Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur.
Monsieur le ministre, notre commission d'enquête, qui a été créée à l'unanimité des présidents des groupes politiques et des commissions, a un double objectif, à la fois évaluer la gestion de la catastrophe et ses conséquences mais aussi proposer, si nécessaire, des modifications de la réglementation et de la législation applicable aux installations classées. C'est donc à l'aune de ce double objectif que nous vous recevons aujourd'hui.
Monsieur le ministre, vous vous êtes rendu à Rouen le lendemain de la catastrophe. D'autres ministres l'ont fait également. La multiplication de paroles ministérielles qui n'allaient pas toutes dans le même sens a contribué à donner un sentiment de cacophonie et a posé la question de la réalité des affirmations qui étaient avancées. Cela soulève aussi celle de la communication lors d'événements de ce type et, sans doute, de la nécessité de faire en sorte qu'elle soit mieux coordonnée.
Nous aimerions vous entendre sur la gestion des événements dans le cadre de vos compétences ministérielles. Nous nous sommes rendus à Rouen dès la constitution de la commission d'enquête. Nous avons rencontré le préfet, les services de l'État. Nous auditionnerons demain le préfet de région mais, lors de nos entretiens, il nous a semblé que ce dernier avait été bien seul - c'est sans doute lié à la nature de ses fonctions - au moment de prendre les décisions les meilleures possible. L'organisation des centres décisionnels en cas de crise industrielle de ce type ne devrait-elle pas être revue sur ce point afin que le préfet, en pareille situation, puisse s'appuyer sur une structure de conseils dédiée ?
Nous avons également été surpris, lors d'auditions précédentes, de constater que l'instruction gouvernementale du 12 août 2014, relative aux accidents impliquant des installations classées, qui avait été mise en oeuvre à la suite d'un précédent incident chez Lubrizol en 2013, est assez méconnue des préfets et demeure en quelque sorte lettre morte. Nous aimerions connaître votre appréciation sur l'application de cette instruction et sur la nécessité éventuelle de la faire évoluer.
Quel est par ailleurs votre sentiment sur les dispositifs d'alerte ? On a du mal à comprendre qu'ils soient si peu adaptés aux nouvelles technologies. La proposition de notre collègue Vogel, qui a suggéré à plusieurs reprises la mise en place d'une diffusion cellulaire (cell broadcast), a reçu un accueil mitigé de la part des responsables publics. On en est toujours au système des sirènes.
Enfin, selon un article du journal Le Parisien du 9 octobre, Laurent Nunez, secrétaire d'État, a déclaré - je le cite - que « deux ou trois équipages [...] n'étaient pas forcément équipés » au moment de l'intervention. Les forces d'intervention (pompiers, policiers) n'auraient-elles pas dû intervenir ? N'étaient-elles pas bien équipées ?
Certains policiers auraient par ailleurs souffert de problèmes de santé à la suite de leur intervention. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est ?
Je me dois de vous rappeler que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous demande de prêter serment.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christophe Castaner prête serment.
Je vous remercie.
Vous avez la parole.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je voudrais revenir en quelques minutes sur les faits tels que nous les avons vécus et perçus, en disant bien évidemment toute la vérité, mais aussi avec la subjectivité de celui qui n'était pas sur le terrain à ce moment-là, même si je me suis rendu sur place.
Chacun l'a en tête, dans la nuit du 25 au 26 septembre, à Rouen, un incendie important est survenu dans une usine sensible, Lubrizol, qui disposait en son sein de produits chimiques spécialisés liés à son activité, qui est de produire des additifs pour lubrifiants.
C'est un incident grave, un incendie de grande ampleur, qui a mobilisé pendant près de douze heures près de 300 sapeurs-pompiers de Seine-Maritime et des départements voisins. Grâce à l'intervention rapide et efficace du préfet et des sapeurs-pompiers, accompagnés par nos forces de sécurité intérieure en tant que de besoin, le feu a pu être circonscrit le plus rapidement possible. On n'a déploré aucun mort, aucun blessé. C'est une prouesse et un soulagement. Il est important de le rappeler, car c'est aussi la preuve de l'efficacité de notre modèle français d'intervention, d'anticipation et de gestion.
En commençant mon intervention, je pense évidemment aux sapeurs-pompiers qui ont combattu cet incendie. Je veux les saluer, comme l'a fait d'ailleurs le Président de la République lorsqu'il s'est rendu à Rouen, le 30 octobre.
Je pense aussi aux réactions rapides et avisées du préfet et de ses services, même si je ne prétends pas que tout a été parfait. C'est d'ailleurs tout l'intérêt du regard que vous portez sur ce qui s'est passé. Il nous permettra d'être éclairés, de constater des dysfonctionnements s'il y en a eu, et de les corriger. J'ai bien compris que c'est la philosophie qui est la vôtre.
J'insiste sur la mobilisation et les choix qui ont été faits par le préfet, ses services et ses équipes. Je crois que c'est grâce à ces choix et à cette mobilisation qu'un incident qui aurait pu être infiniment plus grave a été évité.
Il n'empêche que je ne veux pas évacuer les questions que vous posez, qui sont parfaitement légitimes. Cela nous a conduits aussi à nous interroger - et nous nous interrogeons encore - sur la gestion de crise, son anticipation, et les suites qui y ont été données. Nous nous posons également des questions sur les responsabilités de l'entreprise, qu'il ne faut pas négliger, et les conséquences que cet incendie a sur la population.
Notre but collectif doit être de comprendre, non de minimiser les choses ou d'effrayer la population. C'est ce à quoi je vais m'employer, en vous livrant le récit précis, tel que j'ai pu le vivre ou tel qu'il m'est remonté.
À 2 heures 42 du matin, le jeudi 26 septembre, un incendie s'est donc déclenché. Étant donné la nature de la crise, et comme c'est habituellement le cas dans ce genre de circonstances, un centre opérationnel départemental a été ouvert à 3 heures 45 du matin. Il s'agit d'un outil de gestion à disposition du préfet en cas d'événement majeur. Celui-ci a permis aussi que le préfet décide, à 5 heures 25, d'activer le plan particulier d'intervention (PPI). Ce dispositif adapté a permis de définir l'organisation des secours face à un incident sur un site représentant une densité particulière pour l'environnement et les populations.
Non, le préfet n'a pas été seul. Il a été accompagné par le Centre opérationnel départemental (COD), par tous les acteurs et tous les services mobilisables dans ces cas-là, mais aussi par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et, bien évidemment, par le ministre et son cabinet.
Certains outils d'anticipation et de gestion de crise, comme les PPI, ont également été utilisés. Ils offrent la possibilité de connaître les risques ainsi que la nature des produits susceptibles d'être présents sur le site. Ce sont des informations précieuses, qui ont d'ailleurs permis l'organisation de l'intervention des pompiers, placée sous l'autorité de leur colonel.
Leur intervention s'est déroulée pendant environ douze heures sans discontinuer. À 10 heures 55, le feu était circonscrit. À 13 heures, il était maîtrisé et, à 15 heures, il était éteint.
Par ailleurs, au-delà des SDIS de la zone, la réaction de l'ensemble du ministère a été immédiate. Sous la responsable du directeur général de la DGSCGC, nous avons mis en place le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), qui a permis de coordonner l'envoi de renforts nationaux, notamment de deux hélicoptères de la sécurité civile, et de moyens en émulseurs issus de cinq départements, que nous avons pu mobiliser très vite.
Un certain nombre d'informations ont circulé concernant des ruptures d'eau dont auraient été victimes les sapeurs-pompiers pendant leur intervention. Il faut préciser que, selon les éléments qui me sont rapportés, une rupture d'eau a effectivement eu lieu chez l'exploitant. Une enquête administrative est en cours pour en comprendre les raisons. Cependant, je dois préciser que, grâce au pompage dans la Seine, il n'y a pas eu de rupture d'eau dans le traitement de l'incendie. Je sais que cette question a été abordée lors de vos auditions, ainsi que la question de la taille des dispositifs de sécurité. C'est un vrai sujet, mais je voudrais tordre le cou à cette rumeur, portée à ma connaissance lorsque j'étais sur place. Dans un premier temps, nous ne disposions que d'un bateau pour réaliser le pompage. Très vite, nous en avons fait venir un deuxième pour disposer d'une solution en cas d'incident.
J'ajoute que nous n'avons manqué à aucun moment de solution moussante et que, très vite, les barrages flottants installés dans le cadre du plan pollution maritime (Polmar), ainsi que j'ai pu le vérifier sur place, ont permis d'empêcher une pollution importante de la Seine, que chacun pouvait craindre et dont les effets auraient été redoutables.
Au total, 11 000 mètres carrés ont été détruits sur 140 000 mètres carrés. Les bâtiments administratifs et les outils de production ont également été préservés. C'est un lourd bilan, certes, mais je veux saluer ici l'efficacité de ceux qui sont intervenus. La totalité du site pouvait s'embraser. Un suraccident par effet domino, du fait de la proximité d'autres sites industriels, a été évité.
