Je voudrais saluer la présence parmi nous ce matin des auditeurs de la troisième promotion de l'Institut du Sénat, qui vont assister à nos travaux. Ancien ministre de la défense, je tiens la création de l'Institut des hautes études de la défense nationale, il y a plus de quarante ans, pour l'un des grands succès du ministère. Son modèle, qui consiste à mobiliser des leaders d'opinion d'origines professionnelles variées, a d'ailleurs été décliné régionalement et imité par les ministères de l'industrie et de l'intérieur. Je me réjouis que le Sénat intéresse, lors de la présente session, une vingtaine d'auditeurs, qui s'immergent deux jours par mois dans le travail parlementaire. Puisse celui-ci les convaincre de sa nécessité, de sa complexité et de sa valeur ajoutée alors que l'antiparlementarisme semble un fonds de commerce inépuisable dans la vie politique française.
L'Office vise à permettre aux parlementaires d'éclairer leurs choix par la connaissance de l'état de l'art scientifique et la maîtrise de sujets techniques. Sous l'impulsion du premier vice-président, des notes courtes permettent désormais aux membres de l'Office de compléter leur réflexion et leur fournissent matière à s'exprimer sur des enjeux complexes - tel, récemment encore, celui de la technologie blockchain.
Ce matin, nous ferons d'abord un point d'étape sur le rapport « Expertise des risques sanitaires et environnementaux en France et en Europe », sur lequel travaillent nos collègues Philippe Bolo, Anne Genetet, Pierre Médevielle et Pierre Ouzoulias. Deux courtes communications du président et du premier vice-président seront ensuite faites sur les liens entre l'Office et les Académies des sciences et de médecine, d'une part, l'Institut des hautes études pour les sciences et la technologie, d'autre part. Nous terminerons par la présentation du rapport « La position scientifique de la France dans le monde 2000-2015 » de Michel Cosnard et Frédérique Sachwald : le test impitoyable du nombre de communications scientifiques nous permettra de voir où nous en sommes...
L'antiparlementarisme diffus dont parlait à l'instant le président, nous en sentons davantage les effets à l'Assemblée nationale car les députés sont plus fréquemment en première ligne. Je lisais, hier encore, qu'une association avait déposé 567 requêtes destinées à connaître tous les détails de l'utilisation de la réserve parlementaire sous la législature précédente, comme si les élus ne songeaient qu'à dilapider les deniers publics...
À l'Office, nous travaillons à faire le lien entre le monde scientifique et le monde parlementaire, le temps long et le temps court, le débat d'experts et le débat citoyen, en abordant des problèmes de fond, et ambitionnons de produire sur ceux-ci une forte valeur ajoutée. Nous le verrons encore ce matin.
Réjouissons-nous que nos travaux intéressent encore, même si ce sont plutôt des détracteurs ! Leur qualité finira par emporter l'adhésion des citoyens qui s'intéressent à la vie collective...
À la suite de l'apparition du débat sur les risques cancérigènes du glyphosate et sur saisine des commissions des affaires économiques et des affaires européennes de l'Assemblée nationale, nous avons commencé à travailler sur l'indépendance et l'objectivité des agences d'évaluation des risques. Nous avons, dans ce cadre, procédé à de nombreuses auditions. Les avis des experts divergent. Débordant la question du seul glyphosate, nous avons abordé les médicaments, les médicaments vétérinaires, les produits phytopharmaceutiques, les biocides, les produits chimiques, les additifs alimentaires, bref, tout ce qui peut menacer l'environnement et l'être humain.
Je vous livre une brève synthèse de nos observations, sur lesquelles mes collègues reviendront. Un besoin d'harmonisation aux niveaux européen et français apparaît d'abord, car tous les acteurs ne parlent pas le même langage. Ensuite, si de nombreux rapports sont produits sur ces sujets, tous ne répondent pas aux mêmes questions. Nous avons tenté de différencier le risque du danger immédiat. Les évaluations des agences s'appuient souvent sur les travaux des laboratoires. Elles sont perfectibles et nécessitent un suivi à long terme qui n'est pas toujours réalisé. Le but doit, en définitive, être de rassurer nos concitoyens, car les scandales à répétition, relatifs aux perturbateurs endocriniens par exemple, créent une inquiétude légitime. Mais on ne peut certes pas tout faire, et les évaluations ont un coût... Les commissaires européens, que j'avais rencontrés lors d'une précédente mission, sont unanimes : ils sont prêts à faire plus et mieux en matière d'évaluation et d'expertise, sous réserve de disposer des moyens nécessaires.
L'Office a en effet été saisi, après la crise du glyphosate, par les commissions des affaires européennes et des affaires économiques de l'Assemblée nationale. L'évaluation de l'évaluation des risques est, de l'avis général, un sujet très important. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à nous y intéresser. L'Assemblée nationale a mis en place une mission « pesticides », qui a rendu ses conclusions dernièrement ; le Gouvernement a lancé un plan d'action sur les produits phytopharmaceutiques destiné notamment à améliorer la qualité de l'évaluation des risques ; le Parlement européen a créé une commission spéciale « pesticides » et la Commission européenne cherche, depuis avril 2018, à améliorer le fonctionnement de son Autorité de sécurité des aliments (EFSA).
Nos travaux portent sur l'évaluation des risques sur la santé humaine et l'environnement mais, celui-ci pouvant toucher celle-là, les opposer n'est guère pertinent. Son périmètre embrasse donc les médicaments, les biocides, les additifs alimentaires, les produits chimiques et de nombreuses autres substances dont je ne saurais épuiser la liste.
L'enjeu majeur est la confiance des citoyens dans la capacité des institutions à les protéger. Les expertises scientifiques fondant de nombreuses décisions des institutions politiques, elles ne doivent sous aucun prétexte nourrir le doute.
De récents scandales ont pourtant alimenté la défiance vis-à-vis des firmes mettant des produits sur le marché, voire des pouvoirs publics, dont les décisions ont été remises en cause avec, en toile de fond, la crainte d'une collusion entre les autorités et les acteurs économiques. Un exemple récent : la démonstration, par de nombreuses études, de l'innocuité des compteurs Linky n'a pas tari la méfiance de nos concitoyens à leur égard.
La confiance est aussi indispensable pour permettre l'application du principe de précaution, selon lequel des expertises scientifiques doivent être diligentées tant qu'un doute subsiste.
Je dirai tout à l'heure un mot de cette difficile affaire.
L'évaluation des risques sanitaires et environnementaux est très structurée. À l'échelle européenne d'abord, l'Agence européenne pour l'environnement (AEE) a été créée en 1990, l'Agence européenne du médicament (EMA) en 1995, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) en 2002 et l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) en 2007. Toutes sont spécialisées dans un domaine particulier. À l'échelle nationale, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), fruit de la fusion d'organismes spécialisés, et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) cohabitent avec d'autres organismes moins connus tels le Haut conseil des biotechnologies, Santé publique France ou l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS).
Il n'existe pas de règle uniforme pour l'évaluation des risques environnementaux. Elle obéit cependant à un principe commun : sécuriser les produits mis sur le marché.
