La Délégation procède à l'audition de M. Roland Ries, président du Groupement des autorités responsables de transport (GART).
Président du GART, maire de Strasbourg et sénateur du Bas-Rhin, je m'intéresse aux questions de transport depuis plus de vingt ans. J'ai été, en particulier avec Mme Catherine Trautmann, à l'époque, à Strasbourg, le porteur politique du projet « tramway ». Quand je dis projet « tramway », c'est un peu un raccourci d'expression. En fait, ce qu'on a essayé de faire à Strasbourg, ce n'est pas seulement un tramway, c'est une politique de mobilité urbaine globale.
C'est donc à plus d'un titre que j'ai pu réfléchir au sujet qui préoccupe la délégation : la pertinence des périmètres de transports entre les différentes autorités organisatrices et les difficultés que cela engendre.
Le GART a été créé en 1980. L'ensemble des régions françaises métropolitaines en font aujourd'hui partie, à peu près les trois quarts des départements et la quasi-totalité des autorités organisatrices urbaines, y compris le syndicat des transports d'Ile-de-France (le STIF).
Les fonctions du GART ont évolué depuis l'origine. Au départ, c'était pour l'essentiel une structure de lobbying, destiné à obtenir des cofinancements de la part de l'Etat, ce qui a assez bien fonctionné jusqu'à une période récente, avant une traversée du désert, entre 2004 et 2009, période au cours de laquelle l'Etat s'est désengagé. Nous connaissons de nouveau une période de cofinancements, certes insuffisants, mais non négligeables puisque deux récents appels à projets ont permis de dégager respectivement 800 et 500 millions ; l'objectif est de mobiliser 2 milliards d'euros à l'horizon 2020.
La deuxième fonction du GART, qui s'est beaucoup renforcée au fil des années, consiste en un échange de bonnes pratiques, d'expériences.
La troisième fonction du GART consiste à développer la recherche appliquée, en liaison directe avec les laboratoires de recherche et universitaires qui font de la recherche fondamentale.
Je souhaiterais connaître les montants des investissements qui ont été réalisés, au cours des dix ou quinze dernières années, en distinguant peut-être le génie civil et les différents types de matériels. Personnellement, je suis intimement convaincu que les investissements que les collectivités organisent en matière de transports sont des ferments de recherche et que la chance de l'industrie française des transports réside dans la capacité d'investissement des collectivités ainsi que dans la fonction de coordination, de médiation que le GART peut jouer. Je pense que c'était très important que vous rappeliez l'évolution du GART, car le GART que j'ai connu au début des années 80 et celui d'aujourd'hui, ce n'est plus tout à fait la même chose.
Il y a d'importants déséquilibres entre les investissements et les aides que l'Etat réalise pour l'Ile-de-France et ceux qu'il consent pour les autorités organisatrices de province. C'est une situation que le GART critique, droite et gauche confondues car, bien sûr, nous sommes une association transpolitique : toutes nos instances sont politiquement paritaires. Je suis le président, maire socialiste de Strasbourg, mais le premier vice-président est M. Louis Nègre, maire UMP de Cagnes-sur-Mer. Deux chiffres vous montreront ce déséquilibre que nous dénonçons : pour la seule région Ile-de-France, il est prévu une contribution de l'Etat au projet du Grand Paris, sur l'exercice 2010, de 4 milliards d'euros ; pour l'ensemble des autorités organisatrices de province, on a une contribution de 2 milliards, à l'horizon 2020. On voit bien quand même que le déséquilibre est considérable, alors que si l'on se réfère à la population, l'ensemble des villes de province ont une population 1,8 fois supérieure à celle de la région parisienne desservie.
C'est d'ailleurs une situation qui concerne tous les domaines : plus de la moitié de l'effort de l'Etat dans le domaine culturel bénéficie à Paris ; il en va de même en matière de santé.
Bon an mal an, un peu moins de 30 % des dépenses d'investissement de transports urbains sont consacrés au matériel roulant. La proportion était de 27 % en 2008, sur un total de 1,86 milliard d'euros, ce qui en fait le premier poste d'investissement des autorités organisatrices de transports urbains.
Ce qui est intéressant dans le matériel roulant, c'est de voir la capacité de commande des autorités organisatrices par rapport à la production industrielle, qu'elle soit française ou étrangère.
C'est justement une des difficultés. L'Etat a tendance à considérer que, comme nous sommes dans un domaine très ouvert à la concurrence internationale, l'argent public qui pourrait être injecté en la matière pourrait en définitive bénéficier à des constructeurs étrangers et les aider à s'implanter sur le marché français. L'argument vaut ce qu'il vaut, mais il n'est pas contestable que des constructeurs étrangers sont présents sur le marché. A Strasbourg, par exemple, notre premier tramway était suédois, italien, anglais ; il n'y avait que les bureaux d'études qui étaient français.