Tout au long de l'incendie, un épais nuage de fumée noire s'est formé et s'est propagé. Il nous est apparu immédiatement que nous devions connaître la nature des particules contenues dans ce nuage et leur éventuelle dangerosité pour les populations. Un réseau de mesures a donc été immédiatement mis en place par les sapeurs-pompiers sur 26 points, dans l'axe de propagation du panache de fumée.
Dès 4 heures 02 du matin, le SDIS a indiqué qu'il était nécessaire de veiller au confinement des personnes fragiles, et notamment de fermer certains établissements scolaires. Les directeurs d'établissements ont été contactés. Dès 5 heures 55 du matin, l'envoi du laboratoire mobile de la sécurité civile a été décidé par la centrale. Celui-ci est situé à Nogent-le-Rotrou. Preuve de l'engagement et de la mobilisation complète du ministère, un autre appareil, détenu par le laboratoire central de la préfecture de police, a été envoyé sur place. Ils sont arrivés dans la matinée, un peu après ma propre venue.
Ces laboratoires mobiles ont procédé à l'analyse des prélèvements réalisés par les sapeurs-pompiers pendant les opérations et ce jusqu'au vendredi. D'autres analyses, que vous avez en tête, se sont poursuivies, mais ne relèvent pas du ministère de l'intérieur. Les résultats ont mis en évidence la présence, dans les fumées de l'incendie, d'hydrocarbures aromatiques polycycliques et de composés organiques volatils et soufrés. Les concentrations de ces composés, présents généralement dans les émissions de gaz d'échappement automobiles, ne dépassaient pas les seuils d'un pic de pollution urbain.
Notre vigilance s'est maintenue, et le préfet a pu compter sur le soutien permanent de tout le ministère. Le COGIC a en particulier renforcé son organisation dans la nuit et l'a maintenu tout au long de la journée, en tant que de besoin, pour accompagner le préfet.
Les zones de défense et de sécurité nord et ouest ont également été sollicitées afin d'évaluer les impacts possibles de l'incendie sur leurs territoires respectifs, dans le souci commun de protection des populations.
Enfin, le COGIC a permis d'assurer la bonne circulation de l'information en interministériel. Je veux également signaler que les sapeurs-pompiers disposaient de moyens de protection adaptés lors de leur intervention et qu'ils bénéficient aujourd'hui d'un suivi sanitaire très rigoureux. C'est également le cas des fonctionnaires de police intervenus dans un rayon de 500 mètres autour du sinistre. Quelques équipages, qui n'étaient pas équipés pour intervenir sur le site, l'ont très vite été grâce à des masques de protection.
J'en viens à la question de l'information des habitants et des élus. Le code de la sécurité intérieure n'impose pas de médias précis pour ces informations. L'idée est simple : il s'agit de laisser au préfet le choix de l'information la plus adaptée et du média le plus adapté. Le préfet a fait le choix d'une information par la radio dès 5 heures 45 du matin, et de ne pas actionner immédiatement les 31 sirènes rouennaises. Je crois que vous lui avez posé la question : j'y reviendrai au besoin pour vous dire ce qui a conduit à ce choix.
Cette décision, je le sais, a pu prêter à débat, mais elle se fonde sur un diagnostic pragmatique de la situation. Pendant les heures qui ont suivi le début de l'incendie, l'important était que les populations restent confinées au maximum. Étant donné l'heure nocturne, le plus simple était de garder les populations à l'abri chez elles, plutôt que de risquer de créer des mouvements de panique dans toute la ville.
C'est donc un peu avant 8 heures que les deux sirènes les plus proches du site ont été actionnées, permettant de mettre en garde les populations et de confirmer les messages radio déjà transmis au sujet du confinement, qui n'était pas obligatoire, messages plus faciles à interpréter que des sirènes.
Les maires des douze communes concernées par le panache de fumée de 22 kilomètres de long sur 6 à 7 kilomètres de large ont été prévenus dès 7 heures 30 du matin. Plus tard dans la matinée, le préfet a fait le choix d'informer tous les maires du département, d'où ce sentiment pour certains, qui n'étaient pas concernés par le panache de fumée, qu'ils n'avaient pas été tenus au courant en même temps que les autres. Il s'agissait, compte tenu de la direction du nuage, d'un choix assumé par le préfet.
Les maires des communes concernées ont été directement informés dès 3 heures 30 par téléphone. Ceux de la cuvette rouennaise l'ont été ensuite, en fonction de l'orientation du vent, Nord-Est à ce moment.
Un plus tard, à 14 heures 22, Météo France n'étant toujours pas en mesure d'assurer avec certitude la trajectoire du panache de fumée, le préfet a choisi d'informer l'intégralité des maires du département, dans une seconde alerte, plus large, via le dispositif de gestion d'alerte locale automatisée (GALA).
En outre, dès la première journée, le préfet a réalisé cinq conférences de presse afin de viser une information complète et continue de la population.
De mon côté, je me suis rendu sur place le jour même, au moment où le feu n'était pas encore totalement maîtrisé, entre 11 heures 15 et 14 heures 30. J'ai souhaité apporter mon soutien aux forces de sécurité civile et aux populations, mais aussi à l'ensemble des services de l'État, qui étaient mobilisés à la préfecture, notamment pour répondre aux appels téléphoniques et aux demandes face aux légitimes inquiétudes des habitants.
J'ai fait part des premiers résultats d'analyse dont nous disposions, qui étaient rassurants, avant même de me rendre sur place. J'ai néanmoins appelé à la prudence et répété que l'inhalation de fumée présentait par principe des dangers.
Je souhaite également souligner combien cet événement a fait apparaître l'importance prise par les rumeurs et les fausses informations, qui se répandent sur les réseaux sociaux avec beaucoup plus d'efficacité que la parole publique. Je ne parle pas ici de celle des politiques, mais de nos institutions.
Une partie conséquente des informations relayées était erronée, voire inventée, et propice à effrayer les populations.
Toutes ces fantasmagories montrent bien toute la difficulté que nous avons aujourd'hui à communiquer face aux réseaux sociaux. Il est essentiel de rassurer. L'intérêt de votre commission d'enquête est aussi d'établir des préconisations à ce sujet. Je ne veux pas vous dicter vos orientations, mais c'est un sujet particulièrement important.
Je pense à une vidéo où l'on voyait de l'eau noire sortir d'un robinet. Elle a été visionnée plus de 1,5 million de fois. Ce qui est formidable, c'est que cette vidéo n'a strictement aucun lien avec l'incendie de l'usine Lubrizol. C'est extrêmement instructif pour la façon dont il conviendra, à l'avenir, de gérer la communication de crise.
Cette crise a été gérée en tenant compte des enseignements des accidents passés. Je pense à Sandoz-Bâle en 1987, à Rhône-Poulenc-Roussillon en 1985, à Protex en 1986 et, bien sûr, à AZF en 2001. Ces leçons du passé nous ont permis d'éviter des victimes ou un suraccident.
Néanmoins, le fait que la gestion de crise s'est déroulée dans les règles et que le préfet a pu bénéficier immédiatement de l'appui de tous les services de l'État ne doivent pas nous empêcher de nous appuyer sur notre retour d'expérience. Une mission interinspections va être lancée en ce sens. Elle nous permettra d'examiner ce qui a été fait et ce qui pourrait être amélioré.
La mission interinspections regroupe l'inspection du ministère de l'intérieur et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) du ministère de la transition écologique et solidaire. Comme toujours en pareil cas, nous ne la mobilisons pas à chaud. Elle sera désignée dans deux à trois mois.
Sans préjuger toutefois de ce qui sera dit et de ce que vous proposerez, il est important d'avoir en tête que certaines pistes pourraient être explorées. L'usage de GALA, qui permet d'informer les maires, pourrait être mieux encadré. Les protocoles pourraient être plus précis et fixés aux préfets.
Nous devons aussi envisager des alternatives aux sirènes et des solutions plus adaptées à la société actuelle. Vous avez évoqué, monsieur le président, la réflexion qui est d'ores et déjà engagée au sein du ministère de l'intérieur sur l'utilisation de cell broadcast, qui participe de ces solutions.
Mesdames et messieurs les sénateurs, voici en quelques mots une description précise des événements de la nuit du 26 septembre et de la journée qui a suivi.
Je voudrais apporter deux ou trois éléments de réponse à vos questions. La première concerne la circulaire du 12 août 2014. Elle porte sur la gestion post-crise et notamment sur le suivi par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Il revient au ministère de la transition écologique et solidaire de se prononcer sur ce sujet. Son objectif vise à faciliter le recours rapide au réseau d'expertise des DREAL. Les exploitants doivent aussi se doter d'une capacité indépendante pour effectuer les mesures dans l'air en cas d'émission exceptionnelle.
