Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 14 octobre 2020 à 11h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Photo de Christian Cambon

La commission a nommé M. Gilbert Bouchet rapporteur du projet de loi n° 485 (2019-2020) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l'Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes.

La réunion est ouverte à 11 heures 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin, pour la première fois devant notre commission renouvelée, le général François Lecointre, chef d'état-major des armées. Nous sommes en nombre restreint, pour respecter les contraintes sanitaires, et certains de nos collègues nous suivent en visioconférence.

Merci de vous être rendu disponible pour cette audition traditionnelle, au moment de débuter l'examen du projet de loi de finances. Avant toute chose, je voudrais vous redire, au nom de la commission, combien nous souhaitons, par votre intermédiaire, transmettre un message de confiance et de remerciement à nos forces armées qui représentent la France sur les cinq continents et sur tous les océans, toujours dans une mission de recherche de la paix. Nous savons qu'ils le font avec courage et dévouement. Je souhaite que ce message leur soit transmis pour qu'ils comprennent que le Parlement, et plus particulièrement le Sénat et notre commission, est à leurs côtés. Nous n'oublions pas que le Parlement vote solennellement la prolongation des opérations extérieures (OPEX) au-delà de quatre mois. Nous nous sentons donc aussi responsables non seulement de leurs conditions de vie, mais aussi de leurs équipements et de leur sécurité. C'est bien le sens de la mission que nous allons exercer à travers l'examen du budget.

Le budget est aussi la traduction concrète de l'application de la loi de programmation militaire (LPM). La ministre des armées nous a présenté hier les grandes lignes du budget. Les chiffres qui nous ont été donnés semblent témoigner de la juste application des principes énoncés dans la LPM, ce dont nous nous réjouissons. Encore une fois, c'est bien la condition militaire qui nous importe.

À cet égard, nous avons été particulièrement émus des événements récents qui se sont déroulés au Mali. Si nous nous réjouissons du retour d'une otage française sur le territoire national, quels que soient ses choix futurs, je tiens à vous faire part de notre inquiétude sur les conditions de cette libération. Les autorités maliennes ont ainsi libéré un nombre tout à fait significatif de délinquants, dont certains sont des terroristes confirmés ayant du sang sur les mains, notamment celui de nos ressortissants.

En tant que responsables de la défense, au sein de notre commission, nous avons une pensée plus particulière pour les soldats qui se battent, pour leurs familles et pour les familles des soldats blessés ou tués. Nous nous interrogeons sur les conditions réelles de ces libérations. Quelles motivations ont pu conduire la junte malienne actuellement au pouvoir à réaliser cette opération ? Nous avons été extrêmement choqués de voir comment ces terroristes ont été fêtés par l'un de leurs dirigeants, terroriste parmi les plus recherchés par notre pays. Ce sentiment est partagé dans l'ensemble des groupes de notre commission.

Je reviens au thème de notre audition qui concerne les questions budgétaires. Je laisserai mes collègues vous interroger, mais je voudrais rappeler deux préoccupations fortes : 2021 sera l'année de l'actualisation de la LPM. La commission s'y prépare et a déjà mené plusieurs travaux en ce sens. Nous souhaitons que cette actualisation prenne la forme d'une loi. Selon vous, est-ce bien l'intention du Gouvernement ? Vous vous souvenez combien le Parlement, et singulièrement le Sénat, a permis de solidifier les engagements de la LPM qui permettent de remettre à niveau nos forces armées qui en ont tant besoin.

D'autre part, à travers cet exercice budgétaire 2021, nous attendons un certain nombre d'arbitrages sur des grands sujets. Je pense au porte-avions de nouvelle génération qui a fait l'objet d'un premier rapport. Je pense également à l'avenir du sous-marin nucléaire d'attaque la Perle : quand va-t-on décider si ce sous-marin doit faire l'objet de réparations et connaître les conséquences de cet accident sur l'ensemble des forces sous-marines ?

Nous nous interrogeons bien évidemment sur la commande des Rafale supplémentaires à la suite du contrat grec : si l'on se réjouit de voir, à travers la mise à disposition d'un certain nombre d'appareils d'occasion et la vente de six Rafale neufs, une brique supplémentaire à la construction de l'Europe de la défense, il convient qu'elle ne se fasse pas au détriment de nos forces aériennes. Nous serons demain sur la base d'Évreux et nous voulions connaître votre sentiment sur les conséquences pour l'armée de l'air. Pensez-vous que nos industriels pourront réellement augmenter les cadences de production pour rattraper au plus vite ce départ des Rafale qui vont être mis, pour partie, à disposition de la Grèce dès l'été prochain ?

Je vous laisse la parole, mon général.

Général François Lecointre, chef d'état-major des Armées. - Je voudrais tout d'abord vous adresser mes félicitations, monsieur le président, pour votre réélection, ainsi qu'aux nouveaux sénateurs qui rejoignent cette commission aussi essentielle pour nous.

Vous avez souligné, à juste titre, le rôle du Parlement. Les armées sont très attachées à ce que les parlementaires aient une vision la plus claire possible de l'état de leur reconstruction et de leurs engagements. Il est très important pour nous de nous sentir soutenus par la société française dont vous êtes l'émanation. Ce rendez-vous traditionnel est extrêmement important. J'ai d'ailleurs, à chaque fois, beaucoup de plaisir à échanger avec les sénateurs, comme avec les députés.

