Le PLFSS est élaboré conjointement par le ministre des affaires sociales et par le ministre de l'économie et des finances, mais l'ampleur du sujet m'a semblé justifier l'organisation de deux auditions distinctes. Nous entendrons mardi prochain Mme Marisol Touraine, accompagnée de Mmes Marie-Arlette Carlotti, Dominique Bertinotti et Michèle Delaunay, pour évoquer plus en détail les problématiques des différentes branches. Pour l'heure, nous souhaitons aborder avec M. Jérôme Cahuzac les questions liées au financement et aux grands équilibres de la sécurité sociale, dans un contexte qui, cette année, est bien particulier. L'examen de ce PLFSS sera précédé de celui d'un projet de loi de programmation des finances publiques couvrant les années 2012-2017 et qui procède lui-même, par anticipation, du projet de loi organique sur la programmation et la gouvernance des finances publiques. Notre commission s'est saisie pour avis de ces deux textes extrêmement importants pour l'évolution des finances sociales dans les prochaines années, puisqu'ils fixent le cadre d'un retour à l'équilibre après trois années de déficit record. La discussion du PLFSS comportera aussi en arrière-plan la question du mode de financement de la protection sociale, sur laquelle des réformes ont été annoncées pour 2013.
Marisol Touraine complétera en effet mon propos.
Le PLFSS est un projet de rétablissement d'un certain nombre de politiques de solidarité, avec les mesures concernant les victimes de l'amiante, les agriculteurs, les régimes de retraite, l'hôpital, le secteur médico-social, les personnes âgées... Les budgets correspondants ne sont pas frappés par l'effort de redressement qui impose, dans d'autres secteurs de l'action publique, une progression nulle en valeur. Il ne s'inscrit pas moins dans l'objectif de rétablissement des comptes voulu par le Président de la République et mis en oeuvre par le Gouvernement qui assume parfaitement cette priorité.
Le déficit cumulé des comptes sociaux sur la période 2002-2011 s'élève à 160 milliards d'euros. Malgré les transferts à la Cades, l'Acoss porte encore une dette de 20 milliards d'euros environ, dette qui va s'aggraver l'an prochain. Parce que cela n'est pas tolérable, ce PLFSS propose à la fois des mesures de recette et des mesures d'économie.
Première mesure d'économie, la progression de l'Ondam pour 2013, affichée à 2,7 % par rapport au montant exécuté de 2012, n'est en réalité que de 2,5 % par rapport à la précédente loi de financement. Cette progression est également inférieure aux 2,8 % enregistrés en exécution entre les exercices 2011 et 2012. La comparaison ne nous est pas défavorable. Incontestablement, des économies supplémentaires sont faites. Mais elles ne suffisent pas à rétablir les comptes : le déficit prévisionnel du régime général pour 2012 s'établit à près de 20 milliards, au lieu de 17,4 milliards initialement prévu. Il s'agit de réduire ce montant par un effort d'environ 4 milliards par rapport à l'objectif initial, c'est-à-dire de 5,8 milliards par rapport à l'exécution, qui s'ajoute aux mesures déjà décidées à l'occasion du PLFR de cet été.
Tout d'abord, par solidarité entre les générations, il sera demandé aux retraités imposables (environ les deux tiers d'entre eux) une contribution de 0,15 % sur leur pension, pour un rendement d'environ 400 millions d'euros. La contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa) sera affectée en 2013 au Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Sans contribuer directement à la prise en charge de la dépendance, elle concernera tout de même les anciens - la solidarité ici est à la fois intergénérationnelle et entre retraités, elle est donc défendable.
En équité, nous demandons un effort important au régime social des indépendants (RSI). Les administrateurs de ce régime l'ont accepté et ont émis un avis favorable à l'adoption du PLFSS, ce qui est remarquable et témoigne d'une attitude responsable. Le système de cotisation des indépendants était le dernier à prévoir un plafonnement à partir de 180 000 euros. La suppression de ce plafond dégagera environ 500 millions d'euros, c'est un effort considérable, et consenti.
Nous alignons aussi le régime de cotisation des auto-entrepreneurs sur celui des métiers avec lesquels ils sont en concurrence : artisans, commerçants inscrits au registre, qui ont des obligations assurantielles et réglementaires dont peuvent s'affranchir les auto-entrepreneurs. Ces derniers conservent deux avantages : de très grandes facilités déclaratives et l'absence de cotisation minimale.
Il y aura des gagnants (environ cinq cent mille), puisque nous divisons par deux la cotisation minimale des indépendants sans pour autant soumettre à CSG les revenus en-deçà d'un certain niveau et, bien sûr, des perdants (environ huit cent mille), puisque nous déplafonnons totalement les cotisations.
