bien que la logique sur laquelle reposent ces transferts de financement reste confuse et s'avère inadaptée aux difficultés que rencontrent par ailleurs les comptes sociaux. Elles traduisent une lecture à géométrie variable, par le Gouvernement, de sa propre doctrine, telle que définie dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. La volonté de clarifier les relations financières entre l'État et la sécurité sociale ne résiste pas au souhait de minorer l'impact, pour le budget de l'État, de nouveaux dispositifs, plus ou moins coûteux. Le PLFSS pour 2020 privilégie la confusion et la gestion à vue plutôt qu'une rationalisation, qui avait suscité un certain consensus.
Je ne suis pas hostile à l'idée que l'État puisse bénéficier du retour à meilleure fortune de la sécurité sociale, en limitant ses compensations, puisqu'il a fait l'inverse dans le passé. Toutefois, si cela pouvait s'entendre en 2018, quand l'équilibre des comptes sociaux était envisagé à court terme, cela va aujourd'hui à rebours de la réalité des comptes sociaux.
Lors de son discours de politique générale du 4 juillet 2017, le Premier ministre avait insisté sur la mise en place d'une sorte de règle d'or visant à « proscrire [...] le déficit de nos comptes sociaux ». Cette ambition est-elle encore d'actualité ? Ne faudrait-il pas plutôt fusionner les comptes sociaux avec ceux de l'État ?
Dans ces conditions, et compte tenu de la structure du financement de la sécurité sociale, qui ne repose plus que pour moitié sur les cotisations sociales, je m'interroge sur la pertinence du maintien d'une loi de financement autonome pour la sécurité sociale.
Faute de recettes nouvelles, le PLFSS table sur une stabilisation, en 2020, des recettes existantes. Cela relève néanmoins, pour partie, du faux-semblant, puisque l'on se cantonne à supprimer des rétrocessions à l'État, adoptées l'an dernier, de fractions de TVA et de CSG, pour un montant de 3,1 milliards d'euros, et à majorer la fraction de TVA versée à la sécurité sociale qui dépassera 50 milliards d'euros. Aucune réflexion n'est véritablement engagée sur les niches sociales, malgré ce qui était annoncé, afin de réduire leur coût, estimé à 90 milliards d'euros par an.
Le PLFSS ne prévoit pas, par ailleurs, de réelle maîtrise des dépenses, lesquelles sont appelées à progresser de 2,3 % au cours de l'année, soit une croissance supérieure à la croissance potentielle du pays. Aucune mesure d'économie d'ampleur n'est proposée, à propos notamment de deux postes coûteux : les indemnités journalières pour arrêt maladie - 11,3 milliards d'euros par an, hors congé de maternité - et les transports médicalisés - 5 milliards d'euros -, dont l'étude fait apparaître un certain nombre de dérives.
Un écart avec la cible retenue pour les dépenses est par ailleurs à craindre en 2020, au regard de la diminution constante du reste à charge, de la crise constatée au sein des hôpitaux et de la revalorisation des relations conventionnelles avec les professionnels de santé.
Je conclurai mon propos en abordant la question de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Le creusement du déficit du régime général et du FSV ne remet pas en cause l'extinction de la dette sociale gérée par la Cades à l'horizon de 2024. Il devrait rester, fin 2019, 89,3 milliards d'euros de dette à amortir. Tout est prévu pour que cela s'éteigne bien en 2024. En revanche, l'accroissement du déficit conduit le Gouvernement à renoncer au transfert d'une fraction de CSG vers la Cades - 5 milliards d'euros d'ici à 2022 - en vue d'un apurement de la dette de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à partir de 2020.
Le déficit des comptes sociaux devrait conduire la dette de l'Acoss à progresser et à demeurer au sein de cette agence, sans être reprise par la Cades ; les déficits structurels que l'on recrée en 2019 entraîneront une dette sociale d'environ 46 milliards d'euros à l'horizon de 2022. L'apurement de la dette de l'Acoss doit donc être envisagé à partir de 2024, au travers d'une réaffectation de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), ce qui rend illusoire sa suppression à cette date et écarte une baisse des prélèvements obligatoires.
