Monsieur Duval, la commission des affaires économiques souhaitait vous auditionner depuis un certain temps, car la numérisation du secteur du commerce nous intéresse beaucoup. Avant la crise sanitaire, un groupe de travail présidé par notre collègue Serge Babary étudiait les mutations du commerce, notamment sa transition numérique, sans poursuivre l'idée d'opposer commerce en ligne et commerce physique, mais, au contraire, celle de souligner leur complémentarité, comme ce fut le cas entre le petit commerce et la grande distribution dans les années 1970. La crise confirme avec douleur l'acuité de ce constat : les commerçants qui se sont déjà lancés dans la transition numérique ont mieux résisté que les autres. Votre entreprise fait partie des solutions qui s'offrent à eux, au travers de sa place de marché sur laquelle les commerçants peuvent vendre en propre par votre intermédiaire.
Amazon, installée en France depuis 2000, réalise environ 4,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur le territoire national et y emploie 9 300 salariés. Elle représente le leader du commerce électronique en France - avec 20 % de parts de marché -, secteur dont elle capte 50 % de la croissance. Elle se place également en position dominante dans le domaine du cloud, dont les revenus publicitaires permettent d'équilibrer la faiblesse des marges réalisées dans le commerce en ligne.
Je souhaiterais approfondir notre réflexion sur les évolutions du commerce, mais je ne voudrais pas esquiver un sujet brûlant. L'entreprise que vous dirigez a fait la « une » de l'actualité à de nombreuses reprises ces dernières semaines, au gré d'un feuilleton judiciaire qui cristallise les tensions, sur le nécessaire équilibre, en cette période de crise sanitaire, entre le maintien de l'activité et la protection des salariés par l'employeur. La présente audition permettra de faire le point sur ce sujet. Je n'ai pas personnellement à me prononcer sur une décision de justice : la séparation des pouvoirs emporte le respect du Parlement pour le pouvoir judiciaire.
Pour autant, au-delà du cas d'Amazon, la question de la responsabilité du chef d'entreprise dans la reprise apparaît essentielle pour la réussite du déconfinement. Nous pourrons prendre toutes les mesures en faveur de la demande - les ménages sortiront, en effet, de la crise avec un pouvoir d'achat affaibli et une confiance dans l'avenir réduite - ou de l'offre, élément déterminant pour l'emploi, elles n'auront que peu d'effet si ne sont pas clarifiées les conditions sanitaires et juridiques de la reprise.
La situation n'est pas claire. La jurisprudence a oscillé de l'obligation de résultats à l'obligation de moyens. Les inspections du travail suivent leur interprétation, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) la leur ; la justice tranche au cas par cas. Les syndicats et les salariés sont naturellement inquiets ; les chefs d'entreprise aussi. Il faut évidemment protéger les salariés, mais jusqu'où et jusqu'à quand pourra être imputée à un chef d'entreprise la diffusion de l'épidémie parmi ses salariés ? Jusqu'où précisément va sa responsabilité en matière de fourniture de masques, de gants, de blouses, de gel ou la mise en oeuvre de mesures de distanciation ? Si le Gouvernement n'indique pas plus clairement aux chefs d'entreprise les limites de leur responsabilité en matière sanitaire, il crée une incertitude qui va constituer, pour eux comme pour les salariés, un frein majeur à la reprise.
Par ailleurs, selon vous, la crise peut-elle être envisagée comme un rappel à l'ordre pour les commerçants qui n'ont pas encore pris le virage numérique ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils les y aider ?
Plus précisément, pouvez-vous nous présenter votre vision de l'avenir du commerce : quelles seront, d'après vous, les nouvelles formes de commerce et de services dans la décennie à venir ? Quels sont les obstacles au développement du commerce en ligne et les axes stratégiques sur lesquels vous mettez, ou allez mettre, l'accent, notamment en matière de collaboration avec les commerces physiques ? Quelles mesures le Gouvernement devrait-il prendre, selon vous, pour développer le commerce en ligne pour les entreprises qui le souhaitent ?
Dans la course à la livraison à domicile la plus rapide possible, Amazon a déjà beaucoup investi dans l'automatisation des entrepôts et dans la recherche, par exemple en matière de serrures connectées et de livraison par drone. Quels sont votre stratégie et vos axes de développement en la matière ?
Vous serez aussi probablement interrogé par les membres de notre commission sur les sujets de friction régulièrement évoqués dans le débat public s'agissant de votre entreprise, comme les problématiques fiscales, le traitement de vos vendeurs partenaires sur la place de marché ou la question de l'emploi - certains vous reprochent de détruire des emplois, quand d'autres soulignent que, contrairement à Google ou à Facebook, par exemple, vous êtes un géant du numérique pourvoyeur d'emplois.