Le bon sens inspire également deux mesures d'équité. Les gérants majoritaires qui se rémunèrent en dividendes pour un montant dépassant 10 % des fonds propres verront cette rémunération frappée des cotisations sociales qu'on applique aux revenus salariaux. Ensuite, les frais professionnels, pris en compte pour le calcul du bénéfice d'une entreprise, sont déduits pour le calcul de l'assiette sociale. Nous supprimons cette deuxième déduction.
Le rendement de l'ensemble de ces mesures concernant le RSI sera d'environ 900 millions d'euros.
Certaines dispositions concernent les régimes de retraite. La CNRACL verra sa cotisation augmenter de 1,35 % car, si rien n'est fait, ce régime ne pourra servir les pensions jusqu'à la fin de l'année prochaine. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour les élus locaux, mais nous devons assumer cette décision - comment envisager de mettre ce régime en insolvabilité ? Et il n'est pas exclu que nous devions prendre de nouvelles mesures pour 2014.
Deux autres régimes doivent bénéficier de subsides supplémentaires. Celui des électriciens et des gaziers, d'abord, avec l'augmentation d'une taxe créée par la majorité précédente au moment de la privatisation, quand l'Etat a repris les engagements hors bilan en matière de retraite. Pour servir les prestations aux ayants droit de ce régime, il est nécessaire de relever la fourchette législative du taux sur le tarif de distribution du gaz. Quant aux professions libérales, c'est aussi avec l'accord des administrateurs de leur régime d'assurance vieillesse que le taux de cotisation monte de 8,63 % à 9,75 % afin de garantir le versement des pensions.
Deux taxes comportementales, enfin, touchent tous les Français : une hausse du droit d'accise sur la bière et une réforme de la structure de la fiscalité du tabac. Tous les Français sont concernés par les politiques de prévention, tous seront, le cas échéant, sollicités. La hausse du droit d'accise, de 3 à 8 centimes par degré par hectolitre, est importante en pourcentage, mais le montant reste raisonnable en valeur absolue : il est deux fois supérieur en Grande-Bretagne ou en Irlande, quatre fois supérieur aux Pays-Bas, qui ont d'autres traditions. L'effet prix joue, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle les brasseurs s'émeuvent. Ce n'est pas de gaîté de coeur que l'on prend ces mesures d'un grand clacissisme. Les mesures sur le tabac procèdent surtout d'un souci d'efficacité en matière de hausse de prix : la structure de la fiscalité du tabac en France est originale comparée à celle de nos voisins européens. Quand les prix du tabac augmentent, les droits augmentent davantage pour les produits les plus chers. La consommation se reporte alors vers les moins chers d'où un moindre impact en termes de santé publique, comme en termes de recettes. Il nous faut donc harmoniser la structure de la fiscalité sur le tabac avec celle de nos voisins, en augmentant davantage la part proportionnelle que la part spécifique, ce que nous proposons de faire à partir du 1er juillet. Ainsi, les futures hausses de prix - car il y en aura - produiront leur plein effet. De même, nous commençons à corriger la fiscalité sur le tabac à rouler : elle est moins forte que sur les cigarettes, ce qui crée un déport de consommation vers ce tabac pourtant plus nocif. Aussi faisons-nous passer de 60 à 62 % les droits sur ce tabac, afin de commencer à rattraper le taux de droit commun de 75,25 %. Nous ferons le reste du chemin dans un autre PLFSS.
Je n'oublie pas l'harmonisation de l'assiette des assureurs à la C3S et l'alignement sur la définition du chiffre d'affaires retenu pour la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), cette mesure de cohérence.
Avec le carried interest, des gestionnaires de fonds, dès lors qu'ils mettent au moins 0,25 % de la mise, bénéficient d'une part allant jusqu'à 20 % des profits résultant des investissements ainsi réalisés, à condition toutefois d'avoir conservé leurs titres pendant plusieurs années. Un forfait social à 20 % pourrait être un peu lourd ; il reviendra au travail parlementaire de préciser les choses, car il ne s'agit pas de compromettre un système dont notre économie a besoin : dès lors que les gestionnaires ne mettent pas de fonds propres, les autres investisseurs ne font rien.
Deux autres mesures en équité : il n'y a pas de raison que le forfait social sur les ruptures conventionnelles ne s'applique qu'à partir de deux plafonds annuels de la sécurité sociale, il s'appliquera donc également en deçà. L'assiette de la taxe sur les salaires sera alignée sur celle de la CSG : effort assez conséquent mais cohérent puisqu'il faut harmoniser les différentes fiscalités, au moins en termes d'assiette.
