La réunion est ouverte à 14 heures.
Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Laurent Solly, directeur général de Facebook France.
Monsieur Solly, le monde public ne vous est pas inconnu, puisque vous avez exercé des fonctions dans l'administration et en cabinet. Vous avez rejoint le secteur privé en 2007, chez TF1, puis chez Facebook en 2013, comme directeur général, fonction que vous exercez toujours et au titre de laquelle nous vous auditionnons.
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que votre entreprise revient très souvent dans nos travaux, par différents biais : son rôle dans l'accès à l'information, en France et dans le monde, sa captation des revenus publicitaires, préjudiciable, selon certains, au secteur traditionnel des médias, et son impact sur le débat politique. Plus largement, Facebook s'est imposé comme un acteur majeur dans la vie de dizaines de millions de nos concitoyens.
Dans le cadre de nos travaux, vous apparaissez essentiellement sous trois modalités. Tout d'abord, votre succès pousse les médias traditionnels à se réformer en profondeur : vous êtes donc un moteur de changement. Ensuite, certains estiment que votre part dans le marché publicitaire menace très directement les ressources de la presse traditionnelle et constitue donc une menace qui mérite une régulation. Enfin, votre rôle de filtre dans l'accès à l'information, qui vous positionne presque comme un éditeur, est régulièrement souligné, certains vous assimilant à un média à part entière.
Vous le voyez, nos interrogations sont nombreuses, et nous attendons un échange franc avec vous.
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Solly prête serment.
Je vous remercie pour votre invitation à échanger sur la dynamique du paysage médiatique et digital.
Notre entreprise est composée de réseaux sociaux, Facebook et Instagram, et de messageries, Messenger et WhatsApp, rassemblant 3,6 milliards d'utilisateurs dans le monde, dont plusieurs dizaines de millions dans notre pays. Ces services sont utilisés par chacun d'entre vous pour partager ses activités auprès de ses amis et de ses communautés. Telle est l'origine de Facebook, il y a dix-huit ans.
Des services de partage de contenus permettent aux médias et aux titres de presse de toucher de nouveaux publics. Ils ont donc recours à nos services, car ceux-ci apportent de la valeur. Les contenus ne sont pour l'essentiel pas lus sur nos services, qui renvoient vers leurs sites d'origine, générant du trafic et des revenus pour d'autres acteurs.
En 2020, le fil d'actualité de Facebook a renvoyé plus de 180 milliards de clics vers les éditeurs de presse, soit un trafic estimé à 9 milliards de dollars. J'insiste sur la gratuité de nos services pour tous.
Les médias, pour nous, ne sont cependant pas des utilisateurs comme les autres. La presse, comme source d'information de qualité, joue un rôle important dans nos sociétés. C'est pourquoi Meta, le nouveau nom de notre société, accompagne les médias et les groupes de presse en leur proposant des outils et des programmes spécifiques et gratuits. En France, une équipe y est consacrée.
Dans le monde, depuis 2018, nous avons dépensé 800 millions de dollars pour soutenir les entreprises de médias. Au cours des trois prochaines années, nous avons annoncé un investissement de 1 milliard de dollars supplémentaires.
Quelques exemples : en 2019, nous avons lancé un programme d'accélération pour la presse quotidienne régionale, avec onze éditeurs régionaux. En un an, on enregistre plus de 25 000 abonnés payants supplémentaires, 300 000 abonnés de plus aux newsletters et 8,5 millions d'euros de valeur créés pour ces éditeurs. Un autre exemple est le lancement très prochainement de Facebook News qui permettra aux éditeurs de presse de faire figurer leur contenu dans un espace dédié : la France sera le quatrième pays, après les États-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni, à en bénéficier.
Nous lançons aussi, depuis longtemps, des initiatives pour aider nos partenaires à comprendre la transformation numérique comme une opportunité de transformer leur activité. Le partenariat le plus réussi en Europe est celui engagé depuis six ans avec Le Monde : nous les aidons à accroître massivement leur nombre d'abonnés numériques, qui a atteint 500 000 en 2021. Louis Dreyfus, président du directoire du groupe, a ainsi reconnu que Facebook représentait 10 % de ses recrutements d'abonnés, que nous étions son principal partenaire externe et que Facebook était une aide majeure pour l'adaptation à de nouveaux modèles économiques.
Nous développons aussi l'usage des vidéos de l'audiovisuel français sur internet : depuis trois ans, nous travaillons avec M6. Nous avons aussi un partenariat avec Canal+, Media One, mais aussi le service public, avec l'Institut national de l'audiovisuel (INA), qui a connu un très fort développement. Nous soutenons aussi depuis des années la création de nouveaux médias, comme Brut, Loopsider ou Konbini, que nous accompagnons depuis leur naissance.
Enfin, Meta applique la loi sur les droits voisins. Nous n'avons subi aucun contentieux et avons négocié longuement, mais de bonne foi, avec les éditeurs de presse, notamment avec l'Alliance de la presse d'intérêt général (APIG), avec laquelle un accord est conclu depuis plusieurs mois. Les discussions se poursuivent avec les autres organismes.
Enfin, notre modèle économique est celui de services gratuits financés par la publicité personnalisée. Le marché de la publicité en France est dynamique. Celui de la communication représente 30 milliards d'euros, dont 15 milliards d'euros pour la publicité. L'Institut de recherches et d'études publicitaires (IREP) et France Pub publieront prochainement leurs chiffres. Le syndicat des régies internet (SRI) a indiqué, il y a quelques jours, que le marché numérique de la publicité représentait 7,7 milliards d'euros. Une étude du cabinet Asterès a montré en 2021 à quel point ce dernier était dynamique et entraînait tout le marché de la publicité en France, à hauteur d'un accroissement de chiffre d'affaires de 3,6 milliards d'euros. Le numérique abaisse la barrière à l'entrée pour la publicité, y compris pour les petites et moyennes entreprises, les commerçants de quartier et les start-up, avec un ticket d'entrée à partir de quelques dizaines d'euros. Le cabinet Asterès estime ainsi que la publicité en ligne a permis une augmentation de 80 % du nombre d'annonceurs depuis 2014.
Nous opérons dans un contexte concurrentiel, avec les médias traditionnels qui ont digitalisé leurs services, donc leur publicité, mais aussi avec Google, Amazon, Apple, Twitter, Snapchat, TikTok, LinkedIn, mais aussi des entreprises françaises comme Leboncoin, dont 16 % du chiffre d'affaires provient de la publicité.
Votre entreprise est largement citée par les grands propriétaires de médias français, que ce soit Vincent Bolloré, Bernard Arnault ou encore Patrick Drahi. Selon eux, les géants du net, dont Facebook, sont leurs vrais concurrents et la principale source de dangers.
Vous êtes considéré comme un hébergeur, échappant à ce titre à des régulations et à des devoirs pesant sur les éditeurs. Or vos activités s'apparentent à celles d'un éditeur. Vous affirmez ne faire que transmettre de contenus, mais le tri opéré par les algorithmes traduit un choix subjectif de ce qui sera porté à la connaissance de tous, ce qui est finalement un travail de journalisme et de rédaction, en d'autres termes de sélection de l'information.
À ce titre, vous êtes aussi un acteur concentré par vous-même : Meta est l'agrégation de plusieurs médias, comme vous l'avez dit. Votre position dominante est réelle vis-à-vis des jeunes : une étude de Diplomeo montre que 73 % des 16-25 ans indiquent s'informer essentiellement via les réseaux sociaux. Vous êtes dans la position, par les algorithmes, de décider de ce qu'ils verront en premier. Ne pensez-vous pas avoir des responsabilités particulières à l'égard de ce public, pas seulement comme hébergeur, même responsable, mais surtout comme éditeur ?
Nous nous pensons non pas comme un éditeur, mais bien comme un hébergeur et une plateforme d'un type nouveau. Je rappelle que Facebook est un réseau social dont l'objet premier est de pouvoir publier l'activité de sa vie pour ses amis. Le contenu de l'information produit par les entreprises de presse, de radio et d'audiovisuel représente une infime minorité du contenu lu sur le fil d'actualité : environ 4 % selon nos études.
Cependant, entre la presse - ces 4 % - et les photos de famille, il y a une zone grise de fake news et de petits sites.
Monsieur le rapporteur, le fil d'actualité, sur Facebook, est personnalisé pour chaque utilisateur. En France, on a 40 millions de fils d'actualité différents. C'est l'essence même d'un réseau social. Nous serions, à vos yeux, un éditeur : cela voudrait dire que nous avons une activité interne d'édition. Or aucune équipe, chez nous, n'a de travail de rédaction, de curation ou de sélection de contenus.
Ensuite, les éditeurs de presse et les grands médias choisissent eux-mêmes de venir sur Facebook, sur une plateforme que nous appelons opt-in. Là encore, aucune équipe de notre entreprise ne va rechercher de contenus de ces éditeurs, ce qui nous différencie d'autres plateformes. Toutes les entreprises qui utilisent nos services viennent d'elles-mêmes. C'est pourquoi, fondamentalement, nous ne nous considérons pas comme un éditeur.
Vous mentionnez les algorithmes : ceux-ci ont pour objet de vous présenter les contenus, qu'ils viennent de vos amis, de vos familles ou d'ailleurs, en fonction vos intérêts et de votre activité sur Facebook. Vos likes et vos commentaires orientent ces algorithmes. Cela dit, depuis trois ans, nous avons donné aux utilisateurs des outils de contrôle précis sur leur fil d'actualité. Là encore, à travers ces algorithmes, nous ne faisons pas un travail d'éditeur. Nous développons ces outils depuis le début, au bénéfice des utilisateurs.
