Nous poursuivons nos travaux par l'audition de représentants du secteur de la dépollution des sols. Nous accueillons donc M. Franck Bouché, président de l'Union des professionnels de la dépollution des sites (UPDS), accompagné de Mme Christel de La Hougue, déléguée générale de l'UPDS, et de MM. Jean-François Kalck, président du collège Ingénierie de l'UPDS et Tanguy Latron, adhérent à l'UPDS, ainsi que Mme Muriel Olivier, déléguée générale de la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement (Fnade).
Nous comptons sur cette audition pour nous éclairer sur les méthodes d'identification des polluants dans les sols, sous-sols et eaux souterraines, qui restent un exercice difficile, compte tenu du très grand nombre de substances polluantes qui existent aujourd'hui, ainsi que sur les travaux qui peuvent être mis en oeuvre pour traiter ce type de pollution.
En particulier, quelle évaluation faites-vous des techniques de dépollution aujourd'hui disponibles en France au regard non seulement de leur faisabilité, mais aussi de la maîtrise de leur coût ? À cet égard, quel est votre sentiment sur la qualité des diagnostics des sols réalisés par les bureaux d'études certifiés et sur leurs recommandations en matière de dépollution ? Celles-ci vous semblent-elles généralement pertinentes, réalistes et maîtrisées dans leur coût ?
Enfin, quel est votre sentiment sur la méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués, réactualisée en 2017 ? Est-elle suffisamment précise et favorise-t-elle une approche ambitieuse en matière de dépollution et de réhabilitation des sites pollués ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de huit à dix minutes que vous pouvez vous répartir entre vous, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Dans le cadre de cette visioconférence, vous êtes appelés à prêter serment en laissant bien entendu votre caméra et votre micro allumés. J'invite chacun d'entre vous, dans l'ordre où je vous appellerai, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et dire : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Franck Bouché, Mme Christel de La Hougue, MM. Jean-François Kalck et Tanguy Latron ainsi que Mme Muriel Olivier prêtent serment.
L'UPDS existe depuis trente ans et regroupe une cinquantaine des entreprises du secteur, soit 70 %, pour un chiffre d'affaires total d'environ 500 millions d'euros, et quelque 2 300 salariés. Elle se compose de deux collèges, l'un rassemblant l'ingénierie, soit 300 salariés, l'autre les travaux. M. Kalck, ici présent, est le président du premier. Les hommes et les femmes de l'UPDS - et particulièrement les femmes, qui sont plus nombreuses dans le collège « Ingénierie » - ont la passion de ce métier pluridisciplinaire par définition et qui constitue une véritable vocation : le sol est comparable à un être vivant, en interaction avec l'être humain, nous posons des diagnostics, nous proposons des stratégies de remédiation puis nous opérons. Nos salariés sont donc un peu des soignants du sol et ils en sont fiers. En outre, nous n'avons pas attendu la mode de l'économie circulaire, pour la pratiquer : nous le faisons depuis des années. Aujourd'hui, nos messages à ce sujet sont chaque mieux entendus à travers des évolutions réglementaires de plus en plus favorables à ces processus.
Je souhaite insister aujourd'hui sur quatre points particuliers.
Premièrement, il nous semble qu'il faut davantage encadrer notre métier, qui est complexe. La pratique de la médecine ou de la pharmacie relève de lois spécifiques, alors que l'on manque de cadre législatif en matière de sol. Songez qu'il n'existe même pas de définition officielle d'un sol pollué ; évoquer cette notion est donc déjà risquer un malentendu !
Deuxièmement, nous avons besoin d'objectifs clairs : quels sont-ils en matière de restauration de la qualité des sols ? Nous souhaitons ainsi systématiser le retrait des sources concentrées de pollution et inciter davantage au recyclage des terres excavées. Ces évolutions sont en cours, mais il faut les renforcer.
Troisièmement, nous sommes les soignants de notre sol et nous devons être reconnus comme tels. Les médecins et les architectes reçoivent un diplôme dans leur spécialité. Notre système s'est bâti sur la certification, nous oeuvrons pour faire reconnaître cette certification comme une compétence à part entière. Il ne viendrait en effet à l'idée de personne de se faire opérer par quelqu'un qui ne serait pas chirurgien. Nous souhaitons qu'il en aille de même dans nos spécialités.