La suppression de l'option forfaitaire pour la cotisation des employeurs de salariés à domicile a fait couler un peu d'encre. Pourtant, l'avantage fiscal des employeurs n'est en rien modifié et le plafonnement global des niches ne produira ses effets qu'en 2014. Ce dispositif de déduction fiscale a été imaginé par un gouvernement de gauche, majoré par un gouvernement de droite, modifié par un gouvernement de gauche puis par un gouvernement de droite, et il est assumé par le gouvernement actuel. Il fait consensus sur son principe, même si ses modalités d'application peuvent être discutées. Ce que nous modifions, ce sont les modalités de cotisation des employeurs, car le droit d'option total entre une cotisation sur la réalité du salaire versé et une cotisation sur un forfait correspondant au Smic aboutit à ce que la majorité choisisse la cotisation au forfait. Or ce n'est pas l'intérêt des employés, puisque les cotisations les concernant sont souvent établies sur une base inférieure à leur rémunération réelle. Cette forme de négation de leurs droits sociaux ne nous paraît pas acceptable. Nous demandons aux employeurs de cotiser sur la réalité du salaire versé, sans toucher pour autant à leur avantage fiscal.
Enfin, les élus locaux devront désormais cotiser sur la réalité de leur indemnité, mais avec une franchise à 18 000 euros car en deçà, les élus concernés, souvent des maires de petites communes rurales, accomplissent un travail qui s'apparente à du bénévolat. Au-delà en revanche, il est équitable de demander aux élus locaux de cotiser sur la réalité de leur indemnité.
Merci pour votre exposé très clair.
Mme la présidente l'a rappelé, notre commission a souhaité se saisir pour avis du projet de loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, comme d'ailleurs du projet de loi de programmation. Compte tenu de l'importance, au sein des finances publiques, des prélèvements obligatoires affectés aux organismes de sécurité sociale ainsi que de leurs dépenses, et des spécificités de leur mode de régulation et de pilotage, il semble en effet indispensable que la commission puisse faire entendre sa voix.
Pour améliorer encore les lois de programmation et asseoir leur crédibilité, vous semble-t-il possible de prévoir des dispositions plus détaillées, sur l'objectif de dépenses des régimes obligatoires de sécurité sociale ? Peut-on imaginer un pouvoir de nomination par les commissions des affaires sociales des membres du Haut Conseil des finances publiques, ou au moins garantir que ceux-ci possèdent de réelles compétences en matière de finances sociales ? Pourrait-on prévoir dans le PLFSS, comme c'est le cas dans le PLF, un tableau de synthèse sur le solde structurel et le solde effectif des administrations de sécurité sociale afin de mieux articuler les engagements pluriannuels avec le vote annuel du Parlement en matière sociale ? Que devient le Comité d'alerte de l'assurance maladie après la création du Haut Conseil des finances publiques ? Il importe de donner à la commission des affaires sociales la capacité d'intervenir le plus en amont possible.
Vos projections font état, d'ici 2017, d'un déficit cumulé du régime général de l'assurance maladie de 22,1 milliards d'euros : une reprise de dette par la Cades est inéluctable. Peut-on envisager que les recettes transférées pour l'amortissement à venir des dettes issues de l'assurance vieillesse (62 milliards au maximum) contribuent à l'amortissement des dettes issues de l'assurance maladie ? La dette à amortir en provenance des déficits de l'assurance vieillesse et du fonds social vieillesse serait « seulement », si je puis dire, de 50,5 milliards d'euros. Sinon, quels sont les scénarios envisageables pour financer la Cades sans prolonger la durée de vie de la dette sociale ?
Le Gouvernement table sur une progression des recettes des organismes de sécurité sociale de 3 % par an à compter de 2013. Si l'on raisonne hors mesures nouvelles, quelles peuvent être les assiettes fiscales, susceptibles le cas échéant de se substituer aux cotisations sociales, avec le même dynamisme et un rendement identique ? Les taxes comportementales, qui visent par nature à détruire l'assiette sur lesquelles elles sont assises, peuvent-elles répondre aux exigences de rendement prévues par la programmation des finances publiques ? Enfin, reste-t-il des marges de manoeuvre dans la réduction des niches sociales ?