Quels sont-ils ? D'abord, les produits phytopharmaceutiques, soit environ 700 substances qui, utilisés en agriculture, permettent la protection des cultures pour obtenir les rendements escomptés pour nourrir la population. Ils sont encadrés par le règlement européen n° 1107/2009, doublement évalués - aux niveaux français et européen -, autorisés pour une durée de dix ans et soumis à une phyto-pharmacovigilance. Ils sont soumis à l'exigence réglementaire de ne pas avoir d'effet nocif sur la santé humaine ou animale ni d'effet inacceptable sur l'environnement.
Les produits chimiques sont un ensemble plus vaste puisqu'on en dénombre plus de 100 000. Ces substances sont utilisées dans de très nombreux domaines : chimie, métaux, textiles, habillement, construction, automobile, équipements industriels, alimentation... Elles sont encadrées par le règlement européen n° 1907/2006 dit REACH et par le règlement n° 1272/2008. La classification s'opère sur la base d'essais physico-chimiques, toxicologiques et écotoxicologiques. Les études incombent au fabricant, ce qui s'entend puisqu'il est le meilleur connaisseur du produit, mais ce n'est pas sans poser problème comme on l'a vu dans le domaine des pesticides, l'EFSA ayant par exemple repris des éléments sur le glyphosate fournis par la firme qui voulait le commercialiser.
Quatre procédures permettent d'évaluer les produits chimiques : l'enregistrement des substances auprès de l'Agence européenne des produits chimiques, l'évaluation qui s'impose aux industriels, l'autorisation et les éventuelles restrictions d'usage - en fonction de la nature du produit et de ses impacts.
La troisième catégorie de produits soumis à évaluation est celle des biocides, que l'on confond parfois avec les phytosanitaires parce que certaines de leurs cibles sont les mêmes. Il s'agit de substances et préparations destinées à détruire, repousser ou rendre inoffensifs des organismes nuisibles en milieu domestique ou industriel. La réglementation européenne en la matière résulte du règlement n° 528/2012. La procédure comprend deux étapes : approbation des substances par la Commission européenne après évaluation par les agences nationales puis autorisation de mise sur le marché - en France, par l'Anses.
S'agissant enfin des médicaments et dispositifs médicaux, le cadre est fixé par le règlement n° 726/2004. Une évaluation approfondie est réalisée avant l'autorisation de mise sur le marché et des plans de gestion des risques sont établis pour suivre les effets indésirables des médicaments - de même qu'on parle de phyto-pharmacovigilance, on parle de pharmacovigilance. Certaines exceptions sont prévues : elles figurent sur notre document, qui vous sera distribué.
Ces exceptions sont-elles vraiment exceptionnelles, ou bien, par inflation, représentent-elles une proportion significative des cas ?
Les exceptions portent sur un tout petit nombre de molécules et sont très encadrées : il s'agit uniquement de protocoles en cours en milieu hospitalo-universitaire, dans le cadre desquels on découvre un effet bénéfique tel qu'on sort du cadre de l'étude.
Il ressort des travaux que nous avons déjà menés que les agences, quel que soit leur domaine, sont confrontées aux mêmes difficultés. En nous intéressant à ces dénominateurs communs, nous pourrons formuler des préconisations au terme de notre mission.
Trois difficultés apparaissent d'ores et déjà nettement, dont la première est la sélection des experts. Les différentes agences ne gèrent pas de la même façon les aspects déontologiques et les risques de conflits d'intérêts. Se posent aussi les questions de l'étroitesse de l'expertise et du manque d'attractivité de celle-ci. Il faut également réfléchir à l'intégration des avis divergents et à l'absence de consensus scientifique - rappelons-nous l'affaire du glyphosate.
La deuxième difficulté commune à toutes les agences tient au cadre réducteur de l'expertise réglementaire. Les expertises sont orientées en réponse à des questions réglementaires et mobilisent fortement les entreprises qui veulent commercialiser un produit. En conséquence, un certain nombre de recherches ne peuvent pas être faites de manière systématique.
La troisième difficulté partagée réside dans les limites de l'analyse des risques. Des incertitudes existent, liées notamment aux « effets cocktails » : le développement d'un cancer peut être accéléré par l'exposition à des risques qui n'ont pas été pris en compte dans l'évaluation d'une substance considérée.
À ce jour, nous avons rencontré l'Anses et procédé à vingt-quatre autres auditions. Nos interlocuteurs couvrent un champ très large : il s'agit à la fois d'acteurs institutionnels, comme Santé publique France, d'organismes de recherche, de parties prenantes intervenant comme experts dans l'évaluation, d'associations et de personnalités propres à nourrir nos réflexions. L'objectif de ces consultations est d'identifier les forces et les faiblesses des dispositifs actuels d'évaluation des risques sanitaires et environnementaux : bref, il s'agit d'évaluer l'évaluation des risques.
Entre quinze et vingt auditions restent encore à mener et nous pourrions imaginer une table ronde avec des experts en fin de mission pour confirmer la pertinence de nos conclusions. Nous procéderons aussi à deux déplacements, à Parme où se situe le siège de l'Autorité européenne de sécurité des aliments et à Bruxelles pour rencontrer les autres agences européennes.
Nous remettrons notre rapport final à l'automne prochain.
D'ores et déjà, nous constatons que l'évaluation des risques est un exercice forcément incomplet. Il est nécessaire de faire progresser les méthodes et de perfectionner les modèles scientifiques. La question de la transparence des études se pose aussi alors qu'aujourd'hui, ce sont les firmes qui fournissent un certain nombre d'études. L'exigence de la contre-expertise se heurte à des problèmes de financement : la question des moyens est aussi importante.
L'adaptation du fonctionnement des agences, la déontologie et la prise en compte des attentes sociétales nouvelles, notamment par l'association du public au débat scientifique, sont d'autres thèmes centraux de nos travaux.
Enfin, il me semble que, dans une société numérique où nos concitoyens ont accès à de nombreuses informations, nous devons réfléchir à la manière de transmettre l'information de l'expert au citoyen. L'information est parfois déformée et on accorde souvent plus de crédit aux fausses informations qu'à l'expertise scientifique.
Nous vous remercions, madame, messieurs les rapporteurs, pour ce travail d'équipe sur un sujet d'une extrême sensibilité.
Je me réjouis qu'une divergence de points de vue soit apparue sur le glyphosate, car l'émotion qui en a résulté est à l'origine de ce travail sur l'évaluation des procédures d'évaluation. Le doute est un chemin de recherche de vérité.
Une chose m'a frappée dans nos auditions : alors que les institutionnels nous décrivent des protocoles, des organisations et des méthodes qui ont l'air de bien fonctionner, les représentants des citoyens nous expliquent que cela ne fonctionne pas bien - je caricature volontairement.
Il faut prêter une grande importance aux signaux faibles : comment peut-on les percevoir et comment doit-on les interpréter, s'il y a lieu ? Cette vigilance sur les signaux faibles est la clé de la surveillance d'un produit après sa mise sur le marché.