Autre question : quel est votre sentiment, votre prise de position, sur le versement transport communautaire, départemental, régional ? Est-ce que le GART, indépendamment de la diversité de ses sensibilités, a une position commune sur cette question ?
La réponse est oui : nous sommes très attachés au versement transport (VT), tel qu'il existe aujourd'hui, c'est-à-dire à l'intérieur des périmètres de transports urbains (PTU). Je rappelle en effet que c'est à l'intérieur des PTU que l'ensemble des autorités organisatrices peuvent percevoir le VT, à la condition qu'elles aient un projet de transport en commun en site propre dans la limite de 1,8 % de la masse salariale des entreprises (publiques et privées). Toutes ne perçoivent pas ce taux, mais c'est le maximum. Il a été augmenté, dans le cadre du Grenelle II, à 2 %, pour les communes dites touristiques.
Maintenant, la question se pose de la perception de l'éventuelle extension du versement transport en dehors des PTU, au profit de la région. L'idée que les régions puissent prendre une partie du produit du VT qui est aujourd'hui attribué aux autorités organisatrices, me semblerait pour le moins très audacieuse et soulèverait sans doute bien des problèmes. Dès lors, deux voies sont envisageables :
- la première, c'est la voie de ce que l'on appelle le « versement transport interstitiel » : le VT serait perçu par les régions, mais uniquement en dehors des périmètres de transports urbains ; en d'autres termes, une région pourrait ponctionner des entreprises qui ne sont pas dans le PTU, mais elle ne percevrait aucun VT à l'intérieur de celui-ci ;
- la deuxième hypothèse, toujours dans le cadre de l'extension du VT, serait d'avoir ce que l'on appelle un « versement transport additionnel » : le VT s'étendrait sur l'ensemble du territoire, y compris dans les périmètres de transports urbains, de sorte que, à l'intérieur de ces périmètres, on pourrait aller au-delà de 1,8 % (ou de 2 % pour les communes touristiques). Les régions auraient alors une ressource relativement importante, en tout cas plus importante que si elles se contentaient de ce qui est à l'extérieur des PTU.
Ce sont les deux voies, aujourd'hui, qui sont ouvertes. Le GART est d'accord pour étendre le versement transport, mais il n'a pas encore fait le choix entre VT interstitiel et VT additionnel.
Si le choix était fait d'un versement transport additionnel, avez-vous envisagé l'idée de mettre en place un plafond, avec des parts respectives pour la région, pour le département et pour les intercommunalités ?
On pourrait imaginer que ce versement transport additionnel soit fixé à 0,5 % de la masse salariale, ce qui veut dire qu'on passerait globalement de 1,8 à 2,3 % (ou de 2 à 2,5 %) avec 0,5 % pour l'extérieur du PTU. Cela représente évidemment des sommes très importantes avec des conséquences sur la compétitivité des entreprises, ce qui ne manquera pas de faire réagir le MEDEF dans ce débat.
Est-ce que le Gouvernement pourrait y être favorable à condition que cela ne dépasse pas un seuil de 0,8 % par exemple ?
Je ne comprends toujours pas aujourd'hui qu'on ait opéré une distinction, que je ne trouve personnellement pas cohérente, entre la possibilité de percevoir le versement transport dans les entreprises qui sont à l'intérieur d'un PTU et l'impossibilité de le faire à l'extérieur. C'est pour cette raison que certains estiment que si un versement transport est établi à l'extérieur du PTU, son montant doit rester modeste.
Or cela n'a pas de justification, car on observe précisément aujourd'hui des distorsions de concurrence entre les entreprises selon qu'elles sont ou non à l'intérieur d'un PTU, et cela aboutit à des déséquilibres dans l'aménagement du territoire. C'est d'ailleurs ce que je constate à Strasbourg, où des zones d'activités se développent hors des frontières du PTU, dans lesquelles aucun versement transport n'est exigé, mais où paradoxalement on a des difficultés pour les desservir.
Cette situation n'est pas satisfaisante, en termes d'aménagement du territoire, car elle aboutit à créer des ceintures de zones d'activités, mal desservies, en vidant le coeur des agglomérations et en favorisant la prolifération urbaine. C'est pourquoi ma position personnelle est claire : il conviendrait de traiter équitablement toutes les entreprises qu'elles soient ou non à l'intérieur d'un PTU.
Quel est l'état actuel des relations entre régions, départements et établissements publics de coopération intercommunale ?
C'est la question de la gouvernance et des périmètres des autorités organisatrices de transport. Il est évident aujourd'hui que les bassins de mobilité s'étendent très au-delà des PTU et que la répartition actuelle, héritée de la loi sur les transports intérieurs (LOTI), mérite sans doute d'être revue ou en tout cas amendée. Cette répartition distingue, en effet, le périmètre des transports urbains, gérés par l'autorité organisatrice urbaine, celui des transports interurbains, à savoir les bus, gérés par le département, et celui des transports ferroviaires, gérés par la région.