Nous n'avons pas souhaité alourdir le contenu des lois de programmation, puisque les informations que vous souhaitez figurent dans l'annexe B du PLFSS. Elles sont donc déjà à la disposition du Parlement. Je regrette que l'examen des lois de programmation pluriannuelles n'ait pas encore, au sein du Parlement, l'écho qu'il mérite. C'était pourtant bien l'esprit de la LOLF que d'instaurer un chaînage vertueux entre loi de règlement, débat d'orientation budgétaire, loi de programmation, loi de finances initiale, loi de financement de la sécurité sociale, afin de tenir compte des résultats de l'année précédente et des prévisions pour l'année suivante pour programmer correctement les choses.
En ce qui concerne les nominations au Haut conseil des finances publiques, je n'interviendrai pas : c'est la libre administration des Assemblées. La séparation des pouvoirs doit être respectée. Le Parlement est souverain, il lui revient de déterminer l'organisation de ces procédures. Je m'en remettrai à la sagesse sur ces sujets.
Le tableau de synthèse sur les soldes des administrations publiques, prévu par le projet de loi organique, tient compte à la fois du PLF et du PLFSS. Nous avons prévu qu'il figure dans le PLF parce que celui-ci est voté en dernier, ce qui permet d'intégrer les modifications intervenues dans la discussion parlementaire, tant en PLF qu'en PLFSS. C'est l'unique raison de ce choix. Il ne s'agit pas de minorer le rôle d'une commission ou de magnifier tel ou tel texte.
Le comité d'alerte de l'assurance maladie conservera son rôle après la création du Haut Conseil des finances publiques.
S'agissant des déficits de la branche vieillesse du régime général, les projections sont actuellement de 50,5 milliards d'euros jusqu'en 2017. La période couverte par les recettes transférées à la Cades court jusqu'à 2018. Commençons par créer les marges avant de songer à les préempter. Nous aurons l'an prochain un débat sur les retraites et en la matière, il n'y a pas de grande réforme définitive, mais de nécessaires ajustements périodiques. Ne nous interdisons pas toute possibilité d'action face aux évolutions.
Vous m'interrogez sur les prévisions de recettes sur lesquelles le Gouvernement fonde ses engagements. Le Haut Conseil du financement de la protection sociale va conduire des travaux et il serait indélicat, avant même qu'il n'ait rendu ses conclusions, d'indiquer ce que le Gouvernement compte faire.
Les taxes comportementales, si elles sont bien conçues, détruisent en effet l'assiette sur laquelle elles sont assises. En matière d'alcool et de tabac toutefois, il semblerait que l'on ait du mal à détruire l'assiette ! L'effet prix est réel, mais il ne suffit pas, comme l'atteste la fameuse règle des trois P : prix, prévention, publicité. Le sort de cette dernière a été réglé par la loi de 1991 ; l'objectif d'augmentation des recettes n'exclut pas toute dimension de santé publique.
Je suis ouvert à toute suggestion du Parlement en matière de réduction des niches. Les chiffres sont accablants : près de 70 milliards d'euros par an pour les niches fiscales, 68 ou 69 milliards d'euros pour les niches sociales, d'après les chiffres de la Cour des comptes. Sans être des niches à proprement parler, les modalités particulières de calcul de l'impôt coûtent tout de même 85 milliards d'euros par an. Il y a donc de la marge. Encore faut-il préciser ce qu'on appelle niche : les 10 % d'abattement pour frais professionnels des retraités, la CSG particulière selon le niveau de revenu sont des niches, le dispositif sur les employeurs à domicile aussi. Le principe de la niche fiscale ou sociale n'est contesté par personne : la fiscalité a toujours été un bon moyen d'inciter ou de contraindre. On peut néanmoins discuter de leur niveau. Avoir augmenté entre 2002 et 2007 le coût des niches fiscales de 50 % fut peut-être excessif.
Je salue deux excellentes dispositions de ce PLFSS : la possibilité pour toute personne victime de l'amiante de partir à soixante ans et la révision des conditions de majoration au titre des tierces personnes.
La branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), dont je suis rapporteur, représente 13,3 milliards ; elle a un déficit cumulé de 1,7 milliard, même si pour 2013 un excédent de 300 millions est annoncé. Ce déficit a jusqu'à présent été couvert par l'Acoss. En 2010, notre commission et son rapporteur général de l'époque s'étaient opposés au projet du précédent gouvernement de transférer ces déficits à la Cades, et cette position n'a pas, je pense, varié. Envisagez-vous de solliciter la Cades ? Sinon, comment résorber cette dette ? Depuis 1981, les cotisations des entreprises ont considérablement diminué, et quand on sait que 0,1 % de cotisation rapporte 500 millions, on se dit qu'avec une augmentation lissée des cotisations, la branche s'équilibrerait toute seule dans le respect de sa vocation assurantielle.
