Commission d'enquête Concessions autoroutières

Réunion du 16 juillet 2020 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Photo de Eric Jeansannetas

Je vous remercie, monsieur le ministre.

La réunion est close à 9 h 50.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 14 heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Nous entendons cet après-midi M. Gérard Allard, membre du réseau Transports et mobilité durables de France nature environnement (FNE), Mmes Dominique Allaume Bobe, présidente du département habitat-cadre de vie et transports de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), et Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), ainsi que M. Jean-Claude Lagron, président de l'association « A10 gratuite ». Je vous prie de bien vouloir excuser M. Pierre Chasseray, délégué général de l'association « 40 millions d'automobilistes », retenu dans un cluster.

À la demande du groupe de l'Union centriste, le Sénat a créé en début d'année une commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières. Cette commission d'enquête, qui a tenu sa réunion constitutive en février dernier et qui rendra son rapport en septembre, a pour objectif d'examiner le contenu des contrats de concession des sociétés concessionnaires dites historiques, la rentabilité économique de ces concessions, le respect des règles de régulation, ainsi que le cadre de renégociation de ces contrats. La commission entend donc analyser la situation existante et examiner les perspectives qui se dessinent en matière de gestion des autoroutes à l'échéance des concessions.

Dans cette perspective, il nous a semblé indispensable de recueillir les témoignages et les observations des différentes catégories d'usagers du réseau routier, et donc autoroutier, que vous représentez - pour trois d'entre vous - au comité des usagers du réseau routier national.

Je rappelle que ce comité a été institué en 2009. Il examine l'ensemble des sujets relatifs aux attentes des usagers de la route en matière de tarifs, de sécurité, d'insertion environnementale et de qualité de service. Il formule des propositions ainsi que des pistes d'amélioration du service rendu et émet des recommandations sur les tarifs appliqués sur le réseau autoroutier concédé. Notre collègue Michèle Vullien y a été désignée par le Sénat.

Cette table ronde est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle est également ouverte à la presse et fera l'objet d'un compte rendu publié.

Nous sommes dans le cadre formel d'une commission d'enquête. Je vous rappelle donc qu'un faux témoignage devant notre commission est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite donc, tour à tour, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité : levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Gérard Allard, Mmes Dominique Allaume Bobe et Florence Berthelot ainsi que M. Jean-Claude Lagron prêtent serment.

À votre avis, quelles sont les forces et les insuffisances de la gestion du système autoroutier français face aux attentes des usagers ? Quelle appréciation portez-vous sur l'équilibre des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires ?

Quelle est votre position sur le principe du financement par l'usager ? Quelles sont vos recommandations sur les hausses tarifaires ?

Les concessions dites historiques arriveront à échéance dans quelques années : quels modes de gestion et de financement faudrait-il mettre en place pour assurer le bon entretien du réseau et les travaux d'aménagement nécessaires ?

Debut de section - Permalien
Gérard Allard, membre du réseau Transports et mobilité durables de France nature environnement (FNE)

Je vous remercie de nous auditionner. FNE, qui est la Fédération française des associations de protection de la nature et de l'environnement, est le porte-parole de 3 500 associations. Au sein du réseau thématique sur le transport et les mobilités durables, je suis plus particulièrement les questions relatives au transport de marchandises et je participe depuis dix ans aux réunions du comité des usagers du réseau routier national, sous la présidence de François Bordry.

Le réseau national autoroutier concédé est globalement bien entretenu, à la différence du retard pris sur le réseau non concédé. Les usagers routiers bénéficient d'un bon niveau de service.

Mais l'État est ficelé par des contrats de concession d'un autre temps, permettant le versement de dividendes exorbitants - 3 à 4 milliards d'euros, pour 10 milliards d'euros de recettes. Il est regrettable qu'il soit impossible d'augmenter les taxes et redevances versées à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) - taxe d'aménagement du territoire et redevances domaniales - sans avoir une répercussion automatique sur le coût des péages payé par l'usager.

L'État porte la mise en concession autoroutière d'itinéraires sans aucune viabilité économique, à fort impact environnemental et avec des péages très élevés, comme, par exemple, l'A65-Autoroute de Gascogne, bientôt la route Centre-Europe Atlantique (RCEA), ou encore Toulouse-Castres.

Les concessionnaires sont très bien armés juridiquement pour faire valoir leurs droits économiques et politiques. J'en veux pour exemple le plan de 2010 : 1 milliard d'euros d'investissements - dont 50 % consacrés à du péage sans arrêt, synonyme de moins de guichetiers et donc d'une meilleure rentabilité pour les opérateurs -, pour un an de prolongation, cela fait près de 5 milliards d'euros de recettes. Les concessionnaires essayent de mettre un peu de peinture verte dans les contrats, mais sans réelle stratégie pour inscrire l'environnement comme axe de progrès. La politique tarifaire en est un bon exemple. Les concessionnaires historiques ont refusé d'intégrer les externalités dans les péages, et lorsqu'ils le font, c'est vraiment très minime : les 10 % prévus sur l'A63 ne sont pas assez incitatifs pour investir dans des camions moins polluants. Je ne connais que très peu de cas de réduction du tarif de péage en faveur des véhicules à très faible émission ou du covoiturage.

Nous sommes opposés à l'allongement des concessions comme cela a été fait en 2010 et en 2015. Depuis 2015, il faut néanmoins l'accord du Parlement pour prolonger les concessions : c'est une bonne chose.

Nous sommes favorables au principe utilisateur-payeur. Les hausses annuelles sont contractuelles et résultent de choix politiques antérieurs qu'il faut assumer. Ou alors il faut dénoncer les contrats, mais à quel coût ? Souvenez-vous d'Écomouv et de l'écotaxe !

N'oublions pas non plus l'usager du train : il paye également un péage d'utilisation de l'infrastructure - souvent élevé, notamment sur les lignes à grande vitesse - et subit des hausses annuelles de tarifs souvent supérieures à celles des péages autoroutiers.

Nous devons nous interroger sur l'impact des poids lourds sur l'infrastructure, qui est largement supérieur au coefficient multiplicateur « poids lourds » actuel, de l'ordre de 3.

Une augmentation de la taxe d'aménagement du territoire permettrait d'investir en faveur du réseau national routier non concédé, mais aussi des infrastructures ferroviaires et fluviales.