Je voudrais également vous apporter quelques précisions concernant la santé des policiers. Les trois premiers équipages qui sont intervenus ont été déployés très rapidement sur le site, après un appel au 17 reçu à 2 heures 40. Ils étaient présents à 2 heures 43, je crois, et ne portaient pas de masque à ce moment-là, d'où la remarque de Laurent Nunez. Toutefois, ils ne se situaient pas dans le périmètre des fumées et n'y ont donc pas été exposés directement, contrairement aux sapeurs-pompiers, qui étaient eux totalement équipés pour gérer ce type d'incendie.
La police s'est déployée sur dix-sept points, dont trois sur la rive droite de la Seine, à proximité de l'incendie. Les policiers ont été très vite équipés par les pompiers de masques de type FFP2. Comme les pompiers, tous ceux qui ont été mobilisés ont fait l'objet d'un accompagnement médical : 303 fonctionnaires de police concernés ont consulté le médecin de prévention, 228 bilans biologiques ont été prescrits, 150 résultats sont revenus. Seuls trois comportent des éléments non conformes aux moyennes, mais cela n'implique pas qu'ils soient liés à l'incendie de Lubrizol.
À ma connaissance, et dans le respect du secret médical, aucun fonctionnaire n'a eu un arrêt de travail en lien direct avec cet événement. Il s'est dit d'autres choses, mais je répète qu'aucun fonctionnaire n'a eu besoin d'un arrêt de travail. À ce jour, aucune déclaration de maladie professionnelle en lien avec Lubrizol n'a été enregistrée. Il est bien évidemment important que nous puissions accompagner chacun dans ces démarches.
Tous les sapeurs-pompiers qui ont participé aux opérations ont été dotés, dès le début de l'incendie, des équipements réglementaires de protection. L'ensemble des personnels a fait l'objet d'un suivi médical individualisé, avec un protocole spécifique. Près de 800 ordonnances de soins ont ainsi été délivrées sur place. Un suivi précis des comptes rendus d'examen a été réalisé. Quelques cas, de l'ordre de six, comportent des variations importantes par rapport aux normes. Nous ne savons pas si c'est lié à leur intervention sur le site de Lubrizol. Rien ne permet de l'écarter. Ils seront suivis mensuellement, car il est important que nous puissions répondre à cette dimension.
Merci, monsieur le ministre, vous nous avez dit que tout n'était pas parfait, mais votre propos laisse entendre que tout l'était néanmoins ! Nous aurons l'occasion de vous demander des précisions.
Par ailleurs, nous n'avons jamais dit qu'il y avait eu rupture d'eau. Toutefois, le préfet lui-même nous a indiqué que, pendant quatre heures, le débit d'eau avait été relativement faible, ce qui aurait retardé l'extinction de l'incendie. On nous a en revanche parlé d'un manque de mousse...
Je vous confirme la variation du débit d'eau, mais non la rupture de l'alimentation, que je n'ai d'ailleurs pas entendu évoquer ici.
Monsieur le ministre, vous avez pratiquement répondu à toutes nos questions par anticipation. Il en reste cependant, soyez rassuré !
Vous avez parlé d'une intervention rapide et efficace du préfet et employé les mots de « prouesse » et de « satisfaction ». Toutefois, le Livre blanc, en date du 5 novembre, de l'Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris) fait état d'une « communication de crise dépassée, avec des messages contradictoires et flous qui auraient généré la défiance de la population ». Qu'en pensez-vous ?
Vous avez parlé d'outils d'anticipation. La réglementation a été assouplie depuis quelques années. Ne pensez-vous pas que cet assouplissement, accompagné de l'autocontrôle exercé par les industriels et le relèvement des seuils, constitue une expression élégante pour parler de l'affaissement de l'État ?
Enfin, le risque zéro n'existe pas, chacun le sait. Pensez-vous que la France fasse cependant tout ce qu'il faut pour s'en rapprocher ?
J'ai bien relevé que les représentants d'Amaris ont regretté le manque d'articulation et de cohérence entre les PPI et les plans communaux de sauvegarde (PCS), ainsi qu'une faible association des collectivités aux exercices de crise organisés pour les établissements Seveso, considérant les messages comme contradictoires et flous. Ceci leur appartient. Ils peuvent estimer que leur expertise est supérieure à celles des personnes qui étaient sur le terrain, mais il est toujours beaucoup plus facile de commenter que de faire. Le préfet, à qui j'apporte tout mon soutien, était sur place dès le début du sinistre et dans les heures et les jours qui ont suivi pour porter un message. Il est intervenu à cinq reprises dès le premier jour. L'exercice de la communication est toujours difficile. J'étais sur RTL ce jour-là, et j'ai dit la chose suivante : « Au moment où je vous parle, la situation est maîtrisée » - je parlais de l'incendie. « Le panache de fumée fait 22 kilomètres de long sur six kilomètres de large. Comme tout panache de fumée, il porte en soi un certain nombre de particules, un certain nombre de produits qui peuvent être dangereux pour la santé mais, selon les premières analyses qui ont été réalisées dès cette nuit, et qui se sont poursuivies ce matin, il n'y a pas de dangerosité particulière même si, nous le savons, l'inhalation des fumées présentes a sa part de dangerosité. Un véhicule spécial a été déplacé depuis la place parisienne et des études complémentaires sur les particules sont en cours d'examen. Nous aurons des résultats dans les heures qui viennent ». Je pensais avoir été suffisamment prudent. Une heure et demie après, un débat s'engageait sur LCI sur le thème : « Peut-on, comme le déclare Christophe Castaner, dire qu'il n'y a aucun danger ? ». Chacun peut avoir un regard subjectif, mais je ne regrette aucun des mots que j'ai utilisés sur RTL. Je souhaitais éviter de paniquer les gens. On était sur un niveau de pollution équivalent à celui que l'on connaît avec les particules fines, qu'il n'est jamais bon d'inhaler. Je l'ai dit. Cela n'a pas empêché certains de dire que j'avais parlé de ces sujets avec légèreté.
À l'heure actuelle, on ne connaît cependant pas tous les effets de la combustion de ces 3 000 molécules.
C'est pourquoi, comme je l'ai dit, comme tout panache de fumée, celui-ci contient un certain nombre de particules et de produits qui peuvent être dangereux pour la santé.
Un certain nombre d'analyses complémentaires ont été réalisées. Je dirais donc la même chose. Il est important de s'exprimer en fonction des informations que l'on a.
Le danger lié aux fumées est écarté, puisqu'il n'y en a plus, mais les particules demeurent nocives pour la santé. Voilà la réalité. Un incendie n'est jamais bon, surtout de cette ampleur. Toutefois, grâce, aux pompiers et à la gestion des opérations, nous avons évité un risque bien plus grave.
Lorsqu'il s'exprime, le préfet doit, en fonction de l'analyse de risques, dire tout ce qu'il sait et jouer la transparence, ce qu'il a fait. On doit éviter d'alarmer la population et qu'elle ne quitte la ville, avec toutes les difficultés que cela peut induire. Il y a eu plusieurs périmètres, plusieurs niveaux d'information. Tout n'est pas parfait, je l'ai dit dans mon propos liminaire, mais je tenais à saluer la qualité de l'engagement de celles et ceux qui se sont impliqués.
La question de la simplification est une question qui ne relève pas du ministère de l'intérieur. Je ne me prononcerai donc pas sur ce sujet. Toutefois, les règles d'assouplissement ne se feront pas au détriment de la sécurité. Les DREAL poursuivent leur mission, définissent les modalités de contrôle, leur régularité, mais cela ne relève pas de mon ministère.
Enfin, peut-on considérer que la France fait au mieux ? Nous avons un très haut niveau en matière de sécurité civile. Ce n'est pas le ministre de l'intérieur qui le dit : je n'y suis absolument pour rien. Cela vient de l'ensemble de notre dispositif de sécurité civile et des retours d'expérience (RETEX), parfois dramatiques, qui éclairent le législateur et les différents opérateurs. La preuve a été faite que les expériences passées ont servi. J'en ai donné quelques exemples - la première catastrophe de Lubrizol, AZF, où l'on a déploré un nombre de morts bien trop élevé et des milliers de blessés. Nous devons être aujourd'hui dans une logique de RETEX permanente et améliorer systématiquement ce que nous pouvons.
Le risque zéro est théoriquement atteignable en mettant des niveaux de sécurité de plus en plus élevés. La question se posera un jour de savoir s'il faut garder des sites industriels à proximité des villes françaises. J'ai, comme vous, le souvenir de Bhopal. C'était alors le choix des pays industrialisés de faire produire tout ce qui était dangereux dans des pays en voie de développement. Nous devons assumer nos responsabilités dans leur globalité, protéger les populations et assurer également nos propres usages.
Monsieur le ministre, vous avez dit que l'incendie était de grande ampleur et qu'on pouvait se féliciter de l'intervention des pompiers, qui ont accompli un travail remarquable. Je partage votre avis. Les choses auraient pu être pires, mais je voudrais également rappeler l'action des salariés de Lubrizol, dont certains, qui se trouvaient à l'intérieur de l'usine ont, au péril de leur vie, mis à l'abri des fûts qui, s'ils avaient brûlé, auraient entraîné des conséquences bien plus importantes.
