La commission procède, conjointement avec la commission des finances, à l'audition de M. Steven Maijoor, président de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), M. Hervé de Villeroché, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor, Mme Carol Sirou, présidente de Standard & Poor's France, et M. Michel Aglietta, professeur à l'université Paris X - Nanterre, membre du Conseil d'analyse économique.
La commission des affaires européennes et la commission des finances ont souhaité organiser conjointement une table ronde pour accompagner notre réflexion sur les enjeux de la régulation des marchés financiers.
Nos deux commissions vont être prochainement amenées à examiner des textes qui constituent véritablement l'ossature des marchés européens : la révision de la directive sur le marché des instruments financiers et le règlement sur les produits dérivés.
Nous nous posons la question de l'utilité sociale des marchés. Soyons pragmatiques, il ne s'agit pas de diaboliser les marchés. Ne l'oublions pas, ils ont accompagné une période de croissance. Mais durant cette période, nous avons vu triompher ce que je qualifierais de « fondamentalisme » de marché. Nous subissons et risquons de subir encore les conséquences d'une croyance absolue en l'autorégulation et l'efficience naturelle des marchés.
Nous avons laissé les marchés se développer de façon autonome au point de diverger dangereusement de la réalité économique. La taille du marché des dérivés - 600 000 milliards de dollars - tout comme certaines pratiques du trading haute fréquence défient l'entendement.
Finalement, nous avons vécu une crise de confiance qui n'a pas eu beaucoup d'équivalent dans l'histoire de notre pays depuis la faillite du système de Law en 1720, qui avait causé des émeutes à Paris. Nous avons pris conscience, et l'ensemble de l'opinion publique aussi, du risque systémique que représentent les marchés financiers. Les mécanismes et les pratiques qui ont causé la crise financière sont toujours à l'oeuvre. Trois ans après la crise des subprimes, nous nous devons de repenser la régulation. Une régulation financière, certes technique, mais surtout conforme à l'intérêt des citoyens. Une régulation financière qui donne concrètement les moyens et pouvoirs aux autorités de supervision. C'est l'occasion de faire des marchés financiers non pas une fin en soi mais un outil au service de l'économie. C'est une responsabilité politique dans laquelle nous devons nous engager fermement.
Dans la période inédite que nous traversons, nous avons besoin de réfléchir, d'échanger et d'agir. La régulation financière est un vaste ensemble de mesures auxquelles le Parlement est associé de longue date, mais plus encore ces trois dernières années. Depuis le G20 de Pittsburg, nous savons qu'il y a beaucoup à faire et qu'il faut une volonté implacable pour que l'économie de marché devienne véritablement efficiente et que les marchés financiers jouent tout leur rôle d'ajustement. La tâche n'a pas été négligée par la Commission européenne, M. Barnier a proposé un programme de travail exhaustif et ambitieux : régulation des fonds alternatifs, encadrement des fonds propres bancaires, révision de la directive « marchés d'instruments financiers » (MIF), refonte des OPCVM, législation relative aux chambres de compensation et aux produits dérivés négociés de gré à gré, ou encore règlement sur les agences de notation. Je m'arrête là mais cette liste est évidemment très incomplète.
Nos commissions souhaitent être associées aux réflexions menées. Il s'agit de textes denses et techniques, qui incitent à recourir à l'expertise extérieure, mais nous ne sommes pas à l'aise dans la comitologie bruxelloise. Nous préférons vous écouter ! M. Steven Maijoor nous dira comment l'autorité européenne des marchés se met en place, M. Jean-Pierre Jouyet nous parlera de l'autorité française, Mme Carol Sirou, présidente de Standard & Poor's pour la France - redoutable tâche, mais je prends l'engagement que notre interlocutrice sortira sans encombre ni dommages de cette salle, à l'issue de la table ronde -, le professeur Michel Aglietta, l'une de nos grandes références, professeur à l'université Paris X - Nanterre et membre du Conseil d'analyse économique et, enfin, en tant que représentant de la direction générale du Trésor, M. Hervé de Villeroché.
La supervision européenne est confiée à la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Je remercie la France d'avoir soutenu dans la durée la création de cette nouvelle autorité. Notre objectif est de garantir une surveillance unique et cohérente dans toute l'Europe. C'est l'une des principales conclusions tirées de la crise. La concurrence entre réglementations nationales nuit à la gestion d'ensemble du secteur financier européen.
Nous travaillons aussi sur la protection des investisseurs de détail, qui ont souvent acheté des produits ou services dont ils ignoraient en fait le contenu.
La stabilité des marchés est également une préoccupation majeure pour l'AEMF. Nous travaillons sur les questions de la transparence mais aussi des risques qui peuvent se développer sur les marchés financiers. Pendant la crise, nous avons veillé à ce que les autorités nationales collaborent, comme, par exemple, sur les contrats d'échange sur défaut - les CDS - ou sur les produits dérivés. Nous nous efforçons aussi de renforcer la surveillance des agences de notation.
Je vais m'efforcer de vous donner quelques exemples de nos travaux. Au mois de décembre 2011, nous avons publié des recommandations sur le trading à haute fréquence qui doivent maintenant être mises en oeuvre dans tous les pays de l'Union européenne. Comme je vous le disais, la supervision des agences de notation relève, depuis l'automne dernier, de l'AEMF. Nous avons d'ores et déjà terminé une série d'inspections que nous poursuivons dans les différentes agences.
S'agissant des investisseurs, nous avons émis des avis sur l'évaluation des dettes souveraines, de même que sur les nouvelles normes comptables. Nous avons également formulé des avis très précis sur la transparence, la surveillance des fonds propres bancaires et des fonds alternatifs. Très bientôt, nous nous pencherons sur la recommandation n° 4, qui concerne les OPCVM.
La création des trois autorités de surveillance européennes (ASE) était très importante pour assurer une meilleure coordination au niveau européen. Nous avons de nouveaux outils et une nouvelle organisation. Nous espérons désormais pouvoir créer ce corpus de règles uniques pour toute l'Union européenne. Ainsi, le vote à la majorité rend la décision plus facile.
