Je vous prie d'excuser le président Christian Cambon, qui est retenu.
Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Pierre-Marie Girard, directeur international de l'institut Pasteur, professeur à la faculté de médecine de la Sorbonne et chef de service des maladies infectieuses et de médecine tropicale à l'hôpital Saint-Antoine, et M. Amadou Sall, directeur de l'institut Pasteur de Dakar, où il a travaillé pendant vingt-cinq années en tant que chercheur, responsable d'unité puis directeur scientifique, avec une longue expérience de terrain notamment lors de la grave épidémie du virus Ebola en 2013-2014. M. Sall est actuellement référent de l'Union africaine pour la crise du Covid. Messieurs les directeurs, nous vous sommes reconnaissants de prendre de votre temps si précieux pour faire le point avec nous.
Chacun connaît les instituts Pasteur qui forment un réseau de trente-deux établissements, dans vingt-cinq pays, avec, pour missions, la recherche, en particulier face aux agents infectieux, la santé publique, la formation, l'innovation et le transfert technologique. Ce sont donc des acteurs incontournables dans la gestion des épidémies et la production de vaccins.
Nous nous penchons aujourd'hui sur la situation de l'Afrique face au coronavirus. Le nombre de cas y reste certes limité, en partie du fait du manque de moyens de détection : on dénombre ainsi environ 16 000 cas et 800 morts à l'échelle du continent. Par ailleurs, de nombreux pays africains ont réagi de manière précoce et coordonnée, notamment au travers du Centre africain de prévention et de lutte contre les maladies de l'Union africaine (CDC Afrique). Enfin, la mobilisation, à laquelle notre pays a contribué en première ligne, des bailleurs bilatéraux et multilatéraux et l'annonce d'un moratoire sur la dette des pays viennent apporter une bouffée d'oxygène.
Nos inquiétudes restent néanmoins très fortes sur la capacité du continent à faire face à l'épidémie. Très peu de respirateurs et de lits de réanimation seraient actuellement disponibles dans les pays les plus fragiles. De nombreux États n'ont pas les moyens d'augmenter massivement leurs dépenses de santé et risquent de se trouver rapidement à bout de souffle financièrement, ce qui pourrait aussi avoir des conséquences néfastes sur la lutte contre les autres maladies graves. Nous redoutons également les obstacles à la stratégie de confinement.
Dans ce contexte, nous aimerions vous entendre à la fois sur le rôle des instituts Pasteur sur le continent, sur les moyens mobilisés par la France pour aider les systèmes de santé en Afrique, et sur les actions spécifiquement mises en place par l'institut Pasteur de Dakar pour répondre à la crise et leur articulation avec les plans mis en oeuvre par l'Union africaine.
Je laisse la parole à M. Girard puis à M. Sall pour une intervention liminaire, avant de solliciter nos deux rapporteurs de l'aide publique au développement, M. Jean-Pierre Vial et Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Je laisserai MM. les directeurs leur répondre, avant de donner la parole à un orateur par groupe politique.
Je remercie votre commission de se pencher sur la situation africaine en cette période difficile. Le réseau des instituts Pasteur compte trente-deux instituts, sur les cinq continents. L'institut Pasteur de Paris est connu pour sa mission de recherche, mais il anime aussi le réseau des instituts, qu'ils soient en métropole, dans les outre-mer ou à l'étranger, singulièrement en Afrique où l'on compte dix instituts si l'on inclut celui de Madagascar.
Ces instituts sont très divers, et certains sont axés vers des missions de très haute technologie, comme ceux de Hong Kong ou de Shanghai. La force du réseau est de faire travailler ensemble ces entités. Le partage des actions et la solidarité entre les instituts sont des valeurs fondatrices du réseau.
En Afrique, les instituts se trouvent dans les trois pays du Maghreb - Maroc, Algérie, Tunisie -, au Sénégal, en Guinée, au Niger, en Côte d'Ivoire, au Cameroun, en République centrafricaine et à Madagascar. Chaque institut a une mission de recherche et des activités de santé publique, c'est-à-dire des actions menées pour protéger les populations, en agissant sur la santé, en préparant l'éventuelle survenance d'épidémies et en étant présent lorsque malheureusement elles se développent. La formation est également importante : il n'y a pas de recherche sans formation, et vice-versa. Certains instituts mènent également des travaux importants dans le domaine de l'innovation et des transferts technologiques.
Les instituts Pasteur sont des établissements nationaux autonomes, qui, sous des structures juridiques variables, appartiennent au pays dans lesquels ils sont situés. Très bien insérés dans le tissu international, ils sont souvent des centres de référence pour leur pays, et des centres de collaboration pour l'Organisation mondiale de la santé (OMS), auprès de laquelle le réseau est représenté.
L'institut Pasteur en France est une fondation privée, qui a des liens étroits avec les établissements de recherche publics. Un appui important est apporté par le ministère de la recherche et par celui de l'Europe et des affaires étrangères.
Je vous remercie d'avoir invité l'institut Pasteur à évoquer le sujet de l'épidémie du Covid.
Les instituts Pasteur en Afrique sont l'exemple d'une coopération réussie, c'est-à-dire durable : plusieurs instituts sont centenaires. Ils ont permis de faire émerger une élite locale scientifique, ce qui a contribué à renforcer les compétences sur le continent, particulièrement en Afrique francophone. Grâce à leurs plateaux techniques, ils sont le « réceptacle » d'une diaspora formée à l'étranger. Ils ont contribué à la mise en place progressive d'un écosystème important pour le niveau local : par exemple, l'institut Pasteur de Dakar a, dans les domaines des services, de la production de vaccins, de la recherche et de la formation, permis l'émergence d'un écosystème unique qui permet de lutter contre les épidémies et d'apporter une aide au système de santé du pays. Leur démarche repose toujours sur une priorité locale.