S'agissant de produits d'une haute technicité, il est nécessaire de recourir à des experts qui les connaissent, pour avoir travaillé sur eux. Il faut être transparent sur le sujet, mais ne pas rejeter ce lien, qui n'est pas forcément un lien d'intérêts, sans quoi on se couperait d'expertises de qualité.
L'exigence réglementaire doit également être précisée : qu'est-ce qu'un effet nocif sur la santé humaine, qu'est-ce qu'un effet inacceptable sur l'environnement ? Il faut définir des seuils à partir desquels un effet est nocif ou inacceptable.
La complexité de ces questions explique peut-être qu'une divergence de points de vue soit apparue. Je répète que c'est une bonne chose puisqu'elle nous permet d'avancer. S'il n'y avait aucune divergence de points de vue, ce serait extrêmement inquiétant !
Nous travaillons en très bonne intelligence, et celle-là n'est pas artificielle...
D'un point de vue épistémologique, il est nécessaire, au XXIe siècle, d'adopter une pensée complexe. Les approches réductionnistes montrent aujourd'hui leurs limites. On ne peut pas résumer dans une éprouvette toute la complexité du vivant ! Cette complexité doit être abordée à la fois d'un point de vue scientifique et d'un point de vue politique et social : comment exprimer de façon claire pour nos concitoyens ce que l'on sait, ce que l'on ne sait pas et les risques que l'on peut prendre en fonction de diagnostics nécessairement imparfaits ?
Comme Mme Genetet l'a justement souligné, une attention supplémentaire doit être portée aux signaux faibles, à ces petits éléments qu'on détecte et qu'on ne comprend pas bien mais qui peuvent être les indices de chamboulements futurs.
En tant que chercheur, j'insiste sur la nécessité absolue d'un investissement public supplémentaire. Il ressort de toutes nos auditions que la toxicologie est aujourd'hui en péril. Je n'oppose pas recherche privée et recherche publique mais, dans la nécessaire confrontation des points de vue, le pôle public a un rôle à jouer. Tous les chercheurs que nous avons auditionnés ont signalé la défaillance actuelle de l'investissement public dans ce domaine.
Merci, madame, messieurs les rapporteurs, pour ce bilan d'étape qui montre déjà la richesse de votre analyse.
Il vous faut prendre le temps de poursuivre vos réflexions tout en respectant un délai raisonnable - un an au maximum - entre votre saisine et la remise de votre rapport. Pour celle-ci, le début de l'automne serait très bien.
S'agissant du glyphosate, des choses se passent encore en ce moment même et des débats se tiendront dans le cadre de la loi résultant des états généraux de l'alimentation. De toute manière, l'affaire s'est emballée de telle sorte que le politique compte, aujourd'hui, au moins autant que le scientifique. Notre rôle est de réfléchir à plus long terme, pour qu'à l'avenir un tel emballement puisse être évité.
Il me semble qu'il faut insister sur l'indépendance. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a récemment été sous le feu d'attaques massives de ce point de vue. Il a fait l'objet d'une convocation assez agressive par la Chambre des représentants des États-Unis, laissant entendre que son budget pourrait être coupé, dans un contexte où le président de la commission des sciences et des technologies est connu pour sa défiance par rapport à certains éléments du consensus scientifique international.
L'indépendance des agences européennes est-elle incontestable ou fait-elle l'objet de contestations par des associations ? Comment améliorer les choses dans ce domaine ?
Le principe de précaution a différentes acceptions : l'acception populaire, celle que peut retenir un tribunal et celle qui figure dans la Constitution. Ce sont souvent trois choses différentes. Tel qu'il est inscrit dans notre Constitution, ce principe signifie que, face à une situation d'incertitude majeure avec un risque environnemental, il est du devoir des pouvoirs publics de favoriser des recherches visant, de façon proactive, à prévenir les risques. C'est un principe destiné à favoriser l'innovation et non l'attentisme. C'est par l'effet d'un dévoiement qu'on le considère souvent comme un principe de prudence.
En l'occurrence, compte tenu des risques graves liés à un éventuel dysfonctionnement, c'est notre devoir de favoriser la recherche active de solutions au niveau de la structure administrative et du statut des agences, y compris avec une intervention importante des pouvoirs publics, comme le suggère M. Ouzoulias. Il faut renforcer les recherches et leur incontestabilité plutôt que de prendre le parti du scepticisme.
Il convient davantage, quel que soit le sujet considéré, de renforcer la recherche que d'adopter une attitude prudente. Il me semblerait intéressant de compléter votre programme d'auditions en entendant des journalistes scientifiques, à l'instar de Stéphane Foucart, qui a récemment commis dans Le Monde des articles fort sévères sur le glyphosate. Une réflexion m'apparait également utile s'agissant de la place des citoyens : comment leur faire jouer un rôle au sein des agences ? Dans le domaine médical, par exemple, les associations de patients sont intégrées aux débats scientifiques.
La situation me semble effectivement préoccupante pour ce qui concerne la divulgation d'informations au grand public. J'assistais récemment à une conférence de Gérald Bronner, expert en sciences humaines, dont les travaux s'intéressent aux croyances et à la communication. Faisant état de résultats scientifiques étayés, notamment une étude publiée dans Science, il indiquait que les fake news se diffusent plus aisément que les informations justes, à la faveur d'un potentiel d'attraction plus élevé. Surtout, tout contrôle semble assimilé, par les lecteurs, à une censure ou à un complot. La France n'échappe pas au phénomène : elle se trouve ainsi en première position parmi les pays développés pour ce qui concerne la défiance à l'égard de la vaccination. Il nous faut comprendre cette spécificité pour la traiter, d'autant que les croyances peuvent avoir de graves conséquences épidémiologiques. Une étude a ainsi montré qu'en matière d'électrosensibilité, les convictions et les informations dont ils disposent influencent les patients, y compris, de façon fort explicite à l'imagerie médicale, sur le degré de douleur ressenti.
Je salue la qualité du travail engagé par nos quatre rapporteurs sur un sujet dont la complexité et la multiplicité des composantes rendent l'analyse difficile. Ce rapport est très attendu, notamment sur des sujets comme le glyphosate ou les compteurs communicants, sur lesquels les élus sont régulièrement interpellés. Il est indispensable de débattre sereinement de ces dossiers car la passion populaire, véhiculée par les réseaux sociaux à grand renfort d'informations aussi partielles que partiales, est bien souvent mauvaise conseillère. La diversité des avis d'experts diffère considérablement d'une vérité unique et démontrée, qui peut être de mise sur d'autres sujets. Peut-être pourrait-on à tout le moins s'accorder sur un niveau d'exposition au-delà duquel le risque sanitaire serait avéré ?