Il faut également incorporer les externalités - pollution, bruit - dans les péages. La directive « Eurovignette » le permet. Mais, paradoxalement, alors que la France en avait été à l'initiative, grâce à Dominique Bussereau en 2009, notre pays refuse aujourd'hui de la mettre en oeuvre, contrairement à l'Allemagne ou à l'Autriche.

Nous espérons que votre rapport tirera les enseignements de tous ces dysfonctionnements et interrogera le maintien de projets autoroutiers à forts impacts environnementaux. Les péages doivent encourager l'utilisation de véhicules plus propres et incorporer les externalités. À la fin des concessions des autoroutes historiques, nous souhaitons le maintien des péages, selon le principe de l'utilisateur-payeur, avec une gestion en régie ou sous la forme de délégations de service public sur la collecte des péages et l'entretien, avec des contrats courts et réexaminés régulièrement par la représentation nationale et, si possible, par les citoyens. Il faudra en outre un plan volontariste de rattrapage des problématiques environnementales sur certaines concessions, avec des avenants spécifiques.

Debut de section - Permalien
Dominique Allaume Bobe, présidente du département habitat-cadre de vie et transports de l'Union nationale des associations familiales (UNAF)

Nous représentons les familles et ne sommes pas des spécialistes des concessions autoroutières, mais nous avons des référents sécurité routière dans toutes les unions départementales des associations familiales (UDAF) de France que nous réunissons une ou deux fois par an.

Lorsque l'on emprunte une autoroute, on recherche un service associé à l'infrastructure : aller rapidement d'un point A à un point B, en toute sécurité. L'usager accepte de payer pour ce service, mais il ne l'a pas toujours. C'est le cas quand des travaux durent plus d'un an ou quand il y a d'énormes embouteillages, et qu'il n'y a pas de réduction du prix. Le service acheté doit être rendu.

Nous sommes plutôt favorables à ce que l'usager - et non le contribuable - soit le payeur. Mais parfois, les coûts de péage sont tels que les familles les plus modestes évitent l'autoroute. Ces frais peuvent représenter jusqu'à la moitié du coût direct du trajet, soit autant que l'essence !

Le prix du péage n'est pas suffisamment transparent : certains très petits trajets coûtent parfois excessivement cher. Ce qui peut se comprendre dans les Alpes l'est moins en Normandie. Le prix devrait en outre pouvoir être modulé selon les heures ou l'état du trafic - at pas seulement le dimanche après-midi sur l'A 1.

Nous souhaiterions une transparence plus forte sur l'affectation des recettes et que celles-ci fassent l'objet d'une évaluation et d'un retour au citoyen, consommateur et payeur.

Pour les usagers-familles, la sécurité doit primer, notamment aux entrées et aux sorties d'autoroute, ainsi que sur les aires d'autoroute. Il faut lutter fortement contre les contresens sur l'autoroute. Il faut des efforts qualitatifs : des bandes d'arrêt d'urgence sécurisées, y compris dans les tunnels, sur les viaducs et le long des tronçons comportant une voie plus lente pour les poids lourds. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) devraient nous permettre d'améliorer l'information durant le trajet, la gestion du trafic ainsi que l'appel des secours.

L'aspect environnemental ne doit pas être oublié : mesure de la réduction de l'artificialisation des sols, prise en compte des inondations de plus en plus fréquentes de certaines portions d'autoroutes en cas d'orages violents. Les usagers doivent aussi pouvoir trouver tous les types de carburants dans les stations-service, y compris l'électrique et le biogaz. Des aires de covoiturage doivent également être développées.

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Lagron, président de l'association « A10 gratuite »

Nous nous félicitons de l'existence de cette commission d'enquête et vous remercions d'entendre notre association qui porte une expérience particulière. Nous espérons que votre commission répondra aux attentes fortes des usagers : il faudra proposer de vraies réformes et des pistes d'action immédiates.

Les ressources colossales - 10 milliards d'euros par an - collectées au péage ne servent que marginalement à financer l'entretien, l'exploitation et la modernisation des réseaux de transport, comme nous y pressent pourtant les défis climatiques. Sur 10 euros collectés au péage, 4 sont transformés en dividendes. Selon un rapport des services de l'État, le prix des péages est dix fois supérieur aux dépenses d'entretien, d'exploitation et de grosses réparations des autoroutes. Quelle formidable aubaine pour qui en détient le monopole !

Notre association a été créée il y a dix-neuf ans, à la suite du renouvellement de gré à gré d'une concession inique traversant nos territoires. Cette concession était à l'époque proche de son terme. C'est la seule concession historique périurbaine d'Île-de-France. Nous sommes soutenus par l'immense majorité des élus de nos territoires - toutes tendances politiques confondues. Notre objectif est d'obtenir la gratuité de tronçons franciliens des autoroutes A10 et A11, et, par extension, de tous les tronçons périurbains des autoroutes concernées par la même problématique.

Depuis 1970, l'A10 est une exception dans le paysage autoroutier français : ce fut la première concession exclusivement privée. En Île-de-France, elle est aussi la seule concession historique payante à seulement 23 kilomètres de Paris, alors que toutes les autres autoroutes ne deviennent payantes qu'à la sortie de l'Île-de-France ou à 50 kilomètres de Paris. Elle traverse des territoires sous-développés en transports collectifs : le RER C met plus de temps à rejoindre Paris qu'il y a soixante ans ! Et la population y a triplé en raison de l'étalement urbain. Les temps et les distances domicile-travail ne cessent de s'allonger. Les investissements de l'État et de la région sont exclusivement concentrés sur le centre de l'agglomération. Le schéma directeur régional, appelé le Grand Paris, prévoit ainsi 37 milliards d'euros d'investissements concentrés dans un cercle de 20 kilomètres de rayon, au détriment des autres territoires.

Les coûts supportés par un salarié régulier pour ses trajets quotidiens domicile-travail peuvent atteindre 1 300 euros par an. Le péage opère donc un transfert massif de trafic vers le réseau secondaire, notamment sur les voies parallèles à l'autoroute. Or cette autoroute est structurante pour les trajets quotidiens domicile-travail.

Des problématiques similaires existent autour d'autres métropoles régionales. En près de vingt ans, notre action a permis une prise de conscience et de mettre au jour les très grandes inégalités territoriales dans l'accès aux infrastructures autoroutières : tarifs inégaux, autoroutes gratuites ou payantes au gré des influences politiques locales, foisonnement, etc. Notre action a aussi contribué à faire connaître le gaspillage financier entourant l'utilisation du produit des péages.