L'AEMF reçoit régulièrement de nouvelles missions, telles que le contrôle des agences de notation, des systèmes d'audit, mais pas de nouveaux crédits. Si notre budget n'est pas revu lors de chaque extension de compétences, la qualité du travail finira par en souffrir. A mon sens, un financement en augmentation et assuré exclusivement par les crédits de l'Union européenne est indispensable ; aujourd'hui les autorités nationales sont mises à contribution également. Songez que nous sommes passés en douze mois de 40 à 70 salariés.
Il est impératif d'éviter une concurrence au niveau des règlements au sein de l'Union européenne, mais la coopération entre les régions du monde est tout aussi nécessaire. Nous en avons les moyens et c'est indispensable afin que les différentes régions ne se fassent pas concurrence avec certains systèmes de réglementation qui seraient plus favorables que d'autres. Dans les directives et règlements européens, veillons à appliquer aux pays tiers le même niveau d'exigence qu'au sein de l'Europe, par exemple en ce qui concerne les agences de notation. De même sur les produits dérivés de gré à gré, dont le marché est véritablement international, nous devons travailler avec les pays asiatiques, avec la Suisse, les Etats-Unis et nous efforcer de parler tous le même langage. A mon sens, les autorités des pays tiers sont prêtes à travailler avec nous, cependant, je n'ignore pas combien il est difficile d'établir au plan international une concurrence juste et équitable.
La révision de la directive MIF partait de bonnes intentions : protéger les investisseurs, réguler les transactions de gré à gré, promouvoir la transparence, limiter le trading haute fréquence, créer un système d'équivalence et de reconnaissance mutuelle des prestataires de services d'investissement et des plateformes de négociation avec les pays tiers, et, enfin, classer les OPCVM selon leur degré de complexité. La première version de la directive créait des systèmes multilatéraux de négociation (SMN), afin d'attirer vers ces plateformes de négociation les transactions de gré à gré qui n'étaient pas régulées. Mais ce fut un échec total, car au lieu de tirer celles-ci vers le haut, ce sont les transactions des marchés organisés qui ont été aspirées vers le bas.
La Commission européenne propose de créer des organized trading facilities (OTF) afin d'augmenter la transparence du marché en organisant plus clairement le système des ordres d'achat ou de vente des transactions effectuées de gré à gré. Mais quel est l'apport réel de ces OTF ? Avec ce système intermédiaire, on peut espérer rapatrier les négociations de gré à gré vers ces plateformes. On peut tout aussi bien craindre que celles aujourd'hui effectuées sur des SMN organisés se transfèrent vers des plateformes intermédiaires moins régulées. C'est notre appréhension majeure s'agissant des marchés « actions ».
Vous l'aurez compris, cette proposition nous pose problème. Le régulateur français entend promouvoir des plateformes plus transparentes en adoptant une hiérarchie claire sur ce critère et privilégier les marchés organisés. Ce qui serait paradoxal mais qui pourrait tout à fait advenir serait de parvenir à une plus grande transparence dans l'échange des produits dérivés, mais moins sur les titres classiques, telles que les actions et les obligations. C'est tout de même problématique !
Les dérogations au principe de transparence prévues dans le projet actuel, notamment lors du passage des ordres, doivent être limitées. Il convient aussi de consolider les informations après négociation sur les achats et les ventes, afin que les autorités nationales disposent de données fiables et consolidées. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.
L'objectif de la régulation, c'est bien l'efficacité des marchés et leur intégrité. Le marché est un lieu de rencontre entre acheteurs et vendeurs de titres sur le fondement de leur analyse de la valeur des titres, or le trading haute fréquence a remis en cause ce postulat. Nous souhaitons que l'AEMF fixe des règles précises, par exemple sur les tarifs pratiqués pour les ordres annulés.
L'intégrité, disais-je : le projet de directive « Abus de marché » et la directive MIF nous en donnent les moyens. Les plateformes cependant n'ont pas encore l'obligation de nous soumettre les carnets d'ordres, or cela seul garantirait une véritable surveillance de l'intégrité des marchés. Le règlement EMIR sur les infrastructures de marchés européennes vise à apporter de la transparence sur les marchés de produits dérivés, y compris de matières premières ; il rend l'enregistrement et la compensation obligatoires sur les marchés de dérivés, ce qui impose de renforcer les chambres de compensation. L'Europe a pris du retard par rapport aux Etats-Unis. Il est grand temps de le combler si nous ne voulons pas devenir dépendants des systèmes de compensation et d'enregistrement américains. Nous insistons auprès de la Commission européenne sur la réciprocité.
La compensation sur les produits dérivés est la condition de la stabilité financière ! Les chambres de compensation, en cas de défaut d'une partie, jouent le rôle de pare-feu. Lors de la faillite de Lehman Brothers ou plus récemment celle de MF Global, on a vu qu'il était possible de couper rapidement la branche morte. Nous insistons sur la nécessité de disposer de chambres de compensation situées dans la zone euro, pour les contrats libellés dans cette monnaie. Nos souhaitons que l'AEMF dispose d'un pouvoir fort sur ces institutions. Du reste, l'AMF a anticipé la mise en oeuvre de la directive et exige que la majeure partie des transactions sur les dérivés, y compris celles conclues sur le marché ou de gré à gré, lui soient déclarées. C'est un message fort.
Je partage largement les constats formulés par M. Jouyet.
La régulation comporte quatre enjeux principaux. Quelle est la bonne régulation face à la fragmentation des marchés ? Comment prendre en compte les pratiques liées au système de cotation, comme le trading algorithmique ? Comment prendre en compte la finance de l'ombre ou shadow banking ? Comment réguler les marchés dérivés ?
Les marchés financiers, lorsqu'ils assurent correctement le financement à long terme des entreprises sont un atout de compétitivité ; ils deviennent un handicap s'ils fonctionnent mal. Ils évoluent très vite. C'est pourquoi, la régulation doit être efficace au niveau international et européen, avant de l'être au plan national. L'un entraîne l'autre.