Je vous remercie pour votre invitation. Je travaille chez Amazon depuis une quinzaine d'années. L'entreprise est largement implantée en France, avec plus de vingt sites, 9 300 salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) et plusieurs dizaines de millions de clients. Elle participe au développement de très nombreuses très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME), grâce à sa place de marché comme canal de distribution de leurs produits.
Amazon poursuit plusieurs activités : le commerce en ligne et la logistique qui lui est liée, le cloud - soit le stockage et le traitement de données pour les entreprises, et non, je le précise, la publicité - et la diffusion d'un bouquet numérique avec Prime Video et Amazon Music. En France, l'entreprise fait vivre, selon nos estimations, 30 000 citoyens, dont 13 000 au sein de ses chaînes d'approvisionnement et de distribution de produits.
Amazon, comme les autres entreprises, subit les conséquences de la crise sanitaire. En cette période, nous avons souhaité jouer notre rôle, certes modeste : servir les Français confinés ou dans l'incapacité, par manque de temps, d'effectuer leurs achats. Pour eux, la livraison que nous assurons représente parfois le dernier recours pour s'approvisionner.
Naturellement, notre mission n'a pas été réalisée dans les conditions habituelles. Notre priorité a d'abord été d'assurer la sécurité de nos salariés via plusieurs mesures constatées par les inspections du travail et une restriction des ventes aux biens jugés essentiels : alimentation, produits d'hygiène et de nettoyage, fournitures nécessaires au travail et à l'étude à domicile, jouets et autres kits de coloriage permettant d'occuper les enfants, notamment lorsqu'ils sont confinés dans des surfaces limitées.
Hélas, en dépit des mesures instaurées, quelques organisations syndicales ont engagé des contentieux devant les cours de justice, lesquelles, par deux fois, en première instance et en appel, ont demandé à Amazon de cesser ses activités. Ce jugement me laisse perplexe, compte tenu de ses conséquences sur nos clients, sur nos salariés et sur nombre de petites entreprises. Je regrette profondément la présente situation, mais ne peux annoncer encore une date de redémarrage.
Je puis vous assurer que, durant la période de confinement, le dialogue social au sein de l'entreprise, avec dix-sept réunions déjà tenues, est intense. Il se poursuivra lors de la consultation à venir, laquelle représente une nouvelle opportunité de discussion. J'appelle, pour ma part, à une reprise, très attendue, de notre activité. Mon attention se porte également sur la restauration du retour d'expérience client tel qu'il existait avant la crise sanitaire ; j'y travaille.
Je suis heureux de pouvoir échanger avec vous sur les sujets relatifs, notamment, à l'avenir du commerce, au développement du commerce en ligne et à l'automatisation de nos entrepôts et de nos livraisons et suis à votre disposition pour répondre à vos interrogations.
Le développement massif du commerce en ligne dans de multiples secteurs semble ne pas avoir le même succès en matière alimentaire. Pensez-vous que la crise sanitaire actuelle ait enfoncé un coin dans cette résistance ? Quelles sont vos explications quant à ces difficultés et votre stratégie dans ce secteur ? Pourriez-vous nous faire un premier retour sur l'accord conclu avec Monoprix pour la vente de produits, notamment alimentaires ?
Le développement de l'omnicanalité, c'est-à-dire la combinaison de plusieurs canaux de distribution pour un même vendeur, implique, pour les commerçants physiques, de se numériser, mais également, pour les pure players numériques, de se rapprocher de certains atouts du commerce physique, voire d'implanter de vrais locaux commerciaux. Amazon le fait déjà via les magasins Amazon Go aux États-Unis, dans lesquels il n'existe ni personnel de caisse, ni caisse, ni attente. Quels sont les retours sur ces magasins ? Envisagez-vous d'en développer en France et, si oui, à quelle échéance ? Plus largement, souhaitez-vous vous installer plus durablement dans le commerce physique ? Une telle évolution passerait-elle uniquement par des magasins de type Amazon Go ?
Enfin, quelles raisons motivent vos refus de participer aux initiatives des pouvoirs publics visant à améliorer le commerce en ligne ? Je pense en particulier à la charte du e-commerce pour améliorer les relations entre les places de marché et les revendeurs tiers signée l'an dernier avec le Gouvernement et aux tarifs préférentiels mis en place par de nombreux acteurs du e-commerce à la demande du Gouvernement pour aider les entreprises à prendre le virage numérique.