Cette controverse n'a cessé de grandir, alimentée par les rapports de la Cour des comptes de 2003, 2008 et 2013, celui de l'Autorité de la concurrence de 2014, celui de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) de 2015, celui de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale de 2014, l'examen des propositions de nationalisation au Sénat en 2014 et 2019, des centaines de questions orales ou écrites posées par les parlementaires, notre audition par le groupe de travail sénatorial sur les concessions autoroutières en 2014, etc. Sans parler des « gilets jaunes » qui ont fait des concessions l'un des symboles de leurs revendications. Toutes ces interventions demandent une révision de la politique autoroutière et un rééquilibrage en faveur des usagers. Et pourtant, rien n'a bougé.

Les timides recommandations des uns et des autres n'ont été mises en oeuvre qu'avec parcimonie. Les clauses de limitation de la rentabilité des concessions n'ont jamais été appliquées. La loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) a été une nouvelle occasion manquée : les autoroutes y ont été déclarées hors sujet et les préconisations autour de l'usage de la trottinette, du vélo et du covoiturage sont charmantes dans un cadre de loisir, mais bien éloignées des réalités vécues par les salariés. Depuis quinze ans, les gouvernements se sont montrés laxistes et le Parlement peu déterminé. Les projets de loi les plus audacieux ont été repoussés, sans proposition alternative. Nous espérons que votre rapport ne sera pas un rapport de plus.

C'est un système suranné qui ne peut rester en l'état : les ratios de rentabilité sont passés de 18 % en 2005 à 31,3 % - record historique - en 2019. La distribution des dividendes a explosé : en 2016, un an après le plan de relance autoroutier concocté en secret, Cofiroute a distribué 620 % de son résultat net en dividendes. Un kilomètre d'autoroute rapporte 400 000 euros de dividendes chaque année. Dans ces conditions, nous ne pouvons plus nous contenter du constat et attendre la fin des concessions en laissant des dizaines de milliards d'euros partir en fumée. Les sociétés d'autoroute doivent être mobilisées dès maintenant pour répondre aux mutations des territoires et accompagner l'action pour le climat. Quelques recommandations homéopathiques ne suffiront pas. Les mesures circonstancielles préconisées ici ou là n'apportent pas de réponses structurelles et durables aux attentes des populations et des territoires.

Certains semblent considérer que le problème viendrait des déficiences de l'État dans les domaines juridique, technique et financier : mal outillé, il serait démuni face aux sociétés concessionnaires. Mais on ne réglera pas le problème en ajoutant des couches de procédures : les clauses de procédures ne peuvent se substituer à la volonté politique. La force des concessionnaires évolue à l'inverse de celle de la puissance publique. Aujourd'hui, les représentants de l'État ne sont plus dans leur rôle : nous avons bien des exemples dans lesquels ils se sont montrés plus soucieux des intérêts des actionnaires que de ceux des usagers. Il faut modifier ce rapport de force politique.

Les sociétés concessionnaires ne peuvent rester confinées dans leur ghetto, fût-il contractuel. Elles sont délégataires d'un service public et doivent s'adapter pour répondre aux besoins d'une société en mouvement. Nous proposons donc de changer de modèle autoroutier. Celui qui s'achève a permis à notre pays de se doter d'un réseau de bonne qualité. Nous avons besoin aujourd'hui d'un modèle intégré dans lequel l'État doit fixer les conditions d'accès et d'utilisation en reprenant la main sur les infrastructures autoroutières. Il faut réorienter l'argent des usagers perçu au péage vers le financement de nouvelles infrastructures de transport répondant aux nouveaux enjeux de mobilité et aux enjeux environnementaux. Les tronçons périurbains - notamment les tronçons franciliens de l'A10 et de l'A11 - doivent être gratuits. Une telle gratuité doit aussi bénéficier aux personnes contraintes d'utiliser leur véhicule personnel pour effectuer leurs trajets du quotidien domicile-travail ou domicile-études. Ces propositions peuvent s'intégrer dans le cadre de la relance post-crise sanitaire. Cette question spécifique des trajets domicile-travail vient enfin d'être reconnue par l'État, par la précédente ministre des transports lors de son audition devant vous : c'est une première victoire !

Pour assurer les financements, il faut taxer les dividendes distribués par les sociétés concessionnaires d'autoroutes et prévoir une plus juste contribution des poids lourds à l'entretien des infrastructures routières et autoroutières : certes, un poids lourd s'acquitte d'un péage trois fois plus élevé qu'un véhicule léger, mais il dégrade 10 000 fois plus les chaussées !

Votre rapport sera examiné à la loupe et sera un signal qui peut commencer à inverser le rapport des forces en faveur de l'intérêt général, oublié par l'État démissionnaire et les sociétés concessionnaires.

Debut de section - Permalien
Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR)

Je vous remercie de ne pas avoir oublié les usagers professionnels. Nous sommes 40 000 entreprises qui emploient onze salariés en moyenne. Nous sommes donc d'abord des PME et des TPE. Les infrastructures routières sont notre espace de travail. La question des autoroutes doit être intégrée plus globalement dans la problématique des infrastructures routières.

Comme nous l'avons indiqué dans un communiqué en 2014, après la publication du rapport de l'Autorité de la concurrence, il y a un lien direct entre la privatisation des sociétés d'autoroute et la taxe poids lourds. En effet, l'AFITF, créée en 2004, avait vocation à être financée par les dividendes, mais son financement a été brutalement asséché en 2006 avec la privatisation.

Souvenons-nous que les deux candidats finalistes de la présidentielle de 2007 - Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal - avaient inscrit la création d'une taxe poids lourds dans leur programme. Nous y étions farouchement opposés. Elle ne figure pas dans la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, été adoptée à l'unanimité par les deux chambres, moins quatre abstentions. Nous nous sommes battus sur la question de la répercussion de l'écotaxe : on parle d'utilisateur-payeur et de pollueur-payeur mais doit payer celui qui bénéficie de la livraison du produit. Je vous renvoie au rapport du député Chanteguet.

L'Autorité de la concurrence rend son rapport au mois de septembre, et en octobre, la ministre décide de reporter définitivement la taxe poids lourds, qui, dans une seconde mouture, ne rapportait finalement plus que 600 millions d'euros - et non plus le 1,3 milliard d'euros attendu. Ce report ne s'est pas fait gratuitement, mais a été accompagné d'une augmentation générale de 4 centimes de la fiscalité du carburant.

