Bienvenue dans cette salle de la Galerie Sud du Sénat où nous allons traiter les trois points à notre ordre du jour de ce matin : les conclusions de deux auditions publiques sur les nouvelles tendances de la recherche en énergie, la note scientifique sur les satellites et leurs applications préparée par Jean-Luc Fugit, et deux notes de méthodologie sur les études en cours relatives, d'une part, à la valorisation énergétique des terres agricoles, d'autre part, à l'intégrité et aux publications scientifiques.
Commençons donc par les conclusions de deux auditions publiques consacrées aux nouvelles tendances de la recherche en matière d'énergie.
Nous allons présenter les conclusions de deux auditions publiques consacrées aux nouvelles tendances de la recherche en matière d'énergie à deux voix. Je vais présenter les conclusions de l'audition du 24 mai 2018, consacrée à l'avenir de l'énergie nucléaire, puis Cédric Villani présentera celles de l'audition du 4 juillet 2019, sur les énergies renouvelables. Notre collègue députée Émilie Cariou est également auteure de ces conclusions.
La première audition était organisée sous forme de trois tables rondes, relatives respectivement aux technologies nucléaires du futur, au rôle de la coopération internationale dans le développement des nouvelles technologies nucléaires, et aux objectifs, à l'organisation, et aux moyens de la recherche et de l'innovation en matière nucléaire.
Cette audition a permis de mettre en lumière plusieurs spécificités de ces recherches. La première est celle de la très grande diversité et du foisonnement des recherches en cours à travers le monde sur les futurs réacteurs nucléaires, avec les petits réacteurs modulaires ou SMR (Small Modular Reactor), qui passionnent certains chercheurs français, les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium ou au gaz, les réacteurs à sels fondus, les réacteurs pilotés par accélérateurs, etc.
Nous avons constaté que les moyens consacrés à ces recherches restent importants : 700 millions d'euros en France, ce qui n'est pas ridicule au regard des 1 200 millions des États-Unis, hors investissements privés, et sans doute, pour autant qu'on puisse le savoir, des plus de 1 500 millions en Chine.
Dans ce domaine, la coopération internationale est ancienne et se poursuit, ce qui est rassurant. Elle devient même incontournable, compte tenu de la multiplicité des pistes technologiques, de l'obligation de partager des infrastructures, etc.
On observe que les recherches doivent de plus en plus souvent intégrer des avancées technologiques issues d'autres secteurs, tels que le numérique, par exemple dans le domaine de la simulation.
Il apparaît indispensable d'encourager une plus grande ouverture de la recherche nucléaire, à la fois en direction des universités et des petites et moyennes entreprises - ce qui s'avère plus difficile que pour les universités. D'ailleurs, notre grand exploitant EDF est lui aussi parfois éloigné des préoccupations des PME.
Dans ce contexte, se pose évidemment la question du maintien de l'effort de recherche français sur le nucléaire du futur, historiquement encadré par les lois relatives à la gestion des déchets radioactifs, ce qui est certes positif mais induit une perspective un peu étroite.
La récente réévaluation du projet ASTRID suscite beaucoup d'inquiétudes. Le CEA proposera d'ici la fin de l'année 2019 un programme de recherche révisé sur la quatrième génération de réacteurs nucléaires. Nous demanderons à l'administrateur général de venir nous en parler. Ce dossier est naturellement lié aux orientations de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), en particulier en ce qui concerne la simulation numérique, les travaux expérimentaux, les développements technologiques ciblés, le maintien des compétences sur les réacteurs rapides au sodium, etc.
L'énergie nucléaire reste incontestablement un élément du paysage énergétique français. Son plafonnement à 50 % de la part de l'électricité produite a été retardé, ce qui paraît raisonnable, même si c'est encore beaucoup. Cela rend donc nécessaire la poursuite d'une activité de recherche sur les réacteurs du futur, afin de répondre à un objectif essentiel pour la sûreté : motiver une nouvelle génération de chercheurs et d'ingénieurs, pour assurer la continuité indispensable des compétences, malgré un rythme de mise en service de nouveaux réacteurs plus étalé dans le temps que lors de la construction des cinquante-huit réacteurs actuels.
Quelles sont les recommandations de l'Office ?
La définition d'une stratégie de recherche de long terme, claire et opérationnelle, apparaît cruciale pour le nucléaire, compte tenu des importants moyens mis en jeu, et de la nécessité du maintien de compétences de pointe pour assurer l'entretien du parc existant.
Cette stratégie ne peut simplement figurer dans les lois sur la gestion des déchets radioactifs, comme cela était le cas depuis le début des années 1990 jusqu'à récemment, même si ce cadre juridique a jusqu'à présent été très utile.
Si l'élaboration d'une telle stratégie relève avant tout du Gouvernement, sous le contrôle du Parlement, cette réflexion doit aussi, comme l'ont montré les tables rondes, s'ouvrir très largement à la société, notamment aux universitaires et aux représentants de toute l'industrie, y compris les PME.
Le Parlement doit rester un lieu de débat et continuer à être impliqué dans ces décisions, notamment à travers l'Office.
Enfin, indépendamment des choix qui pourront être faits sur le nucléaire du futur, la question des déchets radioactifs restera entière. Sur ce plan, un certain nombre d'engagements, inscrits dans la loi, ont été pris vis-à-vis de nos concitoyens, plus particulièrement à l'égard des populations et des élus sur le territoire choisi pour le futur centre de stockage géologique profond. J'ajoute que, de mon point de vue, ce projet doit être consolidé en termes d'irréversibilité de son ambition.
L'audition du 4 juillet 2019 s'organisait en deux tables rondes : la première consacrée aux axes de recherche répondant aux objectifs nationaux du projet de PPE publié en janvier 2019, et la seconde aux axes de recherche et développement pour les technologies du futur.
L'audition s'est ouverte par un rappel sur les situations française et européenne en matière d'énergies renouvelables, et sur les grandes lignes de la PPE. Il en est ressorti que la France est en retard pour atteindre les objectifs fixés, et que les moyens investis ne sont pas à la hauteur du défi à relever.
Pour respecter l'objectif de neutralité carbone en 2050, la France doit réduire ses émissions de CO2 de 5 % par an de manière constante sur les trente prochaines années. Or, le think tank The Shift Project souligne qu'une telle situation ne s'est produite dans l'histoire qu'en « temps de guerre ou en cas de récession grave ». Plusieurs intervenants ont d'ailleurs comparé l'ampleur du défi à « un effort de guerre ».
Face aux objectifs ambitieux, des défis restent donc à relever : offrir des solutions renouvelables à des coûts acceptables ; concevoir des systèmes énergétiques intégrés, prenant en compte, selon les cas, l'intermittence et le stockage des énergies ; améliorer l'acceptabilité des différentes énergies renouvelables par les populations, je pense par exemple à l'éolien.
En ce qui concerne la position de la France sur le marché mondial du solaire photovoltaïque et face à la concurrence asiatique, il est apparu que le développement de technologies novatrices permettrait à la France et à l'Europe de créer des filières industrielles complètes, allant de la recherche et développement jusqu'à l'intégration finale dans des usines locales.
Il en va de même pour les batteries : la France et l'Europe souhaitent se positionner sur des technologies différenciantes, en créant un « Airbus des batteries » axé sur les batteries dites à électrolyte « tout solide ».
Les participants à l'audition ont pointé l'absence de chef de file de la filière éolienne, lequel existe pourtant pour le solaire photovoltaïque, ce qui permet de mutualiser les investissements des laboratoires de recherche et des industriels.
Les retours d'expérience montrent la complémentarité entre des systèmes locaux à petite échelle territoriale, allant jusqu'à l'autoconsommation, et des systèmes plus centralisés à grande échelle, comme le nucléaire et l'hydraulique.
L'acceptabilité des énergies renouvelables par les populations est un sujet transverse aux différentes énergies. Il est notamment recommandé de ne pas négliger les sciences humaines et sociales dans les feuilles de route de recherche et développement pour anticiper la réaction des citoyens.
Enfin, pour chaque technologie développée, une analyse de cycle de vie précise paraît indispensable pour assurer une transition énergétique cohérente et pertinente. Le débat sur les batteries constitue un bon exemple du travail nécessaire.
