Mission d'information Illectronisme et inclusion numérique

Réunion du 30 juin 2020 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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  • inclusion
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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

Nous auditionnons aujourd'hui les associations des collectivités territoriales : Mme Valérie Nouvel, vice-présidente du département de la Manche, représente l'Assemblée des départements de France (ADF) ; M. Patrick Molinoz, maire de Venarey-les-Laumes et vice-président chargé du numérique à la région Bourgogne-Franche-Comté, représente à la fois l'Association des maires de France et présidents d'intercommunalité (AMF) et Régions de France ; et M. Cédric Szabo est directeur de l'Association des maires ruraux de France (AMRF).

Nous sommes tous ici convaincus que la lutte contre la fracture numérique doit s'appuyer sur les ressources locales pour identifier les populations concernées et que seul un travail de proximité permettra de la résorber. Le deuxième constat, qui fait certainement consensus et qui est cher à M. Raymond Vall, notre rapporteur, est que la lutte contre la fracture numérique apporte des clients nouveaux aux acteurs privés du numérique ; toutefois leur engagement financier reste modeste au regard de celui des collectivités. Ces dernières ne pourront financer seules une politique publique d'inclusion numérique. Les initiatives et actions de médiation numérique foisonnent et il est nécessaire d'assurer leur mise en cohérence, par le biais, notamment, du Pass numérique et des hubs France Connectée. Ces derniers ne couvrent toutefois que la moitié des départements ; or, la lutte contre l'illectronisme doit aller partout à la même vitesse. Comment mobiliser les départements qui ne participent pas encore à cette grande cause nationale ? Comment associer les collectivités locales à la gouvernance de la lutte contre la fracture numérique ? Pourquoi enfin certains de ces hubs sollicitent-ils directement des cofinancements auprès des collectivités territoriales ? L'AdCF et France urbaine proposent un autre modèle, une conférence de coordination des acteurs de terrain : qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Valérie Nouvel, vice-présidente du département de la Manche, représentant l'Assemblée des départements de France (ADF)

Je vous remercie pour votre invitation. Les retours d'expérience de la mise en oeuvre de la politique nationale de lutte contre la pandémie montrent la pertinence de la vision préventive des politiques départementales en matière d'inclusion numérique. Les départements sont, en effet, depuis qu'ils existent, l'échelon territorial des solidarités, médico-sociales comme territoriales. Ils constituent donc le bon niveau pour mettre en oeuvre des politiques nationales de lutte contre l'exclusion numérique.

La stratégie nationale pour un numérique inclusif a été motivée par quatre points : la place du numérique dans l'éducation ; l'absence d'une conception universelle des outils et services numériques ; le constat de l'exclusion numérique ; et, enfin, la prise de conscience que l'inclusion numérique représente enjeu économique pour la France. Je vous propose de partager les retours d'expérience des départements sur ces quatre points.

J'évoquerai, tout d'abord, la place du numérique dans l'éducation. Les départements ont une approche transversale de l'inclusion numérique, car celle-ci irrigue toutes leurs politiques. Pour eux, en effet, les collégiens d'aujourd'hui sont les adultes de demain. Les départements ne doivent pas simplement être la carte bancaire de l'État pour acheter du matériel informatique aux collégiens ou rénover les salles de classe. Nous l'avons écrit dans le Livre blanc des politiques départementales sur le numérique éducatif en 2017. Aujourd'hui encore, les départements peinent à faire reconnaître par l'Éducation nationale leur ambition pragmatique de doter nos collégiens des outils qui leur permettront d'être à l'aise dans la société numérique dans laquelle ils grandissent. Ainsi, les départements s'engagent fortement pour assurer la couverture numérique des territoires, en fixe ou en mobile, avec la volonté de parvenir à un aménagement numérique équilibré. Le développement des infrastructures constitue, en effet, un prérequis à la lutte contre la fracture numérique. Il importe donc de poursuivre les déploiements en cours, d'accélérer la montée en puissance des usages numériques, mais aussi de les optimiser.

Pendant la pandémie, 40 % des collégiens ont utilisé leur téléphone mobile, plutôt qu'un ordinateur fixe. Nous devons donc réorienter nos efforts vers le déploiement du mobile, mais aussi vers l'interopérabilité, comme cela a été expérimenté outre-mer, ou la création d'un forfait mobile de base pour les jeunes incluant des usages éducatifs.

