Mes chers collègues, nous entamons notre semaine de travaux par l'audition de M. Yvon Robert, maire de Rouen, président de la Métropole Rouen Normandie, accompagné de M. Cyril Moreau, vice-président de la métropole, chargé de l'environnement, et de M. Frédéric Althabe, directeur général des services. Comme vous le savez, nous avons souhaité, dès la mise en place de cette commission d'enquête, nous rendre sur le site à Rouen pour rencontrer les dirigeants de l'entreprise, le personnel, les services de l'État, que nous auditionnerons de nouveau jeudi, les chambres consulaires et les élus.
Nous avons voulu vous auditionner de manière officielle pour avoir votre appréciation, avec du recul, sur les événements qui se sont produits le 26 septembre dernier. Mes collègues rapporteurs vous poseront certainement de nombreuses questions à la suite de votre propos liminaire, qui devra être limité à une dizaine de minutes maximum.
Monsieur le maire, selon vous, un tel drame était-il envisageable ? Aviez-vous conscience de ce danger ? La population était-elle suffisamment informée ? Cet accident a-t-il été bien géré en matière opérationnelle et sur le plan de l'information ?
Au-delà, je m'interroge sur un point plus précis. Lorsque nous nous sommes rendus à Rouen, le préfet nous a dit que les services du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) avaient manqué d'eau pendant quatre heures. Il semblerait, selon nos interlocuteurs ce jour-là, que cela venait du réseau public de défense incendie. Selon vous, le réseau est-il sous-dimensionné ? Y a-t-il une responsabilité de la métropole ?
Avant de vous laisser la parole, je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Yvon Robert, Cyrille Moreau et Frédéric Althabe prêtent serment.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation devant cette commission d'enquête, qui a pour objet d'éclairer ce qui s'est passé et, surtout, d'essayer d'améliorer les choses pour l'avenir.
Deux mois après, nous ne sommes plus exactement dans le même état d'esprit que le 26 ou le 27 septembre dernier. Ce fut un accident impressionnant - j'essaie d'utiliser les bons mots -, mais sans conséquence immédiate grave, ce qui le distingue de l'accident AZF, dont les conséquences furent sans commune mesure.
Les trois plans de prévention des risques technologiques (PPRT) de l'agglomération rouennaise ont été centrés sur la prévention des risques. Pour l'accident qui nous concerne aujourd'hui, Lubrizol a consacré 9 millions de travaux en moyenne sur les dix dernières années, à la sécurité. Le site a été totalement réorganisé, avec un regroupement des deux sites existant à l'origine, Lubrizol finançant sur ses deniers la construction d'une nouvelle voie publique. En conséquence de ce PPRT, l'incendie ne s'est déroulé que sur moins de 10 % du site ; il faut le noter.
Par ailleurs, les règles d'urbanisme général n'ont pas été d'une importance capitale, les habitants les plus impactés étant assez éloignés. Ces 150 000 à 200 000 personnes n'auraient certainement pas imaginé cela, mais la direction des vents, soit un aléa climatique, en a décidé autrement. Cependant, 1 million de personnes auraient pu être concernées.
Depuis trente ans que je suis élu, je suis impressionné par le nombre d'incendies de par le monde, dans tout type d'environnement. Plus que le risque technologique en tant que tel, c'est à mon sens le risque qui nous menace le plus.
Vous m'interrogez sur l'organisation des secours, et, plus particulièrement, sur l'approvisionnement en eau. Lorsque je me suis rendu sur le site vers 9h30, les inquiétudes portaient plus sur la réserve en mousse, indispensable en cas d'incendie d'hydrocarbures. Or ce produit est difficilement conservable en grande quantité. Le SDIS a dû en faire venir d'autres départements et, une fois qu'il y en a eu assez, l'incendie a été éteint en une vingtaine de minutes. Telles sont les informations que j'ai personnellement recueillies auprès du colonel des sapeurs-pompiers sur place. En outre, j'ai compris que le préfet et les pompiers avaient fait le choix délibéré de maîtriser en priorité l'incendie et de dégager les routes pour permettre l'arrivée des renforts venant de six départements. C'est peut-être discutable, mais je l'ai parfaitement admis.
Ce qui est essentiel dans ce type d'accident, ce sont les quantités de stockage. C'est ce qui fait la durée de l'incendie, avec la nature des produits stockés. Cela doit, à mon sens, faire l'objet d'une réflexion générale. En l'occurrence, la première décision de Lubrizol, qui sera présentée dans le cadre de la commission « Dialogue et transparence », sera de réduire de 80 % le stockage sur le site de Rouen en le dispersant sur plusieurs sites.
Avec les sites Seveso, et quelle que soit la cause de l'incendie, qui n'a toujours pas été déterminée en l'espèce, l'effet domino est toujours à craindre. C'est pourquoi il convient d'espacer davantage ces sites.
Enfin, vous m'avez interrogé sur l'information. Sur ce sujet, il faut rester humble. Il n'y a pas eu de consignes générales du préfet. Il a considéré que déclencher des sirènes à 3 heures du matin, alors qu'il n'y a pas eu d'accident d'ampleur depuis longtemps, aurait pu provoquer un mouvement de panique dans la population. L'absence d'exercices et d'informations régulières pour la population pose problème. Il y a sans doute en France des manques en matière de culture du risque. Mais jusqu'où doit-on aller ? Avec quels exercices et à quelle périodicité ? J'avoue ne pas avoir la réponse.
Pour terminer, je dirai que, devant ce type d'accident, seul l'État a la capacité de gérer la crise. Le préfet, en relation avec les professionnels de la sécurité, doit être le seul à donner les consignes. Néanmoins, il importe que les élus disposent d'informations. Pour ma part, j'ai eu le directeur du cabinet du préfet vers 5 h 30-5 h 45, mais certains de mes collègues se sont plaints de ne pas avoir été informés assez tôt. En la matière, il s'agit de bien délimiter le périmètre des élus à informer. Dans l'affaire qui nous concerne, on peut regretter que Mme la Maire de Petit-Quevilly ait été oubliée. En même temps, l'incendie se propageait dans la direction opposée.
Validez-vous la décision du préfet en ce qui concerne l'alerte ? Je n'ai pas très bien compris votre position.
Oui, j'ai parfaitement compris ses raisons. Déclencher les sirènes de nuit aurait été extrêmement inquiétant pour la population.