La qualité de service - à l'exception de la période de la crise sanitaire - est plutôt bonne, mais la question du financement du réseau non concédé est lancinante, car les recettes du réseau concédé ne vont pas là où elles devraient aller.

On entend toujours : « les poids lourds doivent payer ! » Or les poids lourds représentent seulement 15 % du trafic sur autoroutes, mais 32 % des recettes. Nous payons donc au-delà de notre utilisation du réseau concédé, et nous couvrons aussi nos coûts. En 2017, dans le cadre des Assises de la mobilité, nous avons participé à un groupe de travail intitulé « pour un transport plus soutenable », afin de trouver des pistes de financement du réseau non concédé - qui se dégrade, alors que le réseau concédé se maintient. Mais on en revient toujours à « comment taxer les poids lourds ? » ! Nous l'avons encore entendu lors de la convention citoyenne... Nous ne sommes pas les ennemis de l'environnement : sur les aspects de transition énergétique, nous faisons le maximum, avec nos moyens, sur l'offre de camions.

Le problème est là : la route fournit 100 % des recettes de l'AFITF, mais au moins 50 % des projets financés par l'AFITF ne sont pas orientés vers la route...

Dans le cadre des Assises de la mobilité, un conseil d'orientation des infrastructures a remis un rapport. L'annexe 7 de ce rapport - que je pourrais vous remettre - fait état d'un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), longuement évoqué durant les Assises, mais jamais publié. Ce rapport prend en compte les externalités et considère que les poids lourds diesel assument jusqu'à 225 % du taux de couverture sur autoroute. De manière générale, réseau concédé et réseau non concédé confondus, ce coût est couvert à 130 %. Il faudra se mettre d'accord sur les chiffres, à un moment donné, plutôt que de toujours penser aux poids lourds !

Nous payons beaucoup sur les autoroutes, mais cet argent, du fait de la structure des contrats de concession, ne va pas vers l'État qui se débrouille ensuite comme il peut pour trouver des financements pour entretenir le réseau non concédé. C'est un problème. Dans le cadre des Assises de la mobilité, une reprise immédiate des concessions, financée à l'aide d'un emprunt, a été évoquée.

Nous sommes des clients des autoroutes. Contrairement à ce qui a été dit - et tout cela relève de la directive Eurovignette -, le péage n'est autre que la contrepartie de l'usage de l'infrastructure. Il n'est pas la contrepartie d'un service. La preuve en est que, pendant la crise sanitaire, durant laquelle nous étions presque les seuls à rouler, la gratuité des péages n'a pas été donnée pour autant. Les conditions d'accueil de nos conducteurs ont été terribles, surtout au début de la crise : douches et sanitaires fermés, lieux de restauration inaccessibles, etc. Il a fallu que l'on intervienne, car nos conducteurs avaient évidemment été oubliés.

Nous faisons partie du comité des usagers. Je vais vous dire brutalement les choses. C'est une réunion aimable où l'on nous annonce quelles seront les augmentations de tarifs à partir du mois de février de l'année suivante, et puis c'est tout. Nous pouvons effectivement dire un certain nombre de choses. Comme je l'ai dit, nous avons peu à dire concernant la qualité du service et de l'infrastructure.

S'agissant des augmentations, de toute façon, quel que soit le modèle retenu, en définitive nous paierons. À travers l'idée du camion qui abîme les routes, ou qui est extrêmement polluant - alors que nous circulons aux dernières normes, et si possible au gaz naturel pour véhicules biologique (bioGNV) -, nous continuerons à payer. Nous n'avons aucun doute là-dessus. Cependant, nous aimerions aussi un peu plus de transparence voire de participation des usagers et des clients. Pour nous, la route en général, qu'elle soit concédée ou non concédée, est aussi un service public.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous avons créé cette commission d'enquête pour essayer d'assurer une certaine transparence et une certaine clarté sur un sujet qui intéresse beaucoup de nos compatriotes, et sur lequel nous ne trouvions pas toujours tous les éléments recherchés concernant la rentabilité, le service, les tarifs, le trafic, etc.

Nous ne souhaitons pas que ce rapport soit seulement un rapport de plus. Nous souhaitons qu'il soit utilisé non seulement par les concessionnaires et les usagers, mais aussi par les services de l'État et le Gouvernement. L'idée est que le concédant puisse s'organiser pour peser le plus possible par rapport aux délégataires. Lorsqu'une collectivité délègue un service, un contrôle et un encadrement précis sont nécessaires. C'est le rôle de la puissance publique. Les propositions de notre rapport devraient - du moins, nous l'espérons - permettre de renforcer le rôle du concédant et le poids de la puissance publique par rapport aux sociétés concessionnaires d'autoroutes.

Le comité des usagers vient en réalité rendre compte des contrôles effectués par l'État pour s'assurer que les propositions des sociétés concessionnaires respectent les contrats. Une évolution de son rôle pourrait figurer parmi nos propositions. Il pourrait suggérer des tarifs différenciés, par exemple, pour les véhicules plus respectueux de l'environnement, pour le covoiturage ou pour les trajets professionnels. Des pistes de changement existent, y compris dans les contrats actuels qui ont déjà évolué à de multiples reprises par voie d'avenant. De nouveaux avenants impliquant des modulations tarifaires pourraient être envisagés. Je ne suis pas persuadé qu'il soit judicieux de diminuer les tarifs aux périodes de fort trafic, mais je ne tranche pas cette question à ce stade. Nous n'en avons d'ailleurs pas encore débattu avec les membres de la commission. Nous commençons tout juste à rédiger notre rapport. Cependant, le sujet des modulations tarifaires sera forcément abordé.

L'évolution du comité des usagers vers une instance d'échanges, de concertation et de propositions relatives à une plus grande intégration d'une politique environnementale dans les tarifs des autoroutes serait à mon sens une très bonne chose. Cela fera sans doute partie de nos propositions, dont les modalités de financement restent à définir.

Sur la rentabilité, il faut faire attention avec les comparaisons de chiffres. Un euro de 2020 n'est pas un euro de 2032. On ne peut dire que les sociétés d'autoroutes, qui versent 3,2 milliards d'euros de dividendes, en verseront 5 milliards demain du fait de la prorogation de trois ans - 2033, 2034 et 2035 - des contrats de concession. Il faut tenir compte ensuite du taux d'actualisation. Ces sujets techniques et financiers seront abordés dans notre rapport. Nous essaierons de rendre ces points les plus compréhensibles possible.