Reste la question du financement à long terme des préconisations du rapport de Dominique Libault sur la dépendance, dont le coût est estimé à 4,9 milliards d'euros d'ici à 2030, dont 4,1 milliards d'euros d'ici à 2024. En ajoutant ces mesures aux effets de la démographie, le besoin de financement public supplémentaire s'élèverait à 6,2 milliards d'euros d'ici à 2024 et à 9,2 milliards d'euros d'ici à 2030. Les propositions présentées dans le rapport entraîneraient une augmentation progressive de la dépense publique de 1,1 % à 1,6 % du PIB en 2030. À cette date, la charge pour l'État serait comprise entre 4 milliards et 5 milliards d'euros par an.
Afin de faire face à cette charge, le rapport table sur un recours au financement public et à la mobilisation des prélèvements obligatoires existants. Prenant en compte l'apurement total de la dette de la Cades, le rapport Libault préconise ainsi la réorientation de la CRDS vers la dépendance.
Toutefois, je tiens à le rappeler, l'affectation d'une ressource initialement dédiée à l'apurement d'une dette, qui n'est pas une charge, à une nouvelle dépense dégraderait, au sens de la comptabilité nationale et des critères de Maastricht, le solde public. Une altération de 0,3 à 0,4 point de PIB est ainsi évoquée. Cette aggravation du déficit paraît incompatible avec nos engagements européens.
Par conséquent, cette situation financière de nos comptes sociaux laisse le problème du « cinquième risque » entier. En outre, elle ne laisse pas présager de baisse potentielle des prélèvements sociaux.
Le cinquième risque devrait plutôt conduire à accélérer les réformes structurelles au sein des régimes sociaux, afin de réduire leurs dépenses et d'améliorer leurs recettes. Cela suppose une amélioration du pilotage des comptes sociaux, que le présent PLFSS ne propose qu'imparfaitement.
Sous la réserve de ces observations et du sort qui sera réservé aux amendements que présentera la commission des affaires sociales - l'adoption de certains d'entre eux pourrait avoir des conséquences très significatives - je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption de ce PLFSS.
Nous devons émettre un avis sur un budget considérable, présentant des soldes absolument inquiétants. Il en est un peu du PLFSS comme du PLF : en gros, l'effort est repoussé. L'équilibre annoncé pour demain est reporté à 2023. Si le solde de certaines des branches du régime obligatoire de base est excédentaire, je suis frappé par celui de la branche retraites, qui est très négatif.
Alors que la réforme des retraites s'engage, un certain nombre de maladresses ont été commises, comme l'idée de réformer des régimes qui ne sont pas du tout déficitaires, à l'instar du régime des professions libérales. Je crains que ces maladresses ne conduisent à rendre la réforme extrêmement difficile. Or cette réforme est urgente !
Je suis également frappé par l'importance croissante des transferts. Ainsi, alors que le produit de la TVA est de plus en plus important, il alimente de moins en moins le budget de l'État. Il va déjà, en partie, aux administrations de sécurité sociale. Demain, si la réforme de la taxe d'habitation devait aboutir en l'état, les départements et les intercommunalités en toucheraient également une fraction. Cette évolution est quelque peu inquiétante pour les recettes de l'État, notamment en cas de crise. Celui-ci risque, à l'avenir, de se priver de la principale recette fiscale, dont il perçoit de moins en moins les fruits.
Le rapporteur a répondu à ma question sur le financement de la dépendance. Le plan Dépendance annoncé pour l'automne est lui-même dépendant de l'équilibre à venir de la sécurité sociale...
Les allégements commencent à ne plus être compensés systématiquement. L'année dernière, on a trouvé une astuce pour justifier qu'ils ne le soient pas. N'y a-t-il pas, de ce point de vue, un risque d'inconstitutionnalité cette année ?
Nous avons voté une loi de programmation des finances publiques, qui a défini une trajectoire pour les finances de l'État, des collectivités locales et de la sécurité sociale. Le Gouvernement, via le PLF et le PLFSS, a la main sur le budget de l'État et sur celui de la sécurité sociale. Or ce sont ces budgets qui dérapent. Finalement, les collectivités locales sont les seules à tenir la barre. Alors qu'elles ont bien souvent été mises à l'index, elles sont aujourd'hui les seules à respecter les lois de programmation.
Dès lors, à quoi cela sert-il de revoter une loi de programmation des finances publiques au printemps prochain, sachant qu'elle ne sera pas respectée par ceux qui la font ?
Le PLF pour 2020 est le troisième que j'examine en tant que sénateur ; je dois dire que je suis assez inquiet.