Je désire vous interroger sur le bilan que vous tirez des différents documents de planification conçus pour organiser la gestion des accidents - plan d'opération interne (POI), PPI, plan communal de sauvegarde (PCS). Selon vous, ces outils permettent-ils de réduire efficacement l'exposition aux risques technologiques et leur impact en cas d'accident ? Sont-ils actualisés et opérationnels dans tous les territoires exposés ? Lesquels pourraient être améliorés et comment ?
Par ailleurs, l'information du public sur les risques et les comportements en cas d'accident vous semble-t-elle suffisante ? Quel bilan dressez-vous des différents dispositifs existant en la matière - documents d'information communaux sur les risques majeurs (DICRIM), PCS, etc.
Enfin, même si les sapeurs-pompiers sont depuis quelques années bien mieux équipés, ils sont cependant confrontés à des incendies extrêmement violents qui dégagent des fumées très toxiques. Leur exposition à des maladies professionnelles est-elle reconnue ?
Cette dernière question doit être posée à chaque fois que nous demandons à des agents publics d'agir, quel que soit leur statut, leur employeur, etc. De la même façon, nous devons veiller à ce que les salariés à qui l'on demande de s'exposer à des risques soient protégés au mieux. C'est une question de matériel, mais aussi d'examen à long terme.
Une de vos questions porte sur le lien entre les fumées et les maladies chroniques que l'on peut rencontrer chez certains pompiers en fin de carrière. Avec les partenaires sociaux et un certain nombre d'experts scientifiques, nous avons mis en place un groupe de travail pour déterminer les conséquences que peut avoir une insuffisance de protection, que celle-ci remonte à dix ans, à cinq ans, à six mois. Il est nécessaire que nous reconnaissions cette réalité et qu'elle soit prise en compte par les employeurs, quels qu'ils soient. Nous travaillons actuellement ces questions sous l'autorité du directeur général de la sécurité civile et de la gestion de crise.
S'agissant de votre premier point, je m'en veux de ne pas avoir cité les salariés de Lubrizol qui, avec beaucoup de courage, ont pris des risques élevés et ont eu des comportements que l'on peut qualifier d'héroïques. Les sapeurs-pompiers m'ont affirmé, au moment où j'étais sur place, qu'il avait été possible de maîtriser la situation grâce à l'engagement de ces salariés. Les personnels de permanence de l'entreprise ont eux-mêmes évacué l'ensemble des conteneurs sensibles identifiés, alors que l'incendie montait fortement en puissance. Ils ont ainsi évité une catastrophe d'une tout autre ampleur.
C'est aussi le résultat d'un travail d'anticipation. Les documents qui nous permettent de préparer ces interventions sont très larges et très spécifiques lorsqu'il s'agit d'un site Seveso. C'est la connaissance du site et la localisation des produits qui a permis d'organiser l'attaque du feu pour laisser une partie du site brûler et faire en sorte de protéger celle qui présentait un risque supplémentaire. Je ne suis pas convaincu que nous aurions été capables de le faire il y a dix, quinze ou vingt ans.
Notre système progresse fortement. Est-il parfait ? Je suis bien incapable de l'affirmer, et ce serait présomptueux de ma part. Je ne pense pas que ce soit le cas, parce que la perfection n'existe pas face à un incendie ou un risque naturel. Nous devons tous faire au mieux compte tenu des probabilités. Nous construisons aujourd'hui des bâtiments en tenant compte du risque sismique, mais nous savons que nous ne sommes pas forcément armés face à un aléa exceptionnel.
À l'inverse, si nous devions construire en faisant référence à un aléa exceptionnel, nous ne construirions plus dans une grande partie du territoire. Les événements sismiques récents le démontrent, la gestion des crues aussi.
La planification de la gestion de crise d'événements industriels repose sur une triple dimension.
Tout d'abord, les POI sont à la charge de l'exploitant. C'est lui qui doit organiser la réponse interne en cas d'accident. Il existe des discussions sur le fait de savoir si l'incendie a trouvé sa source au sein même du site - ce n'est pas établi au moment où je vous parle. On est là sur une gestion interne du risque.
En second lieu, les PPI organisent quant à eux, sous l'autorité du préfet, la mobilisation et la coordination de tous les acteurs nécessaires à la gestion de crise lorsque celle-ci est susceptible d'avoir un impact sur les populations environnantes. On voit comment nous avons immédiatement mobilisé six SDIS et apporté sur site du matériel qui n'était pas présent.
Enfin, je ne suis pas convaincu que les PCS, qui organisent la réponse de proximité des communes en cas de crise, soient tous parfaits. J'ai été maire pendant seize ans et j'ai porté, en tant que président d'une communauté de communes, les DICRIM et les PCS pour l'ensemble de ces communes. J'ai le souvenir que cela suscitait un désintérêt total des maires, car c'est la communauté de communes qui s'en chargeait.
Ce dispositif à trois niveaux permet cependant la gestion opérationnelle, mais ne constitue pas des plans de prévention des risques. Il faut l'avoir en tête. On est en bout de chaîne.
Les POI sont obligatoires dans tous les sites Seveso seuil haut, comme ici, et leur existence est une condition sine qua non de l'autorisation administrative d'exploitation du site industriel.
Les PPI ont pour vocation de préparer les directeurs d'opération à répondre à toutes les situations de crise le mieux possible. On compte 678 établissements Seveso seuil haut. 92 % des PPI sont élaborés à ce jour, 59 plans sont en cours de rédaction, 37 établissements font l'objet de dispenses d'élaboration, comme le prévoit notre réglementation, en application de la directive européenne Seveso III lorsque le danger présenté par l'établissement ne présente aucun enjeu extérieur. Ils font l'objet d'une mise à jour régulière tous les trois ans, et doivent être suivis.
Les PCS constituent une création de la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004. Ils sont portés territorialement et gèrent l'alerte, l'évacuation préventive des personnes et leur mise à l'abri dans les gymnases. Il s'agit d'identifier les endroits où l'on va pouvoir trouver une protection, une douche, de l'eau.
Le rôle de l'État, des préfets et sous-préfets d'arrondissement est d'inciter les maires à mettre les PCS en place et à les tenir à jour. Ayant été maire, je connais la limite du système : nous savons tous que nous n'y portons pas une attention suffisante. J'ai demandé aux préfets ou aux sous-préfets de sensibiliser les maires à ce sujet.
Selon mes informations, 23 % des mairies concernées ne l'ont toujours pas fait. Cela touche parfois des communes qui présentent des risques technologiques. J'aurai l'occasion de demander aux préfets de mettre l'accent sur cette question. J'ai demandé à cette fin qu'une mission de l'Inspection générale de l'administration (IGA) porte sur les PCS.
Il existe peu de culture du risque en France. Il est donc nécessaire de la mettre en oeuvre, tant s'agissant des risques naturels que des risques technologiques ou industriels.
Notamment en matière de gestion des fleuves.
Monsieur le ministre, ma première concerne les produits dangereux que l'on trouve sur les sites classés Seveso. On a parlé des produits stockés, mais ils peuvent aussi faire l'objet d'un transport routier. L'entreprise a-t-elle des éléments spécifiques à signaler au préfet ou au maire concernant ces flux ? Le ministre, par l'intermédiaire du préfet, pourrait-il exiger des précisions concernant les prévisions en matière de transport ? Le préfet et le maire ont-ils connaissance de la fréquence de ces déplacements et de la dangerosité des produits transportés ?
Ma deuxième question concerne les PCS. J'ai longtemps été adjointe à la sécurité d'une grande ville frontalière du Nord. Il était alors difficile d'exiger que ce PCS, devenu aujourd'hui obligatoire, soit rigoureux. Les PCS sont-ils contrôlés et recensés ? Il n'est pas toujours évident d'obtenir des données précises et fiables. Le ministre pourrait-il donner des consignes quant au contenu des PCS, qui peuvent constituer un élément de prévention, a fortiori lorsqu'il s'agit de sites Seveso ?
Les questions relatives au transport ne relèvent pas du ministère de l'intérieur, mais de celui de la transition écologique et solidaire. Les maires sont informés d'un certain type de transport. Les seuls transports dans lesquels le ministère de l'intérieur est engagé, ce sont ceux dont nous assurons la sécurité, comme les déchets nucléaires, par exemple. Je n'ai pas d'élément de réponse sur ce point.
Concernant le PCS, j'ai partiellement répondu. Une évaluation de leur qualité est réalisée par les services de l'État : 23 % de communes n'en ont pas rédigé. Un guide méthodologique existe également. Chacun sait qu'on les sous-traite généralement à des prestataires privés, qui disposent des outils nécessaires. Sont-ils tous de bonne qualité ? Je n'en sais rien, mais les choses sont nettement mieux gérées en cas de sinistre.
Les produits issus des sites Seveso sont cependant extrêmement dangereux en termes de sécurité publique.