Dernière précision : pour vous, personnellement, y a-t-il une responsabilité de la métropole, de la ville de Rouen ou du port dans le sous-dimensionnement du réseau public sécurité incendie ?
Je ne me suis pas posé la question.
On nous a clairement dit - on interrogera de nouveau, jeudi, le préfet et le directeur du SDIS - que, pendant quatre heures, le niveau d'eau était insuffisant et que cela viendrait du sous-dimensionnement du réseau public de défense incendie.
Monsieur le président, j'entends bien la question, mais la direction régionale environnement aménagement logement (DREAL) a fait une analyse de risques du site. Avec l'entreprise, elle est censée définir les moyens appropriés pour faire face à un sinistre.
Je vais y venir. Normalement, on doit faire face à tout type de situation. En cas de catastrophe, même si l'eau est coupée, il faut suffisamment d'eau et d'émulseur pour pouvoir produire de la mousse. La petite musique qui laisserait entendre que ni Lubrizol ni la DREAL n'auraient été défaillants ne me convient pas. Les pompiers nous ont dit que les réserves d'eau avaient été consommées en deux heures parce que les sprinklers des bâtiments se sont déclenchés sous l'effet de la chaleur.
Si !
On reposera précisément la question après-demain au préfet et au directeur du SDIS.
La question est précise. Le réseau d'assainissement relève bien de la compétence de la métropole.
Est-ce que le réseau d'eau de la métropole était prêt à réagir sur un incendie de ce type ?
C'est à l'État de nous le dire !
C'est vous qui en avez la responsabilité, qui l'installez, qui l'entretenez...
La question est très claire, et je remercie Ronan Dantec de clarifier mon propos : oui ou non, ce réseau est-il bien calibré par rapport aux normes applicables en matière de défense incendie ?
Il aurait fallu que l'on prépare plus précisément la question. Sur ce site, la responsabilité relève de l'exploitant. Effectivement, le réseau d'eau n'est pas dimensionné par rapport à ce type d'incendie, qui n'était pas dans les éléments d'analyse de risques de l'État. Les moyens sur site ont été insuffisants, notamment en mousse.
Encore une fois, je vous parle de l'extérieur du site et du réseau public de défense incendie. Est-il conforme aux normes ?
Oui, d'après les informations que j'ai.
Je n'en sais rien. Je ne me suis jamais occupé de l'eau en particulier sur l'agglomération. Vous le savez, les élus n'ont pas la possibilité d'être sur tous les sujets. Je ne suis président de la métropole que depuis le 1er septembre. Je le répète, je ne sais pas, et la question ne m'a jamais été posée en ces termes sur le site. Le colonel des pompiers m'a affirmé que le problème, c'était la mousse.
Monsieur le maire, je trouve que vous êtes un excellent avocat de la cause de Lubrizol. Vos propos ont changé de tonalité, ce que vous expliquez par la prise de recul par rapport à l'événement. Lors de la première réunion du conseil municipal après l'incendie, vous aviez parlé de catastrophe nationale. Aujourd'hui, vous ne parlez plus que d'un « accident impressionnant ». Vous annonciez alors que la municipalité allait déposer plainte contre X et que vous souhaitiez créer une plateforme pour regrouper toutes les plaintes. Qu'en est-il aujourd'hui 19 novembre ?
Dans un élan transpartisan, j'en profite pour saluer tous les élus qui ont appelé de leurs voeux une alliance républicaine pour que « les élus soient à la hauteur de cette situation exceptionnelle ». Est-ce à dire que vous n'étiez pas préparés à un tel risque ?
Plus généralement, pensez-vous que nous avons vraiment la culture du risque en France ?
Vous n'êtes pas sans savoir que, dernièrement, le Sénat, dans le cadre du projet de loi Engagement et proximité, a adopté un amendement visant à ce que le préfet transmette sans délai au maire les informations dont il dispose en cas d'activation du système d'alerte aux populations. Est-ce que, d'après vous, cela va dans le bon sens ? Avec le recul, pensez-vous que d'autres réformes sont nécessaires ?
J'avais une question sur les exercices de simulation, mais vous avez abordé le sujet.
J'ai effectivement parlé de catastrophe nationale, c'est-à-dire de catastrophe ayant un retentissement national, et je maintiens mes propos.
Oui. Je dis aussi : « accident impressionnant ». Le 7 octobre, nous ne disposions pas de tous les éléments d'information et nous ne mesurions pas tout ce qui s'était passé. Parler deux mois après un événement permet d'analyser différemment la situation. Lorsque j'ai utilisé le terme de catastrophe nationale, je ne disposais pas des informations dont je dispose désormais. Aujourd'hui, nous pouvons parler de grave accident, d'accident impressionnant, mais dont les conséquences immédiates ont été essentiellement matérielles.
Vous avez raison de parler de conséquences immédiates : c'est important.
La population s'interroge sur les conséquences qu'aura cet accident sur la santé dans quelques années. Je ne suis pas médecin et je n'ai pas de réponse sur le sujet. La crainte de cancers est alimentée par les informations dont les habitants disposent sur l'exposition aux pesticides et à l'amiante. Il faut toutefois préciser qu'il s'agit là d'expositions professionnelles qui se déroulent pendant de longues années. Raisonnablement, je pense que l'exposition à la fumée d'incendie n'est pas comparable à une exposition professionnelle continue de quinze ans à des produits toxiques.
Nous avons déposé plainte contre X huit jours après l'événement, à un moment où nous n'étions pas en mesure d'évaluer ses conséquences. Sur le moment, nous avons proposé à des communes de s'associer à cette plainte, mais seules six ou sept l'ont fait. Mais comme vous le savez, le principal sujet d'intérêt est la cause de cet incendie. Or, personne n'a encore d'information à ce sujet.
La plainte porte sur l'ensemble des risques matériels et l'État nous a demandé d'évaluer et de chiffrer très rapidement tous les dégâts. Le processus d'indemnisation a donc été mis en place. Le plus grand dommage pour notre territoire, c'est la dégradation de l'image de Rouen. Pendant des jours et des semaines, Rouen a été présentée comme une ville où il était devenu quasiment impossible de vivre. Cela constitue incontestablement un préjudice relativement difficile à chiffrer. Il y a un préjudice d'attractivité qui pourrait avoir des conséquences économiques si le tourisme se trouvait durablement affecté par la situation.
Je crois que le Président de la République vous a promis un grand événement au printemps pour réhabiliter votre région.