Je vais plus loin : ces outils permettent aussi de contrôler les contenus que vous voulez voir ou ne pas voir. Sur chaque post Facebook, vous avez accès au menu de gestionnaire des contenus.
Néanmoins, vous avez raison, nous avons une responsabilité particulière sur les contenus, non pas celle d'un éditeur, mais celle d'une grande plateforme rassemblant des millions d'utilisateurs.
Enfin, beaucoup de jeunes utilisent nos plateformes, mais la concurrence est très vive : Google, YouTube, Snapchat, TikTok, Twitter sont autant de plateformes à succès. Sur l'information, nous sommes en concurrence avec eux, mais aussi avec l'ensemble des acteurs traditionnels. Or ces derniers conservent un poids très important dans l'information du public.
J'ai insisté sur les jeunes, car le taux de 73 % est écrasant, alors que vos seuls concurrents sont les autres plateformes étrangères. C'est une question de souveraineté, soulevée par les personnes que nous avons auditionnées, alors que vous êtes soumis à des règles fiscales et de contenus moins contraignantes que celles auxquelles sont soumises les entreprises françaises.
J'en arrive à une autre question, posée à l'Autorité de la concurrence et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Pour la fusion de TF1 et de M6 est avancé l'argument selon lequel il faudrait considérer un marché publicitaire unifié, ce qui permettrait de reconnaître qu'ils ne sont pas en position dominante sur l'audiovisuel. Un tel marché regrouperait, outre l'audiovisuel, Facebook et Google, qui représentent 54 % de l'ensemble de la publicité numérique. Quelle est votre position sur cette discussion en cours ?
Sur le projet de fusion que vous évoquez, en tant qu'entreprise, je n'ai pas de commentaire particulier à formuler.
Sur le sujet du marché lui-même, je ne suis pas compétent pour décider de la pertinence du découpage entre marchés. C'est le travail de l'Autorité de la concurrence, qui est saisie.
Je dispose d'un chiffre plus précis que celui que j'évoquais à l'instant : en réalité, c'est 75 % de la publicité en ligne qui est captée par votre entreprise et par Google.
Le 3 février dernier, le SRI et l'Union des entreprises de conseil et d'achat média (Udecam), dont vous avez reçu le dirigeant, M. Gautier Picquet, ce matin, ont publié la dernière édition de l'Observatoire de la publicité digitale. Ils estiment le marché de la publicité digitale en France à 7,7 milliards d'euros. La publicité de type search, qui est essentiellement l'activité de Google et qui est en croissance de 28 %, est estimée à 3,2 milliards d'euros ; celui de l'activité sociale, qui est la source de nos revenus mais où nous ne sommes pas seuls, à 2,2 milliards d'euros, en croissance de 22 %. Enfin, le display est évalué à 1,5 milliard d'euros, en croissance de 31 %. C'est dans ce dernier que l'on retrouve les médias traditionnels. Même si l'on additionnait tout le search et le social, on atteindrait 5,2 milliards, soit moins que les 75 % annoncés.
Les chiffres nous ont été présentés par M. Pierre Louette, que nous avons reçu. Nous avons aussi reçu une étude de Benjamin Sabbah, enseignement à l'École supérieure de journalisme (ESJ) / Sciences Po Lille.
Peut-être pourriez-vous nous présenter vos chiffres ; le débat serait alors tranché sans appel.
Pour 2020, le chiffre d'affaires est de 616 millions d'euros pour Facebook France. Nous publierons celui de 2021 en mars.
Nous disposons de chiffres précis pour la publicité traditionnelle, mais seulement d'estimations pour le numérique.
Nos chiffres sont publics sur Infogreffe, pour la SARL Facebook France. Nous publierons en mars notre chiffre d'affaires pour 2021, avec une croissance forte par rapport à 2020. La croissance mondiale de Facebook a été de 37 %.
En considérant cette croissance, on arrivera à 1 milliard d'euros environ.
Cependant, les chiffres de l'Observatoire de la publicité numérique publiés le 3 février ne montrent pas que notre part de marché, avec Google, atteint 75 %. Nous sommes, certes, un acteur important, mais le marché de la communication globale, je le rappelle, atteint 30 milliards d'euros, dont un peu plus de 15 milliards d'euros pour la publicité et 7,7 milliards d'euros pour la publicité digitale.
Prenez le marché de la publicité sociale, que nous ne couvrons pas complètement, qui est de 2 milliards d'euros : cela représente 26 % de la publicité numérique, et 13 % de l'ensemble de la publicité. Nous sommes loin de ce que vous déclarez.
Je ne déclare rien : je ne fais que relayer des chiffres donnés par des spécialistes. Je n'ai rien inventé.
Je tiens à votre disposition les chiffres que je vous ai communiqués.
Pour notre part, au-delà des marchés pertinents, nous cherchons à montrer à tous les annonceurs français que nos produits et nos outils sont efficaces. C'est le critère d'arbitrage des annonceurs.
Vous avez mentionné les droits voisins : en la matière, malheureusement, l'évolution est lente et assez opaque. Vous avez passé, il y a quelques mois, un accord avec l'APIG, qui, du reste, ne représente qu'une partie de la presse. Or je suis choqué par le fait que les montants que recouvre cet accord soient tenus secrets.
Nous avons entendu, en tant que législateurs, favoriser la plus grande transparence et équité possible. Comment justifiez-vous cette opacité ? Quel est le montant de cet accord ?
Tout d'abord, je vous remercie de rappeler que nous avons trouvé cet accord avec l'APIG, ainsi qu'avec Le Monde ou Le Figaro, qui ont souhaité des accords particuliers hors du cadre de l'Alliance.
Et le reste, la presse professionnelle, les magazines ? Il ne faut pas les oublier.
Je ne les oublie pas. Cependant, nous avons, dès la publication de la loi de la République, cherché à l'appliquer, et nous n'avons subi aucun contentieux en application de ce texte.
Pourquoi ne puis-je vous donner le montant ? Tout d'abord, nous sommes en négociation avec d'autres organismes de gestion collective, dont le syndicat gérant les magazines. De plus, les accords déjà passés sont de nature contractuelle. Il ne nous appartient pas de dévoiler, à nous seuls, ces montants, que les autres acteurs n'ont pas dévoilés non plus.
Si l'un de ces acteurs devait nous donner ce montant, le pourrait-il ? Les autres nous ont dit qu'ils étaient tenus au secret par vous.
Ce n'est pas toujours ce que j'ai entendu de mon côté...
Troisième élément, ceux avec qui nous avons conclu cet accord sont aussi nos partenaires sur d'autres sujets. Nous travaillons depuis longtemps avec eux. S'ils ont signé, c'est qu'ils y ont vu un intérêt pour leurs entreprises.
Vous comprenez bien que l'on peut signer un accord, pas forcément parce qu'on le trouve bon, mais parce que l'on préfère toucher peu que rien du tout.
Nous avons passé deux ans à négocier. Si le texte que vous avez voté est clair, son exécution, pour les plateformes comme la nôtre, qui ne font pas de curation de contenus, mais dont les utilisateurs décident librement et gratuitement d'utiliser nos services, représente une évolution compliquée. Ces deux années ont été constructives. Il me semble que Pierre Louette, président de l'Alliance, est satisfait de ces accords.
Vous insistez sur la possibilité pour les utilisateurs de choisir leurs outils de contrôle. Toutefois, votre société a elle-même un contrôle sur les flux d'information, sur la réalité duquel existe une opacité.
Nous avons très peu d'informations sur les médiateurs : combien de médiateurs francophones interviennent sur Facebook ?
En matière de transparence des algorithmes, comment une information est-elle mise en évidence pour les utilisateurs, sans prendre en compte les outils de contrôle mis à la disposition de ces derniers ?
Sur la modération, les standards de la communauté définissent les contenus qui peuvent ou ne peuvent pas être publiés sur Facebook et sur Instagram. Nous déployons des moyens technologiques et humains considérables pour les faire respecter.
Depuis 2016, nous avons investi 13 milliards de dollars sur cette modération, dont 5 milliards en 2021. Le premier pilier a été le développement d'intelligences artificielles, avec le deep learning et le machine learning, en particulier dans notre laboratoire de Paris, qui est le principal laboratoire privé d'intelligence artificielle en Europe. Ces outils permettent de bloquer a priori certains contenus, alors qu'il y a six ans le contrôle était essentiellement a posteriori, après signalement par les utilisateurs. Les résultats sont probants : les contenus terroristes sont bloqués à 99,6 % par ces outils, et les contenus de haine, pour le dernier trimestre 2021, à 93 %. Nous publions aussi un indicateur de prévalence : il est de 0,03 % pour les contenus de haine. En d'autres termes, sur 10 000 contenus, vous visualiserez 3 contenus de haine. Ces recherches sont d'ailleurs publiques et partagées avec les grands acteurs digitaux du monde.
La modération humaine est le deuxième pilier, avec 40 000 personnes travaillant sur la sécurité des plateformes et 15 000 modérateurs, en 70 langues. Nous ne donnons pas la répartition par langue pour des raisons de confidentialité et d'efficacité. En revanche, tous les trimestres, nous publions un rapport complet sur l'ensemble des actions de modération et de blocage - je le tiens à votre disposition. Peu d'entreprises digitales font autant d'efforts.
L'Union européenne a publié une étude il y a deux ans qui montrait que Facebook était l'entreprise la plus efficace en matière de retraits sous 24 heures.