Les intérêts restent à la charge de l'Acoss. Même si celle-ci emprunte actuellement à des taux intéressants, ne serait-il pas souhaitable, à titre pédagogique, que les 20 millions d'euros correspondants soient supportés par la branche ?
Le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) diminue de 200 millions. On nous assure - et je le crois volontiers - que les crédits inscrits suffiront à répondre aux obligations liées à l'indemnisation des victimes de l'amiante. A-t-on tenu compte des engagements du Gouvernement visant à apurer le contentieux consécutif à un jugement du tribunal de Douai, en renonçant au remboursement que le Fiva avait à juste titre demandé à des personnes ayant anormalement, mais en toute bonne foi, cumulé pendant un certain temps pension d'invalidité et pension de retraite ?
Lors de la réforme des retraites, il avait été prévu que la branche AT-MP verse à la branche vieillesse une participation compensant les départs anticipés à la retraite liés à un taux d'invalidité (110 millions en 2012, 35 millions en 2011). Elle ne figure pas dans l'avant-projet. Je me réjouirais d'un changement de cap.
Au risque de vous mettre dans l'embarras, je ne saurais passer sous silence les indemnités journalières pour accident du travail, fiscalisées par la loi de finances pour 2010. Devant la grogne, la fiscalisation avait été limitée à 50 %. Elle n'en reste pas moins anormale. Ces indemnités sont forfaitaires en vertu d'un accord entre les partenaires sociaux : 80 % pendant vingt-neuf jours, 60 % ensuite. La personne, qui n'est pas responsable de son accident, est déjà pénalisée puisqu'elle ne touche pas son salaire plein.
L'augmentation de 0,05 % des cotisations d'accidents du travail permettra un excédent de 300 millions d'euros en 2013 : oui, c'est la branche qui a vocation à apurer sa dette, incontestablement. Avec le temps, cela devrait être possible. En attendant, c'est l'Acoss qui s'en charge : elle emprunte sur les marchés à de très bonnes conditions, sa signature équivalant en qualité à celle de l'Etat. En 2012, ses frais financiers ont été d'environ 20 millions d'euros à ce titre, ce qui, sans être négligeable, reste très supportable. L'an prochain, pour l'ensemble des régimes, l'Acoss empruntera 27 ou 28 milliards. Le plafond de 29 milliards prévu par le PLFSS peut paraître élevé, mais il est bien inférieur à celui de 2010, qui atteignait 65 milliards. L'Acoss est familière de cet exercice qu'elle vit très sereinement. Au demeurant, il y a une convention entre l'Acoss et la Caisse des dépôts, qui porte sur 14 milliards et dont on n'a mobilisé que 900 millions en 2012. Il y a une marge pour faire face à d'éventuelles tensions sur les marchés. En 2013, l'Acoss pourra continuer à jouer son rôle d'emprunteur et de prêteur mais des réformes de structure sont inéluctables. On ne peut déjà plus transférer des dettes à la Cades si on ne les accompagne pas des ressources supplémentaires nécessaires à leur amortissement sans prolongation de la durée de vie de la Cades : la décision du Conseil constitutionnel est sans ambiguïté.
Sur la décision de justice concernant les victimes de l'amiante, les modalités juridiques permettant de régler cette affaire délicate sont en cours de définition.
S'agissant des transferts entre la branche AT-MP et la branche vieillesse au titre des retraites anticipées pour pénibilité, la Cnav a reçu en 2012 une dotation suffisante pour passer l'année. La montée en charge du dispositif étant plus lente que prévu, il n'y a pas de dotation pour 2013.
La fiscalisation des indemnités journalières d'accident du travail résulte d'un amendement contre lequel nous avions vigoureusement protesté. On peut, comme Jean-François Copé, présenter une telle mesure comme le début de la lutte contre des niches sociales indues ; on peut aussi se demander - c'est ce que j'avais fait - pourquoi on s'attaquait à cette niche plutôt qu'à une autre. C'est bien pourquoi ce PLFSS préfère à la suppression de telle ou telle niche, un plafonnement global (10 000 euros par an et par foyer fiscal), laissant le soin aux agents économiques de faire un choix. On peut parier qu'avec le temps certaines niches tomberont en désuétude et l'on pourra les supprimer alors sans déclencher de protestation. Cette méthode me semble plus efficace et moins contestable. Mais il n'est pas prévu dans ce PLFSS de revenir sur cette disposition...
Le revenu de remplacement des accidentés du travail est inférieur à leur revenu initial.
Il n'est pas imposé comme le revenu initial !