On sent que l'étau se resserre sur l'idée, qui nous semblait auparavant assez ubuesque, d'une fusion éventuelle, à terme, du PLF et du PLFSS. Cette fusion serait dramatique pour la santé.
Notre modèle, ancien, repose sur la discussion entre les différents partenaires. On sent très bien, dans l'exposé du rapporteur, mais plus encore dans les dispositions du PLFSS, qu'une « bercysation » du système de santé est en cours. À quoi ressemblerait, demain, une négociation de la convention médicale avec Bercy ? Qui fixerait le prix des actes médicaux ? Imagine-t-on que c'est Bercy qui en décide, alors qu'il était jusque-là fixé dans le cadre d'une convention générale, regroupant différents partenaires ?
La résignation avec laquelle nous abordons ce sujet m'inquiète très fortement. Cette attitude, que nous avons eue sur de nombreux sujets - je pense à la loi NOTRe - a amené des cataclysmes et la nécessité de rétropédalages majeurs. En ce qui me concerne, je mènerai le combat pour que les deux budgets ne fusionnent pas. J'y insiste, cette fusion serait une erreur majeure pour notre pays.
Je souscris complètement aux propos de M. Jean-François Rapin.
Je me souviens très bien que, avant l'épisode des « gilets jaunes », nous nous demandions si l'État n'allait pas « pomper » les excédents annoncés de la sécurité sociale. Par conséquent, je suis d'autant plus surprise que certaines mesures du présent budget ne soient pas compensées. Je suis favorable à ce que des mesures compensées l'année dernière continuent à l'être cette année.
Pour aller plus loin sur la question de la lisibilité, seriez-vous favorable, monsieur le rapporteur, à la réorganisation de la feuille de paie ? On n'y comprend plus rien ! Ne faudrait-il pas, demain, permettre une meilleure visibilité en isolant un bloc contributif, identifiant les cotisations affectées aux risques vieillesse, chômage, maladie ou accident du travail, des cotisations permettant de financer la solidarité ? Cela permettrait de commencer à y voir un peu plus clair sur les prélèvements obligatoires... Il en va de même dans le budget de la sécurité sociale pour 2020 : on ne comprend pas pourquoi certaines mesures continuent à être compensées, quand d'autres ne le sont plus.
Je partage l'inquiétude exprimée par notre rapporteur, qui a bien détaillé le problème de lisibilité et de sincérité du PLFSS.
Je le rejoins sur le cinquième risque : malgré les discours et les engagements, on s'éloigne constamment de la prise en compte de la dépendance, ce qui commence à poser des difficultés sur nos territoires, dans le quotidien de nos concitoyens. Cela peut mener à de nouveaux débordements, après le mouvement des « gilets jaunes ».
Il paraît vital d'accélérer la réforme des régimes sociaux. À cet égard, il convient de prolonger l'alerte lancée par M. le rapporteur. Je dois dire que, compte tenu du constat qu'il a dressé, sa conclusion me surprend.
Presque toutes les questions qui m'ont été posées abordent de près ou de loin l'organisation de nos finances publiques. Cela prouve bien que c'est un vrai sujet. La lisibilité d'antan, quand le système de sécurité sociale était financé quasiment exclusivement par les cotisations sociales, a disparu. Je n'imagine pas que le niveau de prélèvements sociaux opéré sur la fiche de paie de nos concitoyens puisse encore augmenter. On ponctionne aujourd'hui environ 25 % du salaire brut de nos salariés : c'est comme si leur salaire ne leur était pas versé un mois sur quatre !
Or, sur le moyen et le long terme, compte tenu des besoins, on n'aura pas moins besoin d'argent pour financer la santé ou la dépendance. Dans le même temps, les coûts de l'intervention sociale ne diminueront pas... Nous sommes donc durablement installés dans une situation où le modèle social français n'est plus financé par les cotisations. Il l'est à près de 50 % par d'autres produits, principalement les produits de la fiscalité. Ce mouvement me paraît quasiment irréversible. Par conséquent, le modèle auquel nous pouvons être attachés ne me semble plus justifié.
S'agissant des non-compensations, je ne peux pas véritablement répondre à votre question, M Jérôme Bascher. On verra ce qu'en dira le Conseil constitutionnel s'il en est saisi. On voit bien que des entorses à la loi Veil ont été commises par tous les gouvernements.