Enfin, quatrièmement, notre métier est en faible croissance, tout juste supérieure à l'inflation, et met en oeuvre à 70 % de l'excavation et non des techniques innovantes. Nous appelons de nos voeux des évolutions fiscales et réglementaires pour inciter à la dépollution vertueuse, car c'est dans ce domaine que nous développons des techniques moins coûteuses et plus vertueuses pour l'environnement et le climat. Nous avons besoin d'appui pour cela. Jusqu'à présent, chaque petit saut dans la réglementation a entraîné un saut de prise de conscience très utile pour la qualité de nos travaux.
En réponse aux questions introductives sur la méthodologie nationale, je souscris à ce qui vient d'être dit : son ambition n'est pas très contraignante, en l'absence d'une loi sur les sols. Il existe donc beaucoup de trous dans la raquette en matière de gestion de certaines contraintes, s'agissant en particulier du retrait des sources concentrées et de la gestion des pollutions hors site, qui sont des sujets préoccupants. Une loi sur les sols permettrait d'imposer plus de contraintes pour éviter que certains sites parviennent à passer outre ces exigences.
La Fnade, qui est l'organisation professionnelle représentative des industriels de l'environnement, regroupe huit syndicats adhérents, soit l'ensemble des acteurs de la filière de la gestion des déchets et de la dépollution des sols, avec cinq syndicats spécialisés dans les déchets, dont l'UPDS, des constructeurs d'usines de traitement, des fabricants de matériel et des bureaux d'études spécialisés dans la gestion des déchets, et, depuis peu, dans l'énergie. Nous menons des travaux communs au moyen de collèges et de commissions, avec des groupes de travail spécifiques en fonction des sujets, dont un se penche sur la sortie du statut de déchet des terres excavées.
Nous représentons au total 223 entreprises pour 9,1 milliards d'euros de chiffre d'affaires et près de 48 000 salariés. L'un de nos syndicats, le syndicat national des activités du déchet (SNAD) porte, en outre, la convention collective de la filière. Nous sommes, enfin, membres de la fédération européenne des activités de la dépollution et de l'environnement (FEAD) qui dispose d'une représentation permanente à Bruxelles.
Je souhaite alerter la commission d'enquête sur les évolutions réglementaires en cours à propos de la gestion des terres excavées, avec un projet d'arrêté de sortie du statut de déchet de ces terres, sur lequel nous avons travaillé, ainsi que sur les modifications législatives issues de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC), notamment sur la suppression de l'obligation d'opérer les sorties du statut de déchet dans une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), emportant une perte de pouvoir d'autorisation et de contrôle de l'État, ainsi que le renforcement des conditions de traçabilité des terres excavées et sédiments, avec un projet de décret qui fait l'objet d'une consultation des parties prenantes qui doit aboutir le 19 juin. La Fnade est très vigilante pour éviter dans le futur toute dispersion de terres qui n'aurait pas les qualités requises. Nous n'étions pas favorables à la suppression de l'obligation de passage par le statut d'ICPE, mais, dès lors que la décision a été prise, il est impératif de renforcer la traçabilité et le contrôle des terres excavées susceptibles d'être réutilisées.
Je souhaite tout d'abord recueillir votre sentiment sur la pertinence et l'efficacité du dispositif du tiers demandeur introduit par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), censé favoriser la mise en oeuvre de travaux de dépollution et la réhabilitation des friches. À votre avis, ce dispositif est-il suffisamment mobilisé par les responsables et par les acteurs de la dépollution ? Est-il satisfaisant, s'agissant, notamment, des garanties qu'il offre au tiers demandeur et à l'exploitant ? Quelles en sont selon vous les faiblesses éventuelles ? Quelles seraient les pistes à envisager pour favoriser sa montée en puissance ?
Par ailleurs, il nous a été indiqué que, bien souvent, les travaux de dépollution étaient conçus en fonction de l'usage futur envisagé pour le site. Or de plus en plus de spécialistes de la réhabilitation des sols recommandent désormais que ce soit l'usage futur qui soit adapté à la situation du site et à ses possibilités de dépollution. Partagez-vous cette analyse ?
S'agissant de la réglementation relative aux terres excavées, l'imminence d'un arrêté ministériel ne nous a pas échappé. Quelle lecture en faites-vous ? Faut-il, selon vous, assouplir les critères de sortie du statut de déchet pour permettre une meilleure valorisation des terres excavées dans le cadre de projets de réaménagement ? Ne risque-t-on pas de perdre en traçabilité et en maîtrise du risque sanitaire pour ces terres, qui relevaient jusqu'ici de la police spéciale des déchets ?