Je joins mes félicitations à celles de mon collègue. Il me semble important de nous souvenir du motif de notre saisine : les avis divergents du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) et de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) sur le glyphosate, qui ont étonnés aussi bien les parlementaires que l'opinion publique. Comment expliquer la contradiction de leurs expertises ? Les informations utilisées étaient-elles différentes ? Des influences extérieures ont-elles pu guider certaines positions ? Il nous revient de décrire et de comprendre les éléments qui ont conduit aux divergences constatées entre experts et aux décisions afférentes s'agissant du glyphosate. En outre, il serait utile de prolonger notre réflexion sur l'évaluation des agences : qui en est responsable et quel est le niveau des moyens consacrés à ce contrôle ?
Je remercie à mon tour nos rapporteurs pour leur engagement, qui permet à l'Office de tenir son rôle : participer au débat public scientifique en demeurant détaché des passions immédiates. J'ai particulièrement apprécié, monsieur Ouzoulias, votre réflexion sur la pensée complexe. Veillons toutefois à ce que la modestie n'entraîne pas le découragement. Quant à votre proposition de renforcer les investissements publics, le libéral que je suis n'y est pas opposé ! Sur l'enfouissement des déchets nucléaires, par exemple, je considère utile de mêler l'approche industrielle et l'expertise scientifique désintéressée. Madame Genetet, nous devons demeurer vigilants sur les signaux faibles car les progrès techniques et l'exigence croissante de la réglementation permettent de les détecter toujours plus finement, au prix d'une plus grande technicité et d'un coût supérieur des contrôles - je pense notamment à l'eau. Un signal faible a finalement toujours vocation à devenir un signal fort... Devons-nous pour autant attendre indéfiniment pour légiférer ? Je ne le crois pas.
J'ai également goûté le fait que vous ne rejetiez pas tout lien entre l'expert et le sujet expertisé : il est bien évident, en effet, que quelqu'un s'intéresse à un dossier soit par passion scientifique soit par intérêt professionnel, deux raisons pouvant être à l'origine d'un biais. Les questions relatives à la sélection des experts et à leur statut dans les collèges décisionnels des agences semblent incontournables et rappellent la nécessité d'une plus grande transparence s'agissant de leur carrière et de leurs engagements. J'ai souvenir que, dans le domaine des télécoms et de la défense, où la formation ressort du secteur public et les débouchés professionnels du secteur privé, les craintes étaient fréquentes que la gestion des carrières dans le public soit biaisée par les perspectives d'avenir dans le privé.
Cédric Villani a fait état de la défiance française à l'égard des informations scientifiques. Je m'essaierai à un diagnostic : les Français, me semble-t-il, ont la nostalgie d'un passé glorieux où la France représentait la fille aînée de l'Église pour les uns et la patrie de la Révolution pour les autres. Nous étions importants dans un continent qui l'est moins. Désormais, nous ne représentons que 4 % de l'économie mondiale et 1 % de la population du globe. Les responsables politiques apparaissent comme les boucs émissaires naturels de la dilution de la France dans le monde. Plagiant Talleyrand, et sa célèbre formule - « quand je m'observe, je m'inquiète. Quand je me compare, je me rassure » -, je crois que nous n'avons pourtant nullement à rougir de la qualité de nos scientifiques.
Nous avons régulièrement, avec le président Gérard Longuet, des échanges sur la nature et l'organisation de nos relations avec les Académies qui doivent, à notre sens, être régulières afin de permettre à l'Office de s'informer des évolutions scientifiques récentes. N'oublions pas que l'Académie des sciences constitua, au XVIIe siècle, le premier lien entre les scientifiques et le pouvoir politique.
Par ailleurs, l'Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST), qui souhaite permettre la rencontre entre la science et les décideurs de la société, cherche à renforcer ses liens avec le Parlement. Pour la session 2018-2019 dont le thème sera « L'inconnaissance, vecteur d'inventivité », une quarantaine d'auditeurs sera invitée à suivre trente-quatre journées de formation et à participer à un voyage d'étude. Si cette perspective vous intéresse, n'hésitez pas à vous manifester : il est du rôle de l'Office d'oeuvrer au coeur de la relation entre science, société et politique.
Plusieurs thèmes ont été retenus pour les prochaines notes courtes de l'Office. La première portera sur les trains à sustentation magnétique, également connus sous le nom d'hyperloop, qui ont vocation à révolutionner le transport à très longue distance à l'échelle continentale. Le milliardaire américain Elon Musk représente la figure de proue du projet, mais d'autres acteurs américains, asiatiques et franco-canadiens sont également actifs. Ce sujet se situant à l'interface entre la science et l'aménagement du territoire, le Parlement trouvera intérêt à s'en saisir. Je vous propose d'en être rapporteur, dans la perspective de la publication d'une courte note au mois de juillet.
Une deuxième série de notes, confiées à nos collègues Jean-Luc Fugit et Catherine Procaccia, porterait sur l'espace, autre sujet cher à Elon Musk, dont je me suis récemment entretenu avec les responsables d'Ariane Espace et le président du Centre national d'études spatiales (CNES). La France est à, cet égard, le plus engagé des pays européens et le seul à disposer d'un programme de lanceurs. Le lanceur réutilisable de SpaceX et l'émergence de la Chine bouleversent le marché des lanceurs, qui subit des tensions considérables. Le sujet est à la croisée de la science et de la politique car un équilibre financier doit être trouvé entre l'industrie des lanceurs et celle des satellites, qui se plaint d'un niveau d'investissements insuffisant. Il pourrait également être intéressant d'analyser les annonces d'Elon Musk, dont l'objectif affiché est de permettre des voyages sur Mars. Est-ce un enjeu réel ou un scénario de science-fiction ?
Enfin, notre collègue Anne Genetet souhaite travailler sur l'huile de palme sous un angle mêlant enjeu sanitaire, biodiversité et énergie. À cet égard, je vous renvoie à l'annonce de Total sur le lancement d'une usine de production de biocarburants utilisant de l'huile de palme, rendue publique ce jour.
Nous avons également reçu deux demandes de sénateurs, que je soutiens, pour travailler sur des notes courtes. Angèle Préville se penchera sur les techniques de stockage de l'électricité, perspective fort intéressante dans le cadre du débat relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui pourra faire écho au remarquable travail mené par notre collègue Roland Courteau sur le stockage du carbone dans les sols. Par ailleurs, Jérôme Bignon a fait part de son intérêt pour la sixième extinction des espèces, sujet que je maîtrise, je l'avoue, assez mal.
Des cinq extinctions de masse précédentes, la dernière, dite crétacé-tertiaire, nous est la plus familière : il y a soixante-six millions d'années, elle a conduit à la disparition des dinosaures.
Le sujet de l'huile de palme est également en relation avec la programmation pluriannuelle de l'énergie puisque la biomasse issue de sa production permet de créer de l'énergie et que le CO2 ainsi dégagé est récupéré et fixé par les plantations de palmiers. Bien que cette industrie souffre d'une image environnementale dégradée, elle apparaît essentielle pour l'économie de pays comme la Malaisie ou l'Indonésie et a l'avantage de proposer une approche renouvelée de la biomasse.
