Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 29 janvier 2015 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • actualisation
  • menace
  • militaire

La réunion

Source

La commission auditionne M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Au seuil de cet échange, je voudrais exprimer l'émotion qui a été la nôtre à l'annonce de l'accident survenu lundi dernier, sur la base de Los Llanos, en Espagne, dans le cadre d'un programme de formation pour pilotes de l'OTAN. Cet accident, le plus grave que l'armée de l'air ait eu à déplorer dans son histoire récente, a coûté la vie à neuf militaires français et en a blessé plusieurs autres, qui presque tous appartenaient à la base de Nancy-Ochey. Mardi, Monsieur le Ministre, vous vous êtes rendu sur place ; notre collègue Daniel Reiner, si fortement attaché à la base de Nancy et à ses personnels, vous accompagnait. Le même jour, le Sénat, en séance publique, a rendu un hommage solennel aux victimes, en observant à leur mémoire une minute de silence.

Au nom de l'ensemble des membres de notre commission, Monsieur le Ministre, je vous témoigne notre présence amicale à vos côtés dans ces moments douloureux, et notre confiance dans les armées françaises et leurs moyens d'agir dans l'intérêt supérieur du pays. En pensant à nos neuf morts, à nos blessés, à leurs frères d'armes et à leurs familles, je vous invite, mes chers Collègues, à observer à présent une minute de silence.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs membres de la commission et M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, observent, debout, une minute de silence.

Monsieur le Ministre, je vous remercie de vous être rendu disponible pour cette audition. Vous voudrez bien excuser l'absence du Président Raffarin, qui accompagne actuellement le Premier ministre dans un déplacement en Chine. Au-delà de la tragédie que je viens d'évoquer, et sur laquelle vous pourrez peut-être nous donner des informations, nous avons souhaité vous entendre pour plusieurs séries de raisons.

La première tient à la mobilisation actuelle de plus de 10 000 hommes, au titre de missions intérieures de protection, dont près de 8 000, déployés en quelques jours, dans le cadre du plan « Vigipirate » porté à son niveau « Alerte Attentats ». Comment avez-vous pu si bien et si vite répondre au besoin, alors même que les forces armées assurent en tout temps une présence permanente sur le territoire et que 8 500 de nos militaires restent déployés, toutes zones d'intervention confondues, en opérations extérieures ? Surtout, comment maintiendrez-vous ce dispositif très important dans la durée, d'autant que nos concitoyens vont s'habituer à la présence rassurante de l'armée ?

Du reste, cette organisation a suscité des réserves de la part de certains spécialistes. Placer des gardes devant des lieux sensibles qui, jusqu'alors, étaient parfois discrets - des lieux de culte, des écoles confessionnelles, notamment israélites - n'est-ce pas accentuer la visibilité de ces lieux, donc les rendre encore plus sensibles ? Par ailleurs, la garde statique, qui certes rassure les riverains des lieux ainsi protégés, répond-elle bien à la menace terroriste, ou ne revient-elle pas, au contraire, à offrir une cible supplémentaire pour un attentat ?

La deuxième série de raisons de cette audition est liée à la décision du Président de la République, le 21 janvier dernier, de conserver 7 500 postes, dont 1 500 en 2015, sur les 26 000 dont la loi de programmation militaire (LPM) prévoyait la suppression entre 2014 et 2019. Cette décision s'explique naturellement par le contexte, mais elle aura un coût budgétaire, tenant aux économies non réalisées sur la masse salariale et le fonctionnement. Des chiffres, à cet égard, ont d'ores et déjà circulé ; il manquerait ainsi de 500 millions à un milliard d'euros sur la période 2015-2018. Comment la mesure sera-t-elle financée, sans remettre en cause les autres engagements prévus par la loi de programmation militaire ? Je pense en particulier à l'équipement de nos forces, pour lequel les crédits budgétaires sont déjà insuffisants. Quelles seront, d'ailleurs, les catégories d'emplois maintenus ?

Troisième sujet : je voudrais vous demander où en est la mise en place des « sociétés de projet », ce dispositif destiné à permettre la vente puis la location de certains équipements militaires par le ministère de la défense, afin de dégager 2,2 milliards d'euros de ressources exceptionnelles (REX), prévues pour 2015 par la LPM et la loi de finances, qui ne pourront pas provenir de cessions de fréquences hertziennes comme initialement programmé. Le Gouvernement, la semaine dernière, a déposé à cet effet, à l'Assemblée nationale, un amendement au projet de loi pour la croissance et l'activité. Nous avons déjà exprimé nos réserves sur le mécanisme envisagé. Cependant, si les sociétés de projet apparaissent comme le seul moyen de trouver les crédits qui sont nécessaires au budget de la défense, nous ne pourrons que vous soutenir, Monsieur le Ministre, dans cette réalisation.