Quelles sont vos propositions concernant la problématique des friches gelées ? Il semble qu'un certain nombre d'exploitants de friches se contentent de mettre les sites en sécurité, car ils ne souhaitent pas les dépolluer en raison des risques associés. Quelles sont, selon vous, les principales raisons du gel de ces friches ? Le problème vient-il du coût des travaux de dépollution ou de la valeur foncière insuffisante des terrains concernés ? S'agit-il de craintes sur des pollutions dangereuses qu'on pourrait découvrir a posteriori ? Que pourrait-on faire, selon vous, pour débloquer cette situation ?
Enfin, s'agissant de la réhabilitation des friches ou des sites pollués, certains bureaux d'études ou certaines sociétés de dépollution proposent encore, par facilité, l'envoi en décharge, alors qu'aujourd'hui, des pratiques plus vertueuses peuvent être mises en oeuvre. Avez-vous mené quelques actions, voire des formations, en ce sens auprès de vos adhérents pour favoriser l'essor des techniques de réhabilitation alternatives ?
S'agissant de la loi ALUR et de la garantie du tiers demandeur, cette loi n'est pas très bien comprise par beaucoup d'acteurs et son application demande un travail de pédagogie afin qu'elle puisse être perçue comme un élément de simplification. Auparavant, on pouvait acquérir une friche et opérer un changement d'usage, sans qu'aucun mécanisme ne fournisse de garantie quant à la tenue et au prix des travaux de dépollution, ou ne contribue à faciliter la relation entre le vendeur et l'acquéreur. C'est, à mon sens, une bonne loi, mais il faut bien l'expliquer. Toutefois, la loi ne suffit pas : la gestion d'une friche demande des moyens, un portage financier, du temps et un mode d'accord des parties : bien souvent le vendeur considère qu'il est assis sur une mine d'or alors que l'acquéreur craint de prendre un risque. La pollution n'étant pas encore suffisamment caractérisée, il faut compléter les études pour porter un diagnostic sur l'usage futur du site par l'acquéreur, qui va conditionner la valorisation du terrain.
La loi ALUR a des carences : les projets durent parfois plusieurs années et il peut arriver qu'un acquéreur abandonne, car le projet n'est plus viable ou qu'il n'a pas suffisamment de moyens. Nous avons donc demandé que soit facilité le transfert vers un autre tiers demandeur afin que l'on ne redémarre pas la procédure à zéro si un tiers demandeur jette l'éponge au milieu du gué. Au total, il s'agit donc d'une bonne loi, qui rend plus facile la rénovation de friches, mais qui est trop méconnue. Elle n'a pas de grave défaut à mes yeux, sinon celui que je viens d'exposer.
Je fais mienne cette remarque : la plus grande faiblesse reste la méconnaissance de la loi.
Comment dégeler les situations où les friches sont bloquées ? Cela dépend surtout de la localisation, de la valeur foncière de la friche, laquelle rend plus ou moins difficile d'intégrer le coût de la dépollution. Une friche en centre-ville sera ainsi bien plus facile à dépolluer et restera bloquée moins longtemps qu'une friche dans un secteur industriel lui-même délaissé. Quant à la façon de dépolluer, aux méthodes retenues, nous sommes force de proposition auprès de nos clients et nous ne privilégions jamais une dépollution hors site, sachant que l'intervention in situ nous fait faire davantage d'ingénierie, qu'elle est donc pour nous plus intéressante. Un critère essentiel est celui du temps : la dépollution prend du temps, la faire in situ exige donc d'intervenir assez tôt dans le projet. Il nous faut arriver le plus tôt possible, pour identifier au plus tôt les pollutions, initier la dépollution dès que possible, éviter cette situation en réalité courante où les travaux doivent commencer bientôt et qu'il n'y a donc plus que le temps d'évacuer les éléments pollués. Il faut donc diagnostiquer le plus tôt, pour traiter au plus tôt et donner ainsi toutes ses chances à la dépollution in situ.