Je voudrais tout d'abord revenir sur la libération des prisonniers détenus dans les prisons maliennes en contrepartie de la libération d'otages, notamment Sophie Pétronin et Soumaïla Cissé. Que les choses soient bien nommées : notre adversaire n'est pas un groupe armé d'opposition au régime malien. Il s'agit bien d'une organisation terroriste internationale. Les groupes terroristes que nous combattons au Mali ont fait allégeance à Al-Qaida et visent à contrevenir directement à la sécurité des Français et sur le territoire national et à l'étranger.

De la même façon, on ne peut comparer ces personnes aux militaires français. Nos soldats appartiennent à une armée régulière. Ils se battent dans le respect du droit international, dans le respect du droit de la guerre, en maîtrisant leur violence, guidés en permanence par une éthique particulièrement exigeante. En aucun cas on ne peut comparer la façon dont nos soldats remplissent admirablement leur mission au comportement des groupes armés terroristes auxquels nous sommes confrontés. Des soldats français n'auraient jamais l'idée, pour obtenir la libération de leurs prisonniers, de prendre des otages dans la population civile !

Certains propos qui ont été tenus au moment de la libération de Mme Pétronin risquent de fausser l'appréciation que l'on doit avoir de la situation au Mali et de l'engagement des armées françaises. Notre engagement reste guidé par la volonté d'abattre l'hydre terroriste et de garantir la sécurité des Français. Soyez assurés que nous adresserons, avec la ministre des armées, ce message à nos soldats. Il doit être très clair pour l'ensemble des familles qui ont perdu des leurs dans les combats que nous menons au Mali depuis des années que nous ne déviions pas de ligne, que notre combat reste le même et qu'il est tout aussi légitime qu'il l'était.

En ce qui concerne cette libération d'otages, je confirme que la France n'a en rien été impliquée dans des négociations d'aucune sorte avec ce groupe terroriste que nous continuerons de combattre avec la dernière détermination.

En février dernier, devant l'École de guerre, le Président de la République a réaffirmé sa volonté de doter la France « d'un outil de défense complet, moderne, puissant, équilibré, mis en oeuvre par des armées réactives et tournées vers l'avenir ». Il a confirmé, à cette occasion, « un effort budgétaire inédit » au service de cet objectif, à savoir la loi de programmation militaire 2019-2025. Cette troisième annuité de la LPM confirme la volonté présidentielle.

Notre objectif n'a pas changé : disposer, à l'horizon 2030, au terme d'une deuxième loi de programmation, d'un modèle d'armée complet qui permettra de garantir le maintien de la crédibilité de la dissuasion nucléaire et d'engager les armées françaises à la fois dans la situation opérationnelle de référence et dans une hypothèse d'engagement majeur dimensionnant pour nos forces.

Le niveau d'engagement des armées reste élevé, particulièrement cette année en raison du surge décidé par le Président de la République, débuté fin janvier dernier.

Depuis le début de l'année, un peu plus de 7 800 hommes sont engagés chaque jour en opération extérieure et 12 500 sur le territoire national.

Pour l'armée de terre, l'opération Barkhane représente plus de 500 véhicules blindés - lourds et légers - et plus de 400 véhicules logistiques - camions de transports et de dépannage, moyens de manutention...

Aujourd'hui, 110 véhicules de l'avant blindé (VAB) Ultima sont déployés sur le théâtre pour un parc total de 290 véhicules et pour un parc opérationnel de 211. Un peu plus de 50 % de nos VAB Ultima opérationnels sont déployés en opérations extérieures. Il est donc particulièrement important de remplacer ces équipements indispensables pour l'emploi des forces dans le cadre de cette loi de programmation. Il est essentiel de parvenir à un niveau de performance de ces équipements qui garantisse à la fois l'efficacité de nos armées et la protection de nos soldats.

Pour la marine, l'opération Irini a vu l'engagement de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville. Cette frégate, admise en service actif en 1990, sera remplacée dans ses fonctions de lutte anti-sous-marine par la frégate La Fayette Courbet rénovée, le temps de voir arriver la série des cinq premières frégates de défense et d'intervention dont la commande est prévue en 2021.

Les chiffres de l'engagement de certaines capacités phares sur l'année parlent d'eux-mêmes : les trois porte-hélicoptères amphibies et les six frégates multimissions (Fremm) totaliseront chacun, d'ici à la fin de l'année, plus de 130 jours de mer en moyenne. Ces chiffres sont à rapprocher de la norme définie par la LPM de 110 jours par bâtiment. On voit là le poids des engagements opérationnels sur notre modèle d'armée, les opérations Résilience et Amitié s'étant notamment ajoutées aux opérations extérieures.

Les Fremm sont régulièrement engagées dans les opérations en Atlantique Nord, en Méditerranée et dans le détroit d'Ormuz pour l'opération Agenor.

Pour l'armée de l'air et de l'espace, le cas du drone Reaper est significatif. Nous possédons aujourd'hui trois systèmes : deux sont déployés à Niamey dans le cadre de l'opération Barkhane, le dernier est mis en oeuvre en métropole pour la préparation opérationnelle. La livraison d'un quatrième système nous permettra de ramener le taux de projection de cette capacité à 50 %. Il y a donc urgence et nécessité absolue de respecter le cadencement des livraisons prévu par la loi de programmation militaire.

La LPM a constitué un véritable ressort de sortie de crise et un outil de rebond. En liaison avec la DGA, c'est en nous appuyant sur la LPM que nous avons pu identifier en amont le potentiel de rebond et reprendre, dès la fin du confinement, la gestion 2020 en procédant au lancement d'opérations en substitution des annulations rencontrées.

