Commission d'enquête Frontières européennes et avenir espace Schengen

Réunion du 26 janvier 2017 à 11h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects au ministère de l'économie et des finances. Mme Crocquevieille est accompagnée de MM. Jean-Michel Thillier, son adjoint, Jean-Paul Balzamo, sous-directeur des affaires juridiques, du contentieux, des contrôles et de la lutte contre la fraude, et Jean-François Rubler, chef du bureau de l'organisation, du suivi de l'activité et de l'animation des services.

La direction générale des douanes et droits indirects est une administration fiscale qui dépend du ministère du Budget. Parmi ses nombreuses compétences figure la police des marchandises. C'est surtout cet aspect qui intéresse notre commission d'enquête dont les travaux portent aussi sur le contrôle des flux des marchandises en Europe.

Quelles sont les spécificités des contrôles effectués par les douanes ? Selon quelles modalités sont-ils réalisés ? Comment les douanes coopèrent-elles avec la police aux frontières ? Comment se sont-elles adaptées à la fin des contrôles aux frontières intérieures inhérente à l'espace Schengen ? Inversement, quelles ont été les conséquences du rétablissement de certains de ces contrôles en France à la suite des attaques terroristes dont notre pays a été victime ? Par ailleurs, la France a fait l'objet d'une récente évaluation Schengen : comment les douanes y ont-elles contribué ? Quelles sont ses conclusions ?

Voici quelques-unes des questions qui intéressent notre commission d'enquête.

Avec cette audition, nous poursuivons notre travail d'investigation sous un angle très opérationnel. C'est dans cet objectif que notre commission d'enquête a souhaité vous entendre. Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.

Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Hélène Crocquevieille, MM. Jean-Michel Thillier, Jean-Paul Balzamo et Jean-François Rubler prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects

Vous avez présenté la direction générale des douanes comme une administration fiscale, ce qui est tout à fait exact. La direction générale des douanes est rattachée au ministère de l'économie et des finances et compte environ 16 700 agents. Elle exerce trois missions complémentaires :

- une mission fiscale effectivement : environ 75 milliards d'euros en 2016, de contributions indirectes et TVA import notamment, affectées au budget de l'Etat, des collectivités locales et d'organismes sociaux;

- une mission économique : pour les échanges de marchandises, la douane est en charge de l'application du code des douanes de l'Union européenne ; dans ce cadre, elle développe depuis plusieurs années une mission d'appui à l'export, à la compétitivité à l'international de nos opérateurs économiques de façon à les faire pleinement bénéficier des différentes dispositions de ce code des douanes ;

- une mission de lutte contre les fraudes et les trafics, les agents des douanes étant investis des pouvoirs conférés par le code des douanes pour rechercher, constater et poursuivre les infractions à ce code.

Ses effectifs se répartissent en deux catégories d'agents :

- des agents de surveillance, les mieux identifiés par nos concitoyens puisqu'ils sont en uniforme. Ils représentent la moitié des effectifs environ aujourd'hui, après le renfort intervenu à la suite des attentats de 2015. Leur statut est lié à leurs obligations, de cotation de services H24, 7 jours sur 7, qui nécessitent des horaires de travail spécifique ;

- des agents travaillant pour les missions économiques et fiscales dans les bureaux de douanes, de contributions indirectes et au sein des différents services administratifs de la direction générale.

L'objet de cette audition est de vous permettre de mesurer de quelle manière la direction générale des douanes et droits indirects participe par ses missions à la sécurisation de l'espace Schengen. Elle y participe par ses deux volets : par ses missions douanières et ses pouvoirs de contrôles douaniers en tant que police des marchandises, avec des modalités de contrôle et des pouvoirs conférés par le code des douanes, d'une part ; par sa mission de contrôle migratoire, dont elle est investie, à côté de la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), administration de référence en la matière, d'autre part. À ce titre, elle est notamment investie de la gestion et de la surveillance de 72 des 118 points de passage frontières (PPF) aériens, terrestres et maritimes que compte notre territoire.

Pour répondre à vos premières questions relatives à l'organisation de la douane pour sa mission de contrôle migratoire et à l'articulation avec la DCPAF, je souhaite vous indiquer que, depuis 1995, a été organisée une complémentarité avec la DCPAF, administration de référence.