Tout citoyen a pu constater que les commandes en ligne de produits alimentaires impliquaient une attente beaucoup plus longue chez nos concurrents que chez nous. Cette appétence a été constatée sur le site amazon.fr, où les commandes alimentaires ont enregistré une forte augmentation. Nous réalisons les livraisons avec un partenaire désormais stratégique, la société Monoprix, filiale du groupe Casino, dans le cadre du service Prime Now accessible à nos clients Prime. Étendre cette couverture est une bonne stratégie et un levier important pour donner à nos clients l'accès à une offre de produits frais.
Plus généralement, notre société ne livre pas directement de produits frais via le site amazon.fr ; en revanche, au travers de la Boutique des producteurs, nous donnons à des producteurs locaux un accès à une zone de chalandise très large : je citerai la Maison Victor, à Montélimar, qui expédie du boeuf, de l'agneau, du porc partout en France.
Notre stratégie est donc simple et présente plusieurs déclinaisons : pour le frais, Prime Now, qui assure une réception immédiate ; pour les livraisons à durée intermédiaire, la Boutique des producteurs ; enfin, pour ce que nous appelons la long tail, constituée notamment par le très grand nombre de références en produits secs, le délai peut être plus long.
Concernant les magasins Amazon Go existant aux États-Unis, nous n'avons pas de raison de retarder leur implantation en France, car ils sont plébiscités par la clientèle. Je ne puis, cependant, vous donner de date précise. Amazon Go est un magasin où l'on peut entrer en se connectant par l'application numérique ; une fois à l'intérieur, il suffit de placer ses produits dans le panier : les articles sont facturés automatiquement, sans passage en caisse ni inspection du panier. Des salariés approvisionnent le magasin et rangent les produits en rayon, mais nous n'avons aucun employé en caisse.
Sur la participation d'Amazon aux initiatives gouvernementales sur le commerce en ligne, ma perception ne correspond pas à ce que vous décrivez. Nous discutons régulièrement avec le Gouvernement pour établir des règles et des normes, notamment sur la TVA du commerce en ligne. Quant à la charte des acteurs du e-commerce que vous évoquez, elle consiste à instaurer un tiers, un médiateur étatique entre nos marchands tiers et nous. Or Amazon est en collaboration permanente avec ces marchands tiers depuis plus de quinze ans ; leur part d'activité sur le site amazon.fr est passée de 3 % dans les années 1990-2000 à 60 % en 2018. Cela montre que la relation entre les marchands tiers et Amazon fonctionne très bien, c'est pourquoi il ne nous paraît pas pertinent d'y introduire un intermédiaire. Cependant, nous participerons à toutes les initiatives sur le commerce en ligne qui nous sembleront pertinentes.
Monsieur le directeur général, vous avez souligné le rôle d'Amazon dans l'approvisionnement des familles, que ce soit pour l'alimentation ou les jeux d'enfants. Votre entreprise se porte bien, son cours en bourse est au plus haut.
Or nous avons également auditionné les représentants des commerces physiques, qui font, eux aussi, vivre nos territoires ; faisant, pour une partie d'entre eux, l'objet de fermetures administratives, ils vivent très mal cette concurrence qu'ils jugent déloyale. Ils sont contraints d'avoir recours aux aides d'État et de réclamer une annulation des charges sociales pour la période. Beaucoup d'entre eux risquent de ne jamais rouvrir.
Dans ces conditions, envisagez-vous d'abonder le Fonds de solidarité pour venir en aide à ces commerces physiques nécessaires à nos territoires ?
En matière de fiscalité, il est important que les règles soient les mêmes pour tous. Les impôts financent les services publics, à commencer par nos hôpitaux, et les cotisations financent la protection sociale. Vous annoncez avoir payé 250 millions d'euros d'impôts en 2018, mais en mélangeant dans ce total la TVA, les cotisations patronales, la CSG, et l'impôt sur les sociétés. Pouvez-vous donner des taux individualisés, en particulier pour l'impôt sur les sociétés ? Amazon réalise en France 4,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires.
Le rapport du ministère de l'économie et des finances sur la fraude fiscale publié en décembre 2019 évaluait à 14 milliards d'euros la non-facturation à la TVA des vendeurs - autant de milliards qui manquent à nos services publics. Quelles actions envisagez-vous pour résoudre ce problème ?