Le débat sur l'huile de palme me fait penser à la difficile lutte contre les fake news dont Cédric Villani a fait mention : l'état des connaissances scientifiques est incertain et méconnu et les critiques vives ; je souhaite donc y consacrer ma note courte. Sur ce dossier, en effet, l'émotion a tendance à submerger la science au détriment d'un débat serein.
Nous accueillons Michel Cosnard, président du Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), et Frédérique Sachwald, directrice de l'Observatoire des sciences et techniques (OST), pour la présentation de leur rapport sur la position scientifique de la France dans le monde.
Nous vous remercions de nous accueillir pour la présentation de notre étude, dont je vais brièvement rappeler la genèse. Le Hcéres, qui conduit des évaluations, dispose de nombreuses informations, multipliées par l'adjonction des bases de données de l'OST, intégré au Hcéres en 2015, en application de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. Nous souhaitons désormais les mettre à la disposition du public sous une forme accessible et sans parti pris. La présente étude ouvre ainsi un cycle annuel de publications de deux à trois documents. Elle sera suivie prochainement d'un travail sur la recherche en archéologie.
La présentation de notre étude sur la position scientifique de la France dans le monde s'organise autour de cinq axes : une contribution à la caractérisation et à l'évaluation de la production scientifique de la France ; les dimensions de l'analyse ; les poids et l'impact scientifiques de la France ; la discipline mathématique par domaine de recherche et par corpus ; enfin, une conclusion et un approfondissement du sujet.
Il nous a semblé particulièrement pertinent de diffuser un document sur la position scientifique de la France. En effet, il n'existe aucun rapport récent consacré à la mesure de notre production scientifique, au-delà des informations régulièrement publiées par l'OST. Certes, des données relatives à la France sont disponibles dans des rapports d'indicateurs produits par des pays étrangers ou des instances internationales comme l'Union européenne ou l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais elles ne peuvent être aussi complètes que celles figurant dans un document produit par un organisme français. Les données du présent rapport ont ainsi vocation à être utilisées comme repères internationaux pour des analyses institutionnelles à l'instar de celles du projet d'indicateurs de production des établissements de recherche universitaire (IPERU) ou de l'Hcéres. Elles complèteront utilement les classements des universités et en matière d'innovation, fondés sur des indicateurs synthétiques dans lesquels figure la production scientifique afin de mesurer les interactions entre performances en innovation et recherche.
L'OST, comme l'indiquait Michel Cosnard, détient de nombreuses données issues des brevets et des publications scientifiques. Il a fallu choisir des axes d'étude à partir des lauréats des prix scientifiques (Nobel et prix en mathématiques) et des publications, puis les classer par pays, par disciplines (onze) et par domaines (deux-cent-cinquante) ainsi que par indicateurs, le tout pour la période 2000-2015.
Deux grands types d'indicateurs sont utilisés pour distinguer un pays : ceux qui incluent la taille du pays et ceux qui sont corrigés de la taille. Cette distinction semble basique mais elle est importante et peut s'appliquer en tout point.
Le rapport s'intéresse aussi aux dépenses en matière de recherche publique. On peut y trouver le poids mondial de la France dans ce domaine et en examiner l'intensité par rapport au PIB.
En termes de publications, on trouvera des indicateurs de volume mais aussi des indicateurs de spécialisation, afin de déterminer dans quelle mesure la France y consacre une part relativement importante par rapport à d'autres pays ou à la moyenne mondiale.
Les indicateurs d'impact ou de qualité de la production doivent être corrigés pour être comparables entre disciplines et entre pays. Ils sont donc indépendants de la taille du pays. Le rapport prend également en compte la propension à co-publier, y compris à l'international.
J'en viens aux types de données et aux référentiels. Un premier chapitre fournit des statistiques de référence sur treize pays : le PIB, le PIB par habitant, les dépenses de recherche, les publications, les prix Nobel, etc. Il donne à la fois la valeur de l'indicateur et le classement des pays. Le reste du rapport s'appuie sur les données de publications issues de la base OST et sur les prix internationaux.
Dans le chapitre général sur la production scientifique mondiale, vingt à quarante pays sont examinés. Sont également pris en compte les lauréats scientifiques entre 1994 et 2017. Le troisième chapitre, qui est spécifiquement consacré à la France, s'appuie sur un référentiel pays : ont été choisis les pays avec lesquels la France souhaite se comparer plus précisément. Le dernier chapitre, consacré aux mathématiques, rassemble les données de publications et des lauréats des prix qui ont publié au cours de la période 2000-2015. La France est comparée à seize autres pays, différents du chapitre précédent, car l'accent est essentiellement mis sur les mathématiques. Des entretiens avec des mathématiciens complètent ce chapitre.
Quant à la position de la France, notre étude comprend un graphique général qui montre l'évolution de la production en nombre de publications des vingt premiers pays publiants. Dans plus de 50 % des cas, les publications françaises sont écrites en co-publication avec des chercheurs étrangers, ce qui a une incidence sur le mode de calcul. Ainsi, pour une co-publication franco-allemande, on compte 0,5 pour la France et 0,5 pour l'Allemagne. Ce faisant, il s'agit de ne pas biaiser les comparaisons.
Le nombre de publications entre 2000 et 2015 sur l'ensemble du monde est passé de 800 000 publications annuelles à 1,8 million, soit une multiplication par un peu plus de 2. Ce taux de croissance est très différent selon les pays. La Chine a énormément augmenté sa production durant cette période et son rang a changé : au début des années 2000, elle est passée devant un certain nombre de pays européens, dont la France, et le Japon ; elle est désormais le deuxième producteur mondial.
La France est passée de 41 000 publications annuelles en 2000 à 57 000 en 2015. Pourtant, elle a rétrogradé de la cinquième à la septième position car l'Inde, à l'instar de la Chine, l'a supplantée. En 2015, la France et l'Italie sont au même niveau de production ; la Corée du Sud se trouve juste derrière, avec une dynamique toutefois plus forte.
Deux phénomènes complémentaires importants apparaissent. Le Japon régresse dans le classement : sa publication fléchit, tout comme la qualité de sa production. Aujourd'hui, le Japon est dépassé par la Chine, à la fois qualitativement et quantitativement. La Russie recule également. Elle a perdu beaucoup de chercheurs et sa production scientifique a été un peu désorganisée, même si l'on constate un redémarrage de la production depuis le début des années 2010.
J'en viens à la spécialisation par grandes disciplines. L'indice de spécialisation d'un pays correspond à la part d'une discipline dans le total de ses publications.
Pour ce qui concerne les mathématiques, la part de la France est de 70 % plus importante que la moyenne mondiale. La physique, les sciences de l'univers et l'informatique se trouvent à peu près au même niveau. En revanche, en biologie fondamentale-recherche médicale, sa spécialisation est très faible, la France se situant dans la moyenne mondiale. En chimie, en biologie appliquée-écologie et en sciences sociales, elle n'est pas spécialisée.
Le profil des États-Unis est sensiblement différent, avec une forte spécialisation en sciences humaines et en sciences sociales, mais aussi en sciences médicales et en biologie fondamentale. Nos graphiques permettent d'élaborer des comparaisons internationales.