Monsieur Lagron, vous disiez que la limitation de la rentabilité n'avait jamais été mise en oeuvre. Il existe dans les contrats une clause de limitation de la rentabilité, intégrée au protocole de 2015. Cette clause ne peut s'appliquer que sur les trois dernières années des contrats de concession. Elle prévoit qu'en cas de dépassement de 30 % du chiffre d'affaires en valeur de 2006, la durée de la concession peut être réduite. S'il est bon d'avoir introduit une clause de limitation de la rentabilité, en l'état elle semble difficilement applicable. En revanche, des points d'étape sont bienvenus, sur des contrats aussi longs. Il aurait d'ailleurs été préférable d'en prévoir dès le début !

Monsieur Allard, vous avez parlé de « peinture verte ». Jusqu'à présent, la prise en compte des aspects environnementaux au moyen d'éventuelles incitations tarifaires est restée limitée. Une politique environnementale est en revanche prise en compte sur les aires de service, par le biais de contraintes pas forcément visibles, mais non négligeables, fixées par le concédant, que les sociétés concessionnaires répercutent le plus souvent aux sous-concessionnaires. Il faut aller plus loin.

Quelles seraient vos propositions en matière de tarification pour des véhicules considérés comme préservant un peu plus l'environnement ? Quel niveau de réduction tarifaire serait selon vous réellement incitatif : 30 %, 50 % ?

Debut de section - Permalien
Gérard Allard, membre du réseau Transports et mobilité durables de France nature environnement (FNE)

Le paquet vert autoroutier de 2010 était consacré à 25 % aux aires de service, moyennant un financement assuré par la prolongation des contrats de concession. Cela a permis d'augmenter le prix de la sous-concession des aires, soit une double rentabilité pour le concessionnaire.

Quel est le bon niveau de péage pour des véhicules moins émetteurs de pollution ? Il faut que ce soit significatif. L'écart de 10 % entre l'Euro 5 et l'Euro 6 pratiqué sur l'A63 pour les poids lourds n'est pas de nature à faire basculer vers l'Euro 6. S'agissant des véhicules particuliers, il faut que ces éventuelles baisses des tarifs de péage soient significatives - 20 % ou 30 %. Elles seront toutefois automatiquement compensées par d'autres augmentations.

Il faut ensuite se mettre d'accord. Qu'est-ce qu'un véhicule à faible émission ? Des débats ont eu lieu au Parlement sur ce sujet au moment de la loi sur la transition énergétique. Un rapport de 2005 du pilote automobile Jean-Pierre Beltoise proposait déjà par ailleurs de moduler les tarifs des péages en fonction des émissions de gaz à effet de serre.

Vous savez les réserves de notre fédération concernant les véhicules électriques. Il faut encourager l'usage du gaz naturel pour véhicules (GNV) par les poids lourds. C'est en revanche plus difficile pour les particuliers. Une réduction des tarifs des péages de 20 % à 30 % pour les véhicules les moins émetteurs me paraîtrait significative. La directive Eurovignette avait donné une fourchette allant jusqu'à 100 % pour les poids lourds.

Debut de section - Permalien
Dominique Allaume Bobe, présidente du département habitat-cadre de vie et transports de l'Union nationale des associations familiales (UNAF)

Il est difficile de répondre à votre question. Je pense également que ces baisses de tarifs doivent être significatives. Pour être vraiment vertueux, il faudrait à la limite faire disparaître le péage ! Or le concessionnaire ne veut pas que le péage disparaisse. Aller jusqu'à 100 % de réduction n'est pas envisageable. Cette question est donc assez délicate. Les voitures électriques ont vocation à se multiplier. Les poids lourds et les autocars rouleront de plus en plus au GNV. Il faudra inciter cela. Je n'oserais pas cependant donner de chiffre.

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Lagron, président de l'association « A10 gratuite »

Je le dis en toute modestie : notre association est dans l'incapacité d'apporter une réponse chiffrée à votre question, car nous ne nous sommes pas penchés véritablement sur ce sujet. En revanche, nous nous sommes penchés sur les coûts écologiques des transferts de trafic sur le réseau secondaire dus aux péages. C'est considérable ! Les péages, surtout proches des grandes agglomérations, produisent un transfert de trafic massif sur le réseau secondaire. Nous avons comparé les trafics sur les autoroutes d'Île-de-France avec celui des nationales qui leur sont proches. Pour les autoroutes franciliennes qui sont gratuites, le rapport de trafic entre l'autoroute et la nationale qui lui est parallèle est de 1 sur 5. En revanche, pour ce qui concerne l'A10, le rapport est de 1. Il y a donc un transfert massif de trafic vers le réseau secondaire lorsque l'autoroute est payante.

Les conséquences de cette situation du point de vue écologique et environnementale sont évidentes. Ce sont des bouchons considérables ! La route nationale 20 (RN 20), parallèle à l'A10, est ainsi un vrai désastre écologique. Il y a des bouchons presque toute la journée sur cette voie. Des enquêtes menées par les collectivités territoriales ont montré que les poids lourds quittaient l'autoroute pour prendre la RN 20 à cause du péage. Cela a des conséquences en matière d'émission de CO2. C'est également un désastre pour les populations locales, qui subissent des pollutions atmosphériques considérables. Les populations habitant au bord de la RN 20 souffrent de pollutions bien supérieures à celles du centre de Paris. Pourtant on en parle peu. Le péage autoroutier à l'approche des grandes agglomérations est une catastrophe écologique.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Madame Berthelot, le rapport de un à trois évoqué entre les véhicules légers et les poids lourds vous paraît-il correct ? Quelle réduction tarifaire serait de nature à inciter les 40 000 PME de votre profession - qui font vivre 450 000 salariés environ - à faire évoluer leur parc ?

Debut de section - Permalien
Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR)

Un camion peut soit appartenir à un transporteur pour compte d'autrui, soit être en compte propre, ce que l'on oublie trop souvent. Les camions en compte propre - de maraîchers, d'agriculteurs, ou d'industriels - ne sont pas soumis, en matière sociale notamment, à la même réglementation que nous. Le compte propre représente 50 % de l'activité de transport.