Je ne dis pas le contraire, mais cette réglementation relève du ministère de la transition écologique et solidaire. Je ne peux donc répondre dans le cadre d'une commission d'enquête. En outre, je ne dispose pas d'élément de réponse à vous fournir. On prétend que le ministre de l'intérieur sait tout, mais on n'est plus à l'époque des « notes blanches ». On est ici en dehors du champ ministériel qui est le mien.
Monsieur le ministre, il me semble que vous faites une confusion entre confinement et mise à l'abri. Il ne s'agit pas de se lancer dans un débat sémantique sans intérêt, mais chacun de ces termes correspond à des règles de sécurité strictes. Il convient d'avoir un retour d'expériences à ce sujet. Le préfet a commis la même erreur.
Vous avez également indiqué qu'un équipage, qui est intervenu à 2 heures 43, n'était pas dans le périmètre des fumées. Or compte tenu de l'heure de déclenchement de l'incendie, il me semble qu'on en savait assez peu sur les conséquences à ce moment-là. Comment devraient donc être équipées les forces de l'ordre qui peuvent être amenées à intervenir sur ce type d'accident et sur d'autres ?
Par ailleurs, beaucoup de maires estiment que l'information circule mieux et de manière plus large pour des alertes météo bien moins graves que cet accident...
Enfin, il me semble que l'État doit jouer un rôle pour impulser une culture du risque ou de la sécurité. Cela ne peut pas être du seul ressort des collectivités, même si elles ont un rôle à jouer. Quelles pourraient être les mesures prises par votre ministère dans ce domaine ?
Je crois qu'il aurait mieux valu parler de mise à l'abri que de confinement dans le cas d'espèce. Il peut donc être utile de préciser cette définition, parce qu'on peut utiliser le mauvais mot au mauvais moment. Je retiens votre remarque.
Quant aux policiers, j'ai précisé qu'ils n'étaient pas intervenus dans le périmètre du panache de fumée. Qui plus est, les conditions météo ont permis au panache de s'élever assez vite. C'est moi-même qui, dès le matin, ai donné ces indications.
Par ailleurs, le choix du préfet, dans un premier temps, a été d'informer les maires concernés par le panache de fumée. Pour l'avoir survolé, je puis vous dire qu'il était très caractérisé, très contenu. Cela ne veut pas dire que la pollution ne peut pas s'étendre au-delà. Le préfet a ensuite souhaité élargir l'information aux autres maires, d'où le débat.
Assez peu de maires qui ont participé aux réunions et qui se sont exprimés sur ce sujet ont mis en avant le défaut d'information - même si on en parle beaucoup. Cela n'empêche pas qu'il faut améliorer le système. Nous devons agir sur ce point.
Il existe une alerte par automate d'appel. Beaucoup d'élus savent ce dont il s'agit. On reçoit parfois trop de ces alertes et on finit par s'en désintéresser. Ceci a pour effet de déresponsabiliser les auteurs du message. On a tous vécu cette situation.
Il nous faut cependant travailler sur de nouveaux outils afin d'aller plus loin et d'informer toute la population. Vous savez, comme moi, qu'il s'agit toujours d'un exercice extrêmement délicat. Informer la population, c'est aussi accepter de prendre le risque de faire paniquer les gens, d'aggraver les choses. Une appréciation humaine doit être forcément portée à un moment donné. Il est beaucoup plus facile pour un ministre de commenter une situation que pour le préfet ou l'élu de décider.
Quant à la question du rôle de l'État dans la culture du risque, je partage totalement votre vision. Je ne crois pas que l'État se désintéresse de ce sujet. Toutefois, lorsque l'État insiste pour élaborer les DICRIM ou les PCS, on le trouve trop intrusif. Il nous faut cependant porter ce discours et appréhender au mieux la gestion du risque grâce à la prévention. On me demande parfois d'accepter la modification de tel ou tel plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI). Il nous faut réapprendre à vivre avec le risque. L'inquiétude de nos concitoyens s'accentue. Il faut l'avoir en tête. Il en va de même en matière d'insécurité : quand on a un sentiment d'insécurité, on vit dans l'insécurité. Il faut arrêter de chercher à biaiser les chiffres sur ces questions. L'État a un vrai rôle à jouer, avec le maire, dont la parole est généralement plus écoutée que celle de l'État.
Je suis conduite à vous contredire, monsieur le ministre, puisque je suis rouennaise et que j'ai vécu ces quatre jours pratiquement non- stop, comme d'autres collègues ici, au contact des maires. Certains ont exprimé un déficit d'information et de communication. La maire de Petit-Quevilly n'a pas été informée, alors que la population entendait des explosions et entassait les enfants dans une voiture pour quitter précipitamment la ville. Le système GALA n'a fonctionné qu'à partir de 14 heures 30, même dans des communes qui se trouvaient sous le panache de fumée.
Notre préfet, qui n'a d'ailleurs pas démérité, a admis que, de ce point de vue, le système d'information pouvait être largement affiné. Ne croyez-vous pas que nous pourrions également améliorer la législation ? C'est en tout cas le sens d'un amendement que j'ai déposé, voté à l'unanimité au Sénat dans la loi Engagement et proximité, destiné à garantir que les maires soient bien informés. Soutenez-vous, comme le ministre chargé des collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, l'idée que l'on peut largement améliorer la législation sur ce point ?
On a accusé les services préfectoraux de ne pas avoir été très performants dans l'information et la communication. Sans porter de jugement, pensez-vous qu'aujourd'hui, révision générale des politiques publiques (RGPP) après révision générale des politiques publiques, nous ayons encore suffisamment de personnels dédiés et suffisamment formés dans nos préfectures ? Pouvez-vous nous dire comment le personnel préfectoral est formé à la gestion de la communication de crise, qui est très spécifique ? Quelles sont les procédures ? Comme travaille-t-on ces questions un peu fines ?
Enfin, quelle est votre appréciation de la gestion des médias ? Vous avez beaucoup évoqué les fausses nouvelles. Les habitants s'en remettent aux réseaux sociaux lorsqu'il n'y a pas d'information professionnelle et reconnue. À partir de midi, l'annonce du décès de l'ancien président de la République Jacques Chirac, qui justifiait une communication à la mesure de l'événement, a fait que l'ensemble des chaînes d'information nationale, privées comme publiques, n'ont plus parlé de l'événement. Quelle appréciation portez-vous sur ce point ? Personnellement, je m'en suis ouverte au président du conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
J'ai expliqué que l'information apportée aux maires dépendait de la situation des communes par rapport au panache de fumée. Cela ne veut pas dire que je le justifie ni que j'estime qu'il n'était pas opportun d'informer les autres maires. Votre question me semble frappée au coin du bon sens. Le préfet a souhaité le faire en deux temps. Il a dû gérer d'autres crises. Peut-être que s'il n'avait eu qu'à gérer la communication, il aurait été plus performant et aurait pu passer les appels lui-même. C'est là toute la difficulté de gérer l'ensemble. Cela signifie qu'il nous faut tirer un enseignement de ce qui s'est passé. Votre question est en soi un appel en ce sens. Déterminer le niveau de l'information est toujours compliqué : on vous fera en effet toujours reproche d'avoir caché quelque chose. L'exercice est très compliqué.
S'agissant de l'appréciation sur la gestion de l'événement par les médias, il est toujours compliqué de maîtriser les médias, dans lesquels j'inclus les réseaux sociaux, qui constituent aujourd'hui une forme de médias et, pour certains, la seule source de communication.
Le préfet, dans ce cas, apprécie quel est le bon média. Il a fait le choix des radios locales, qui sont celles qu'on écoute peut-être le plus le matin. Très vite, les médias nationaux ont relayé l'information.
Un service spécifique de dix-huit personnes est dédié à ces sujets. Les préfets sont également formés à la gestion de crise. Ils sont plus ou moins bons, comme chacune et chacun d'entre nous. L'exercice est difficile, mais vous avez raison : l'information et la communication peuvent être totalement balayées par les réseaux sociaux. C'est un gros problème, parce que certains leur accordent plus de crédit qu'à la parole publique, quelle qu'elle soit.
Le décès du président Jacques Chirac, dont j'ai eu confirmation lorsque j'étais sur place, a tout emporté. Je pense même que cela a joué sur le sentiment d'abandon des habitants et des élus, qui vivaient un événement dramatique exceptionnel, même s'il n'y a pas eu de mort.
L'amendement dont vous parlez a été voté et a reçu le soutien du Gouvernement. Il a donc le mien. Il ne faut cependant pas penser que la loi puisse tout régler. La loi doit poser le principe de l'information, mais il faut laisser à la personne sur le terrain la responsabilité de sa gestion. Je demande aux préfets d'informer la population et d'expliquer les choses tout au long de l'événement, qu'il s'agisse d'un incendie ou de la gestion de l'ordre public. On a aujourd'hui un système d'information qui a besoin d'être alimenté. S'il n'est pas alimenté par une parole officielle, il s'autoalimente. On peut aujourd'hui dire absolument tout et n'importe quoi sur de grands médias. Il est donc essentiel d'avoir une communication en flux constant sur des éléments factuels. C'est la meilleure façon de contrecarrer les fausses nouvelles.