En matière de transparence, nous ne pouvons pas tout révéler, car certaines structures cherchent à faire un usage malicieux de nos plateformes. Ainsi, nous interrompons régulièrement des tentatives d'interférence sur nos plateformes : 150 depuis 2017.
En revanche, sur chaque contenu visible, nous expliquons comment les algorithmes fonctionnent et mettons les outils de contrôle à la disposition des utilisateurs. Nous les incitons à s'en servir. L'outil de gestion de préférences publicitaires aide à comprendre pourquoi vous avez vu certains contenus et vous permet de masquer ceux que vous souhaitez, y compris en écartant les publicités de certaines marques.
Vous avez annoncé l'espace Facebook News. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Par ailleurs, en février, Facebook a perdu près de 200 milliards de dollars en bourse. Des utilisateurs pourraient être tentés de rejoindre d'autres canaux et votre base est vieillissante face à d'autres réseaux, comme TikTok. Quels projets de croissance, vers le métavers, ou encore externes, envisagez-vous ?
Le fil d'actualité de Facebook n'est pas le lieu naturel de destination de l'information. Utilisez-vous Facebook ?
Ou heureusement, oui !
L'outil principal que vous utilisez est votre fil d'actualité. Mais vous trouvez aussi d'autres fonctionnalités, comme Facebook Watch, consacré aux vidéos. Facebook News sera prochainement lancé, et sera réservé aux médias que vous consultez. Outre la praticité pour l'utilisateur, l'intérêt est de lutter contre les informations moins fiables.
Comme sur le fil d'actualité, vous pourrez ensuite organiser cet espace, en classant les informations sportives, économiques, politiques, etc. Cette fonctionnalité est déjà largement utilisée aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Sur la capitalisation boursière, nous avons annoncé nos résultats et nos perspectives de croissance, face auxquels il y a une correction boursière, comme cela arrive dans l'histoire des entreprises.
Vous avez raison, nous sommes dans un fort contexte concurrentiel, notamment à l'égard des jeunes, avec un environnement digital multi-applications que nous appelons de nos voeux depuis longtemps. Facebook est né il y a dix-huit ans et a racheté Instagram en 2012. Depuis, de nombreux services sociaux sont nés : ce sont des compétiteurs. Notre travail est d'attirer des gens vers nos produits, mais le paysage digital a, en effet, largement changé en cinq ou six ans. Il nous incombe, par l'innovation, de rester attractifs.
En changeant de nom, l'entreprise a annoncé son ambition de construire des métavers, espaces virtuels permettant de vivre des expériences. Au-delà de Facebook, c'est un mouvement de fond, en particulier en France - je pense à The Sandbox. Notre stratégie est d'être leader de cette nouvelle frontière de la révolution digitale. Nous verrons, dans les années qui viennent, comment ces métavers pourront être interopérables.
Comme vous nous y invitiez, je consulte à l'instant les outils de contrôle sur le fil d'actualité : je tombe très vite sur une page en anglais. Il y a encore des progrès à faire...
Ce que vous dites m'étonne : tout devrait être en français.
J'ai l'impression d'être dans la fable de la Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le boeuf : on poursuit des groupes toujours plus importants. Avec le passé qui est le vôtre, envisagez-vous de vous rapprocher de groupes audiovisuels ?
Quelles seraient les conséquences des difficultés boursières de Facebook au niveau français ?
Selon ce que nous avons entendu ce matin, vous seriez en troisième position sur les recettes publicitaires en France, avec 1,4 milliard d'euros. Pouvez-vous nous confirmer ce chiffre ?
Le chiffre précis sera prochainement publié. Je vous ai déjà donné notre tendance de croissance.
Sur les rapprochements avec l'audiovisuel, cela n'a jamais été notre stratégie, ni en Europe ni aux États-Unis. Nous sommes toujours restés proches de notre mission première, qui consiste à connecter les gens et le monde. Instagram et WhatsApp sont dans cette même logique. La stratégie dévoilée par Mark Zuckerberg il y a quelques mois est que Facebook soit pionnier et si possible leader sur les métavers.
L'action a chuté, effectivement. Je suis là depuis neuf ans, et j'ai déjà vécu des événements similaires. Cela n'a pas d'impact direct sur nos résultats et sur notre activité. Le titre a, en outre, repris 5 % hier.
Vous affirmez être non pas un éditeur, mais une grande plateforme responsable. Vous considérez-vous alors comme un média ?
Non, nous ne nous considérons pas comme un média.
Cependant, votre coeur de réacteur est l'algorithme. Comment celui-ci a-t-il évolué ?
Comment garantissez-vous la pluralité de l'information ?
Tout à l'heure, vous avez dit que l'utilisateur était son propre producteur d'information dans la mesure où les algorithmes profilent et amènent à une forme d'enfermement intellectuel. L'impact idéologique et économique est réel.
Au reste, les deux questions sont liées... Nous attendons votre réponse pour nous faire un jugement sur ce que l'on peut qualifier, ou non, de média.
Sur le pluralisme et le thème de l'enfermement dans des « bulles algorithmiques », nous pensons profondément que, comme de nombreuses études indépendantes l'ont montré, nous favorisons le pluralisme et l'ouverture sur le monde en mettant gratuitement nos outils à la disposition de milliards de personnes.
Nous veillons à ce que le pluralisme vive, et nous aidons les médias traditionnels à adapter leur modèle économique au monde digital. Nous favorisons l'émergence de nouveaux médias digitaux, comme Brut. Cette entreprise française est aujourd'hui un succès mondial : elle a rassemblé plus de 7 milliards de vues dans le monde l'année dernière, et rencontre un grand succès en Inde ou aux États-Unis. Les entreprises françaises de médias ont un rôle important à jouer, beaucoup d'opportunités, et nous favorisons le pluralisme.
J'ai préparé des éléments sur le sujet des bulles, car la question est très complexe. Elle a été étudiée dans de nombreuses universités, par les plus prestigieux centres de recherche indépendants. Le sociologue Dominique Cardon, l'un des spécialistes de ces questions, considère, d'ailleurs, que les plateformes sociales ne participent pas à la polarisation des opinions, qu'il n'existe quasiment pas de bulles, et que la polarisation a lieu bien avant. Je ne vous citerai pas toutes les études sur le sujet, car la liste serait trop longue. Au Royaume-Uni, la Royal Society, l'université d'Oxford et le Reuters Institute ont mené des études concluant très clairement au fait que rien ne permet de confirmer l'hypothèse de l'existence de telles bulles.
D'autres études, du Reuters Institute, de Harvard, de Stanford, ont au contraire montré que l'utilisation d'internet et des plateformes sociales permettait un accès plus large à diverses opinions, à diverses informations, et, loin de vous enfermer, vous ouvrait au monde. Une étude menée à Stanford a montré que, sur le territoire américain, les populations les plus polarisées étaient celles qui utilisaient le moins internet.
Madame la sénatrice, je ne vous dis pas que le sujet n'est pas complexe. Néanmoins, aucune grande université, aucun grand centre de recherche n'a jamais établi l'existence de ces bulles.
Par notre propre expérience, nous pensons, au contraire, que nos plateformes ouvrent sur la diversité des opinions. Je ne suis pas certain que, il y a une vingtaine d'années, on achetait dans les kiosques des journaux d'un avis opposé au sien ! J'observe que les idées circulent et que la liberté d'expression est garantie - ce que l'on nous reproche parfois.
Si ces études vous intéressent, je les mettrai à la disposition de votre commission. Ce ne sont pas des études de Facebook. En permanence, de grands sociologues comme Dominique Cardon ont montré qu'en réalité il n'y avait pas de bulle ni d'enfermement. Cela ne revient pas à dire qu'il n'y aurait pas de polarisation dans les sociétés. Mais déterminer l'impact d'internet, des réseaux sociaux ou des médias traditionnels dans cette polarisation n'est pas si évident.
Je termine en citant une étude menée par Harvard en amont de l'élection présidentielle américaine de 2020, qui a montré que les éléments de polarisation les plus importants étaient apportés par les médias télévisuels.
Nous pensons garantir le pluralisme. Les études prouvent que ces sujets sont plus complexes qu'on ne le croit, et tendent souvent à démontrer l'inverse de ce qui est couramment admis.
Oui, nous avons modifié l'algorithme, et nous l'avons dit. La grande modification de l'algorithme de Facebook a été faite au début de l'année 2018. Nous l'avons appelée « meaningfull social interactions » : le but était de favoriser les interactions sociales qui avaient le plus de sens pour nos utilisateurs, notamment de recentrer le fil d'actualité sur les publications des amis et des proches, et moins sur les publications externes, comme celles des médias.
Lorsque l'algorithme est modifié de manière significative, nous l'expliquons.
Je reviens sur un point important : n'oubliez pas que vous pouvez vous-même décider précisément de ce que vous pouvez voir en priorité dans votre fil d'actualité. M. le président de la commission vient de le tester.
Au début de votre propos, au sujet de la richesse que vous apportez aux médias vers lesquels vous renvoyez, vous avez parlé de 180 milliards de clics dirigés vers les éditeurs de presse, et de 9 milliards de dollars. D'où sortent ces chiffres de valorisation ?
Ils proviennent d'études que nous avons menées et publiées, qui analysent l'impact de notre site sur ceux des médias, et la manière dont ces derniers peuvent utiliser et développer les « liens entrants » sur leurs sites. Lorsqu'une entreprise de médias utilise Facebook, elle publie des contenus, au bout desquels vous êtes renvoyés sur le site du média. C'est cela que nous avons étudié, et ce sont les chiffres que nous avons donnés.