Une trajectoire des finances publiques est-elle utile ? Il faut bien que l'on ait des prévisions. Certes, entre ce qui nous a été annoncé au début de l'année et le résultat fin 2019, il y a 5,5 milliards d'euros d'écart. Comme je vous l'ai expliqué, cet écart est dû, pour moitié, aux annonces intervenues à la suite du mouvement des « gilets jaunes » et, pour moitié, au pilotage. De toute évidence, il s'agit soit d'une erreur d'interprétation ou de prévision sur les grands critères macroéconomiques, soit de grands événements imprévisibles qui sont intervenus. Quoi qu'il en soit, une telle situation n'est pas satisfaisante.
Concernant la fusion des deux budgets, je ne suis pas certain qu'elle poserait plus de problèmes qu'il y en a aujourd'hui en matière de santé publique ou de santé de ville. L'argent dépensé, les énergies déployées, le nombre incommensurable de personnes et d'agences intervenantes dans un circuit où la dette passe de l'un à l'autre me laissent perplexe : si cette machinerie était simplifiée, le coût qui serait économisé pourrait être reversé dans des crédits d'intervention pour la santé publique.
Il n'est pas question d'aller plus loin aujourd'hui sur la question. En tout état de cause, il faut bien distinguer le sujet du déficit de celui de notre organisation pour y faire face.
Pour rebondir sur les propos de Jean-François Rapin, il n'existe pas de leadership des partenaires sociaux qui permette de dialoguer avec le Gouvernement et de s'opposer à ses décisions. Le ministère de la santé décide de tout : l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), les taux, etc.
Je tiens à vous rassurer : la fusion des deux budgets permettra de réaliser des économies, mais ne fera pas disparaître pour autant le paritarisme. Je rappelle, par ailleurs, que certaines interventions sociales de l'État ne donnent pas lieu à un budget spécifique, mais impliquent pourtant le paritarisme.
Je suis d'accord avec Sylvie Vermeillet pour simplifier et rendre plus lisible la feuille de paie, à la fois pour les employeurs, qui doivent se faire aider pour l'établir, et pour les salariés.
Pour répondre à Antoine Lefèvre, je fais en sorte que ce Plfss soit le plus lisible possible. Alors que la dette de l'Acoss était reprise en partie par la Cades et que le financement de la sécurité sociale devait s'établir à zéro en 2024, le déficit structurel s'élève pour 2019 à 5,4 milliards d'euros. Les déficits qui vont s'empiler jusqu'en 2023. Lorsque la Cades aura terminé de rembourser l'ensemble de sa dette sociale, du côté de l'Acoss, celle-ci aura atteint 46 milliards d'euros. Comment la rembourser ?
La Cades avait été créée pour faire face à une dette d'environ 50 milliards d'euros. On revient donc à la case départ pour ce qui concerne la dette globale de nos comptes sociaux.
Situation détériorée dans les hôpitaux, problématiques liées au vieillissement, etc. : je ne vois pas comment on pourrait agir en matière de dépenses. Quant aux recettes, elles proviennent des revenus des salariés, des retraités et des consommateurs ; il y a donc un véritable problème de financement, lequel se répercutera sur les collectivités locales. C'est inquiétant.
Pour le groupe socialiste, concernant les dépenses, le compte n'y est pas. Pour rétablir l'équilibre, l'État ponctionne à chaque fois nos concitoyens, sans qu'il y ait de compensation. Nous avons fait confiance au Gouvernement sur divers sujets au début du quinquennat. Or le pays a connu une crise et la situation est désormais inextricable. Il faut une remise à plat. Je ne suivrai donc pas le rapporteur spécial, qui est d'avis d'accepter le PLFSS. Nous refuserons de voter ces crédits.
Merci pour cette description du merveilleux naufrage de la sécurité sociale. Sous l'iceberg de la maladie, il y a le cinquième risque : la dépendance.
Je ne suis pas d'accord avec le rapporteur spécial sur la fusion des deux budgets, car Bercy décide de tout, des coups de rabot comme du prix des médicaments. La loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) a été dramatique pour les hôpitaux, pour l'industrie pharmaceutique française, qui n'existe plus, et pour l'emploi ; il n'y a plus de secrétaires médicales !