Pendant le confinement, l'État a recueilli des données statistiques sur les connexions des collégiens extrêmement intéressantes, mais il nous a fait part de ses difficultés à les interpréter dans la perspective des états généraux du numérique pour l'éducation qui auront lieu en novembre. Ces données sont pourtant fondamentales si l'on veut progresser en matière d'inclusion numérique, pour établir un diagnostic et être plus efficace. Les départements ont fourni des clés 4G, des tablettes pour les collégiens, etc. Les conseillers départementaux qui siègent dans les conseils d'administration des collèges sont en contact avec les proviseurs. Ils disposent d'une mine d'informations extrêmement utiles sur les problématiques d'inclusion numérique, les publics concernés, etc. Nous regrettons vivement que rien n'ait été mis en place pour exploiter ces données. Comment, aussi, envisager des états généraux du numérique pour l'éducation sans donner la parole aux collégiens ? Les départements ont souvent des conseils départementaux des jeunes et l'on constate qu'ils ont une vision du numérique. N'est-ce pas eux qui auront à porter les évolutions à l'avenir ?

Le deuxième point est le défaut de mise en oeuvre d'une conception universelle des outils et services numériques. Le numérique constitue une opportunité unique de mettre en oeuvre le principe de conception universelle qui a été érigé, en 2005, comme la solution pour garantir une égalité d'accès aux services qui jalonnent le quotidien de nos concitoyens. L'approche préventive des départements en la matière, que j'évoquais, repose sur l'écoute des usagers dès la phase de conception des outils. La conception universelle peut en effet s'appliquer sans difficulté aux outils numériques, à condition de la prévoir. Nos territoires sont riches de savoir-faire en matière d'accompagnement des plus fragiles, mais ils disposent aussi d'une capacité d'innovation portée par nos start-up du numérique ou des jeux vidéo - on sait que le jeu peut faciliter l'apprentissage -, ou nos écoles de création et d'animation numériques qui sont mondialement reconnues. Pourtant ces acteurs sont insuffisamment mobilisés par la commande publique et privée pour améliorer l'expérience des utilisateurs. Investir massivement dans l'inclusion numérique préventive constitue donc une opportunité pour construire une société plus solidaire dans nos territoires tout en développant l'économie numérique française. Il s'agit d'un secteur d'emplois important, comme la santé et le social. Il s'agit aussi d'un enjeu de souveraineté pour la France. La commande publique est au coeur de la démarche inclusive de départements. Lors du dialogue avec le secrétaire d'État au numérique dans le cadre de la définition du mode d'emploi de l'application StopCovid, les départements ont rappelé la nécessité d'établir un mode d'emploi en langage « FALC », facile à lire et à comprendre. Voilà un exemple concret de notre engagement à l'écoute des usagers.

La lutte contre l'exclusion numérique est l'affaire de tous, de l'État et de tous les échelons de collectivités. La gouvernance de la stratégie nationale pour un numérique inclusif a été lente à se mettre en place : changements de secrétaire d'État, intégration des équipes de la Mission Société Numérique dans une nouvelle Agence nationale de la cohésion des territoires... Cette phase de transition semble désormais s'achever, mais il est encore trop tôt pour pouvoir porter une appréciation équilibrée, même si je note une relance des réunions régulières associant mieux les associations d'élus. En outre, quelle est l'articulation entre cette stratégie nationale et les actions engagées par les maisons France Service, le plan de lutte contre la pauvreté, ou encore le volet inclusion des commissions régionales de stratégie numérique (CRSN) ? L'ensemble est encore difficile à appréhender pour les départements qui sont convaincus de la nécessité d'une action globale.

En matière de gouvernance, il manque toujours, au niveau national, un lieu de concertation rassemblant les services de l'État et les collectivités pour piloter, de manière transversale, la stratégie nationale. L'ADF participe ainsi à un programme de la direction interministérielle du numérique qui vise à observer, de manière partagée, les actions numériques des différents ministères et des collectivités, avec l'objectif de simplifier et d'accroître l'accessibilité des outils numériques proposés aux citoyens. Un tel programme mériterait d'être développé, car il représente un levier dans le cadre d'une démarche commune, et donc massive, en faveur de l'inclusion, et s'inscrit dans une démarche de prévention.

Il est encore trop tôt pour porter un jugement sur les hubs France connectée. Néanmoins, la démarche semble montrer ses limites, car elle n'associe pas assez les collectivités, les opérateurs de services publics et les structures d'accompagnement social qui pourraient pourtant apporter leur connaissance du terrain. La volonté intransigeante de l'État d'associer des acteurs privés a aussi empêché des consortiums de départements de porter ces hubs malgré une volonté politique forte.