La douane gère 49 points de passage frontières (PPF) aériens, 20 maritimes et 3 terrestres. Le principe qui prévalait pour la répartition de ces points de passage, à l'origine, confiait à la douane les passages secondaires, avec un trafic relativement faible. Depuis lors, les flux ont pu évoluer de manière significative en particulier sur les points de passage aériens. Certains aéroports alors secondaires connaissent désormais un trafic plus important : 6 des 49 PPF aériens ont aujourd'hui un trafic supérieur à 200 000 passagers. Cela résulte notamment du développement de lignes low cost ou de lignes d'aviation privée. Ces évolutions complexifient l'exercice par la douane des contrôles des passagers dans la mesure où il s'agit de contrôles obligatoires et systématiques.

Une des difficultés que connaît la douane depuis quelques années est que le réseau des brigades de surveillance terrestre est allé en se resserrant au fil des ans et n'est plus adapté au maillage des PPF qui lui sont confiés. À certains endroits, devoir gérer des PPF induit des déplacements longs qui occupent une part importante du temps des brigades. Aussi, nous travaillons avec la DCPAF à adapter le maillage des PPF afin qu'ils ne pèsent pas de manière trop contrainte sur nos missions.

Un deuxième point à noter consiste en la technicité croissante des contrôles et la professionnalisation de la mission immigration. Celle-ci exige une formation toujours plus poussée et des investissements en moyens significatifs, avec la perspective, demain, du développement de contrôles biométriques supplémentaires.

L'articulation des travaux entre la DCPAF et la douane est régie par un protocole signé en 2011 qui prévoit que la DCPAF, administration de référence, apporte l'expertise technique sur les équipements, la formation auprès de nos agents. Ce protocole prévoit également la transmission et la diffusion d'informations opérationnelles par les services spécialisés de la DCPAF, ainsi que la prise en charge par les officiers de la PAF des étrangers non admis sur le territoire à un PPF tenu par la douane. Lorsque les étrangers ne peuvent être reconduits immédiatement dans leur pays d'origine et se voient notifier une décision de maintien en zone d'attente, ils sont remis par la douane à la PAF, seule administration habilitée à gérer les zones d'attente.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Nous nous interrogeons sur l'interopérabilité des fichiers, des renseignements. Où en êtes-vous ? Comment cela fonctionne-t-il ?

Debut de section - Permalien
Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects

Vous posez à la fois la question de la capacité des services douaniers, dans le cadre de leur mission migratoire, de se connecter aux fichiers SIS et VIS et celle du développement jugé par tous nécessaire d'une meilleure interopérabilité entre les différents systèmes d'information existants au niveau européen.

Sur le premier point, relatif à l'accès aux systèmes d'information SIS et VIS, les agents des douanes positionnés aux points de passage frontières ont cette capacité d'accès. Toutefois, aujourd'hui, leur possibilité de connexion n'est malheureusement pas suffisamment fluide car ils sont obligés de passer par la plateforme de la gendarmerie Judiweb pour pouvoir accéder au fichier des personnes recherchées (FPR). Cette situation les oblige à se connecter, se déconnecter et se reconnecter à deux plateformes d'accès différentes pour consulter, d'une part, le VIS et, d'autre part, le SIS via le FPR, ce qui fait perdre en fluidité le passage lorsque ce sont les douaniers qui opèrent les contrôles. Ces difficultés techniques devraient cependant être prochainement résolues. En mars ou avril 2017, nos agents devraient pouvoir accéder à l'interface du FPR directement.

Sur le second point, le constat est partagé, que ce soit pour le contrôle des personnes ou des marchandises : la sécurisation de l'espace européen, la préservation de la libre circulation ne peuvent prospérer qu'à la condition d'une protection suffisante des frontières extérieures, qu'à condition que les personnes et les marchandises qui passent ces frontières extérieures soient correctement identifiées, voire interceptées. Cela implique un niveau de confiance suffisant entre les administrations partenaires au niveau européen, la possibilité de transmission d'informations entre pays, la consultation de fichiers européens par les systèmes nationaux, voire leur interconnexion. Des travaux sont actuellement en cours au sein d'un groupe d'experts de haut niveau qui se penche sur l'ensemble des fichiers existants pour les personnes et les marchandises afin d'identifier comment mieux permettre des interconnexions, des consultations plus fluides de ces bases, aussi bien par les États membres qu'au niveau européen. Les systèmes d'information douaniers font partie de ces bases de données dont on sait qu'ils apportent de l'information pour la sécurisation de l'espace européen.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Quel est l'état de votre collaboration avec Frontex, socle de la sécurisation de nos frontières communes ?