La directive MIF est entrée en vigueur en novembre 2007 et les marchés réglementés se sont trouvés mis en concurrence par les SMN. Il en est résulté une moindre transparence pré-négociation et un développement des opérations de gré à gré, hors marché. Le prix des transactions a certes baissé, l'accès aux valeurs étrangères s'est élargi, mais la concurrence ne saurait s'exercer au détriment de l'efficacité ni de la régulation. Or, la fragmentation a augmenté, l'efficacité dans la formation des prix a diminué et l'opacité a favorisé les intermédiaires plutôt que les utilisateurs finaux. La révision de la directive doit donc être l'occasion d'améliorer la transparence pré-négociation. En particulier, veillons à limiter les dérogations - pour des blocs de titres très importants, elles peuvent être de mise, mais gardons-nous de multiplier les exceptions ! Je crains, si celles-ci sont laissées à l'appréciation de chaque Etat membre, qu'il en résulte une concurrence féroce pour attirer la liquidité. A notre sens, il pourrait relever de l'AEMF d'accorder ou non les dérogations.
La Commission européenne propose de créer une nouvelle catégorie de modalités pour les opérations de marché : les OTF. Si la conséquence est de remonter vers les plateformes de négociation plus transparentes des transactions auparavant conclues hors marché, ce sera très bien ; si les transactions des marchés réglementés descendent sur ces plateformes, ce sera un échec.
Quant au trading haute fréquence, il est mondialement développé et la régulation doit donc être mondiale, européenne, avant d'être française. La liquidité est très mobile. Comprenons bien son utilité sociale, qui n'est pas évidente au premier abord. Sur des marchés fragmentés, le trading algorithmique sert à équilibrer le prix entre plateformes. L'activité d'arbitrage a toujours existé, c'est son développement massif qui pose problème. Nous avons beaucoup insisté, lors du G 20, pour qu'une réflexion soit engagée au plan international. La liquidité peut se retirer très vite, comme l'a montré le « flash crash » de mai 2010 aux Etats-Unis. Le trading haute fréquence pose également des questions sur l'intégrité lors de la formation des prix. Lorsqu'un intervenant envoie des milliers d'ordres avant de les annuler quelques millisecondes plus tard, quel est l'objectif qu'il poursuit réellement ? Il peut s'agir d'une volonté d'influer les prix, ce qui serait constitutif d'un abus de marché. La révision de la directive « Abus de marché » sera l'occasion d'encadrer ces pratiques.
La facilité serait d'interdire purement et simplement le trading haute fréquence. Mais il assure au jour le jour un volume conséquent de transactions. Mieux vaut retenir une approche régulatrice au plan européen, afin que la liquidité n'émigre pas ailleurs. Le lieu de concentration de la liquidité emporte un enjeu majeur sur le régulateur responsable. Je rappelle que l'AMF est compétente parce que la liquidité, à titre principal, se situe sur la plateforme que nous autorisons. Le jour où la liquidité se déplace, l'AMF perd sa capacité d'intervention.
Le shadow banking se développe à mesure que les exigences de solvabilité, de ratios de fonds propres et de liquidité qui s'imposent aux banques augmentent. La régulation du seul secteur bancaire est une incitation aux arbitrages en faveur d'institutions moins régulées.
Le risque est mondial et non franco-français. Il convient de travailler à l'échelon international sur la titrisation, les fonds monétaires, les activités de prêt-emprunt de titres, les hedge funds pour leurs activités proches du crédit. Le Conseil de stabilité financière a été mandaté par le G 20 pour faire des propositions dans ce domaine et j'espère que nous progresserons sur l'ensemble de ces sujets dans le courant de l'année 2012. Nous souhaitons également que la Commission européenne puisse y travailler.
Dès la faillite de Lehman Brothers, on a compris la nécessité d'une meilleure régulation des marchés dérivés et le règlement EMIR est un enjeu essentiel de la sécurité du système. C'est par la compensation des dérivés, en effet, que l'on peut arrêter les accidents. Lors de la récente faillite du courtier MF Global, le risque a été absorbé sans contagion. Il faut à présent aller plus loin dans le champ et dans la définition des produits soumis à compensation : ils doivent être standardisés, donc faciles à compenser. Il faut aussi que les chambres soient solides, qu'elles ne pratiquent pas d'autres activités et qu'elles aient accès à la monnaie centrale.
La France est partisane d'une régulation équilibrée entre activités bancaires et activités de marché. La crise est arrivée dans une large mesure par les banques et il est désormais indispensable de renforcer la réglementation bancaire, mais en tenant compte des effets sur le financement de l'économie. Mais nous n'oublions pas la régulation des marchés. Il faut réguler les activités et non pas seulement les entités porteuses de risques.
En quoi les agences de notation sont-elles concernées par ce qui a été dit ici ? Notent-elles les « dark pools » ?
Notre rôle est d'analyser le risque de crédit. Nous ne sommes pas régulateurs mais acteurs, plus précisément observateurs, des marchés financiers. Pour nous, la régulation doit être cohérente au niveau international et coordonnée mondialement ; car les marchés sont interconnectés en même temps que fragmentés.
Pour continuer à disposer de financements à long terme, discipline, transparence et responsabilité sont indispensables. Quel rôle revient aux agences de notation ? Nous ne sommes pas des acteurs « actifs » des marchés, mais nous évaluons la qualité du crédit. Nous ne notons pas les produits dérivés ni les dark pools mais des entités juridiques, les chambres de compensation par exemple, et nous apprécions l'évolution de l'environnement réglementaire. La réforme en cours au niveau mondial, depuis le G 20 de septembre 2009, améliore la transparence et la stabilité du système financier. Aux Etats-Unis comme en Europe, on cherche à attirer les transactions de gré à gré vers les plateformes de négociation : l'approche sur ce point est similaire. Les Américains ont déjà mis en place un certain nombre d'éléments, les Européens suivent ce mouvement. Les agences de notation sont dans leur rôle quand elles signalent des écueils. Aujourd'hui, 90 % des dérivés s'échangent de gré à gré - 600 000 milliards d'euros de notionnel ! Le transfert vers les plateformes et les chambres de compensation d'un tel volume ne se fera pas sans difficultés opérationnelles. Il nous faudra apprécier la capacité de chaque chambre à gérer des montants aussi considérables. Les faillites de Lehman Brothers et de MF Global ont été aisément absorbées, y compris grâce aux fonds de garantie. Mais les fonds propres des chambres de compensation devront augmenter avec la croissance de l'activité. En outre, toutes les chambres de compensation ne seront pas capables de compenser tous les produits. Enfin, on demande aux banques de mobiliser du collatéral - 2 000 milliards de dollars selon le FMI - dans les chambres de compensation, mais cela a un impact sur leurs ratios de fonds propres que Bâle III tend à augmenter. Il y a là une contradiction entre les deux réglementations. De même, l'interopérabilité entre chambres de compensation est louable, mais j'y vois un risque de contagion. À mon sens, ces initiatives vont dans la bonne direction en accroissant la transparence sur les marchés. Les acteurs concernés sont habituellement notés A ou AA, mais il importe de ne pas sous-estimer les enjeux.