Dans ce cas, qu'on porte le revenu de remplacement à 100 % ! On n'a pas pris le problème dans son ensemble. En la circonstance, on revient sur l'accord initial entre les partenaires sociaux. Celui-ci prévoit une indemnisation forfaitaire parce que la faute est imputable à l'employeur. Là, le gouvernement précédent, qui a touché à un équilibre acquis de longue date entre les partenaires sociaux, aurait dû passer par un protocole social et des négociations. Je regrette vivement qu'il n'y ait rien sur ce point dans le PLFSS.
Quant à la prise en compte de la pénibilité, elle a du mal à se concrétiser. Comme nous le craignions, très peu de personnes peuvent partir grâce à cette mesure qui n'a donc guère de sens. Nous devrons y revenir avec M. Sapin.
Le Gouvernement demande à tous les revenus de contribuer, à leur mesure, au rétablissement des finances publiques. Il est dès lors délicat d'en exclure certains, fussent-ils de remplacement. Et comme l'impôt est progressif, ils sont fiscalisés en tenant compte de leur niveau et non comme l'étaient les revenus initiaux. On n'institutionnalise pas l'injustice après le malheur. L'impôt progressif est juste ! Ou bien faut-il défiscaliser les retraites ? C'est aussi un revenu de remplacement...
C'est vrai... Ou l'on part du principe, comme je le fais, que tous les revenus doivent contribuer, et on est plus à l'aise ensuite pour taxer les très hauts revenus, ou bien l'on pense que certains doivent être épargnés, mais alors où mettre la barre ? Faut-il prendre en compte le niveau ou des catégories ? Les critères seront introuvables. Je ne crois pas opportun de rentrer dans ce type de débat. La vraie question c'est de faire contribuer chacun à hauteur de ses moyens, de manière progressive. En revanche, je persiste à juger que la mesure a été à l'époque délibérément provocatrice.
Vous avez raison sur la pénibilité : le mot n'a pas été décliné comme il aurait dû l'être. Comment en tenir compte dans le calcul de la durée de travail si on la constate après coup, pour liquider la retraite ! Les salariés concernés n'ont rien gagné en temps de travail. Le procédé est déloyal, et nous aurons à aborder ce sujet de manière radicalement différente lors de la réforme des retraites l'an prochain.
Je partage votre avis sur la nécessité d'une fiscalité progressive.
L'accord entre partenaires sociaux prévoyait que le taux des indemnités journalières d'accident du travail était de 80 % puis de 60 %, en contrepartie de leur défiscalisation...
Comme l'accord a été rompu, les partenaires sociaux pourraient demander la réouverture des discussions. Peut-être même abandonnerait-on le système de présomption d'imputabilité, au risque d'ouvrir la voie à des procédures contentieuses qui nourriront des cabinets spécialisés.
Sur la fiscalité, je suis d'accord avec vous : il faut que tous les revenus participent, y compris les revenus financiers. N'hésitez pas à y aller...
Certains trouvent que nous allons trop loin.
On ne peut parler des ressources de la protection sociale si l'on oublie que notre pays compte trois millions de chômeurs ! Quel gâchis humain, quel manque à gagner ! Qu'envisagez-vous ?
Parvenir à l'égalité professionnelle, conformément à la volonté politique affichée par la ministre aux droits des femmes, constituera aussi un élément important pour le financement de la protection sociale.
Alors que nous débattons du Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, nos collègues députés européens socialistes font état d'informations alarmantes en provenance de Bruxelles. Des projets de directive envisageraient d'ouvrir la sécurité sociale aux assurances privées. Ce serait un coup terrible porté à notre sécurité sociale. Les textes sont complexes, le diable se niche dans les détails de leurs annexes. Avez-vous des informations à ce sujet ?
Vous évoquez des travaux que je ne connais pas. Une chose est sûre : ce n'est pas ce Gouvernement qui privatisera la sécurité sociale !
Aucun article du Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ne prévoit un tel bouleversement ! Il s'agit d'un traité de finances publiques. Les Etats restent totalement maîtres de l'organisation de la protection sociale. Le rééquilibrage des finances publiques n'est pas une contrainte d'ordre externe mais interne. Dépendre du marché constitue une perte de souveraineté. Il s'agit de nous déprendre d'une contrainte pour retrouver une liberté d'action. Même si les taux d'intérêt sont historiquement bas, on ne peut rester sous cette menace ni accumuler pour le fonctionnement courant des dettes qui constitueront pour ceux qui arrivent un impôt à la naissance. Tant que la puissance publique asséchera le marché de la liquidité pour son usage, ce sera autant de capitaux qui ne seront pas investis par les entreprises, de richesses qui ne seront pas créées. Le système n'est plus tenable pour des raisons d'indépendance nationale, de respect des générations futures et de création de richesse. Inutile de faire référence à un traité ou à je ne sais quelle directive pour que cette contrainte s'impose à nous.