Je suis étonné de la réponse très directe que vous avez faite à Mme Robert, en disant que vous n'êtes pas un média. Au-delà du débat entre les statuts d'hébergeur et d'éditeur, vous êtes à proprement parler un créateur d'information. Du point de vue des relations entre concentration des médias et démocratie, c'est extrêmement important.
Toute l'information que vous créez partage une grande caractéristique, qui peut d'ailleurs poser problème à tous les médias : il s'agit d'une information peu vérifiée. Je ne parle pas seulement des fake news, c'est-à-dire des contenus directement élaborés pour être des fausses informations. Beaucoup d'informations circulent sur les réseaux sociaux sans être vérifiées. Compte tenu de votre puissance, elles s'imposent dans le débat public, ce qui oblige d'ailleurs la presse qui fait son métier à vérifier le degré de vérité de la rumeur qui a enflé sur les réseaux sociaux.
En étant provocateur, je dirais que, de ce point de vue, vous êtes presque un perturbateur d'information... La question de la transparence des algorithmes sur le contrôle des contenus est une question démocratique fondamentale.
Je reviens sur le montant des accords que vous avez négociés avec la presse, dont vous persistez à dire qu'il est normal qu'il soit secret. Cela pose aux législateurs que nous sommes un problème majeur de transparence : si nous cherchons à élaborer une loi, c'est parce qu'il y a un problème concernant la mutualisation de la valeur. Si ces chiffres sont inconnus, comment évaluer la portée du dispositif législatif visant justement à un partage de la valeur ?
Vous avez dit qu'une partie de ces accords avaient directement été passés par vous et certains éditeurs, et qu'une autre partie avait été passée avec des familles de presse. Pourriez-vous au moins nous dire quelle est la répartition de ces accords ? Sont-ce majoritairement des accords entre quelques gros éditeurs et vous, ou des accords mutualisés ? Du point de vue de la démocratie et de la concentration des médias, ce n'est pas la même chose : la richesse créée doit être mutualisée entre l'ensemble des acteurs, qui doivent pouvoir se développer de manière pluraliste.
Pourquoi ai-je répondu que nous n'étions pas un éditeur ou un média ? J'ai dit que nous pensions être un acteur d'une autre nature, créé par le développement de l'activité numérique et des grandes plateformes.
Je répète que nous ne créons pas de l'information. Pour cette raison, les termes d'« éditeur » et de « média », qui recoupent essentiellement cette activité, ne sont pas appropriés pour nous. Les gens qui utilisent nos plateformes créent de l'information et du contenu, en publiant une photo d'un week-end, une vidéo de vacances, ou, pour les médias, effectuent une partie extrêmement minoritaire de leur activité - je vous ai donné les chiffres. Je ne peux donc pas vous suivre lorsque vous dites que nous créons de l'information. Aucun salarié de notre entreprise, en France ou dans le monde, n'a d'ailleurs pour métier de créer de l'information.
En revanche, la nature nouvelle de nos actions et la spécificité de notre responsabilité demandent de développer certaines réponses. Depuis des années, nous menons des opérations de modération, d'interdiction d'un certain type de contenus, en maintenant en permanence un dialogue avec les autorités démocratiques de régulation, comme le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), devenu l'Arcom, qui a une compétence sur le sujet des fausses informations, comme vous le savez. Nous travaillons avec des partenaires certifiés, reconnus : nos outils de lutte contre les fausses informations incluent des partenariats avec plus de 80 « fact-checkeurs » dans des entreprises de médias certifiées - cette activité est d'ailleurs née en France.
Nous cherchons à répondre à cette nature particulière par des moyens, des règles, des partenariats.
J'ai énormément de respect pour les législateurs, mais il est difficile de vous donner les chiffres de nos accords avec la presse, car des négociations sont encore en cours, notamment avec le syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) via l'organisme de gestion collective, Droit Voisin de la Presse. Je regrette de vous dire que je ne peux pas vous les préciser publiquement.
Nous ne choisissons pas si les négociations se font à titre collectif ou individuel. Certains groupes de presse, comme Le Monde - je peux l'indiquer, car le président du groupe l'a lui-même révélé -, ont choisi de négocier de manière individuelle. L'Alliance de la presse d'information générale a reçu le mandat, de la part de nombreux acteurs, de négocier cet accord. Ce sont les acteurs qui choisissent leur mode d'interaction dans ces négociations.
Sans nous donner les montants de ces accords, pouvez-vous nous préciser les proportions, et si l'accord avec certains médias est plus important que les accords collectifs ?
Ce que je peux vous dire, c'est que tous ces accords ont été justes, équitables, et qu'ils ont toujours visé une répartition équitable, quel qu'ait été le mode de négociation choisi. Certains éléments des négociations ont d'ailleurs été préalablement définis avec les acteurs eux-mêmes, alors qu'ils étaient extrêmement compliqués.
Si un éditeur ou une alliance ayant passé un accord avec vous a aujourd'hui envie de publier le montant négocié, par souci de transparence, les punissez-vous ou non ? Les déliez-vous de l'obligation qu'ils pourraient avoir envers vous ?
Nous avons des clauses de confidentialité avec nos partenaires. Monsieur le rapporteur, laissez-moi étudier cette question avec nos services juridiques ; je pourrai répondre par écrit dans quelques jours. Il s'agit d'un élément sensible, car nous n'avons pas terminé nos négociations.
Le grand projet de Facebook, qui explique son changement de nom, est le métavers. Vous avez commencé à répondre sur ce sujet, mais je voudrais savoir si vous avez réfléchi aux conséquences, pour la démocratie, d'un tel projet. Si, demain, nous sommes en mesure de participer virtuellement à un concert, on pourra tout aussi virtuellement participer à un meeting politique. Les rapports sociaux sont susceptibles d'être modifiés en profondeur. A-t-on une idée, par ailleurs, du rôle des médias dans le métavers ?
Avant même que Mark Zuckerberg n'annonce le projet du métavers, nous avons indiqué qu'il fallait réfléchir en amont aux questions démocratiques, sociales et éthiques qui vont se poser concernant cet univers - et qui se posent presque déjà. Pour cette raison, en 2021, nous avons annoncé nouer des partenariats avec des universités du monde entier, en Asie, en Europe et aux États-Unis, en dotant ce fonds de réflexion d'un montant de 50 millions de dollars. Nous traitons donc ces sujets, qui sont très importants.
Au sujet de la démocratie et des débats, nous avons déployé, depuis des années, lors de toutes les grandes élections politiques dans le monde, des dispositifs civiques spécifiques pour inciter les jeunes à s'informer, se renseigner et à s'inscrire sur les listes électorales. Ce dispositif a été utilisé en France en 2019 ; nous avons mesuré que 500 000 personnes avaient cliqué pour s'informer sur les listes électorales.
En permanence, nous cherchons à informer, par des dispositifs extrêmement larges, sur les actions civiques pendant les élections. Mais vous avez raison : sur le métavers, nous avons déjà commencé à engager des discussions avec des universités et des experts indépendants.
Concernant l'évolution du modèle économique qui se dessine, certains articles académiques parlent de « coopétition ». Vous êtes devenus les nouveaux kiosques mondiaux de l'information, et les instances de l'information sont obligées de passer par vous : la presse est en état de dépendance. Ce modèle économique qui émerge pourrait étrangement ressembler à celui de la grande distribution, où les producteurs négocient leurs prix et sont en concurrence. Cela pose des questions concernant la pluralité de l'information, la structuration du champ vis-à-vis de votre site, qui est un « infomédiaire », et la démocratie.
Vous vous acharnez à dire que vous n'êtes pas un éditeur. Un règlement européen est en préparation sur la publicité politique, qui vise, d'une part, la traçabilité, et, d'autre part, la transparence en matière d'algorithme. Ce règlement vise en fait à bien identifier les acteurs de la chaîne, qui comprend tant l'éditeur du contenu que son diffuseur, et à aller vers une responsabilité conjointe de tous les acteurs. De fait, vous serez englobé. Avec ce règlement, la Commission européenne répond à la question de la concentration et de la pluralité de l'information, en obligeant à la transparence sur la collecte et l'utilisation des données personnelles.
La réponse juridique face aux évolutions du modèle économique est en train d'être élaborée. Comment répondez-vous à cette confusion à venir entre éditeur et diffuseur, qui mettra à bas toute votre stratégie ?
Le débat européen illustre bien la complexité de mettre notre entreprise dans un cadre qui préexistait à la révolution digitale - je le dis humblement. Depuis de nombreuses années, à Bruxelles, on cherche à comprendre quelle est la nature de notre entreprise et de tant d'autres firmes, quelles sont les responsabilités, et comment élaborer un cadre de régulation.
Nous avons été la première entreprise à dire qu'une nouvelle régulation devait s'adapter à l'ère digitale, et que les autorités démocratiquement élues et les régulateurs devaient se saisir de ces sujets. Sinon, nos règles, celles d'une entreprise privée, pourraient devenir celles de la société, ce que nous ne voulons pas. Nous avons toujours plaidé pour une régulation efficace et adaptée à l'ère digitale.
Il y a quelques années, des tentatives de régulation ont eu lieu, en France et en Allemagne par exemple, mais elles ne répondaient pas à l'évolution que nous connaissons.
Nous voulons des règles adaptées, qui permettent l'innovation des entreprises. Beaucoup d'entreprises françaises et européennes deviennent et peuvent devenir des acteurs majeurs du numérique à travers le monde.