La santé est une richesse, car elle implique des dépenses, mais aussi des recettes, des emplois, un maillage territorial. Le jour où les médecins n'auront plus comme interlocuteurs que les inspecteurs de Bercy, ce sera bien triste. De brillants professionnels partiront, à l'instar de Roger Guillemin, médecin généraliste bourguignon qui a quitté la France pour les États-Unis en 1976 et obtenu le prix Nobel en 1977, ou de l'inventeur du tamoxifène, lui aussi dijonnais.
Vous avez souligné le bien-fondé de la prime exceptionnelle dite « gilets jaunes », reconduite en 2020 pour les personnes ayant perçu au cours de l'année n-1 jusqu'à trois fois la valeur du Smic. Est-il vrai qu'elle ne serait dorénavant applicable qu'aux entreprises ayant conclu un accord d'intéressement avant juillet 2020 ?
La Cades ne pourrait-elle servir à l'avenir à financer la dépendance ?
J'approuve l'idée de simplifier la feuille de paie, mais l'enjeu est surtout son montant et le pouvoir d'achat. À cet égard, les cotisations sociales constituent un revenu différé.
Sur l'évolution du solde de la sécurité sociale, on ne peut que constater le déficit projeté, le report des perspectives de retour à l'équilibre et l'absence de mesures de compensation. On assiste à une remise en cause des modalités de fonctionnement et de financement de notre protection sociale, dont la marque de fabrique est la participation des partenaires sociaux ainsi que la référence aux valeurs du Conseil national de la Résistance (CNR), au sein duquel toutes les sensibilités politiques étaient représentées et dont nous pourrions encore nous inspirer.
L'Ondam est plus faible que prévu, avec un taux de 2,3 %, alors même que les hôpitaux sont en difficulté et que les charges augmentent. L'économie réalisée, à hauteur de plus de 4 milliards d'euros, risque de peser surtout sur l'hôpital public, et ne facilitera pas la mise en oeuvre des missions des nouveaux hôpitaux de proximité.
Je soutiens le rapporteur. Nous ne sommes plus en 1945 et la sécurité sociale ne repose plus sur le lien salarial ; notre société est d'ailleurs totalement différente. Les charges sociales pénalisant la compétitivité de nos entreprises, il a fallu trouver d'autres ressources. Il faut donc se poser la question de l'organisation de ce budget. Quant à l'intervention de Bercy, elle ne date pas d'hier. Le sujet qui doit nous occuper est la gouvernance systémique, pour les collectivités locales comme pour le budget général. La séparation des budgets date un peu...
Je tiens à dire à Thierry Carcenac qu'ayant été président d'un hôpital départemental pendant 23 ans, je ne sous-estime pas les besoins d'avenir. Mon objectif, en remettant à plat l'organisation actuelle, qui ne fonctionne plus sur la base des fondamentaux du CNR, est de réaliser des économies importantes et de les réinjecter sur le terrain. J'ai en effet pu observer les difficultés des maisons de santé. Par ailleurs, ayant effectué il y a quelques années un contrôle sur pièces et sur place à la direction générale de la santé (DGS), j'ai constaté que les effectifs avaient augmenté de 16 % en cinq ans ! Je souhaite poser le débat : ne faudrait-il pas simplifier la mécanique ?
Certes, les absences de financement et la nouvelle dette - un écart de 5 milliards d'euros par rapport au budget 2019 ! - justifieraient que l'on renvoie ce texte ; or nous voulons en débattre. La commission des affaires sociales, saisie au fond, ne se prononcera que demain sur ce texte et proposera des modifications.
Je ne partage pas l'avis d'Alain Houpert sur l'architecture de notre système de protection sociale. Quant aux illustres Dijonnais qui ont quitté le pays, je regrette leur départ autant que lui sans y pouvoir grand-chose.
J'approuve la prime exceptionnelle à hauteur de 1 000 euros évoquée par Didier Rambaud, même si nous ne disposons pas d'évaluation quant à ses effets, et je trouve positif qu'elle soit exonérée de charges. Le problème est la moindre recette constatée par la sécurité sociale ; il aurait fallu compenser. Contrairement à l'an passé, l'exonération de cotisations et de contributions sociales est néanmoins conditionnée à la conclusion d'accords d'intéressement par les entreprises concernées
Pour ce qui concerne la Cades, environ 20 milliards d'euros de prélèvements obligatoires seront disponibles à partir de 2024, puisque la Cades aura fini de rembourser la dette sociale. Il serait possible de reprendre la dette de l'Acoss, qui sera de près de 50 milliards d'euros, pour l'affecter à une Cades « prolongée » - si rien n'est prévu, elle doit en effet disparaître en 2024 - ; il s'agirait du prolongement d'un remboursement de dette.