Le Président de la République ne m'a rien promis du tout ! Il a entendu ce problème, mais j'ignore ce qu'il décidera, et je ne pense pas qu'un sommet international sera suffisant pour redorer l'image de la ville.
Après l'accident de 2013, comment étiez-vous préparés à l'éventualité d'un nouvel accident ? Aviez-vous pris des dispositions particulières en termes d'alertes de la population, d'exercices périodiques, de documents d'information ? Aviez-vous des relations différentes avec Lubrizol depuis l'incident de 2013 ?
Sur le secteur de la métropole rouennaise, il y a onze sites classés Seveso, onze en seuil Seveso haut et quatre en seuil Seveso bas. D'autres entreprises sont classées en installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE). De nombreuses entreprises sont donc potentiellement dangereuses.
Vous avez dit que trois grands plans de prévention des risques technologiques (PPRT) avaient bénéficié de travaux importants centrés sur la réduction des risques. C'est pour cette raison que seuls 10 % du site de Lubrizol ont été détruits par l'incendie. C'est une bonne chose que les entreprises participent à la réduction du risque, mais la prévention et la gestion des risques sont également importantes.
Considérez-vous que tous les PPRT de la métropole sont à jour en termes de réduction des risques et de prévention ? Ces sites, ces élus de la métropole, ces maires, ces citoyens qui vivent là, échangent-ils entre eux afin d'agir en faveur de la prévention, de la formation et de la gestion des risques éventuels ?
Nous n'avons pas de culture du risque que ce soit à l'échelle de la population - le président l'a rappelé, la sirène est un outil dépassé quand on n'a pas de culture du risque - ou au niveau des élus. Bien entendu, les maires qui accueillent des sites Seveso ont une sensibilité supérieure. Dans les faits, nous sommes dans une situation d'infantilisation vis-à-vis des services de l'État, qui détiennent le savoir là où nous ne disposons que d'un ou deux collaborateurs qui ont peu de connaissances. Cela rend compliquée la gestion de cette situation.
En matière de prévention, les communes organisent des exercices dans les écoles : tous les deux ou trois ans, un exercice technique est réalisé. En revanche, à l'échelle de la métropole rouennaise, il n'y en a jamais. Pourquoi ? Tout simplement, parce que cela serait très compliqué d'arrêter toute l'activité humaine, une journée entière, une fois par an. J'y serai favorable, mais qui paierait ?
Je propose que les entreprises dont l'activité est de nature à entraîner un risque sur le territoire financent les exercices à grande échelle.
En matière de prévention et de risques tectoniques, les Japonais nous ont appris que seul l'entraînement régulier de la population diminuait la peur et permettait à la population d'avoir les bons réflexes. C'est dans ce contexte que l'on peut déployer les bons dispositifs de sécurité.
Concernant la gestion des risques, je ferai trois incises. Une chose m'a étonné : lorsque les pompiers sont arrivés sur le site, ils ignoraient que le toit était en fibrociment. Ils l'ont découvert avec les pictogrammes. Cependant, en comité de suivi, il nous a été précisé que tous les bâtiments industriels d'avant 1997 étaient en fibrociment. Il y a donc un paradoxe et cette gestion du risque amiante m'étonne.
La gestion du risque technologique lié aux drones est-elle prise en compte dans la gestion des PPRT ? Un entrepôt de produits chimiques n'est pas une centrale nucléaire : il est aisé d'y envoyer un drone avec une bombe thermique. Il faut donc éviter les stocks trop importants qui pourraient être très attractifs pour d'éventuels terroristes. La gestion du risque d'inondation doit également être prise en considération.
Il n'est pas certain que les différents risques soient interconnectés. Dans le dernier arrêté préfectoral, on prend en compte le risque d'inondation parce que le site est en risque faible, mais il ne figurait pas dans les arrêtés précédents. Comment faire pour interconnecter les différentes natures de risque ?
Monsieur le président Yvon Robert, vous avez évoqué la communication des élus. Pourriez-vous nous repréciser quelles sont, normalement, les modalités d'information des élus via le système de gestion de l'alerte locale automatisée (Gala) ? A-t-il fonctionné ? Comment avez-vous, en tant que président de la métropole, informé l'ensemble de vos collègues et eu des contacts dans la journée avec eux ?
Quelle est votre appréciation de la communication préfectorale ainsi que de la communication médias notamment via le réseau France Bleu ? Comment améliorer cette communication ? Comment s'est passé le système d'alerte dans les écoles et comment s'est organisée leur non-ouverture sur votre commune ce jour-là ?
Le préfet m'a informé à 6 heures du matin. La décision de fermer les écoles des communes directement concernées par le panache a été prise. Pour Rouen, il s'agissait de la rive droite. J'ai considéré - et c'est un des problèmes fondamentaux concernant l'information : savoir qui on informe - qu'il était impossible de faire une distinction entre les écoles de la rive droite et celles de la rive gauche. J'ai donc demandé que la totalité des écoles de la ville de Rouen soit fermée.
Les inspecteurs de l'Éducation nationale ont informé les directeurs d'école, mais aucune consigne destinée à empêcher les personnels de rejoindre les établissements n'a été donnée. J'ai demandé à ce que l'on s'assure de l'accueil des enfants. Moins de dix enfants sont venus dans les écoles de Rouen et ils ont tous pu retourner chez eux dans des conditions de sécurité totale.
Dès 6 heures du matin, l'information circulait sur toutes les radios. Il s'agissait d'une information que tout le monde voyait, car le panache noir se dirigeait vers le nord-est et était visible de la totalité de l'agglomération. Mais le reste de la ville pouvait fonctionner. Pour ma part, j'ai demandé aux personnels de rester là où ils étaient. Le pont Flaubert - élément majeur de la circulation entre les rives nord et sud de Rouen - était fermé et il fallait éviter un encombrement et des complications avec un risque de sur-accident.
Le système Gala fonctionne différemment pour les petites et les grandes villes. Dans les petites villes, c'est un message aux maires. Pour les grandes villes, c'est un message à toute une organisation intérieure. Depuis quatorze ans que je suis maire, c'est le préfet, ou son directeur de cabinet, qui m'appelle personnellement en cas d'accident, Là, le système Gala a envoyé un message à 14 h 50 ; je pense qu'il aurait été utile de l'envoyer avant.