L'évaluation provisoire des effets de la crise sanitaire est de 1,1 milliard d'euros de moindres paiements en 2020, compensés par 300 millions d'euros de dépenses supplémentaires liées à la crise et par la mobilisation de mesures nouvelles à hauteur de 800 millions d'euros.

L'intégralité des crédits non consommés a été redéployée au profit d'un plan de rebond comprenant principalement des crédits destinés au soutien de la filière aéronautique et se traduisant par des commandes anticipées d'avions, d'hélicoptères et de drones militaires. Il s'agit d'apporter ainsi un soutien concret et immédiat à la préservation de l'emploi, en particulier dans les PME de la filière, et de conserver les objectifs de livraisons capacitaires globaux de la loi de programmation militaire. Nous retomberons sans doute sur nos pieds mi-2021, voire fin 2021.

Figurent parmi ces commandes anticipées trois avions de transport stratégique A330 qui seront transformés à terme en avions ravitailleurs multirôle (MRTT), avec deux livraisons dès 2020, un avion léger de surveillance et de renseignement, avec notification avant fin 2020, et enfin des drones de surveillance navals, là aussi avec notification avant fin 2020.

Sur le plan des effectifs, nous avons pu limiter les effets de la crise avec une reprise très dynamique des recrutements. L'armée de Terre estime qu'elle aura réalisé son plan de recrutement à 98 % d'ici à la fin de l'année. Par ailleurs, un ralentissement des sorties permet d'envisager l'atteinte des cibles d'effectifs pour la fin d'exercice.

Enfin, l'exécution de la LPM constitue un levier essentiel au soutien de l'économie et des territoires. Les armées et leurs soutiens en région représentent un budget de fonctionnement de 3,7 milliards d'euros. La plupart des marchés de soutien font l'objet de contrats passés localement avec des TPE ou des PME.

Pour l'armée de l'air et de l'espace, les livraisons d'aéronefs ont été conformes aux commandes : un A400M Atlas, ce qui permet à la flotte de passer à dix-sept appareils ; un avion-ravitailleur multirôles MRTT Phénix qui permet de faire passer la flotte à trois appareils sur une cible de quinze ; un C130J qui permet de faire passer la flotte à quatre appareils et d'atteindre ainsi notre objectif 2025. Ces livraisons nous offrent une amélioration des capacités d'appui aux opérations avec le transport stratégique et tactique et le ravitaillement en vol, capacités extrêmement sollicitées aujourd'hui, notamment au Sahel ou dans d'autres cadres comme l'opération Hamilton.

L'armée de terre devrait recevoir quatre-vingt-dix Griffon d'ici à la fin de l'année. Le plan de livraison initiale prévoyait 128 véhicules Griffon, mais nous rattraperons ce retard l'an prochain.

Pour la marine, nous aurons un Atlantique 2 rénové déjà livré ; un second le sera d'ici à la fin de l'année, ce qui permet de faire face à la complexification de la lutte anti-sous-marine.

En termes de cohérence générale de notre modèle, 200 missiles à moyenne portée ont été livrés en 2020. Nous disposerons ainsi de stocks suffisants pour les opérations en cours et pour garantir la réactivité de nos armées en cas de nouvelles interventions.

Ce projet de loi de finances confirme l'ambition rappelée par le Président de la République en passant de 32,2 milliards d'euros en 2017 à 39,2 milliards en 2021. Cette évolution est conforme à la LPM. Il s'agit d'un effort manifeste dont nos forces commencent d'ores et déjà à sentir les premiers effets. Je mesure bien l'exigence qui pèse sur les armées face à cet effort budgétaire sans précédent.

Le renouvellement des capacités opérationnelles se fait selon deux axes : modernisation et réparation.

Certaines capacités arrivent aujourd'hui à obsolescence. Je pense notamment aux véhicules de l'avant blindé d'évacuation sanitaire dont le niveau de protection est insuffisant ou aux hélicoptères Alouette 3 de la marine nationale dont le remplacement est inéluctable compte tenu de leur âge et de leurs performances.

Dans le cas des hélicoptères de la marine, nous sommes contraints de recourir à la mise en place d'une flotte intérimaire H160 et Dauphin, par contrat de location, pour éviter une rupture capacitaire entre le retrait des Alouette et l'arrivée de l'hélicoptère interarmées léger (HIL). En 2021, trente HIL seront commandés au profit des trois armées.

Face à la menace IED au Sahel, nous avons d'ores et déjà déployé 14 VAB au standard contre-IED en bande sahélo-saharienne et commandé la mise à un standard contre-IED supérieur de 45 VAB supplémentaires. Cette solution vise à nous permettre de tenir jusqu'à l'arrivée des nouveaux véhicules d'évacuation sanitaire Scorpion, Serval ou Griffon à partir de 2023.

Je ne vais pas vous détailler ici l'ensemble des livraisons attendues en 2021 pour m'en tenir à certaines livraisons emblématiques.

Nous prévoyons l'admission au service actif, en 2021, du sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Suffren, premier de série du programme Barracuda dont la cible est de six bâtiments. Le Suffren remplacera un SNA de la classe Rubis et apportera de nouvelles capacités de frappe contre terre, une meilleure mise en oeuvre de forces spéciales et l'amélioration des qualités acoustiques, ce qui nous permettra de maintenir la capacité sous-marine française au premier niveau mondial.

En 2021, 157 Griffon viendront remplacer des VAB, dont certains datent des années quatre-vingt. Notre objectif est la projection d'un premier groupent tactique interarmes Scorpion fin 2021 au Sahel, avec une trentaine de Griffon qui remplaceront autant de VAB déployés et qui apporteront non seulement une meilleure protection et mobilité à nos soldats, mais aussi des capacités de numérisation à même de faire considérablement évoluer la manoeuvre d'infanterie.