Est-ce que la dépollution est fonction de l'usage futur du site ? Il y a nécessairement un lien, au sens où, par exemple, vous n'aurez jamais un projet de crèche sur un ancien site Seveso. Dans la réalité, le projet naît en réponse aux besoins de la population alentour, c'est notre point de départ. Ensuite, je crois que c'est le business model de bien des opérations qui conduit à ce qu'on ne peut qu'évacuer, plutôt que traiter sur place : le plus souvent, les travaux ne sont lancés qu'une fois garantis des volumes suffisants de vente, avec des contrats et des dates de livraison. Il faut certes tendre à intégrer la dépollution au plus tôt, mais dans la réalité, sachant que l'aménageur doit avoir une vision très claire de son projet, des éléments très précis, pour obtenir quitus des autorités et les permis de construire, celui qui accepte de dépolluer à l'avance prend beaucoup de risques. Gagner du temps en évacuant, c'est gagner de l'argent, il y a des enjeux financiers, c'est de cela qu'il faut tenir compte quand on veut des méthodes plus vertueuses.
Dès lors que les travaux sont définis par le porteur du projet et que la dépollution n'est plus possible in situ, je crois qu'il faut favoriser la plateforme de traitement, en dehors du site, plutôt que l'envoi en décharge. Cette piste renvoie à la question de la sortie du statut de déchet, c'est-à-dire au prix des matériaux traités, sachant que la dépollution totale n'existe pas.
Les promoteurs ou porteurs de projets utilisent la technique du compte à rebours : avant l'acquisition du terrain, ils en connaissent le prix de sortie au mètre carré construit, en ayant calculé la surface construite d'après le règlement d'urbanisme et en lui ayant appliqué une fourchette de prix du marché immobilier ; une fois ce prix de sortie connu, ils en retirent tous les coûts de construction, d'aménagement, de mise en vente... et il leur reste alors la charge foncière, la somme qu'ils peuvent mettre dans l'achat du terrain et la dépollution. Cette méthode de calcul montre directement que l'usage futur est déterminé par l'équilibre entre la valorisation, c'est-à-dire le prix de sortie, et les coûts de l'opération. On comprend par-là que la solution dépend aussi des règles d'urbanisme : des opérations seraient rendues possibles par un petit élargissement des droits à construire, par exemple. Des friches sont gelées tout simplement parce que les opérations envisagées sur leur site ne sont pas rentables, dans les règles actuelles, coûts et valeur foncière sont liés.
Quand un industriel fait un projet sur une friche, il doit rendre le terrain compatible à l'usage qu'il projette, y compris en le dépolluant. La loi ALUR a mis fin à la difficulté qui avait cours jusqu'alors, où il fallait dans certains cas deux dépollutions, par l'ancien et par le nouveau propriétaire. Il faut comprendre aussi que la notion de friche industrielle n'est pas juridique, des industriels préfèrent aller vers la cessation lente d'activité plutôt que d'avoir à fermer complètement un site et à le dépolluer, ils y maintiennent alors une toute petite activité qui leur donne le droit de laisser les terrains en l'état.
Il me semble que le gel de friches tient au manque de porteur de projet quand les projets y sont trop risqués et la rentabilité trop faible. C'est plus vrai dans certaines zones délaissées que dans celles où le foncier est tendu, donc où la rentabilité est plus forte. Pour changer les choses, il faut donc peut-être regarder du côté du coup de pouce que l'État pourrait donner dans certaines zones trop peu rentables. Je parle ici du seul calcul économique, sachant qu'il y a d'autres facteurs qui contribuent au gel des terrains : des difficultés liées aux successions, aux dépôts de bilan...
Nous sommes très attachés à la question de la traçabilité des éléments pollués, donc à la sortie du statut de déchet. Oui, le fait de pouvoir excaver à moindre coût est utile pour la gestion des friches, mais attention, il faut bien encadrer cette activité. Quand il s'agit simplement d'excaver, nos savoir-faire en matière de dépollution peuvent être négligés, car nous serons parfois plus chers que des entreprises de terrassement - et s'il n'y a pas de règles précises de certification, si personne ne suit le devenir des terres excavées, le remède sera pire que le mal. Nous avons donc besoin d'une traçabilité stricte, contrôlée par des experts indépendants, car la tentation peut être grande quand sur une simple qualification, la tonne de terre excavée passe d'une valeur nulle à une valeur chiffrable en euros sonnants et trébuchants.