Quels enseignements tirez-vous de ce grave accident industriel ? Avez-vous commencé à travailler avec les collectivités sur la prévention et la sécurité ? Qu'en est-il de l'articulation des compétences dans la chaîne des acteurs entre l'entreprise, l'État, les collectivités et la population ? En outre, quelle est votre appréciation sur l'évaluation des risques ? Quelle appréciation portez-vous sur la chaîne des acteurs, notamment en termes de responsabilité en matière de santé publique et de prévention sanitaire ? Enfin, quelles sont les propositions sur lesquelles vous travaillez ou vos préconisations ?
Oui, nous avons commencé à travailler, mais peut-être pas suffisamment. Dans l'immédiat, nous sommes davantage préoccupés par les questions d'indemnisation. Par ailleurs, en matière d'information, il y a des choses à faire. Je suis toutefois extrêmement réservé sur la possibilité de multiplier les exercices, et je rappelle que la question de l'information et de la culture du risque ne concerne pas uniquement la ville de Rouen. Il y a en France, 1 300 Seveso et 2 500 000 personnes qui vivent aux alentours.
Je ne dispose pas d'information particulière sur les autres agglomérations ou communes concernées par le sujet. Il y a vraisemblablement en matière d'information immédiate des choses techniques à envisager. La sirène, lorsqu'elle n'est jamais utilisée, peut être extrêmement inquiétante lors de son déclenchement. Il doit exister des moyens notamment grâce aux smartphones d'informer l'ensemble de la population. Les documents édités par les collectivités pourraient aussi être repensés. Nous vivons une époque où nous sommes surinformés notamment avec les chaînes d'information. Paradoxalement, plus personne ne parvient à distinguer ce qui est important de ce qui ne l'est pas, ni ce qui est vrai de ce qui est probable. Il est donc devenu aujourd'hui difficile d'informer correctement.
J'aborderai trois points. Vous dites ne pas être médecin et ne pas pouvoir porter un jugement sur les risques immédiats et chroniques. Or, dans le même temps, vous dites que l'incendie n'a rien à voir avec un risque de grande ampleur et que nous pourrions ne pas être trop inquiets quant aux risques de cancers. Nous ne portons pas de jugement, mais essayons de comprendre. La défense incendie relève de la compétence pleine et entière des collectivités.
Lors de nos auditions, nous avons appris que l'incendie n'avait pu être maîtrisé que grâce aux bateaux-pompes venus du Havre. J'ai occupé des responsabilités comparables aux vôtres, dans de plus petites communes certes. Aussi, lorsque l'on identifie que le réseau d'eau pour la défense incendie réseau pourrait être insuffisant en cas de crise, comme cela a été le cas pour Lubrizol, ne pourrait-on pas imaginer de conserver à quai un bateau-pompe ?
Comment suivez-vous la gestion du traitement des eaux qui ont servi à éteindre l'incendie ? Ces eaux auraient été récupérées dans une nasse. Il va donc falloir les traiter avant de les rejeter.
D'autres personnes que nous avons auditionnées ont indiqué que les rochers avaient été nettoyés. Les eaux de ruissellement de ces nettoyages ont dû retomber quelque part. Qu'en avez-vous fait ? Comment ont-elles été traitées ou comment imaginez-vous les traiter ?
Concernant les risques sur la santé, je ne suis pas particulièrement inquiet. Certes, avec le passage du nuage de fumée, des gens ont eu des nausées, certains sont allés chez le médecin et 200 ou 300 personnes se sont rendues au Centre hospitalier universitaire. Seules huit personnes ont été hospitalisées et pour une durée inférieure à trois jours.
Il existe toutefois une inquiétude de la population sur le sujet. Personnellement, je pense que cette inquiétude est liée à ce que nous entendons depuis des années, notamment avec la médiatisation des procès, sur les risques de l'amiante et des pesticides. Je le redis : il s'agissait de la découverte tardive de choses qui n'avaient pas été mesurées pendant toute la vie professionnelle. Là, le contexte est différent.
Concernant l'eau, je n'ai jamais entendu parler de réseau public insuffisant dans la métropole - jamais.
Il ne me l'a pas dit. Sur le sujet des PPRT, il appartient aux entreprises d'avoir de l'eau et des réserves suffisantes.
Il faut quand même que le réseau public puisse suppléer à la défaillance éventuelle de l'entreprise. Cela ne semble pas avoir été le cas puisque, pendant quatre heures, les pompiers auraient manqué d'eau. Si la Seine n'avait pas été située à proximité, les choses auraient été encore plus dramatiques.
Le décret du 11 octobre 1990 nous oblige à établir un document d'information communal sur les risques majeurs (Dicrim). Le maire établit un document d'information qui recense les mesures de sauvegarde sur le territoire de la commune. Après AZF, la plupart des grandes agglomérations françaises confrontées aux risques ont revu complètement leur procédure Dicrim et ont généralement mis en place des systèmes de permanence beaucoup plus robustes. Je suis donc surpris d'entendre que vous n'avez peut-être qu'un technicien. Dans d'autres agglomérations, il y a une direction des risques, des PC sécurisés et des procédures très précises.
Comme nous avons peu de temps, je vous demanderai, si cela est possible monsieur le président, de nous communiquer par écrit la totalité de votre organisation au niveau communautaire et communal sur la réponse technique des services aux risques. Pouvez-vous aussi nous adresser la liste des évolutions du Dicrim depuis AZF ? Qu'est-ce qui a été fourni à la population ? Quel travail a été fait ? Notre sentiment aujourd'hui, c'est que l'agglomération rouennaise était en retard par rapport aux autres grandes agglomérations françaises sur la question de la gestion du risque.
Plus généralement, une cohabitation entre Lubrizol et l'écoquartier de la ZAC Flaubert vous semble-t-elle encore imaginable ?
Je fais évidemment miennes les demandes de transmission par voie écrite des documents formulée par M. Dantec.
Je vis depuis des années l'extension urbaine. Elle est la source de nos plus grosses difficultés. Les voitures viennent de loin, 30 ou 40 kilomètres, tous les jours, vers la ville et sont à l'origine de la plus grave pollution. Pour arrêter cette extension qui diminue la surface des terres agricoles et contraint les habitants à des temps de transport invraisemblable, la seule solution serait de réutiliser des lieux qui sont au coeur de la ville. Le quartier Flaubert se trouve à un quart d'heure à pied de la cathédrale de Rouen et au coeur du réseau de transports en commun. L'étendue du projet du quartier Flaubert a été faite en prenant en compte tous les PPRT, dont ceux de Lubrizol.