Les questions sur le chômage et l'égalité salariale pourront trouver des réponses dans nos débats futurs.
Nouveau dans cette commission, je suis impressionné par votre maîtrise des sujets.
J'aimerais connaître votre sentiment sur les lignes de force de ce quinquennat sur le financement de la protection sociale. Au moment où Louis Gallois prépare un rapport sur la compétitivité, quel est selon vous le juste équilibre entre financements issus de la production et de la consommation ? Si à long terme les différences s'estompent, à court terme elles sont importantes dans un monde concurrentiel.
Le rapport entre effort personnel et effort collectif peut-il évoluer ? Tendanciellement les dépenses de santé ne peuvent qu'augmenter, avec le vieillissement, l'élargissement de l'accès aux soins, la hausse de l'exigence de qualité, etc. La dépendance, en outre, est un thème passionnant, car si la protection sociale protège des risques, elle constitue quant à elle une certitude, ou une forte probabilité...
Les salariés et les travailleurs indépendants n'obéissent pas aux mêmes règles. Le salarié a un contrat, qui détermine sa rémunération en échange d'heures de travail ; le travailleur indépendant entretient un autre lien au capital ; il exerce un arbitrage permanent entre ce qu'il fait aujourd'hui et ce qu'il touchera, peut-être, demain.
Quelle est votre vision de la juste appropriation des gains de productivité en matière de santé ? Par exemple, on stigmatise volontiers l'augmentation du budget de transports des malades, qui est pourtant la contrepartie de la nouvelle carte hospitalière et du développement de la médecine ambulatoire. Les gains de productivité dans un secteur entraînent des coûts pour d'autres secteurs. Comment la solidarité peut-elle fonctionner dans ces conditions si en croyant boucher ici un trou l'on crée ailleurs une dépense ?
Mme Touraine pourra répondre à votre dernière question la semaine prochaine.
Vous avez évoqué la fiscalité comportementale qui augmente les recettes de l'Etat tout en modifiant les comportements. Avez-vous réfléchi à la mise en place d'une fiscalité environnementale ? Les produits dangereux pour la santé, comme les pesticides ou les particules fines, provoquent des frais supplémentaires en matière de santé. Il est peut-être temps d'enclencher une dynamique.
Le débat sur la compétitivité sera passionnant, Je ne sais quelle vision l'emportera dans l'opinion sur cette question qui n'a rien de médiocre.
Absolument ! Je regrette qu'avant de nous demander comment financer la protection sociale, nous n'ayons pas répondu à une question fondamentale : combien souhaitons-nous y consacrer ? Or, la différence de compétitivité entre la France et l'Allemagne s'explique, en grande partie ainsi : l'Allemagne consacre moins que la France à sa protection sociale. A ne pas trancher cette question du combien, nous répondrons mal à la question du comment qui domine le débat...
Notre choix politique a été de ne pas augmenter la TVA ni la CSG pour protéger la consommation des ménages, seul moteur de notre peu de croissance. Méfions-nous à cet égard des comparaisons. Il est vrai que l'Allemagne a augmenté sa TVA de trois points, pour en consacrer deux au désendettement et seulement un à la compétitivité, ou que le Danemark a un taux de TVA de 25 %. Cependant la structure économique y est différente : en France, 60 % de la croissance proviennent de la consommation des ménages, tandis qu'en Allemagne 60 % de la croissance proviennent des exportations !
Elle est plus favorable en France.
Elle est surtout plus prometteuse...
Gardons-nous d'imiter des pays qui ont une autre structure économique. Le coût du travail pose un problème incontestable dans l'agroalimentaire : la France, autrefois première puissance européenne, est désormais au troisième rang, derrière l'Allemagne et les Pays-Bas. Les raisons en sont d'ordre conjoncturel : l'Allemagne importe des pays de l'Est une main-d'oeuvre à bon marché. Cela ne durera pas.
Le même problème se pose dans les services. En revanche dans l'industrie, le coût du travail, qui était inférieur en France, a augmenté et a rejoint le niveau allemand, mais les chiffres de l'Insee sont clairs, il ne l'a pas dépassé. A coût du travail équivalent, les produits français sont de moins bonne qualité, de gamme inférieure et la structure des exportations est insatisfaisante. L'Allemagne n'a qu'un seul organisme d'aide aux exportations, contre sept ou huit en France. Sophie de Menthon, présidente d'Entreprises de taille humaines indépendantes et de croissance (Ethic), a montré dans un rapport récent comment les PME qui voudraient exporter se perdent dans le maquis des aides.