Au sens de la comptabilité publique, un remboursement de dette ne creuse pas le déficit puisque la dette n'est qu'une charge d'ores et déjà comptabilisée. En revanche, le financement d'une dépense supplémentaire par les ressources affectées aujourd'hui à la Cades entraînerait un déficit budgétaire supplémentaire. C'est toute la différence entre comptabilité et besoin de fonds de roulement. Quoi qu'il en soit, à quoi cela sert-il d'avoir deux comptabilités séparées ?
Je suis attaché, comme Patrice Joly, à la philosophie du CNR, mais elle n'est pas gravée dans le marbre. Par ailleurs, on peut considérer que les prélèvements sociaux constituent un revenu différé, mais trop d'impôt et de charges tuent l'impôt et les charges !
Concernant l'Ondam, en termes macroéconomiques, les besoins et les prélèvements sont à un tel niveau que 2,3 points de recette supplémentaire garantis chaque année représentent un certain confort, soit tout de même le double de l'inflation.
Je remercie enfin M. Charles Guené pour son soutien.
La commission émet un avis favorable sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, sous réserve du sort qui sera réservé aux amendements que présentera la commission des affaires sociales.
La mission « Santé » tend, en effet, à se résumer au programme 183 « Protection maladie », principalement dédié au financement de l'aide médicale d'État, qui concentre 82 % des crédits.
La faiblesse des moyens accordés au programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », qui représentait 46 % des crédits de la mission « Santé » en 2014, est principalement due à des mesures de périmètre, accompagnées de rabots sur les dépenses d'intervention. L'effort de maîtrise des dépenses sur la mission repose d'ailleurs uniquement sur le programme 204, dont les crédits ont diminué de 69 % depuis 2013, tandis que le programme 183 a vu ses crédits progresser de 27 % sur la même période.
Dans ces conditions, en raison d'importantes mesures de périmètre (- 266,1 millions d'euros), sur lesquelles je vais revenir, les crédits de paiement demandés au titre de la mission « Santé » pour 2020 s'élèvent à 1 143,5 millions d'euros. À périmètre constant, ce montant correspond à une baisse de 1 % par rapport à 2019.
S'agissant des mesures de périmètre, je m'interroge sur leur bien-fondé. Elles consistent en effet en des transferts de crédits destinés à des opérateurs du budget de l'État vers la sécurité sociale. Ceux-ci ne m'apparaissent pas suffisamment justifiés et ne peuvent uniquement être motivés par une clarification des compétences entre l'État et la sécurité sociale, sauf à conduire à la disparition de la mission « Santé » du budget de l'État. Les missions assignées à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et à l'Agence nationale de santé publique (ANSP) ne relèvent pas, de prime abord, d'une logique contributive que suppose, pourtant, leur rattachement au budget de la sécurité sociale.
Au-delà des questions de périmètre, je m'interroge sur l'efficacité même du programme dédié à la prévention. Les indicateurs de performance visant la lutte contre le tabagisme, la vaccination contre la grippe ou le dépistage du cancer colorectal suscitent des interrogations sur l'efficacité de la dépense publique en matière de prévention, tant les résultats ne sont pas au rendez-vous.
Je m'inquiète, en outre, de l'écart entre les ambitions annoncées par le Gouvernement en matière de santé et leur traduction budgétaire. Ainsi, le respect, par l'Institut national du cancer (INCa), de la trajectoire de diminution des emplois sous plafond peut susciter des réserves. La loi du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l'oubli a, en effet, confié de nouvelles missions à l'INCa. Dans ces conditions, il convient de revoir cette contrainte pour le seul opérateur financé par la mission « Santé ». Pour l'heure, l'INCa contourne cette contrainte par le recrutement de contrats à durée déterminée, afin de faire face à une augmentation des projets traités.
Le projet annuel de performances 2020 insiste, par ailleurs, sur le fait que l'INCa continuera à participer à l'effort de maîtrise des dépenses et que la mutualisation inter-agences sera privilégiée. Face à la montée en puissance de ses missions, il apparaît indispensable que la rationalisation des moyens continue à s'opérer en ce sens et que le recrutement ne constitue pas la seule variable d'ajustement. Le rattachement de l'ANSP et de l'ANSM au budget de la sécurité sociale ne doit pas avoir comme effet collatéral un affaiblissement de la logique de mutualisation, dont l'INCa pourrait être la victime collatérale.