L'inclusion numérique constitue aussi un enjeu économique pour la France. La stratégie nationale d'inclusion numérique devrait évoluer pour intégrer un principe de différenciation territoriale et donner une visibilité financière annuelle aux engagements des départements : les territoires d'action pour un numérique inclusif (TANI), les hubs France connectée, le Pass numérique... autant de dispositifs qui ont comme défaut commun de reposer sur le système des appels à projets de labellisation. Si ceux-ci étaient utiles en phase d'amorçage, ils ne permettent pas d'envisager aujourd'hui une généralisation des dispositifs sur l'ensemble du territoire. Ces procédures sont de plus chronophages et le tutorat des nouveaux lauréats empêche les services départementaux de se consacrer pleinement à l'engagement d'actions sur le terrain.

En outre, le système de financement par appels à projets, avec ses modalités d'intervention décidées au niveau national, se révèle souvent inadapté aux réalités des territoires, car il ne prend pas en compte l'histoire du développement des politiques. Je dois aussi pointer un nouvel effet négatif du Pacte de Cahors pour les départements. Ces actions requièrent en effet des crédits de fonctionnement. Les actions en faveur de l'inclusion numérique ne mériteraient-elles pas, pourtant, d'être exclues du Pacte de Cahors, compte tenu des enjeux sociétaux, économiques et environnementaux qu'elles représentent ?

Enfin, un programme sur l'identité numérique renforcée est en cours de développement. Un appel à candidatures a été lancé pour l'expérimenter. Bien évidemment, les départements sont volontaires. Un tel programme ne constitue pas une charge, mais plutôt un investissement en faveur de l'inclusion numérique et nous regrettons qu'il peine à progresser et à se mettre en oeuvre.

Debut de section - Permalien
Patrick Molinoz, maire de Venarey-les-Laumes, représentant l'Association des maires de France et présidents d'intercommunalité (AMF)

Pour plus de clarté, je m'exprimerai d'abord en tant que représentant de l'AMF, puis j'interviendrai ensuite en tant que représentant de Régions de France.

Je salue la création de votre mission d'information. Le sujet le mérite. L'État et les collectivités se sont d'abord concentrés sur la question des infrastructures, mais ont, du coup, un petit peu oublié la question des usages. Certes, le rythme du déploiement des infrastructures dans les territoires ruraux est loin d'être satisfaisant, mais personne ne remet en cause la nécessité d'un accès au très haut débit partout. Dès lors, se pose la question des usages. Celle-ci reste encore insuffisamment appréhendée, même si chaque niveau de collectivité prétendra qu'il est le mieux placé pour la traiter...

L'Insee estime que l'illectronisme concerne 16 % des Français, mais il me semble que la moitié de la population est en situation d'éloignement du numérique, à des degrés divers. Il est donc nécessaire que les pouvoirs publics s'emparent de cette problématique de manière coordonnée et lisible pour les acteurs. L'AMF pense, évidemment, que le bloc communal est le plus légitime à intervenir, dans la mesure où les communes sont en lien direct et quotidien avec les citoyens, en vertu de la clause de compétence générale ou des missions que les maires exercent pour le compte de l'État. Les mairies sont les points d'entrée des citoyens pour l'accès aux services publics locaux et, de plus en plus, nationaux, avec par exemple les maisons France Service. Nos centres communaux d'action sociale (CCAS) aident les populations en détresse. Les maires sont donc, de manière naturelle, en contact permanent avec les habitants. Cela ne remet pas en cause le rôle joué par les départements pendant la crise, dans le cadre de leurs compétences, mais les maires ont été en première ligne.

La question des usages doit donc être abordée de manière coordonnée et complémentaire si l'on veut répondre à l'inquiétude qu'exprimait le Défenseur des droits dans son avis du 2 janvier 2019, lorsqu'il se demandait si la numérisation des services publics ne risquait pas de créer des fractures au sein de la population. On a trop tendance à réfléchir de manière binaire en matière changement de technologie et la question de la transition est négligée. Or, il est essentiel d'aider les citoyens à s'approprier les nouveaux outils.

Je ne pourrais pas vous résumer les initiatives nombreuses qui sont prises dans nos 35 000 communes, en lien avec les intercommunalités. En tant que premier échelon de proximité du citoyen, elles sont bien placées pour identifier les besoins et les populations.

Hélas, les moyens manquent et l'articulation avec les autres échelons de collectivités territoriales, s'agissant d'une problématique par essence transversale, demeure insuffisante. Le positionnement des acteurs privés dans le financement des dispositifs doit également être précisé.