Nous recevrons les vingt premiers Jaguar, équipés d'un canon de 40 millimètres, qui remplaceront une partie du parc d'AMX 10 RC vieillissants et arrivés au bout de leurs capacités d'évolution.

Nous avons enfin prévu la livraison de trois MRTT afin de poursuivre la rationalisation de la capacité de transport stratégique et de ravitaillement en vol et de conforter les contrats opérationnels, notamment ceux liés à la dissuasion nucléaire. Nous disposerons fin 2021 d'un parc de six engins, ce qui nous permettra de poursuivre le retrait de service d'équipements anciens, notamment des KC135 commandés par le général de Gaulle...

Le second axe repose sur la réparation, par comblement des ruptures ou des réductions capacitaires et restauration de la cohérence du modèle.

La livraison de quatorze mirages 2000D rénovés, dont l'avionique a été modernisée et l'armement diversifié, est prévue afin d'améliorer les capacités de bombardement et d'appui feu. Vous voyez bien tout l'intérêt que cela présente, par exemple, dans le cadre de l'opération Barkhane.

Je pense également à la livraison d'une frégate La Fayette rénovée - le Courbet -, équipée d'un sonar de coque lui donnant les capacités de détection sous-marines qui lui faisaient défaut afin de maintenir notre capacité de quinze frégates de premier rang, en attendant son remplacement par une frégate de défense et d'intervention.

Pour ce qui concerne la restauration de la cohérence, nous recevrons, en 2021, 12 000 armes individuelles du fantassin et 650 paires de jumelles de vision nocturne Onyx, poursuivant ainsi le renouvellement de cet équipement qui occupe une place centrale dans la capacité du combattant, mais aussi dans son moral.

Nous recevrons également un lot de missiles de croisière navals pour SNA Barracuda et dix-huit missiles Aster 30 pour la Fremm de défense aérienne.

Nous aurons aussi la livraison de 440 A2SM et de 14 pods de désignation laser Talios qui permettront d'améliorer les capacités de nos Rafale, en particulier dans le domaine de l'appui aérien rapproché. Il s'agit, là encore, de veiller à la cohérence d'un modèle qui ne passe pas seulement par des plateformes principales, mais aussi par des équipements d'accompagnement indispensables à l'emploi opérationnel.

Nous avons également le souci de préserver l'effort de préparation opérationnelle. Pour l'année 2020, les niveaux seront globalement atteints, en dépit de l'impact fort de la crise sanitaire. Ainsi, l'armée de terre devrait atteindre un niveau de soixante-dix-huit jours de préparation opérationnelle par homme d'ici à la fin de l'année, pour une cible initiale de quatre-vingt-un jours par homme et un objectif final, en 2025, et quatre-vingt-dix jours.

Pour les pilotes de chasse de l'armée de l'air et de l'espace, on devrait atteindre un niveau de 151 heures de vol par pilote contre 164 prévues, avec un objectif de 180 heures en 2025.

Enfin, nous devrions être au-dessus pour les bâtiments de combat de haute mer de la marine nationale : 102 jours de mer contre un objectif de 96 jours pour cette année et 100 en 2025.

Les objectifs de préparation opérationnelle pour 2021 sont ambitieux, c'est une nécessité. Ils sont indispensables à l'atteinte de nos objectifs opérationnels dans nos engagements extérieurs et à la préservation de la vie de nos hommes. Une armée mal entraînée est une armée qui court des risques en opération. Je suis optimiste quant à leur atteinte.

La préparation de l'avenir est complémentaire de cette restauration de capacité, de ce renouvellement et de cette réparation. Elle nous oriente également vers ce que seront les armées en 2040. La LPM actuelle ne va pas d'emblée se traduire par des livraisons de capacités d'avenir, mais doit en préparer le lancement.

Je pense bien évidemment aux grands programmes structurants SCAF, MGCS et au drone MALE européen. Nous avons l'intention de structurer la coopération internationale autour de ces grands projets, de fédérer nos partenaires autour de la France et de créer ainsi une véritable souveraineté européenne.

Sur ce chemin, le besoin de plusieurs capacités que nous avions identifié se révèle plus urgent qu'initialement anticipé. Ainsi, dans le domaine informationnel ou dans le domaine cyber, nous devons investir dès aujourd'hui pour développer nos capacités opérationnelles. Il ne s'agit pas de combler des ruptures capacitaires, mais bien de se doter de nouvelles capacités : moyens de lutte informatique défensive et offensive. Le budget cyber sera ainsi porté à 201 millions d'euros en 2021.

C'est également le cas de l'espace avec un budget de 624 millions d'euros. Nous prévoyons le lancement de la construction des infrastructures du commandement de l'espace auquel nous souhaitons ajouter un centre d'excellence de l'OTAN et la livraison de satellites d'observation, de télécommunication et une première capacité d'écoute spatiale avec les trois satellites du système Ceres.

Enfin, 2021 sera la première année du cadre financier pluriannuel pour le fonds européen de défense, doté de 7 milliards d'euros, avec l'élaboration d'un programme de travail avec la Commission pour développer des projets capacitaires en coopération.

La préparation de l'avenir, c'est également l'innovation de défense avec une organisation et des méthodes nouvelles. L'objectif est d'accélérer le développement et le déploiement des innovations auprès des utilisateurs, d'optimiser et de fluidifier les processus et de conserver une capacité d'adaptation indispensable.