Concernant le programme 204, je relève un effort de sincérité budgétaire dans deux dossiers, qui vient répondre directement aux remarques que le Sénat avait formulées à l'occasion de l'examen du projet de loi de règlement pour 2018, au cours de laquelle nous avions entendu Agnès Buzyn.
Le premier concerne l'agence de santé de Wallis-et-Futuna qui devrait bénéficier, en 2020, d'une subvention de 43,8 millions d'euros en crédits de paiement, soit une progression de 7 millions d'euros par rapport à la loi de finances de 2019. L'augmentation vise à mieux prendre en compte les surcoûts liés aux évacuations sanitaires vers la Nouvelle-Calédonie, les établissements métropolitains, voire les hôpitaux australiens. Cette hausse des crédits accordés répond à nos observations sur la sous-budgétisation constatée au cours des derniers exercices. Elle ne saurait cependant constituer une fin en soi et incite à la mise en oeuvre d'une réflexion sur l'offre de soins sur ce territoire. L'agence de santé de Wallis-et-Futuna représente en effet près de 20 % des crédits du programme 204.
Le second dossier concerne le dispositif d'indemnisation de victimes de la dépakine. La réduction de 25 millions d'euros du montant prévisionnel des dépenses prend acte de la réalité du processus de collecte des informations. Cette diminution représente un tiers des crédits accordés en 2019.
Venons-en désormais au programme 183, dédié quasi intégralement à l'aide médicale d'État (AME).
Le maintien au niveau de 2019 des crédits dédiés à l'AME, soit 934,4 millions d'euros, n'apparaît pas soutenable au regard de la progression de la dépense constatée en 2018 (+ 52 millions d'euros) et des premiers retours de terrain concernant 2019. Nous assistons à une augmentation régulière du recours à l'AME de droit commun depuis 2012 : + 46 % en montant et + 25 % en nombre de bénéficiaires.
Les crédits prévus pour 2020 traduisent, de fait, une nouvelle sous-budgétisation de l'AME pour soins urgents (30 millions d'euros entre l'exécution 2018 et la prévision 2019 et 2020), qui se traduira inévitablement par une progression de la dette à l'égard de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), déjà établie à 35,3 millions d'euros.
La part croissante des dépenses d'AME dans le budget de la mission « Santé » (82 %) tend à réduire celui-ci à une enveloppe de financement de ce dispositif. Son dynamisme, conjugué à une sous-budgétisation récurrente, incite à l'adoption de mesures structurelles visant les modalités d'accès aux soins et le panier de soins, afin de limiter sa progression, de répondre à l'impératif de sincérité budgétaire et de garantir la soutenabilité de la mission.
Le Gouvernement a annoncé réfléchir à un éventuel accord préalable de l'assurance maladie pour les soins non vitaux et non urgents.
J'ai intégré cette idée dans l'amendement n° 2 que je soumets aujourd'hui à votre vote. Cet amendement propose de remplacer l'AME par une aide médicale d'urgence (AMU). Il reprend les contours de l'amendement qui avait été déposé par notre collègue Roger Karoutchi.
Cette AMU limiterait la prise en charge au traitement des maladies graves et des douleurs aiguës, aux soins liés à la grossesse et ses suites, aux vaccinations réglementaires et aux examens de médecine préventive. Je souhaite également que soit rétabli un droit de timbre annuel devant être acquitté par tous les demandeurs de l'AMU afin de pouvoir bénéficier du dispositif. Ce droit de timbre, introduit en loi de finances pour 2011 pour les demandeurs d'AME de droit commun, a été supprimé en loi de finances rectificative pour 2012. Une somme de 30 euros pourrait être demandée.
Je vous propose, en cas de rejet de cet amendement en séance, un amendement de repli, le n° 3, visant uniquement à ce que l'accord préalable de l'assurance maladie soit mis en oeuvre pour les soins non vitaux et non urgents.
L'amendement n° 1 est destiné à tenir compte, au niveau budgétaire, de la transformation de l'AMU en AME. Aux termes de cet amendement, les crédits de paiement et les autorisations d'engagement relatifs à l'AME prévus au sein du projet de loi de finances pour 2020 seraient réduits de 300 millions d'euros.