Debut de section - Permalien
Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects

Sur la base du nouveau règlement entré en vigueur en octobre 2016, Frontex est de plus en plus appelé à devenir une agence qui concerne la douane, notamment la douane française dans son périmètre étendu de missions : jusqu'à présent, la douane française contribuait beaucoup aux opérations de Frontex, principalement par le biais de la garde-côtes de la douane qui participe régulièrement aux opérations de contrôle migratoire en mer Méditerranée. Dans le cadre d'accords bilatéraux annuels, la garde-côtes de la douane française met en effet à disposition de Frontex une partie de ses moyens. Dans le contexte de montée en puissance de Frontex et face à la hausse de la pression migratoire, le renforcement des moyens de la garde-côtes nous permet d'accentuer progressivement notre contribution aux opérations maritimes de Frontex. Ainsi, en 2017, le patrouilleur Jean-François Deniau, dont est équipée la douane depuis 2015, sera mis à disposition deux fois un mois, de même que l'un de nos nouveaux avions Beechcraft qui sera déployé au cours du second semestre sur la zone Poséidon. En 2018, nous mettrons potentiellement à disposition deux fois un mois le patrouilleur et l'avion.

Il faut toutefois bien avoir à l'esprit que lorsque la douane française met à disposition un patrouilleur pendant un mois, cela représente une indisponibilité de ce patrouilleur pour les missions douanières, durant un mois et demi, un mois trois quart, du fait de la nécessaire récupération horaire des agents. Il en va de même pour les avions.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

De combien de patrouilleurs et d'avions disposez-vous ?

Debut de section - Permalien
Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects

Nous disposons de trois patrouilleurs, un en Méditerranée, basé à Toulon, un en Manche-Mer du Nord et un à Brest. Nous avons également des vedettes garde-côtes. Il est donc possible que nous mettions à disposition un mois un patrouilleur et un mois une vedette garde-côtes. Nous avons à Nice une vedette garde-côtes d'une trentaine de mètres qui pourrait également être déployée dans le cadre de missions de cette nature.

Pour l'aérien, nous dispositions d'une nouvelle flotte de Beechcraft de 7 avions : 5 en métropole - ce qui représente, compte tenu de la fréquence des périodes de maintenance, 2 en Méditerranée et 2 en Manche-Mer du Nord-Atlantique - et 2 aux Antilles. Une mise à disposition pendant un mois représente donc une contribution tout à fait significative par rapport aux moyens dont nous disposons.

Pour en revenir à notre contribution à Frontex, il y a donc ce premier volet de mise à disposition d'équipements que nous connaissons bien.

Avec l'élargissement du champ des missions de Frontex à la lutte contre les trafics associés aux flux migratoires sur les frontières terrestres, la contribution de la douane est également appelée à se développer sur cet aspect-là : la douane participera à hauteur de 20 douaniers à la contribution de 170 agents que la France s'est engagée à mettre à disposition de Frontex pour constituer son effectif de 1 500 garde-frontières. Nous avons d'ores et déjà lancé l'appel à candidature auprès de nos agents. Là aussi, il faut avoir en tête que la mise à disposition d'agents en 5 jours pour un mois ou plus signifie qu'il faut avoir un volant disponible et rapidement mobilisable d'à peu près le triple car il faut pouvoir assurer le renouvellement des personnels. La projection doit être rapide. Nous sommes en train de constituer un vivier.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Doit-on en déduire que ce vivier n'est pas encore constitué ?

Debut de section - Permalien
Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects

Nous sommes en train de le constituer. Dans le cadre de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, nous étions prêts, mais nous n'avons pas eu besoin d'être mobilisés puisque les flux ont très rapidement changé de nature sur les îles de Chios et Lesbos en Grèce. Nous avions toutefois été sollicités au printemps pour compléter les forces déployées sur les îles.

Debut de section - Permalien
Jean-François Rubler, chef du bureau de l'organisation, du suivi de l'activité et de l'animation de services

Une petite précision à propos de ces 170 agents mis à disposition par la France. À la suite d'un arbitrage, le ministère de l'intérieur prend à sa charge 125 de ces agents, la douane, 20, et le reste étant la contribution du ministère de la défense. La vingtaine d'agents mis à disposition par la douane a un profil bien particulier, établi par Frontex, puisqu'il s'agit de surveillance des frontières - Border surveillance officer, BSO selon le langage Frontex. Nous avons lancé un appel à candidature parmi les agents de la branche surveillance.

Quand on parle de réserve d'intervention rapide, cela signifie une mobilisation dans les cinq jours après l'appel de Frontex depuis Varsovie. La France peut ensuite choisir de n'envoyer aucun douanier mais 50 policiers, cela dépend de la contribution demandée. La douane ne se soustrait pas à ses obligations et se met en capacité de pouvoir déployer dans les cinq jours une vingtaine de douaniers.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Ma première question porte sur les modalités de fonctionnement des services de la douane. Je crois savoir qu'outre la surveillance des points de passage frontières, il existe ce qu'on appelle la « douane volante », en retrait des points de passage. Ces agents sont-ils habilités à intervenir en matière de contrôle migratoire, ont-ils la possibilité d'interpeler des personnes en situation irrégulière, par exemple à des péages d'autoroute.

Deuxièmement, s'agissant des contrôles au point de passage frontières, comment cela se passe-t-il concrètement ? Si j'ai bien compris ce que vous disiez à propos du protocole signé avec la PAF, vous indiquiez que vous remettez à la PAF les étrangers en situation irrégulière ? Pouvez-vous les renvoyer dans les pays d'origine ?

Debut de section - Permalien
Jean-François Rubler, chef du bureau de l'organisation, du suivi de l'activité et de l'animation de services

Avant que le douanier, dans son aubette, au point de passage frontières, autorise ou refuse l'admission sur le territoire de l'espace Schengen, il accomplit des actes et contrôles similaires à ceux accomplis par la PAF, en particulier la consultation des fichiers. Que ce soit à Roissy ou dans un petit PPF, l'organisation d'un poste frontière est toujours la même, avec un point de contrôle de premier niveau et un point de contrôle de deuxième niveau. Au premier niveau, lorsqu'un ressortissant de pays tiers se présente à l'aubette, on lui applique l'ensemble des contrôles prévus par le code frontières Schengen : on s'assure que son document de voyage et son visa, s'il est soumis à visa, sont bien réguliers en interrogeant les bases de données. Pour ce faire, on passe le passeport dans un lecteur de titre automatisé relié à la base VIS, qui recense tous les visas délivrés par l'ensemble des consulats des pays de l'espace Schengen. En cas de doute sur les documents, le douanier peut être amené à retenir le voyageur en le faisant passer dans une pièce à l'écart pour approfondir le contrôle. Le douanier dispose d'une formation particulière dispensée par les collègues de la PAF, mais également de loupes et de lampes UV qui permettent d'approfondir le contrôle du document de voyage.

En aubette, le douanier consulte également le fichier des personnes recherchées (FPR). Pour l'agent de la PAF, cette consultation est automatique lors de la lecture du document de voyage ; l'agent de la PAF consulte d'un seul coup l'ensemble des fichiers. Sur un plan technique, ce n'est pas vrai aujourd'hui pour le douanier, qui est obligé de passer par une passerelle particulière (« judiweb ») pour consulter ce fichier. Cela est cependant technique et provisoire puisque d'ici l'été 2017, nous devrions en principe disposer des mêmes accès que les collègues de la PAF.

Le FPR permet de consulter le fichier des personnes recherchées, mais également celui des objets et des véhicules signalés (FOVeS).

En cas de refus d'admission sur le territoire, l'agent des douanes est habilité par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à refuser l'admission, donc à maintenir en zone d'attente le ressortissant qui ne peut pénétrer sur le territoire.

La zone d'attente est très variable selon les points de passage frontières. Elle est définie par l'autorité préfectorale et peut, par exemple, être constituée par une partie de l'aéroport et inclure un hôtel.

Pour la douane, cette situation est marginale car, dans le cadre de la complémentarité avec la PAF, nous avons un protocole d'accord au niveau central avec la DCPAF et au niveau zonal avec les DZPAF, qui prévoit que nous appelons immédiatement la DDPAF pour qu'elle prenne en charge le ressortissant étranger. Nous effectuons un procès-verbal de remise et, selon les endroits, soit nous acheminons l'étranger auprès de la PAF, soit la PAF vient le chercher. Par exemple, à La Rochelle, où nous tenons le point de passage maritime, en cas de refus d'admission, nous prononçons le maintien en zone d'attente et acheminons la personne sur Bordeaux. C'est la DZPAF qui prend en charge les formalités en vue de son éloignement : placement en centre de rétention éventuellement et réacheminement vers le pays tiers.

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Balzamo, du contentieux, des contrôles et de la lutte contre la fraude

sous-directeur des affaires juridiques, du contentieux, des contrôles et de la lutte contre la fraude. - Cette mission d'éloignement est essentiellement celle du ministère de l'intérieur. En 1995, l'administration des douanes s'est vue conférer, du fait de sa présence aux frontières pour le contrôle des marchandises, une mission en matière migratoire. C'est une forme de mutualisation des moyens de l'État. Mais nous n'avons pas les mêmes prérogatives que les officiers de police judiciaire (OPJ). Il a fallu modifier les dispositions afin de permettre aux agents des douanes de procéder aux contrôles d'identité et de placer en retenue administrative des personnes en situation irrégulière le temps de les remettre à l'officier de police judiciaire le plus proche, qui relève le plus souvent de la PAF.

Debut de section - Permalien
Jean-François Rubler, chef du bureau de l'organisation, du suivi de l'activité et de l'animation de services

De même, s'il arrive qu'à un péage autoroutier, à l'occasion d'un contrôle sur le territoire, on se trouve en présence d'un étranger en situation irrégulière, on le remet à un OPJ, pas forcément la PAF, ce peut être la gendarmerie ou la police.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Pour en revenir à la question de notre rapporteur sur le partage d'informations, pouvez-vous nous indiquer s'il existe des obstacles juridiques au niveau européen ou au niveau national aux contrôles les plus efficaces possibles ? Il faut certes prendre en compte le nécessaire équilibre entre sécurité et préservation des libertés individuelles, cependant êtes-vous suffisamment armés pour être efficaces en matière de sécurité ?

Vous indiquiez que l'interopérabilité n'était pas suffisamment fluide. Vos contacts habituels avec les services de renseignement au niveau du territoire national sont-ils suffisamment opérants, y compris pour ce qui est des renseignements que l'on est en droit d'attendre de nos partenaires européens ?

Enfin, considérez-vous que les moyens techniques dont vous disposez sont suffisamment poussés, efficaces, modernes ou qu'ils seraient trop archaïques ?

Debut de section - Permalien
Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects

Avant d'aborder les manques, je vais vous indiquer ce qui existe en matière de coopération et de transmission d'informations.

Au niveau national, la douane dispose d'un service spécialisé, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), qui fait partie de la communauté nationale du renseignement (CNR). Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les passerelles et lieux d'échanges et d'enrichissement d'informations ont été renforcés, sous la coordination de la DGSI.

Aux niveaux européen et international, il existe plusieurs canaux de coopération pour échanger et demander des informations. La convention d'assistance administrative mutuelle internationale (AAMI) permet d'obtenir des informations de manière bilatérale. Europol est une agence de police à l'origine mais qui, depuis quelques temps, à la suite d'échanges fructueux notamment avec la douane française, s'intéresse à l'apport de la douane pour lutter contre les différents trafics. Cela permet de solliciter, au-delà des autres services douaniers, tous les services répressifs compétents à l'échelle européenne. Je souhaite que la douane continue de conforter sa présence au sein d'Europol, notamment dans les domaines de la lutte contre le trafic d'arme et les flux financiers illicites, sur lesquels nous avons beaucoup investi ces derniers temps.

Il existe également les centres de coopération policière et douanière (CCPD) positionnés sur le territoire et sur la frontière. Ce sont des structures de coopération bilatérale, voire quadrilatérale, à Luxembourg, entre l'Allemagne, la Belgique, la France et le Luxembourg, qui apportent une plus-value opérationnelle tout à fait satisfaisante lorsqu'il y a des signalements sur certains PPF ou certaines opérations.

D'autres canaux d'échanges peuvent être cités comme le Collège européen de Police (CEPOL) qui permet de créer des liens entre les services de police et de douane en termes de partage de pratiques et d'informations. En 2016, la douane a signé un accord de partenariat, devenant ainsi un partenaire à part entière de cet organisme de formation.

Quels sont les éventuels obstacles juridiques ? Je passe la parole à mon adjoint.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Thillier, chef de service, adjoint à la directrice générale des douanes et droits indirects

L'Europe des marchandises et l'Europe des personnes, des voyageurs ne se sont pas construites dans le même temps. On a commencé par l'Europe des marchandises, la coopération douanière est ancienne puisqu'elle remonte à 1967, peu avant le tarif extérieur commun, dans le cadre juridique communautaire. La libre circulation des personnes via la convention de Schengen n'est arrivée qu'en 1990. Les outils informatiques SIS, puis VIS sont venus ensuite.

Nous avons donc deux cadres juridiques différents qui poursuivent des objets différents et ne se recoupent que pour partie puisque la convention Schengen évoque également les marchandises en son ancien article 98. Aujourd'hui, ces cadres continuent de vivre l'un à côté de l'autre. Là-dessus est venue se greffer une préoccupation d'ordre policier en vue de lutter contre la criminalité organisée avec Europol. Europol n'est pas une banque de données, bien qu'en son sein il existe des bases de données, et n'a pas vocation à être réintégrée dans les échanges d'informations recueillies pour le contrôle des marchandises et des personnes.

Aujourd'hui, le constat est le suivant : toutes les informations utiles pour un contrôle à la frontière, qu'il soit effectué par un agent de la PAF, des douanes ou d'une quelconque autre force de sécurité, ne se retrouvent pas dans les outils consultés par les agents, ce qui les contraint soit à consulter plusieurs bases, soit à consulter une entité qui a, elle, accès à une information qui n'est pas largement diffusée pour de bonnes raisons. La réflexion engagée par la Commission européenne et les États membres vise à faire émerger des systèmes plus interopérables, mieux consolidés. Nous nous trouvons actuellement dans une situation transitoire. Les services qui opèrent sur le terrain, qui ne sont pas des services de renseignement, n'ont pas directement accès à toutes les informations, indépendamment de toute considération technique.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Nos collègues du groupe Les républicains ont souhaité que cette commission d'enquête traite également des flux de marchandises. Quel pourcentage des marchandises est effectivement contrôlé à l'entrée dans l'espace Schengen ? Quelles conséquences le rétablissement des contrôles des personnes aux frontières intérieures a-t-il eu sur le contrôle des marchandises ? Quelles seraient les conséquences d'un rétablissement définitif de ces contrôles ? La concentration des moyens sur la lutte contre le terrorisme a-t-elle eu des conséquences sur le contrôle des marchandises ?

Debut de section - Permalien
Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects

À la différence des contrôles des personnes, les contrôles opérés par les services douaniers, que ce soit par les bureaux de douanes ou par les brigades, sur les marchandises, ne sont pas systématiques ; ils procèdent de plus en plus systématiquement d'une analyse de risque et d'un ciblage. Les transformations de l'administration des douanes vont en ce sens avec la création d'un Service d'Analyse de Risque et de Ciblage (SARC) qui vise à coordonner la chaîne de contrôles de l'ensemble des services douaniers en matière économique - flux de marchandises - ou en matière fiscale.

Cette approche poursuit le double objectif d'intercepter dans les flux de marchandises tout ce qui porte atteinte au commerce licite et, parallèlement, de sécuriser les conditions d'échanges des marchandises vis-à-vis des opérateurs réguliers, dignes de confiance, donc de fluidifier le commerce pour ces opérateurs. Il convient donc de repérer les flux, les opérateurs porteurs de risque.

Ce travail d'analyse de risque puis de ciblage est différent selon la nature des flux.

Sur les flux déclaratifs, on procède à un recoupement d'informations. Tout d'abord, pour les marchandises provenant de pays tiers à l'espace européen, il y a obligation pour les importateurs d'adresser des déclarations sommaires d'entrées (ENS) qui sont analysées dans un objectif de sûreté et de sécurité. Ce dispositif ICS, pour Import Control System, a été mis en place à la suite des attentats aux États-Unis en 2001 dans un objectif non de dédouanement mais de sûreté et de sécurité. Nous disposons d'un point d'analyse ICS à Roissy qui opère le premier niveau de contrôle pour l'ensemble des points aériens et deux points d'analyse au Havre et à Marseille pour les entrées maritimes. Le deuxième niveau d'analyse est effectué à partir des données déclaratives de dédouanement. Le moteur de ciblage identifie les profils à risque pour orienter le contrôle de nos services aux différents points d'entrée des marchandises.

Il est important de garder à l'esprit que nous accroissons systématiquement l'efficacité de nos contrôles, notamment par l'allègement des contrôles réglementaires formels des documents administratifs d'accompagnement de marchandises, par exemple en matière alimentaire. Ces formalités conduisaient les services à accomplir de très nombreux contrôles systématiques et purement formels, en général négatifs puisque touchant à 99 % des opérateurs économiques réguliers. La douane a été chargée de mettre en place un guichet unique national dématérialisé (GUN) qui met en interconnexion l'ensemble des administrations françaises chargées d'émettre ces documents d'accompagnement des marchandises. Cette fenêtre unique permet aux opérateurs de solliciter les documents auprès des différentes administrations (agriculture, écologie, défense, etc.) et de les adjoindre automatiquement à leur déclaration. L'efficacité de nos contrôles est devenue beaucoup plus importante puisque nous pouvons identifier rapidement les documents qui manquent sans avoir à opérer de contrôle documentaire physique et inversement, cibler les contrôles physiques sur des flux identifiés comme étant à risque.

D'autres flux ne sont pas accompagnés de déclaration (fret postal, circulation routière) et gagnent en importance avec notamment le développement exponentiel du e-commerce. Ce dernier représente un enjeu d'abord fiscal, lorsqu'il s'agit de recouvrer les droits et taxes qui y sont associés, mais également de lutte contre la fraude puisque, dans les paquets, arrivent beaucoup de choses : contrefaçons, armes en pièces détachées, produits stupéfiants, argent liquide, faux-papiers, etc. Beaucoup de produits illicites.

Le travail d'analyse de risque et de ciblage est possible sur une partie de ces flux, sur le fret express traditionnel car les envois au-dessus d'un certain seuil de valeur sont accompagnés de documents de déclaration. Mais il est plus difficile, voire impossible sur le fret postal qui ne fait pas l'objet de déclaration préalable. Celui-ci représente pourtant environ 60 millions d'envois et de réceptions par an. Nous avons des brigades dans les hubs, comme à Roissy où est positionné le hub de La Poste pour les envois de moins de 2 kg. Les agents des douanes sélectionnent des paquets à partir d'observations et d'échanges avec La Poste et les expressistes une fois que nous avons identifié certaines origines, certaines entreprises, certains destinataires. Plus de 300 000 contrôles par an sont opérés sur ces paquets.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Thillier, chef de service, adjoint à la directrice générale des douanes et droits indirects

Nous avons renforcé les effectifs qui contrôlent les envois postaux et le fret express grâce aux emplois supplémentaires créés dans cadre de la lutte contre le terrorisme. Si ce fret n'est pas important en volume, il l'est en nombre et nous avons considéré qu'il avait un caractère critique. Aujourd'hui, les flux internationaux sont à 90 % du fret maritime.

Debut de section - Permalien
Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects

S'agissant de l'impact du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures sur nos missions traditionnelles, nous vous avons communiqué les estimations en termes de volume horaire et d'équivalent agents consacrés par les douanes depuis novembre 2015 à cette mission, ce qui correspond au nombre de vacations effectuées aux points de passage autorisés définis conjointement avec la PAF et la gendarmerie, sous le contrôle du ministère de l'intérieur. Au début, en contrecoup des événements dramatiques du 13 novembre, on nous a demandé d'opérer les contrôles douaniers autant que possible en points fixes sur des vacations complètes - H24, 7 jours sur 7. Les préfets responsables ont progressivement mesuré qu'il était plus efficace de laisser les douaniers faire des contrôles comme ils savent faire, en « douane volante » avec ciblage grâce à la connaissance des flux transfrontaliers plutôt qu'en points fixes et de manière systématique mais plus formelle. Le nombre de contrôles opérés et surtout d'identifications d'individus signalés ont montré la complémentarité bénéfique des contrôles en points fixes opérés par la PAF et la gendarmerie et ceux des brigades des douanes sur le territoire.

Les résultats de la douane en matière d'interception n'ont pas pâti du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures. Pendant les premières semaines, il y a eu incontestablement une mobilisation plus forte des agents et un renfort en effectifs est intervenu sur les exercices 2016 et 2017, pour lequel nous sommes encore en cours de recrutement. Conformément au souhait du législateur, ces renforts sont principalement positionnés dans les zones frontalières. On ne constate pas de décrue des résultats car les contrôles sont opérés, certes de manière renforcée aux frontières, mais selon les méthodes douanières, ils permettent aussi bien le contrôle des personnes que l'interception de produits illicites ou le constat de manquements aux obligations déclaratives.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

L'essentiel des points d'attention ont fait l'objet de réponse. J'aurais souhaité quelques éléments statistiques sur les personnes identifiées en situation irrégulière aux points de passage autorisés et déférées à la PAF. Considérant que la plupart des personnes ne passent pas par ces points, vos services mobiles appréhendent-ils beaucoup de ces personnes ?

En tant qu'élu d'un département maritime, on sait que, parfois, trafic de marchandises et trafic d'êtres humains se mêlent. Exercez-vous des contrôles particuliers sur ce plan ? Disposez-vous de statistiques de personnes appréhendées dans les ports et de démantèlement de trafic ? Quelle est l'ampleur de ce phénomène aujourd'hui dans notre pays ?

Debut de section - Permalien
Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects

Je ne dispose pas ici de telles statistiques, nous vous les communiquerons ultérieurement. De manière qualitative, il est certain que, dans des zones comme Calais ou en Normandie, très fréquemment dans le cadre de contrôles terrestres, nos brigades interceptent des véhicules acheminant des migrants, parfois dans des conditions dangereuses : les personnes sont prêtes à tout pour passer le contrôle douanier, elles refusent d'obtempérer, prennent les autoroutes à contresens...

Nous avons également des brigades spécialisées sur le ferroviaire, au nombre de six, qui interviennent dans des conditions très spécifiques (lieux confinés) pour la sécurité des passagers et des agents, dans le cadre d'une coopération très fructueuse avec la SNCF. Elles interceptent régulièrement des personnes en situation irrégulière. Dans certaines gares routières également, à bord d'autocars, des contrôles sont conduits qui permettent d'interpeler des personnages peu recommandables. J'ai, en tête, le cas de Mehdi Nemmouche interpelé lors d'un tel contrôle en gare routière de Marseille en 2014, ou encore un certain nombre de véhicules contrôlés par les douaniers en 2015 à proximité de la frontière suisse, transportant des personnages en lien avec des attentats.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Dans une interview donnée au Nouvel économiste, vous évoquez l'interdépendance avec les autres services douaniers européens. Vous laissez deviner des difficultés dans l'application du droit communautaire douanier par certains États. Dans certains dossiers, on se rend bien compte que tout le monde ne va pas à la même vitesse, on constate des dysharmonies. Pouvez-vous préciser votre pensée sur ce point ?

Debut de section - Permalien
Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects

Il en va pour les marchandises comme pour les personnes, nous sommes tous interdépendants dès lors que la sécurité de l'espace Schengen dépend du contrôle de la frontière extérieure. Pourtant, il n'existe pas en matière douanière les mêmes facultés d'intervention rapide que celles dont dispose le contrôle des personnes via Frontex, alors même que pour assurer la liberté de circulation des marchandises, nous disposons d'un seul et même code douanier.

La capacité, parfois peut-être même la volonté, d'appliquer le code douanier peut varier d'un pays à l'autre. Pour la capacité, on peut citer l'exemple de la Grèce, les mêmes problèmes sont rencontrés pour les marchandises que pour les personnes.

Nous constatons en matière douanière la même problématique de co-responsabilité de l'ensemble des États membres pour la sécurisation de la frontière extérieure puisqu'un seul point d'entrée permet ensuite la libre circulation sur l'ensemble du territoire de l'espace européen.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Qu'en sera-t-il lorsque la Bulgarie et la Roumanie rejoindront l'espace Schengen ?

Debut de section - Permalien
Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et droits indirects

Ces pays sont déjà dans l'union douanière.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Notre commission d'enquête va effectuer des déplacements sur le terrain. Nous y rencontrerons aussi des services des douanes. Un déplacement est déjà prévu à Strasbourg le 6 février. Je vous remercie par avance pour la collaboration de vos services.