Les moyens associés s'élèveront à 922 millions d'euros en 2021. Le système reposera sur un fonctionnement volontairement décentralisé avec un réseau d'innovation dans les territoires composés des « laboratoires d'armées » et des centres de la DGA. Enfin, le fonds Definnov, doté de 200 millions d'euros en 2021, est un outil important qui permettra d'orienter les financements disponibles vers la participation au développement de technologies duales prometteuses.

En ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle, le projet de loi de finances pour 2021 confirme l'effort important sur nos crédits d'entretien programmé du matériel (EPM) pour améliorer nos taux de disponibilité, régénérer nos matériels et, à terme, remonter l'activité vers les normes prévues par la LPM.

Conformément à l'effort de reconstruction porté par des investissements pluriannuels, les crédits d'EPM augmenteront de 1,5 milliard d'euros en autorisations d'engagement. Ils nous permettront en particulier de poursuivre la verticalisation des contrats mis en oeuvre par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé).

Les équipements de proximité sont importants. Financés au titre du programme 146, mais également à celui du programme 178, ils profitent directement à nos soldats et à l'amélioration des conditions d'exercice de leur mission. Je pense notamment à la livraison de gilets pare-balles appelés structures modulaires balistiques (SMB). Il s'agit d'un programme important en termes de garantie de la sécurité. Ces SMB permettront à nos soldats de bénéficier d'une ergonomie améliorée et d'une grande modularité.

Ce programme bénéficie sur la durée de la LPM d'un effort financier de près de 140 millions d'euros pour l'acquisition de 109 000 SMB. À ce jour, 13 200 structures modulaires balistiques ont été livrées.

Le treillis F3, issu du programme Félin, marque un saut qualitatif avec une protection renforcée contre le risque « feu » et une meilleure résistance. Mis en place au profit des forces en opération extérieures depuis 2019, ce nouveau treillis est en cours de déploiement dans les unités Félin de l'armée de terre et doit être généralisé progressivement à partir de 2024, avec une cible d'acquisition de 1 400 000 treillis pour un coût de près de 200 millions d'euros. À ce jour, 411 860 treillis F3 ont été livrés.

De même, nous avons passé commande de 15 000 pistolets semi-automatiques.

En ce qui concerne les infrastructures, le budget confié aux armées, directions et services dans ce domaine très sensible augmente de 55 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 70 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui nous permettra d'améliorer progressivement les conditions de travail et d'accueil dans les régiments, ports et bases aériennes. L'effort bénéficiant aux hébergements se poursuit également en 2021, avec 256 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 95 millions d'euros de crédits de paiement.

La singularité de la condition militaire n'est pas liée uniquement à des questions de statut et de rémunération, aussi importantes soient-elles.

La nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) va être lancée l'année prochaine, dans des proportions que nous souhaitions tous plus importantes. Toutefois, il s'agit d'un premier objectif calendaire atteint avec 38 millions d'euros prévus pour nouvelle indemnité de mobilité géographique. Cette revalorisation, certes mesurée, est indispensable au soutien à la mobilité et donc à la fidélisation.

Au-delà, c'est la mise en oeuvre de l'ensemble de la NPRM que j'appelle de mes voeux, sans retard supplémentaire et au niveau de financement prévu, afin de donner aux armées les leviers dont elles ont besoin en termes de ressources humaines.

Les principes de la singularité sont la disponibilité, la discipline, la réactivité, l'autonomie et une éthique propre. Faire face à l'imprévu suppose la restauration de conditions d'organisation et de fonctionnement des armées. Nous y travaillons avec la ministre depuis trois ans avec des résultats importants - application du principe de subsidiarité, restauration d'une sorte de verticalité des soutiens sous l'autorité des unités de terrain... Il s'agit d'un sujet de fond qui vise également à restaurer la capacité des armées. Je sais que vous suivez ces questions avec attention. Encore une fois, ne limitons pas cette singularité à des questions de rémunération et de statut.

Je dirai enfin un mot de la préparation opérationnelle. La loi de programmation militaire va restaurer et réparer des capacités, préparer l'avenir. Elle est aussi ambitieuse pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD). La préparation opérationnelle est tout aussi essentielle pour garantir l'efficacité de nos armées.

L'annuité 2021 me semble en cohérence avec les deux premières années de la loi de programmation militaire. Elle nous permettra d'atteindre l'ambition opérationnelle que j'évoquais au début de mon propos et à laquelle je n'imagine pas que la France puisse renoncer à l'horizon 2030 au regard de l'évolution du contexte géopolitique et de sa dégradation extrêmement rapide.

Je vous remercie, mon général, de cette présentation très complète des moyens mis à votre disposition dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021. Je laisse maintenant la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent vous interroger.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Paul

J'ai interrogé hier la ministre des armées sur l'intérêt de la Croatie pour l'achat de douze Rafale, mais je n'ai pas obtenu de réponse. Si je calcule juste, avec le contrat grec, vingt-quatre avions de nos escadres, soit 25 % de nos capacités opérationnelles, pourraient être vendus à l'étranger. Pourriez-vous nous donner quelques précisions sur ce sujet ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vivette Lopez

Le ministre de la justice a tout récemment évoqué une solution d'encadrement militaire pour les mineurs et les jeunes majeurs délinquants. Que pensez-vous de cette idée qui n'est pas si nouvelle ?...

Par ailleurs, que préconiseriez-vous pour que la France conserve la maîtrise des flux maritimes nécessaires à son économie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Cédric Perrin

Merci de vos propos très forts et très clairs sur la situation au Mali, mon général.