Parmi les recommandations que nous pouvons faire : la France doit se donner les moyens d'atteindre les objectifs ambitieux qu'elle a décidé de se fixer dans la PPE, notamment en faisant des choix technologiques pertinents.
En particulier, il conviendra de concentrer les investissements sur quelques technologies choisies et maîtrisées, afin de ne pas se disperser sur trop d'énergies renouvelables simultanément. En prenant en compte le retour d'expérience des filières des batteries et des panneaux solaires, les laboratoires et les industriels français doivent se positionner sur des marchés mondiaux stratégiques et concurrentiels.
En parallèle, la transition énergétique devra, à court et moyen terme, s'appuyer sur le socle de production d'électricité nucléaire et hydraulique. En d'autres termes, la décarbonation est un enjeu plus urgent que celui de la baisse de la part du nucléaire.
Enfin, il conviendra de conserver une vision systémique des différentes technologies en développement, en réalisant des analyses de cycle de vie, ou encore en anticipant leur intégration dans le réseau électrique, ainsi que la réponse des populations à leur déploiement.
On l'aura compris, il s'agit de sujets complexes, à forts enjeux, pour lesquels il est important que les uns et les autres puissent s'appuyer sur leurs travaux respectifs.
J'ai deux remarques préalables avant d'ouvrir notre discussion. La première vise à rappeler que l'Office est un lieu de débat et d'échanges, cela est particulièrement vrai lors des tables rondes. Certains de nos collègues souhaiteraient que l'Office soit plus carré dans ses préconisations. Je ne le pense pas. Nous devons mettre sur la table les éléments du choix, les commissions de nos deux assemblées ayant ensuite la responsabilité de dire quelles options elles retiennent. Il y a cependant des tendances de fond qui se dessinent et qui apparaissent dans les conclusions de nos auditions.
Une tendance de fond, que je vois aujourd'hui, est que nous avons besoin de conserver un savoir-faire nucléaire, qui ne soit ni replié sur lui-même ni impérialiste, et, inversement, pour les énergies renouvelables, il faut éviter la dispersion et choisir des axes forts pour que celles-ci constituent un véritable apport à la transition énergétique. Ce propos n'est peut-être pas très audacieux, mais il canalise bien les choix que nous devons faire.
Pour un entrepreneur, la réaction naturelle est de s'orienter vers les opportunités, alors que l'enjeu national implique de privilégier quelques grands axes principaux, comme l'éolien ou le solaire, en soutenant les technologies de rupture. Il faut que le débat politique fixe ces grands axes.
Je voudrais ajouter quelques mots, pour faire suite à des travaux récents de l'Office sur le nucléaire, comme l'audition sur le problème des soudures de l'EPR de Flamanville, à certains rapports inquiétants sur le chantier d'Hinkley Point, ou encore à l'annonce de l'abandon d'ASTRID. Ces éléments témoignent d'un flottement préoccupant sur le nucléaire, notamment en matière de recherche et développement.
L'Office n'est pas là simplement pour restituer le produit des tables rondes qu'il organise. C'est un Office d'évaluation qui doit donc donner un avis, une indication à nos collègues parlementaires, sans pour autant, bien entendu, être fermé.
Sur le sujet de l'énergie nucléaire et de son avenir, il est en effet indispensable d'avoir une stratégie à long terme, mais le problème est de savoir si l'on s'y tient ou pas. Si l'on prend l'exemple du stockage, avec Cigéo, on voit que, pour l'instant, le Gouvernement se tient aux objectifs fixés, car il n'existe pas aujourd'hui d'autre solution. Mais si la moindre solution alternative apparaissait, qu'en serait-il ? Autre exemple : Fessenheim. On a dépensé près de 400 millions d'euros il y a quelques années pour renforcer la sécurité de cette centrale qui, de ce fait, est aujourd'hui la plus sûre du parc et pourtant, on a décidé de la fermer, ou plutôt de la fermer quand la mise en service de Flamanville serait effective, voire à présent avant même celle-ci. Quelle est la logique ?
Enfin, je voudrais dire un mot sur l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui se comporte comme un vrai gendarme, verbalisant après avoir constaté l'infraction. Ce n'est pas ce que l'on en attend. Elle doit travailler avec les différents acteurs, pour discuter en amont de ce qu'il faut faire, afin de ne pas arriver aux aberrations du dossier de l'EPR de Flamanville, comme la sanction tardive de malfaçons connues depuis plusieurs années. Dans tout cela, il s'agit d'argent public.
Dans le débat sur le changement climatique, je voudrais citer Bill Gates, le philanthrope bien connu, qui a écrit, dans une lettre du 29 décembre 2018 : « le nucléaire est idéal pour faire face au changement climatique, car c'est la seule source d'énergie pilotable, sans carbone et disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre ». Compte tenu des débats qui traversent nos sociétés aujourd'hui, notamment la société française, il me paraît important de redire que le nucléaire est la seule solution.
Ce qui est dit sur le nucléaire est très intéressant, mais je rappelle le fameux principe de Lavoisier : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Il n'existe pas d'énergie propre. Toute énergie, même nucléaire, implique une transformation, donc des déchets. Cette énergie est une solution dans la transition climatique, mais la question des déchets demeure. D'autres solutions peuvent être mises en avant, telles que l'hydrogène, mais là aussi le bilan énergétique dépend de la façon dont celui-ci est produit. Quelle que soit la filière, éolien, solaire ou autre, il existe une transformation et un impact environnemental, qu'il faut essayer de réduire. Notre rôle à l'Office ne consiste pas à opposer, mais à éclairer et à évaluer. Aucune forme d'énergie n'est neutre. Aujourd'hui, la principale problématique est celle de la neutralité carbone. Pour l'atteindre, la solution n'est pas unique. Le nucléaire a un rôle à jouer, mais à côté d'une multiplicité d'autres solutions. Il y a un autre principe en chimie, celui de Le Chatelier, qui traite des conditions de déplacement des équilibres : il n'existe pas véritablement de dérèglement climatique, mais seulement l'apparition d'un autre équilibre. Il nous faut arriver à minimiser l'impact de ce déplacement.
Il est indispensable d'avoir un objectif de long terme, dans le domaine du nucléaire en particulier, surtout pour un parc de centrales vieillissant. Il est important aussi de ne pas négliger la question du démantèlement de notre outil de production nucléaire, notamment en termes de compétences et de recherche et développement. En déconstruisant, je suis persuadé qu'on apprend à mieux construire pour l'avenir.
Ce débat est la démonstration que l'Office parlementaire est utile. On demande au Gouvernement de prendre des décisions rapides pour régir le long terme. La pression médiatique est différente sur le Parlement, mais il doit lui aussi prendre des positions et se prononcer. L'avantage de l'Office est de pouvoir débattre plus en profondeur, et d'échanger des points de vue. La simple idée que, même si l'on arrête l'énergie nucléaire, le parc existant nécessite de maintenir une compétence et un savoir-faire, est importante.
Je voudrais revenir sur la question de l'hydrogène qui est une méthode de stockage de l'énergie produite par différentes sources. Au final, notre demande est celle de l'ambition et de l'efficacité. Il s'agit de choisir des filières dans lesquelles la France pourra s'imposer, et de concentrer les moyens qui leur sont destinés.
Sur le démantèlement des centrales, on constate que ceux qui, par exemple, appartiennent au mouvement Sortir du nucléaire, font tout pour alourdir le dossier. Le démantèlement de la centrale de Brennilis a ainsi été arrêté pour une simple question de procédure administrative. Depuis, il n'a pas repris. Il faut donc maintenir les savoir-faire, y compris administratifs.
Les sciences sociales sont indispensables pour comprendre l'acceptation ou non par l'opinion des différentes énergies. Le temps de l'ingénieur-roi est terminé. Il faut se rappeler qu'il n'y a jamais eu de vote au Parlement sur le choix de faire du nucléaire une énergie essentielle en France. Initialement envisagé pour préserver l'indépendance nationale, puis pour faire face à la fermeture des centrales à charbon, ce choix n'a jamais été débattu. La réalité de la dimension humaine et sociale des décisions sera cependant de plus en plus forte. Les procédures juridiques complexes sont le reflet des exigences nouvelles en termes d'acceptation par nos concitoyens des choix faits pour notre pays.