Je soutiens les amendements du rapporteur spécial, relatifs à l'AME. On constate en effet des dérives. Le problème était nié, il est aujourd'hui reconnu.
Pour ce qui concerne l'AME, la France a un régime plus favorable que ses partenaires européens, notamment l'Allemagne.
Je m'inquiète par ailleurs de la situation de la psychiatrie en France. Dans ma ville de Laon, il n'y a plus qu'un seul médecin dans cette discipline. La baisse des crédits est très préoccupante à cet égard.
Je soutiens également les amendements du rapporteur. L'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection générale des finances ont remis au Gouvernement un rapport qui insiste, d'une part, sur les dérives, et, d'autre part, sur le fait que des réseaux, mais aussi des médecins et responsables de santé dans certains pays, encouragent des patients à venir se faire soigner en France. La transformation de l'AME en AMU n'équivaut pas à laisser dans la rue des personnes contagieuses ; cet argument est inepte, voire débile. Le système ne pourra pas durer si l'on ne met pas fin aux abus : on ne sauvera l'AME qu'en la transformant en AMU.
Je ne sais si cet amendement permettra d'améliorer la situation, mais j'observe que certaines interventions seront subordonnées à un accord préalable de l'assurance maladie ce qui me paraît complexe à mettre en oeuvre. Nous ne pouvons pas vous suivre sur ce terrain. Comment avez-vous déterminé la somme de 300 millions d'euros ?
La réduction de 300 millions d'euros des crédits de paiement et des autorisations d'engagement de l'action « Aide médicale de l'État » n'entraînera-t-elle pas un accroissement de la dette envers la CNAM ?
Comment expliquer la faible participation au dépistage du cancer colorectal, qui représente un tiers de la tranche d'âge entre 50 et 74 ans ?
Je remercie le rapporteur général pour son soutien. Roger Karoutchi l'a dit, il n'y a pas, d'un côté, ceux qui veulent soigner les migrants et, de l'autre, ceux qui veulent les laisser sans soins. Nous essayons de trouver un système rationnel. La France est le pays le plus généreux dans ce domaine. Or des réseaux organisent actuellement la venue de migrants clandestins, afin qu'ils y bénéficient de soins gratuits. Le tarif payé aux passeurs est bien plus élevé que 30 euros ! Observons, à cet égard, que le flux d'immigration clandestine recule en Europe, mais que, dans notre pays, il est en augmentation de plus de 20 %.
Pour l'AME, il semble ne pas y avoir de limites budgétaires, tandis que les politiques de santé publique sont rabotées. Il en va ainsi de l'INCa. Les pourcentages de dépistage ne sont pas clairement à la hauteur, ce qui a des conséquences en termes de coûts puisqu'il faut ensuite financer des soins lourds. Mme Buzyn avait reconnu cet échec devant notre commission des finances en juin dernier.
Je répondrai à Thierry Carcenac que nous avons fixé à 300 millions d'euros la diminution de l'AME en observant les chiffres des années antérieures, notamment la situation de 2012, lorsque le droit d'entrée a été supprimé.
Sur l'accord préalable du médecin de la sécurité sociale, je suis dubitatif. Attendons les annonces que fera le Gouvernement demain sur ce point.
La réduction de 300 millions d'euros ne fera pas augmenter la dette envers la CNAM, car le système ainsi réformé coûtera moins cher. Le dispositif global proposé par le Sénat, qui vise à revoir le panier de soins, est constitué d'amendements d'appel formant un ensemble cohérent.
Nous verrons si le rapport cité par Roger Karoutchi sera suivi d'effet.
En conclusion, le budget « Santé » se réduit comme une peau de chagrin. Deux organismes publics, sur quatre, sont transférés à la Sécurité sociale. On observe donc une baisse très importante des crédits à périmètre courant. L'État ne consacre pas suffisamment de moyens à la politique publique de santé, notamment dans le domaine de la prévention. Pour l'instant, il n'a pas osé réformer l'AME, dont la dérive coûte davantage que le plan annuel destiné à sauver l'ensemble du dispositif d'urgence français. On dépense par an, pour l'AME, 200 à 300 millions d'euros de trop.
Article 38
État B
L'amendement n° 1 est adopté.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Santé », sous réserve de l'adoption de son amendement.
Articles additionnels après l'article 78
Les amendements n° 2 et 3 sont adoptés et deviennent des articles additionnels.
La réunion est close à 16h40.