Je voudrais compléter la question de Philippe Paul en vous demandant où seront prélevés les Rafale promis à la Grèce. Si la décision n'est pas encore arrêtée, quelles sont les différentes options envisagées ? Quel pourrait être, in fine, l'impact du contrat en cours de négociation avec la Grèce en termes opérationnels ?

Vous connaissez mon attachement à la question des drones. Dans le conflit du Haut-Karabagh, il semblerait que l'Azerbaïdjan utilise des drones suicides israéliens. Il s'agit de munitions à distance, soit guidées, soit programmées, qui s'écrasent sur leur cible avec des effets dévastateurs. L'usage de drones armés turcs est également de plus en plus évoqué. Que pensez-vous de ce type d'armement ? Les usages qui en sont faits deviennent-ils symptomatiques des conflits de demain ? Nous sommes loin des drones rudimentaires dotés d'une charge explosive que l'on a déjà pu observer sur certains théâtres d'opérations. Des groupes armés terroristes pourraient-ils, à l'avenir, mettre la main sur ce type d'engins ? Est-on prêt à affronter ce type de menace et comment envisagez-vous d'y répondre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Vous avez évoqué la problématique de l'entretien des matériels et notamment la question de la verticalisation des contrats. Notre commission a pu observer un net accroissement des coûts horaires de maintenance qui impactent assez largement l'effort financier budgétaire initialement prévu dans la LPM. Sans tenir compte de l'augmentation de ces coûts horaires sur l'entretien programmé, sans tenir compte non plus du coût de réparation de la Perle et du surcoût lié à l'utilisation d'aéronefs vieillissants, le compte n'y est pas : 900 millions d'euros manquent d'ores et déjà.

L'actualisation de la précédente LPM avait nécessité une inscription budgétaire supplémentaire d'environ 500 millions d'euros. Pouvez-vous nous donner des précisions sur la clause de révision de cette LPM au titre de l'année 2021 ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Mon général, vous avez évoqué la préparation de l'avenir et l'horizon 2040. Nous parlons beaucoup des conflits de demain, du rôle de l'espace, de la robotique et des drones. Il est aussi un sujet important, celui de notre défense maritime, la France possédant la deuxième plus grande zone économique exclusive au monde. Nous assistons aujourd'hui à un accroissement des tensions moins terrestres que maritimes - je pense notamment à la mer de Chine méridionale ou à la Méditerranée orientale. Cette situation implique-t-elle une évolution ou une réorientation de nos forces armées ? Faut-il renforcer notre marine et notre aéronavale ou les équilibres définis dans la LPM sont-ils toujours pertinents ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Nous pouvons tous nous réjouir de constater que l'enveloppe progresse conformément à la trajectoire. Le diable se cache dans les détails, paraît-il : attendons donc de voir si certains détails méritent d'être explorés...

Pensez-vous, mon général, que nous disposons réellement, avec ce budget, des moyens militaires nécessaires pour faire face à la montée des tensions en Méditerranée orientale et dans le Caucase ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Le Nay

Le plan de relance globale de 100 milliards d'euros présenté par le Gouvernement en septembre dernier ne comprend pas de volet spécifique pour la base industrielle et technologique de défense (BITD). Depuis la pandémie, la BITD est confrontée à une grave crise économique. Comment garantir, à long terme, le maintien de notre souveraineté et de notre autonomie stratégique si notre industrie militaire n'est pas sauvegardée ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Je voudrais tout d'abord vous transmettre la question de Mme Conway-Mouret : nos pays européens font face à des risques divers, mais il leur manque une vision stratégique et une culture opérationnelle communes qui leur permettraient de répondre ensemble aux menaces qu'ils identifient. Les initiatives se sont multipliées, ces dernières années, au sein et en dehors des institutions européennes comme la création de l'initiative européenne d'intervention (IEI) ou la boussole stratégique. Mais l'on voit aussi que la France demeure relativement isolée sur le plan politique et diplomatique, notamment au regard de ses positions face aux agissements de la Turquie en Méditerranée orientale. Observez-vous néanmoins des avancées concrètes dans l'élaboration d'une culture stratégique commune au niveau militaire ? Où en est la mise en place de la task force Takuba ? Quel est l'apport concret de l'initiative européenne d'intervention ?

Quant à moi, j'aimerais connaître votre opinion sur le rôle des réserves militaires, et notamment sur leur apport aux OPEX ? Les réservistes sont engagés sur les théâtres d'opérations au même titre que les militaires.

Général François Lecointre. - La ministre des armées a clairement répondu hier sur la question des Rafale. Je pense que les objectifs 2025 de 129 Rafale pour l'armée de terre seront tenus. Nous regardons comment réaliser les décalages d'engagements du programme 146 à même de garantir le bon déroulement des choses. À ce stade, je ne dispose pas encore du détail des escadrons où seront ponctionnés les avions à livrer. Nous y travaillons, en lien avec le chef d'état-major de l'armée de l'air. Nous ne nous priverons pas de moyens aériens engagés en opération ni de ceux, absolument indispensables, engagés en permanence dans la posture de protection aérienne nationale.

Par ailleurs, il ne faut pas non plus négliger le poids qu'aura, sur le plan organique, le soutien de ce prospect et de cette vente d'avions à la Grèce. Tous ces sujets sont étroitement étudiés entre l'état-major des armées, l'état-major de l'armée de l'air et le cabinet de la ministre des armées. La mise en place d'une « communauté Rafale » avec la Grèce et d'autres partenaires occidentaux est la garantie d'une interopérabilité extrêmement précieuse. Elle représente aussi un intérêt majeur pour la base industrielle et technologique française.