Sans formuler d'avis sur le jugement de la cour d'appel de Versailles, je n'en ai pas la même lecture que vous. Il ne vous a pas été demandé de cesser vos activités, mais de protéger les salariés dans les entrepôts logistiques et, tant que cela n'est pas assuré, de restreindre les commandes aux activités essentielles. De plus, vous continuez à livrer en France depuis vos entrepôts de Belgique, d'Allemagne, d'Espagne et d'Italie. Vous avez demandé à Amazon Transport, qui compte treize sites dont un au Blanc-Mesnil, de continuer à livrer. Allez-vous assurer la protection des salariés dans ces énormes entrepôts ?
Je m'associe enfin à la question de ma collègue Anne Chain-Larché : il conviendrait qu'Amazon abonde le Fonds de solidarité, car il y a distorsion de concurrence.
Je ne suis pas en mesure de vous donner aujourd'hui une réponse à cette dernière question. La décision n'a pas encore été prise.
Le chiffre d'affaires d'Amazon France en 2018 était, comme l'a dit M. Gay, de 4,5 milliards d'euros. Nos contributions se décomposent entre les cotisations sociales et la TVA, collectées au nom de l'État et des partenaires sociaux, d'une part, et les contributions directes, d'autre part : impôt sur les sociétés, charges patronales, impôts locaux divers et variés. L'impôt sur les sociétés, sur lequel m'interroge M. Gay, ne contribue, d'après l'OCDE, qu'à hauteur de 4 % au produit fiscal français. Raisonner sur la base de cette seule contribution est donc très réducteur. Au total, nos contributions fiscales en France s'élèvent à 250 millions d'euros, dont 150 millions de contributions directes. Ainsi, les deux questions « Amazon est-il assujetti aux mêmes règles fiscales que les autres entreprises ? » et « sa contribution fiscale en France est-elle substantielle ? » appellent une réponse positive, d'autant que le commerce en ligne n'est pas une activité très rentable.
Le jugement de la cour d'appel de Versailles a arrêté, de fait, les centres de distribution. Le jugement initial prévoyait une astreinte de 1 million d'euros par infraction constatée. Or nous traitons entre 5 et 10 millions d'articles par jour : un taux d'erreur, inévitable, de 0,1 % dans le traitement des commandes générerait des milliards d'euros d'amende par semaine. Soit nous prenons le risque de payer ces milliards, et le jeu n'en vaut pas la chandelle, soit nous arrêtons nos activités.
Enfin, ce jugement ne met pas en cause les dispositions que nous avons prises en matière de sécurité des salariés. La cour a simplement estimé que la forme de consultation de nos salariés sur le document unique d'évaluation des risques n'était pas la bonne. Sur le fond, nos centres de distribution ont mis en oeuvre, depuis le début de la crise, l'ensemble des mesures demandées par les agences sanitaires. Nous avons informé régulièrement nos salariés. La distanciation sociale à deux mètres est en place depuis le début, tout comme la distribution de masques ou de gel hydroalcoolique. C'est la forme administrative qui nous est reprochée, et certaines organisations syndicales essaient de l'exploiter.
Vous mélangez dans votre présentation recettes, chiffre d'affaires, imposition, cotisations patronales ; et 150 millions d'euros de contributions directes sur 4,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, c'est un taux de 3,3 %. Or le taux d'imposition de nos commerces physiques est compris entre 25 et 40 %. C'est une distorsion de concurrence considérable. Elle ne sera pas réglée par la taxe Gafam, qu'au demeurant vous répercutez sur vos vendeurs et consommateurs.
Il est faux de dire que le taux d'imposition d'Amazon n'est pas le même que celui des entreprises françaises.
Le Sénat s'est prononcé pour que la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) soit également appliquée aux plateformes de e-commerce, au nom de l'égalité entre surfaces commerciales de plus de 1 000 mètres carrés, qui sont soumises à cette taxe, et les centres de vente directe. Cette mesure n'a pas prospéré, mais pourrait être de nouveau proposée. Considérez-vous qu'elle soit équitable ?
Depuis le début de la crise sanitaire, avez-vous constaté une augmentation du nombre des demandes d'accès à votre plateforme par les entreprises et, le cas échéant, dans quelle proportion et pour quel type de produits ?
Je suis impressionnée par vos chiffres. Concernant votre réaction à la décision de la cour d'appel de Versailles, vous avez déclaré : « Nous ne pensons pas que cette décision soit dans le meilleur intérêt des Français, de nos collaborateurs et des milliers de TPE et PME françaises qui comptent sur Amazon pour développer leurs activités. » Pouvez-vous revenir sur vos relations avec les TPE et PME ? Avez-vous des données sur l'utilisation d'Amazon comme canal de vente par ces entreprises et le chiffre d'affaires généré ?