On constate une très forte progression de la Chine, dont la production atteint près de 20 % de la production de la publication mondiale. La dynamique de la Chine a un impact non négligeable sur la composition disciplinaire de la production scientifique mondiale et sur la spécialisation des pays. La Chine est spécialisée en chimie et en sciences pour l'ingénieur, ce qui rend automatiquement les autres pays moins spécialisés dans ces matières. C'est vrai à la fois en dynamique et à l'instant t. C'est l'inverse pour les sciences humaines et sociales.
L'Allemagne a un profil très compact ; c'est une caractéristique du système de recherche allemand. Le profil anglais est, quant à lui, proche du profil américain, avec moins de force sur le médical.
Un mot de la diversité au sein des sciences humaines et sociales. Si la moyenne mondiale est à 1, la France est à 0,97 en sciences humaines et à 0,58 en sciences sociales. En sciences humaines, la France apparaît spécialisée en lettres, en histoire, mais peu spécialisée en psychologie, ce qui peut sembler étonnant puisqu'elle produit beaucoup d'articles dans cette discipline. En sciences sociales, la France est peu spécialisée, sauf en sciences économiques, ce qui constitue une évolution depuis le début des années 2000. Elle se retrouve au même niveau que les États-Unis, grands pays des sciences économiques.
Les indicateurs d'impact permettent de connaître la part mondiale des pays qui publient. Les États-Unis et la Chine sont, bien évidemment, en tête et la France figure en huitième position parmi les vingt premiers pays publiants.
L'indice d'impact permet de connaître le nombre de citations par publication d'un pays, corrigé par ce même ratio à l'échelon mondial. On voit très clairement qu'il n'y a pas de corrélation entre le nombre de publications et l'impact : le positionnement est différent en termes de taille et d'impact. La Suisse, les Pays-Bas, les États-Unis, la Grande-Bretagne se trouvent à plus de 20 % au-dessus de la moyenne mondiale, la France et l'Italie étant à moins de 10 % au-dessus. La Chine est à 0,85, c'est-à-dire à 15 % en dessous de la moyenne mondiale, mais elle devance le Japon.
Si l'on s'intéresse au centile des publications les plus citées au monde, qui est en somme un critère d'excellence, on constate la présence d'un certain nombre de petits pays européens, comme le Danemark, et de pays émergents. La France se situe entre le onzième et le quinzième rang mondial, selon le nombre de pays recensés.
Pour les mathématiques, il a été décidé de réaliser plusieurs corpus de publications pour déterminer si cela modifiait les résultats. Il a donc été procédé à une analyse par domaine de recherche.
Il s'agit de définir l'impact des publications à cinq ans par domaine des mathématiques. On dénombre trois domaines de recherche : les mathématiques fondamentales, les mathématiques appliquées, les statistiques et probabilités. L'application interdisciplinaire des mathématiques, qui constitue le quatrième domaine, ne figure pas sur le graphique car cela représente peu de publications à l'échelle mondiale.
En mathématiques fondamentales, la France est 15 % au-dessus de la moyenne mondiale. En revanche, dans les autres domaines, l'impact des publications françaises est beaucoup plus faible.
Que conclure de ces analyses sur les mathématiques ? La France apparaît spécialisée dans tous les domaines des mathématiques. Sa part de publications est élevée dans les quatre domaines mais ses performances en termes d'impact sont tirées par les mathématiques fondamentales.
En revanche, plus le corpus est centré sur les mathématiques fondamentales, plus il est sélectif, plus la France est représentée. Dans l'ensemble des mathématiques, la France produit un peu plus de 6 % des publications mondiales.
Dans les corpus spécifiques, comme la France a relativement beaucoup de primés, sa part dans la publication des primés est élevée mais elle est très concentrée sur les mathématiques fondamentales. L'impact des publications françaises des primés est très élevé par rapport aux publications françaises mais il n'est pas plus élevé que celui des primés américains ou belges.
Dans le domaine de recherche des statistiques et probabilités, l'impact de la France est assez faible. Néanmoins, il faudrait distinguer les statistiques des probabilités : les résultats seraient sans doute différents. La France est plutôt mieux positionnée en probabilités qu'en statistiques ; quand on agrège les deux, cela a tendance à détériorer la performance. Néanmoins, la statistique est aujourd'hui une discipline importante, notamment au regard de l'intelligence artificielle, du big data...
En conclusion, la position de la France est similaire en matière de recherche, d'une part, et d'innovation, d'autre part, si l'on s'appuie sur des indicateurs qualitatifs. Elle se situe au quinzième ou seizième rang à l'échelon mondial.
La production scientifique française semble moins dynamique que celle d'autres pays européens, en particulier l'Italie ou l'Espagne, en termes d'évolution de la production, de spécialisation et de co-publications (sur ce dernier point, la France n'a pas énormément évolué depuis l'explosion de la Chine).
Enfin, il faut prêter une attention particulière aux grains d'analyse, c'est-à-dire au niveau de détail auquel on descend en sciences humaines et sociales et en mathématiques. Il faut travailler à des grains plus fins.
Au nom de l'Office parlementaire, je ne peux que vous féliciter pour la qualité de ce travail et la clarté de cette présentation. Je suis frappé par ce que vous avez dit en conclusion, à savoir que la position de la France au sein de l'Union européenne ne correspond pas à sa taille. La France est la deuxième économie européenne, la deuxième démographie ; pourtant, elle se trouve au onzième rang.
Quels seraient vos lecteurs préférés pour ce rapport ? Par qui aimeriez-vous qu'il soit lu et analysé ?
Étant donné le positionnement du Hcéres et de l'OST, on imagine deux cibles principales : d'un côté, les producteurs, c'est-à-dire les scientifiques et les universitaires, de l'autre, les responsables de politique publique en France, l'Union européenne, l'OCDE.
Ce rapport est une donnée pour une meilleure connaissance du paysage. Il permet un type d'analyse, même s'il ne fait pas le tour du sujet, mais il peut contribuer à enrichir la connaissance de notre système de recherche.
Je proposerais volontiers aux membres de l'Office parlementaire d'organiser une journée d'auditions consacrée à votre rapport en faisant intervenir votre public - les universitaires, les responsables des politiques de recherche - et, ce, afin de les obliger à se positionner par rapport à vos travaux, dont l'objectivité et le sérieux sont incontestables.
Vous vous étonnez que la France soit si mal placée au regard de sa démographie, de son PIB, etc. Un rapport britannique, qui est à peu près de même nature, propose, lui, systématiquement des encadrés en prenant des indicateurs spécifiques et en les organisant de telle sorte que les Britanniques apparaissent le plus favorablement possible.
Vous mentionnez la taille et le poids de la France. Mais je souligne que les indicateurs avec lesquels la France est un peu moins bien classée sont corrigés de la taille. Ainsi, quand la Belgique se trouve devant la France en termes d'impact de production scientifique, c'est au regard du nombre de fois où les publications de ces deux pays sont citées, corrigé par la moyenne mondiale. Le critère de la taille n'intervient plus. Seul le qualitatif importe.