Lorsque j'ai travaillé sur la note scientifique sur le stockage de l'électricité, j'ai pu constater qu'on était maintenant capable de piloter, par ce biais, les énergies renouvelables.
Je m'interroge sur la formation des ingénieurs dans notre pays. J'aimerais qu'ils soient plus attirés par les questions scientifiques qu'aujourd'hui. L'Office pourrait peut-être un jour travailler sur ce sujet, en lien avec la conférence des grandes écoles et la conférence des présidents d'université.
Ce qui me préoccupe surtout c'est le nouvel obscurantisme porté par une société hypermédiatisée, qui souhaite le spectaculaire dans l'instant, et dont la seule correction est l'amnésie. Il y a aussi le problème de l'argent. C'est ce qui explique le faible nombre d'ingénieurs de production, au regard de celui des ingénieurs de conception et de service. Il faudrait travailler sur le lien entre économie de service et économie de production, car la maîtrise du produit devrait créer de la valeur. Le succès d'Amazon est le contraire d'un succès par la production, avec la proposition d'une réponse immédiate à une demande grâce à une logistique, un financement, etc. Cette économie numérique a, en théorie, un avantage pour rompre l'isolement de certains territoires mais, en réalité, c'est la production qui structurait la vie économique sur ces territoires.
L'Office autorise la publication du rapport présentant les conclusions et le compte rendu des auditions publiques sur les nouvelles tendances de la recherche en énergie.
Jean-Luc Fugit nous présente la note qu'il a établie sur les satellites et leurs applications. Il s'agit de la note scientifique n° 19 de l'Office. Elle fait suite à un premier travail de Jean-Luc Fugit sur les lanceurs spatiaux réutilisables (note n° 9) auquel on peut associer la très intéressante note de Catherine Procaccia sur l'exploration de Mars (note n° 8), présentés à la fin de l'année dernière.
La note sur « Les satellites et leurs applications » est le fruit d'un travail qui s'est étalé sur deux mois, avec 15 auditions réalisées, 5 experts consultés et 6 contributions reçues, dont notamment celles de l'Académie des technologies et de l'Académie de l'air et de l'espace. Par ailleurs, une délégation de l'Office s'est rendue à Toulouse, les 2 et 3 octobre 2019, pour effectuer une visite des sites du CNES, d'Airbus et du Booster Nova porté par le pôle de compétitivité Aerospace Valley. Je souhaiterais remercier le président Gérard Longuet, ainsi que Catherine Procaccia, Pierre Médevielle, Laure Darcos, Philippe Bolo et Angèle Préville, pour leur participation à cette visite. Je pense que ces visites de terrain sont utiles et enrichissantes pour l'ensemble des membres de l'Office, qui peuvent ainsi profiter de rencontres et d'un partage d'idées autour de sujets suivis de près par l'un d'entre nous.
Après une première note scientifique sur les lanceurs spatiaux réutilisables, que je vous avais présentée en décembre et en janvier dernier, j'ai souhaité continuer nos travaux sur l'ensemble de la chaîne industrielle spatiale, avec une seconde note consacrée aux satellites et à leurs applications.
Les lanceurs Ariane 6 et Vega C, en cours de développement, continueront à assurer à l'Europe son indispensable accès autonome à l'espace. Mais je me suis rendu compte que, dans le domaine spatial, la plus grande partie de la valeur ajoutée se situe dans les satellites positionnés en orbite autour de la Terre et, surtout, dans les applications qu'ils permettent.
Les grandes tendances économiques montrent en effet que plus de 90 % des revenus du secteur spatial proviennent de son aval, c'est-à-dire principalement des applications des satellites. Ces applications se rangent dans trois catégories : les télécommunications, la navigation, autrement dit la géolocalisation, et l'observation de la Terre. Le marché de ces applications est en forte croissance et tout laisse à penser qu'il va continuer de croître grâce à une multiplication des services satellitaires qui pénètrent un grand nombre de secteurs d'activité.
Cette multiplication des applications trouve son origine dans les nombreuses ruptures technologiques en cours. On peut mentionner les capacités de flexibilité, d'agilité, des satellites de télécommunication, qui sont maintenant reconfigurables et capables de changer leurs missions au cours de leur existence. Une autre rupture majeure est le développement de petits satellites qui peuvent être produits en série à bas coût et lancés par grappes. À Toulouse, on nous a d'ailleurs montré des satellites de la taille d'une machine à laver, bien loin du modèle des gros satellites que l'on peut voir par ailleurs. C'est ainsi que des constellations de centaines voire de milliers de petits satellites voient le jour. Ces constellations tournent autour de la Terre à des orbites basses (de l'ordre 500 à 1 000 km) ou moyennes (20 000 km), contrairement aux satellites traditionnels qui sont en orbite géostationnaire à 36 000 km d'altitude. Il s'agit d'un véritable changement de paradigme, même si les satellites géostationnaires traditionnels ne sont pas voués à disparaître. Les nouvelles offres de services apportés par les constellations viendront en complémentarité de ces satellites traditionnels.
La conjonction de ces innovations technologiques et de l'amélioration de nos capacités de traitement de big data, notamment grâce à des outils d'intelligence artificielle, offre de nouvelles possibilités d'applications qui sont en pleine expansion.
Ainsi les satellites font vivre aux télécommunications une rupture peut-être d'égale ampleur à celle connue il y a 30 ans avec l'arrivée de la téléphonie mobile et de l'internet. Les télécommunications spatiales permettent à de nombreux secteurs de se transformer, avec par exemple le développement de la télémédecine. Ils contribuent également au développement des objets connectés, qui probablement n'en sont aujourd'hui qu'à leur balbutiement. Mais surtout, l'internet par satellite est une solution pour fournir l'internet très haut débit dans tous les territoires, avec un coût quatre fois moindre que la fibre optique pour connecter les derniers 5 % de population (en particulier dans les zones rurales et outre-mer) et au prix de la fibre optique pour les utilisateurs. Ils permettent ainsi de réduire une fracture numérique qui risque d'augmenter avec la 5G terrestre, et constituent donc, selon moi, un puissant outil au service de l'aménagement du territoire. Ayant été l'un des rapporteurs du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM), j'ai pu voir le lien évident entre l'aménagement du territoire et les questions de mobilité et d'accès au numérique. Je pense en effet que les infrastructures numériques sont d'importance égale à celle des infrastructures routières ou ferroviaires pour l'aménagement du territoire.
Pour l'observation de la Terre, les satellites sont déjà indispensables au suivi de l'environnement et à la compréhension des évolutions climatiques, notamment grâce au programme européen Copernicus : 35 variables climatiques essentielles sur 53 sont ainsi captées depuis l'espace. Les données d'imagerie spatiale ont pénétré de nombreux secteurs d'activité très variés : l'agriculture (épandage maîtrisé des produits phytosanitaires), la finance (niveau des stocks de pétrole), l'économie (prévision du chiffre d'affaires d'un supermarché par le comptage des voitures stationnées), l'assurance « paramétrique » (pour protéger les agriculteurs, notamment les viticulteurs, contre les aléas climatiques)... Toutes ces applications nouvelles se développent grâce à la progression de la qualité des observations satellitaires de la Terre. De nouvelles missions spatiales innovantes sont en cours de développement pour obtenir de nouvelles données sur l'atmosphère et sur notre environnement, notamment les émissions anthropiques de CO2. En France, c'est l'objectif du projet « Microcarb » du CNES. Une telle capacité aidera à la mise en place d'une fiscalité carbone et au suivi rigoureux du respect par chaque pays de ses engagements internationaux. Il est en effet aisé aujourd'hui de faire des déclarations sur les réductions d'émissions, mais comment fera-t-on pour vérifier leur mise en oeuvre ? Les satellites pourront nous y aider.