Concernant la publicité politique, nous avons été la première entreprise à changer les règles, il y a trois ans, et à rendre son élaboration totalement transparente. Sur Facebook, une « bibliothèque publicitaire » est accessible partout dans le monde, que l'on dispose ou non d'un compte Facebook. Elle vous donne accès à la liste de toutes les publicités politiques publiées, pays par pays. Vous pouvez savoir quand la publicité politique a été utilisée, dans quels territoires elle a été diffusée, quels groupes de personnes étaient ciblés, qui l'a financée.
Nous avons beaucoup réfléchi sur ce sujet. Quand vous voulez faire une publicité politique, vous devez demander l'autorisation de le faire. Depuis longtemps, nous avons également interdit les publicités politiques d'un pays à un autre, pour éviter des risques d'interventions extérieures.
Notre entreprise a tenté d'innover en associant transparence et autorisation, et en permettant à chacun de vérifier ce qui se passe.
C'est un bon exemple, car il montre que notre entreprise est responsable sur ces sujets, qu'elle a toujours voulu entretenir un dialogue constructif avec les autorités, notamment en France, où un livre blanc sur la régulation moderne du digital a été publié voilà maintenant quatre ans pour comprendre ces phénomènes. Il faut une régulation, mais elle doit être adaptée à notre temps et tenir compte des importantes évolutions qui ont eu lieu.
Vous demandez si nous ne risquons pas de mettre les entreprises de presse dans notre dépendance. Je vous dis humblement que nous pensons faire le contraire.
Les entreprises de média ont un avenir extrêmement fort à l'ère digitale. Contrairement à ce que les médias traditionnels ont souvent cru, et à ce que vous pouvez entendre, elles ont une opportunité de développement, car le contenu vidéo et informationnel n'a jamais été autant consommé.
Or elles ont une marque et des clients. Le travail que nous menons depuis près de six ans avec Le Monde - vous pourrez interroger Louis Dreyfus, le président de son directoire, si vous ne l'avez pas déjà fait - consiste à faire comprendre la consommation digitale et l'évolution des modèles économiques. Le Monde, c'est une réussite exceptionnelle pour notre pays, grâce aux abonnements numériques. Nous faisons le même travail avec Le Figaro, Les Échos, Le Parisien, afin qu'ils adaptent eux-mêmes leur modèle économique à la réalité de la consommation digitale.
Ces évolutions n'étaient pas faciles à comprendre. Il y a plus de quinze ans, certains de ces acteurs ont diffusé tout leur contenu gratuitement sur internet, en pensant que la publicité financerait tout - il ne s'agit pas de les blâmer.
Les partenariats avec les grandes plateformes permettent aux grands éditeurs et aux grands groupes de presse français, européens, américains, de retrouver les voies et les moyens de leur vie économique, donc de leur indépendance - Le Monde a publié de très bons résultats en 2021, quand le New York Times a 10 millions d'abonnés payants, ce qui lui donne une indépendance et une liberté totale.
Je crois donc, depuis très longtemps, que le partenariat installé entre les médias traditionnels et les plateformes est constructif.
Si le groupe M6 a signé un partenariat avec nous - vous connaissez son président... -, c'est bien que cela répondait à un de ses intérêts économiques. Nous avons un intérêt commun à construire ensemble de la valeur et à élaborer un nouveau modèle.
Les médias digitaux naissent. De nouveaux sites d'information se développent, comme Brut ou Konbini. Notre rôle est de les aider, et cela participe au pluralisme, il me semble.
Bien entendu, entre l'absence de régulation pour vos modèles et la régulation existante pour la presse et les médias, vous souhaitez que soit élaborée une nouvelle régulation. Mais s'agit-il de déréguler ce qui est déjà régulé, pour l'adapter à votre modèle, ou de vous faire rentrer dans le cadre global des principes édictés pour les autres ? Tel est l'enjeu. Par exemple, sur la question de la fusion entre TF1 et M6, et sur la définition des marchés pertinents, soit on régule le marché numérique, dans lequel votre position est dominante, soit on fait entrer le marché régulé de l'information dans le marché dérégulé du numérique. Les régulations anciennes ne fonctionnent pas totalement, mais l'absence totale de régulation, c'est la loi du plus fort et la disparition de la diversité.
Votre groupe, avec Google, capte 75 % des revenus du marché de la publicité numérique. Si l'on rassemble les deux marchés du télévisuel et du numérique, selon nos propres calculs, vous capteriez 54 % des revenus publicitaires unifiés.
Que pensez-vous de la fusion de TF1 et de M6 ? Les représentants de ces deux chaînes nous disent avoir intérêt à s'unir pour assurer une concurrence face à vous. On me dit que vous auriez un intérêt à cette fusion, car vous seriez moins en situation de monopole et d'abus de position dominante, ce qui vous faciliterait la vie par rapport à l'Autorité de la concurrence. Qu'avez-vous à répondre à cela ?
Respectueusement, je ne peux pas vous laisser dire que nous serions un monopole ou que nous abuserions d'une position dominante. Nous ne reconnaissons pas les chiffres que vous avez donnés, selon lesquels nous capterions 75 % des revenus publicitaires du marché numérique national.
Ce n'est pas à une entreprise de définir un marché pertinent : c'est le rôle de l'Autorité de la concurrence. Cette dernière a mené une enquête, et va faire son travail. Je ne peux pas répondre à votre question, car je n'ai ni les compétences d'équipe ni les compétences intellectuelles pour définir le marché pertinent. C'est un élément classique du droit de la concurrence et des autorités de régulation de la concurrence, qui vont bien faire leur travail.
Vous évoquez la régulation et les marchés pertinents. Il s'agit de deux sujets différents. La régulation globale, la modération des contenus qu'évoquait Mme Harribey est une chose. Dans mon esprit, elle est bien distincte de la régulation exercée par l'Autorité de la concurrence dans les marchés nationaux. Je ne peux pas vous répondre sur ce sujet, car il ne relève pas de mes compétences.
Cette audition est maintenant terminée. Monsieur, je vous remercie de votre participation.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Chers collègues, nous poursuivons nos travaux en auditionnant M. Alain Weill, président de L'Express.
Monsieur Weill, je ne crois pas travestir la réalité en vous qualifiant d'homme de média. Vous avez commencé votre longue carrière à Radio Cocktail en 1981, avant d'intégrer le groupe NRJ. En 2000, vous créez NextRadio et réussissez à redresser la station RMC. Votre entreprise complète son nom en NextRadio TV en 2005, suite à la création de BFM TV, aujourd'hui première chaîne d'information en France.
Vous menez par la suite diverses aventures dans la presse écrite, avec notamment le quotidien La Tribune. En 2018, le CSA autorise la prise de contrôle de NextRadioTV par SFR, pour former le pôle média d'Altice, dont vous prenez la présidence. Vous y avez quitté vos fonctions en juin dernier, mais exercez toujours les fonctions de président de L'Express, dont vous détenez 51 % des parts.
Votre carrière vous donne un éclairage singulier sur l'évolution des médias, leur place, et les contraintes dans lesquelles ils agissent aujourd'hui, au coeur des débats de notre commission d'enquête. Nous sommes donc heureux de vous entendre sur ces sujets.
Cette audition est diffusée en direct sur le site Internet du Sénat, et fera l'objet d'un compte rendu.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêt ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M Alain Weill prête serment.
Merci pour cette introduction très précise concernant mon parcours. Vous êtes remonté très loin, en évoquant Radio Cocktail et mes années étudiantes, dans une cave de la rue Mouffetard.
Je suis devenu entrepreneur en 1999 après avoir quitté NRJ. Cette dernière voulait reprendre RMC, mais ne pouvait le faire sans céder Rire & chansons, ce à quoi Jean-Paul Baudecroux a renoncé. À cette occasion, j'ai décidé de l'acquérir. J'avais préparé le dossier en tant que directeur général du groupe NRJ. Je voulais être entrepreneur, et cette occasion exceptionnelle m'a été présentée. J'ai trouvé des fonds d'investissement qui ont cru à mon projet industriel, plus que n'importe quel opérateur du secteur. Le fonds français Alpha est resté très fidèle, et a également permis de financer BFM TV. Nous avons redressé RMC, qui avait été contrôlée par l'État jusqu'en 1998 avant d'être rachetée par le groupe Pierre Fabre, qui a échoué à stopper vingt ans de pertes.
Puisque j'avais peu de moyens, je récupérais les médias dont personne ne voulait. Après le redressement de RMC, j'ai racheté BFM Radio à la barre du tribunal, 10 ans après sa création, et après 10 ans de pertes. Nous en avons fait la radio de l'économie.
Après ces deux expériences réussies est arrivé l'appel à candidatures pour la TNT. Arrivés à l'équilibre, le CSA pouvait donner une fréquence supplémentaire à TF1 ou à M6. Finalement, notre analyse selon laquelle un nouvel entrant était nécessaire pour apporter du pluralisme dans l'information, avec un acteur expérimenté, nous a permis d'être retenus. Notre projet était celui de la chaîne de télévision de l'économie, CNBC. Puisque LCI n'avait pas déposé de dossier pour passer sur la TNT gratuite, nous avons estimé qu'il y fallait une autre chaîne d'information, en plus d'iTélé. Nous avons donc modifié notre projet, dans l'intérêt général. Nous avons finalement signé une convention pour une chaîne d'informations générales et notamment économiques. Nous n'avons affronté aucune contestation. Dans l'aventure BFM, nous avions la conviction, dès le premier jour, que nous pourrions devenir numéro 1. LCI était hors-jeu en restant sur le câble et le satellite. Nous voyions en outre qu'iTélé n'était pas une priorité chez Canal. BFM devenait, dans le même temps, le sujet principal de notre entreprise.