C'est également le cas pour les prix Nobel. Le premier tableau du rapport recense, pour chaque pays, le nombre de prix Nobel entre 1997 et 2014, mais ce nombre est ensuite corrigé par le nombre de chercheurs du pays. On voit alors que le classement change. Ainsi, les Pays-Bas, qui sont un petit pays et qui, par conséquent, ne peuvent pas produire un grand nombre de prix Nobel, voient leur rang s'améliorer si on le corrige de la taille de sa population de chercheurs.
Cette étude démontre que, avec des politiques scientifiques pertinentes, il n'y a pas d'impossibilité d'accéder à un bon classement, même si la taille est significativement plus petite.
L'accès à la science est assez ouvert et ce phénomène ne cesse de s'amplifier. Où que vous soyez, vous pouvez lire des articles. On est dans un univers mondialisé. L'ethos de la science, c'est l'ouverture et le partage.
D'ailleurs, la tendance à co-publier ne cesse de croître. La Chine a énormément bénéficié de ce phénomène, en envoyant nombre d'étudiants à l'étranger, notamment aux États-Unis, ce qui a constitué un accélérateur pour elle. Les petits pays du nord de l'Europe pratiquent les échanges universitaires depuis longtemps. Les États-Unis se sont parfois émus de leur propre ouverture, considérant qu'ils finançaient les autres pays.
Ce raisonnement a ses limites, car, dans certains domaines, d'importants investissements sont nécessaires. C'est d'ailleurs pour cela que l'Europe a créé le CERN, qui permet de rassembler des investissements substantiels.
Je tiens à souligner la dynamique des tableaux du rapport, qui nous permettent de nous situer par rapport aux autres pays.
On note clairement une émergence formidable du continent asiatique, dont la Chine est le fer de lance. Le Japon est stable, même si cette stabilité peut s'interpréter comme un recul. L'Europe, quant à elle, résiste très bien. En revanche, l'Amérique latine est totalement absente. Même si le Mexique, l'Argentine ou le Brésil, dans une mesure moindre, progressent, ils ne bénéficient pas de cette évolution.
Le grand absent, c'est le continent africain. Même l'Afrique du Sud n'apparaît pas sur les différents graphiques alors qu'elle bénéficie d'une grande dynamique. Il en est de même du Maroc et de l'Algérie. La France doit mener une réflexion sur ce sujet, en particulier en termes de francophonie.
Pour commencer, un coup de chapeau pour la très grande qualité du travail et la richesse des facettes explorées. Je fais mienne la suggestion du président de revenir plus longuement sur ces sujets. Nous sommes là dans le coeur de notre mission, à savoir informer les décideurs nationaux sur les forces et faiblesses de leur nation.
Une institution fondée dans les années quatre-vingt, Qualité de la science française (QSF), travaille précisément sur la thématique de la qualité. Y a-t-il des complémentarités entre son approche et la vôtre ?
Il serait intéressant de porter un regard sur l'évolution de la recherche à l'échelle continentale : émergence de l'Asie, absence relative du continent africain, un Proche-Orient où l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis investissent des sommes considérables tout en suscitant un certain scepticisme, et le cas particulier d'Israël, très lié à l'Europe et surtout tourné vers les États-Unis et parmi les meilleurs mondiaux pour certains secteurs de pointe. Cette vision continentale serait utile à la fois pour nos scientifiques et pour nos décideurs.
Vous avez dit, à juste titre, que plus l'on s'élève vers l'excellence plus la position de la France est forte. Un confrère iranien me disait qu'un benchmark conduit dans son pays avait fait apparaître la France comme le pays le plus exigeant dans la qualité de ses publications mathématiques ; la production iranienne était, de son côté, très mal classée, malgré une tradition de recherche fondamentale assez forte dans ce pays, parce qu'elle était publiée dans des revues à faible impact. Symétriquement, dans certains domaines comme l'intelligence artificielle, sous l'angle de la quantité, nous ne sommes pas au rendez-vous. Or nous avons besoin de chercheurs mais aussi d'ingénieurs ; les entreprises n'ont aucun mal à recruter des Bac +20 mais les plus grandes difficultés à trouver des Bac +4.
La quantité d'articles produite en Chine est inouïe, jusqu'à engorger les revues - je l'ai constaté en tant qu'éditeur d'une revue internationale : la moitié des articles que je reçois viennent de ce pays. En revanche, la qualité ne suit pas. Il est difficile de faire émerger les supervedettes qui accèdent ensuite au prix Nobel ou la médaille Fields : en mathématiques, aucune n'a émergé dans ce pays dans les deux dernières décennies. Certains citeront Terry Tao mais, bien que d'origine chinoise, il est de nationalité australienne et formé aux États-Unis.
Au coeur de l'actualité, l'intelligence artificielle est à l'interface entre les mathématiques, la technologie et la santé. Or certains pays - les États-Unis, Israël - réussissent mieux que d'autres dans la construction de ces interfaces. La France, elle, n'y excelle pas. Est-il possible de mesurer objectivement cette capacité ?
La question de la langue se pose peu dans les sciences dites dures où l'anglais s'est imposé sans contestation. Il n'en va pas de même dans les sciences humaines et sociales. Le manque d'impact de nos publications dans ce domaine s'explique-t-il par la langue de publication ? Est-ce une question de mesure ou le reflet d'un véritable manque d'impact ?
Depuis mon entrée dans la vie politique, j'ai fait l'expérience des effets déprimants et ravageurs des indicateurs, souvent décriés. Dans le domaine scientifique, ils ont contribué aux excès de la course à la publication et produit des distorsions dans les choix des revues. Néanmoins, votre étude montre l'usage intelligent et instructif qui peut en être fait, en faisant varier certains indicateurs en fonction du secteur considéré, en adaptant, par exemple, l'indicateur d'impact aux spécificités des mathématiques, où la durée d'impact est plus courte. Cela ne nous dispense pas d'une réflexion sur les indicateurs les plus pertinents, en conservant à l'esprit que celui qui forge l'indicateur de référence se donne par là un avantage stratégique pour l'avenir.
La France a, dès le XVIIe siècle, développé une recherche fondamentale en mathématiques et joué un rôle pionnier dans les probabilités. Elle a conservé une tradition forte dans ce domaine. En revanche, les grandes références en matière de statistiques sont un Britannique, Sir Ronald Fisher, et un Belge, Adolphe Quételet ; ces deux pays sont toujours très avancés dans cette branche de la science. Ces exemples montrent le poids, dans les domaines reposant moins que d'autres sur la technologie, des traditions historiques et culturelles nationales.
Le dynamisme scientifique - le renouvellement des thématiques - se mesure aussi par la faculté à ouvrir de nouvelles directions de recherche. Or les États-Unis se sont montrés beaucoup plus inventifs que l'Europe, au cours de ces dernières années, dans les sciences humaines et sociales, notamment en développant des approches combinant psychologie et économie. En Europe, nous avons tendance à rester dans le cadre des disciplines universitaires à la légitimité bien assise. Or l'intelligence artificielle est un domaine où le mariage des sciences humaines et des sciences dites dures jouera un rôle fondamental. De notre capacité à mettre en place de nouvelles approches, de nouvelles interdisciplinarités, dépendra notre impact dans l'avenir.