À chaque activité sa fiscalité propre. Les entrepôts de e-commerce ne sont pas assujettis à la Tascom, mais ils le sont à une taxe locale sur les bâtiments industriels, source importante de revenus pour les collectivités territoriales. La Tascom est réservée aux surfaces commerciales qui accueillent du public : je ne vois pas pourquoi nos entrepôts devraient y être soumis.
De plus, au contraire du commerce physique, le e-commerce inclut la livraison au client, activité qui pèse très lourd dans le compte de résultat. Il est donc très difficile de comparer ces deux secteurs.
Je vous confirme, madame Renaud-Garabedian, que la décision de la cour d'appel de Versailles n'est pas dans l'intérêt de nos clients, des TPE et PME qui travaillent avec nous et de nos employés. D'après la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), le volume d'affaires de cette activité s'élève à 100 milliards d'euros en France. Toutes les TPE et PME françaises peuvent y avoir leur part, pas seulement les acteurs comme Amazon. J'ai évoqué la Maison Victor, mais j'aurais pu citer la papeterie Neveu ou l'entreprise Dodo, qui utilisent les services du e-commerce pour se développer. La décision de la cour d'appel de Versailles est un frein à ces opportunités.
Je signale également que 60 % des citoyens européens sont des acheteurs en ligne, dont 40 % achètent au moins une fois par an un produit dans un pays qui n'est pas le leur. Il est très important que nos TPE et PME puissent vendre à des Allemands, des Anglais, des Espagnols ou des Italiens. Beaucoup d'acteurs français utilisent nos services pour exporter en Europe : comme je l'ai rappelé, 60 % de l'activité réalisée sur le site amazon.fr l'est par des entreprises tierces. C'est cette opportunité que remet en cause la décision de la cour d'appel.
Si vos entrepôts sont sûrs et ont mis en oeuvre toutes les mesures demandées par les autorités, comment expliquez-vous que d'autres acteurs du commerce en ligne comme Cdiscount n'aient pas été sanctionnés ? Combien vous coûte une journée de fermeture ? Enfin, quelle est l'organisation du travail et du dialogue social dans vos entrepôts en Allemagne, en Espagne ou en Italie ?
Le groupe Amazon a financé 66 projets d'énergies renouvelables en Europe et aux États-Unis en 2019 : pouvez-vous les détailler ? La crise économique, qui a débouché sur une crise énergétique, conduira-t-elle le groupe à réviser ses activités dans ce domaine ?
Je ne comprends pas l'initiative des partenaires sociaux qui a conduit à ce jugement. Nous allons naturellement l'appliquer, mais nos centres de distribution sont sûrs, les travaux de mise en dévolution ont été constatés par des inspecteurs du travail, les mises en demeure ont été levées. Nous n'avons pas fait l'objet de fermeture administrative. C'est pourquoi ce jugement me laisse perplexe.
Monsieur Courteau, Amazon finance en effet de nombreux projets d'énergie renouvelable, notamment l'installation de fermes éoliennes et solaires, ainsi que de panneaux solaires sur les bâtiments. Notre organisation n'est pas modifiée par la crise. Nous avons lancé le climate pledge avec l'objectif de prendre une avance de dix ans sur les accords de Paris : décarbonation totale de nos activités en 2040, utilisation à 100 % des énergies renouvelables à partir de 2030, et à 80 % dès 2024. Amazon a passé à la société Rivian la commande de 100 000 véhicules électriques, soit la plus importante jamais réalisée, pour décarboner entièrement nos livraisons.
Enfin nous avons doté des fonds de reforestation pour participer à l'effort international de lutte contre le réchauffement climatique.
Pour répondre à l'une des questions de Mme la présidente, la livraison du dernier kilomètre est source de malentendus. La tournée d'une camionnette chargée de 120 colis qui dépose un colis tous les cent mètres engendre beaucoup moins de pollution que 120 acheteurs allant récupérer leur produit en voiture en périphérie. Si le transport collectif de personnes est moins polluant que le transport individuel, il en va de même pour le transport de marchandises. La livraison du dernier kilomètre chez Amazon est très efficace au point de vue environnemental, comparée à l'activité classique d'un commerce en magasin.
Je voulais vous interroger sur votre engagement en matière de neutralité carbone, en avance de dix ans sur l'objectif de notre pays. Allez-vous tenir ce calendrier très ambitieux ? Les milliards de dollars d'investissement annoncés en février 2020 risquent-ils d'être remis en cause par cette crise mondiale ? Mais vous y avez déjà répondu...