Dans notre agglomération, le nombre de personnes proches d'usines Seveso est supérieur au nombre d'habitants que pourrait accueillir à terme le quartier Flaubert. Si un incendie aussi important s'y déclarait, au lieu de 200 000 personnes, seules 5 000 seraient concernées.
De deux choses l'une : soit on considère que tous les sites Seveso en France - et les 2 500 000 personnes qui se trouvent à proximité immédiate - doivent être évacués, soit on considère que l'on peut vivre à proximité de sites industriels. Dans la dernière hypothèse, le quartier Flaubert est l'un des quartiers où il est le plus aisé de construire dans la ville. Il se trouve en effet situé en coeur de ville, à la place d'anciennes usines désaffectées. Ce quartier est délimité, d'un côté, par une avenue desservie par les transports en commun et, de l'autre, par une autoroute urbaine. L'accident de Lubrizol ne remet pas en cause l'existence du quartier, sinon cela remettrait en question l'ensemble de la ville elle-même.
Que pensez-vous de l'heure à laquelle l'alerte via les sirènes a été donnée ? Le préfet dit que l'alerte a été donnée à 7 heures et a précisé qu'il souhaitait éviter le risque de panique nocturne. Le retentissement à 7 h 45, lorsque certaines personnes se rendaient sur leur lieu de travail, a toutefois posé quelques problèmes.
Seules douze ou treize communes ont été mises dans la boucle de la gestion de la crise. Or, la métropole en comprend bien davantage et, à la vue de la fumée, un bien plus grand nombre de communes s'est senti impacté.
En matière d'établissements recevant du public, les exercices sont prévus par la loi, notamment dans les écoles où un exercice est organisé à l'occasion de chaque rentrée scolaire. Je considère que cette politique, non pas de prévention, mais de prévision, est indispensable. Ces exercices doivent être réalisés à l'initiative des chefs d'établissement ou des chefs d'entreprise. Ce n'est pas à la métropole ou au maire de Petit-Quevilly ou de la ville de Rouen d'organiser ces exercices. C'est essentiel parce que cela permet d'y associer les chefs d'entreprise, qui sont très nombreux sur la métropole rouennaise, le service public d'incendie et de secours et les habitants. C'est l'occasion de protéger, de faire passer quelques messages de réaction immédiate. Je suis favorable à l'organisation d'exercices réguliers par les chefs d'entreprise, en accord avec les maires des communes qui conservent les pouvoirs de police administrative sur leurs territoires.
Le système Gala d'information des élus n'a été actionné qu'à 14 h 50. Il aurait été préférable que tous les maires soient prévenus. On voyait ce panache, et toutes les chaînes de télévision et de radio traitaient l'information de manière exhaustive depuis 8 heures du matin. L'action essentielle à ce moment-là est celle des pompiers, qui, sur place, font le nécessaire pour éteindre l'incendie. D'autres informations pertinentes auraient-elles pu être communiquées ? Je n'en suis pas certain. Je n'ai pas entendu beaucoup d'informations utiles hormis que le feu était contenu, que tout était fait pour l'éteindre et que la situation était compliquée vu la grande quantité de matériaux qui brûlait. C'était une journée d'attente.
Dans notre société de surinformation, on explique que l'on ne sait pas, mais qu'il faudrait faire ceci ou cela. Moi, je suis convaincu que c'est l'unité de commandement qui doit dire ce qu'il faut faire. Le préfet aurait dû - il l'a dit et répété - informer plus tôt les maires par le système Gala. Moi, il m'a informé à 6 heures du matin avec un message qui tenait en deux lignes.
Sur les exercices, il existe des choses dans les écoles, dans certaines entreprises, dans des communes situées à proximité de sites de cette nature. À ma connaissance, à l'échelle des grandes agglomérations, il n'y a aucun exercice organisé.
Nous allons devoir nous en tenir là. Je vous rappelle que nous vous avons adressé préalablement à cette audition un questionnaire, que vous semblez découvrir. Nous espérons une réponse écrite. Je vous indique également que d'autres demandes de documents complémentaires ont été formulées au cours de l'audition, notamment par M. Dantec. Nous vous invitons à nous adresser tout document qui pourrait nous être utile dans les semaines qui viennent, notamment sur la question importante du réseau public de sécurité d'incendie et de secours sur la métropole que vous présidez ou sur tout autre sujet qui pourrait être utile à nos travaux. Nous attendrons ces documents avec intérêt. Je vous remercie.
Nous poursuivons nos auditions en accueillant ce matin trois représentants de communautés de communes du pays de Bray, zone hors métropole de Rouen impactée par le panache à la suite de l'incendie de l'usine Lubrizol. Nous avions aussi invité les représentants de la communauté de communes des Quatre Rivières qui n'ont pas pu être là ce matin, mais que nous entendrons ultérieurement. Nous accueillons M. Herbet, président de la communauté de communes Inter-Caux-Vexin, M. Lucas, vice-président de la communauté de communes Bray-Eawy, et M. Roussel, président de la communauté de communes interrégionale Aumale-Blangy-sur-Bresle, dont le périmètre déborde sur les Hauts-de-France.
Dès que notre commission d'enquête a été constituée, nous nous sommes rendus à Rouen, car il nous paraissait important d'être sur le terrain, de rencontrer les acteurs de cet accident, aussi bien dans l'entreprise qu'en dehors. Nous avons eu l'occasion de vous rencontrer lors d'une table ronde organisée à la préfecture. Elle réunissait les élus de la métropole, vous-mêmes ainsi que des responsables professionnels et associatifs.
Nous avons souhaité vous entendre plus longuement, car vous aviez manifesté votre mécontentement sur des sujets importants : la gestion de la crise, l'information qui ne vous a pas été diffusée, les dangers encourus par vos communes et vos populations et sur lesquels vous n'avez pas été informés comme vous auriez dû l'être et les fermetures « anarchiques » d'établissements scolaires.
Je vais vous laisser la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes et, ensuite, les rapporteurs et les membres de la commission pourront vous interroger.
Ce fut effectivement une catastrophe hors norme qui a nécessité une gestion de crise très particulière pour un territoire périurbain en frange nord de la métropole comme le nôtre, avec 64 communes de 300 à 5 000 habitants.