La valorisation des terres excavées est une question sur laquelle on réfléchit depuis une dizaine d'années, un guide a été publié en 2012, mais on constate que ces terres restent peu valorisées et qu'elles gardent le plus souvent le statut de déchet. Le projet d'arrêté ministériel est une bonne chose, il devrait améliorer l'économie circulaire. Mais attention, pas à n'importe quel prix : il ne s'agit pas de valoriser des terres polluées. Un deuxième guide est en préparation sur les infrastructures linéaires de transport et de structures routières, qui s'ajoutera à celui sur les aménagements, l'un et l'autre mettent en place des valeurs seuil à respecter, précisément pour que les terres qui sortent du statut de déchet ne soient pas polluées. Ces seuils doivent être contrôlés, par des experts indépendants, pour que les terres ainsi dépolluées puissent être réutilisées. Dans le projet d'arrêté ministériel, le respect de ces seuils est d'ailleurs un préalable à la sortie du statut de déchet.
Dans notre expérience, le système mis en place par la loi ALUR fonctionne bien, à deux ou trois cas près où la garantie financière s'est avérée trop élevée, ce qui a bloqué les projets. C'est d'ailleurs ce succès qui nous a conduits à discuter avec le ministère pour savoir si on ne devrait pas étendre le dispositif au-delà des sols pollués. Je confirme que notre intérêt est bien de développer les traitements plutôt qu'envoyer en décharge, et que nous nous y employons.
Un mot sur l'innovation : l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) propose des subventions, elles sont utilisées : elles pourraient être plus élevées, mais elles ont au moins le mérite d'exister.
Monsieur Kalck, vous déplorez des trous dans la raquette de la réglementation sur la pollution des sols, notamment la pollution hors site : quelles réglementations manque-t-il, plus précisément ?
Je pense à deux sujets, le traitement hors site et le retrait des sources concentrées. Dans la méthode utilisée avec des sites pollués, les professionnels utilisent des guides pour faire ce que nous appelons l'interprétation de l'état des milieux (IEM) et voir leur compatibilité avec l'usage futur du terrain. Cependant, il n'y a pas d'obligation au-delà de cette correspondance, de même qu'il n'y a pas d'obligation de retirer la source concentrée. C'est pour cela que l'on peut envisager qu'une loi oblige à retirer les sources concentrées et à traiter les pollutions hors site, peut-être avec un avantage fiscal - la compensation est une autre question. Il faut bien voir que le maintien de terrains pollués et de sources concentrées contribue à dégradation des milieux, des sols et des eaux souterraines, qu'il peut entraîner demain des dégazages, autant de contraintes d'autant plus difficiles à gérer quand la pollution est transférée hors site - qui en est alors responsable et qui doit la traiter ? Il faut préciser ces obligations, c'est une question de santé publique, via la qualité des milieux.
Le guide de valorisation des terres excavées comprend un seuil pour que le matériau perde son statut de déchet. Comment conférer à ce guide une valeur réglementaire ?
D'après nos informations, les deux guides que j'ai mentionnés - l'un sur les opérations d'aménagement, l'autre sur les infrastructures de transport - devraient être cités dans l'arrêté ministériel, ce qui les rendrait opposables, c'est ce que nous a proposé le ministère.
J'insiste sur l'importance du contrôle par un tiers expert : le contrôle doit être très précisément défini et porter aussi sur les sites receveurs de terres excavées, il faut pouvoir bien identifier le projet de ces sites pour éviter l'enfouissement de déchets. La réglementation doit claire sur ces points : identification de l'expert, avis explicite sur les terres excavées, leur qualité et les sites qui vont les recevoir.
En réalité, la responsabilité civile du pollueur est engagée, il y a donc bien un levier. Cependant, il faut voir comment cette responsabilité civile est mise en oeuvre : quand une pollution sort du site, nous informons le propriétaire, et il n'y a pas de suivi spécifique, sauf plainte de riverains.
Comment réconcilier économie et écologie ?
Quand vous dites qu'une friche industrielle au fin fond de la Lorraine restera toujours une friche industrielle polluée, cela pose un problème. C'est que dans des régions où le foncier est moins valorisé qu'ailleurs, nous ne parvenons pas à trouver un équilibre économique pour la dépollution.
Monsieur Kalck, vous avez évoqué la possibilité de concevoir une politique fiscale incitative. À quoi pensez-vous ? Dans d'autres auditions, certains avaient évoqué un fonds spécifique - dont il resterait à définir les contours et les contributeurs...