Dans ce contexte de crise, on peut souhaiter que votre entreprise facilite la relance des commerçants français travaillant avec vous - ils ont compris que le numérique était incontournable pour améliorer leurs ventes. Mais, personnellement, je vois deux types d'obstacles.
D'abord, votre business model présente la particularité d'intégrer sur une même plateforme la vente de vos propres produits et celle des produits similaires de vos concurrents. Il s'agit d'un quasi-conflit d'intérêts qui a justifié l'ouverture d'une enquête par la Commission européenne. Il existe des cas, notamment aux États-Unis - le Wall Street Journal s'en est fait l'écho -, où des produits originaux d'entreprises partenaires ont été copiés par Amazon. Quelles mesures entendez-vous mettre en oeuvre afin d'arrêter de telles pratiques, aussi dommageables qu'inacceptables pour ces entreprises ?
Ensuite, Amazon n'a pas signé la charte des acteurs du e-commerce, mais devra l'appliquer dans le cadre du règlement Platform to business qui entrera en vigueur en juillet prochain. Les petits commerçants, en tout cas ceux qui ne craignent pas de parler, font état de déréférencements sauvages, en l'absence de tout motif fondé en droit, accompagnés d'un blocage de leurs fonds, sans possibilité d'appel ni de dialogue. Cette situation peut être dramatique pour des entreprises dont Amazon est à la fois le principal vecteur de commercialisation et le partenaire qui leur permet d'agrandir leur zone de chalandise. Amazon peut s'avérer être un concurrent féroce et les obliger à fermer boutique. Quelle est la politique d'Amazon France à l'égard de ces pratiques anticoncurrentielles ?
Sur nos sites, plusieurs acteurs peuvent vendre le même article, par exemple des marchands tiers et Amazon. Cette situation est absolument nécessaire.
Je termine mon propos. Il est important que plusieurs acteurs puissent vendre le même article : en cas de rupture de stock, l'un complète l'autre, ce qui permet de livrer le produit au client.
Pourriez-vous préciser votre question ?
Je veux parler de la réutilisation par Amazon des données stratégiques de marchands utilisant votre plateforme.
Ces pratiques sont totalement interdites dans l'entreprise. Si nous avons vent de ce genre de cas, nous enquêtons très sérieusement en interne.
Il existe bien un cas qui est en ce moment même devant la justice aux États-Unis.
Quand cela arrive, nous faisons en sorte que cette situation cesse - je peux vous l'assurer.
Lorsque la règlementation Platform to business entrera en vigueur en France, nous l'appliquerons, comme toutes les entreprises.
Les relations que nous avons avec nos marchands tiers sont très bonnes. Mais il faut aussi être en mesure de contrôler l'expérience client de notre plateforme. Quelques petits vendeurs peuvent écorner la confiance des clients, et c'est alors l'ensemble des acteurs qui en pâtit. Nous avons une discussion avec les marchands en cas de fraude ou de vente de produits illicites pour leur demander d'arrêter ces pratiques ou de mettre en place des plans d'action. À l'issue de ces procédures, qui peuvent durer plusieurs mois, nous pouvons être conduits à fermer un compte parce que les règles d'utilisation de notre marketplace ne sont pas respectées.
Nous avons auditionné certains de vos marchands tiers qui, du jour au lendemain, se retrouvent sans rien. Je tenais à vous faire part de la situation préoccupante dans laquelle ils peuvent être.
Je vous invite à venir à l'Amazon Academy : vous aurez devant vous des milliers d'entrepreneurs qui utilisent nos services. Ils vous diront que leurs relations avec l'entreprise sont très bonnes !
Vous n'avez pas répondu à deux de mes questions : combien vous coûte un jour de fermeture ? Comment fonctionnent vos entrepôts dans les autres pays européens en termes d'organisation du travail ? Alors que les Allemands étaient très peu friands de commerce en ligne, la crise du coronavirus les a conduits à se tourner très majoritairement vers votre plateforme.
Je ne connais pas le coût d'une journée de fermeture. Nos services financiers procèdent actuellement à des calculs. Je regrette que nos centres soient fermés, j'espère qu'ils rouvriront le plus rapidement possible. Expédier depuis d'autres pays coûte un peu plus cher.
Amazon a des standards d'organisation, qui sont en général mondiaux. Ceux qui sont appliqués en France sont les mêmes que ceux qui régissent les centres de distribution allemands, espagnols, anglais, italiens, américains. Ces standards ne posent pas de problème dans les pays européens : l'activité des centres de distribution n'a été arrêtée dans aucun autre pays.