J'en viens au projet du commissaire Barnier sur les agences de notation, un texte qui me tient à coeur. Il importe d'améliorer la qualité des notations, donc l'efficience des marchés. Je partage la volonté de renforcer la concurrence dans ce domaine et de réduire la dépendance envers les agences de notation. A ce propos, M. Jouyet a évoqué la « désintoxication aux agences de notation ». Cependant, certaines dispositions vont à l'encontre de cet objectif. Ainsi, la rotation obligatoire des agences qui s'imposerait aux émetteurs porterait atteinte à la continuité dans la notation, ce qui pèserait sur la perception des émetteurs européens par les investisseurs internationaux. De plus, certaines dispositions gêneraient l'entrée de nouveaux acteurs sur ce marché. Je pense notamment aux règles relatives à la responsabilité. Le texte proposé par la Commission européenne risque de réduire le nombre d'intervenants sur le marché, d'accroître la dépendance des investisseurs envers les agences de notation et d'induire une grande frilosité face au risque.
Étant le seul académique du panel, je m'efforcerai de placer mon intervention sous le signe de l'expérience de la crise que nous venons de vivre, celle-ci remettant en cause le paradigme fondamental de la finance, à savoir l'efficience du marché et la capacité de la finance à s'ajuster elle-même. Un tel changement de paradigme impose de trouver une nouvelle cohérence.
Ainsi, deux objectifs de la finance n'ont pas été atteints durant la période de libération financière exacerbée : tout d'abord, la stabilité globale du système financier n'a pas été assurée, alors qu'elle est un bien public en raison du risque systémique associé à la finance et qu'elle n'est pas capable d'éliminer par elle-même ; ensuite, nul ne peut aujourd'hui financer la croissance de long terme. Cette situation appelle une réforme de grande envergure.
La politique macro-prudentielle, récemment mise en place, incorpore la Banque centrale et l'ensemble des régulateurs dans un Conseil européen du risque systémique. Comment cette instance pourra-t-elle détecter les germes de risque systémique suffisamment tôt ? La maîtrise du risque systémique est cruciale, mais le contexte européen est compliqué : tout le monde ignore où se trouve le pouvoir.
La deuxième question concerne la place des agences de notation dans un contexte marqué par l'imbrication inextricable du risque de crédit et du risque de liquidité.
Les agences de notation savent évaluer scientifiquement le risque de crédit associé à une entreprise, car elles sont à même d'apprécier la capacité intrinsèque d'une entreprise à maîtriser son bilan à travers le cycle. Ainsi, une simple récession ne saurait justifier de dégrader une entreprise.
Or le risque de crédit et le risque de liquidité ne peuvent être séparés dans le cadre de la dette souveraine. Aujourd'hui, les marchés révèlent surtout leur inquiétude sur la capacité de la zone euro à se gérer et à gérer la crise qu'elle traverse, ce qui n'a rien à voir avec la soutenabilité à long terme des dettes publiques. En se fondant sur les CDS (credit default swap ; en français : dérivé sur défaut de crédit), on pourrait en déduire que la probabilité d'une banqueroute italienne serait de 30 %. Cela n'a aucun sens ! Qu'est-ce qui justifierait au cours des six derniers mois une telle dégradation dans l'appréciation de la capacité italienne à gérer sa dette publique par rapport aux trente dernières années ?
La corrélation entre les notes données par les agences et les cours des CDS montre que les investisseurs sont sous influence. La responsabilité en incombe aux Etats et aux régulateurs, qui ont mis les agences de notation au coeur des contrats d'assurance, privant ainsi les investisseurs de leur libre arbitre. La seule solution consiste à banaliser les agences, pour en faire des acteurs parmi d'autres formulant une opinion. C'est aux régulateurs d'extraire toute référence à la notation dans les règlements pour que les agences redeviennent de simples acteurs privés.
J'en viens à l'innovation financière, qui pose un problème de sécurité analogue à celui observé en matière sanitaire. L'innovation financière n'est pas soumise à des tests de dangerosité, alors que si l'on avait testé les CDO (collateralized debt obligation, en français : obligation adossée à des actifs) sur les subprimes, on aurait vu qu'ils explosaient en cas de crise immobilière. Pourquoi toute innovation financière est-elle présupposée avoir une utilité sociale ? Par nature, une innovation est soumise à l'incertitude poppérienne : pour la lever, il faut faire des tests.
Le troisième élément concerne les normes comptables, un sujet crucial qui nous ramène au marché efficient. Que le prix spot corresponde à la juste valeur devrait être considéré comme une plaisanterie. Or c'est ce qu'affirment les prescriptions comptables, conduisant à incorporer toutes les fluctuations du marché dans les comptes d'exploitation. Cela incite les acteurs à ne détenir que des actifs sûrs, compromettant le financement à long terme.
Nous devons maintenant sortir du « too big to fail », ou plutôt du « too systemic to fail ». L'idée serait d'exiger des testaments ou « living wills ». Mais, songez à Lehman Brothers, qui disposait d'environ 3 000 véhicules hors bilan. Dès lors que l'on ignore l'ensemble des transactions sur l'ensemble des marchés, on ne peut décomposer une entité que l'on veut mettre en faillite.
Le capitalisme ne peut correctement fonctionner lorsqu'un secteur s'affranchissant de la contrainte de la faillite se sent immunisé au point d'influencer de façon rédhibitoire la régulation elle-même. En outre, cette situation est incompatible avec la démocratie !
Le professeur Aglietta invite la puissance publique à reprendre la main. Tel est précisément l'objet de cette table ronde, organisée dans la continuité des travaux conduits au sein de la commission des finances.
Je reconnais une vertu à la crise financière : la culture financière a fait un bond en avant dans notre pays, qui s'en serait bien passé...