Notre territoire est très impacté, car il est majoritairement composé d'exploitations agricoles ou de productions maraîchères, et nous avons vécu cet accident comme une véritable tragédie. L'impact est très fort pour notre intercommunalité. Au-delà du préjudice environnemental qui est avéré, nous subissons un préjudice d'image et surtout un préjudice de confiance de la part des consommateurs pour nos productions locales. Il y a encore quelques semaines, les filières courtes et les produits bio représentaient un gage de qualité. Désormais, les producteurs locaux et les petites productions particulières sont confrontés à une forme de rejet, c'est assez compliqué à vivre pour un territoire comme le nôtre.
C'est en effet une catastrophe hors norme et les élus ont été avertis assez tardivement par la préfecture. Je crois que nous avons reçu le message transmis par le système Gala le 26 septembre à 14 h 27, alors que l'incendie avait commencé la nuit précédente. Heureusement France Bleu a pu nous informer. Les sirènes n'ont sonné que vers 8 heures. Les enfants et les parents étaient déjà partis à l'école : à un moment où l'on parle de se confiner, cela pose quelques interrogations. J'ai l'impression que nos administrations ne semblent pas suffisamment préparées et les agents suffisamment formés aux réactions qu'il faut avoir dans ce genre de situation.
Cet accident porte atteinte à l'image de notre région. Au niveau de la communauté de communes, nous travaillons sur le tourisme. Quelle image va avoir, désormais, notre région ? Je crois qu'il faut faire évoluer le dispositif, car nos concitoyens s'interrogent. Nous sommes dans une région où il y a sept sites Seveso, avec deux centrales nucléaires. Quelle aurait été la démarche de l'État si l'une des centrales nucléaires avait posé problème ? Il faut réfléchir en amont avec les élus. Ils sont trop souvent laissés sur le bas-côté de la route.
Les élus et la population sont préoccupés par la santé de chacun. Il ne faut pas croire que le nuage de l'incendie était totalement inoffensif. Quel sera le suivi médical ?
Sur le plan écologique, comment les dépôts de suie vont-ils être éliminés des cultures ?
Sur le plan économique, les produits alimentaires de notre région vont être boudés. Quand les agriculteurs et les maraîchers seront-ils indemnisés ? L'avenir de certains d'entre eux semble bien compromis.
Pour accompagner notre nouveau développement touristique, le pays de Bray travaille à la mise en place d'un parc naturel interrégional (PNR) avec les Hauts-de-France. Quel sera son avenir après cette catastrophe et alors que notre région risque d'être boudée ?
Nous menons actuellement une étude de valorisation de nos produits locaux, qui nous a coûté 50 000 euros. Comment les valoriser après cette catastrophe ?
La communauté de communes Aumale-Blangy-sur-Bresle comprend des communes des Hauts-de-France : cinq d'entre elles sont concernées par l'incendie de Lubrizol et ont été inscrites sur l'arrêté. J'ai rencontré les élus de ces cinq communes et tous avaient été prévenus à 14 heures. Seule la commune de Critot, située à la limite de l'Oise, avait perçu des suies noires, mais son maire a su prendre ses dispositions. Les élus, malgré leur affolement au départ, ont été disciplinés et nous ont indiqué que l'État les avait bien prévenus.
Je vous remercie pour vos témoignages. Le Gouvernement a annoncé une enquête de santé pour mars 2020. Vous qui avez une proximité avec les populations, pensez-vous que cela correspond à leurs attentes ? L'inquiétude vous semble-t-elle perdurer ? Quel est votre ressenti de terrain sur ce sujet sanitaire ?
Nous avons reçu énormément de sollicitations. Durant la situation de crise, nous étions en mairie. À Quincampoix, par exemple, j'ai reçu plus de 38 personnes qui venaient nous interroger sur les impacts et les aspects sanitaires. Les craintes concernaient principalement la qualité de l'eau et celle des produits issus des potagers. Quelques femmes enceintes étaient effrayées et deux d'entre elles ont préféré quitter la région.
J'ai effectivement le sentiment que l'aspect sanitaire a été crucial. Les personnes s'interrogent sur les types de polluants qu'elles ont respirés, sur leurs effets dans la durée et sur l'apparition éventuelle de pathologies. J'ai eu l'occasion de répondre à leurs questions, car je suis directeur de l'eau à la métropole de Rouen.
Les annonces faites par le Gouvernement en matière sanitaire sont-elles de nature à rassurer la population ?
Je crains que cela ne suffise pas. Il y a une défiance à l'égard des élus, de la parole publique et politique. Le maire est peut-être moins concerné. Le modeste maire que je suis a pu apaiser certaines situations. Sur le terrain, il me semble qu'il existe un décalage entre ce qui est annoncé par nos dirigeants et ce que vit la population au quotidien.
Nous en sommes convaincus. À votre avis, y aurait-il des mesures ou des informations qui permettraient à cette parole publique d'être crue davantage ? Qu'attendent les gens pour ne plus avoir le sentiment qu'on leur raconte des histoires ?
Les habitants demandent une information simple, cela ne signifie pas simpliste. Il suffit de leur donner des éléments factuels sur la qualité de l'eau, des sols, des prélèvements. Le 26 septembre au soir, un hélicoptère de la sécurité civile s'est posé sur notre terrain de football pour venir faire des prélèvements. Dès que j'ai eu les résultats des analyses, je les ai communiquées, et cela a calmé le jeu.
Sauf à imaginer la théorie du complot et à remettre en question les analyses produites par l'Agence régionale de santé (ARS) - dans ce cas, il faut vivre sous cloche -, les faits rationnels et les éléments concrets rassurent. La population en a besoin.
Lorsque le maire relaie la parole publique, il a alors une crédibilité qu'il n'a pas autrement.
Vous avez parlé d'une « catastrophe hors norme ». Le maire de Rouen, après avoir évoqué, quelques jours après l'incendie, une « catastrophe nationale », parle maintenant d'un « accident impressionnant ». Saviez-vous que le préfet avait autorisé l'augmentation de stockages sans avoir diligenté une enquête environnementale au préalable ? Enfin, ne faut-il pas voir dans l'assouplissement de la réglementation, avec le développement de l'autocontrôle par les industriels et le relèvement des seuils, la marque d'un affaissement de l'État, qui est pourtant responsable de la sécurité, tout comme l'industriel l'est des risques de son usine ?