Pour ce qui concerne les hubs, les réserves exprimées me semblent prématurées. Il ne s'agit, en effet, pas d'un modèle imposé, mais d'un appel à projets destiné à définir les futures plateformes territoriales d'inclusion numérique. La mission, portée par plusieurs acteurs - régions, associations, entreprises privées, etc. - se déroule sur dix-huit mois dans différents territoires.

Vous avez suggéré la tenue d'une conférence des financeurs. J'émets de fortes réserves à cette proposition. Il convient de clarifier au préalable les responsabilités de chacun.

Debut de section - Permalien
Cédric Szabo, directeur de l'Association des maires ruraux de France (AMRF)

Je vous remercie d'avoir engagé cette mission d'information. L'illectronisme constitue, en effet, un enjeu quotidien pour les mairies, notamment pour les secrétaires de mairie confrontés à des citoyens qui rencontrent de graves difficultés dans leur vie administrative. Il arrive fréquemment que des maires soient obligés de jouer un rôle de pompier pour régler des sujets comme le versement d'une pension alimentaire. La problématique de l'illectronisme n'est pas nouvelle pour les collectivités territoriales. Aussi, les associations d'élus ont-elles été invitées à participer à l'élaboration de la stratégie nationale pour un numérique inclusif. Pour autant, nous écopons dans un bateau envahi d'eau. La multiplication des dispositifs oblige parfois les citoyens à un non-choix et l'accès à certains services devient une contrainte.

Votre mission s'inscrit dans un contexte de crise où les collectivités territoriales ont joué un rôle inédit de compensation, par exemple auprès des familles qui ne disposaient pas du matériel informatique nécessaire au suivi des cours à distance. Elles disposent ainsi d'une expertise directe. Les communes rurales, en particulier, rappellent souvent la réalité quotidienne à laquelle elles sont confrontées. Ainsi, lors de la crise du Covid, La Poste a décidé de basculer certains salariés exerçant en zone peu dense vers des zones denses, arguant du fait que 90 % de ses services étaient accessibles en ligne. Concrètement, des secrétaires de mairie ont alors dû créer des mots de passe et des identités numériques à des usagers et des maires avancer certains paiements à des citoyens privés de carte bleue. La dématérialisation forcée des services, sans que le prescripteur ne s'interroge sur les conséquences pratiques de cette évolution, apparaît source de difficultés.

Les dispositifs de médiation numérique, à l'instar du Pass numérique, posent la question du maillage territorial et de l'accès aux maillons. Les mairies ne peuvent évidemment tout gérer ; pour autant, les ateliers de médiation doivent se tenir dans des lieux de proximité. Comment, à cet égard, mieux travailler avec les missions locales et les maisons France Service ? Le dispositif Aidants Connect relève d'une idée intéressante, mais l'écart apparaît considérable entre l'identification des besoins et leur traitement. Plusieurs départements et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) participent au premier appel à projets sur le Pass numérique. Quel sera in fine l'échelon territorial choisi pour sa mise en oeuvre ? En matière de médiation numérique, le choix de la proximité semble le plus cohérent. Cela renvoie également à la méthodologie : nous pensons de manière trop verticale, alors qu'il convient d'abord de traiter le premier kilomètre autour du domicile. L'AMRF a émis, à cet égard, plusieurs propositions, notamment s'agissant des écoles rurales.

L'amélioration de l'accès à Internet ne compense nullement un accompagnement insuffisant. Pourraient, par exemple, être mobilisés à cet effet des jeunes en service civique. Nous essayons des solutions, nous tâtonnons, mais aucun dispositif n'est encore massivement appliqué.

S'agissant des hubs, il semble effectivement trop tôt pour une évaluation, mais la maille communale n'apparaît d'ores et déjà pas suffisamment envisagée. Nous préconisons une prise de conscience, en amont, des prescripteurs publics et privés sur la réalité des besoins.

Debut de section - Permalien
Patrick Molinoz, vice-président chargé du numérique à la région Bourgogne-France-Comté, représentant Régions de France

Chaque niveau de collectivité territoriale doit envisager sa place et son rôle avec objectivité. Les régions ne sont pas les communes ; elles ont vocation à poser une stratégie, à définir un cadre commun pour leur territoire. En revanche, l'accompagnement aux usages numériques doit relever des communes, davantage en contact avec les citoyens. Mais 90 % d'entre elles disposent d'une ingénierie limitée. Les secrétaires de mairie ont une compétence transversale historique, rarement cependant l'expertise nécessaire en matière numérique. En janvier 2018, l'État et les collectivités territoriales se sont réveillés alors que le Règlement général sur la protection des données (RGPD) allait s'appliquer en mai de la même année ; de fait, nous ne répondons pas encore intégralement aux multiples exigences du texte.