Nous avons besoin d'un regard plus que critique sur la directive MIF I, qui a organisé l'ouverture des bourses à la concurrence pour améliorer la liquidité et réduit les coûts de transactions pour les investisseurs. Après quelques années, le bilan apparaît très mitigé et il faut s'interroger sur l'échec conceptuel de la directive.
La directive MIF II va peut-être s'attaquer à ses défauts les plus criants, mais nous ne sommes pas prêts d'avoir en Europe une régulation digne de ce nom. Le régulateur européen, l'AEMF, aura-t-il les moyens de sa mission ? Je ne doute pas qu'il en ait la volonté. Au sujet du trading à haute fréquence, le Sénat avait introduit une taxe spécifique dans la dernière loi de finances, pour mettre le sujet sur la table, car cette pratique spéculative a deux défauts : son automaticité et la prise de risques à très court terme. Je crains que l'on ne débouche, comme d'habitude, sur un dispositif a minima. Or, pour diminuer le risque systémique, il faut imposer des contraintes fortes, puis interdire en cas d'échec. S'interdire par avance d'interdire n'est pas une bonne méthode !
Le recours aux chambres de compensation pose problème, bien que la transparence soit une bonne chose, car ces chambres pourraient concentrer le risque systémique. Elles doivent donc être adossées à la Banque centrale.
Monsieur Jouyet, vous avez anticipé, sans doute en accord avec le Trésor, l'entrée en vigueur de la déclaration des transactions sur produits dérivés effectuées de gré à gré, donc hors marché. Pourquoi avoir introduit une exception en faveur des produits dérivés portant sur les matières premières et sur les changes ?
L'émotion soulevée par les agences de notation est quelque peu retombée, mais le problème réel tourne toujours autour de la concurrence. Sous prétexte qu'il serait ardu de la promouvoir, rien ne bouge !
Madame Sirou, vous avez mentionné la rotation. Son principe me semble bon, mais vous estimez que la responsabilité des agences commettant des erreurs ne devrait être mise en oeuvre qu'après avoir établi la relation de cause à effet entre l'erreur et la notation. Comment prouver ce lien ? Comment aussi se désintoxiquer des agences ? Par quoi pouvons-nous les remplacer ? Reprendre la valeur de marché serait un remède pire que le mal !
Enfin, pourquoi votre agence a-t-elle opéré une stratification de ses notes entre les différents pays au sein de la zone euro ? L'Allemagne va pâtir des difficultés de cette zone, elle affronte des difficultés très lourdes, avec une dette publique élevée et pourtant elle a conservé son AAA.
La taxe sur les transactions financières, également adoptée par le Sénat lors de la dernière loi de finances, est souvent conçue par certains comme un outil de rendement. Nous souhaitons lui assigner une fonction dissuasive. Sous quelles conditions peut-elle devenir un outil de régulation du marché ?
A quoi servent les marchés financiers ? En France, ils n'ont qu'un rôle limité dans le financement des entreprises.
Que représentent 600 000 milliards de dollars ? Ce montant équivaut à 10 ou 12 fois le PIB mondial ! La sphère financière ne peut être 10 fois plus importante que l'économie réelle. Je comprends qu'un produit dérivé permette à un chef d'entreprise de se prémunir contre l'évolution des cours de matières premières acquises ou contre les variations d'une devise, mais cela ne représente qu'une toute petite partie des marchés dont nous parlons. Il faudra revenir plus nettement à l'économie réelle. Aujourd'hui, les PME ne peuvent accéder à ces marchés, très sélectifs à l'entrée.
J'ai compris les réserves inspirées à M. Jouyet par le projet de directive MIF II, mais n'y a-t-il pas là un progrès ? Que suggérez-vous notamment sur la proposition d'OTF (organised trade facilities, en français : systèmes organisés de négociation) ?
Un point majeur concerne la transparence des quantités et des prix, totalement impossible avec le trading à haute fréquence. Comment l'AEMF envisage-t-elle les échanges d'informations au niveau européen ?
Mettre en place une chambre de compensation par grand produit comporte un très fort risque systémique. Les régulateurs nationaux et européens ont-ils les moyens de les surveiller ? Qui va payer en cas de défaut ? Je ne suis pas certain que les Allemands soient disposés à adosser ces chambres de compensation à la Banque centrale européenne : ils diront que cette mission ne fait pas partie de ses mandats.
Renforcer les régulateurs est un sujet central. Je pense aux moyens dont dispose la SEC américaine. En outre, les administrateurs de l'AEMF sont les régulateurs nationaux et, par conséquent, peut-être pas ses meilleurs alliés.
Je partage l'opinion du professeur Aglietta sur la nécessité de banaliser les agences : elles ont été intronisées par les autorités politiques, ce n'est pas une raison pour leur accorder plus d'importance qu'elles n'en ont. Pour partie, nos autorités nationales ont abdiqué.
L'idée d'emprunts régionaux remonte aux années 60 et 70 du siècle dernier. Supposons que les conseils régionaux lancent ensemble un grand emprunt. Quelle serait la réaction de MM. Jouyet et de Villeroché ? Monsieur Maijoor, quelles sont vos relations avec Eurostat ?
Appréciant beaucoup la réunion d'aujourd'hui, je souhaite qu'une autre soit consacrée au fonctionnement objectif des marchés.
Supposons un instant que les marchés de produits dérivés soient fermés sur toutes les places de l'Europe continentale. Quelle en serait l'incidence sur le potentiel de croissance à moyen terme du continent ? Peut-on comparer l'effet stimulateur de ces marchés avec leur toxicité ?
Je me félicite que cette réunion ait été organisée. Merci aux intervenants, qui ont posé autant de questions nouvelles qu'ils ont apporté de réponses aux interrogations préexistantes.
La directive MIF II me semble apporter quelques réponses, tout en restant insuffisante.
M. Jean-Pierre Jouyet a déclaré que 70 % des transactions financières échappaient aux instances de régulation. C'est dire combien la sphère financière se trouve dans un no man's land hors de contrôle.
Mon interrogation centrale porte sur les comportements. M. Aglietta nous a parlé d'innovation financière. Par ailleurs, les contraintes de Bâle III incitent à contourner la réglementation. La question fondamentale est donc la suivante : comment réguler l'innovation financière et les comportements des institutions financières, dont la tendance naturelle est de se soustraire aux contraintes ? Avons-nous des pistes de travail pour corriger les choses à la source ? À défaut, l'innovation financière crée un risque accru et nouveau, dans une course sans fin.