Des régions ont essayé de progresser sur ces questions en mettant en place des coordinations informelles, à l'image de celle instaurée entre la région Alsace, les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, la communauté urbaine de Strasbourg et la communauté d'agglomération de Mulhouse, sous la forme d'un comité de coordination des autorités organisatrices de transport. Cela a permis de progresser sur les questions de tarification unique et sur la mise en place d'un schéma cohérent de déplacement dans la région, en évitant ainsi les contradictions.
D'autres hypothèses, qui n'ont à ce jour pas été mises en oeuvre ou partiellement, peuvent être explorées :
- d'abord, la création de syndicats mixtes. Cela peut constituer une réponse intéressante dans les bassins de vie interurbains qui sont interdépendants de zones d'emplois situées en zones urbaines. L'inconvénient, bien sûr, c'est que cette solution ajoute un niveau supplémentaire dans le millefeuille décisionnel, alors même qu'aucune autorité organisatrice n'a d'autorité sur une autre ;
- ensuite, le conventionnement entre plusieurs autorités qui désigneraient une autorité chef de file. Dans cette hypothèse, il paraît évident que la région devrait alors être désignée comme telle ;
- enfin, la mise en place d'un nouvel outil juridique : les sociétés publiques locales, composées à 100 % de capitaux publics. A ma connaissance, cette solution n'a pas encore donné lieu à application, mais il faut dire que la loi qui a créé les sociétés publiques locales n'a même pas un an.
L'Etat, de son coté, essaye de mettre en place un schéma national des infrastructures de transport, qui reste assez contesté aujourd'hui sur le plan politique. L'Etat s'est, par ailleurs, réinvesti dans le transport public à travers les appels à projets, comme je l'ai évoqué tout à l'heure.
Pour finir sur cette question, il y a une demande ancienne et « transpolitique » du GART, consistant à permettre aux autorités organisatrices de transport de devenir des « autorités organisatrices de mobilité durable », c'est-à-dire à leur donner des compétences supplémentaires par rapport à la seule compétence de gestion des transports en commun. Cela leur permettrait ainsi de détenir l'ensemble de la « boîte à outil » en matière de transports (plans de déplacement d'entreprise, infrastructures de voirie, vélo, auto-partage, covoiturage, parking relais) et d'assurer l'intermodalité entre les différents types de transports. Or, aujourd'hui, ces compétences sont éclatées entre différentes autorités.
Certes, mais actuellement rien n'empêche de faire cela par voie de conventionnement.
Existe-t-il des expériences de démarches de « ticket unique » permettant d'utiliser à la fois les transports de la SNCF, les transports interdépartementaux, les transports urbains, les vélos, et les parkings relais par exemple ?
En dehors de l'agglomération parisienne, il n'y a malheureusement pas beaucoup d'expériences de ce type, et ce, pour une raison simple : nous constatons des difficultés à mettre en place des « chambres de compensation », c'est-à-dire de mutualiser et de partager efficacement les recettes des différents réseaux entre les autorités organisatrices. Je suis persuadé que le développement de la billettique nous permettra de nous doter d'instruments scientifiques pour mesurer la fréquentation des différents réseaux et faciliter ainsi la mise en place d'outils de tarification unique.
L'autre frein à ce type d'expériences réside dans la segmentation des territoires gérés par les autorités organisatrices de transport, lesquelles veulent conserver la maîtrise de leurs recettes respectives.
Personnellement je crois beaucoup à la négociation et, surtout, à la transparence en matière de mutualisation des recettes.
Est-ce que le GART a recensé les difficultés rencontrées dans la mise en place des transports en commun en site propre (TCSP) ? De mon coté, je reste convaincu que les autorités organisatrices de transport n'auraient pas investi si elles s'étaient arrêtées aux oppositions des populations ou aux manifestations de l'opinion.
En effet, il n'existe en France qu'un seul exemple où un référendum local sur la mise en place d'un TSCP s'est avéré positif : celui organisé par le maire de Grenoble en 1983, Alain Carignon. Ce dernier avait précisément fait campagne contre son prédécesseur, Hubert Dubedout, sur le thème du tramway en marquant son opposition à son implantation. Or une fois élu, ce référendum lui a permis de changer de position sans trop de difficultés vis-à-vis des Grenoblois qui se sont exprimés majoritairement en faveur de la mise en place du tramway.
Les autres exemples de consultations se sont, à ma connaissance, traduits par des échecs, en raison des refus exprimés par les populations locales.
Cela étant, la situation est aujourd'hui différente à plusieurs titres.
Tout d'abord, l'état de l'opinion a beaucoup changé en une dizaine d'années. Auparavant, lorsque les élus souhaitaient mettre en place un tramway, l'état de l'opinion constituait la principale difficulté. Je parle en connaissance de cause, car l'implantation du tramway a été une bataille très dure à Strasbourg, troisième ville de France à se doter d'un tramway, après Nantes et Grenoble. A cette époque, nous sentions bien l'inquiétude de la population : les citoyens avaient du mal à circuler et craignaient que le tramway empiète sur leur espace. L'opinion était soit franchement hostile, soit angoissée. Mais cet obstacle est aujourd'hui moindre. Au contraire, pour beaucoup de gens, c'est une fierté que d'avoir un tramway permettant de désenclaver les quartiers et nombreux sont ceux qui en réclament la présence.
En revanche, là où les choses se sont aggravées, c'est au niveau de la capacité d'investissement des collectivités territoriales qui est aujourd'hui beaucoup plus faible et cela constitue un grave problème. En effet, toutes les collectivités qui se sont lancées dans des investissements lourds comme la création d'un tramway, il y a environ une bonne dizaine d'années, se sont, non seulement, endettées pour financer les travaux, mais continuent de s'endetter pour financer le fonctionnement quotidien et les déficits d'exploitation.
En dernier lieu, j'observe que plus on s'éloigne du coeur dense des villes, plus l'exploitation du réseau de transports devient difficile et déficitaire. Le fameux coefficient d'élasticité, qui permet de mesurer la fréquentation supplémentaire générée par un investissement, se détériore au fur et à mesure que le tramway pénètre des zones moins denses. Ainsi, au début, lorsque l'offre « tramway » augmentait de 20 %, sa fréquentation augmentait d'environ 30 %. Aujourd'hui pour le même renforcement de l'offre, la fréquentation ne croît peut-être que de 10 %. Ainsi, l'exploitation devient structurellement déficitaire et les collectivités financent lourdement ce déficit. A Strasbourg, par exemple, la communauté urbaine consacre le quart de son budget aux amortissements et au déficit d'exploitation du tramway.
Il est indéniable que, ces dix ou quinze dernières années, la population a redécouvert les transports collectifs et que l'on a enregistré de véritables succès en ce domaine, par exemple avec des tramways.
Dans mon département, chargé des transports terrestres et des transports scolaires, les choses fonctionnaient plutôt bien. Mais, après la loi Chevènement, les communautés d'agglomération ont mis en place leur propre système, ce qui a débouché sur une situation de concurrence avec des problèmes d'articulation.
En ce qui concerne le billet unique, nous avions, nous élus, réussi à trouver un accord pour le mettre en place, mais la SNCF n'a rien voulu entendre.
C'est, même si cela a un peu changé au cours des dernières années, qu'il n'est pas toujours facile de négocier avec la SNCF. Je note cependant que la SNCF a fait des progrès en matière de négociation.
Dans l'urbain, l'ensemble des entreprises, hors RATP et SNCF, représentent 44 000 salariés. Ce chiffre est en augmentation depuis 1997, ce qui s'explique par l'importance du développement de l'offre. En 2009, le rythme de croissance augmente après un ralentissement de la croissance depuis 2004 par rapport aux années précédentes. La RATP compte 45 000 personnes, tous métiers confondus et la SNCF, 160 000, avec un effectif en diminution depuis plus de cinq ans. Les transports routiers et interurbains, réguliers et le tourisme, comptent 60 000 salariés.
Dans mon département, nous disposons d'une zone d'activités, qui a plutôt une vocation industrielle mais dans laquelle plusieurs bâtiments administratifs se sont installés, notamment la nouvelle direction des populations. L'Etat emploie ainsi des fonctionnaires dans des zones non desservies par des bus, et, du coup, il demande au maire de la ville chef-lieu d'intensifier le réseau des bus. Finalement, pour les élus locaux, c'est la double peine : d'une part, l'Etat ne verse plus le versement transport sur la ville, puisqu'il s'agit d'une commune hors PTU, et d'autre part, il lui réclame des dépenses supplémentaires pour assurer la desserte du réseau urbain. Le GART a-t-il des préconisations sur ce sujet ?
Je suis d'accord avec votre analyse, dans ces cas précis, les collectivités subissent une double peine : d'un côté, elles n'ont pas les recettes et, de l'autre, leurs dépenses sont lourdes et d'autant plus difficiles à amortir que dans les zones concernées, il est difficile de rendre l'exploitation rentable. Dans ce cas, le GART préconise d'étendre le versement transport au-delà du PTU, avec les deux hypothèses que j'ai présentées tout à l'heure ; d'une part, le versement transport interstitiel, et, d'autre part, le versement transport additionnel.