Nous avons appris l'autorisation du préfet bien après, comme beaucoup de personnes. On peut effectivement s'étonner de cette décision. Lorsque j'ai voulu étendre la zone d'activité dans ma commune, on m'a demandé une étude d'impact environnemental, alors que l'extension était inférieure à 10 hectares... J'ai un peu le sentiment qu'il y a deux poids deux mesures. Certaines décisions préfectorales devraient faire l'objet d'une meilleure information. Lorsque quelqu'un fait un feu dans son jardin pour brûler des branches de bois, il arrive que des voisins m'appellent pour s'inquiéter des risques de pollution... Je suis donc surpris que l'on ait délivré cette autorisation sans étude préalable, alors qu'il s'agissait d'un site Seveso, potentiellement à risque, en pleine agglomération...
J'ai parlé d'une « catastrophe hors norme » pour signifier le caractère extraordinaire de l'événement. J'avais été très étonné d'entendre le préfet, le 26 septembre, affirmer qu'il ne s'agissait pas d'une pollution aiguë, même s'il est toujours difficile en période de gestion de crise de trouver les termes justes.
Pourtant, il s'agit bien d'un événement extraordinaire, donc hors norme. Nous n'avions pas été informés de l'autorisation d'augmenter la capacité de stockage. Mais en cas de stockage supplémentaire, il faut accroître les moyens de lutte contre les incendies.
Mais on ne peut stocker les mousses anti-incendie très longtemps, car l'émulseur ne se conserve pas. Êtes-vous inquiets pour l'avenir ?
Je fais confiance aux autorités et à la parole publique. Pour l'instant, je reste vigilant, mais serein.
Vous avez été informés de l'incendie à 14 h 25 par le système Gala. Quels contacts avez-vous eu ensuite avec les services de l'État pour connaître les mesures à prendre dans vos communes et savoir quelles informations donner aux habitants ? Comment vous a-t-on accompagnés ?
J'ai reçu par mél une petite circulaire précisant les mesures à prendre. Nous l'avons diffusée via Facebook ou par le biais de messages SMS, car il n'est pas toujours facile de communiquer dans les petites communes.
À titre personnel, je n'ai pas reçu l'information du système Gala, car ma commune faisait partie des treize communes directement concernées. J'ai été appelé à 6 h 41 du matin. Ensuite, toutes les heures, nous sommes allés à la pêche aux informations auprès des services préfectoraux pour savoir s'il fallait prendre des mesures de confinement et savoir que faire avec les animaux dans les exploitations : le jour venait de se lever, la traite venait de s'achever. Par prudence, nous avons d'abord préconisé à la population de rester chez elle. Le plus compliqué a été d'obtenir des informations précises sur les modes de nettoyage de nos installations : nous aurions spontanément voulu utiliser de l'eau à haute pression, avec des karchers, mais nous avons reçu des informations contradictoires et nous avons dû nettoyer à grande eau et avec des balais, ce qui n'était pas simple dans une commune avec trois écoles et des espaces publics étendus.
Tout d'abord, merci, monsieur le président, d'avoir invité trois présidents d'intercommunalités qui ne sont pas, par nature, concernés au quotidien par la gestion d'établissements Seveso. Il était en effet, a priori, inimaginable que l'intercommunalité de Christian Roussel, située à 80 kilomètres de Rouen, soit affectée un jour par un incendie dans cette ville !
Rétrospectivement, de quels éléments avez-vous manqué de la part de l'État pour répondre aux interrogations légitimes de vos administrés ?
Il me semble qu'en tant que maire j'ai eu suffisamment d'informations. Nous avons été tenus informés régulièrement et je pense que je n'ai pas manqué d'éléments ni de réponses aux questions que j'ai posées, du moins compte tenu du contexte de gestion de crise : dans un tel contexte, il n'est pas concevable qu'à 6 ou 7 heures du matin nous puissions avoir déjà des réponses à toutes les questions. Toutefois, il m'a semblé que l'information avait été peut-être mieux diffusée au niveau des communes que de l'intercommunalité. Mais nous sommes tous élus du même territoire, nous sommes solidaires, et un réseau citoyen s'est vite mis en place pour échanger les informations.
Les maires de ma communauté de communes estiment qu'ils ont reçu une bonne information de la préfecture et de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Ils observent une crainte de la part de la population sur la transparence au niveau des conséquences environnementales et espèrent qu'un suivi de la qualité de l'eau sera réalisé périodiquement. On s'était aussi organisé au niveau de la communauté de communes. Nous avions, par exemple, récupéré les données des syndicats d'eau pour les transmettre aux maires afin qu'ils puissent informer leurs administrés. Mais il est vrai que nous étions dans un territoire moins directement concerné que mes collègues.
Monsieur Herbet, vous êtes directeur du service de l'eau de la métropole de Rouen : estimez-vous que le système de défense anti-incendie était suffisant ? Serait-il utile d'installer à quai un bateau-pompe pour mieux lutter contre les incendies ? Que sont aussi devenues les eaux utilisées pour éteindre l'incendie et les eaux de lavage des rochers et des berges ?
La vocation première d'un réseau d'alimentation en eau est de produire de l'eau potable et de la distribuer ; la lutte contre l'incendie est accessoire, on peut le regretter, mais c'est ainsi. Les demandes et les besoins techniques sont d'ailleurs totalement contradictoires : un réseau d'alimentation en eau publique a besoin d'un débit modéré, avec une pression forte ; à l'inverse, les pompiers ont besoin d'un gros débit, avec une pression faible. Il aurait donc fallu un réseau de très gros calibre pour pouvoir lutter contre ce type d'incendie. Or, la réglementation sanitaire exige que l'eau circule. Un bateau-pompe pourrait être utile, car il pomperait l'eau dans le fleuve. Cela semble un dispositif adapté pour éteindre un feu industriel en centre-ville. J'ajoute que, pour éteindre l'incendie, il a fallu consommer 50 000 mètres cubes d'eau du réseau public, soit l'équivalent de dix poteaux incendie fonctionnant en simultané ! Les réseaux d'eau de la métropole sont suivis en permanence, 24 heures sur 24. Les relevés montrent que nous n'avons jamais manqué d'eau lors de la crise.