Les instituts ont obtenu des résultats scientifiques majeurs, comme la mise au point de vaccins encore utiles aujourd'hui. Ils jouent un rôle majeur dans le cadre de l'épidémie. L'institut de Dakar s'est vu confier, au travers de trois institutions - le CDC Afrique, l'OMS, l'Organisation ouest-africaine de la santé -, une mission régionale d'appui à un certain nombre de laboratoires d'autres pays. Durant la phase de préparation de l'épidémie, seuls deux laboratoires pouvaient faire le diagnostic du Covid-19. Nous avons organisé des sessions de formation, qui ont permis de doter une quarantaine de pays, dont vingt-cinq par l'institut Pasteur de Dakar, de cette compétence, grâce à la formation et à la fourniture de tests.
La stratégie adoptée est de chercher à détecter la plupart des cas et à assurer leur suivi, ainsi que celui des personnes avec lesquelles ils ont été en contact. Il faut s'organiser pour que l'extension de l'épidémie reste dans la limite des capacités des systèmes de santé. Les instituts Pasteur jouent ainsi un rôle important non seulement par leur capacité de diagnostic, mais aussi par leur rôle dans l'investigation des cas, la recherche, la communication et la compréhension des canaux de transmission.
La recherche est vraiment essentielle. Les travaux de l'institut Pasteur de Dakar devraient permettre de mettre en place rapidement des outils de diagnostic, grâce à un programme lancé il y a un an. Le travail en réseau des instituts Pasteur permet de suivre l'évolution du virus. Aujourd'hui, très peu de molécules permettent de lutter contre l'épidémie ; un certain nombre de protocoles sont en phase d'évaluation.
Nous procédons également au partage d'informations, ce qui a permis de préparer une majorité des instituts Pasteur à l'épidémie dès la fin du mois de janvier dernier.
Les instituts jouent un rôle important d'expertise aux niveaux africain et mondial. Dans le cadre du programme de gestion des situations d'urgence de l'OMS, les instituts Pasteur participent aux travaux d'un groupe de conseillers, notamment pour évoquer les pratiques comme le port du masque.
La situation en Afrique est différenciée. La plupart des pays ne sont pas extrêmement touchés. La mortalité, à part en Afrique du Sud, est plutôt limitée. Des stratégies diverses sont appliquées face à cette épidémie.
L'Afrique est confrontée à un problème majeur d'approvisionnement, notamment pour les réactifs, en raison des tensions mondiales, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes sur l'évolution de l'épidémie. Or il faut pouvoir faire les tests, organiser la distanciation sociale.
Je veux conclure sur le rôle que pourrait jouer la France dans le cadre de cette épidémie. L'Agence française de développement (AFD) apporte déjà un appui au continent africain, mais il faudrait aller plus loin. Un certain nombre de pays ne peuvent plus faire de tests, car ceux-ci ne sont pas accessibles pour des raisons soit financières soit d'approvisionnement.
Par ailleurs, l'impact économique de l'épidémie est énorme. Selon les scénarios les plus pessimistes, on parle d'un recul de 8 % de la croissance. Un plaidoyer comme celui de M. Macron auprès du G20 pour alléger ou annuler certaines dettes me paraît très important.
Enfin, il faut soutenir la recherche. Les instituts Pasteur ont une forte capacité d'adaptation, grâce à leurs outils de recherche, pour lutter contre le Covid, mais également contre de futures épidémies.
Je vous remercie de vos présentations, messieurs les directeurs. Nous avons visité, dans le cadre de notre mission, l'institut Pasteur de Madagascar à la fin de l'année 2019. Je concentrerai mon propos sur l'aspect institutionnel.
Que pensez-vous de la coordination entre les différentes institutions chargées de la santé en Afrique et de son efficacité ? Je pense au Centre africain de prévention des maladies de l'Union africaine, aux organisations sous-régionales comme l'Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS), à l'OMS, à la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI) - Coalition for Epidemic Preparedness Innovations.
Le 15 avril dernier, la France et dix-sept pays africains et européens ont signé une tribune commune appelant à l'inclusion de l'Afrique dans la stratégie globale de lutte contre le virus : que pensez-vous de la création d'un mécanisme panafricain de coopération scientifique et politique ?
Par ailleurs, l'Union européenne a annoncé qu'elle débloquait 15 milliards d'euros pour soutenir les pays qui en ont le plus besoin. Le Fonds mondial, l'alliance GAVI, Unitaid se mobilisent : la réponse internationale est-elle assez forte ?
Si la recherche a besoin d'être confortée et coordonnée dans les politiques publiques des pays africains, elle peut compter sur les partenariats extérieurs. La France vient de décider une aide de 1,2 milliard d'euros. L'AFD, qui est chargée de gérer cette aide, vient de signer une convention avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de 1,5 million d'euros. Ce projet est-il à la hauteur ? Peut-il se conjuguer avec les autres acteurs français ?
Il y a à peine sept mois, en septembre dernier, l'institut Pasteur et la Fondation Mérieux, elle aussi très investie en Afrique, ont annoncé une alliance « pour renforcer les systèmes de santé publique des pays à ressources limitées et la préparation à la réponse aux épidémies face à une menace infectieuse qui prend de nouvelles formes » : c'était prémonitoire !
Je ne cite que ces acteurs impliqués dans la recherche, mais je pourrais aussi évoquer les nombreux autres qui se sont fortement mobilisés sur le terrain.