Les régions jouent un rôle majeur de coordination dans le domaine du numérique. Elles pilotent la stratégie de cohérence régionale pour l'aménagement numérique (SCoRAN) avec les acteurs locaux et représentent l'interlocuteur capable de mettre en cohérence les différents dispositifs. Il convient d'ailleurs de renforcer la coordination entre les stratégies numériques locales et nationale, laquelle relève de cinq ministres différents. Il apparaît nécessaire d'éviter les doublons et de privilégier les complémentarités. Ainsi, en Bourgogne-Franche-Comté, avons-nous créé un groupement d'intérêt public (GIP) territorial numérique financé par la région, les départements et d'autres collectivités territoriales et rassemblant 1 700 membres. Sa mission concerne l'organisation de la dématérialisation des marchés publics et l'accompagnement des communes pour la dématérialisation des actes. Il faut, en effet, sensibiliser les acteurs publics si nous voulons, à plus grande échelle, résoudre le problème de l'illectronisme.

Les régions doivent donc, à notre sens, jouer un rôle d'organisateur et de coordonnateur, sans toutefois se substituer aux autres collectivités territoriales dans leur champ de compétence. Il en va également d'une utilisation efficace de l'argent public.

Pour ce qui concerne les hubs, il semble prématuré, du point de vue des régions, de porter un jugement définitif sur le dispositif. Pour autant, le choix d'accorder des financements à des structures très variées, s'il relève d'un vivifiant pari d'inventivité, devra in fine s'effacer au profit d'une organisation territoriale stable au risque, sinon, de créer des inégalités territoriales alors que l'enjeu d'une instruction publique numérique est transversal. Ce risque affaiblit d'ailleurs aussi le dispositif du Pass numérique. Avant d'évoquer le financement, je crois utile de définir le contenu de l'accompagnement envisagé. S'agit-il d'une formation ou d'une sensibilisation de nos concitoyens éloignés du numérique ? Enfin, je vous indique que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) examinera la semaine prochaine mon avis sur la dématérialisation des services publics et ses conséquences.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

Je vous remercie pour vos interventions passionnantes. Il est rassurant d'observer une telle prise de conscience des élus locaux sur une cause nationale que nous pourrions tout aussi bien qualifier de fléau national. Il m'est difficile, toutefois, de répondre à vos interrogations sur le bon niveau de maillage et de partenariat.

Notre mission d'information a été créée parce que le Sénat a ressenti une véritable révolte populaire face à la fracture territoriale en matière numérique. La disparition de certains services publics - je pense par exemple au permis de conduire ou à la carte grise - a généré chez certains de nos concitoyens, sommés de se débrouiller sur Internet, un sentiment d'abandon. Notre mission d'information évalue la situation - 14 millions de Français seraient en situation d'illectronisme et 42 % de la population souffriraient de lacunes importantes dans l'usage du numérique - avant de proposer des solutions.

Internet constitue un nouveau langage universel imposé à la population, sans aucun accompagnement. Son appropriation pose de multiples questions. Le numérique doit-il être considéré comme une compétence à attribuer à un niveau de collectivité territoriale ? Compte tenu du retard de la France en matière d'infrastructures et d'usages, que convient-il de faire ? Quels partenariats conviendrait-il de nouer avec La Poste, la Caisse des dépôts et consignations et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ? Quelle gouvernance doit être privilégiée au niveau local ? Quel rôle confier à l'État, étant entendu que l'éducation nationale, la santé et la sécurité - autant de domaines où le numérique joue un rôle central - relèvent de ses compétences ? Comment garantir la sécurité du stockage et la protection des données ? Quels moyens seront accordés à la lutte contre l'illectronisme ? Enfin, est-il nécessaire de légiférer pour améliorer la cohérence des dispositifs ? Il est regrettable que la France n'ait pas agi plus tôt dans ce domaine : la situation apparaît grave dans certains territoires, alors que le numérique sera partie prenante du plan de relance.