Vos commentaires ouvrent, en effet, des perspectives intéressantes. L'Afrique du Sud figure en 35e position pour l'indicateur du volume de publications. Israël est en 26e position, avec un fort impact dans les mathématiques. Mais ce pays bénéficie beaucoup de la collaboration étroite avec les États-Unis. Je partage votre avis sur l'utilité d'une approche continentale. Il nous a été reproché de ne pas avoir dégagé l'ensemble Union européenne, mais j'ai préféré concentrer l'analyse sur les pays. L'Union européenne, prise dans son ensemble, occupe le premier rang des publications.
La Commission européenne a déjà beaucoup de personnel pour conduire ce genre d'études !
Concernant les interfaces, l'OST a développé un indicateur d'interdisciplinarité, toujours en phase de test. Depuis un an et demi, nous menons une analyse textuelle à partir du corpus des termes du titre, des mots-clés et de l'abstract des articles, sans tenir compte des nomenclatures. Ainsi, dans le cadre de l'évaluation de la stratégie nationale de recherche (SNR), nous constituons des corpus pour chacun des dix défis de la SNR afin de retracer l'évolution de la spécialisation de la France. L'exercice est difficile car les stratégies sont très multidimensionnelles. Nous avons ainsi recherché tout ce qui concernait le cancer dans le corpus des brevets et publications. Ce travail de data science est très intensif en temps et en intelligence, mais produit des résultats intéressants.
Nous menons également un travail de comparaison entre les pays européens non anglophones en sciences humaines et sociales. L'Espagne, l'Italie et l'Allemagne semblent engagées dans une dynamique plus forte que la France. Ainsi, si notre pays est, comme je l'ai souligné, devenu plus spécialisé en économie, les Allemands ont suivi le même mouvement mais avec un impact plus important.
Le classement CWTS de l'université de Leiden ne retient que les publications en anglais, considérant qu'un classement global désavantagerait les pays non anglophones. Prendre en compte les articles en allemand ou en français augmente le nombre de publications pour les pays concernés mais fait baisser leur impact. Il faut équilibrer ces deux aspects : on peut reprocher à juste titre à des bases de données internationales comme Scopus de présenter un biais en faveur de l'anglais, mais il n'est pas facile de corriger ce biais.
La systématisation du résumé en anglais, même pour les articles rédigés en français, permet un référencement dans ces bases de données. C'est ce qu'ont fait les Italiens.
Il faut également tenir compte des progrès de la traduction automatique.
Un rapport de l'OCDE publié en 2014 sur la recherche-innovation en France avait souligné « l'inertie » de la spécialisation scientifique dans notre pays, provoquant une controverse. La Commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation a souhaité approfondir ce point. L'OST surveille donc l'évolution de l'indicateur de spécialisation. Sur cette question, the jury is still out : il est difficile de trancher. Il faut certes prendre en compte la taille du pays : un grand pays de recherche - ce qu'est la France - a tendance à couvrir tous les domaines de la recherche alors que les petits pays se spécialisent. Cependant, même avec ce correctif, il est possible que la France ait une propension un peu plus faible au renouvellement thématique que d'autres pays comparables.
Avoir une histoire a des avantages et des inconvénients. C'est le problème de la réforme...
La France avait une tradition d'attribution de bourses de recherche aux étudiants étrangers ; il faut en parler au passé car elle est en train de se perdre. Les bourses d'excellence se comptent désormais sur les doigts d'une main et l'Allemagne nous taille des croupières.
C'est une raison pour laquelle il faut mieux contrôler la dépense publique, afin de la diriger vers les secteurs les plus prometteurs...
Il faut néanmoins souligner que la France reste l'un des premiers pays au monde pour la production scientifique et la qualité des interactions scientifiques dans une compétition devenue mondiale. La qualité de notre production reste au plus haut niveau dans toutes les disciplines.
Je suis particulièrement inquiète du niveau très bas, dans notre pays, de la spécialisation en sciences de l'éducation. C'est le parent pauvre de notre recherche, alors que nous avons plus que jamais besoin de nous pencher sur ce sujet. Est-ce un manque de débouchés, de formations ?
Vous avez souligné la relative absence de l'Afrique, qui est aggravée par plusieurs facteurs. La plupart des étudiants issus de ce continent, et particulièrement d'Afrique de l'Ouest, qui viennent en France - cela a été mon cas - bénéficient d'un programme de bourses et leurs publications appartiennent au laboratoire qui les accueille dans notre pays.
De plus, à l'exception de l'Afrique du Sud qui a ses propres laboratoires, l'environnement de la recherche n'existe pas en tant que tel dans les pays africains. Il n'y a pas d'industrie de haute technologie susceptible de recruter des étudiants pour y faire de la recherche. Les grandes écoles d'Afrique travaillent en étroite collaboration avec la France, qui les a parfois fondées.
Par conséquent, il est difficile d'évaluer la production proprement africaine. On relève, néanmoins, des évolutions positives dans les domaines de l'agriculture et de la forêt mais, en mathématiques par exemple, la recherche est toujours conduite en collaboration avec l'étranger. Les pays africains anglophones sont plus avancés dans ce domaine.
Ce type d'auditions est très utile ; il serait également profitable, pour les parlementaires de l'Office, de se rendre aux conférences annuelles organisées par les organismes de recherche français.
Votre travail nous présente une photographie institutionnelle de la recherche. Or en Afrique, il existe un fort différentiel entre la qualité de la formation et le paysage institutionnel. Si l'on prenait en compte l'origine des chercheurs, la place de la Chine serait encore plus écrasante. Les États-Unis ont su faire travailler le monde entier sous leur bannière...
Il est vrai que la France publie très peu dans le domaine des sciences de l'éducation mais aussi dans ceux, voisins, des sciences sociales s'intéressant au nursing ou à la dépendance.
Dans la réhabilitation et l'accompagnement de santé, qui sont deux disciplines de la sociologie, le poids de la recherche française est faible - 0,2 ou 0,3 %. C'est un problème de quantité et non de qualité. Faut-il renforcer ces secteurs ? C'est un choix qui appartient à l'État.
La base de données prend en compte les publications dans les revues et les conférences avec actes de colloque, mais pas les ouvrages. Peut-être cela explique-t-il, en partie, la faible présence française dans ce domaine mais ce n'est qu'une hypothèse.
Pour répondre à Mme Tiegna, nous constatons aussi un tropisme des co-publications françaises vers l'Afrique en mathématiques.
Merci d'avoir participé à nos travaux. Soyez certains que nous réfléchirons à l'engagement de notre pays dans les secteurs scientifiques et technologiques et aux moyens de donner aux parlementaires les informations dont ils ont besoin pour imaginer, contrôler, suggérer et parfois même critiquer !
La réunion est close à 12 h 30.