Nous avons subi des moqueries. Notre budget s'élevait à 15 millions d'euros, contre 50 millions chez nos concurrents. Je ne pouvais pas dès le départ avoir une tour à Boulogne. Nous avons démarré avec nos moyens, avec la conviction que nous serions après plusieurs années la chaîne disposant du budget le plus important. Pour être numéro 1, nous devions avoir le plus de journalistes, et investir dans le contenu. Cette aventure a été exceptionnelle, et difficile. Nous avons souvent été critiqués comme un nouvel acteur ayant changé les habitudes dans le secteur. Je crois que nous lui avons aussi beaucoup apporté. Il est plus simple de critiquer que de voir les avantages. Nous avons beaucoup mieux suivi la vie politique, les campagnes électorales. Nous avons lancé la retransmission des meetings en direct dès 2007, et avons permis à tous les Français d'avoir les images du monde. Il n'est pas simple de gérer une chaîne en direct 21 heures par jour. En 15 ans, nous n'avons pas vu tellement de dérapages. Je suis très fier du travail accompli par toutes les équipes.
Après BFM TV, il y a eu RMC découverte, la chaîne du documentaire, puis RMC Story, après le rachat laborieux de Numéro 23. Le CSA avait retiré la fréquence au cédant. Nous avons attendu que le Conseil d'État lui donne raison pour pouvoir acquérir la chaîne. Le développement de notre groupe en a été retardé.
Finalement, en 2015, j'ai pris la décision de céder mon groupe pour deux raisons. D'abord, la multiplication des chaînes d'information. Notre audience s'élevait à 2,4 ou 2,5 %. BFM TV compte 12 millions de téléspectateurs par jour, soit l'audience du 20 heures de TF1 sur 30 minutes. Nous étions un acteur puissant dans l'information, mais nous apportions, je pense, beaucoup de pluralisme et d'indépendance. Il est légitime que les responsables du groupe TF1 aient voulu faire de LCI une chaîne gratuite. Que le régulateur et le législateur l'aient permis nous a considérablement mis en risque. Le nombre de chaînes d'information a poussé à la radicalisation. L'un de ces acteurs a craqué, et a créé un équivalent de Fox News, première chaîne d'information aux États-Unis, avant MSNBC, puis seulement CNN. Voulons-nous des chaînes d'opinion en France ? Nous identifions un intérêt du public pour celles-ci, mais un véritable équilibre doit être trouvé.
Ensuite, j'identifiais un risque dans la révolution digitale et le poids des télécoms dans la distribution des chaînes. Le Parlement a également avancé sur le sujet de la numérotation. La diffusion des chaînes de télévision passera de moins en moins par le hertzien, et de plus en plus par la fibre. La cession de NextRadio au groupe Altice a été très rapide. Patrick Drahi m'a vendu un projet. Nous avons réalisé tout ce que nous avions prévu. Au départ, je devais diriger tous les médias du groupe. Patrick n'avait aucune ambition sur les contenus. Simplement, BFM devait rester numéro 1, et les pertes dans la presse devaient être limitées. En raison de notre bonne entente, je suis finalement devenu président d'Altice France, et président de SFR, preuve que l'intégration s'était bien déroulée. Chez BFM, rien n'a changé. Hervé Beroud est toujours là. Marc-Olivier Fogiel a rejoint l'entreprise sous ma présidence. La chaîne n'a pas été déstabilisée sur le plan éditorial. L'actionnaire n'a jamais exercé de pressions, bien qu'il ait parfois pu réagir en tant que téléspectateur.
Les pressions reçues durant ma carrière venaient plutôt du monde politique. BFM a été critiqué pour avoir tendu son micro à Leonarda après l'intervention du Président de la République. La crise des gilets jaunes a également été reprochée aux médias. Il n'était pas facile de diriger une chaîne d'information dans cette période. Nous avons toutefois toujours cherché à montrer la vérité. Sinon, ce sont les réseaux sociaux ou Russia Today qui s'en chargent.
À la fin de cette période, difficile pour BFM TV, nous avons considéré que nous avons bien fait notre métier.
Ensuite, la concentration et le pluralisme doivent s'adapter à la révolution digitale. Les Gafam sont aujourd'hui omniprésents. Ils sont américains, monopolistiques, très utiles, et ont rencontré un succès incroyable. Ils demandent à chaque pays concerné de s'adapter, ce que nous ne faisons pas assez rapidement. Ils modifient beaucoup le marché en termes de publicité, d'information et de culture. Facebook, Twitter, Google, Netflix ou Amazon sont très présents dans les secteurs de l'information et de la production. Ces sujets nous concernent tous.
Le déploiement de la fibre rendra très rapidement la TNT obsolète. Dans moins de cinq ans, la quasi-totalité des Français y sera connectée. Tous les engagements pris visent à fibrer très rapidement la totalité des habitations. Avant de quitter Altice, j'ai inauguré de nouveaux centres d'exploitation de la fibre en régions, dans des zones rurales. Du jour au lendemain, les gens abandonnent la TNT pour aller sur la fibre, qui leur amène le replay et les plates-formes digitales.
Enfin, la publicité adressée va totalement changer le monde de la publicité à la télévision. Un nouvel âge d'or se présente pour cette dernière. Nous ne devons pas manquer ce rendez-vous. La télévision apportera le meilleur de deux mondes : la possibilité de cibler la publicité, ce dont les annonceurs ne peuvent plus se passer ; et une expérience créative que le digital sur le mobile ou sur ordinateur n'apporte pas.
Je suis favorable à la fusion TF1-M6. Avec L'Express, nous sommes candidats pour racheter une chaîne, Express TV, et créer un groupe autour d'une marque d'information forte, qui fêtera l'année prochaine ses 70 ans. Je crois à la convergence entre les médias. Pour que les marques de presse historiques réussissent, elles doivent moderniser intensivement leur organisation et leur fonctionnement. Disposer d'une chaîne de télévision nous apparaît être un projet très excitant. J'espère que nous parviendrons à convaincre les vendeurs.
Les régulateurs doivent faire évoluer leurs logiciels d'analyse dans la réalité du développement du numérique, sans quoi nous risquerons d'affaiblir les entreprises françaises, si elles ne peuvent pas se battre à armes égales, en investissant et en se développant. Le marché pertinent de la publicité ciblée me semble être celui du digital. L'enjeu de la fusion TF1-M6 est celui du pluralisme. Je pense que nous devons donner plus de pouvoir au CSA, pour l'heure limité pour revoir les conventions ou contrôler le pluralisme pour les chaînes.
Pourquoi vous auditionner pour parler de concentration, alors que vous n'êtes pas à la tête d'un grand groupe qui concentre ? Il m'a semblé intéressant de vous entendre sur votre propre expérience. Avec M. de Tavernost, vous nous avez longtemps indiqué être un professionnel des médias, indépendant par rapport au reste du paysage médiatique. Vous défendiez avec fierté cette marque de fabrique. Ensuite, vous avez jugé bon de vendre votre propriété à Altice, qui n'était pas présent dans le domaine des médias. Vous nous dites que ce rachat n'a rien changé. Votre point de vue a-t-il néanmoins évolué ? Cette fierté ne vous semblait-elle plus vivable dans le monde d'aujourd'hui ? Vous êtes-vous senti obligé, pour tenir, de passer sous la coupe de groupes intégrés pouvant posséder les tuyaux, produire du contenu, diffuser... ?
L'évolution de la réglementation autour des chaînes d'information et la volonté du pouvoir politique de faire passer LCI en gratuit ont grandement fragilisé le secteur. Avec deux chaînes, nous affichions 2,4 à 2,5 % de part d'audience. J'ai estimé qu'avec 4 chaînes, nous passerions sous les 2 %, équilibre de BFM TV. J'aurais fragilisé l'entreprise, et donc le groupe. Le céder à Altice visait à le mettre à l'abri. En plus de l'intérêt du vendeur, l'avenir de l'entreprise est très important. Le bilan de NextRadio TV au sein d'Altice est positif. Je n'ai pas de regrets.
Le projet de chaînes régionales que nous avons développé avec Patrick Drahi est passionnant. Il est aujourd'hui entravé par les règles anti-concentration. BFM reste petit par rapport aux grands groupes qui se constituent. Un nouvel entrant ayant l'ambition de devenir fort en démarrant sur l'information locale me semble assez sain à côté de France 3. Sur l'information nationale, c'est un acteur qui pèse dans le paysage aux côtés de grands groupes tels que TF1 et M6.
Vous critiquiez le fait que les autres médias ne soient pas indépendants lors d'auditions. Vous n'avez pas changé d'avis, bien que vous ayez été contraint à autre chose ?
Je n'ai absolument pas changé d'avis. Qu'un groupe indépendant comme le nôtre ait bien réussi dans l'information était un plus. Le CSA l'a rendu possible, mais un autre CSA a rendu la situation bien plus compliquée en préférant renforcer un groupe existant, et en prenant le risque d'affaiblir un groupe indépendant.
Certains points de vue étayés, et respectables, considèrent qu'il faut aujourd'hui que les médias soient possédés par des groupes assurant d'autres activités. D'autres ajoutent que c'est l'idéal. Vous considérez que ce monde protégeait beaucoup plus son indépendance et sa créativité en étant d'abord médiatique.