La mobilisation des moyens et de l'aide décidée par la France peut-elle être amplifiée et dans quelle direction doit-elle être orientée ?
Les prestations localement offertes par les institutions telles que l'institut Pasteur sont-elles suffisamment accessibles en termes de coût pour les populations locales ? En cas d'épidémie, les prestations sont-elles gratuites et comment en sont assurés les financements dans la période actuelle ?
Je veux dire tout l'intérêt que nous avons porté, avec Jean-Pierre Vial, à la visite de l'institut Pasteur de Madagascar. Nous avons pu apprécier la qualité des dispositifs de recherche fondamentale et appliquée et constater de visu les politiques de santé publique menées. Nous n'imaginions pas qu'une telle pandémie surviendrait et que vous seriez en première ligne. Merci pour votre action.
Vous avez présenté l'action des instituts Pasteur dans le monde, l'autonomie de chacun et le travail en réseau. Vous avez évoqué les différentes aides apportées par la France. À Madagascar, nous avons été alertés sur le fait que le ministère des affaires étrangères avait diminué le nombre de postes mis à disposition. Nous avons relayé cette inquiétude auprès du ministre.
Pensez-vous que les pays africains aient pris la mesure de la crise et aient répondu en conséquence ? Le Sénégal a, par exemple, réagi activement. Néanmoins, les mesures sanitaires diffèrent. Les gouvernements africains peuvent-ils et doivent-ils travailler à davantage d'homogénéité à l'échelle du continent, notamment par l'utilisation du travail effectué en réseau par les instituts Pasteur ?
La prévention, les gestes barrières, le confinement, la distanciation sociale demeurent des éléments clés dans la lutte contre le virus. Lorsqu'on connaît les conditions de surpeuplement qui prévalent dans certains pays et que l'on sait que, dans plusieurs pays, les forces de l'ordre ont tiré sur la population pour faire respecter le confinement, comment permettre une meilleure prise de conscience des populations ?
L'épidémie du virus Ebola a-t-elle préparé le continent à l'épidémie actuelle ? A-t-elle eu des effets en termes de structures permanentes ou temporaires de crise, de plateformes de coordination, de support aux engagements communautaires, de partage d'informations et de bonnes pratiques ?
Le nombre de cas recensés en Afrique est aujourd'hui relativement modéré, même s'il est variable selon les pays. Il ne s'agit que des cas qui ont pu être détectés, et non des cas réels. Certains médecins estiment que les traitements antipaludiques, utilisés plus largement en Afrique qu'ailleurs, jouent un rôle préventif. Qu'en pensez-vous ?
S'agissant du diagnostic, quels sont les outils actuellement développés ? Vous avez fait référence à la difficulté de vous procurer des réactifs ; la France n'échappe pas non plus à ce problème. Dans ce contexte, quelle aide attendez-vous de notre pays ?
La coordination entre les différentes institutions a connu une amélioration salutaire.
Le CDC Afrique, qui est le bras armé de l'Union africaine, a permis d'améliorer la coordination dans différents domaines. Avec l'OMS, la dynamique a été plus lente à se mettre en place. Dans certains domaines, cela marche bien ; dans d'autres, la situation est perfectible. On peut relever que la crise a conduit les différentes institutions à travailler de façon solidaire.
S'agissant de l'inclusion de l'Afrique, les chefs d'État et les ministres de la santé ont décidé de parler d'une seule voix. Le président Sall fait partie des leaders qui prônent cette démarche, avec le président Macron et d'autres. L'Afrique n'a pas les moyens de se retrouver au milieu d'une compétition internationale pour trouver des réactifs...
Le partenariat avec l'Union européenne, avec l'AFD, est important. Mais il faut mener une réflexion de plus long terme. Il importe de trouver des solutions locales, notamment dans le secteur de l'industrie du vaccin. Sans capacités locales, nous aurons toujours des problèmes d'approvisionnement.
Le retrait du ministère des affaires étrangères a conduit à une baisse de 50 % de l'aide apportée à l'Institut Pasteur de Dakar. Cela peut poser des problèmes en termes de viabilité financière de nos institutions.
La question du surpeuplement et de la distanciation sociale a été évoquée. Je veux saluer l'engagement communautaire qui a permis de s'adapter. Au Sénégal, les mesures draconiennes qui ont été prises ont été bien reçues grâce aux leaders d'opinion, lesquels ont joué un rôle dans l'annulation des rassemblements publics. La notion de surpeuplement ne peut pas être présentée comme un obstacle, car, en écoutant les communautés, on trouve des solutions. On ne peut pas faire de copier-coller des mesures prises en Asie ou en Europe: cela ne marcherait pas.
L'épidémie Ebola a permis à l'Afrique de se doter de structures. Par exemple, les centres d'urgence sanitaire au Sénégal, qui sont le bras opérationnel du ministère de la santé, ont été créés à la suite de cette épidémie.
S'agissant des diagnostics, une aide serait importante. Les capacités de production ne sont pas suffisantes en Afrique.
En matière de recherche, les partenariats sont bel et bien essentiels, en particulier pour faire face aux adaptations du virus. C'est précisément le sens du réseau des instituts Pasteur. Certains résultats épidémiologiques peuvent certes être exportés, mais l'expertise locale a toute son importance. La recherche fondamentale est également menée sur place, en Afrique, grâce à diverses technologies transférables sur le terrain. Ainsi, l'institut Pasteur de Hong Kong a pu développer un test moléculaire et le mettre rapidement à disposition de l'ensemble des instituts Pasteur.