Il existe effectivement un deuxième prospect croate. Une demande d'offre a été émise en janvier 2020 vers un certain nombre de pays, dont la France. Nous y avons répondu, en septembre dernier, en proposant une cession de douze Rafale d'occasion. Bien évidemment, nous souhaitons des dates de livraison qui s'enchaînent dans le temps avec la cession des Rafale à la Grèce. À défaut, l'effort demandé à l'armée de l'air ne sera pas soutenable.

Si l'ampleur des prospects Rafale devait changer de dimension, la question se posera de l'augmentation des capacités industrielles du groupe Dassault. Il devra alors prendre le risque d'ouvrir des chaînes supplémentaires. De toute évidence, les armées françaises et l'armée de l'air ne peuvent servir d'assurance systématique, comme l'a bien compris l'industriel en question.

Vous avez raison, monsieur Perrin, ce recours de plus en plus important aux drones est inquiétant et nous devons le prendre en compte. Au-delà de l'emploi de drones que l'on peut trouver dans le commerce avec l'emport d'explosifs ou de grenades, comme on a pu le voir sur certains théâtres d'opérations, nous constatons aujourd'hui l'emploi de technologies de plus en plus sophistiquées, accessibles aux groupes armés terroristes ou aux ennemis dits « asymétriques ».

Par ailleurs, ces drones, qui ne sont pas si sophistiqués, constituent une menace importante. Cette situation nous pousse à investir dans la recherche et à développer l'innovation en matière de défense et de lutte anti-drones. Cette menace, qui peut évidemment s'exercer sur le territoire national, est prise très au sérieux par l'état-major des armées et par l'état-major de l'armée de l'air. Nous allons nous doter de meilleures capacités de détection, d'action et de neutralisation.

Madame Lopez, vous m'interrogez sur l'encadrement de délinquants par des militaires, comme l'a évoqué le Garde des sceaux. Je suis toujours très prudent sur ces questions. Mon premier souci est de préserver les capacités des armées, de préserver leurs ressources humaines et de préserver les investissements que la nation consent pour construire un outil de défense efficace. Les armées sont faites pour faire la guerre, non pour participer prioritairement à l'éducation de la jeunesse délinquante.

Un certain nombre d'expérimentations ont déjà été menées depuis une trentaine d'années - je pense au dispositif « Jeunes en équipe de travail », lancé par l'amiral Brac de la Perrière. Il me semble que le rapport entre l'investissement demandé aux armées et les résultats obtenus ont été extrêmement décevants.

Ce que les armées souhaitent faire, c'est essentiellement transmettre leur savoir-faire. Les armées ont une pratique singulière de la discipline, du commandement, de la capacité à créer de la cohésion dont les résultats sont généralement extrêmement satisfaisants. Pour autant, tout cela est orienté vers la mise en oeuvre de la force militaire et dans l'engagement au combat. Former de jeunes délinquants au combat pour ensuite les renvoyer dans la société civile me laisse très circonspect, tout comme la ministre des armées. Bien évidemment, nous sommes prêts à discuter avec le ministère de la justice pour identifier les savoir-faire militaires et les capacités d'éducation propres aux armées qui pourraient être utiles à l'éducation de la jeunesse. Mais, en tout état de cause, les armées sont aujourd'hui calibrées pour être engagées en opérations extérieures ou intérieures. La nation consent un effort important pour les reconstruire dans la perspective d'une ambition opérationnelle de référence qui guide la loi de programmation en cours et la suivante. Ne dispersons pas les moyens et ressources consacrés à un outil dont la vocation est de faire la guerre.

Mme Conway-Mouret m'interroge sur la défense européenne et souligne que la France serait relativement isolée, notamment dans ses prises de position fermes face à la Turquie. Depuis que je suis engagé en tant que général européen, notamment dans le cadre de la mission EUTM Mali, je constate un progrès substantiel de la culture de défense de l'Union européenne. Comme je l'ai souligné dans mon propos liminaire, nous disposons désormais d'un fonds européen de défense, doté de 7 milliards d'euros - ce n'est pas rien. Des dispositifs de coopération structurelle permanente ont été mis en place et 46 projets arrêtés entre 2017 et 2019, la France étant présente dans 35 d'entre eux. Nous avons également un dispositif de vision de la programmation européenne, guidé par le Headline goal, qui va orienter les efforts des Européens. De même, l'initiative européenne d'intervention permet de créer une culture commune. Les missions européennes au Mali, en Centrafrique et en Somalie perdurent. Or, à chaque fois que nous avons voulu les faire évoluer de façon plus opérationnelle, nous avons été entendus par nos partenaires européens.

La mise sur pied de la force Takuba, même s'il ne s'agit pas d'une mission européenne, est un vrai succès. Nous pouvons aujourd'hui être fiers d'avoir réussi à entraîner les Européens à nos côtés dans la résolution de la crise sahélienne. C'est un défi qui dépasse le cadre africain, comme l'ont bien compris l'ensemble des Européens. Le premier task group franco-estonien est aujourd'hui opérationnel. Les Tchèques vont nous rejoindre, tout comme les Suédois. Les Italiens frappent aussi à la porte.

Même si cette construction demeure lente et imparfaite, nous progressons de façon considérable pour mettre en place une culture et des mécanismes à même de nous permettre de définir une politique européenne de défense et de sécurité, avec une véritable ambition militaire opérationnelle européenne.