Ensuite, vous indiquez qu'il n'y avait plus de place avec les quatre chaînes d'information. Vous dites que l'audience d'une journée sur BFM est égale à 30 minutes d'audience sur TF1 le soir. Il s'agit du nombre de téléspectateurs, et non du temps passé. L'impact de structuration de l'opinion pour chaque auditeur est plus important sur une chaîne d'information en continu que lorsqu'il regarde le 20 heures quelques minutes. La réception du message et son caractère répétitif ne devraient-ils pas être pris en compte ?
De mémoire, la durée d'écoute sur BFM avoisine les 20 minutes, voire moins si l'actualité n'est pas très forte, et bien évidemment plus en cas d'actualité très forte. Seuls les professionnels l'allument du matin au soir. Sur une chaîne d'opinion, c'est différent. Fox News est la première chaîne d'information aux États-Unis, parce qu'elle propose de vrais shows d'actualité avec des personnalités engagées. Les téléspectateurs regardent alors la totalité du programme. Pour une chaîne factuelle, la durée d'écoute est plus courte.
Pouvez-vous assurer que l'absorption par SFR n'a rien changé aux structures des rédactions existantes, y compris dans la presse écrite ? Votre réputation dit que votre prise d'un titre ou d'une entreprise de média s'accompagne souvent d'une réduction assez importante du personnel.
Il est obligatoire de prendre des mesures face à une entreprise qui perd énormément d'argent, parce que des erreurs ont été commises par d'autres directions. C'est pour cette raison qu'existent en France l'assurance chômage et d'autres systèmes visant à amortir les difficultés liées à ces périodes très difficiles. Dans le secteur, les gens partent avec un à deux ans de salaire, en plus d'un accès à une assurance chômage par la suite. Nous essayons de les accompagner avec des plans de reconversion et de formation.
Ce qui est important, c'est d'avoir envie de sauver des entreprises, comme ce fut le cas chez RMC ou BFM Radio.
Et pourquoi pas La Tribune ? Pensez-vous qu'il n'y a de la place que pour un journal économique dans le pays, y compris en termes d'audience ? Maintenant, il ne reste que les Échos, et la Tribune sur le net. Ce pluralisme en termes d'information économique était pourtant pertinent.
La Tribune était en difficulté depuis son origine. J'ai pris ce journal en 2007. Bernard Arnault voulait racheter les Échos. Il cherchait un repreneur qu'il a accompagné pour la cession. La crise économique est arrivée. Plus d'introductions en bourse, plus de publicités financières, plus d'annonceurs. J'ai préféré me concentrer sur BFM, qui était jeune, et j'ai cédé l'entreprise pour son prix d'achat à un autre actionnaire.
En effet, le pluralisme est très important, dans la presse économique comme ailleurs. Je ne doute pas que BFM Business y contribue à côté des Echos, avec une audience souvent supérieure grâce à la puissance de la radio et de la télévision. Il est toujours bon d'encourager le pluralisme, si ça se fait naturellement.
Je parlais de la presse écrite. BFM Business n'est pas un journal.
Vous avez procédé à plusieurs plans sociaux chez L'Express, avec une utilisation assez importante des clauses de cession. Combien le journal comptait-il de cartes de journaliste à votre arrivée ? Combien en reste-t-il ?
Nous pouvions procéder à des plans sociaux, ou laisser mourir l'entreprise. Il fallait réparer les erreurs ayant été commises. En outre, l'âge d'or de la presse écrite est passé. Elle retrouvera, j'en suis certain, une période beaucoup plus favorable, peut-être pas sous format papier. Nous n'en sommes pas loin, raison pour laquelle je crois en l'avenir de l'Express. Pour autant, il faut s'adapter. Si on n'a pas le courage de le faire, on met l'ensemble de l'entreprise en danger.
L'Express compte aujourd'hui 65 cartes de presse - contre 95 pour The Economist, que nous prenons en exemple. Leur nombre est cohérent avec notre projet éditorial. Il nous permet d'atteindre un niveau de qualité compatible avec la pérennité et l'ambition du journal.
Il s'agit de 65 cartes de presse de salariés, en plus de plusieurs dizaines de pigistes.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre projet de chaîne Express TV ? En quoi ne serait-elle pas une chaîne d'information ?
Vous avez demandé un renforcement des pouvoirs de l'ARCOM, notamment pour contrôler le pluralisme. Pouvez-vous clarifier les besoins supplémentaires que vous souhaiteriez voir mis en place ?
Le nombre de candidats prêts à investir dans la presse est faible. Au regard de mon expérience professionnelle, le projet Express TV m'apparaît toutefois intéressant. Je ne suis pas un grand mécène de la presse. Ma démarche vise tout de même à prendre beaucoup de risques pour assurer la pérennité d'une marque qui nous a fait rêver lorsque nous étions plus jeunes. Nous sommes obligés, tous ensemble, de réussir. L'année prochaine, nous fêterons les soixante-dix ans de L'Express. Lorsque j'ai repris le journal, il perdait 12 millions d'euros. Nous en avons perdu 6 en 2020, 2 en 2021, et nous serons positifs cette année.
Vous dites donc qu'il n'y a eu aucune rupture de ligne éditoriale depuis Jean-Jacques Servan-Schreiber ?
J'ai fait en sorte conserver l'ADN du journal. Avant de le racheter, je suis allée voir Jean-Louis Servan-Schreiber, qui avait beaucoup aidé son frère, et qui avait amené le modèle du Time magazine. Il m'a beaucoup soutenu, a parlé aux salariés et a pris part aux réunions de lancement. Nous avons tenu compte de ses avis éclairés. Nous avons conservé l'état esprit d'un journal libéral sur le plan économique et sociétal. Nous poursuivons la ligne éditoriale originale de L'Express.
Je crois que les groupes doivent aujourd'hui être plurimédia et convergents. L'Express fait de l'écrit, mais aussi du podcast. Nous voulons aller vers l'image.
Une opportunité de vente de chaîne me semble intéressante. Nous comptons rester sur la même cible que L'Express, à savoir les CSP+ au sens large, soit un quart de la population française, et plutôt les 25-49 ans. Nous voulons proposer une chaîne culturelle, avec des talk-shows, du documentaire, de la fiction, des programmes sur la culture, le spectacle, le cinéma et la mode, avec une part importante liée au linéaire tout en misant immédiatement sur le délinéarisé et le replay. Sur le plan publicitaire, nous imaginons un projet cohérent avec à la fois le journal papier, le journal digital, les podcasts et ce projet de chaîne de télévision.
Le pluralisme tel qu'on le percevait il y a quelques années évolue. Avant, on pensait au temps de parole des partis représentés à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Avec CNews, on a vu apparaître une chaîne de débats, d'opinion, qui nécessite sans doute de nouvelles façons d'analyser et d'animer ce secteur de la part du régulateur. Peut-être qu'à côté de CNews, il faudrait d'autres chaînes d'opinion parmi les quatre chaînes d'information.
Vous, connaisseur des chaînes d'information, nous dites que c'est une chaîne d'opinion ?
Oui, c'est une chaîne de débats. Je crois que les éditeurs de la chaîne ne le contestent pas. Être une chaîne de débat ou d'opinion n'est pas négatif.
Oui. Ils font moins de journaux que BFM. Il y a plus de débats, qui rencontrent le succès. C'est une expérience intéressante. Le CSA doit s'assurer que l'offre est équitable sur l'ensemble du paysage audiovisuel.
Je comprends que vous n'êtes pas opposé aux chaînes d'opinion, si elles sont plusieurs afin de respecter le pluralisme et d'atteindre un certain équilibre.
Oui. Dans un paysage à quatre chaînes, le groupe Vivendi a pris une décision assez raisonnée et efficace. L'intérêt du public est important. Ensuite, il revient au CSA de veiller au respect du pluralisme.
Les chaînes d'information ne sont pas des chaînes d'opinion. Avec votre regard de connaisseur, vous estimez qu'il s'agit d'une chaîne d'opinion, et qu'il devrait y en avoir d'autres. Ce n'est pas ce qui est conclu avec le CSA. Vous préconisez donc de modifier le cahier des charges, ou du moins l'engagement des chaînes d'information, pour qu'elles puissent être des chaînes d'opinion, si elles le souhaitent.
Je ne veux pas porter de jugement sur le respect ou non de la convention de la part de CNews.
Elle doit être similaire à celle de BFM. C'est une chaîne d'information.
Il est compliqué de savoir qui représente quel bord. Il est sans doute nécessaire que le CSA dispose d'autres indicateurs en plus du temps de parole des groupes représentés à l'Assemblée nationale.
Qu'accepte la République lorsqu'elle donne une fréquence ? Ce n'est pas uniquement la diversité des idées qui pose question, mais aussi ce qui peut être acceptable. Si la liberté d'expression existe, ces mêmes expressions ne doivent pas nuire aux autres.
La chaîne a évolué et rencontre son succès. À un moment où le hertzien perd de son pouvoir, il peut être pertinent de revoir le fonctionnement de la télévision et le sujet du pluralisme. Dans quelques années, le poids des conventions associées à l'utilisation d'une fréquence appartenant au domaine public n'existera plus, après la fin de la TNT. Nous devons tenir compte de la transformation rendue nécessaire par l'évolution technologique.
Je ne vais pas créer la cinquième chaîne d'information française, alors qu'elles sont déjà trop nombreuses. Il s'agirait d'une chaîne culturelle, qui s'adresserait au public détaillé plus tôt.
C'est une bonne référence.
Vous détenez 51 % des parts de L'Express. Êtes-vous favorable à un droit d'agrément qui permettrait aux salariés et journalistes de pouvoir refuser la cession ou de chercher un repreneur si leur journal changeait à nouveau de propriétaire ?