Ces instituts ont également un très fort engagement régional, notamment celui de Dakar : les apports de technologies et de connaissances doivent être partagés avec les pays où ne se trouve pas d'institut Pasteur. C'est précisément ce que nous avons fait pour les tests.
Le rôle de l'AFD est important. Sa mobilisation a été particulièrement rapide. Au titre des aides exceptionnelles, deux types de fonds ont été annoncés, l'enveloppe de 1,2 milliard d'euros comprenant à la fois des subventions, à hauteur de 150 millions d'euros, et des prêts à long terme, qui permettront de soutenir bien des pays.
Est-ce suffisant ? Clairement non. Mais il est difficile de prédire le montant nécessaire. En Afrique, l'épidémie monte plus lentement qu'ailleurs. Certains redoutent une catastrophe sanitaire. Divers facteurs, en particulier démographiques, doivent être pris en compte : le pourcentage de personnes âgées est moins élevé sur le continent, ce qui pourrait entraîner une protection relative. Cela étant, d'autres facteurs de comorbidité sont assez forts sur ce continent - diabète, hypertension artérielle, maladies cardiovasculaires et pulmonaires. Les prévisions sont donc extrêmement difficiles à établir.
Une première tranche de financements a été débloquée par la France. Nous lui sommes tous reconnaissants ; en Afrique de l'Ouest, au Maghreb, à Madagascar, le soutien apporté aux instituts Pasteur permettra de répondre aux demandes exprimées, mais tout à fait partiellement, pour faire face aux ruptures de stock et assurer la formation continue. En résumé, la mobilisation doit être amplifiée et adaptée selon l'évolution de l'épidémie.
Les principaux financeurs étatiques français sont, actuellement, l'AFD et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Le retrait du ministère se traduit effectivement par des chiffres cruels : l'ensemble du réseau dénombrait vingt-quatre experts techniques internationaux (ETI), travaillant notamment en Asie. En l'espace de deux ou trois ans, ces effectifs ont été réduits à six. Or l'expertise partagée passe par ces chercheurs, comme par les gestionnaires, ou encore par les directeurs d'institut. Nous espérons vivement que ces pertes d'ETI seront compensées, afin que nous puissions mettre en oeuvre une réelle collaboration.
Comment les gestes barrières déclinés en Europe peuvent-ils être appliqués en Afrique, notamment dans des communautés placées dans des situations particulièrement précaires ? C'est une question clé. L'expérience d'Ebola a permis de dresser ce constat : il ne faut surtout pas imposer des mesures qui, en touchant à des questions aussi sensibles que les processus funéraires, dramatisent encore le drame. Il est essentiel de travailler avec les communautés ; tout ce qui a trait aux comportements doit être accepté, adopté et adapté. Il ne faut surtout pas plaquer les pratiques des pays occidentaux. D'ailleurs, les projets financés par l'AFD et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères comprennent un volet de sciences sociales, afin de travailler sur les représentations de la maladie, d'adapter les discours de prévention et de rendre les mesures plus acceptables.
La question des antipaludiques est assez envahissante. La chloroquine, dont on a sans doute trop parlé, et de manière hâtive, a été très utilisée en un temps ; mais, aujourd'hui, elle est assez peu employée en Afrique de l'Ouest. Le fait qu'elle ait retardé l'épidémie nous paraît hautement improbable. L'explication doit sans doute être cherchée ailleurs.
C'est sur les réactifs que se porte, actuellement, l'attention la plus forte. Il s'agit d'un enjeu logistique au sens large. Les gouvernements vont devoir gérer la pénurie. En parallèle, une solidarité internationale est indispensable. Il est essentiel de ne pas oublier l'Afrique : certes, les prévisions sont difficiles à établir, mais les courbes des différents pays laissent présager une situation grave. L'OMS a d'ailleurs tiré la sonnette d'alarme.
Le plus difficile à mesurer, c'est la fréquence des cas graves. On en observe d'ores et déjà. Leur incidence sera-t-elle plus faible que dans d'autres pays ? La prise en charge médicale, notamment clinique, devrait poser plus de difficultés qu'ailleurs, d'où l'enjeu de l'appui en technique médicale et en matériel, en particulier pour la réanimation. La solidarité doit s'exprimer par tous les moyens possibles - soutien logistique, mise à disposition de matériels de protection et de matériels médicaux. Gardons-nous des égoïsmes nationaux.
Messieurs les directeurs, votre audition est précieuse, du fait de votre positionnement géographique et scientifique. Au sein d'un réseau mondial de trente-deux instituts, vous disposez d'une expérience tout à fait unique de la géopolitique des pandémies. Les grandes ambitions des instituts Pasteur sont détaillées dans le dernier plan stratégique en date, couvrant la période 2019-2023 : recherche biomédicale, élaboration de politiques de santé publique dans le monde, formation, prévention. Schématiquement, vous avez 133 unités de recherche, un pied en Chine et dix en Afrique.
Monsieur Girard, à ce titre, je m'interroge sur le fonctionnement institutionnel du réseau. Quels ont été, en janvier dernier, les retours de l'institut Pasteur de Shanghai, lequel reste soumis au droit national chinois ? Quels sont vos liens avec l'OMS ? Je pense en particulier à la question des délais d'alerte lors de pandémies. Au sujet du SARS-CoV-2, disposez-vous d'une forme de benchmarking international ou d'un premier mémento des actions les plus efficaces selon les zones géographiques et les populations ?