M. Bouché dit préférer à l'excavation des techniques moins coûteuses et plus respectueuses de l'environnement - et on ne peut que le suivre. Mais un cadre réglementaire a-t-il été posé préalablement au sein de vos professions concernant ces techniques ? Il ne faudrait pas que le remède miracle se révèle finalement pire que le mal.
Je suis désolé d'avoir cité des départements en particulier, mais je pensais à tous ceux qui ont un passif industriel et minier.
À l'occasion du projet de loi de finances pour 2020, nous avions proposé une approche pragmatique dans le but de faciliter le traitement sur site, que les friches aient ou non un projet d'aménagement. Nous avions ainsi pensé à alourdir le poids fiscal des sites dont les propriétaires seraient tentés de ne rien faire, en augmentant la taxe foncière, par exemple. Aujourd'hui, il existe une enveloppe de l'Ademe, dont le montant varie tous les ans, destinée à aider à la réhabilitation d'anciens sites, mais il faut qu'il y ait un projet derrière. C'est une contrainte. Il peut pourtant être intéressant d'enlever une source concentrée même en l'absence de projet. Il peut même être utile de traiter au plus tôt, pour que le site devienne intéressant s'il y a un développement tout autour de lui.
Nous avions pensé à la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), à la taxe d'aménagement ; nous avions parlé de défiscaliser des travaux de dépollution, d'exonérer de droit d'enregistrement les sites qui auraient été dépollués, de travailler sur la taxe foncière des sites ayant fait l'objet d'un traitement. Ce ne sont que des briques, mais nous espérons qu'elles servent à construire un pont plutôt qu'un mur.
Les murs peuvent être utiles, eux aussi ! Vous dites qu'il n'existe pas de définition du sol pollué. Est-ce parce que cette définition serait difficile à concevoir, qu'elle risquerait d'être incomplète ? Outre le comblement des deux lacunes citées par M. Kalck, qu'espériez-vous d'autre d'une loi sur les sols ?
Il existe une loi sur l'air, une loi sur l'eau ; le code de l'urbanisme intervient aussi dans ce domaine. C'est que l'eau, on la boit, tandis que le sol, on ne le mange pas. C'est pourtant la base de tout ce que l'on mange, et cela influence aussi ce que l'on respire, avec les émanations de poussières qui sont observées de plus en plus souvent. Une loi permettrait d'aller plus loin dans la gestion des pollutions. On pourrait même espérer aller plus loin, avec une approche agronomique, et réfléchir à la manière dont on peut rétablir un sol en état de faire pousser des plantes.
Aujourd'hui, il existe des guides plus ou moins bien appliqués, plus ou moins bien compris. Passer au niveau législatif permettrait d'obtenir une application systématique. Nous pourrions espérer passer un jour d'un sol pollué aujourd'hui à un sol où l'on fait pousser des carottes demain.
J'entends bien ce qu'apporterait une définition légale de la qualité de la terre, mais cela ne répond pas à l'absence de modèle économique, en dehors du modèle classique, où la valorisation foncière permet à l'aménageur de trouver un financement - et sa principale limite : sans projet d'aménagement, pas de financement.
Lors du vote de la première loi sur l'eau, le législateur ne s'est pas demandé comment on financerait les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) et les schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau (Sdage) ; il ne les a pas moins institués.
Ils ont été rendus obligatoires.
Le grand problème de la pollution des sols, c'est qu'on ne la voit pas, et qu'on la sent rarement tant qu'on ne creuse pas. Bien des polluants sont inodores et incolores. Comme elle ne se voit pas, on l'oublie. C'est pourtant le milieu où l'on vit, où l'on cultive ce que l'on mange, où l'on construit des habitations.
Pour faire un calcul économique complet, il faudrait intégrer le coût pour l'assurance maladie des pollutions chroniques. Mais s'il est facile, dans le cadre d'une pollution aiguë, de tracer la relation de cause à effet entre une exposition par inhalation au benzène par exemple, et un cancer, c'est bien plus difficile pour une pollution chronique : si le benzène est dans la nappe phréatique sous une école, les enfants ne seront pas malades maintenant, mais dans cinq ou dix ans.