J'ai beaucoup apprécié l'intervention de M. Aglietta. J'ai également écouté Mme Sirou rappeler que la mission des agences de notation était d'analyser le risque de crédit. Il me semble pourtant qu'elles s'efforcent d'aller au-delà, en formulant une opinion sur les évolutions institutionnelles, alors que la formation de leurs agents ne me paraît pas les préparer à ce travail. Formuler des jugements en ce domaine me semble donc dangereux. Notre responsabilité de parlementaires commande d'intervenir face à une situation grave.
Je souhaite quelques éclaircissements sur l'avancement de ces questions aux Etats-Unis, sur l'état d'esprit des Américains et leurs relations avec l'Europe.
Je me félicite de cette table ronde, organisée après celle consacrée à Dexia et à la Banque postale. Il faut persister. La session annoncée sur le financement de l'économie est une bonne nouvelle.
La dérégulation est à l'oeuvre depuis trois décennies : les traités européens ont imposé la libre circulation des capitaux, l'indépendance de la BCE, la concurrence libre et non faussée. Autant de principes que certains ont dénoncés il y a quelque temps, mais qui sont la réalité actuelle.
Parmi les agents intervenant sur les marchés dérivés, il me semble que 2 % à 3 % ont quelques liens avec l'économie réelle ; le reste n'est qu'une bulle.
On a parlé de shadow banking. BNP Paribas dispose de 189 entités dans les paradis fiscaux : c'est dire l'ampleur du problème !
Comment expliquer que les trois grandes agences aient des avis différents sur notre pays ? Comment les calculs effectués à partir des mêmes chiffres peuvent-ils conduire à des conclusions différentes ?
Enfin, j'ai lu dans la presse que M. Draghi avait appelé lundi à « apprendre à se passer des agences de notation ». Qu'en pensez-vous ?
Ce que nous faisons évoque le passage de la messe en latin à la messe en français : nous comprenons mieux ce qui se passe. Cependant, on modifie le capitalisme sans le supprimer.
Les Etats-Unis se sont désindustrialisés, car l'exigence excessive de rentabilité a chassé les industries autres que de haute technologie. Ce modèle trouve ses limites.
Le premier défi européen concerne le financement de nos investissements, y compris dans l'innovation et la haute technologie. Cela suppose un coût raisonnable de l'argent. Rappelez-vous la faillite de Lehmann Brothers et de l'assureur américain AIG, qui a englouti 180 milliards de dollars. S'ajoutent des inquiétudes liées aux produits dérivés. Aux Etats-Unis, il n'y a qu'une seule chambre de compensation, refinancée par la FED. Il est très français de décider qu'il n'y a ni Etats-Unis, ni Chine, mais la vérité est que ces pays existent. Notre schéma, fondé sur plusieurs chambres de compensation, est-il à la hauteur des enjeux ? Peut-on discuter utilement avec des Européens faisant partie d'autres espaces monétaires ?
Lorsqu'elles examinent une dette souveraine, les agences de notation prennent notamment en compte le risque politique.
Quel que soit le secteur, nous nous fondons sur le passé pour formuler une opinion sur l'avenir. Dans ce cadre, nous prenons en compte les chiffres et formulons une opinion sur la stratégie. S'agissant d'un Etat, nous prenons en compte le cadre institutionnel et la trajectoire financière adoptée par le pays : nous ne nous fondons pas exclusivement sur les chiffres, nous mettons l'accent sur la compétitivité économique, puisqu'il s'agit de nous prononcer sur le remboursement de dettes dans 20 ou 50 ans. Sinon, notre métier consisterait à faire du « scoring ».
Ce qui a changé, c'est l'attention particulière accordée à la dette souveraine : nous notons 127 Etats et attribuons quelque 1 200 000 notes. Nous notons la plupart des pays depuis 40 ans : ni l'exercice, ni les méthodologies ne sont nouveaux. Nous nous interrogeons sur la trajectoire à moyen terme des Etats les plus endettés. Ce n'est pas seulement une question de ratios.
Parce qu'elles n'empruntent pas.
Sans noter la Banque centrale européenne en tant que telle, nous portons une appréciation sur la zone euro, qui est notée AAA. Au sein de cette zone, nous avons toujours différencié les risques. La mise sous surveillance de la zone euro décidée le 5 décembre exprime une préoccupation particulière sur sa capacité à sortir de la crise qu'elle traverse depuis 18 mois. L'acuité de celle-ci réduit la confiance dans son aptitude à trouver une solution à moyen terme. On peut s'interroger sur le rôle de la Banque centrale européenne dans cette équation.
Madame Des Esgaulx, dire que les analystes des agences sont moins bien formés que les habituels analystes du crédit est de bon ton, mais ceux travaillant dans le groupe Standard & Poor's sont formés dans les meilleures écoles françaises et européennes. Nos collaborateurs examinant la dette souveraine ont souvent fait leurs classes au FMI ou à la Commission européenne.
J'ai contesté la capacité à formuler des opinions politiques, sans rien dire quant à l'analyse comptable.
Une des propositions faites serait de faire noter les Etats non par les agences, mais par le FMI.
Il ne me semble pas surprenant que les agences formulent des opinions différentes. Face à la concentration oligopolistique de ce secteur, il est légitime de vouloir augmenter la concurrence, dont le premier effet serait d'aboutir à des appréciations divergentes. Plus il y aura de concurrence au plan mondial - comme le souhaitent l'Europe, les Etats-Unis et l'Asie - plus les agences de notation proposeront des notations différentes, ce qui est souhaitable pour que chacun forge son opinion.
Pour diminuer la dépendance envers les agences, sortez de votre réglementation toute référence à la notation ! J'ai vu hier une brève sur un fonds de pension allemand, qui ne sait plus comment placer son argent, puisque ses statuts lui interdisent d'investir dans des papiers qui ne seraient pas notés AAA par les trois agences. Les professionnels doivent lire l'opinion des agences, mais celles-ci ne prétendent pas à un rôle déterminant. Les CDS et les mesures de marché sont trop volatils.
Enfin, le régime de responsabilité en vigueur dans notre pays donne des garanties aux utilisateurs de notes, alors que le projet de M. Barnier encourage les contentieux au lieu d'obliger les investisseurs à se faire leur propre opinion.