Debut de section - Permalien
Valérie Nouvel, vice-présidente du département de la Manche, représentant l'Assemblée des départements de France (ADF)

Pendant six mois, avec plusieurs partenaires publics et privés et le groupe La Poste, le département de la Manche a mis en oeuvre une stratégie pour identifier les personnes ayant besoin d'une formation numérique. Ensuite, des ateliers ont été dispensés dans différents lieux de proximité. Le dispositif a été enfin évalué en fonction de la progression des participants - non de leur nombre. Il en ressort qu'il a fonctionné pour tous les publics. Ainsi, l'hétérogénéité des acteurs et des actions peut avoir des résultats positifs en matière curative. Nous allons d'ailleurs reproduire cette expérimentation en lien avec le préfet. Toutefois, s'agissant de la prévention, la coordination des actions menées apparaît nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

En écoutant les différents intervenants, je suis un peu rassuré. Jusqu'à présent, les maires s'estimaient les plus légitimes en matière de médiation et d'inclusion numérique, par leur proximité avec la population. Les conseils départementaux, eux, pensaient qu'ils étaient compétents puisqu'ils s'occupent du social. Les régions aussi s'estimaient les plus compétentes, parce qu'elles effectuent des investissements importants sur le territoire. Or, quelle cohérence lorsqu'on oscille entre partenariat et concurrence ? De plus, tous les acteurs ont l'intention de mettre à disposition des médiateurs numériques et d'être vertueux en la matière - La Poste, dont nous avons entendu il y a peu un représentant, est dans cet état d'esprit. Pourtant, en regardant rapidement les formations réservées aux agents des collectivités territoriales, je n'ai pas trouvé de formation spécifique de médiateur numérique. Est-ce à dire qu'il ne s'agit pas d'une vraie fonction, requérant des compétences pédagogiques particulières ? Sur le fond, pour les personnes éloignées du numérique, faut-il faire à leur place ou leur apprendre à faire ? Les sites des collectivités sont encore souvent anxiogènes, difficiles à lire et à comprendre. Les cahiers des charges imposés à leurs concepteurs sont-ils bien respectés ?

Debut de section - Permalien
Patrick Molinoz, vice-président chargé du numérique à la région Bourgogne-France-Comté, représentant Régions de France

Pour ma part, je n'ai pas entendu l'ensemble des interlocuteurs déclarer qu'ils avaient mis partout à disposition des médiateurs numériques... En tous cas, je ne l'ai pas dit !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

Peut-être me suis-je mal exprimé. Mais quand on visite des conseils départementaux ou des MSAP, on constate que tout le monde s'y sent vertueux et pense mettre des médiateurs numériques à disposition des usagers.

Debut de section - Permalien
Patrick Molinoz, vice-président chargé du numérique à la région Bourgogne-France-Comté, représentant Régions de France

D'une manière générale, il est rare que quelqu'un vous explique qu'il est mauvais dans ce qu'il fait... Le dirigeant de La Poste, par exemple, vous dira à quel point son entreprise est engagée dans le numérique et soulignera qu'elle est le premier opérateur des MSAP. Vous dit-il que les maisons de service au public postales sont globalement inefficientes ? J'en doute.

Cependant, la question de la formation se pose en effet. Qu'est-ce qu'un médiateur numérique ? On entend souvent qu'il faudra mobiliser des personnes effectuant leur service civique pour faire la médiation numérique. Cela m'interpelle, car le service civique n'a pas vocation à remplacer un emploi plein et il ne doit pas faire l'objet d'une sélection sur la base de compétences. Le recours massif au service civique par Pôle emploi ou l'État lui-même, qui place des personnes en service civique dans l'accueil de sous-préfecture pour faire de la médiation ou de l'intermédiation numérique, est un sujet d'interrogation. En tous cas, cela ne répond pas à la problématique d'inclusion et de formation, qui est plus complexe.

Vous demandez s'il faut apprendre à faire, ou faire à la place. Je pense qu'il faut amener les gens à être autonomes. Mais est-ce réellement indispensable d'amener tout le monde à l'être sur des outils que certains utiliseront très peu ? C'est aussi une question de transition. Nous devons proposer systématiquement une solution alternative au numérique, au moins pendant quelques années encore. En effet, certains endroits ne sont pas encore couverts et l'accès au numérique y est difficile ; certaines personnes ne savent pas s'en servir ; d'autres ne le veulent pas. Nous devons tenir compte de ces trois contraintes - je ne peux pas, je ne sais pas, je ne veux pas - et nous devrions instituer une sorte de droit à la non-utilisation du numérique. Si nous voulons que la société s'empare totalement du numérique - ce qui est souhaitable - il ne faut pas l'imposer systématiquement. Sinon, nous créerons des réactions négatives, et nous finirons par jeter le bébé avec l'eau du bain. Que chaque niveau de collectivité ait envie d'agir me paraît le signe qu'il s'agit d'un vrai sujet de société.