J'ai suivi les discussions qui avaient lieu sur le groupe Facebook qui s'est constitué à propos de cet événement, et qui a donné lieu à des discussions sur des sujets totalement fantasmés, ne correspondant en rien à la réalité. Lorsque le Premier ministre s'est exprimé sur des sujets factuels, cela n'a quasiment pas alimenté la discussion de ce réseau. Certaines personnes n'ont qu'une source d'information : il s'agit de leurs propres médias sociaux. C'est toute la difficulté qu'on a face à des gens qui n'écoutent pas la radio - d'où les dispositifs qui permettent d'envoyer des textos de façon automatique, voire des appels automatiques.
Il ne faut surtout pas oublier que, dans ce genre d'accident, l'obligation de subir nous donne le droit de savoir.
J'ai eu l'occasion de le dire lors des questions au Gouvernement, la parole des cinq membres du Gouvernement qui se sont déplacés les premiers jours a été selon moi - je ne suis pas le seul à le dire - à la fois contradictoire et intempestive.
Je pense donc qu'il faut une chaîne de commandement et d'exécution à l'image de ce qui se fait dans le domaine de la défense nationale où, un officier s'exprime avec des mots justes, clairs, posés, ce qui n'empêche pas la visite des ministres, qui ne s'expriment d'ailleurs pas toujours. C'est la meilleure manière de considérer que l'information officielle est objective.
Par ailleurs, en termes de prévention et de protection, ne pensez-vous pas qu'il serait utile que les pouvoirs publics se rapprochent des sociétés d'assurance et des mutuelles ? Il n'est en effet pas rare que les dispositifs qu'elles préconisent soient plus draconiens que les normes retenues. De toute évidence, les salariés de Lubrizol ont bénéficié d'un bon plan de formation. On peut penser que leur compagnie d'assurance leur avait fixé des préconisations précises. Je ne veux pas dire qu'il faut légiférer davantage, mais il convient de tirer tous les enseignements de cet événement. La culture du risque s'acquiert par la pratique au sein même des entreprises. Il s'agit de rechercher un équilibre entre la loi et ce qu'on doit laisser à la main des acteurs.
Le dernier volet ne relève pas du ministère, de l'intérieur, mais je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il convient de l'étudier. Je partage votre approche philosophique : il faut que la loi fixe un cadre mais pas forcément des prescriptions à l'ensemble des sites concernés.
Il ne serait pas logique de découvrir qu'une assurance exige plus que l'État pour assurer la sécurité des personnes.
Qu'on le veuille ou non, c'est la prime d'assurance qui régulera les choses.
C'est pourquoi je pense que nous pourrions garantir ainsi une plus grande protection de nos concitoyens. Le directeur général de la sécurité civile a des contacts réguliers avec les compagnies d'assurance, en particulier la Fédération française de l'assurance, afin d'avoir des approches convergentes en matière de sécurité. Les assurances réfléchissent en termes de préjudice, alors que nous devons quant à nous réfléchir en matière de risques humains, environnementaux, etc.
La question de la communication est quelque peu subjective. Vous avez raison, les ministres s'expriment. Pour ce qui me concerne, beaucoup de gens parlent plus de ce dont je parle que de ma parole elle-même - bien que beaucoup l'interprètent quelque peu. C'est toujours un exercice compliqué. J'ai rappelé précisément les mots que j'avais employés. Si, au moment où la journaliste de RTL m'interroge sur l'incendie, alors qu'il a lieu en direct, je ne réponds pas, on me reprochera de n'avoir pas voulu parler.
Je considère que l'officier du ministère de l'intérieur qui doit parler dans ce cas, c'est le préfet, appuyé par le directeur de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), le directeur du CHU, le colonel des sapeurs-pompiers. C'est la stratégie qui a été la nôtre. Le préfet s'est exprimé cinq fois le premier jour, puis de façon régulière. L'exercice de la parole politique est très difficile, chacun ici le sait, mais le préfet ou l'officier est moins poussé à la faute par les journalistes que le politique. Il est aussi plus dans une approche factuelle. Nous devrions effectivement adopter des temps de réaction plus longs, face à des médias qui, de toute façon, vont hyper-réagir.
Ainsi que je le disais, si vous ne vous exprimez pas, on alimente une machine qui invente une histoire. L'exercice est très compliqué, au-delà du jugement subjectif que vous avez porté sur la qualité des expressions gouvernementale, monsieur le sénateur.
Ce n'est en rien vérifié ! C'est votre opinion, qui est totalement subjective - et il est parfaitement légitime qu'elle le soit.
J'ai rappelé les mots que j'avais prononcés. Je sais qu'ils ont été beaucoup commentés, même dans une question d'actualité au Gouvernement, où on a mis en cause mes propos, qui étaient fort éloignés de ce que j'avais pu dire.
Monsieur le ministre, j'étais présent pour vous accueillir le jeudi matin, à 11 heures. À cette date, j'exerçais encore les fonctions de président du conseil départemental de la Seine-Maritime. Ce que vous avez dit est exact : il y avait beaucoup de médias. Le décès du président Chirac est venu s'ajouter à l'événement.
Je voudrais insister sur le travail assez exceptionnel accompli par les salariés de Lubrizol et les sapeurs-pompiers. Sans faillir à la doctrine qui leur est enseignée à l'École nationale des officiers de sapeurs-pompiers d'Aix-en-Provence, ces derniers, en moins de 12 heures, ont réussi à éteindre un incendie hors norme.
Vous avez aussi rappelé le rôle du préfet qui, en l'espèce, joue celui de directeur des opérations de secours, accompagné d'un commandant des opérations de secours - le directeur départemental -, qui est là pour le conseiller. Les premières mesures ont été des mesures de bon sens et ont permis d'éviter des blessés et des victimes.
On a tous parlé de l'absence de culture du risque dans un département qui concentre 60 établissements Seveso et dont les deux tiers de la population vit à côté d'entreprises qui, pour la plupart, étaient présentes avant l'agrandissement des villes, en bord de Seine.
En matière d'établissements recevant du public, la législation a prévu l'organisation d'exercices réguliers. Aujourd'hui, il n'existe pas d'exercice obligatoire organisé soit par la puissance publique, soit par les entreprises, associant les maires des communes et la population. Je pense qu'il est urgent de réfléchir à leur création, qui permettrait à la population d'acquérir les bons réflexes. Ces populations ne connaissent pas la subtilité qui existe entre une mise à l'abri, un confinement et les codes des sirènes. J'en appelle donc à des exercices réguliers obligatoires.
J'avoue en toute humilité que je ne sais pourquoi une sirène retentit en pleine nuit ni ce que je dois faire quand cela arrive.
Le constat qui vient d'être fait est partagé par tous, y compris en matière de qualité de l'engagement. L'incendie a été éteint à 15 heures, à peine 12 heures après le début du sinistre. Compte tenu de sa spécificité, cela relève d'un très haut niveau d'intervention et de coordination. Sur les 276 sapeurs-pompiers, on en comptait 188 du SDIS 76 et une centaine en provenance d'autres départements. Il en va de même des moyens zonaux : ce sont 26 kilomètres de tuyaux qui ont permis de sécuriser l'alimentation en eau depuis la Seine. Par ailleurs, 50 engins lourds ont été mobilisés. Il est toujours plus difficile de coordonner des SDIS et des matériaux différents, et cela a été fait de façon remarquable.
S'agissant plus globalement de la question de la prévention et de la gestion du risque, notre culture est insuffisante. La remarque du président Maurey confirme ce que nous pensons tous. Il existe des journées dites « à la japonaise » en matière de préparation de gestion de sinistres. C'est un pays qui a une culture du risque nettement plus développée que la nôtre. On prépare les élèves, les adultes, etc.
Les sites industriels à risque situés en milieu urbain étaient généralement là auparavant. L'acceptabilité est une question politique que l'on peut se poser. Je pense qu'il faut adapter les différentes modalités de gestion de l'alerte, de communication et de préparation, ce que nous ne faisons pas assez. Cela fait partie des enseignements que nous devons tirer de l'événement. Peut-être ceci figurera-t-il dans vos préconisations.
Des exercices réguliers sont réalisés. Le sont-ils à un assez bon niveau ou avec une fréquence suffisante ? Je ne veux pas me prononcer. Je n'en suis pas sûr. Ils sont entrepris par l'entreprise, généralement sur le site Seveso, en lien avec les sapeurs-pompiers. Ces exercices ont lieu régulièrement, a minima une fois par an. Peut-être faut-il les renforcer.
Il faut trouver ce point d'équilibre sans vitrifier les territoires ni obliger les populations à aller travailler ailleurs, surtout dans un département industriel comme le vôtre. Cela peut et doit s'améliorer avec des dispositions plus adaptées prenant en compte les spécificités du territoire. Un département comme le vôtre possède la culture du risque industriel. Dans les Alpes, on recense deux sites classés Seveso, dont un à Sisteron, mais on n'a pas cette culture. On est davantage habitué à entendre parler des attaques de loups sur les ovins. C'est un travail que l'on doit conforter.