Il y aurait encore beaucoup de sujets à évoquer ; je me limiterai à un seul, laissant à mes collègues le soin de vous interroger sur les autres. La LPM, dans une forme de « clause de revoyure », prévoit sa propre actualisation avant la fin de l'année 2015. Cette révision a été annoncée par le Gouvernement avant l'été prochain. Ce travail, qui est complexe et va devoir être conduit dans un contexte budgétaire défavorable, exige une préparation ; nous souhaitons naturellement savoir comment, Monsieur le Ministre, vous entendez travaillez dans cette perspective avec le Parlement, en particulier avec les commissions chargées de la défense à l'Assemblée nationale et au Sénat. La nôtre, vous le savez, appuie votre engagement au service de la défense.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

Je vous remercie, Monsieur le Président, pour l'hommage que vous venez de rendre aux victimes de ce drame - un accident exceptionnel - qui a durement touché nos armées, singulièrement l'armée de l'air, cette semaine, en Espagne. À votre suite, je voudrais adresser mon soutien à nos blessés et à l'ensemble des familles aujourd'hui plongées dans l'épreuve et dans la douleur.

Comme vous l'avez indiqué, c'est à l'occasion d'un exercice de l'OTAN, stage habituel pour des pilotes de chasse de haut niveau, que cet accident est survenu. Un avion F16 de l'armée grecque s'est écrasé sur des parkings de la base de Los Llanos, en premier lieu un parking sur lequel se trouvaient les aéronefs français qui ont été endommagés. Je me suis rendu sur place mardi, au lendemain du drame, avec votre collègue Daniel Reiner. La zone de l'accident n'ayant alors pas encore pu être dépolluée, les corps des victimes s'y trouvaient toujours. C'était bien sûr un moment très émotionnel. J'ai rendu visite à nos cinq blessés, soignés à Albacete et à Madrid ; quatre d'entre eux sont aujourd'hui rentrés en France et soignés à l'hôpital Percy, à Clamart ; le cinquième, dans un état particulièrement grave, se trouve encore à Madrid. Pour éclairer les causes du drame, les enquêtes nécessaires sont en cours ; les autorités espagnoles les mènent, appuyées, à leur demande, par les services français.

Le Président de la République a décidé qu'un hommage national serait rendu aux Invalides, mardi prochain, à nos morts. Ce drame nous rappelle à tous - militaires, élus, citoyens - les exigences d'un métier hors du commun à bien des égards.

Si je vous retrouve aujourd'hui, c'est d'abord pour faire le point sur la mobilisation du ministère de la défense à la suite des attentats des 7 et 9 janvier derniers. La nécessité d'accroître la sécurité de tous les Français, dans ce contexte critique, a justifié une réponse gouvernementale exceptionnelle. Dans ce cadre, vous le savez, le Président de la République a en particulier décidé, le 11 janvier dernier, d'engager 10 000 soldats pour la protection de sites sensibles. Il s'agissait d'appliquer le contrat « Protection » confié à nos forces. Ce contrat opérationnel correspond à l'une des trois missions fondamentales assignées par le Livre blanc de 2013 à nos armées pour garantir la sécurité de la Nation, aux côtés de la dissuasion et de l'intervention extérieure. Il représente la contribution maximale planifiée, jusqu'à présent, par le ministère de la défense en cas de crise majeure sur le territoire national. Et, j'y insiste, l'opération « Sentinelle » constitue une opération militaire de plein exercice, non pas un simple appui donné aux forces de police et de gendarmerie ; une opération sans précédent pour notre armée professionnelle.

Avant de l'évoquer plus en détail, je voudrais rappeler les différentes missions que nos forces remplissent en permanence sur le territoire national, parce que cette opération intérieure en est le prolongement direct.

L'État doit se préparer à agir contre les risques et les menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la Nation et au fonctionnement des pouvoirs publics. Chaque ministère contribue à l'action du Gouvernement au titre de la sécurité nationale, sous l'égide du secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN). C'est en particulier l'objet des plans gouvernementaux, comme celui de la vigilance contre le terrorisme qu'est Vigipirate. La Défense est naturellement un acteur majeur de ces processus et, vous le savez, hier comme aujourd'hui, elle intervient régulièrement aux côtés des forces de sécurité publique dans la gestion des crises affectant notre pays.

La finalité première de nos forces armées est la protection de nos concitoyens et du territoire. Elles y consacrent donc des moyens importants. Ces missions se déclinent en effet dans différents cadres d'action :

- les missions permanentes que sont les postures permanentes de sûreté aérienne et maritime et, par exemple, le plan gouvernemental Vigipirate, la mission « Harpie » de lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane, les missions de sauvetage et de secours en mer ;

- les missions récurrentes, comme la lutte contre les feux de forêts dans le sud du pays, en appui de la sécurité civile, ou la protection de sites sensibles en métropole et outre-mer ;

- enfin, des missions occasionnelles, par exemple la mise à disposition de moyens pour faire face aux conséquences d'événements météorologiques particuliers.

En 2014, l'engagement moyen des armées sur le territoire aura représenté un effectif de 2 446 militaires par jour. Dans le domaine de l'action terrestre, contrairement aux milieux aérien et maritime, les armées interviennent en complément des autres administrations. L'armée de terre et l'armée de l'air participent régulièrement au plan Vigipirate à hauteur de 750 militaires par jour. C'est une mission 24 heures sur 24, qui s'effectue toute l'année. L'opération Harpie représente de son côté 362 militaires par jour en moyenne, et « Titan », mission de protection du centre spatial guyanais, 60 militaires par jour.

Dans le secteur aérien, l'armée de l'air assure la posture permanente de sûreté aérienne, qui correspond à une mesure « socle » du plan Vigipirate et représente quatre permanences opérationnelles d'avions de défense aérienne et quatre d'hélicoptères, impliquant en moyenne 217 militaires par jour. Ces moyens interviennent de façon régulière ; ils sont sollicités fortement depuis 2001 par le risque terroriste, mais ils doivent aussi faire face à des sollicitations plus « classiques ».

Dans le domaine maritime, la marine nationale est engagée dans la posture permanente de sauvegarde maritime. Cette posture comprend la mise en oeuvre des mesures du plan « Vigimer », déclinaison maritime de Vigipirate, et plus globalement la sûreté de nos approches maritimes en métropole et outre-mer. La marine intervient par ailleurs dans le cadre de l'action de l'État en mer. Ce dispositif, articulé à une chaîne sémaphorique, mobilise tous les jours 600 marins, trois bâtiments et un avion de surveillance.

Enfin, les armées sont quotidiennement engagées dans la protection des installations de défense - conventionnelles, nucléaires, portuaires -, qui présentent le plus souvent un caractère stratégique. Cette protection a été accrue lors des attentats avec un renfort de militaires supplémentaires, spécialement consacrés à cette mission.

Avant les événements des 7 et 9 janvier derniers, j'avais coutume de dire que le territoire national représentait le second théâtre d'engagement opérationnel des armées. Aujourd'hui, pour la seule mission Vigipirate, 10 400 militaires sont déployés en France. C'est donc notre première opération militaire, au regard en tout cas du volume des effectifs mis en oeuvre. Je veux bien sûr revenir sur cette mobilisation exceptionnelle, sans précédent depuis la fin de la conscription.

Dans les heures qui ont suivi l'attentat contre les journalistes de Charlie Hebdo, le Premier ministre a décidé de porter le plan Vigipirate à son niveau de vigilance maximal en Île-de-France. Ce niveau est appelé « Alerte Attentat ». Pour ce qui me concerne, j'ai ordonné le déploiement de 1 200 militaires supplémentaires, dont 1 000 pour cette seule région, en coordination avec le ministère de l'intérieur. Ces renforts terrestres ont été complétés, pendant la gestion de la crise, par des moyens spécialisés de détection et destruction d'explosifs comme de déminage, pour renforcer les forces de la sécurité civile déployées sur aéroports parisiens (Roissy et Orly) ; par trois hélicoptères lourds, chargés d'appuyer les gendarmes du GIGN dans leurs opérations contre les terroristes impliqués dans l'attentat du 7 janvier ; et par un dispositif de surveillance aérienne constitué d'avions de combat, de surveillance et d'hélicoptères, afin de sécuriser la grande marche républicaine du 11 janvier.

Dans un deuxième temps, qui est intervenu très rapidement - le 11 janvier -, le Président de la République a pris la décision, compte tenu du niveau de la menace qui pesait sur notre pays, d'engager un renforcement sans précédent de la sécurité de nos concitoyens à travers la protection des lieux les plus sensibles. J'ai immédiatement mobilisé 8 500 militaires supplémentaires, en engageant la totalité des forces prévues pour les missions intérieures par le Livre blanc, en application du contrat de « Protection ». Je veux y insister, parce que la mise en oeuvre de ce contrat opérationnel, également prévu par une instruction interministérielle, constitue un signal politique fort. Les modalités juridiques, pour l'emploi de la force, ou encore budgétaires, sont donc parfaitement appropriées à cette mission.

Ce qui devait être fait en sept jours, le ministère de la défense l'a réalisé en trois jours. C'est un véritable tour de force, qui me permet de souligner devant vous l'excellence mais aussi le dévouement de notre chaîne de commandement, des services et du soutien - transport, logement, nourriture, etc. J'y vois la confirmation, s'il le fallait encore, de la disponibilité et du sens du service des hommes et des femmes de la défense, civils et militaires. Je me suis d'ailleurs rendu à leur rencontre, accompagné du Président Raffarin, sur le camp de Satory, pour leur exprimer la reconnaissance de la Nation.

Aujourd'hui, ce sont donc 10 412 hommes et femmes, professionnels, engagés aux côtés des forces de sécurité publique, qui agissent dans le cadre de réquisitions préfectorales dans nos sept zones de défense et de sécurité, ainsi qu'outre-mer. Ces militaires protègent aujourd'hui plus de 800 sites. L'effort principal en effectifs se concentre naturellement sur l'Île-de-France, avec 6 000 militaires déployés. Certaines de nos collectivités d'outre-mer ont également renforcé leur dispositif, en faisant appel à nos forces de souveraineté.

Je tiens à souligner ici la qualité de la coopération interministérielle qui a été réalisée autour du ministre de l'intérieur. C'est en effet à ce dernier que le Premier ministre a confié la conduite opérationnelle de la crise dès le 7 janvier. Il faut saluer les progrès réalisés par notre pays pour la coordination de toutes les forces de l'État en cas de crise grave sur le territoire national. Le dispositif gouvernemental est adossé à la cellule interministérielle de crise, située à Beauvau, qui regroupe l'ensemble des ministères concernés. Les dispositions prises permettent des réactions à plusieurs vitesses et la conduite de la crise dans un cadre unifié. Ce dispositif démontre toute son efficacité ; je crois qu'il faut s'en féliciter.

Ce qui est vrai au niveau national l'est aussi aux niveaux zonal et local, entre autorités civiles et militaires. Je veux ici saluer la qualité du dialogue, étroit et positif, entre les préfets et les officiers généraux de zone de défense, ou les délégués militaires départementaux, tant en région parisienne que sur l'ensemble du territoire national. Ce dialogue et les réglages qu'il permet entre l'expression des besoins d'une part, la mise en mouvement d'une force militaire cohérente et bien commandée d'autre part, ont en effet constitué un facteur clé de la bonne montée en puissance de cette opération. J'insiste sur ce point, car nous devrons être vigilants : la réforme territoriale engagée par le Président de la République posera la question de l'avenir de l'échelon zonal et de ses prérogatives ; or ce niveau de coordination se situe aujourd'hui au coeur de l'engagement de nos armées sur le territoire national.

Vous posez légitimement la question de la soutenabilité de cette opération intérieure, alors même que nos armées sont engagées sur plusieurs théâtres extérieurs. Je vous le dis sans détour : nous maintiendrons ce dispositif aussi longtemps qu'il le faudra. Mais cela n'empêchera pas des évolutions quant au mode opératoire ; à cet égard, nous agirons de façon pragmatique. Je réponds ici à la question que vous m'avez adressée, Monsieur le Président, en ce qui concerne les gardes statiques : ceux-ci étaient nécessaires dans l'immédiat ; ils le resteront encore ici ou là ; mais, progressivement, la mobilité va prendre le pas.

Au demeurant, le Livre blanc prévoit et permet de disposer de cette capacité de simultanéité aujourd'hui indispensable pour traiter correctement une menace qui se développe tant à l'extérieur qu'à l'intérieur du territoire national. C'est la preuve que, dans le contexte que nous connaissons, le niveau d'ambitions que le Livre blanc avait développé en 2013 est effectivement cohérent avec nos objectifs politiques. Nous avons défini une stratégie et des moyens diversifiés selon les missions, capables de répondre aux enjeux de sécurité que nous rencontrons aujourd'hui.

Il n'en reste pas moins que nos armées connaissent un engagement particulièrement élevé et exigeant. Nos déploiements actuels, dans les circonstances particulièrement graves que nous connaissons, se situent déjà à un niveau légèrement supérieur aux contrats opérationnels définis en 2013, aussi bien sur le territoire qu'à l'extérieur. Le premier engagement à 10 400 militaires a été effectué, sans disposer d'un réservoir de forces dédiées, par les forces terrestres essentiellement. Les activités non prioritaires et la préparation opérationnelle des forces ont été temporairement suspendues. Un tel engagement offre, comme vous l'aurez compris, peu de marge de manoeuvre en cas de nouvelle dégradation de la situation sécuritaire sur le front intérieur. Pour autant, nous y réfléchissons, bien sûr. Il convient également de noter qu'une prolongation significative de la mission imposerait des renoncements sur la préparation de nos forces et leurs conditions de vie.

C'est justement pour tenir compte de cette nouvelle donne, et garantir sur la durée l'engagement de nos armées partout où il sera nécessaire, sur le territoire national comme en intervention extérieure, que le Président de la République, comme il l'a annoncé dans ses voeux aux armées, a demandé que je lui fasse des propositions visant à alléger la réduction des effectifs du ministère sur la durée de la loi de programmation. Le 21 janvier dernier, à l'issue d'un conseil de défense, il a retenu mes propositions, qui tendent à la fois à étaler et à limiter les diminutions d'effectifs programmées. Dès 2015, le ministère de la défense connaîtra 1 500 suppressions de postes de moins que ce qui avait été prévu ; en solde net, le ministère enregistrera ainsi, cette année, une déflation de 6 000 postes, et non 7 500. Au total, l'allègement de la charge de réduction de nos effectifs sera de 7 500 personnes sur la période 2015-2019.

L'actualisation de la programmation prévue pour cette année par la LPM elle-même le permettra. Avec vous, nous avions pris la précaution de cette clause de « rendez-vous » explicite, fixée à l'article 6 de la LPM « avant la fin de l'année 2015 », particulièrement en ce qui concerne la trajectoire de nos effectifs. Il s'agit de s'adapter au nouvel environnement auquel nous sommes confrontés. Il s'agit aussi de tirer les enseignements de deux ans d'interventions extérieures intenses et de prendre acte que nous arrivons probablement au bout de la logique de déflation qui domine le ministère depuis la décennie 1990. Cette actualisation de la LPM interviendra avant l'été, afin d'adapter notre analyse, nos contrats opérationnels et notre réponse capacitaire au nouveau contexte. Mais à cet effet il s'agira d'ajuster la loi, non pas de la refondre.

Au titre de la feuille de route pour cette actualisation, à laquelle j'entends bien entendu associer étroitement le Parlement et singulièrement votre commission, nous savons d'ores et déjà qu'il conviendra de préciser le contrat opérationnel de protection sur le territoire. À ce stade, l'allègement de la réduction initialement prévue de 7 500 postes nous permettra, d'une part, de garantir la tenue des contrats opérationnels tels que définis dans la LPM et, d'autre part, de pouvoir à tout moment, dans un délai très bref, déployer 10 000 hommes de nos forces armées sur le territoire national pour une durée d'un mois.

La nouvelle trajectoire de nos effectifs, dans un ministère qui continuera de réduire significativement ses emplois, nous permettra donc de faire face aux exigences nouvelles de mobilisation sur le territoire national, ainsi qu'aux tensions accrues sur les théâtres extérieurs. Les nouveaux contrats opérationnels seront inscrits dans l'actualisation qui sera présentée au printemps prochain au chef de l'État puis au Parlement.

J'ajoute que le Président de la République, une nouvelle fois, a réaffirmé la sanctuarisation du budget de la défense, soit 31,4 milliards d'euros en 2015. Les 2,2 milliards d'euros prévus pour cette année à titre de REX - qui, comme je l'ai toujours su et dit, ne pourront pas provenir de la mise aux enchères de la bande de fréquences des 700 mégahertz - seront trouvés au moyen de la mise en oeuvre de sociétés de projet, capitalisées par le produit de cession de participations financières de l'État et auxquelles le ministère de la défense cèdera, puis louera, certains équipements militaires déjà en sa possession ou proches de leur achèvement. Deux sociétés de projet sont à l'étude : l'une pour trois frégates multi-missions (FREMM), l'autre pour huit avions A400 M. Ce dispositif est conforme aux prévisions de la LPM qui, dans la liste qu'elle donne des sources de REX, fait apparaître - depuis le début, je le rappelle - le produit de cessions de participations d'entreprises publiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Et vous savez, Monsieur le Ministre, depuis le début, nos réserves !

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

J'espère vous convaincre. Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne notre modèle d'armée, les capacités qu'il sera possible de déployer bénéficieront à nos fonctions de protection du territoire national, qui doivent être raffermies, ainsi qu'à nos capacités de renseignement et de réponse aux cyber-attaques, tout en préservant nos capacités d'intervention extérieure. Le dispositif de riposte et d'adaptation aux mutations du terrorisme est ainsi complet, après les annonces détaillées déjà faites par le Premier ministre pour les ministères de l'intérieur et de la justice. Je voudrais simplement revenir ici, parmi les suites données par le Gouvernement dans ce nouveau contexte, au projet de loi relatif au renseignement, dont la préparation est désormais accélérée.

Ce texte permettra de moderniser les dispositions de la loi du 10 juillet 1991 sur les écoutes administratives - les fameuses « interceptions de sécurité » -, qui ne sont plus adaptées à l'évolution des technologies, mais également d'ouvrir d'autres possibilités techniques de recueil de renseignement pour les services chargés de ces missions de prévention du terrorisme et des autres atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation. Il va de soi que l'amélioration des moyens légaux offerts aux services pour faire leur travail sera compensé par un accroissement des prérogatives de l'autorité administrative indépendante aujourd'hui chargée du contrôle des interceptions et de l'accès aux données de connexion mais qui pourra demain couvrir l'ensemble des techniques de recueil de renseignement. La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) mérite d'être modernisée dans sa composition et dans ses attributions. Elle aura aussi besoin de voir ses moyens d'expertise technique renforcés afin que le contrôle soit efficace et garantisse un parfait respect de l'État de droit.

Avant de conclure ce propos liminaire, je voudrais encore vous livrer une réflexion sur le continuum qui existe entre sécurité intérieure et sécurité extérieure, puisqu'il est aujourd'hui plus que jamais au fondement des engagements de nos armées, et faire le lien avec les opérations que nous menons au-delà de nos frontières.

Aujourd'hui, il est clair que la conjonction de la menace extérieure et de la menace intérieure nous place dans une situation inédite, en tout cas depuis longtemps. Ce continuum est singulièrement fort. Et c'est bien parce qu'il y a une continuité dans les menaces que le Président de la République et le Gouvernement ont eu l'initiative d'une continuité dans notre stratégie de réponse.

Nos services de renseignement sont bien évidemment au coeur de cette stratégie. Vis-à-vis de la menace extérieure, ils constituent même notre première ligne de défense. Grâce à leurs moyens techniques et humains, ils surveillent de manière hautement prioritaire cette menace, qu'ils abordent sous des angles complémentaires. Au plus près comme au plus loin, ils développent des actions d'entrave, ils détectent et permettent le ciblage de groupes armés terroristes dans nos zones d'opérations et d'intérêt, notamment au Sahel et en Irak. Ils contribuent à la protection de nos emprises à l'étranger, de nos forces déployées et de nos ressortissants.

Compte tenu de la fugacité de la menace, le combat de nos services repose sur la détection de signaux faibles. Cet enjeu partagé les a conduit à coopérer toujours davantage, allant jusqu'à fusionner certains de leurs moyens. Ainsi le suivi des djihadistes français est-il réalisé à partir d'une cellule commune à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), dans le respect des missions de chacun. Dans le même esprit, une cellule interservices de fusion du renseignement, destinée à appuyer nos opérations militaires au Levant, a été mise en place auprès de l'état-major des armées. Le ministère de la défense, dans toutes ses composantes, est donc pleinement mobilisé pour traquer et neutraliser ce qui est aujourd'hui la première menace qui pèse sur notre sécurité.

Il y a une nécessité absolue de ne pas opposer l'opération intérieure que nous venons d'engager et celles que nous menons à l'extérieur de nos frontières : c'est une même dynamique, une même volonté de sécuriser notre territoire et défendre nos concitoyens. Combattre Daech, c'est réduire la menace terroriste en France ; combattre la menace terroriste en France, c'est affaiblir Daech. Les lâches attentats des 7 et 9 janvier ne nous détourneront donc pas de l'action que nous avons entreprise au Sahel et au Levant, bien au contraire. Au moment où nous renforçons notre dispositif de sécurité intérieure, nous poursuivons nos engagements extérieurs, car nous faisons face à une même menace.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

Ayant eu l'honneur, à l'invitation de nos armées, d'assister à une journée « Défense et citoyenneté », j'aurais des suggestions à faire dans l'hypothèse où nous serions amenés à travailler sur l'amélioration de ce dispositif ou l'instauration d'un nouveau service civique. Les événements récents pourraient-ils nous conduire à adopter une nouvelle organisation de nos forces et à modifier la formation des militaires, afin de répondre à de telles actions de guerre sur le territoire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

J'évoquerai les survols de sites sensibles par des drones, qui ont d'abord concerné certaines centrales nucléaires, puis le palais de l'Elysée, enfin tout récemment la base militaire de l'Ile Longue. S'agit-il d'actions coordonnées ? Représentent-elles une menace sérieuse ?

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Les avions de chasse affectés à la surveillance du territoire se consacrent-ils exclusivement à cette mission ? Par ailleurs, n'y a-t-il pas eu une carence des services de renseignements à l'intérieur comme à l'extérieur ? D'un côté, la France est frappée sur son territoire, d'un autre, on découvre que Daech a conquis 200 000 km2 en six mois à l'aide de 30 000 combattants, c'est stupéfiant ! On entend dire que les djihadistes rentrés en France seraient bien plus que 1 000 et que trois militaires envoyés là-bas pour combattre seraient passés dans les rangs de Daech.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

En réponse à M. Gilbert Roger, concernant notre organisation, les armées ont prouvé qu'elles savaient s'adapter, puisque 10 000 hommes ont été déployés en trois jours au lieu des sept prévus, une performance qui va bien au-delà des hypothèses les plus optimistes. Nous ne pouvons qu'en être satisfaits. A l'occasion de ce déploiement, nous avons toutefois constaté la difficulté de mobiliser rapidement les réservistes en cas de crise. Il faut améliorer le dispositif concernant les réserves, afin qu'elles prennent une part plus importante à la réalisation du contrat opérationnel, dont le président de la République souhaite qu'il soit modifié pour permettre le déploiement d'une capacité de 10 000 hommes sur une durée d'un mois.

S'agissant des drones, il s'agit d'engins qui ne présentent en eux-mêmes aucun risque à ce jour, mais constituent une menace potentielle qu'il faut prendre en compte, sur le plan technique et juridique.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

J'ai lu dans la presse spécialisée que des drones « grand public » pourraient bientôt transporter de petites charges.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Le projet de loi d'actualisation de la LPM comportera des dispositions sur les drones.

En réponse à M. de Montesquiou, en ce qui concerne la protection du territoire, les avions de chasse chargés de la surveillance ne font que cela, et assument cette mission avec une très grande réactivité. Votre observation concernant une éventuelle carence des services de renseignement pose la question de la capacité de ces services à suivre des individus suspects dans la durée, sur le territoire national comme à l'extérieur. Il leur faut pour cela davantage de moyens techniques et juridiques, ce qui renvoie aussi au débat liberté/sécurité que nous avons eu lors de l'examen de la dernière LPM. C'est un vrai sujet. Concernant l'expansion de Daech, il faut rappeler que le territoire irakien était davantage le champ d'action des services de renseignement américains que celui des services français. Le développement rapide de Daech a plusieurs causes, notamment les conditions dans lesquelles les Etat-Unis ont quitté l'Irak et la ligne suivie par le gouvernement de Nouri al-Maliki qui, en privilégiant les relations avec les chiites et les kurdes et en rejetant les sunnites, a précipité ces derniers dans les bras de Daech.

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

Je souhaitais évoquer le sujet des drones, ce qui a déjà été fait. Je vous poserai en conséquence trois questions. Il semble que Kobane ait été libéré de Daech. Est-ce un début de reconquête ou seulement un heureux accident ? En tant qu'élu de la région de Saint-Nazaire, j'aimerais connaître le statut actuel des BPC qui doivent être livrés à la Russie. Le retard dans la livraison pèse-t-il ou pèsera-t-il d'une manière ou d'une autre sur le budget du ministère de la défense ? Enfin, ne devrions-nous pas nous poser la question de la mise en oeuvre de méthodes plus radicales pour neutraliser certains terroristes lorsqu'il ne peut pas y avoir de dommages collatéraux ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Gournac

Le déploiement des troupes à la suite du relèvement du niveau de Vigipirate a été réalisé dans d'excellentes conditions, ce dont je vous félicite et ce dont je félicite les armées. De même, la coordination des différents acteurs a très bien fonctionné.

Je reviens tout de même sur les drones car votre réponse m'étonne. Alors que nous sommes en Vigipirate alerte attentats, des drones pourraient survoler l'Elysée ou la base de l'Ile-Longue ? C'est une situation très grave !

Enfin, deux questions courtes. La crise économique que connaît la Grèce pourrait-elle avoir entraîné une dégradation inquiétante dans la maintenance des matériels de l'armée de ce pays ? Où en est-on dans le processus de négociations au Mali et constatez-vous des éléments nouveaux dans les trafics en provenance de la Libye ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

J'ai été interloqué par un récent article de Marc-Antoine Pérouse de Montclos, l'un des rares spécialistes français du Nigeria. Cet article s'interroge notamment sur l'éventuel décès d'Abubakar Shekau, leader de Boko Haram, sur les liens non avérés de la secte avec Al-Qaïda et sur les causes réelles de son développement. Il met en particulier en avant toutes les causes internes au Nigeria, comme la corruption, le clientélisme, la violence de la police et de l'armée,... Comment évaluez-vous la situation dans le Nord du Nigeria, qui est à mon sens particulièrement inquiétante ? Plus particulièrement, quelles peuvent être les conséquences de l'entrée des troupes tchadiennes au Cameroun ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Les BPC, dont l'un est encore en construction, restent la propriété de DCNS qui, selon les termes du contrat que l'entreprise a passé avec l'organisme russe Rosoboronexport, peut retarder la livraison « en cas de force majeure ». Le Président de la République a indiqué à plusieurs reprises que les conditions de la livraison n'étaient pas réunies. Nous en sommes là.

Kobane marque un échec pour Daech. Pour autant, il est vrai que la situation ailleurs se caractérise par une alternance d'avancées et de reculs, avec globalement une stabilisation. La montée en puissance de la coalition internationale est lente, y compris de la part des Américains. Et nous devons être attentifs à la situation en Syrie où l'influence des différents groupes évolue de manière préoccupante.

Je ne sous-estime aucunement la question des drones qui nécessite de mobiliser des moyens importants et qui demande des réponses, y compris juridiques et techniques, de moyen terme. Je souhaite que l'actualisation de la LPM soit l'occasion d'apporter certaines réponses.

Je le répète, une enquête a été diligentée à la suite de l'accident - très rare - qui a eu lieu lundi en Espagne. Les boîtes noires doivent être étudiées et nous devons attendre les résultats de l'enquête.

Au Mali, nous sommes préoccupés par la confrontation actuelle entre des groupes du Nord non djihadistes, confrontation qui entraîne une situation tendue entre les participants aux négociations d'Alger. Or nous souhaitons que ces négociations posent les bases d'un accord. En outre, les djihadistes sont toujours bien présents dans cette zone. Je ne dispose pas d'éléments nouveaux en ce qui concerne les trafics avec la Libye ; ils existent depuis fort longtemps et les routes peuvent parfois fluctuer selon les circonstances locales.

Au Nigeria, Boko Haram continue de mener des exactions d'une violence extrême et la situation est particulièrement préoccupante. Je vous rappelle que les troupes tchadiennes sont désormais présentes dans le Nord du Cameroun avec le plein accord des autorités de ce pays. La France apporte son soutien aux initiatives locales mais n'a pas l'intention d'intervenir directement en l'état. Par exemple, nous aidons les militaires nigériens et nous soutenons la mise en place du comité de liaison militaire (CCL) entre le Nigeria, le Cameroun, le Tchad et le Niger pour que ces pays coordonnent mieux leurs actions de riposte à Boko Haram. Il est évident que la situation interne du Nigeria apporte une grande confusion : la corruption sévit dans de larges pans de l'administration, l'armée est mal entraînée et souvent dans l'incapacité de riposter elle-même. L'Union africaine qui se réunit dans les prochains jours évoquera la situation dans cette région. Je l'ai dit lors du Sommet sur la sécurité de Dakar, les Africains doivent prendre en charge leur propre sécurité et nous pouvons les y aider. Par ailleurs, il serait également important que les autres partenaires internationaux, dont le Royaume-Uni, s'impliquent plus avant.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Le ministre des affaires étrangères du Gabon nous a récemment indiqué que 590 soldats gabonais étaient présents en Centrafrique, aujourd'hui sous les couleurs de l'ONU, et, auparavant, en coopération avec nos propres forces. Vous avez évoqué la réunion de l'Union africaine, qui se tient aujourd'hui. Le Gabon propose de mettre en place une force de réaction rapide régionale. Qu'en pensez-vous ?

La modification prochaine de la loi de programmation militaire permettra-t-elle d'inclure des dispositions relatives au droit d'association professionnelle dans les armées ? Ce sujet a été débattu récemment au sein de notre commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Je vous remercie de l'hommage que vous avez rendu, au début de cette séance, aux victimes de l'accident aérien de Los Llanos. J'ai, pour ma part, exprimé le soutien des commissions des affaires étrangères et de la défense des deux assemblées, lors d'un entretien avec une chaîne de télévision régionale.

Je souhaite saluer l'effort remarquable de réactivité de nos armées depuis les attentats des 7, 8 et 9 janvier. Cet effort s'est traduit par la mobilisation très rapide de 10 000 hommes, qui fut une réussite, même si chacun sait que nous aurons à réfléchir à la manière de tenir cet exercice dans la durée.

Les mesures annoncées à la suite de ces événements, notamment en matière d'effectifs et de Renseignement, doivent également être saluées. Elles répondent, pour la plupart, aux questions que nous nous posons, mais il s'agit de les mettre, aujourd'hui, en oeuvre.

Mon propos portera sur l'adaptation envisagée du Livre blanc. A-t-on été clairvoyant dans l'analyse des menaces ? Je le crois. L'ensemble des menaces qui se concrétisent aujourd'hui ont été évoquées dans le Livre blanc. Certaines de ces menaces représentent toutefois un danger plus grand que nous ne l'avions imaginé, notamment l'attitude de la Russie au voisinage Est de l'Europe.

Nous allons modifier notre loi de programmation militaire. Mais nous ne sommes pas seuls en Europe. Le terrorisme menace d'autres pays. Notre analyse de la menace doit aujourd'hui s'inscrire dans un cadre européen.

Notre contribution à l'actualisation du Livre blanc suggérait la mise en oeuvre d'une analyse stratégique « glissante » : le moment n'est-il pas venu d'introduire des éléments nouveaux d'analyse stratégique, à l'échelle de l'Europe ?

Enfin, lors de l'actualisation du Livre blanc, la question de la Réserve a été abordée, mais quelque peu mise de côté. Il nous faut maintenant relancer cette idée, en lien avec le renouveau de l'esprit civique, aujourd'hui recherché.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Je rejoindrai notre collègue Daniel Reiner, s'agissant de la nécessité d'impliquer l'Europe. Vous avez évoqué cette guerre, potentiellement « émiettée » sur le territoire, que constitue la lutte contre le terrorisme. Nous pensons connaître le nombre de djihadistes présents sur notre sol. Mais qu'en est-il au niveau européen ? Comment cette menace diffuse est-elle évaluée ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Sur ce dernier point, il existe une collaboration étroite entre ministres de l'Intérieur européens. Plus de 2 000 djihadistes en Syrie proviennent d'Europe. D'autres viennent de Tunisie, du Maroc, d'Arabie saoudite, de Tchétchénie, etc. L'armée de Daech est internationale et les djihadistes étrangers sont placés en première ligne, notamment dans les attentats-suicides. La perspective d'une bataille de Mossoul a soulevé la question des forces déployées par Daech dans cette ville, où seraient positionnés plus d'un millier de combattants étrangers.

Nos relations avec le Gabon sont bonnes. Nous disposons d'un pôle opérationnel de coopération à Libreville, qui accomplit un travail efficace. Les Gabonais achètent du matériel français et sont engagés dans des missions de l'ONU. La mise en place d'une force africaine de réaction rapide, dite Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC), a été annoncée. Il faudra veiller à ce que les engagements pris soient respectés et opérationnels, et à ce que les forces en question puissent participer à des missions des Nations unies. La mise en place de la CARIC est complétée par celle de la Force africaine en attente (FAA).

Les modifications à venir de la loi de programmation militaire constituent une actualisation de celle-ci, et non une programmation nouvelle. Toutes les menaces qui se sont concrétisées figuraient dans le Livre blanc. Il s'agit de mettre en place des inflexions, nécessitées par l'évolution de la situation, notamment sur la cyberdéfense, les services de Renseignement, les effectifs, les Réserves et les nouveaux contrats opérationnels. L'objectif de cette actualisation est de procéder rapidement, avant l'été, aux inflexions rendues nécessaires par la situation.

À propos du renouveau de l'esprit civique, il faut avoir à l'esprit que la réintroduction du service national concernerait aujourd'hui une classe d'âge complète - garçons et filles - soit 800 000 conscrits par an : mais avec quelles infrastructures, et quelle formation ? Nous avons fait le choix d'une armée professionnelle, qui nous permet de répondre au mieux aux enjeux actuels. Cette armée est constituée de soldats formés, efficaces physiquement et techniquement.

En revanche, la question de la contribution de nos armées à l'esprit civique est posée. Les Réserves peuvent jouer un rôle et je souhaite que cette question soit traitée dans la loi d'actualisation. Nous réfléchissons à d'autres dispositifs. Le Président de la République a souhaité que les présidents des deux assemblées formulent des propositions en vue de renforcer l'esprit civique. La défense y contribuera en fonction de ses moyens, même si cette mission ne constitue pas sa vocation première.

S'agissant du droit d'association, je ne sais pas encore avec certitude s'il figurera dans le projet de loi d'actualisation de la programmation militaire, mais son introduction nécessitera en tout état de cause un texte. Celui proposé par M. Bernard Pêcheur nous convient globalement, dans la mesure où il est indispensable, aujourd'hui, d'intervenir sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Monsieur le ministre, je vous remercie de nous avoir présenté les problématiques auxquelles notre pays est confronté et les réponses que vous recherchez, ainsi que de vous être prêté, en toute transparence, au jeu des questions-réponses.

La réunion est levée à 12 h 05