En outre, le 29 février dernier sur RFI, vous vous inquiétiez du faible nombre de cas recensés en Afrique. Qu'en est-il aujourd'hui ? Le continent tout entier est inclus dans les nouvelles routes de la soie chinoises, qui s'étendent aux domaines scientifiques et médicaux. Y a-t-il des équivalents chinois de l'institut Pasteur en Afrique ? Que pensez-vous de l'aide chinoise déployée, par exemple, auprès de l'Union africaine ? Face à cette pandémie, certains traitements sont-ils aujourd'hui utilisés en Afrique ? Et, si oui, quels en sont les fournisseurs ?
L'état des lieux de l'épidémie en Afrique évolue au rythme des dépêches. Pour autant, avec 17 000 cas et 911 décès recensés, le continent semble moins touché que l'Europe ou l'Asie. La situation s'explique-t-elle par un effet retard, dû à la moindre insertion de ce continent dans les échanges mondiaux ? Aux difficultés de collecter les données en déterminant la cause des décès ? Ou encore à la spécificité du climat, qui expliquerait une moindre exposition ? Selon le professeur Raoult, l'usage courant de traitements antipaludiques offre une protection relative. Né à Dakar, il affirme : « en Afrique, la chloroquine, on en a tous bouffé quand on était gosse. » Mais, si tant est que cet effet existe, perdure-t-il tout au long de la vie ? En résumé, quelle évolution peut-on attendre pour cette pandémie ? Quel sera son effet sur les 25 millions de personnes réfugiées ou déplacées en Afrique ?
De quels moyens disposent, de leur côté, les instituts Pasteur face à cette crise ? On peut effectivement décentraliser la recherche, mais il faut aussi la coordonner. Comment fonctionne la coopération entre États ? Où en sont vos recherches sur le vaccin ? Les personnes ayant contracté le Covid-19 sont-elles immunisées, et si oui pour combien de temps ? Dans certains quartiers de nos grandes villes, on observe divers problèmes pour faire respecter les gestes barrières et le confinement. Qu'en est-il en Afrique, dans les quartiers insalubres et a fortiori dans les bidonvilles ? Comment les médecins et les autorités luttent-ils contre la désinformation massive, en particulier sur les réseaux sociaux ? Enfin, comme l'a souligné Mme Perol-Dumont, l'Afrique a malheureusement l'habitude des épidémies. L'expérience d'Ebola pourrait-elle, paradoxalement, aider le continent à mieux faire face au Covid-19 ?
J'ai pu visiter l'institut Pasteur de Hong Kong, qui se consacre à la prévention et au traitement des maladies infectieuses, et rencontrer son codirecteur, M. Malik Peiris, dont les contributions scientifiques se sont révélées majeures, qu'il s'agisse de la mise au point d'un test permettant de détecter le SARS ou de ses études sur les souches mutantes du virus H5N1. Lors de ma venue, il y a deux ans, les scientifiques s'inquiétaient d'une mutation du virus de la grippe aviaire, qui ferait des millions de victimes ; et M. Peiris s'alarmait, comme moi, des marchés d'animaux vivants en Chine.
Jean-Yves Le Drian a déclaré que la France allait proposer un dispositif de soutien sanitaire à chaque communauté française dans les pays les plus exposés à la pandémie. Il prépare une liste d'États prioritaires. D'après vous, quels sont les pays africains qui devraient y figurer ? Nombre de nos compatriotes résidant en Afrique ont lancé des appels pour obtenir des médicaments qu'ils ne trouvent plus localement, car ils ont été réquisitionnés, notamment les stocks de plaquenil au Maroc. On manque d'une vision globale des besoins et le Quai d'Orsay se refuse à créer une plateforme « Médicaments ». Que préconisez-vous pour garantir l'accès aux médicaments en Afrique ? Avez-vous dressé une liste de produits dont le continent a absolument besoin ?
Enfin, dans un article récent, Le Monde annonce que Dakar va produire des tests rapides de dépistage du coronavirus, à moins d'un euro, en partenariat avec le Royaume-Uni. Il s'agit de garantir la disponibilité des tests sur le continent. Pourquoi la France n'est-elle pas partie prenante de cette initiative ?
Premièrement, au titre de la prévention, la prise de conscience de cette pandémie n'a-t-elle pas été trop tardive, notamment dans les continents les plus développés ? La situation dramatique que nous connaissons aujourd'hui ne doit-elle pas servir à améliorer, en la matière, les dispositifs de coordination mondiale ?
Deuxièmement, à mesure que la recherche scientifique progressera, comment garantir l'accès universel aux traitements et aux vaccins, en Afrique et au-delà ? Quelles conditions faut-il réunir dès maintenant pour éviter de graves inégalités d'une région à l'autre, d'un continent à l'autre ?
Troisièmement et enfin, M. Sall a évoqué l'important débat de la dette africaine. Comment consacrer davantage de moyens à la construction des systèmes sanitaires en Afrique ? Dans la durée, il faudra pallier le manque de structures que subit toute une partie du continent et restaurer de véritables moyens en faveur des politiques publiques. Il faudra donc, non seulement annuler les dettes, mais aussi assurer un accompagnement. Quel rôle la France peut-elle jouer en la matière, par exemple via l'aide publique au développement (APD) ?
Au total, j'ai visité une quinzaine d'instituts Pasteur à l'étranger, notamment celui de Shanghai, à l'époque où le gouvernement chinois proposait de le racheter. Il n'en a rien été, mais cet exemple montre combien ces structures sont convoitées.
Tout d'abord, qu'en est-il du développement de tests rapides, mené en partenariat avec la société Mologic ? Seront-ils bientôt mis sur le marché ? Pourquoi la France ne participe-t-elle pas à ce travail ?