Vous avez raison de rappeler que, dans ce domaine, on manque de mémoire. Celle-ci remonte à moins de vingt ans, à condition qu'il y ait eu des morts !
Cela dit, on a tous oublié les propos d'Haroun Tazieff, qui signalait des risques du côté de Nice et dans la vallée du Rhône, ce qui ne nous a pas empêchés d'y construire un certain nombre d'industries, voire de centrales nucléaires, en oubliant ces analyses scientifiques.
La communication a certes été sur la sellette. Si j'avais entendu vos propos à ce moment, j'aurais pu les interpréter de deux façons. Tout compte fait, cet accident industriel a constitué un exercice en vraie grandeur. Pour vous, qu'est-ce qui a bien fonctionné sur la forme et sur le fond dans cette communication de crise et qu'est ce qui a péché ?
Quand on établit un plan de prévention industriel, même si l'exercice n'est pas facile, ne faut-il pas prévoir en même temps le plan de communication, tant sur la forme que sur le fond ? Vous avez insisté sur l'importance des mots. Je ne suis pas persuadé que c'est lorsqu'on est au feu qu'on a le temps d'y réfléchir.
Qui doit porter cette communication ? Doit-elle toujours être dispensée par un ministre, un préfet ou quelqu'un d'autre, suivant la situation à laquelle on est confronté ?
Ne faut-il pas rendre obligatoire un exercice associant l'ensemble de la population qui peut être confrontée au problème ? Je mesure toutefois la difficulté que cela peut représenter pour un département comme le Rhône, dont je suis élu, qui compte 31 sites Seveso, mais ces exercices ne constituent-ils pas le meilleur moyen de développer l'esprit de résilience chez nos concitoyens ?
Je crois en effet qu'il faut associer l'ensemble de la population à ces exercices et ne pas négliger l'alerte. On a tous entendu la sirène dans un bâtiment public et attendu que cela passe. Cela fait donc partie de nos apprentissages. Associer l'ensemble de la population à l'exercice est une façon de prendre conscience du risque. Si on le fait dans le Rhône à propos du risque nucléaire, ou en Seine-Maritime à propos du risque industriel, c'est bien parce que le risque existe. Je pense que cela contribue à la culture du risque.
Qu'est-ce qui a fonctionné et qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ? Sans affirmer que tout était parfait, la gestion de l'incendie à tous les niveaux a été de très bonne qualité. Le RETEX pourra recenser les fragilités.
J'insiste sur le fait que le commentaire est toujours plus facile que l'action, mais la décision que l'on prend sur l'instant est certainement la bonne.
En matière de gestion de l'incendie, le ministère de l'intérieur et les SDIS ont été plutôt bons. Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ? A posteriori, on se rend compte que la communication n'a pas permis de rassurer la population. Bien malin celui qui pourrait dire ce qu'il aurait fallu faire. Je l'ai dit, le décès du président Jacques Chirac est un élément déterminant.
Je crois quand même que le préfet a agi au meilleur niveau. Si tout n'a pas été parfait dans sa communication, dans la mienne ou dans celle des ministres, chacun s'est engagé. Le préfet a fait un travail remarquable sur ce sujet, je l'ai déjà dit et je le répète devant vous.
En matière de communication, l'exercice est toujours difficile, mais il faut dire ce que l'on sait et l'assumer, en ayant en tête que cela peut être interprété. Il faut également oser dire ce que l'on ne sait pas. Si un préfet dit qu'il ignore quelque chose, on lui reprochera de vouloir cacher des éléments. Ce n'est donc pas simple. Dans la gestion des crises importantes, c'est l'administration centrale qui met son soutien technique à la disposition des préfets. Le Premier ministre et moi-même avons demandé au préfet de parler et de jouer la transparence la plus totale, ce qu'il a fait, comme tous les autres opérateurs, mais certains pensent encore que l'on a caché certaines choses.
Enfin, aujourd'hui, dans la hiérarchisation des risques, c'est le risque terroriste qui est le plus appréhendé par nos services. Le risque d'incendie, d'explosion, le risque naturel le sont beaucoup moins. Or il nous faut vivre avec la conscience de risques multiples. C'est lourd, mais nécessaire.
Monsieur le ministre, vous nous avez dit qu'il n'y avait pas eu de rupture dans l'approvisionnement en eau destiné à éteindre l'incendie. Il faudra qu'on se penche sur les auditions précédentes, car il me semble qu'on nous a dit le contraire...
Par ailleurs, le bateau-pompe dont vous avez parlé était-il à quai ? Les éléments destinés au mini-plan Polmar étaient-ils à la disposition des services ou ont-ils été mis en place après coup ? Cela signifie que des eaux polluées ont pu se déverser dans la Seine. À partir de quel moment l'eau, dont celle qui a servi à nettoyer les rochers, a-t-elle été stockée dans une darse ?
D'après mes souvenirs, les deux bateaux ont été acheminés depuis Le Havre. On va le vérifier et on vous fournira la précision. Il n'y en avait qu'un au moment où je suis arrivé. Le second est venu du Havre, pour pallier une éventuelle défaillance du premier. Je pense que les deux ont été acheminés depuis le même endroit. On vous le précisera dès demain.
Concernant la darse, l'eau n'y était pas encore arrivée lorsque j'étais présent sur place. Je ne dis pas qu'il n'y a pas eu ensuite d'écoulements. De toute façon, la pollution a atteint le sol et la Seine. C'est assez logique, hélas. Quand je suis arrivé sur place, la darse n'était pas polluée, mais le matériel du plan Polmar n'était pas encore en place. J'ai vérifié que le plan Polmar avait bien été actionné. C'était le cas. Le matériel est arrivé assez peu de temps après et a été installé, de sorte que si la darse avait été polluée, nous protégions le lien entre la darse et la Seine. Aurait-elle été protégée à 100 %, je n'en suis pas sûr, je préfère être honnête. Le plan Polmar est assez efficace. Il a été déployé avant qu'apparaissent des pollutions manifestes sur la Seine. Elles n'ont pas été relevées selon les informations qui sont en ma possession.
Un affaiblissement du débit a eu lieu entre 4 heures 15 et 5 heures du matin. Certains médias avaient évoqué « une rupture d'alimentation en eau et en mousse lors de l'intervention des pompiers ». J'ai précisé que ce n'était pas le cas.
Les informations en ma possession sont plutôt rassurantes s'agissant de la pollution de la darse. À 11 heures 30, le plan Polmar n'était pas encore déployé. Il l'a été dans la foulée.
Monsieur le ministre, je suis élue de l'Aisne. À dire vrai, les informations ont manqué dans les Hauts-de-France. La population, aujourd'hui encore, considère le nuage comme celui de Tchernobyl. C'est la pluie qui a apporté certaines substances à certains endroits. Dans les communes où il n'a pas plu, le nuage est passé. Une commune est touchée, entre deux autres qui ne le sont pas. Ma propre maison n'a rien eu, contrairement à celles situées à 600 mètres.
Les maires n'ont pas été informés. Quelques-uns m'ont envoyé des messages en me demandant si leur commune était concernée ou non. Ils n'ont donc pas eu d'information et n'ont pu tenir la population au courant. On m'a même posé la question de savoir si l'on pouvait continuer à consommer les légumes du jardin.
On a demandé aux agriculteurs de ne pas arracher les betteraves ni les pommes de terre, puis on leur a ensuite donné l'autorisation, à condition de les laisser en silos. Tout le monde n'en a pas été informé. Je ne pense pas que cela ait d'incidence sur la santé, mais on doit aujourd'hui tirer toutes les conséquences de l'événement.
Est-il possible d'avoir régulièrement communication de la liste des agences et des scientifiques qui peuvent fournir une information fiable ? Chacun sort en effet un expert ou un scientifique de son chapeau. Nous sommes un peu perdus.
Il est très difficile de déterminer les agences scientifiques compétentes et reconnues. Quand le préfet ou un représentant de l'État se prononce, il faut que ce soit sur des certitudes scientifiques. Je n'évoquerai pas les différentes agences, d'autant que le spectre est assez large. Vous citiez tout à l'heure, monsieur le président, des personnes parfaitement compétentes qui ne portent pas forcément sur le sujet le même regard que nous.
S'agissant de l'information, Tchernobyl a représenté 200 000 personnes immédiatement évacuées, 35 000 décès reconnus par les autorités et, selon ce que l'on peut lire, 150 000 morts parmi les liquidateurs intervenus sur le site. On n'est pas dans les mêmes proportions. À l'époque, on nous avait dit que le nuage s'était arrêté à la frontière française - on s'en souvient à peu près tous - et on l'a cru parce que c'était une information officielle. Le rapport à l'information est aujourd'hui différent. Cette information ne tiendrait à présent pas trois secondes. C'est une bonne chose, mais elle est remplacée par les formes dont on a parlé tout à l'heure.