Le dialogue social est assez nourri chez Amazon. Depuis le début de l'épidémie, nous avons organisé 17 réunions d'information relatives à l'évaluation des risques dans les centres de distribution. L'organisation du travail et les relations sociales sont à peu près les mêmes dans tous les pays européens.
Votre entreprise est souvent accusée de permettre à des vendeurs chinois peu scrupuleux de vendre des produits de mauvaise qualité ou, pire, des contrefaçons. Des appels à mettre fin au principe d'irresponsabilité des plateformes en ligne pour les contraindre à faire elles-mêmes le contrôle qualité des vendeurs tiers se multiplient. Êtes-vous prêt à appliquer un nouveau régime de responsabilité des places de marché en ligne, en renforçant les exigences de contrôle envers les vendeurs tiers ?
Vous avez évoqué vos ambitions en matière de décarbonation de votre activité. Quel est votre impact carbone aujourd'hui ?
Lors d'une précédente audition, vous aviez estimé que l'e-commerce était l'allié du commerce de centre-ville. Vous aviez notamment cité l'Amazon Academy. On le sait, les spécificités locales sont importantes dans la problématique des commerces de centre-ville. Entendez-vous territorialiser votre intervention, en vous adaptant aux politiques locales ?
Madame Noël, la situation que vous décrivez montre la nécessité d'avoir un gendarme sur une place de marché. Chez Amazon, lorsque des offres sont considérées comme non valables - produits illicites, violant un brevet, dont le prix est trop élevé, etc. -, nous les supprimons. Nous avons nos propres moyens d'appréciation. Nous examinons également avec grande attention les signalements qui nous sont faits pour supprimer les offres frauduleuses.
S'agissant de l'application de nouvelles réglementations, je ne commenterai pas les projets qui sont actuellement à l'étude.
J'estime qu'il existe une complémentarité entre commerce en ligne et commerce physique. Depuis trente ans, le commerce physique a subi un certain nombre de transformations : l'avènement des hypermarchés à la périphérie des villes, puis l'arrivée des magasins thématiques, toujours en périphérie des villes. L'aménagement des centres-villes a contribué à modifier les plans de circulation, à réduire le nombre de places de parking. Le nombre de chalands a baissé, ce qui a mis les commerces de ces centres-villes en péril.
Aujourd'hui, l'e-commerce doit redonner de l'espoir à ces commerçants. Un magasin proche du Sénat - la papeterie Dubois, rue Soufflot - a vendu des produits en ligne via Amazon, ce qui lui a permis d'augmenter de plus de 5 % son chiffre d'affaires. Une entreprise peut garder son pas-de-porte tout en accédant à une zone de chalandise plus vaste, européenne.
Sur la territorialisation des activités, voulez-vous dire, monsieur Daunis, qu'un Breton pourrait acheter des produits de vendeurs bretons ?
Ma question portait davantage sur votre capacité à vous adapter aux besoins des territoires, et non l'inverse. Vous pourriez nouer des partenariats, apporter des soutiens.
Amazon a un impact sur les territoires. Je prendrai l'exemple de L'artisan du cristal, maître cristallier, compagnon de France depuis 1982 : depuis qu'il s'est lancé sur Amazon Handmade, il a constaté une hausse de 30 % de son chiffre d'affaires. On peut se développer sans avoir à se déplacer, ce qui est très important pour les territoires.
Ce qui est vrai pour L'artisan du cristal l'est aussi pour la Maison Victor à Montélimar, pour la papeterie Neveu du Havre, pour l'entreprise parisienne Dodo. Grâce à l'e-commerce, ces entreprises peuvent développer leur commerce et accéder à une zone de chalandise européenne sans avoir à créer des réseaux complexes de distribution.
Il est calculé au niveau mondial. Je n'ai pas la réponse à votre question.
Je ne suis pas d'accord avec Fabien Gay : heureusement que vous avez continué à livrer par d'autres canaux que les centres français de distribution, car bon nombre de personnes attendent vos produits. Comment choisissez-vous les produits de première nécessité ? Si vous reprenez vos activités en France, comment allez-vous vous organiser, alors que les produits jugés nécessaires diffèrent complètement selon les foyers et le lieu du domicile ?
Vos salariés sont pour l'instant payés, bien que vos entrepôts soient fermés. Quel sera leur sort si vous ne rouvrez pas ? Aurez-vous recours au chômage partiel ?
Vous avez parlé des entreprises qui utilisent le réseau d'Amazon pour vendre leurs produits. Avez-vous noté une demande plus forte des entreprises d'accéder à votre plateforme ? Si tel est le cas, dans quelle proportion et pour quels types de produits ?