Nous connaissons bien les freins à cette ambition européenne de défense. Je pense en particulier au procès assez facilement fait à la France de vouloir opposer l'Union européenne à l'OTAN. Mais nous sommes constants dans notre discours : il existe une vraie complémentarité entre l'OTAN et l'Union européenne. L'un n'est pas à opposer à l'autre. Je crois que nous sommes de mieux en mieux entendus.

M. Cigolotti a évoqué l'augmentation des coûts horaires de l'entretien programmé du matériel liée à la verticalisation des contrats. Les coûts augmentent, certes, mais les courbes de disponibilité technique opérationnelle de ces équipements augmentent également. La verticalisation des contrats permet une plus grande sincérité quant au coût réel du maintien en condition opérationnelle. Je ne crois pas qu'il existe d'autres solutions que d'associer les industriels, dans tous les domaines - aérien, naval et terrestre. Nous sommes sur la bonne voie. Faudra-t-il des abondements spécifiques lors de l'actualisation de la loi de programmation militaire, en 2021 ? Nous étudierons cette question. Je suis très attentif à préserver le fonctionnement des armées.

Monsieur Gattolin, je suis bien conscient des tensions maritimes dans le Pacifique, en mer de Chine du Sud, en Méditerranée orientale, dans le détroit d'Ormuz, entre la Libye et l'Italie... Toutefois, à ce stade, je ne vois pas de raison de revoir l'équilibre capacitaire qui prévaut dans les deux lois de programmation.

Si l'on peut bouger des curseurs capacitaires ou de construction d'un modèle d'armée, notamment pour faire face à des besoins qui émergent brutalement - lutte informationnelle, lutte cyber, espace... -, il ne faut pas revenir en permanence sur de grands équilibres qui me semblent satisfaisants.

M. Allizard m'interrogeait sur les moyens nécessaires à engager dans le Caucase. Je ne vois pas de raison, aujourd'hui, pour que la France s'engage dans cette région. La France est par contre en mesure de participer à une négociation internationale, de par son statut de puissance importante, qui permettrait d'aboutir à un cessez-le-feu durable.

Pour autant, cette crise est révélatrice de ce qui est en train de se passer et que nous avions annoncé dans la revue stratégique de 2017. Elle illustre parfaitement l'attitude de plus en plus décomplexée de la Turquie, laquelle saisit chaque occasion de manifester sa puissance et sa capacité de nuisance sur l'ensemble du bassin méditerranéen, au Moyen-Orient, dans le Caucase et en mer Noire. C'est un vrai sujet. Continuons de consolider notre modèle d'armée, cela s'avère de plus en plus nécessaire.

La loi de programmation militaire a aussi été construite en fonction des capacités que nous devons faire monter en puissance. Si on nous disait que l'on allait tout de suite arriver à 2 % du produit intérieur brut, selon les des conditions qui prévalait avant la pandémie, je ne sais pas si nous en serions capables, ni si les industriels de l'armement en seraient capables. Nous sommes déjà passés à 40 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2021. Il s'agit d'une croissance importante que les armées doivent absorber. Le rythme de montée en puissance tient compte de notre faculté à accueillir de nouvelles capacités, à faire monter en puissance les ressources humaines, à les entraîner, à les former alors même que nous sommes engagés en permanence. Le simple fait d'équiper un régiment d'un parc de Griffon, c'est-à-dire de véhicules entièrement nouveaux, implique des efforts en termes d'infrastructures, de formation des équipages et des mécaniciens. C'est une contrainte importante pour un régiment déjà engagé par ailleurs.

Je suis très attaché à ce qu'on s'en tienne à la réalisation de la loi de programmation militaire en toute rigueur, totalement, en respectant le rythme fixé. Je ne pense pas que nous soyons capables de monter en puissance beaucoup plus rapidement.

M. Le Nay regrettait que les armées n'aient pu profiter du plan de relance. Toutefois, la loi de programmation militaire, qui a été rigoureusement construite, correspond à un effort national important et à une volonté politique fermement réaffirmée, à plusieurs reprises. Je veux surtout éviter que, pour profiter d'un effet d'aubaine, nous remettions en question la solidité et la construction très rigoureuse de la LPM.

Notre capacité d'engagement et la bonne visibilité que nous offre cette loi de programmation militaire nous ont permis de décaler certaines opérations et d'en avancer certaines de façon à ne pas limiter nos engagements et à ne pas perdre le bénéfice de l'accroissement de nos capacités militaires, malgré la crise sanitaire.

Madame Jourda, les réservistes qui sont engagés en opérations le sont uniquement à titre individuel - c'est important. Aujourd'hui, plus de 3 000 réservistes en moyenne sont engagés tous les jours, principalement sur le territoire national. Je ne sais pas exactement combien sont engagés en opérations extérieures. Il s'agit de compléments individuels, généralement d'anciens militaires avec des compétences particulières. Selon moi, la réserve doit être engagée en priorité sur le territoire national, ce qui est plus compatible avec une vie professionnelle classique.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Les analyses que vous nous faites partager sont tout à fait passionnantes. Merci de nous avoir fait part de tous ces éléments, mon général.

Comme je l'ai souligné, notre objectif, pour 2021, est de suivre pas à pas l'actualisation de la LPM. Les éléments que vous nous avez donnés, après ceux dont nous a fait part, hier, la ministre des armées, nous permettent d'être confiants. Nous restons vigilants, car nous connaissons un ministère qui se trouve rive droite et qui n'a pas toujours de bonnes intentions... Nous serons là pour vous assurer que les engagements pris par le Président de la République, et auxquels je crois personnellement, soient bien tenus.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 13 h 10.