J'ai bien entendu vos réponses sur les informations que vous avez reçues des autorités pendant la crise. Mais qu'en sera-t-il sur la durée ? Les enquêtes de santé vont être menées sur la base de prélèvements dans les sols. Leurs résultats sont attendus pour le 15 janvier. Des prélèvements ont-ils déjà eu lieu sur vos territoires ? Quelles informations avez-vous de la part de l'État et de Santé publique France ? Que se passera-t-il en cas de pollution ?
À ma connaissance, aucun prélèvement n'a été effectué sur le territoire de ma commune. Ma commune n'est normalement pas touchée, mais d'autres de la communauté de communes le sont. En tout cas, pour le moment, nous n'avons eu aucune information à ce sujet.
Je suis informé, car j'ai été convié dès le début au comité pour la transparence et le dialogue. Il serait souhaitable que nous puissions obtenir pour les analyses de sol le même suivi sanitaire et les mêmes informations que nous avons pour l'eau potable. J'ai compris que les délais seraient plus longs pour les analyses de sol parce qu'il est plus difficile d'extraire les molécules recherchées du sol que de l'eau. J'espère toutefois qu'un suivi sera organisé pendant plusieurs années, afin d'être sûr qu'il n'y a pas eu de pollution.
Si je vous comprends bien, il y a toujours eu de l'eau dans le réseau, mais celui-ci n'est pas dimensionné pour faire face à un incendie de ce type ?
Pour distribuer de l'eau potable, on a besoin d'une pression forte, tandis que, pour éteindre un incendie, il faut un débit fort. Cela signifie que, dans un réseau de distribution, les tuyaux doivent être de diamètre modéré parce que l'eau ne peut pas rester dans le réseau pendant plus de 48 heures, délai au-delà duquel elle perd ses qualités organoleptiques et devient non potable ; le réseau d'eau potable doit donc faire circuler rapidement l'eau produite. À l'inverse, les pompiers ont besoin de grandes quantités d'eau, donc de très gros tuyaux. Mais si l'on employait de tels tuyaux dans le réseau d'eau courante, l'eau stagnerait et deviendrait non potable.
Il faut donc en conclure que l'étude de danger concernant l'usine Lubrizol a bien tenu compte du fait que l'état du réseau et des bornes incendie proches ne permettrait pas de répondre à un incendie majeur ?
Sans doute. Nous donnons les informations techniques sur notre réseau d'eau potable, le débit que l'on peut fournir. Au-delà, il appartient à l'industriel de prévoir les bâches à eau pour constituer des réserves d'eau en cas d'incendie. Pour éteindre le feu, il a fallu entre 1 400 et 1 500 mètres cubes à l'heure, soit l'équivalent de plusieurs piscines olympiques ! Le réseau public n'aurait pas pu fournir un tel débit.
Vous avez dit que l'État vous avait fourni les informations globalement de manière satisfaisante, mais, en même temps, vous avez dit aussi que vous aviez passé la matinée à réfléchir à la nécessité d'un éventuel confinement. Il y a donc une petite contradiction : on a l'impression que vous vous êtes sentis seuls à certains moments... Pourtant, selon vous, le préfet vous a informés de manière satisfaisante. Pourriez-vous nous éclairer ?
Ma seconde question concerne le suivi épidémiologique. Il vous importe de pouvoir rassurer les populations. Vous êtes-vous concertés entre intercommunalités, notamment avec la métropole de Rouen, pour définir vos demandes de suivi épidémiologique ?
Nous sommes un peu surpris que vous estimiez avoir été suffisamment informés par la préfecture parce que les retours que nous avions eus jusque-là indiquaient plutôt l'inverse.
Je pense qu'il y a eu, au démarrage de l'incendie, jusqu'à ce que les sirènes retentissent, un petit retard pour bien informer les élus, car nous n'avons reçu le message qu'à 14 h 27. Ensuite, la préfecture a diffusé des messages, avec quelques petites contradictions, il est vrai... Il est possible que certaines communes, comme celles de la communauté de communes Inter-Caux-Vexin, aient reçu plus d'informations, parce qu'elles faisaient partie d'un réseau, mais tout n'est pas clair à cet égard.
En ce qui concerne le suivi épidémiologique, nous avons eu l'occasion de nous concerter et d'échanger entre intercommunalités situées à la frange de la métropole. Dès que nous possédons une information, nous nous la communiquons. Mais nous n'avons pas encore eu de contacts à ce sujet avec la métropole.
Vous nous avez bien expliqué pourquoi les bornes incendie ne pouvaient que jouer qu'un rôle accessoire dans la lutte contre l'incendie. C'est un point important. Combien de temps faut-il pour que l'eau du réseau puisse être contaminée par des polluants infiltrés dans le sol ? Enfin, on parle beaucoup des points négatifs, mais pourriez-vous nous dire aussi ce qui a bien fonctionné ? Quels points positifs retenir ?
Il s'écoule entre 24 et 72 heures entre le moment où l'eau sort de l'usine de production et arrive dans le robinet. Le 26 septembre, nous consommions l'eau produite le 24 ou le 25 septembre. En Normandie et en Seine-Maritime, les aquifères sont relativement peu profonds, mais protégés par des couches de terre ou de limon. L'inertie du sol, c'est-à-dire le délai pour que la goutte d'eau qui tombe sur le sol parvienne dans la nappe phréatique, est de quelques mois ou plusieurs années. Par sécurité, il conviendrait donc de réaliser un suivi de la qualité de l'eau brute avant traitement pendant plusieurs années.
L'eau potable est le bien de consommation le plus contrôlé en France. Chaque jour l'eau est contrôlée et l'eau est parfaitement potable. Dès 6 heures du matin, j'ai reçu une demande de l'Agence régionale de santé (ARS) de confiner les réservoirs d'eau potable, de les placer sous cloche. Il ne pouvait donc plus y avoir de pénétration de suie ni de fumée dans les réservoirs. Je n'évoque pas non plus les canalisations qui sont situées à 1,50 m sous terre ; elles sont sous pression. Il était donc impossible d'avoir une contamination du réseau.
Élus, nous sommes habitués à la réglementation qui nous oblige à prévoir de l'eau suffisante pour éteindre un incendie. Il s'agit seulement d'un débit de 60 mètres cubes par heure... Les poteaux d'incendie ne pouvaient pas suffire. Je suis favorable à la présence d'un bateau-pompe, comme il en existe ailleurs, à condition qu'il soit financé par les industriels. Mais quoi qu'il en soit, pour éteindre les feux d'hydrocarbures, il faut utiliser de la mousse et la question des émulseurs reste entière.