Je souhaiterais répondre aux deux questions de M. Duran. Comment financer la dépollution là où le coût de la dépollution est supérieur au prix du mètre carré ? On peut passer par l'incitation fiscale, mais aussi par des mécanismes de compensation : on pourrait ainsi imaginer une mutualisation entre les zones où il est facile de revaloriser une friche et les autres, à travers une assurance peu chère payée par les pollueurs, qui financerait un fonds d'amorçage là où le foncier n'est pas dense. On peut donner des subventions d'amorçage à verser à partir du moment où l'acquéreur ne gagne pas d'argent sur une acquisition, mais il ne faudrait pas que la subvention lui paye son acquisition foncière. Une telle réflexion en amont coûterait un peu plus d'argent, mais dégagerait des projets de plus long terme.
Concernant le traitement sur site, comment éviter que le remède soit pire que le mal ? Dans le métier de la dépollution des sols in situ, il y a beaucoup de chercheurs, d'ingénieurs, de techniciens, qui doivent être à la fois humbles et persévérants. Il faut aussi se méfier des chants des sirènes qui vous expliquent que l'on va dépolluer avec des champignons ou des bactéries miraculeux : il y a des cas où ce n'est pas possible - en cas de pollution à trois mètres de profondeur - et des cas où c'est possible, mais où cela présente des inconvénients. Il n'est pas facile, de fait, de trier le bon grain de l'ivraie, car les polluants des sols sont difficiles à dégrader, car ultrastables.
Mme la rapporteure demande si une friche peut être gelée demain à cause de nouveaux polluants. Oui, je pense à des polluants émergents, comme les perfluorés, issus des produits de lutte contre les incendies industriels, et qu'on retrouve dans l'estomac des pingouins et des phoques en Antarctique et en Arctique, par exemple.
Il faut donc accepter que l'on chauffe le sol à 150 degrés, que l'on fasse des traitements par oxydoréduction. À un instant t, toutes les techniques ne peuvent pas être favorables à toutes les fonctions du sol en même temps. C'est pourquoi il faut des entreprises compétentes, et des bureaux d'études qui conçoivent leurs plans d'intervention. Dans les plans de conception de travaux, nous appliquons toujours des pilotes pour développer à petite échelle les techniques innovantes avant de passer à grande échelle. Le guide de 2019 encadre l'action des entreprises, imposant par exemple un pilote en laboratoire puis à petite échelle. C'est utile : une entreprise a remporté un prix de l'innovation, car elle avait su dégrader des polychlorobiphényles (PCB) avec des bactéries. Toutefois, la technique fonctionnait en laboratoire, mais pas sur le chantier.
Aujourd'hui, rien n'impose au propriétaire d'un terrain pollué d'en mesurer l'état, sauf si une industrie cesse son activité. Un autre problème est que l'on sait ce qu'est une eau potable, mais que l'on ne sait pas ce qu'est un sol pollué. On ne le mange pas, même si on y fait pousser des artichauts et on y construit des écoles. Il faut définir ce que l'on attend d'un sol et arrêter de le traiter comme un déchet. Aujourd'hui, notre activité relève de lois sur les déchets. Il faut une nomenclature définissant ce qu'est un sol pollué, les valeurs-seuils, les usages. Nous pouvons vous transmettre des éléments. Il y a tout à faire.
Nous nous rendons bien compte qu'il faut une loi sur les sols pollués qui prenne en compte la diversité des pollutions. Dans l'Aude, quand on croit une pollution circonscrite, le dérèglement climatique la fait réapparaître. Les pollutions ne sont pas figées, surtout si elles touchent aux eaux souterraines. Même lorsque la nature reprend ses droits sur ce qu'on appelle des terrils dans le Nord, et qui sont chez nous des retenues de déchets collinaires.
Lorsque les exploitants sont partis depuis des années et qu'on hérite de sols historiquement pollués, cela peut prendre des dimensions astronomiques avec des cours d'école polluées, des reconstructions nécessaires et des personnes qui ne peuvent plus cultiver leurs légumes dans leur jardin à cause de la pollution à l'arsenic. Nous devons donc chercher à encadrer ces questions au mieux, y compris en mobilisant la réglementation. Quand tout a disparu, on ne peut pas se fonder sur un guide de méthodologie. Et quand les agences régionales de santé (ARS) interviennent, les contours deviennent encore plus flous pour nos concitoyens. Nous recevrons donc avec plaisir vos propositions pour une future loi sur les sols.
Dernière question : la commission d'enquête a-t-elle été prolongée en raison de la crise sanitaire ?
Oui, jusqu'en septembre. Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La téléconférence est close à 16 h 00.