Dans l'hypothèse d'une cession, les salariés sont consultés dans des process assez complets et longs. Pour autant, je ne pense pas qu'ils doivent avoir une forme de droit de préemption lors d'une cession, puisqu'ils ne disposent pas de tous les éléments pour assurer le développement et le changement d'actionnaire.
Vous avez vous-même constitué un groupe dans un univers peuplé d'acteurs disposant de moyens financiers beaucoup plus importants. Justement, quelles difficultés avez-vous rencontrées face à ces derniers ? Vous avez commencé, comme beaucoup, par racheter des entreprises en difficulté financière. D'où viennent les fonds vous ayant permis de racheter RMC ?
Pensez-vous aujourd'hui que vous pourriez refaire le même parcours, dans ce contexte d'évolution du monde médiatique ?
Enfin, avez-vous tenté de garder la même indépendance des rédactions à mesure du développement de votre groupe ?
Comme cela a été dit sur BFM, « vous pouvez rester calme, ça se passera bien au Sénat ».
Je suis très attaché à l'indépendance des rédactions. Je n'étais un risque ni pour RMC, ni pour BFM TV, ni pour L'Express. Il m'est arrivé de protéger nos rédactions contre des pressions politiques ou commerciales.
En tant que président de SFR, je n'ai jamais pu être interviewé sur BFM Business, comme les présidents de Free, d'Orange ou de Bouygues Telecom ont pu l'être. Les journalistes étaient mal à l'aise avec le sujet. Je ne me suis jamais battu, car ce n'était pas vital. Pour autant, ce n'était pas normal. Les invités, quels qu'ils soient, doivent être traités de la même manière. Si les résultats de SFR sont mauvais, on le dit. Il ne sera reproché à personne de dire la vérité.
J'ai évoqué avec M. Drahi le cas particulier d'un rédacteur de capital qui collaborait avec BFM Business, et qui a été écarté après certains propos.
Patrick Drahi ne connaissait pas ce sujet, qui n'était pas un évènement.
BFM et Capital étaient partenaires pour réaliser une émission sur les cryptomonnaies. Capital a publié des articles dénigrants et inacceptables, ne rendant pas compatible un partenariat harmonieux entre les deux entreprises. L'émission confiée au journaliste de Capital s'est arrêtée, mais l'individu en lui-même n'a jamais été remis en cause.
Il est dans l'intérêt de tout le monde que les rédactions soient indépendantes. L'auditeur, le téléspectateur ou le lecteur n'est pas dupe s'il ressent un manque de transparence. La qualité éditoriale est indispensable pour avoir de l'audience. Ceux qui ne respectent pas cette indépendance le paieront cher. Je n'ai jamais eu de problème, ni à RMC, ni à BFM, ni à L'Express en ce sens. J'attends la charte d'indépendance du journal depuis six mois, mais il n'y a pas de pression, parce qu'il n'y a pas de problème. Les journalistes travaillent très librement, ce qui ne signifie pas que je ne m'intéresse pas aux contenus, simplement d'un point de vue qualitatif, et pas du tout politique ou commercial.
Lorsque j'ai repris RMC en 1999, je me suis tourné vers un fonds d'investissement que j'avais eu l'occasion de croiser. Ses gérants m'ont suivi lorsque je leur ai raconté mon histoire. J'ai d'abord été actionnaire majoritaire. Au lancement de BFM TV, nous avons introduit le groupe en bourse, meilleure manière d'être indépendant. Le fonds est parti. J'avais la majorité des actions en droit de vote. Je contrôlais totalement l'entreprise, et je me suis senti très libre. Je n'avais pas de pression d'actionnaires, quels qu'ils soient.
En tant qu'ancien PDG d'Altice, verriez-vous d'un bon oeil le rapprochement avec Iliad ? Il diminuerait le nombre d'opérateurs, mais permettrait de consolider ce groupement.
Ensuite, dans votre projet de chaîne, iriez-vous jusqu'à produire des contenus et acheter des studios afin de diversifier votre approche et de créer un groupe plurimédia ?
Enfin, estimez-vous aujourd'hui que les contenus sont suffisamment diversifiés en France ?
Je ne suis pas certain d'être très compétent, aujourd'hui, pour parler du secteur des télécoms. Je sais toutefois que les États-Unis et la Chine comptent chacun trois opérateurs mobiles. En Europe, il y en a cent. Nous avons besoin d'acteurs plus puissants en lieu et place de cette multitude de petits opérateurs.
Ensuite, Express TV n'est aujourd'hui qu'un projet. Nous n'avons pas encore convaincu les actionnaires vendeurs de nous retenir.
J'ai envie de relancer une entreprise dynamique dans le secteur des médias. L'équipe, jeune, compte de très grandes compétences et connaît bien le monde du digital. 35 des 108 collaborateurs de L'Express ont 30 ans et travaillent dans le digital. Les entreprises de presse doivent se transformer et découvrir des métiers qu'elles ne connaissaient pas jusqu'à alors : le digital, le marketing digital, les développeurs. Cet enjeu rend nécessaire des restructurations et réorganisations pour faire venir des gens qui maîtrisent un nouveau métier. Cette aventure naissante est très motivante. Il faut convaincre les actionnaires. L'autorité de la concurrence et le CSA doivent approuver la fusion. Nous sommes encore très loin du lancement de la chaîne. L'idée de reconstruire un groupe en partant d'une petite plate-forme, avec une marque exceptionnelle, est très enthousiasmante.
Sur la diversité des programmes à la télévision, je crois que l'offre n'a jamais été aussi large. Les contenus sont si nombreux que nous ne les connaissons pas. Ils sont d'assez bonne qualité. L'engagement des plates-formes d'investir en France est également très positif. Je crois que la diversité existe, ce qui ne nous empêche pas d'amener encore de nouveaux projets. Il ne faut pas, en revanche, multiplier le même format.
Alors que la durée d'écoute de la télévision linéaire en France diminue d'année en année, vous avez déclaré qu'elle menait de l'avenir, même si elle devait se transformer. Qu'entendez-vous par « transformation » ? Pensez-vous au contenu des émissions, des publicités ? Vous semblez assez enthousiaste quant à la publicité ciblée, qui, selon vous, va tout changer.
La télévision linéaire traditionnelle va connaître une baisse exponentielle. Les enfants ne la regardent plus beaucoup, quoi que. Malgré les déclarations, les chiffres de Médiamétrie restent rassurants.
La télévision dispose aujourd'hui des outils pour rebondir assez rapidement. Il a fallu plus de vingt ans à la presse écrite pour trouver son modèle économique, la publicité digitale n'étant pas suffisante pour assurer le redressement de ces entreprises. Aujourd'hui, le New York Times compte 9 millions d'abonnés, et en vise 15. Nous en comptons 100 000, et en visons 200 000, en France, mais aussi à l'étranger, puisque le digital offre cette opportunité. Nous voulons faire de L'Express la marque des leaders d'opinion francophones. La télévision n'attendra pas vingt ans pour rebondir. Elle a le replay et la publicité adressée. Elle est très puissante. BFM, c'est 12 millions de téléspectateurs par jour, mais TF1 en compte 35 ou 40 millions. Même si l'audience baisse, la télévision restera puissante de longues années en linéaire pour attirer les annonceurs avec la publicité adressée. Le replay constitue en outre une solution immédiate à la volonté des gens de choisir l'heure à laquelle ils consomment leur programme.
Je crois en revanche que la télévision doit évoluer en allant davantage vers les contenus qui ont moins de sens en délinéarisé. Je crois aux programmes en direct, au sport, au spectacle vivant.
Si je fais preuve d'un certain optimisme, les années à venir seront tout de même assez agitées pour le secteur de la télévision en général.
Imaginez-vous un avenir pour le fait régional dans celui de la télévision et la presse ? A-t-il une place, et à quelle condition ? Peut-il constituer un élément de la pluralité ?
En France, nous sommes très en retard sur l'information locale, notamment dans le secteur de l'audiovisuel. En plus de France 3, des chaînes régionales ont existé. Elles n'ont jamais vraiment fonctionné, car leur modèle économique était difficile. Avec BFM TV et BFM régions, nous avons pu faire une chaîne d'information de qualité avec des moyens beaucoup moins importants qu'hier. Il y a quelques années, trois ou quatre personnes devaient se déplacer sur le terrain pour faire un sujet. Aujourd'hui, les journalistes sont équipés d'iPhone et ramènent leurs images. Toute la technique de BFM Régions est gérée depuis Paris. Peu de personnel technique ou administratif est donc nécessaire. Tout est concentré sur la rédaction, puisque le contenu est clé.
Oui, les programmes locaux sont très importants. La France a pris du retard parce qu'elle a des règles. On a voulu protéger la presse quotidienne régionale, sans doute à juste titre. En empêchant des acteurs nationaux d'aller sur des marchés locaux, on a perdu sur les deux tableaux. La presse quotidienne régionale est très élevée, et n'est pas en grande forme. Les chaînes nationales, quant à elles, n'ont pas pu se développer sur le terrain local.
Nous observons également un retard sur le plan économique. L'impossibilité pour des entreprises locales d'accéder à des médias locaux puissants est négative pour notre pays et pour la croissance.
Enfin, les chaînes locales ne peuvent pas réussir en étant numérotées 112 ou 215. Aux États-Unis, la chaîne locale est numérotée 1.
Il est toujours intéressant de vous entendre, au vu de votre connaissance du secteur. Merci beaucoup.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 heures.