Enfin, l'utilisation de la géolocalisation se généralise dans tous les types de transports : terrestre, maritime, et aérien. Le système européen de géolocalisation Galileo est maintenant opérationnel : 1 milliard de puces compatibles avec Galileo ont déjà été vendues, ce nombre symbolique ayant été franchi en septembre. Le signal Galileo permet une précision bien supérieure à celui du système américain GPS (un mètre contre dix). La SNCF, par exemple, estime qu'elle pourrait faire rouler 20 % de trains en plus sur ses voies, tout en gagnant en sécurité et en coût et sans modifier ses infrastructures, bien que l'amélioration de celles-ci reste toujours une préoccupation. Ces 20 % de trains en plus sont particulièrement importants dans un contexte où l'on souhaite réduire l'impact environnemental de nos mobilités. Cette précision et la couverture complète permise par Galileo seront nécessaires pour le développement en cours des voitures, navires et trains autonomes.
Toutes ces nouvelles applications sont portées en Europe par un nouvel écosystème spatial de start up qui viennent s'ajouter aux maîtres d'oeuvre industriels historiques, notamment Airbus Defence & Space et Thales Alenia Space. Un certain nombre d'initiatives ont été mises en place pour soutenir l'innovation au moment de la prise de risque : incubateurs de l'ESA, plates-formes de développement du CNES, « boosters » des pôles de compétitivité, tels que celui que nous avons vu à Toulouse... Seul un niveau d'investissement soutenu dans la R&D permettra à l'industrie européenne de conserver son leadership. Face aux financements américains et chinois considérables, il est important de mettre en place une préférence européenne pour les commandes institutionnelles de satellites et pour l'achat de données spatiales.
Le secteur spatial comprend des enjeux de souveraineté et de sécurité majeurs. Tout d'abord, les services spatiaux de télécommunication constituent une solution de repli immédiat en cas de destruction des infrastructures terrestres (guerre, cyberattaque, catastrophe naturelle...). Des enjeux de souveraineté découlent également de la politique de données ouvertes (open data) appliquée pour un certain nombre de données spatiales, notamment les données du programme européen Copernicus, financé par les contribuables européens. Les géants du numérique, GAFAM aux États-Unis et BATX en Chine, sont les plus performants dans le développement d'outils et de services d'intelligence artificielle et plus généralement de « cloud » permettant de traiter efficacement les quantités massives de données d'imagerie spatiale. Pour éviter une fuite vers l'étranger de la valeur ajoutée de ces données et protéger les utilisations les plus sensibles, il faudrait disposer en Europe d'un cloud souverain de grande capacité, qui permette à l'écosystème aval de traiter et gérer en toute indépendance les données spatiales, plutôt que de devoir passer par des cloud américains et chinois. L'utilisation des données spatiales comporte également des enjeux de respect de la vie privée, sujet particulièrement sensible dans notre société actuelle, ainsi que des enjeux de cybersécurité.
Il convient ici de rappeler que les technologies spatiales sont duales, et que dans l'espace nul n'est à l'abri de risques de piratage, de brouillage, d'éblouissement, de prise de contrôle à distance, ou encore de destruction de satellites. Lors de son discours du 13 juillet 2019, le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé la création d'une armée de l'air et de l'espace, avec un « grand commandement de l'espace ». Les risques dans l'espace proviennent également des débris spatiaux, comme on nous l'a d'ailleurs rappelé lors de notre visite à Toulouse. Leur nombre augmente considérablement avec le développement des mégaconstellations : ainsi 500 000 objets de plus d'1 cm volent dans l'espace. Rapidement, ces 500 000 pourraient dépasser le million ; il devient maintenant urgent que les États définissent des règles communes, peut-être via un traité international, et les fassent respecter, avec un financement approprié pour le « nettoyage » des milliers de débris présents sur les différentes orbites.
Enfin, je tiens à rappeler que la gouvernance de la politique spatiale européenne est particulièrement complexe, ce qui est parfois source d'inefficacité. L'ESA et l'Union européenne ont chacune leur budget et leurs programmes spatiaux. S'y ajoutent les agences nationales et plusieurs maîtres d'oeuvre industriels européens, ce qui engendre des doublons de compétences, de capacités et de développement. Le principe du retour géographique de l'ESA, appliqué à 0,01 % près pour les lanceurs, morcelle l'appareil de production industriel européen et les compétences. Il privilégie les intérêts nationaux par rapport à la compétitivité et à une ambition globale. Une véritable vision européenne devrait être privilégiée.
Le conseil ministériel de l'ESA des 27 et 28 novembre prochains sera l'occasion d'arbitrages budgétaires importants pour la décennie à venir. Je rappelle au passage que nous y consacrerons le 29 octobre prochain une audition publique, sur une initiative de notre président Gérard Longuet. En France, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2020, le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) et le CNES ont identifié ensemble trois scénarios pour la contribution française à l'ESA pour la période 2020-2022, allant de 2,1 à 3,1 milliards d'euros. Le scénario bas provoquerait, selon les industriels, des pertes irréversibles de compétences et d'emplois et l'abandon du leadership français sur le spatial européen. Selon moi, il y a lieu de soutenir, dans la discussion budgétaire française, une contribution aussi proche que possible du montant supérieur de 3,1 milliards d'euros. Ce serait d'ailleurs proche de ce que pourrait être le niveau de la contribution allemande. Je m'entretiendrai d'ailleurs de ce sujet demain avec les députés rapporteurs pour les crédits de la recherche.
En conclusion, la note formule quelques recommandations, dont je précise que l'ordre de présentation n'a pas valeur de priorité :
- organiser une utilisation du spectre des fréquences assurant que le développement des réseaux terrestres 5G n'obère pas les communications actuelles et futures par satellite, ainsi que les capacités d'observations météorologiques spatiales ;
- renforcer notre stratégie spatiale de défense pour protéger nos satellites d'importance vitale et assurer la sécurité des données issues de l'espace ;
- définir un cadre juridique et technique favorisant l'exploitation des données européennes par des acteurs européens, et notamment disposer en Europe de clouds souverains de grande capacité ;
- assurer un équilibre des financements publics entre les grands domaines spatiaux, avec les lanceurs historiquement bénéficiaires de budgets importants et les satellites et l'aval de l'écosystème, qui sont les plus créateurs de valeur. En effet, si la France a financé 2 des 3,7 milliards d'euros consacrés au développement d'Ariane 6 (55 %), elle n'a souscrit que 200 millions des 1,3 milliard d'euros du programme ARTES de l'ESA, consacré aux télécommunications et aux applications (soit 16 %) ;
- enfin simplifier, clarifier et optimiser la gouvernance du spatial, dans une démarche coordonnée des entreprises, des agences spatiales nationales, de l'ESA et de l'Union européenne, pour la rendre plus efficace au service du leadership européen.
Je trouve la note passionnante, claire et précise sur les enjeux économiques globaux.
Je lis que les opérateurs de satellites réalisent quasiment chaque semaine une manoeuvre pour éviter les collisions. Ma question est la suivante : qui les prévient lorsqu'il faut faire des manoeuvres ? S'agit-il toujours des Américains, ou bien disposons-nous aujourd'hui d'une autonomie de décision sur les manoeuvres grâce à un radar suffisamment développé pour détecter les débris ?
Tout d'abord, je remercie Jean-Luc Fugit d'avoir introduit dans la note ma préoccupation concernant les fréquences de la 5G, qui est un sujet dont on parle peu. Elle est d'ailleurs formulée en première recommandation, ce qui donne une impression de primauté, même si ce n'est pas la volonté du rapporteur. Lorsque j'ai évoqué la question il y a quelques mois, on m'avait répondu qu'on allait réussir à résoudre ce problème du partage conflictuel du spectre des fréquences. Néanmoins, à Toulouse, la réponse était beaucoup plus nuancée et empreinte d'inquiétude. J'ignore d'ailleurs qui va se charger d'apporter une solution à cette question, mais le rapporteur doit mieux connaître la réponse que moi.
Deuxièmement, je ne partage pas la formulation suivante, en page 2 de la note : « en réduisant voire en éliminant une fracture numérique, qui risque d'augmenter avec la 5G terrestre ». Ayant travaillé sur la proposition de loi dite « 5G », j'ai au contraire le sentiment que la volonté du Gouvernement est d'assurer que le développement de la 4G et de la 5G se fasse en desservant équitablement les zones urbaines et les zones rurales. Je modérerais donc cette phrase sur la fracture numérique, que je ne partage pas.