Dans le transport pour compte d'autrui, que nous représentons, comme nous roulons beaucoup - c'est notre métier - nous renouvelons nos flottes beaucoup plus vite que ceux qui sont en compte propre, qui roulent moins que nous et amortissent leurs camions sur un durée beaucoup plus longue. À 86 %, nos camions sont aux dernières normes Euro 5 Enhanced Environnentally Vehicles (EEV) et Euro 6. Nous progressons également dans le GNV. Si l'électrique est compliqué pour les poids lourds, des solutions hybrides existent, et nous rêvons du développement de l'hydrogène décarbonée.

Il nous est difficile de vous dire quelle est la proportion à viser. À son arrivée au ministère des transports, Mme Borne avait évoqué l'idée de réduire considérablement les coûts des péages pour les camions roulant au bioGNV. Il existe des différences entre le GNV d'origine fossile et le bioGNV issu de la méthanisation. Le GNV réduit déjà considérablement les particules, et réduit de 15 % les émissions de CO2. Avec le bioGNV, ces pourcentages sont plus importants.

C'est la directive Eurovignette, en cours de révision, qui fixe le cadre de tout cela. Lors de sa dernière révision, ces carburations alternatives n'existaient pas comme aujourd'hui, ou n'étaient pas si fréquentes. Le GNV se développe vraiment depuis cinq ans. Un camion roulant au GNV coûte 30 % plus cher qu'un camion diesel. Il bénéficie d'un suramortissement. On pourrait aller encore plus loin.

Avec la crise qui se profile, je serai plus prudente dans mon approche, mais en début d'année je vous aurais dit qu'il fallait donner un signal pour encourager les motorisations alternatives au diesel - même si le diesel est extrêmement performant, débat inaudible pour l'opinion publique. Il serait compliqué de vous donner un chiffre, mais il faut donner un signal. Le péage « autoroute » représente quand même 7 % du coût de revient d'un camion. C'est beaucoup !

Je n'ai pas trop d'inquiétude concernant la volonté de nos entreprises d'aller vers des motorisations alternatives. Cependant, il faut penser aux autres professions - maraîchers, etc. - et au signal qui leur sera envoyé pour les encourager à renouveler leurs camions.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Il était important de vous entendre dans le cadre de nos travaux. Nous avons auditionné beaucoup de personnes, portant des points de vue différents. Nous sommes sur un sujet politique, au sens où il relève d'un choix de société, et sur un débat de fond. C'est tout l'intérêt de cette commission d'enquête.

FNE a parlé d'un État « ficelé ». Nous avons entendu ce propos dans d'autres bouches, pointant des contrats très contraignants pour l'État. Les sociétés d'autoroutes disent que les contrats sont à l'avantage de l'État, qui dit évidemment autre chose. Nous pouvons citer aussi le rapport de l'Autorité de la concurrence de 2014, et celui de la Cour des comptes.

D'autres sujets que la hausse des tarifs sont-ils abordés en comité des usagers ? Êtes-vous consultés sur des problèmes de sécurité - liés aux bandes d'arrêt d'urgence dans les tunnels, par exemple - ou ces sujets sont-ils entendus aimablement, mais sans qu'il y ait forcément de suite ? Aspireriez-vous à une autre prise en compte des souhaits des gens que vous représentez ?

Je ne souhaite pas non plus que notre rapport ne soit qu'un rapport « de plus », comme cela est trop souvent dit lorsqu'un rapport paraît. Un rapport est un outil, un constat. Charge à nous, l'ensemble des citoyens, de nous en emparer et de peser dans le sens des questions qui y sont soulevées.

S'agissant de la gestion qui suivra la fin des concessions, l'idée de régie ou d'une DSP est-elle portée par l'ensemble des associations ? Peut-on imaginer d'autres types d'interventions publiques dans la gestion de ce qui reste effectivement un service public, à savoir la route ? Avez-vous une vision précise de l'avenir pour la gestion du réseau autoroutier français ?

Existe-t-il une explication à la grande proximité géographique du péage de Saint-Arnoult, sur l'A10, par rapport à Paris ?

Debut de section - Permalien
Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR)

En comité des usagers, nous pouvons évoquer d'autres sujets, mais pas le fond des solutions. J'ai mentionné plus haut ce qui s'est passé pendant la crise du covid-19. Dès le samedi, lorsque le Gouvernement a annoncé la fermeture des centres de restauration à minuit, celle-ci s'est faite immédiatement sur les autoroutes. Personne n'a pensé au sort des conducteurs routiers ! Puis le confinement est arrivé. Raconter tout ce qui n'a pas été pensé avant pour le transport routier demanderait un roman. Nous nous sommes retrouvés avec des conditions d'accueil épouvantables. Il a fallu une semaine avant que des corners de restauration commencent à rouvrir. Cela reste un problème, en raison de la longueur des procédures sanitaires de nettoyage des douches et sanitaires. Ces procédures sont dans l'intérêt de tous et nous ne les critiquerons pas, mais elles risquent de retarder la pause des conducteurs, qui ne peuvent donc parfois pas prendre de douche.

Nous en parlerons peut-être au prochain comité, mais ce n'est pas cela la solution. Nous aurions dû y penser avant, ou prévoir un moyen d'urgence de signaler un problème général aux sociétés concernées. La réunion de ce comité est une forme typique de réunion ponctuelle qui sert à présenter des choses sur lesquelles nous n'avons pas notre mot à dire. Les contrats de concession sont tellement verrouillés qu'on nous met devant le fait accompli.

Vous évoquez avec raison l'avenir du réseau autoroutier. Il faut à mon sens l'aborder globalement dans une politique nationale d'infrastructure. On ne peut se contenter de se demander si l'on reprend ou non les concessions. La question est de savoir ce que l'on veut pour améliorer globalement les infrastructures de notre pays. Votre commission d'enquête travaille sur un aspect précis, mais nous ne pouvons laisser cette question de côté. Le débat va revenir : comment finance-t-on la remise à niveau du reste du réseau ?

Dans la Convention citoyenne pour le climat a été évoquée une vignette, pour des raisons peu claires. Cette idée avait été rejetée par le rapport Chanteguet en 2014. Jusqu'à présent, la vignette nous avait été présentée comme devant servir au financement des infrastructures. Or la directive Eurovignette souligne que l'on ne peut taxer deux fois un même tronçon de route. La vignette est temporelle - elle s'applique à la journée, au mois, à l'année - et les péages, qui relèvent aussi de la directive Eurovignette, sont une redevance au kilomètre. Si vous mettez une vignette à la journée alors que vous devez prendre le réseau concédé, vous payez deux fois !