Pour commencer, examinons les conditions permettant l'émergence d'un marché efficient. Tout comme l'éducation ou le secteur médical, l'activité des marchés financiers exige plus de régulation, en raison des risques induits pour la société et les individus. Les marchés financiers doivent et méritent d'être mieux surveillés.
Faut-il accepter les produits innovants, sans le moindre dépistage ? La directive MIF I repose sur les prestataires de services. Je suis d'accord pour que l'AEMF ou les autorités nationales puissent suivre les produits innovants et les interdire. Cette idée est de plus en plus acceptée par les régulateurs nationaux. Passer de la transparence à l'interdiction de certains services est logique. La directive MIF II nous en donnera les moyens. Agir ainsi serait conforme aux intérêts de l'industrie financière, dont l'image est gravement ternie par certains produits.
J'en viens au trading. Après les progrès substantiels apportés par la directive MIF I, nous aurons plus de transparence avec MIF II. C'est indispensable d'avoir plus de lumière ! Les exemptions sont trop nombreuses. Si les fonds de pension veulent vendre des instruments, il faudra réduire l'opacité.
À propos des agences de notation, nous vivons des étapes majeures dans l'évolution du droit, mais il faudra encore du temps pour évoluer. L'effet des règlements européens ne s'est pas encore fait sentir. Il faut du temps pour changer en profondeur la manière d'opérer de tout un secteur d'activité.
Qu'on les apprécie ou non, les agences de notation font partie des marchés financiers. Il n'y a pas de solution à court terme. Leur existence est inévitable, mais il faut réduire notre dépendance. En outre, les agences doivent être responsables du service qu'elles rendent. J'ajoute que les propriétaires des grandes agences peuvent détenir certains produits ou instruments notés par leurs employés, il y a là un conflit d'intérêts que nous devrons également éclaircir très rapidement.
S'agissant d'EMIR, le problème qui a été soulevé est de savoir jusqu'à quel point nous pouvons concentrer les risques vers les chambres de compensation. Il est faux de penser que la diversification crée moins de risques. Par exemple, les produits subprimes n'ont pas apporté les fruits attendus en la matière. Les chambres de compensation concentrent peut-être les risques, mais elles diminuent celui inhérent aux transactions, puisqu'un tiers les contrôle.
Nous avons de grandes attentes envers les systèmes de contrôle. L'AEMF doit élaborer des normes. Je suis ambitieux pour elle, mais l'AEMF ne peut tout faire en Europe ! Le modèle du futur repose sur l'exercice quotidien de la régulation par des autorités nationales, l'AEMF pouvant saisir les gouvernements. Il importe que le travail quotidien sur le terrain soit solide et conforme aux décisions de l'AEMF.
Jusqu'à quel point l'AEMF est-elle en contact avec la SEC américaine ? Nous sommes en contact avec la SEC et d'autres organismes semblables. Par exemple, nous négocions sur les agences de notation afin de déboucher sur un travail en commun. De même, dans le domaine des infrastructures des marchés financiers, le travail est extrêmement vaste. Il serait optimiste de dire que nous sommes partout au même niveau, mais les progrès sont indéniables, tant aux Etats-Unis qu'en Europe.
Je partage les commentaires du président sur l'importance de la réciprocité dans le système. Nous préférons l'interdépendance au fait d'agir chacun séparément.
Comment réglementer les comportements ? C'est le rôle essentiel de l'AEMF et des autorités nationales. Nous pouvons agir face à certains abus et modifier les règlements.
Je n'ai pas parlé des agences de notation. Différant peu du régime applicable en France, le régime de responsabilité proposé par la Commission européenne me convient. La responsabilité civile fait partie d'un régime normal lorsque l'on conduit une activité professionnelle. Bien des progrès ont été accomplis dans la régulation des conflits d'intérêt et de l'indépendance des agences. En revanche, la concurrence ne progresse pas et ce ne sont pas les exigences croissantes imposées aux agences qui vont atténuer la situation d'oligopole et favoriser l'arrivée de nouveaux entrants. Nous n'avons pas renoncé mais nous n'avons pas encore trouvé la formule !
Depuis longtemps nous appelons à une désintoxication par rapport aux notations : une appréciation plus fine des risques par des modèles internes serait préférable. Le recours aux agences est une solution de facilité. Les régulateurs nationaux avaient d'ailleurs tendance à s'appuyer sur les notations externes, donc à entretenir une dépendance à l'égard des agences. La Commission européenne s'est engagée à éradiquer ces références dans la réglementation. Pendant longtemps, les banques centrales se sont également appuyées sur les notations alors qu'elles ont les moyens d'apprécier le risque par elles-mêmes. Aujourd'hui la Banque centrale européenne n'a plus de système qui repose uniquement ou automatiquement sur les notations.
Les dérivés les plus utilisés sont les produits de change et de taux, les actions arrivant en troisième position. L'utilité d'une couverture contre un risque de taux ou de change se conçoit aisément. Il est trop simple de penser que ces activités sont inutiles. Tout ce qui permet de standardiser et de compenser ces dérivés va dans le bon sens.
Le défaut d'une chambre de compensation pourrait-il être absorbé par la banque centrale concernée ? On n'attend pas qu'elle recapitalise une chambre de compensation, ce n'est pas son rôle. Dans un bon système de régulation, ce sont les membres qui sont responsables d'un éventuel défaut. Ils doivent mettre en place un système de coussin de sécurité, certains sont logés dans le capital, d'autres sont appelables à tout moment en cas de risque. Sans doute peut-on relever le niveau des coussins de sécurité, mais une partie du risque sera inévitablement répercutée sur les membres. La chambre de compensation cependant, en cas de défaut d'une des parties, commence par saisir le collatéral déposé par l'intervenant défaillant et le vend pour éponger la perte : l'accès à la liquidité de la banque centrale lui évite de brader les actifs dans un contexte de marchés perturbés.
Les emprunts régionaux et les financements des collectivités territoriales sont un peu loin de notre sujet du jour, mais nous suivons bien sûr attentivement ces questions. Les grandes collectivités ont recours tant au marché qu'au crédit pour se financer, c'est une bonne chose. Des emprunts communs à deux régions ne poseraient pas de difficulté s'ils sont simplement des opérations conjointes ; il en va autrement si les collectivités s'engagent solidairement...