Troisièmement, j'ai une question concernant les petits satellites. Il est écrit que « le modèle était constitué jusqu'en 2010 de gros satellites géostationnaires ». Or, lorsque je travaillais en 2012 avec Bruno Sido sur le rapport sur « Les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne », le modèle était, d'après mes souvenirs, encore celui des gros satellites traditionnels et on commençait à peine à évoquer les petits satellites. Je me demande donc si la date de 2010 n'est pas un peu précoce par rapport à l'arrivée des constellations.
Par ailleurs, j'ai une remarque de forme à propos du résumé, où il est écrit que « tous les secteurs d'activité sont déjà utilisateurs d'applications fournies par les satellites », alors que, comme la note le rappelle dans le premier paragraphe, les satellites « affectent le quotidien de chacun ». Je suggérerais donc qu'on ajoute dans le résumé une phrase pour exprimer l'idée selon laquelle tout le monde profite quotidiennement des satellites, et non pas uniquement les secteurs d'activité et les scientifiques.
Enfin, on n'évoque pas du tout l'adaptation des lanceurs aux satellites. Or, comme nous l'avions constaté dans notre rapport de 2012, on construit aujourd'hui des lanceurs sans se préoccuper des satellites qui seront lancés. Même si ce n'est pas exactement le sujet de la note, il me semble pertinent de faire référence à cet aspect en une phrase.
C'était effectivement le cas pour Ariane 5, mais Ariane 6 sera adaptée aux futurs satellites dotés d'une propulsion électrique, qui leur permet de se déplacer dans l'espace. Les constructeurs de lanceurs commencent tout de même à penser aux satellites.
Ma question est relative au volet défense des satellites. L'armée de l'air va devenir l'armée de l'air et de l'espace. Une question fondamentale est celle de la possibilité de détruire des satellites depuis le sol ou l'espace. Il est évident que commencer par détruire des satellites ennemis pour empêcher toute opération aérienne ou terrestre peut avoir des conséquences essentielles dans un combat. On dit toujours que la maîtrise de l'espace aérien est la priorité absolue, mais la suite est probablement la maîtrise de l'espace. Un chapitre de la note s'appelle « Défense et protection de l'espace », il s'agit vraiment d'un enjeu fondamental des satellites.
Nous sommes face à une technologie coûteuse qui demande des financements. Or, comme on le voit aujourd'hui dans la discussion du PLF, il est toujours nécessaire de faire des arbitrages lorsqu'il s'agit de défendre des budgets pour des technologies que l'on considère comme absolument cruciales. Nous connaissons tous les concurrences entre les différents secteurs pour se voir attribuer une part des ressources financières limitées.
Est-il possible de connaître les recettes engendrées et les dépenses évitées par le secteur spatial ? Je sais que c'est extrêmement difficile à mesurer. A minima, pourrait-on connaître l'effet de levier des technologies spatiales : combien d'euros sont générés pour l'économie française par les investissements réalisés dans le spatial ?
Ce serait une idée absolument idyllique, mais avec le bémol de la difficile quantification des enjeux stratégiques. Les investissements militaires sont certes pharaoniques, mais ce serait encore plus coûteux de perdre une guerre, même si nos ennemis potentiels dans l'espace sont en réalité nos alliés.
Concernant les évitements dans l'espace, nous possédons en France le système de surveillance GRAVES (grand réseau adapté à la veille spatiale), développé pour la direction générale de l'armement (DGA) du ministère des armées, mais nous dépendons encore beaucoup des capacités militaires américaines. Il n'y a pas aujourd'hui de programme à l'échelle européenne qui nous permettrait d'établir une véritable gestion autonome des débris spatiaux et du suivi de nos satellites, les débris étant parfois la conséquence de dégradations. Étant donné les risques d'impacts dans l'espace, dont la probabilité va augmenter, je pense qu'il faudrait aller vers une démarche européenne structurée pour faire face à ces problématiques de surveillance de l'espace. Par ailleurs, nous ne sommes pas à l'abri de comportements mal intentionnés. Je pense notamment au satellite russe qui s'est dangereusement rapproché de satellites européens, sans raison apparente... Il ne faut pas oublier que le secteur spatial est lourd d'enjeux militaires.
Je rappelle qu'en 2007, la Chine a réussi à détruire un de ses anciens satellites en orbite au moyen d'un missile lancé depuis son territoire.
Cette démarche structurée pour disposer en Europe d'outils civils de surveillance nous permettant une vigilance accrue est particulièrement nécessaire dans le contexte actuel de multiplication des projets de constellations. Rappelons que, du côté américain, Elon Musk compte lancer des satellites par milliers.
Je comprends la remarque de Catherine Procaccia sur la 5G. Lors des auditions que j'ai menées, il est apparu clairement que les acteurs du secteur spatial étaient inquiets des risques que la 5G terrestre présente pour les communications par satellites en termes d'accès au spectre des fréquences.
Concernant la fracture numérique, je reste extrêmement pragmatique et je constate, au-delà des sensibilités politiques, que cette fracture existe encore bel et bien aujourd'hui. Certes, les accords de 2017 devraient normalement éliminer la fracture territoriale d'accès à la téléphonie mobile en 2020. Néanmoins, dans ma circonscription du sud du département du Rhône, je constate que, dans certaines communes rurales situées à 25 km du centre-ville de Lyon, la téléphonie mobile ne fonctionne pas. Par ailleurs, il reste toujours des territoires français sans accès au très haut débit, et je suis sceptique sur l'installation de la fibre optique dans ces régions, car elle coûterait trop cher. Je pense donc qu'il faut effectivement passer par le spatial car, malgré les travaux parlementaires qui ont été réalisés sur l'arrivée de la 5G, cette fracture numérique reste une réalité. Évidemment, si l'arrivée de la 5G permettait de combler définitivement ce problème, je serai le premier à m'en réjouir et à lever mon scepticisme. La sensibilité politique n'empêche pas la vigilance, notamment pour ce sujet où elle est une nécessité absolue.
Je pense avoir déjà répondu aux remarques de Ronan Le Gleut sur la défense de l'espace, en rappelant qu'il faut faire très attention aux problématiques de brouillage et de prises de contrôle éventuelles de certains satellites par des forces ennemies. La proposition du Président de la République du 13 juillet dernier concernant la création d'une armée de l'air et de l'espace, puis le discours de la ministre des armées Florence Parly le 25 juillet avec l'annonce d'un financement supplémentaire de 700 millions d'euros pour l'espace dans la loi de programmation militaire, semblent aller dans la bonne direction. Il s'agit de sujets à suivre, là aussi avec beaucoup de rigueur et d'esprit critique, pour s'assurer qu'une mise en oeuvre concrète et efficace succède bien aux promesses. On dit parfois que l'avenir de la Terre se joue dans l'espace ; je pense que cette affirmation est particulièrement vraie dans le domaine de la défense.
Concernant les statistiques économiques relatives au spatial, quelques données figurent dans l'encadré en première page de la note scientifique. Il s'agit des revenus commerciaux de l'aval de la filière, en fonction des différents domaines d'application, ainsi que des revenus commerciaux et institutionnels de l'amont. Mais comme l'a dit notre président Gérard Longuet, il est très difficile de chiffrer les bénéfices du spatial. Il est par exemple compliqué d'évaluer les impacts en termes de revenu des observations météorologiques, alors qu'elles sont très importantes pour le milieu agricole. En effet, la précision des prévisions météo permet à des agriculteurs d'éviter des catastrophes pour leurs cultures, leur impact financier étant donc considérable. Un certain nombre de systèmes installés dans ma circonscription permettent de prévenir les agriculteurs d'averses de grêle, qui se forment dans les nuages en moins de 45 minutes. On voit par ailleurs arriver le modèle d'assurance paramétrique, qui permet aux agriculteurs de se protéger contre ces intempéries de grêle. L'impact financier de ces prévisions météorologiques est également important dans d'autres domaines tels que l'immobilier, car elles permettent à nos entreprises, nos écoles ou nos mairies, par exemple, de fermer leurs volets au moment d'intempéries, et ainsi de réduire leurs dépenses de fonctionnement. En tout cas, il n'est pas évident d'évaluer les économies réalisées et permises par les satellites.