Sur les formations, je vous suggère d'entendre le président du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Mais il me semble illusoire, à ce stade, de souhaiter mettre partout des agents de médiation numérique spécialistes et à temps plein. La circulaire du Premier ministre de l'année dernière sur l'évolution des maisons France service est porteuse d'une vraie bonne intention, qui est de forcer les opérateurs publics à être réellement présents, et de placer l'inclusion numérique au coeur des espaces France service. Entre l'intention et sa concrétisation, reste le maillon de la formation et de la définition d'un référentiel de l'inclusion : ce n'est pas la même chose d'accompagner quelqu'un de 75 ans, qui aura des réflexes de prudence mais n'a pas la maîtrise technologique, ou quelqu'un de 15 ans, qui n'a pas les réflexes de prudence mais dispose de la maîtrise technologique.

Debut de section - Permalien
Cédric Szabo, directeur de l'Association des maires ruraux de France (AMRF)

On se retrouve dans une situation où nos personnels sont médiateurs de fait. Outre le CNFPT, les centres de gestion reçoivent aussi nombre de demandes de personnes de catégorie C qui interviennent de manière ponctuelle en remplacement dans nos communes. Face à un senior de 85 ans qui vient avec un formulaire qu'il doit remplir sous peine de ne pas toucher sa pension, l'interaction est très concrète : il s'agit d'opérateurs d'urgence, qu'il faut accompagner par les protocoles de formation nécessaires, même s'il y a beaucoup d'entraide entre les secrétaires. Une nouvelle circulaire insiste d'ailleurs sur la notion d'entraide : la maison France service doit être le point de convergence des compétences des secrétaires de mairie des communes du territoire.

En fait, il faut intégrer la notion de parcours du citoyen, émaillé d'injonctions variées, dont les prescripteurs sont divers. Celle qui consiste à n'autoriser certaines procédures que de manière dématérialisée ne peut pas fonctionner sans cet accompagnement, si l'on ne veut pas contribuer à l'agrandissement de la fracture numérique. Il faut éviter de mettre le citoyen dans une situation incompréhensible, spécialement face à un opérateur public. Bref, au-delà de la médiation, nous pouvons avoir un impact sur la définition des procédures qui imposent d'y avoir recours. D'ailleurs, des communes rurales se sont aussi fait imposer des processus de dématérialisation. Et, dans la Manche, un élu a été condamné parce qu'il avait donné à sa secrétaire les codes pour procéder à une déclaration en ligne. Nous devons dire à ceux qui produisent de la dématérialisation forcée qu'il y a peut-être une autre méthode que celle qui fabrique de l'exclusion.

Debut de section - PermalienPhoto de Angèle Préville

Merci pour vos présentations très éclairantes. Je suis entièrement d'accord, comme d'habitude, avec notre rapporteur, sur la disparition des services publics, et je soutiens l'idée d'un droit à la non-utilisation du numérique.

Les appels à projets, qui se sont beaucoup développés, sont chronophages et nécessitent du personnel, ce qui introduit une inégalité entre les collectivités territoriales. Je suis d'accord avec votre proposition de sortir du pacte de Cahors les investissements dans la formation numérique.

Certains départements équipent les collégiens d'ordinateurs. À combien se monte cet effort au plan national ? Dans le Lot, il s'agit d'une distribution, en classe de sixième, d'ordinateurs portables, dont le coût est corrélé aux revenus des parents, allant de 20 euros à un prix à peine inférieur au coût réel de l'ordinateur. En Occitanie, il existe une opération similaire pour les lycéens. Quid dans les autres départements et régions ?

On a toujours vu des personnes venir en mairie pour qu'on les aide à remplir des documents. Cela pose toujours la question de la confidentialité. N'est-ce pas un réel problème ? Un secrétaire de mairie est forcément médiateur de fait. Oui, il faut éviter les doublons, mais le département a bel et bien la compétence sociale... Des millions de personnes sont à la peine pour obtenir une carte grise ou remplir leur déclaration de revenus. Il y a de nombreuses initiatives, tant mieux ! L'essentiel est que toutes les personnes concernées puissent être aidées.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

M. Patrick Molinoz est pour la liberté, mais on n'a pas laissé le choix aux citoyens ! Le Défenseur des droits Jacques Toubon a d'ailleurs dénoncé cette situation et déclaré qu'il devrait être interdit de ne proposer un accès physique à un service public.