On a constaté une baisse de l'activité des entreprises. Un grand nombre de PME qui utilisent nos services ont fermé pendant la période de confinement. Les études statistiques de Foxintelligence ou SimilarWeb montrent qu'Amazon n'y a pas gagné par rapport à ses concurrents ; nous aurions même perdu six points. En se focalisant sur les activités que j'ai mentionnées - alimentaire, hygiène, nettoyage, travail et études à la maison, occupation des enfants -, nous n'avons pas privilégié une activité particulièrement rétributrice.
Madame Procaccia, merci de reconnaître que nos services sont utiles. Pour déterminer les produits prioritaires, nous avons regardé ceux qui étaient le plus demandés après le confinement.
Sur les salaires, il est trop tôt pour en parler. Pour l'instant, nos salariés sont payés à 100 %. Nous allons reprendre le dialogue avec nos partenaires sociaux. J'espère que nous allons trouver une solution pour rouvrir rapidement.
Je n'ai pas très bien compris ce que vous reproche la justice sur le document unique. Pourriez-vous nous apporter davantage de précisions ?
Vous appelez de vos voeux une stratégie de complémentarité entre l'e-commerce et les magasins physiques, notamment de centre-ville. Comment voyez-vous le commerce dans dix ans ? Réfléchissez-vous à des services qui n'existent pas aujourd'hui ? Comment pourrait évoluer la demande des consommateurs ?
Quel est l'impact de la crise sur Amazon France et Amazon Europe en termes de chiffre d'affaires ?
La justice remet en cause non pas la façon dont nous assurons la protection de nos salariés dans nos entrepôts, mais la forme suivant laquelle nous avons associé les salariés à l'établissement de l'évaluation des risques relatifs à cette épidémie. Elle nous demande de consulter nos comités centraux et nos comités d'entreprise sur ce point.
Il est très difficile d'imaginer l'évolution du commerce dans dix ans. Ce que l'on sait, c'est que trois exigences ne changeront pas : les clients voudront toujours un large choix ; ils voudront toujours des prix bas et compétitifs - actuellement, certains s'inquiètent de leur pouvoir d'achat et d'une éventuelle inflation ; à ce titre, Amazon met à égalité l'ensemble des consommateurs français en termes de choix et de prix ; ils voudront toujours disposer rapidement de leurs achats, soit en allant les chercher dans un magasin, soit en étant livrés par un e-commerçant comme Amazon. Nous essayons de travailler sur ces trois points invariables - le choix, le prix et la livraison rapide - plutôt que de deviner le futur.
Sur l'impact de la crise sur l'entreprise, nous sommes encore au milieu du gué. Nous ne pourrons répondre à cette question qu'au début du troisième trimestre, voire du quatrième trimestre.
En février, mars et avril, il est resté stable. Il a changé dans son mix.
Les trois invariants sont donc le choix, le prix et la rapidité d'acquisition. Comment voyez-vous la répartition de la valeur ajoutée entre le producteur et le distributeur ? Le Parlement réfléchit beaucoup à cette question depuis des années. Pour que l'économie tienne, il doit y avoir de la valeur ajoutée à tous les niveaux.
Dans la relation entre un commerçant et son client, il y a un aspect conseil. Vous engagerez-vous dans cette voie ?
Je l'ai dit, 60 % de l'activité d'Amazon est réalisée par des marchands tiers, qui fixent librement le prix de leurs produits.
Oui ! Les marchands tiers sont libres de définir leurs prix et les quantités vendues.
Nous mettons en relation directe une entreprise et un client, sans intermédiaire, ce qui permet une bonne répartition de la valeur ajoutée. Nous prenons entre 12 et 15 % de la valeur de la transaction. Si l'on compare ce niveau de commission au coût que représente la succession d'intermédiaires dans d'autres filières, je peux vous assurer que le partage de la valeur ajoutée est très satisfaisant.
Sur les sites amazon.fr, les pages articles sont évaluées. Des vidéos de conseils et des pages « A + », enrichies en contenu, sont de plus en plus disponibles, ce qui donne davantage de pertinence aux produits vendus.
Par ailleurs, les meilleurs conseillers du monde sont les autres clients, qui postent sur le site des revues de produits, souvent nombreuses et très intéressantes pour les acheteurs éventuels. Ces revues apportent une véritable valeur ajoutée à la page article.
Merci, monsieur le directeur général, d'avoir accepté cette audition.
La téléconférence est close à 16 h 5.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat