La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

En novembre dernier, le premier tome de notre rapport d'information sur l'évolution des finances locales à l'horizon 2017 mettait en évidence l'impasse que la baisse des dotations de l'État risquait de constituer pour les collectivités. Ce travail a été jugé très utile par les acteurs de terrain qui s'en sont emparés. Le deuxième tome, que nous examinons ce matin, traite des conséquences concrètes de la baisse des dotations et de la manière dont les collectivités s'y adaptent. Ce travail s'appuie sur une consultation des élus locaux, dont les résultats nous ont été présentés par l'Institut français d'opinion publique -Ifop, le 25 juin dernier. À l'automne, un troisième tome présentera des propositions pour améliorer l'efficacité et l'équité de nos finances locales.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

En effet, les projections que nous vous avons présentées en novembre mettaient en évidence qu'avec la baisse de 12,5 milliards de la DGF par rapport à 2013, jusqu'à deux tiers des collectivités territoriales seraient dans le rouge d'ici 2018, l'impasse financière devenant la norme. Les communes de plus de 10 000 habitants et les départements seront les plus touchés. Sans ajustement, les collectivités devraient diminuer leurs dépenses d'investissement de 30 % pour rétablir leur situation.

Nous avons souhaité consulter les élus locaux - maires, présidents d'EPCI, de conseils départementaux et régionaux - sur les mesures qu'ils envisageaient pour s'adapter aux évolutions du contexte financier. Les services du Sénat ont mis en ligne un questionnaire auquel ils étaient invités à répondre entre le 5 mai et le 1er juin. Sur plus de 5 000 connexions, 3 057 questionnaires ont été validés et traités par l'IFOP. Compte tenu du délai très court dont nous disposions, et des nombreuses sollicitations dont les élus ont fait l'objet ces derniers mois sur le sujet des finances locales, ces résultats sont un succès. Le taux de participation hebdomadaire est 2,5 fois plus élevé que celui observé sur la simplification des normes.

Les réponses des 2 859 communes, 132 EPCI, 54 départements et 12 régions ont validé les conclusions des simulations réalisées dans le tome I, et exprimé le désarroi des collectivités territoriales. Les témoignages parfois édifiants des associations d'élus locaux que nous avons entendues lors de la table ronde du 17 juin ont confirmé l'hypothèse d'un calendrier difficilement soutenable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Notre troïka a tiré la sonnette d'alarme lors de la publication du tome I de notre rapport, et l'Association des maires de France (AMF) nous a entendus. Plusieurs missions et enquêtes sont venues confirmer ce que nous avions tous dit lors de la séance de questions cribles thématiques du 11 juin dernier : la DGF est injuste et doit être réformée. Mme Pires-Beaune l'a bien compris, puisque dans le cadre de la mission parlementaire que lui a confiée le Premier ministre, ainsi qu'à notre regretté collègue Jean Germain, elle donne la priorité à la réforme de la DGF pour le bloc communal. L'effet de ciseaux entre la baisse des recettes et la hausse des dépenses sociales place pourtant les départements dans une situation que risque encore d'aggraver la baisse de la contribution à la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), annoncée par Mme Lebranchu : la moitié de la CVAE ira au financement des régions, contre 23% actuellement. Comment vont-ils faire pour s'en sortir ?

L'on nous dit que la réforme de la DGF se fera par étapes, sans préciser pourtant comment elle s'organisera, ce qui augmente la complexité de la tâche pour les élus locaux déjà très inquiets de ne pouvoir évaluer les conséquences de la baisse de leurs dotations ou le renforcement de la péréquation en pourcentage de fiscalité. Dans sa note de synthèse, l'IFOP indique : « La difficulté à se positionner de manière affirmée sur ces indicateurs les plus précis de l'enquête révèle un point de vigilance important à prendre en considération pour les décideurs, à savoir que les élus locaux font montre d'un certain `décrochage' face à un système complexe dont ils semblent avoir des difficultés à se saisir pleinement ».

Le fait que les élus se sentent aussi démunis et sous-estiment certainement l'ampleur du choc financier qui les attend ne peut que nous inquiéter. Les associations d'élus que nous avons auditionnées partagent ce constat. Il est du devoir de l'État de mieux communiquer et informer les collectivités territoriales, et nous demandons que les préfets envoient d'urgence à chacune d'entre elles le rappel des baisses de dotations qui les concerne et des indicateurs pour en évaluer l'impact financier, afin qu'elles puissent prendre toutes les mesures nécessaires. La situation, évidemment anxiogène, fait naître un sentiment de rejet chez les élus locaux, qui estiment les conséquences insurmontables. Si rien n'est fait pour les informer correctement dans les plus brefs délais, nous irons à coup sûr « droit dans le mur ».

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Lors de l'annonce de la baisse des dotations, notre intuition d'élus locaux a immédiatement été qu'elle se répercuterait sur les dépenses d'investissement. Nous avions raison, puisque 44 % des élus consultés ont choisi en priorité de diminuer leurs investissements pour compenser la perte de recettes. Plus généralement, 62% des collectivités ont joué de ce levier, dont un tiers ont voté une baisse d'au moins 10%.

Ces chiffres se retrouvent dans l'exécution du budget 2014. Si le déficit public a été réduit à 1,6 milliard en 2014, la Cour des Comptes pointe que les collectivités locales ont porté l'effort, en réduisant leurs dépenses d'investissement. Ce phénomène s'amplifiera, car lorsqu'ils se projettent à l'horizon 2017, les élus envisagent une baisse encore plus forte qu'entre 2014 et 2015, ce qui confirme les projections du cabinet Klopfer comme les études de la Banque Postale ou de l'AMF.

Les dépenses de fonctionnement constituent le deuxième levier prioritaire, pour 32% des élus. Au total, 63% d'entre eux les ont diminuées dans le cadre de leur budget pour 2015. Certes, certains n'ont fait que réduire la hausse de la dépense. La baisse devrait néanmoins s'accentuer d'ici 2017 pour 36% des collectivités. Il serait faux de dire que les élus locaux dépensent trop. Certaines collectivités ont des marges de manoeuvre, quand d'autres n'en ont déjà plus. Celles qui dépensent le plus en fonctionnement sont celles qui bénéficient de la plus grosse recette fiscale. De manière générale, les élus sont sensibilisés à la nécessité de dépenser moins.

Si des facteurs exogènes comme le glissement vieillissement technicité (GVT) ou le taux de cotisation patronale contribuent à faire évoluer les dépenses de personnel, des marges de progression restent possibles, et il est du devoir des élus locaux de les envisager avec rigueur et détermination. Nous voudrions tirer la sonnette d'alarme, car le Gouvernement a évoqué une majoration du point d'indice, qui est bloqué depuis 2010. Cela ne concernera pas seulement les fonctionnaires ou le personnel des hôpitaux, mais aussi celui des collectivités...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Fin juin, le maire de Mulhouse et moi-même avons signé un accord avec la quasi-totalité des syndicats, hormis la CGT qui s'est prononcée par une abstention positive, pour le passage aux 35 heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Oui. Nous ne sommes pas les seuls à le faire. Une partie des économies améliorera le pouvoir d'achat des plus modestes, tandis que le reste s'imputera sur les dépenses de fonctionnement.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Aucun élu n'est de mauvaise volonté. Il ne faut pas pour autant sous-estimer la difficulté. Toutes les mesures que prend l'État se répercutent sur les collectivités. Lorsqu'il donne un coup d'accélérateur au point d'indice, les collectivités doivent en assumer le coût ; quand on parle de mutualisation ou de fusion, c'est toujours sous le régime le plus favorable. Il est assez rare de constater des diminutions de dépenses.

Le troisième levier possible, celui de l'endettement, semble écarté des mesures de compensation. Heureusement, car l'endettement national atteint cette année 2 100 milliards d'euros. Même si la situation varie selon les communes, d'une manière générale, elles y ont peu recours. Si la hausse de la fiscalité n'est une priorité que pour une minorité de collectivités, il semble difficile qu'elles ne soient pas plus nombreuses dans les années à venir à accroître les taux pour compenser la baisse de leurs ressources.

Ces résultats sont en phase avec les intuitions que nous avions. Nous avions bien anticipé la réaction des élus locaux. Globalement, la situation sera difficile.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Je félicite les rapporteurs de la qualité de leur vision. Des études commandées par l'AMF confirment leurs résultats. Les élus locaux sont souvent ramenés au rang de sous-traitants, chargés en bout de chaîne d'exécuter les décisions de l'État et de faire face à l'alourdissement des charges. Même si nous cherchons à réduire nos dépenses, il nous reste toujours à gérer les dépenses obligatoires, en intégrant au budget par exemple le milliard d'euros que coûte la réforme des rythmes scolaires. L'État supprimera, le 1er juin, l'instruction gratuite du droit des sols dont bénéficiaient la plupart des intercommunalités. Cette remarquable marque de confiance ne coûtera pas moins de 175 000 euros par an à mon intercommunalité. Il faut mettre fin au principe de strangulation qui consiste à diminuer les dotations tout en augmentant les charges. Selon l'AMF, les investissements devraient baisser de 25 % d'ici 2017. Un terrain de foot en moins, cela peut paraître négligeable, mais cela se traduit par des emplois en moins. La réduction de 13 % de l'investissement du bloc local constatée en 2014, c'est 4,3 milliards qui n'ont pas été injectés dans les entreprises. Malgré toute notre bonne volonté, l'équation n'est pas tenable.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Pourquoi demander tant d'efforts aux collectivités locales qui ne représentent que 9 % de l'endettement de notre pays ? Je ne crois pas à l'effet positif des baisses de dotation. On créera moins de postes, on mutualisera. L'effet sur l'investissement n'en sera pas moins dramatique. Je ne cesse de le répéter.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Même si le constat est accablant, on ne peut pas en rester au « On nous tue, on nous assassine ! ». Ce n'est pas caresser dans le sens du poil le centralisme parisien que de reconnaître que nous devons faire des efforts et que la structure de notre territoire a besoin d'être réformée. L'opinion publique, aussi schizophrène et versatile soit-elle, ne s'y trompe pas. Je prêche des convaincus.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Le pire est là ; peut-être n'avons-nous pas encore vu le pire du pire. L'éventuelle réforme de la DGF n'aidera pas à clarifier la situation. En engageant une réforme sans moyens, on achève de nous ôter toute marge de manoeuvre. Les difficultés ne manqueront pas de s'accumuler, dans un manque de visibilité total. Sur le terrain, les gens continuent à croire que nous sommes riches et qu'il y a trop de communes. Pourtant il y aura toujours autant d'élèves à scolariser et de routes à entretenir. Malgré toutes les mutualisations, les économies resteront à la marge.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

On a vu ce que donnait la baisse des dotations de 3,6 milliards d'euros. Si on réforme en plus la DGF, comme je l'appelle de mes voeux, l'incertitude sera complète. D'où, l'importance pour les préfets d'expliquer aux élus ce à quoi ils doivent s'attendre dans les deux ans à venir.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

M. Le Scouarnec a raison, les collectivités ne sont pas responsables, mais diminuer leurs dotations est terriblement efficace ! La réduction du déficit de notre pays est essentiellement due aux efforts des collectivités, qui sont obligées d'engager des réformes structurelles, dès qu'on les prive de moyens. Il n'est que plus dommage que l'État puisse recycler nos efforts dans une sorte de laxisme débridé.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

L'État annonce déjà 3,5 milliards de dotations en moins. Il faut s'attendre aux mêmes résultats en 2015. L'État décide ; on s'exécute.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Réduire l'investissement aura des effets différés, qui obligeront à corriger la trajectoire. Quant à la mutualisation que, comme M. Jourdain, nous pratiquions spontanément, nous n'en voyons les effets qu'à long terme.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Les incitations financières pour encourager les communes nouvelles ne sont pas très judicieuses. L'heure n'est pas à la carotte. Pour en donner plus aux uns, on diminue la part des autres, alors que l'on baisse aussi la DGF. Cela devient pervers dès que la bonification ne va pas aux plus vertueux. La prime à l'innovation n'a pas sa place en période de grande frugalité.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

La deuxième loi Chevènement partait du même principe : « Faites de l'intercommunalité, et vous aurez des dotations ! ». Le mouvement de fusion des communes n'aurait sans doute pas été aussi net sans les bonifications. Dans les Hauts- de-Seine, un collègue souhaitait même créer une commune nouvelle allant de Boulogne à Issy-les-Moulineaux, pour réduire de 40 millions la baisse des dotations. Le gouvernement a su le freiner. Tout cela n'est pas cohérent. Ce type de dispositif nuit à l'équité.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

S'il n'a pas d'impact sur les petites communes de 1 000 à 10 000 habitants, l'effet d'aubaine existe bel et bien. Sans dénoncer personne, il est clair que certains profitent du système. Nous serions bien inspirés d'y remédier

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

J'ai entendu parler d'une fusion de communes en Maine-et-Loire, qui regrouperait 100 000 habitants.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Il y a toujours eu des effets d'aubaine dans l'histoire des fusions de communes. Il suffit de rappeler la fusion des communes de Lomme et Lille : une commune de 20 000 habitants a soudain été intégrée à un ensemble de 160 000 habitants. Quels qu'en aient été les motifs, l'opération s'est révélée plutôt positive à long terme. Les communes nouvelles évitent l'émiettement des petites communes. En Alsace, Kaysersberg et les communes alentours ont décidé de fusionner. Ils ont bénéficié du système alors que ce ne sont pas les plus pauvres. Tant mieux pour eux.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Ce système tourne tout de même à l'absurde. Pour atteindre les économies que dégage la fusion, voilà que l'on donne des bonifications aux communes qui s'y engagent. Cela ne tient pas debout.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Messieurs les Rapporteurs, nous vous remercions pour ce travail d'orfèvre. Si vous souhaitez de nouvelles études pour mener vos travaux sur le tome III, il nous faudra saisir la questure pour qu'elle dégage les moyens nécessaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Il serait effectivement intéressant de disposer de projections actualisées et de zoomer sur certains points.

Il en a été ainsi décidé.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Vous intéresserez-vous au Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) sur lequel nous manquons cruellement de visibilité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Une marche reste à franchir, mais l'horizon devrait bientôt se dégager. Reste à savoir si l'on remet tout à plat : FPIC, dotation de solidarité urbaine (DSU), dotation de solidarité rurale (DSR)... La tâche est d'autant plus difficile que les délais sont serrés. Nous ne pourrons pas voter la réforme sans en avoir des simulations détaillées, commune par commune.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

On attend à l'automne un rapport du gouvernement sur le FPIC, dont le Comité des finances locales revoit les critères.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Je vous remercie pour ce rapport d'une grande valeur.

La réunion est levée à 9 h 30.