Quelle que soit la solution retenue à la fin des concessions - sachant que d'autres projets d'autoroutes sont prévus avec des mises en concession -, que l'on garde ou non ce modèle, nous savons que nous continuerons à payer. Cependant, ce qui nous importe, c'est que ces recettes puissent bénéficier à l'ensemble des infrastructures de transport. Il ne faudrait pas que l'on continue à avoir d'un côté des autoroutes en bon état et de l'autre un réseau mal entretenu. Ce n'est dans l'intérêt de personne. Quelle que soit la solution préconisée par votre commission, pour nous, l'approche doit être globale au bénéfice de l'état des infrastructures de notre pays.

Debut de section - Permalien
Gérard Allard, membre du réseau Transports et mobilité durables de France nature environnement (FNE)

J'ai vécu dix ans de comité des usagers. Il a beaucoup baissé en intensité. Avant 2010, il y avait quatre ou cinq réunions annuelles avec des groupes de travail - sur le fonctionnement des aires de service par exemple, ou sur la signalétique. Les sujets abordés étaient nombreux, comme l'affichage des temps de parcours sur le réseau national routier, ou les évolutions de la présentation de la radio 107.7. Nous faisions des retours d'expérience sur les événements neigeux. Or, au fur et à mesure, nous sommes tombés à deux réunions par an, portant sur les tarifs. En novembre 2019, une réunion a été organisée à la demande des transporteurs routiers pour fixer un cadre du niveau d'augmentation des péages. Cela a été une avancée. Cependant, dans l'ensemble, cela a baissé en intensité.

En 2015, lors du gel des tarifs des péages - rattrapé par une hausse lissée sur plusieurs années, que nous payons maintenant -, nous n'avons pas été prévenus. De même, en 2019, lors de l'instauration de tarifs pour usagers fréquents, la réunion du comité a eu lieu le 14 février alors que les tarifs avaient augmenté le 1er février.

Il faut effectivement donner un second souffle au comité, pour qu'il soit force de proposition, avec des groupes de travail. Ce comité pourrait travailler sur les sujets environnementaux. Je m'aperçois aussi que les responsables du ministère sont plus « loquaces » lorsqu'un parlementaire est présent.

J'ai évoqué notre position sur le futur des autoroutes. Un rapport de Jean-Paul Chanteguet parlait déjà d'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), et portait des propositions visant une meilleure maîtrise par l'État de l'évolution des autoroutes.

Jean-Paul Chanteguet avait dit dans son rapport que la vignette « poids lourds » était impossible à appliquer. Je ne comprends pas pourquoi Mme Borne l'a reproposée il y a deux ans ! Nous avons toujours défendu l'écotaxe. C'était une taxe kilométrique « poids lourds » qui faisait payer le même prix à tous les transporteurs routiers, étrangers ou français. La vignette sera à mon sens inapplicable.

Debut de section - Permalien
Dominique Allaume Bobe, présidente du département habitat-cadre de vie et transports de l'Union nationale des associations familiales (UNAF)

Nous ne participons pas aux réunions du comité des usagers. Je ne peux donc rien en dire.

La question de l'avenir des concessions relève d'un domaine un peu technique pour nous. Je suis aussi embarrassée pour vous répondre.

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Lagron, président de l'association « A10 gratuite »

La raison de la présence d'un péage à 23 kilomètres de Paris est très simple. Cette concession a été attribuée en 1970. C'était la première concession strictement privée. Le concessionnaire pressenti a exigé que la concession soit payante au plus près de Paris. Plus l'on est proche du centre des agglomérations, plus la tirelire se remplit ! C'est l'unique raison pour laquelle nous avons cette situation inique dans ce secteur territorial du Sud francilien.

Pour la suite des concessions, nous avons des débats fréquents avec les élus locaux et les parlementaires. Si les avis convergent sur la situation actuelle, ils peuvent diverger concernant l'avenir.

L'État doit reprendre en main les concessions autoroutières. Il faut effectivement une vision globale des infrastructures de transport. Il faut cesser de garder les autoroutes dans un « ghetto » à part, comme nous l'avons vu dans le cadre du débat sur la loi d'orientation des mobilités. Il faut une réponse globale publique aux besoins de transport et de mobilité en France. C'est pourquoi j'ai dit que les autoroutes devaient être intégrées à l'ensemble du dispositif de transport national.

J'entends chez les usagers que ce sera un rapport de plus parmi tous ceux établis depuis quinze ans. Très franchement, je ne le pense pas. Quant à nous, nous espérons vraiment qu'il permettra de faire avancer les rapports de force politique entre les concessionnaires et l'État. Et même si nous attendons vos conclusions, le travail que vous avez réalisé nous donne confiance. Je tiens donc à corriger mon propos, s'il a pu être pris négativement.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Dagbert

Merci pour la qualité de vos échanges et les apports qui sont les vôtres à notre réflexion.

Vous avez évoqué la LOM ainsi que le Conseil d'orientation des infrastructures. Je peux en témoigner, le Sénat réalise de nombreuses autres missions. Il y a peu de temps, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a conduit une étude sur les infrastructures, notamment sur les ouvrages d'art tels que les ponts et ouvrages de soutènement. Nous avons constaté que les autoroutes sont plutôt correctement entretenues, mais le reste du réseau pose de nombreux problèmes, notamment au regard de son financement.

Le rapport de notre commission d'enquête, qui sera disponible à la mi-septembre, permettra aux élus et aux associations d'avoir une vision plus large, en complément d'autres travaux que vous avez contribué à enrichir. Nous ne travaillons pas en tuyaux d'orgue, nous essayons, au travers d'une mission d'enquête, de voir les connexions qui peuvent se faire pour faire progesser la prise de conscience. Peut-être conviendra-t-il de faire un peu de lobbying pour faire en sorte que les pistes qui nous semblent crédibles soient suivies afin de rectifier des décisions qui ont été prises ici ou là.

Debut de section - Permalien
Dominique Allaume Bobe, présidente du département habitat-cadre de vie et transports de l'Union nationale des associations familiales (UNAF)

J'ai parlé tout à l'heure de covoiturage et on sait que le péage peut être modulé selon le nombre de personnes à bord de la voiture. C'est intéressant pour les gens de banlieue, mais ça l'est aussi pour les familles : il faut en tenir compte dans la modulation de péage. C'est un point très important pour les familles.