Autre différence : en Allemagne, les grands groupes sont assez patriotes pour jouer le jeu avec les entreprises de taille intermédiaire, tandis qu'en France ils les pressurent quand ils ne les assassinent pas.
Il faut avoir en tête ces éléments en abordant le débat sur la compétitivité. Veut-on reporter davantage le coût du travail sur la consommation ? C'est pourtant ce que l'on fait depuis 1945.
Que fait-on, on continue ? Nous disposons de trois possibilités : la TVA, la CSG ou les deux. Nous sommes revenus sur la TVA sociale qui n'aurait pas produit les effets escomptés. Baisser de 2 % le coût du travail, qui représente 20 % à 40 % du coût du produit fini, entraîne une baisse de 0,4 % à 0,8 % en une fois. On est loin de rattraper l'écart de compétitivité avec l'Allemagne, sans compter que pour parvenir à une nouvelle baisse du coût, il faudrait renouveler l'exercice les années suivantes, ce que les promoteurs de cette mesure s'étaient bien gardés de dire.
La CSG ? J'ai toujours soutenu cet excellent impôt avec une assiette large et un taux encore bas. Mais ne lui en demandons pas trop. On oublie que 70 % de son produit est issu des salaires. Augmenter la CSG pour financer la protection sociale ou l'abaissement du coût du travail, reviendrait à les faire financer par les salaires : est-ce opportun quand on veut protéger la consommation ? Inversement, si l'on choisit de protéger les salariés, les efforts pèseront sur les retraités ou sur le capital. Cette année, on ne peut guère demander davantage à ce dernier. Il reste les retraités : leur demander gaillardement de financer le coût du travail paraît politiquement un peu compliqué pour tout le monde.
J'attends avec intérêt de voir comment le débat va se nouer.
Augmenter la part des prélèvements individuels revient toujours à accroître d'une manière ou une autre le prélèvement collectif. Cela marche-t-il mieux ? Non, les tickets modérateurs et autre franchises améliorent les recettes sans endiguer l'évolution des dépenses.
Je ne crois pas à une explosion des dépenses de santé : à court et moyen terme, les moteurs d'accroissement des dépenses sont éteints. L'élargissement de la couverture est achevé, 96 % de la population en bénéficient contre 85 % il y a dix ans, avec un taux de prise en charge désormais comparable. Enfin, on ne voit plus apparaître de nouveaux traitements révolutionnaires.
Il y a des substitutions. Reste la dépense hospitalière. L'immobilier hospitalier est dans un état catastrophique ? Oui, mais une fois rénové, un hôpital fonctionne pendant trente ans et les dépenses sont amorties. Avec des hôpitaux moins nombreux mais plus performants, on peut provoquer une hausse des dépenses de transport. Mais l'offre de soins ne doit pas reposer uniquement sur des grands pôles hospitaliers. La politique d'ouverture de maisons de santé, lancée sous le gouvernement précédent, est plutôt une bonne politique, l'élu local que je suis peut en témoigner. Le maillage du territoire par des maisons de santé doit être complété par des structures d'urgence élémentaire : un chirurgien de garde par région, ce n'est pas assez. Il convient de continuer à réfléchir à un remplacement des établissements traditionnels par des structures complémentaires, spécialisées, de meilleure efficience, bien réparties sur le territoire. Les suppressions pures et simples ne produisent aucune économie. C'est avec ces réflexions personnelles que je travaille en harmonie avec Marisol Touraine.
Nous amorçons la fiscalité environnementale en dopant la taxe générale sur les activités polluantes-air (TGAP-air). Il s'agit certes d'une avancée timide. A cet égard, il s'agit d'un PLFSS d'attente : il était difficile de tenir les assises tout en présentant quelque chose clef en main au Parlement.
Incomprise, censurée, la taxe carbone a été rejetée par la population. Il est difficile d'expliquer qu'on rend le prélèvement, mais pas à tout le monde. De surcroît, on pénalise l'utilisateur de la chaudière ancienne, de la voiture polluante, qui n'a souvent pas les moyens de les remplacer. En les taxant sans leur donner les moyens de faire mieux, on les piège. Voilà pourquoi elle a été rejetée.
Merci de cette présentation qui nous donne un avant-goût des débats en séance publique sans attendre l'audition de Mme Marisol Touraine la semaine prochaine.