C'est pourquoi les semaines qui viennent, lors desquelles se décidera le niveau de la contribution de la France au budget de l'ESA, sont absolument essentielles. Si la France ne mesure pas tous les enjeux du secteur spatial, elle risque de régresser dans un monde extrêmement concurrentiel. Par ailleurs, je pense que nous devons fortement contribuer à améliorer la gouvernance européenne, comme je l'ai proposé dans la note, afin que l'Europe puisse continuer à se positionner comme un acteur majeur dans un contexte où les Américains investissent massivement et où les Chinois prennent une place de plus en plus importante. Les questions de souveraineté sont extrêmement importantes, l'Europe doit rester maître de ses données et rester vigilante face aux autres puissances spatiales. Je suis convaincu des vertus de notre système européen, mais s'agissant du secteur spatial, je pense que notre organisation et ses nombreuses strates imbriquées ne constituent pas le système optimal. S'agissant de la règle du retour géographique de l'ESA, il me semble qu'on gagnerait à admettre plus d'agilité et de souplesse dans sa mise en oeuvre. En étant trop rigides, on perd la synergie résultant d'une Europe unifiée au profit malheureusement d'un système de fédération de pays.
Évidemment, nous tiendrons compte des remarques de fond et de forme que vous nous avez faites, cette note devant être le fruit de notre travail collectif.
Nous pouvons nous réjouir de ce travail. Par curiosité, quels sont les sept boosters français ?
Comme précisé en note de fin n° 51, il s'agit des boosters Morespace en Bretagne, Nova à Toulouse, Bordeaux et Montpellier, Space4Earth en région Sud, Seine Espace sur l'axe Seine-Normandie, CENTAuRA en région Auvergne-Rhône-Alpes, Morpho en Guyane et Rhinespace à Strasbourg-Mulhouse-Colmar.
Je me permets de faire un dernier commentaire sur la dernière intervention du rapporteur, qui est très intéressante. Le début de la note évoque les ruptures technologiques nombreuses, en particulier les satellites fabriqués sur mesure et à la demande qui deviennent obsolètes et sont remplacés par des satellites plurifonctionnels.
Oui, on arrive à modifier l'utilisation qui en est faite au cours de leur vie, ce qui permet de prolonger leur existence et surtout de les adapter à différentes missions.
Dans la dialectique entre R&D, industries et services, on s'aperçoit que la partie R&D est certes importante, que l'industrialisation, c'est-à-dire le passage étalé dans le temps aux démonstrateurs puis à l'échelle industrielle, mobilise effectivement des moyens financiers importants, mais c'est en réalité dans la diffusion du service au grand nombre que se trouve la majeure partie de la valeur ajoutée. Par exemple, les services de géolocalisation vont se diffuser et servir au développement des véhicules autonomes, en commençant par les navires, les trains puis peut-être s'étendre aux flottes de poids lourds pour aller finalement vers des usages de plus en plus nombreux. On voit bien que le travail de vente et de diffusion du service va mobiliser beaucoup plus d'effectifs que le travail de recherche et de production. On en revient donc à notre réflexion sur les écoles d'ingénieurs. Finalement, un entrepreneur utilise les découvertes des autres et cherche à en faire une application rentable, en vendant souvent son produit avant même de l'avoir développé. C'est ce développement grand public qui nécessite le plus d'efforts et crée de la richesse. Je ne porte aucun jugement de valeur sur nos écoles d'ingénieur, mais une baguette de pain n'a aucune valeur et aucune utilité dans une boulangerie fermée... Ainsi, après l'industriel et le scientifique, la diffusion de masse passe, dans une société mondialisée, par des commerçants, des logisticiens, des publicitaires et des communicants, qui sont les créateurs de richesse.
L'Office autorise, à l'unanimité, la publication de la note scientifique sur « Les satellites et leurs applications », avec les modifications apportées au cours de la réunion.
Nous examinons à présent une note de méthodologie sur le travail en cours sur le thème de la valorisation énergétique des terres agricoles. Il s'agit d'une saisine de l'Office par la commission des affaires économiques du Sénat. Roland Courteau ne peut malheureusement pas être avec nous ce matin. Il a donné tout pouvoir à Jean-Luc Fugit pour présenter cette note qui fait un point sur les travaux qu'ils mènent actuellement sur ce très intéressant sujet.
L'Office a été saisi le 3 décembre 2018 d'une demande d'étude sur la valorisation énergétique des terres agricoles, en en identifiant les opportunités et les risques. J'assure ce travail avec notre collègue Roland Courteau, sénateur, vice-président de l'Office, retenu ce matin, et que j'excuse à la suite du président. Nous avons conduit plusieurs auditions afin d'éclairer les différentes dimensions du sujet et de mieux délimiter le champ de nos investigations. Nous avons également adressé des questionnaires au ministère de l'agriculture et au ministère de la transition écologique et solidaire.
Plutôt que « La valorisation énergétique des terres agricoles », nous proposons à l'Office d'intituler notre travail « La production d'énergie dans le secteur agricole » : il s'agit d'aller plus loin que l'utilisation, à des fins de production d'énergie, des produits agricoles ainsi que des déchets et résidus afférents, ce qui mènerait à la préparation d'un rapport sur les biocarburants et la valorisation de la seule biomasse, à travers par exemple la combustion - biomasse chaleur - et la méthanisation - biogaz. Un tel titre permet d'élargir le champ de nos investigations, en vue d'inclure non seulement l'utilisation des sols agricoles mais aussi des bâtiments et des sous-sols pour tout type de production d'énergie : l'énergie éolienne, l'énergie photovoltaïque, le solaire thermique, les pompes à chaleur, la petite hydroélectricité, etc. Au moment où la transition énergétique appelle le développement des énergies renouvelables, un tel élargissement nous semble particulièrement justifié.
L'Office a consacré, à plusieurs reprises, des travaux à l'énergie ou à l'agriculture mais il n'a jamais rendu de rapport sur la production d'énergie dans le secteur agricole. Une étude spécifique plus approfondie semble donc pertinente pour vos rapporteurs, d'autant plus que les travaux extérieurs à l'Office traitant conjointement de l'agriculture et de la production d'énergie sont rares.
S'agissant de travaux français, peuvent être mentionnés l'étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) de février 2018 « Agriculture et énergies renouvelables : contributions et opportunités pour les exploitations agricoles » ainsi que le rapport du ministère de l'agriculture de janvier 2011 « Prospective Agriculture et Énergie 2030 ». En dépit de ces études, les données disponibles sont pauvres : la question ne fait pas l'objet d'un suivi régulier par les pouvoirs publics. La statistique agricole annuelle est relative à l'utilisation des terres et aux productions agricoles mais ne délivre pas d'informations sur la consommation ou la production d'énergie. De même, le recensement général agricole ne fournit pas d'informations sur la production d'énergie dans le secteur agricole. Les institutions européennes suivent ce sujet mais seule la Cour des comptes européenne a consacré un rapport à un thème voisin en 2018 : « Énergies renouvelables et développement rural durable : d'importantes synergies sont possibles, mais rarement exploitées ». Pour mémoire, la Commission européenne a financé, en 2011, une étude externe consacrée à l'impact des énergies renouvelables sur les agriculteurs européens.
La méthode de travail sera fondée sur des auditions, des déplacements, l'envoi de questionnaires et la consultation d'ouvrages, de rapports et d'articles. Des membres du Conseil scientifique de l'Office seront consultés. Enfin, une audition publique permettra de réfléchir collectivement aux problématiques du sujet et de confronter les différents acteurs.
Il s'agira, dans le rapport, de contribuer à un état des lieux des différents modes de production d'énergie dans le secteur agricole, en en distinguant les avantages et les inconvénients en termes de rendement, d'impact environnemental, d'analyse de cycle de vie, de conflits d'usage ou, encore, d'acceptabilité sociale.
Les freins et les incitations au développement de ces différentes énergies seront également évoqués, mais en fonction de la plus-value spécifique de l'Office : les enjeux scientifiques et technologiques occuperont ainsi plus de place que les considérations politiques et économiques. Cette précaution n'empêchera toutefois pas vos rapporteurs de s'interroger sur le cadre juridique de ces modes de production d'énergie, l'autoconsommation, les logiques territoriales ou, encore, les outils d'accompagnement des agriculteurs. À travers les opportunités et les risques de la production d'énergie dans le secteur agricole, il s'agira d'établir une liste de recommandations pour nos politiques publiques.
Le calendrier retenu est resserré puisqu'il s'agit de quatre mois d'investigations dans la perspective d'une adoption par l'Office la semaine précédant le salon international de l'agriculture 2020, qui se tiendra à la fin du mois de février de l'année prochaine. Ce salon constituera l'occasion d'une présentation du rapport.
Pour ce qui concerne les moyens nécessaires à la conduite de l'étude, outre les auditions menées par vos rapporteurs ainsi que des déplacements en Île-de-France, il convient de prévoir le financement de l'organisation d'une audition publique, le remboursement de frais éventuels de personnes auditionnées, la prise en charge de déplacements dans trois régions françaises (régions Bretagne, Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes), à Bruxelles auprès des institutions européennes et, dans un autre État membre, soit l'Allemagne, soit les Pays-Bas, à des fins de comparaison internationale.
Voilà pourquoi - au total - nous avons souhaité élargir le champ de nos investigations par rapport à la saisine initiale et vous présentons la démarche que nous comptons en conséquence mettre en oeuvre.
Il est intéressant d'utiliser le terme d'« exploitations agricoles » plutôt que les simples surfaces ou terres agricoles. Je m'interroge, par ailleurs, sur la place de la forêt dans votre étude. L'agriculture et cette dernière forment deux mondes parallèles, bien distincts. Ce ne sont ni les mêmes propriétaires, ni les mêmes comportements. S'agissant du calendrier, une présentation du rapport à l'occasion du salon de l'agriculture me semble une très bonne idée, à la condition que de tels délais soient tenables. Enfin, en matière de déplacements, j'estime que l'Allemagne et les Pays-Bas risquent de faire double emploi. Je juge les Pays-Bas très intéressants car ils font de l'argent avec tout et leur modèle agricole est différent du nôtre. Ils ont par exemple largement recours à des cultures hors-sol. Il serait bon d'aller examiner sur place leurs pratiques.
En tant que membre de la commission des affaires économiques, je voudrais préciser les attentes de la commission. La saisine porte sur la France ; si l'étude propose de porter sur la France et l'Europe, ce qui me semble trop large, ne faudrait-il pas le préciser ?
Pour les déplacements en Allemagne et aux Pays-Bas, ce sera l'un ou l'autre. Quant à la question de Catherine Procaccia, j'indique que notre étude portera bien sur la France. Mais nous garderons des éléments de comparaison internationale.
Il faudra utiliser le terme d'« exploitations agricoles ». Ce concept rend bien compte de l'activité des agriculteurs.
Oui, mais sans oublier les coopératives agricoles, qui sont importantes dans le secteur agricole.
Les coopératives agricoles regroupent des exploitations agricoles. Il faudra effectivement en parler.
En tant qu'ingénieur agronome, je voudrais recommander de veiller à une précision, à titre de précaution. L'agriculteur produit indirectement de l'énergie pour nous alimenter. Un ingénieur agronome en voyant un titre tel que « la production d'énergie dans le secteur agricole » pensera y trouver des développements sur la production alimentaire. Il faut donc être précis sur ce que contient le rapport, pour éviter que certains aillent y chercher ce qui n'y figure pas et pour renforcer l'image des agriculteurs dans un contexte d'« agribashing ». Il faudra notamment insister sur le fait que leur rôle est d'abord de produire l'énergie qui nous permet de vivre et de nous déplacer chaque jour et non pas de produire principalement de l'électricité ou du biogaz.
Une des recommandations évidentes que nous ferons consistera à éviter de déséquilibrer notre système : l'alimentation doit venir en premier puis ensuite les questions de déchets agricoles et de production d'énergie.
S'agissant des coopératives agricoles, je précise que nous les avons déjà auditionnées et qu'elles nous ont aidés à définir notre périmètre.
Pour ce qui concerne la forêt, j'estime qu'il s'agit d'un sujet à part entière même si l'agriculture lui est complémentaire en terme d'absorption de CO2 : vouloir la neutralité carbone en 2050, c'est viser l'absorption des émissions liées à nos activités anthropiques par nos forêts et notre agriculture.
Enfin, j'indique que notre état d'esprit, avec Roland Courteau, consiste à valoriser l'agriculture française et pas à rentrer dans un « agribashing » stupide, même si j'espère toujours la réduction de l'impact environnemental de toutes nos activités, y compris agricoles. Cela devra avoir lieu de manière progressive, ambitieuse, réaliste et, surtout, socialement acceptable.
Il faudra - dès l'introduction du rapport - écarter ce débat cornélien sur l'utilisation des sols agricoles pour l'alimentation ou pour l'énergie.
L'Office valide la méthodologie présentée par ses rapporteurs pour traiter la saisine sur la valorisation énergétique des terres agricoles.
Nous allons maintenant entendre avec beaucoup d'intérêt Pierre Henriet nous présenter la note qu'il a établie avec Pierre Ouzoulias sur la saisine de la commission de la culture du Sénat relative à l'intégrité et aux publications scientifiques.
Merci Monsieur le Président. La note que je vais vous présenter vise à décrire la méthodologie que nous proposons pour traiter la saisine, en date du 20 février 2019, émanant de la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat et dont l'Office a bien voulu nous confier la mission d'être rapporteurs, avec mon collègue Pierre Ouzoulias. Ce dernier vous prie de l'excuser de ne pas pouvoir être présent aujourd'hui en raison de contraintes liées à l'agenda de sa commission.
Il s'agit donc pour nous d'étudier le sujet de l'intégrité scientifique, qui connaît aujourd'hui un écho médiatique assez fort.
Je rappellerai d'abord la définition de l'intégrité scientifique, telle que la prévoit la « circulaire Mandon » du 15 mars 2017 : il s'agit de l'« ensemble des règles et valeurs qui doivent régir l'activité de recherche pour en garantir le caractère honnête et scientifiquement rigoureux. ». Cette question est et a été posée dans l'actualité à la suite d'affaires de soupçons de falsification ou de fabrication de données, notamment les cas d'Anne Peyroche, d'Olivier Voinnet, ou de Catherine Jessus.
L'Office parlementaire et le Parlement dans son ensemble ont montré leur intérêt pour le sujet de l'intégrité scientifique, notamment de son cadre juridique, sous diverses formes : questions au gouvernement, auditions successives de l'Office. Le Pr. Pierre Corvol a ainsi été auditionné en novembre 2016 pour présenter son rapport sur ce thème. Olivier Le Gall, président de l'OFIS (Office français de l'intégrité scientifique) et Michel Cosnard, président du Hcéres (Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur), ont été entendus en janvier 2018. Enfin, notre collègue députée Anne Genetet nous a présenté une communication sur le sujet en février 2019.
Le constat qui a été fait lors des premières auditions que nous avons tenues est multiple. D'une part, les manquements à l'intégrité scientifique affaiblissent la confiance dans la science et interrogent le lien entre science et société. Ces manquements peuvent entacher la réputation des organismes de recherche concernés, gaspillent les fonds publics et peuvent représenter des risques, notamment sanitaires.
Si nous revenons sur l'historique de l'intégrité scientifique, il s'est construit autour de deux rapports majeurs, qui ont posé des jalons réglementaires. Celui de Jean-Pierre Alix, en 2010, a permis la mise en place de la « charte nationale de déontologie des métiers de la recherche », signée en 2015. Celui du Pr. Pierre Corvol, remis en 2016, a conduit à la création de l'Office français de l'intégrité scientifique, et à la désignation de référents intégrité scientifique. Je reviendrai un peu plus tard sur leur statut.
Enfin, en février 2019, l'Office a reçu la saisine de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, visant à « éclairer la représentation nationale sur les choix de politique publique à opérer [dans le domaine de l'intégrité scientifique]. ».
La France privilégie un principe d'autorégulation à l'adoption d'un cadre normatif. En la matière, on trouve dans notre pays des codes de bonne conduite, des chartes et des guides, mais - et c'est un élément qui revient souvent lors des premières auditions des référents intégrité scientifique -, ces derniers ont le sentiment de manquer d'un cadre juridique et d'un accompagnement dans le cadre de leur mission.
Depuis les deux rapports fondateurs, il y a eu cependant des avancées sur le sujet. En 2016, la circulaire Mandon a créé les référents intégrité scientifique. Il y en a 130 aujourd'hui, dans l'ensemble des organismes de recherche, qui ont pour mission de promouvoir l'intégrité scientifique et instruisent les cas de manquements. La circulaire a créé également l'OFIS, constitué au sein du Hcéres, qui fait notamment la promotion de l'intégrité scientifique, mais n'est pas une structure de sanction.
Nous proposons que l'étude que l'Office nous a confiée vise, à la fois, à évaluer les dispositifs déjà mis en place : OFIS, référents intégrité scientifique, codes et autres chartes ; mais aussi à conforter, si nécessaire, au niveau législatif ou réglementaire, les pratiques déjà admises par les chercheurs. En termes de calendrier, la discussion parlementaire à venir du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, dont le dépôt est prévu au début de l'année prochaine, pourra le cas échéant constituer une première étape, si des dispositifs législatifs paraissent alors mériter d'y être intégrés.
Quatre champs voisins qui impactent directement celui de l'intégrité scientifique nous paraissent devoir être abordés dans le rapport. Tout d'abord, la question des publications scientifiques, qui soulève la problématique du régime d'oligopole des grandes maisons d'édition, qui « dépossèdent » le chercheur de ses travaux, comme l'évoquent certains d'entre eux. La science ouverte constitue également un possible levier en faveur de l'intégrité scientifique, au travers de l'open access et de l'open data ; la science participative, au travers notamment de la question de la science considérée comme « bien commun », ce champ pouvant être important pour notre rapport. Enfin, l'évaluation du chercheur, qui fait également l'objet de débats dans le cadre de la préparation du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
De premiers axes de réflexion se sont dégagés lors de nos premières auditions. En l'absence de notion d'intégrité scientifique dans le code de la recherche en vigueur, faut-il le prévoir ? Se posera aussi la question de l'inscription de la notion de science comme « bien commun » dans le même code de la recherche. Par ailleurs, toutes les structures de recherche n'ont pas encore désigné de référent intégrité scientifique. Ne faut-il pas le rendre obligatoire ? De même, l'absence de statut et la définition précise des missions de ces référents intégrité scientifique posent question. Dans le cadre des premières auditions que nous avons effectuées, beaucoup de ces référents soulignent le flou autour de leur statut. Faut-il, comme pour le référent-déontologue, définir son statut et ses missions dans la loi ? Ou sinon, au moins prévoir une lettre de mission-type ?
Le statut de l'OFIS est également objet de débats. Il a en effet été constitué comme un simple département du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, ce qui peut donner l'impression qu'il n'est pas actuellement totalement indépendant, ni dans ses locaux, ni dans son budget. Faut-il évoluer sur le sujet ?
Au plan procédural, il n'existe pas de typologie claire des manquements et de leurs sanctions. L'absence de typologie des sanctions a été souvent évoquée lors de nos premières auditions. Est-il possible, voire souhaitable d'encadrer au moins les cas les plus graves ?
La formation à l'intégrité scientifique au sein des écoles doctorales est recommandée par l'arrêté du 25 mai 2016 concernant la formation doctorale, mais elle n'est pas obligatoire aujourd'hui. Faut-il la rendre obligatoire ?
À ce jour, il n'existe pas de « jurisprudence », pas de base de données des rapports d'enquête, même anonymisés. Plus généralement, lors de nos premières auditions, nos échanges sur la publicité donnée aux rapports d'instruction des allégations de manquement ont révélé que les rapports d'enquête sont rarement divulgués. Faut-il définir des règles à ce sujet ?
Un autre axe du rapport porte sur les cas de méconduites internationales ou inter-établissements. Les règles et chartes ne sont pas les mêmes selon les établissements. Quelles solutions peut-on envisager ?
La question de l'évaluation du chercheur est également d'importance. Malgré la signature de la déclaration de San Francisco sur l'évaluation de la recherche, l'imprécation « publier ou périr » reste prégnante. Comment alléger cette pression quantitative sur les chercheurs au profit d'une évaluation plus qualitative ?
Pour notre réunion d'aujourd'hui, il nous revient aussi de présenter les moyens que nous souhaitons demander pour réaliser nos travaux et produire l'étude : à la fois pour poursuivre les auditions et mettre sur pied une, voire deux auditions publiques, portant sur l'intégrité scientifique et sur le sujet des publications scientifiques.
Nous souhaiterions également procéder à quelques déplacements limités à l'étranger, dans des pays proches qui encadrent différemment les manquements ou la promotion de l'intégrité scientifique. Nous pensons ainsi aux Pays-Bas qui disposent d'un code de bonne conduite. L'Allemagne, quant à elle, fonctionne avec des médiateurs locaux, un médiateur national et la Fondation Deutsche Forschungsgemeinschaft (Communauté de recherche allemande) qui est un organe autonome de financement. Le Danemark s'est quant à lui doté d'une loi qui a notamment créé une commission des manquements à l'intégrité scientifique. Enfin, le Royaume-Uni dispose d'un concordat de l'intégrité scientifique et a créé l'UK Research Integrity Office. On voit bien que notre thème constitue un sujet éminemment d'actualité, que la France devrait chercher à traiter au moins à hauteur de ce qui se fait dans les autres pays européens.
Merci de cette présentation. Je crois que la piste est tracée, il faut l'emprunter. Pouvez-vous cependant nous préciser ce que recouvre cette notion intéressante de « publier ou périr » ?
Il s'agit d'un slogan très utilisé dans le monde universitaire, qui dénonce les travers du mécanisme actuel d'évaluation des chercheurs, trop quantitatif, et qui les incite à publier en nombre et le plus rapidement possible, pour ne pas « disparaître » du champ académique.
Ce sujet sera d'autant plus intéressant que les inconduites scientifiques desservent la cause fondamentale de la confiance de l'opinion dans l'honnêteté de ceux qui se consacrent à la recherche, au profit d'un obscurantisme. Nous nous souvenons aussi de l'affaire Mitchourine-Lyssenko, qui a laissé des traces...
Tout à fait. Nous avons commencé à évoquer ces questions avec les référents intégrité scientifique que nous avons rencontrés. Mais ceux-ci ont peu de moyens, et il n'y a pas de vision statistique du sujet. En tout cas, le fait que les médias s'emparent de ces sujets a des conséquences très négatives sur l'ensemble des chercheurs. C'est pourquoi il sera utile d'analyser dans quelle mesure un encadrement normatif permettra d'améliorer les choses, tout en luttant contre le développement des infox.
Ainsi que je l'ai indiqué précédemment, plusieurs cas ont défrayé la chronique depuis quelque temps, pour des chercheurs de haut niveau ; sans nous immiscer dans le rôle du juge, il conviendra, tout en respectant la confidentialité de procédures d'instruction pour certaines encore en cours, d'analyser les enseignements qui pourront en être retirés pour progresser, y compris en interrogeant les journalistes concernés. Les référents intégrité scientifique s'estiment en effet assez démunis en termes de moyens humains et juridiques, et il pourra être opportun de faire des propositions, le cas, échéant, lors de l'examen du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
Étudierez-vous également la question des revues dites prédatrices, en tout cas n'ayant pas la même exigence d'intégrité que les meilleures ?
Tout à fait, il s'agit d'un volet intéressant à prendre en considération, nous avons d'ailleurs déjà intégré cet aspect dans nos premiers travaux. L'oligopole des grandes maisons d'édition tend en effet à déposséder le chercheur de ses travaux. Se pose aussi la question de la propriété ou de la protection des données constituées par le chercheur.
L'Office valide la méthodologie présentée par ses rapporteurs pour traiter la saisine portant sur l'intégrité scientifique, incluant la problématique des publications scientifiques.
La réunion est close à 12 heures.