Concernant l'effet frontière, des communes qui n'étaient pas dans le département, mais sur le chemin du panache, ont été informées. D'autres, dans le département, n'ont pas été informées parce qu'elles n'étaient pas sur le passage du nuage. Ainsi qu'on le disait, il faut élargir l'information et aller bien au-delà. C'est pourquoi les préfets de zone ont été informés.
La météorologie nationale ne nous avait pas donné tous les éléments de lecture permettant de déclencher les bonnes alertes au bon endroit. Nous y travaillons.
Il ne m'appartient pas de répondre aux questions agricoles. Le préfet a levé les interdictions, après les avoir posées au nom du principe de précaution. Je pense qu'il était nécessaire de le faire, malgré le coût que cela a représenté pour les producteurs. L'ANSES a levé tous les doutes le 14 octobre pour les produits laitiers et le 18 octobre pour les autres.
Monsieur le ministre, les coûts de fonctionnement et d'équipement des SDIS sont uniquement supportés par les collectivités territoriales. Ces coûts explosent avec le temps. J'imagine que l'on doit mener une réflexion sur les besoins des SDIS dans les départements où les sites Seveso sont nombreux.
Nombre de communautés de communes se demandent si elles ne vont pas rendre cette compétence aux communes, ne pouvant presque plus l'exercer, eu égard aux contraintes budgétaires qu'elles ont par ailleurs.
Il serait logique que les entreprises qui génèrent des risques participent au financement des SDIS.
L'État reverse aux SDIS plus d'un milliard d'euros de taxes chaque année. Cette compétence, décentralisée il y a plusieurs années, connaît des tensions financières. Pour autant, personne ne demande à ma connaissance qu'on la nationalise à nouveau. Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne réponse.
Au fil des années, l'État se concentre sur les moyens complémentaires, entre autres dans le secteur aérien. Nous avons accueilli cette année le premier Dash d'intervention sur un total de six. Il s'agit d'un investissement de 380 millions d'euros, directement porté par le ministère de l'intérieur. Les moyens de la sécurité civile peuvent également être confortés grâce à nos militaires, qui interviennent dans ces dispositifs.
Des moyens nationaux spécifiques sont par ailleurs déployés en vue de la gestion des crises rares, avec un portefeuille de moyens projetés. De véritables inégalités territoriales subsistent toutefois. Vous le vivez sur vos territoires : telle commune, plus riche que sa voisine, n'accorde pas les mêmes moyens aux enfants des maternelles et des écoles primaires. Il en va de même pour les départements et les régions. Il existe de vraies différences entre les territoires, conséquence de la décentralisation.
S'agissant des pompiers, la décentralisation a cependant permis une amélioration du niveau d'équipement et d'intervention des sapeurs-pompiers, tant professionnels que volontaires. Ceci représente environ 5 % des départements, ce qui est significatif. Compte tenu des augmentations et des sollicitations, il nous faut agir sur ces questions. Nous le faisons notamment à travers les services d'urgence aux personnes, afin d'essayer de faire baisser la pression, ce qui représente un coût supplémentaire. Le vieillissement de la population y contribue - mais nous sortons là du sujet.
Elles participent à hauteur d'un milliard d'euros, à travers les taxes sur les assurances, qui viennent financer les SDIS. Les entreprises sont fortement contributives. Dans le cas de Lubrizol, les moyens privés des entreprises sur place ont également contribué à l'efficacité de l'intervention.
La question de la contribution financière des entreprises relève de discussions fiscales. Il s'agit toutefois d'une taxe supplémentaire. Or le Gouvernement ne souhaite pas créer de taxes supplémentaires sur les entreprises ni sur les particuliers préférant plutôt baisser la charge fiscale destinée à la dépense publique.
La prise en charge de coûts induits par l'activité d'une entreprise ne me choque pas, mais la stratégie actuelle est plutôt de les obliger à s'équiper suffisamment. Dans le cas de Lubrizol, c'est ce qui a contribué à maîtriser l'incendie. Les moyens privés ont également permis d'être plus efficace. Ils provenaient de Total, Borealis, ExxonMobil, Rubis Terminal, Sim Le Havre, Carré et de DRPC.
Obliger les entreprises classées Seveso à renforcer leurs moyens internes est une très bonne initiative. Plus un incendie est traité rapidement, moins les conséquences sont importantes.
Un SDIS d'Île-de-France a passé une convention avec une société d'autoroute pour qu'elle prenne en charge du matériel destiné à intervenir sous un tunnel. On ne peut totalement écarter ces solutions.
Je ne puis qu'acquiescer à l'idée d'intégrer les moyens privés dans les moyens de lutte contre les sinistres. Je l'ai d'ailleurs dit dans mon propos liminaire.
Mon sentiment est que la société Lubrizol s'est montrée responsable tout au long de l'intervention comme dans l'accompagnement. Même si personne ne l'a fait ici, il est trop facile de faire un procès à l'entreprise. Elle doit maintenant assumer sa responsabilité financière par rapport à ce qui s'est passé.
Plus globalement, dès lors que les activités du privé font courir un risque public, il est normal que les entreprises contribuent au financement des moyens de lutte contre ce risque.
J'ai dit que le préfet s'était senti un peu seul. Vous m'avez repris en disant qu'il avait bénéficié de l'accompagnement de la Direction générale de la sécurité civile. Existe-t-il une cellule qui permette à un préfet d'obtenir une assistance 24 heures sur 24 ?
Un suivi interministériel avec réunions quotidiennes a été mis en place dans les heures qui ont suivi afin d'alimenter la coordination. Le directeur général ici présent peut, si vous l'y autorisez, vous dire précisément comment les moyens de la DGSCGC ont été mobilisés.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alain Thirion prête serment.
Lorsqu'une crise de ce type éclate, l'information est relayée extrêmement rapidement au niveau national par l'intermédiaire du COGIC. Le directeur du SDIS délivre également au préfet une information étroite. Lorsque que les moyens locaux mobilisés ne suffisent plus, il faut faire appel aux autres SDIS - on en a mobilisé jusqu'à cinq -, ou à des moyens en dehors de la zone, voire nationaux.
Le ministre a rappelé que ceux qui ont été sollicités ont permis d'éviter les ruptures capacitaires de mousse et d'un certain nombre d'équipements, notamment le véhicule de détection, d'identification et de prélèvement (VDIP), venu de Nogent-le-Rotrou, qui a très rapidement permis de fournir une analyse de l'air.
En pareilles circonstances, le préfet doit prendre des décisions très rapides : est-il vraiment seul ou peut-il consulter quelqu'un pour l'aider dans sa prise de décision ?
Vous aurez l'occasion d'en parler demain avec lui. Il consulte d'abord ses services locaux, et détermine une stratégie d'intervention en fonction du PPI et des documents dont il dispose, principalement avec le directeur du SDIS, mais pas uniquement. Il peut y avoir des mesures à prendre au regard de l'impact que cela peut avoir en matière de circulation ou de sécurité.
Un relais peut exister dans un deuxième temps, puisque le dispositif qui permet de mobiliser la zone et les moyens nationaux se fait en soutien de ce qui est fait localement.
C'est bien entendu le préfet qui décide seul des opérations et détermine la stratégie, sur la base des documents qui ont été préparés. Ce dispositif d'appui et la montée en puissance des moyens permettent d'éviter les ruptures capacitaires.
Cette maison a une capacité de gestion des crises assez remarquable et apporte son appui à celui qui décide. Le préfet a le numéro de portable du ministre, du directeur de cabinet, du directeur général, et n'hésite pas à multiplier les appels. Dans un tel cas, tout le monde se met à sa disposition.
La difficulté vient du fait que beaucoup de choses reposent sur un seul homme, qui doit coordonner l'ensemble. Dans le cas d'espèce, le préfet avait toutes les qualités pour ce faire, et je crois qu'il en a fait la démonstration.
Si je considère que la gestion de la crise a été un succès opérationnel, Les choses sont perfectibles, et il nous faut nous poser un certain nombre de questions.
Mon sentiment est que la gestion de ces sinistres dans les grands pôles urbains nécessite un changement d'époque, notamment en matière de communication et d'information. Vous avez évoqué l'utilisation de cell broadcast ou d'autres supports de ce type : je pense que c'est indispensable.
Il nous faut aussi changer de manière de communiquer. On voit bien qu'un système peut s'emballer. Certaines informations qui ont circulé sont complètement folles.
Je pense aussi qu'il nous appartient d'augmenter le niveau d'exigence vis-à-vis des exploitants, notamment quant à leur capacité interne à gérer les incendies.
Vos travaux pourront peut-être nous éclairer sur ces points.
Merci beaucoup, monsieur le ministre.
Nous vous avons adressé un questionnaire. Nous souhaiterions recevoir des réponses écrites et toute autre information que vous jugeriez utile, voire des propositions d'amélioration.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 25.