Madame la présidente, je suis totalement d'accord avec vous, il ne faut pas vouloir et décider tout depuis Paris. Pour autant, on voit bien qu'il peut y avoir des disparités de moyens, et que les départements et les régions, n'apportent de réponses locales qu'en mesure de leur potentiel fiscal,. Or, pour le rattrapage du stock de personnes écartées du numérique, il va bien falloir accélérer - sans imposer quoi que ce soit -, ce qui devra nécessairement s'accompagner de moyens financiers substantiels. Pour que notre mission débouche sur du concret, il faudra que nous utilisions ce qui existe. Or, les tiers lieux existent, les associations existent, les départements, les communes, tout le monde est plein de bonne volonté. Nous pourrions affecter la compétence sur le numérique, sans exclure des complémentarités : sur un sujet aussi vital, il ne faut décourager personne, et la normalisation ne doit pas donner un coup de frein brutal. Pensez au plan numérique, et à la disparité des sommes que les départements ont acquitté pour obtenir des infrastructures numériques, et notamment du haut débit : c'est un véritable scandale ! Certains ont contribué jusqu'à 50 % au coût de désenclavement numérique d'un territoire. Allons-nous continuer à dépenser de l'argent public pour enseigner un langage qui permettra ensuite que les partenaires privés puissent bénéficier de nouveaux abonnés ? En tous cas, le secteur public ne doit pas rester spectateur. Nous avons tous pris conscience de ce fléau, et les propositions que nous formulerons exprimeront une volonté politique face à la situation.

Debut de section - Permalien
Patrick Molinoz, vice-président chargé du numérique à la région Bourgogne-France-Comté, représentant Régions de France

Mme Préville a évoqué les collèges et les lycées, en abordant deux questions différentes : l'équipement informatique des élèves, qui est une politique sociale librement mise en oeuvre, ou non, par la collectivité territoriale, et les compétences associées au statut de propriétaire et de gestionnaire des bâtiments, qui ont un impact direct sur la capacité à utiliser correctement l'outil numérique, puisqu'elles déterminent la connexion au très haut débit, aussi indispensable aujourd'hui que l'eau ou l'électricité il y a 30 ans.

M. Vall s'interroge sur le bon niveau de collectivité pour fixer la compétence : la proximité, c'est l'échelon communal, mais la complexité, au-delà de la question de l'illectronisme, me semble imposer une expertise et une coordination d'un niveau plus élevé. La plupart des collectivités n'ont pas les moyens d'avoir des spécialistes du sujet, et on ne demande pas à une secrétaire de mairie d'être ingénieur du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ou spécialiste en Intelligence artificielle. Pour suivre ce qui se passe et animer le réseau des intervenants, des secrétaires de mairie et du personnel en front office, il faut un accompagnement à la fois à l'échelon régional et départemental.

Enfin, la question de l'inclusion ne se limite pas aux 16 % d'illectronistes. Les gens éloignés du numérique ou peu à l'aise avec lui sont beaucoup plus nombreux que cela. On le voit bien avec la dématérialisation de la déclaration de revenus. Pour toute une frange de la population, c'est une complexité. Il ne s'agit donc pas que d'une politique sociale, mais d'une problématique économique, sociale et culturelle, qui va bien au-delà des publics très fragiles. Dans le domaine des TPE-PME, par exemple, il y a une faille. Et l'utilisation des outils numériques par le tissu économique révèle de très grandes disparités.

Bref, une articulation entre le niveau de proximité, qui est celui de la commune, et un niveau disposant d'une ingénierie suffisante et capable de mutualiser et d'agir dans le cadre d'une stratégie de territoire, me semble avoir du sens.

Debut de section - Permalien
Cédric Szabo, directeur de l'Association des maires ruraux de France (AMRF)

Sur les appels à projets, vous avez raison, il faut que tout le monde puisse être éligible à ce type de dispositif. Le Pass numérique a concerné une dizaine de départements et une quarantaine d'EPCI. Le cahier des charges doit inclure une forme d'obligation de faire en sorte que tout le monde en bénéficie, sur 100 % du territoire. Mieux vaudrait une logique de guichets permanents, avec un droit de tirage, pour ce type de politiques.

Sur la mutualisation, tout repose sur l'opérateur de proximité et de contact, qui doit être bien coordonné avec ses homologues. Dans les écoles, il faut s'assurer que le public cible ne souffre pas d'exclusion numérique, mais aussi faire en sorte que le lieu ainsi équipé soit utilisable par d'autres publics, en encourageant mutualisations et décloisonnements. La question de la confidentialité renvoie à l'application du RGPD, très strict, tout en rendant service aux personnes qui sont dans une forme d'impasse administrative. À cet égard, le programme Aidants Connect, avec dix territoires en expérimentation, semble prometteur -même si le numérique a tendance à avancer plus vite que la temporalité des expérimentations !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

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