Ensuite, au titre des recherches de financement, participez-vous au projet de partenariat entre l'Europe et les pays en développement pour les essais cliniques, lancé pour les activités de recherche en Afrique subsaharienne ?
Vous avez proposé plusieurs ateliers aux personnels de laboratoire. D'autres formations de ce type seront-elles organisées dans les prochaines semaines ? Le centre africain pour le contrôle et la prévention des maladies joue-t-il un rôle en la matière ?
Enfin, le Président de la République et dix-sept de ses homologues africains ont proposé un mécanisme panafricain de coordination scientifique et politique, en liaison avec plusieurs organisations, dont la CEPI et le CDC Afrique. Le but serait de coordonner les compétences africaines dans le domaine médical, notamment pour ce qui concerne les vaccins. Quelle sera, plus précisément, votre participation à ce projet ?
Structure de haute technologie, l'institut Pasteur de Shanghai est engagé dans la recherche sur les coronavirus. Ce n'est pas lui qui a repéré, isolé et séquencé le Covid-19 ; mais il a contribué à décrire certaines particularités moléculaires, fondées sur l'analyse des séquences génétiques faites à Wuhan. Fort de 350 personnes, cet institut Pasteur mène évidemment des programmes de lutte contre le Covid-19.
L'Afrique compte un certain nombre de centres de référence collaborateurs de l'OMS. C'est par ce biais et par l'application du règlement sanitaire international que le lien existe. Ces missions sont dévolues à l'institut Pasteur ou à d'autres structures, en vertu d'accords nationaux. Au total, seize instituts Pasteur sont en lien direct avec l'OMS.
En Afrique, le nombre de cas recensés est effectivement assez faible. Est-ce un problème de reporting ? À mon sens, la réponse est non. Si l'épidémie avait connu la même ampleur qu'en Europe, on l'aurait perçu. On n'a pas observé de cas secondaires, résultant de cas importés, ce qui prouve l'efficacité de la culture du repérage et du diagnostic. Malheureusement, la flambée est en cours ; nous espérons qu'elle sera moins forte qu'en Europe.
Les propos du professeur Raoult ont été largement commentés. J'y insiste, la chloroquine a été très importante il y a cinquante ans, mais, du fait de nombreuses résistances paludiques, elle est peu utilisée aujourd'hui ; l'efficacité prouvée à ce jour est extrêmement faible, et la persistance d'une exposition à la chloroquine vieille de cinquante ans est fort peu probable. Quant à l'efficacité clinique, rien ne la démontre. Mais, grâce aux données virologiques, nous serons bientôt fixés.
Nous tenons bel et bien à la recherche décentralisée au sein du réseau des instituts Pasteur. À nos yeux, il y va de la production et de l'appropriation des connaissances. À Paris, notre responsabilité, c'est de soutenir la recherche, par la formation, par la mise à disposition de technologies et par le financement des projets.
Tout projet de recherche doit disposer d'un financement spécifique structurel. Des appels d'offres ont été lancés et dix projets de recherche sont d'ores et déjà enclenchés en Afrique grâce à divers financements, venant notamment de l'Union européenne.
Le programme Europe-pays en développement pour les essais cliniques (EDCTP) organise les projets menés dans le cadre de partenariats entre pays européens et africains. Il s'agit de projets de recherche à haut niveau, bien financés, visant le renforcement de capacités. Malgré les pesanteurs institutionnelles, l'EDCTP s'est mobilisé face à la crise, comme l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), en France, afin de lancer un appel d'offres dédié.
Y a-t-il, en Afrique, des médecins qui appliquent le protocole du professeur Raoult ? La souche Covid-19 est-elle exactement la même en Afrique et en France ? Certains prétendaient que l'arrivée des beaux jours et de la chaleur en Europe participeraient à lutter contre le coronavirus. Qu'en pensez-vous ? Pensez-vous qu'avoir contracté la maladie immunise contre celle-ci ?
Le réseau des instituts Pasteur est membre de l'assemblée mondiale de l'OMS depuis quelques années, ce qui nous permet de prendre part aux grandes décisions de l'organisation.
Nous ne sommes qu'au début de l'épidémie en Afrique. La dynamique de celle-ci est très différente suivant les pays. Elle est très dépendante des stratégies retenues, des conditions sociales et économiques locales, du système de santé. Dans certains pays peuvent se poser des problèmes de diagnostic et de reporting, mais pas de manière colossale - cela se verrait rapidement.
On constate que, plus on s'y prend tôt, plus la stratégie est rapidement cohérente, mieux on peut affronter l'épidémie, comme on a pu l'observer en Europe et en Asie. De ce point de vue, le contact local sera déterminant. On peut donc s'attendre à une diversité de situations selon les pays.
Oui, il y a beaucoup de désinformation en Afrique, sur les médicaments ou sur un certain nombre de mesures. Au Sénégal, le ministère de la santé a une vraie stratégie de communication, de transparence, qu'il me paraît important de saluer, pour rebâtir la confiance. Comme dans la plupart des pays, les fake news relayées sur les réseaux sociaux posent problème.
La France est partie prenante au projet de production de tests rapides par l'institut Pasteur de Dakar dans le cadre de l'initiative Diatropix. La Fondation Mérieux et l'Institut de recherche pour le développement (IRD) font ainsi partie des bailleurs « historiques » qui ont contribué financièrement à la mise en place de cette plateforme et qui vont continuer à suivre le projet. Celui-ci a également été financé par l'un de nos partenaires industriels, Mologic, qui est britannique, mais la France est très présente. Elle l'est également dans d'autres projets, par exemple sur l'hépatite B et la méningite.
En matière de prévention des épidémies, tous les pays collaborent dans le cadre juridique du règlement sanitaire international de l'OMS, avec une stratégie fondée sur le confinement en cas d'épidémie, une approche globale plutôt qu'une approche aux frontières et, surtout, une adaptation aux situations plutôt qu'un cadre préexistant.
Ce mécanisme important assure, aujourd'hui, un reporting régulier. Il comprend un système d'alerte, des appels internationaux d'urgence et associe des processus de mobilisation de ressources. La mise en oeuvre de cette réglementation depuis 2005 a entraîné une amélioration significative de la situation. Le dispositif de coopération a également été énormément organisé. Comme nous devrons de plus en plus faire face à des épidémies, nous espérons que cette dynamique perdurera.
L'accès universel aux vaccins et aux traitements est une question extrêmement importante. Sur ce plan, le risque est considérable pour les pays africains. Cela doit être un point de vigilance. Des mécanismes, comme la CEPI, existent pour garantir cet accès universel, mais une production locale est essentielle. L'institut Pasteur de Dakar est le seul producteur de vaccins préqualifié par l'OMS en Afrique. Le Président de la République française et les présidents africains peuvent peser dans la balance, car il y a une véritable compétition dans l'accès à ces vaccins.
Pour ce qui concerne la dette et sa prise en compte dans la construction du système de santé, j'espère que rien ne sera plus comme avant après le Covid-19. Voilà une vingtaine d'années, nous avons connu un désengagement dans le domaine de la santé, entraînant un certain nombre de retards. À cet égard, le débat sur la dette doit être une opportunité. Il faudra vraiment que l'humain soit mis au centre du nouvel ordre mondial. Cela ne doit pas rester une incantation.
Nous sommes très engagés dans des partenariats de recherche clinique entre l'Europe et l'Afrique. Ainsi, nous avons remporté plusieurs appels d'offres de l'EDCTP. Actuellement, nous sommes candidats à des ressources pour effectuer des recherches sur le Covid-19.
Comment approvisionner les Français qui sont ici ? Au Sénégal, l'ambassade de France joue un rôle extrêmement actif. Certains de nos collègues appuient la prise en compte des besoins.
Plusieurs candidats à la mise au point d'un vaccin contre le Covid-19 sont actuellement en cours d'évaluation. Les plus optimistes évoquent le dernier trimestre 2020 ; d'autres, 2021. Les essais cliniques ont débuté. Il faut être extrêmement prudent.
Le prototype de test rapide en cours d'évaluation donne des résultats prometteurs. La date limite est en juin prochain, mais nous essayons de faire plus vite encore.
Les prestations des instituts Pasteur sont gratuites dans le contexte épidémique, grâce à une levée de fonds. En période non épidémique, elles sont relativement accessibles, mais gardent un coût, lié à la qualité du service.
Il existe des liens entre les équipes chinoises et certains partenaires africains, même s'il pourrait y en avoir plus. Le but intrinsèque du réseau est justement de mettre en relation des chercheurs, dans une recherche de complémentarités.
La question de l'accès au vaccin est très sensible. Il est absolument essentiel qu'il y ait un prix différencié pour les médicaments et les vaccins. C'est la moindre des choses, mais je pense que nous pouvons être confiants.
La situation est plus compliquée et moins avancée pour les tests. Ces derniers sont fabriqués dans le monde entier, mais leur validation est souvent insuffisante et les prix sont également très variables. Nous sommes très vigilants sur la qualité de ces tests, notamment en Afrique. Leur coût y est encore franchement excessif.
Le rôle de l'institut Pasteur est précisément de surveiller les souches, de les séquencer et de faire de la phylogénie, c'est-à-dire de comparer les séquences du génome. Ce sont des techniques complexes et coûteuses. Pour l'instant, rien n'indique que la souche évolue vers une plus grande agressivité à l'égard de l'organisme humain ou vers une plus grande faculté de transmission. Cependant, nous devons rester vigilants. L'épidémie n'en est qu'à son tout début. Quoi qu'il en soit, il n'y a pas aujourd'hui de modification majeure de nature à nous préoccuper.
Il existe certainement des facteurs écologiques au sens large, dont le climat, qui favorisent la survie et la transmission des virus. Pour l'heure, nous ne disposons d'aucun élément permettant d'affirmer que le virus sera saisonnier, comme la grippe, ou qu'il n'aura qu'une saison. Nous avons encore de nombreuses choses à apprendre sur ce virus, notamment sur son réservoir. L'institut Pasteur est très engagé sur cette question.
L'IRD est un partenaire important dans la réponse française à l'épidémie en matière de recherche, aussi bien en sciences fondamentales qu'en sciences humaines.
On observe très peu de changements du virus, mis à part de petites évolutions locales. Pour l'essentiel, les souches ont été importées d'Europe.
Le fait d'avoir été infecté confère-t-il une immunité ? Nous n'avons pas encore de réponse à cette question. On a remarqué la présence d'anticorps après une dizaine de jours, ce qui semble indiquer une protection. Mais on sait aussi que l'on a retrouvé le virus chez des malades guéris... Était-ce une réinfection, une résurgence du virus ? Combien de temps dure l'immunité ? Ces points doivent être étudiés.
Je salue l'initiative de cette audition. En tant que représentant de l'AFD, je me rends compte de l'importance de notre partenariat de coopération avec l'Afrique. Nous sommes admiratifs de votre travail au long cours. Le Sénégal peut être fier de cet engagement.
Quelle est la part du financement français dans l'action que vous menez ? Quelles subventions percevez-vous de l'AFD, des ministères autres que le ministère de la recherche et de l'institut Pasteur de Paris ? Quid des postes du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ?
En tant que présidente du groupe d'amitié France-Sénégal, je dois dire que je suis très inquiète du manque de moyens et de matériel, ainsi que du déni qui semble être celui de nombreux Africains, qui se sentent protégés par le climat, les croyances ou les marabouts ou qui ont peur d'être contaminés. L'information est capitale.
Nous avons réussi à étendre le champ du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Aujourd'hui, seules 5 % des subventions peuvent être utilisées par les États dans la lutte contre le Covid-19. C'est très insuffisant. Quel est votre point de vue sur ce sujet ? Comment pouvons-nous vous aider à obtenir une meilleure fongibilité ?
Je fais, moi aussi, partie du conseil d'administration de l'AFD. Quelle est votre opinion sur les relations avec celle-ci ? La température exerce-t-elle un effet sur le virus ? La grippe de Hong Kong, qui a été totalement effacée des médias, a causé près de 30 000 morts en France en 1969. Y avait-il eu autant de décès en Afrique ?
L'institut de Dakar bénéficiait de quatre postes du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Nous n'en avons plus qu'un, et nous nous battons pour son maintien... Autant dire que la réduction est drastique.
Nous recevons une subvention de l'institut Pasteur de Paris qui a énormément baissé ces cinq dernières années. Dès lors, tout appui serait évidemment bienvenu dans le contexte actuel.
Je veux souligner le rôle particulier d'appui et de relais de nos requêtes que joue l'ambassade de France localement. Ce partenariat me paraît intéressant et porteur d'avenir.
Nous avons une relation particulière avec l'AFD dans le cadre d'un projet que nous sommes en train de mener. Les relations sont bonnes. Il y a parfois des discussions, mais, globalement, nous sommes assez contents de ce partenariat, qui me semble appelé à s'améliorer. L'appui dont nous avons bénéficié dans le cadre du Covid-19 nous permet de travailler en réseau.
L'appui que le Fonds mondial peut apporter en cas d'épidémie ou de pandémie est quasi inexistant. J'espère que le Covid-19 permettra d'en prendre conscience. Du fait de leurs spécificités, les épidémies devraient faire l'objet d'un programme prioritaire d'investissement dans les prochaines années.
Je veux vous rassurer : seule une minorité des Africains est dans le déni. Ce phénomène existe, mais il demeure marginal. La majorité de la population a une pleine conscience de la crise, qui a impacté sérieusement leur quotidien. Je partage vos inquiétudes sur la faiblesse du système de santé, mais, comme je l'ai dit, je pense que les choses peuvent changer.
Les financements sont absolument essentiels. Hors épidémie, nous percevons, chaque année, 2 millions d'euros du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation nous verse 7,2 millions d'euros par an. Les financements de l'AFD se font exclusivement sur projets ; ils sont de l'ordre de 3 à 4 millions par an sur les projets en cours. Enfin, l'aide de l'Europe, notamment pour la préparation aux épidémies, s'établit à environ 2 millions par an. La participation propre de l'institut Pasteur de Paris au fonctionnement du réseau s'élève, quant à elle, à quelque 10 millions par an. Ces montants sont très en deçà de ce qui nous serait nécessaire pour financer nos ambitions - il nous faudrait trois fois plus.
Depuis un mois et demi, des fonds ont été débloqués : le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a versé une enveloppe de 2 millions d'euros pour l'Afrique, auxquels s'ajoutent 2 millions d'euros sur une enveloppe versée par l'AFD, et 2 millions d'euros pour l'Asie du Sud-Est.
Il semble qu'il y ait moins de cas graves et de décès en Afrique qu'en Europe. Est-ce une réalité fondée sur des statistiques précises ou est-ce une apparence liée à des difficultés de comptage, pour des raisons notamment de pratiques sanitaires ? On a vu que certains malades d'Ebola avaient eu tendance à ne pas se rendre à l'hôpital.
Voilà quelques semaines encore, nous nous attendions tous à une extension simultanée de l'épidémie sur les continents américain et africain. Or, à ce jour, l'Afrique est particulièrement épargnée.
Dans le cas d'une propagation plus importante du virus, quel crédit pourrions-nous accorder aux chiffres communiqués par certains pays ? La gestion d'une crise sanitaire remet inévitablement en cause les politiques de santé publique menées dans chaque pays. Quand on connaît le manque de moyens et d'infrastructures qui prévaut en Afrique, il est permis de se poser des questions...
Quelle possibilité avez-vous de croiser les chiffres communiqués et quel rôle peuvent jouer les ONG dans une telle situation ?
La létalité relativement limitée peut s'expliquer par des raisons démographiques. La population africaine est beaucoup plus jeune. La précocité de la détection est importante. On voit, au Sénégal, que, plus la prise en charge a lieu tôt, plus la mortalité est faible. De nombreuses hypothèses sont avancées, notamment sur le climat ou la génétique, mais aucune n'a reçu de preuve scientifique évidente.
Je pense que les chiffres communiqués sont crédibles. Nos systèmes de santé sont faibles, mais il y a, en Afrique, des professionnels de très grande qualité, notamment dans le domaine de la statistique, et une prise de conscience de l'importance de l'information dans la gestion des épidémies. Un important travail a été fait ces dernières années pour l'améliorer, même si ce n'est pas encore parfait.
Je vous remercie de votre participation à cette audition. Nombreux sont ceux qui redécouvrent aujourd'hui l'importance de vos professions. Au nom de notre commission, je vous souhaite le succès que vous méritez.
La téléconférence est close à 16 h 25.