Le professeur Aglietta a parlé fort justement de l'innovation financière, laquelle doit faire l'objet d'une régulation coordonnée et d'une coopération internationale. Un dispositif appliqué unilatéralement chassera ailleurs l'innovation, qui se déplace vers l'environnement le moins contraignant. Une régulation efficace exige une vision générale et cohérente entre pays.
Le secteur financier en France ne saurait être décrit comme inefficace : le crédit bancaire dans notre pays progresse plus rapidement que dans le reste de la zone euro, à raison de 5,8 % en croissance annuelle au mois de novembre 2011. Pour les crédits court terme aux entreprises, les taux moyens sont de 2,8 % tandis qu'ils s'élèvent à 4,01 % pour les crédits de moyen et long terme. Ce sont de bonnes conditions de financement de l'économie, en comparaison des autres pays. On l'oublie parfois.
Les agences ne doivent pas avoir de responsabilité systémique. Les régulateurs, les banquiers centraux et la Commission européenne doivent réduire le nombre de cas dans lesquels il est obligatoire de se référer aux agences de notation. Mais il est moins simple de se passer d'elles qu'on ne veut bien le dire. Une dépendance a été créée par plus d'une décennie d'habitudes qu'il faut à présent corriger. On retrouve le même phénomène dans la gouvernance des entreprises avec l'appel aux cabinets d'audit : on se décharge de ses responsabilités !
Les chambres de compensation constituent une mutualisation moins risquée. L'adossement des chambres de compensation à la monnaie banque centrale est nécessaire, pour éviter le risque systémique. C'est pourquoi il est très important que la zone euro dispose d'une chambre de compensation. Il faut une démarche volontaire mais je partage l'avis de votre rapporteure générale, on n'élimine jamais complètement le risque. Les membres des chambres de compensation doivent donc également assumer une responsabilité.
Le retard pris par rapport aux Etats-Unis et l'attentisme européen ne sont plus acceptables : nous avons besoin de chambres solides, adossées à la banque centrale.
J'en viens aux dérivés : nous avons exempté les matières premières car nous avons considéré que les principaux risques d'abus de marché se produisaient principalement sur les dérivés actions et les dérivés de crédit. Par ailleurs, nous n'avons pas le personnel suffisant pour surveiller les transactions sur les matières premières ou les opérations de change - ces dernières étant du reste assimilées aux matières premières et non à des instruments financiers.
Les propositions de la Commission européenne sur les OTF marquent un progrès mais ce que nous souhaitons, c'est qu'il n'y ait pas de marché organisé au rabais. Nous voulons les mêmes garanties que celles existantes sur les plateformes existantes.
S'agissant des emprunts régionaux, notre seule responsabilité concerne l'information des souscripteurs par les emprunteurs : nous sommes très vigilants sur ce point.
Je veux dire à M. Richard que les dérivés sont bien sûr utiles. C'est l'explosion du volume de transactions, comparé à celui observé sur le support physique, qui pose problème. Il y a lieu de reformater, de revenir à l'utilité économique d'origine, en distinguant l'effet stimulateur et l'effet toxique.
Une autre précision, pour M. Marc : 50 % des transactions échappent à la régulation. Il y a d'un côté un risque de sur-régulation, de l'autre un risque de développement du shadow banking. Il est contradictoire de demander aux banques d'apporter d'énormes montants de collatéral aux chambres de compensation, puis d'exiger d'elles des fonds propres plus importants. On prend alors le risque d'inciter les établissements à céder certaines activités à des entités moins régulées... J'observe également que la Banque centrale européenne mène de nombreuses opérations auprès des banques en ce qui concerne la liquidité. Autrement dit, les contraintes que l'on impose d'un coté aux banques, obligent, de l'autre, à des interventions massives de la part de la banque centrale.
La question de la croissance est énigmatique. Les travaux économétriques menés sur un large panel de pays montrent que l'ouverture financière - l'importance des flux sortants et entrants - n'a pas d'effet sur la croissance potentielle. La croissance récente a été soutenue, au tournant des années 2000, par un endettement rapide des ménages, qui a poussé à la hausse la consommation. Ce fut le cas aux Etats-Unis ou en Espagne. Mais l'instabilité conduit à une croissance toujours plus faible, décennie après décennie.
On a évoqué ici une régulation des comportements, qui interviendrait en amont au lieu de bloquer les prix ou les volumes. Le principe de l'innovation financière, c'est la dissociation des risques - comme la division du travail, dans un autre domaine - et l'élaboration de véhicules appropriés pour transférer ces risques ailleurs. Les options, les swaps, qui portaient sur le risque de volatilité des marchés, étaient un progrès. Mais la création des dérivés de crédit a augmenté le degré d'incertitude. Elle a entraîné différents comportements pervers. D'abord, l'arbitrage régulatoire, c'est-à-dire la transformation de crédits pour échapper aux exigences de Bâle en matière de fonds propres. Il y a là une désutilité sociale : une masse de crédits immobiliers est assise sur des arbitrages régulatoires. Voilà pourquoi il faut une régulation la plus homogène possible. Ensuite, les opérateurs ont pensé que les risques, bien divisés, bien disséminés, diminuaient globalement. Mais ils sont revenus de plein fouet sur les banques.
En réalité, il y a eu une sous-évaluation du risque. Les crédits initiaux étaient revendus immédiatement à des banques d'affaires qui les titrisaient, parfois en chaîne. Asset backed securities, titres dérivés de crédit, puis dérivés au carré, ont produit une masse considérable à partir du crédit initial. Outre la sous-évaluation du risque au départ, le levier de l'endettement a été utilisé à l'excès par les institutions financières, et toute volonté de le réduire se heurtait à un lobby puissant. Les hedge funds ont joué en cette matière un grand rôle, utilisant à fond les effets de leviers, comme le fonds LTCM en 1998, provoquant des faillites, dans les banques commerciales et dans les shadow banks aussi.
Il faut donc réduire l'ampleur des leviers, par exemple en exigeant de la banque qui titrise qu'elle conserve une part importante de ces produits dans son bilan. De cette manière, on réduit le potentiel d'expansion du crédit.
Je remercie tous les intervenants, qui nous ont apporté des éclaircissements utiles sur des sujets complexes.