Debut de section - Permalien
Gérard Allard, membre du réseau Transports et mobilité durables de France nature environnement (FNE)

En conclusion, je rejoindrai les propos de Mme Berthelot. Il faut que notre système de financement concerne toutes les infrastructures, y compris les modes alternatifs. Pour nous, l'Afitf est un excellent outil d'orientation des investissements à faire dans les infrastructures.

Je suis parfaitement d'accord, il faut remettre à niveau le réseau routier national en le sécurisant plus encore et, peut-être, en arrêtant, je l'ai dit, la construction d'autoroutes sous concession.

Il y a eu des rapports sur l'état du réseau national routier non concédé. Or manquent à l'appel 200 millions d'euros annuels dans la LOM pour qu'il reste au niveau actuel, alors même que celui-ci est dégradé.

Vous ne serez pas étonné que j'insiste sur les enjeux environnementaux. Nous avons évoqué les émissions polluantes des véhicules, mais également l'infrastructure. Il faut renforcer la continuité écologique. Le plan d'investissement autoroutier (PIA) de 700 millions d'euros va permettre la construction de 80 kilomètres liés à l'hydraulique sur un réseau de 9 000 kilomètres. C'est une bonne perspective, mais il y a énormément de retard.

Lorsque les concessions seront arrivées à terme, nous souhaitons qu'un bilan environnemental de l'infrastructure soit dressé, et j'espère qu'on aura réussi à rattraper tout le retard qu'on a pris en la matière.

Debut de section - Permalien
Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR)

Une fois de plus, il faudra arrêter de regarder le secteur du transport routier comme un simple financeur, car c'est aussi un contributeur. Comme je vous l'ai dit, lors de l'abandon de l'écotaxe, on a augmenté de 4 centimes la fiscalité sur le carburant. C'est devenu le support alibi, et je le dis comme nous nous le pensons, du financement des infrastructures. Ces 4 centimes introduits en 2015 devaient rapporter pour notre secteur 400 millions d'euros. Ils ont effectivement été affectés aux infrastructures en 2015, mais sont tombés ensuite dans le budget général de l'État.

On fait exactement la même chose pour l'augmentation de 2 centimes d'euros appliquée en début d'année - on n'est pas d'accord sur les chiffres avec le ministère, car on considère qu'on est plus proche de 200 millions d'euros que des 240. Ils devraient être affectés à l'Afitf, alors qu'il fallait 600 millions. On ajouterait la taxe sur le transport aérien. En somme, on s'aperçoit qu'on est en train de tourner autour des modes de financement les plus curieux - pour ne pas dire plus -à propos des infrastructures. Et l'année prochaine, ce sera encore autre chose, et tout cela sous couvert de protection de l'environnement.

Alors qu'on a des propositions proactives, on nous supprime telle ristourne au prétexte qu'elle sera dévolue au financement des infrastructures. Mais, à la fin, tout part dans le budget de l'État.

On nous dit qu'il faudrait prévoir une taxe spécifique pour nous sauver. Commençons par mieux utiliser l'argent dont nous disposons. Les recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) dépassent les 40 milliards d'euros alors que, d'année en année, on manque d'argent pour les infrastructures. C'est un choix politique. On a l'impression de remplir un tonneau qui n'a pas de fond. C'est une politique de courte vue.

On passe pour des acteurs qui ne sont pas en capacité de faire des propositions en matière environnementale, alors qu'on est tout à fait en mesure de le faire. On nous reproche de toujours protester contre des augmentations. D'ailleurs, les transporteurs étrangers sont souvent l'alibi. Sauf qu'ils n'ont pas les problèmes de compétitivité que nous avons. Et c'est un problème que notre propre pays, sous couvert de taxer des étrangers, finisse par plus taxer les entreprises nationales. Mais c'est là un autre débat.

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Lagron, président de l'association « A10 gratuite »

Je ferai deux remarques. Il reste une quinzaine d'années avant la fin des concessions autoroutières.

Premièrement, il faut vraiment réfléchir publiquement, et non pas dans le secret, à ce qu'on fera des concessions dans quinze ans. Les citoyens, les associations et les élus locaux doivent donner leur avis sur l'avenir des concessions autoroutières. N'attendons pas que les choses soient décidées dans le secret des ministères.

Deuxièmement, quinze ans, c'est proche et long à la fois. On ne peut pas laisser le système concédé en l'état pendant quinze ans. Il faut prendre dès maintenant des mesures significatives pour faire évoluer le secteur autoroutier concédé et le secteur autoroutier historique concédé. L'une des priorités est de répondre au problème des trajets domicile/travail des salariés, qui, chaque jour, sont contraints d'utiliser leur voiture pour aller travailler, du fait de l'aménagement du territoire. Il faut prioritairement formuler des propositions très concrètes et significatives pour alléger la charge que cela représente dans le budget des ménages.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Merci aux associations présentes de votre participation. Notre souhait est d'être transparent et clair sur ce sujet, et que celui-ci soit mis sur la place publique. Nous voulons que les usagers puissent avoir un véritable rôle à jouer.

Je retiens des propos de M. Allard qu'il est souhaitable que les parlementaires soient associés, au vu de la probable implication supplémentaire de la part des services de l'État, voire des sociétés concessionnaires. Cette idée peut effectivement faire partie de nos propositions : nous pouvons faire un travail de partenariat, de suivi, plutôt que d'être une chambre d'enregistrement. Je souhaite que vous diffusiez notre rapport, qui tracera des perspectives d'avenir intéressantes.

Je partage vos propos, monsieur Lagron : on ne peut pas ne rien faire pendant quinze ans. C'est sans doute le souhait des sociétés concessionnaires, mais ce n'est pas raisonnable.

Nous allons proposer des évolutions quant aux tarifs professionnels, environnementaux, familiaux ou de covoiturage - je vous rejoins, madame Allaume Bobe, sur les tarifs familiaux et de covoiturage. Nous souhaitons faire oeuvre utile, dans l'intérêt des usagers, des transports routiers, du contribuable, ainsi que de celui de l'État, parce que nous avons intérêt à avoir un pays qui soit performant dans ses infrastructures.

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Merci à tous pour vos contributions.

La réunion est close à 15 h 35.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.