Notre rapporteur Jean-Michel Arnaud va nous présenter les recommandations relatives à la dimension territoriale de la lutte contre la pandémie. La semaine prochaine, nous présenterons les résultats de l'étude que nous avons confiée à l'ANRS | Maladies infectieuses émergentes relatives à la stratégie de lutte contre la Covid-19. La semaine suivante, MM. Karoutchi et Arnaud nous présenterons leurs recommandations économiques, budgétaires et sanitaires sur la base notamment de l'étude de comparaison internationale menée par le cabinet que nous avons mandaté.
L'ordre du jour de la session extraordinaire nous contraint à avoir ce planning particulièrement chargé.
Nous allons donc aborder maintenant le sujet de la dimension territoriale, dans l'objectif de formuler des recommandations en amont de l'adoption du projet de loi 3DS au Sénat.
Je rappelle que la consultation des élus locaux que nous avons menée a reçu environ 1 500 réponses.
Bien que la crise ne soit pas encore entièrement derrière nous, puisque l'on constate des rebonds dans certains pays qui pensaient être sortis de la crise, nous avons souhaité évaluer le rôle des collectivités territoriales dans la gestion de cette crise et apprécier la capacité de l'État à coordonner les différents acteurs.
Il nous est apparu globalement que là où les élus ont fait preuve d'initiative et d'inventivité pour combler les « trous dans la raquette » des politiques décidées par l'État, celui-ci n'est pas réellement parvenu à une gestion fine de la crise et a préféré, à la confiance dans les élus des territoires, une forme de décision autoritaire, centrale et nationale.
Nos travaux ont constitué l'occasion de riches débats, avec de nombreux acteurs et nous avons pu recevoir les retours d'expérience de près de 1 500 élus locaux grâce à la plateforme mise en ligne sur le site du Sénat.
Cela n'est plus à démontrer, les collectivités territoriales ont un rôle majeur à jouer lorsqu'il s'agit de répondre à des crises qui frappent notre pays. C'est vrai en cas d'événement climatique exceptionnel ou d'accident industriel grave. Cela l'est encore plus depuis le début de la crise sanitaire. Approvisionnement en équipements de protection individuelle, notamment en masques, organisation des centres de dépistage, ouverture de centres de vaccination, tous ces exemples ont démontré que ces tâches ont été accomplies par des élus volontaires, conscients de leurs responsabilités et des attentes fortes que leurs concitoyens placent en eux.
De façon plus diffuse, donc moins visible, les élus locaux ont également mis en place une forme de « service après-vente » des décisions prises au niveau national. Ils ont fait le lien avec les habitants de leurs territoires, expliqué les décisions, rappelé les consignes et apporté leur soutien lorsque celui-ci était nécessaire. Ils ont également encouragé et soutenu des initiatives sociales, associatives en particulier, ainsi que le développement de nouveaux liens de solidarité. J'y reviendrai.
Et tout ceci a été fait malgré des directives peu claires du Gouvernement, souvent contradictoires, modifiées parfois dans la même journée, dans le même territoire. Bref, contre vents et marées, les élus locaux ont rempli leurs rôles : ils ont accompagné les citoyens dans ces épreuves, participé à la sortie de crise, ou ce qu'il en est pour l'heure, et ont permis de relayer leurs attentes.
J'ajouterai qu'ils ont été des relais du bon sens, dans un contexte où certaines règles nationales semblaient cruellement en manquer !
La crise de la Covid-19 a confirmé qu'il était illusoire de croire que la centralisation des décisions permettait d'apporter des réponses pertinentes à la diversité des territoires, comme si la réponse apportée dans le Grand-Est, particulièrement touché par la pandémie, notamment lors de la 1ère vague, était forcément adaptée à la Bretagne, relativement épargnée et comme si la réponse apportée dans une métropole devait être la même que pour une commune rurale ou de montagne.
Face à ce constat, tous les élus qui se sont exprimés lors de nos différentes tables rondes plébiscitent un rôle accru des communes et des départements. Nous avons tous en tête les règles relatives au port du masque, aux marchés, aux installations sportives, au couvre-feu, pour l'adaptation desquelles les élus locaux ont dû mener une négociation compliquée et éprouvante avec les représentants de l'État, qu'il s'agisse des préfets, des ARS ou de leurs délégués territoriaux.
A ce titre, « l'affaire des masques », a été très précisément analysée par la commission d'enquête sénatoriale sur la gestion du Covid-19, dont notre collègue Bernard Jomier était rapporteur. Je mentionnerais simplement très rapidement quelques traits saillants du rôle des collectivités.
Les commandes de masques ont en effet permis de pallier les carences de l'État, en particulier à destination d'une partie des établissements d'hébergement pour personnes âgées et dépendantes (EHPAD), pour lesquels les ARS n'avaient pas prévu d'approvisionnement spécifique. Outre les EHPAD, les élus locaux se sont également mobilisés pour équiper les personnels de santé des hôpitaux, les visiteurs à domicile, les pompiers, les gendarmes, les policiers, et les différents agents des collectivités au contact du public.
Également très révélateur, le choix fait par l'État de ne rembourser aux collectivités locales les achats de masques qu'à compter de l'annonce du déconfinement par le Président de la République, soit le 13 avril, apparait comme une aberration qui traduit le manque de considération apporté au rôle joué par les élus locaux.
Comme l'a souligné André Laignel, président délégué de l'association des maires de France (AMF) lors de la table ronde que nous avions consacré aux grandes associations d'élus : « il y a, de la part du Gouvernement, un véritable déni sur l'action qui a été menée. Les communes qui ont été les plus réactives sur ces sujets sont aussi celles qui n'ont pas pu bénéficier de compensations de la part de l'État » à la hauteur de leur engagement.
Au-delà des équipements de protection individuelle, les collectivités ont aussi répondu aux multiples conséquences de la pandémie et des mesures de restriction.
Elles ont tout d'abord assuré la continuité des services publics locaux essentiels, comme le ramassage des ordures ménagères, la distribution de l'eau, l'accueil des enfants des personnels soignants, les services funéraires ou encore l'état civil.
Je citerai à nouveau une des personnes que nous avons entendues, en l'espèce le maire de Dunkerque : « l'année dernière, toutes les institutions d'aide aux plus démunis ont fermé, à l'exception des centres communaux d'action sociale (CCAS), gérés par les communes ».
Les collectivités territoriales ont également soutenu et accompagné des initiatives locales très diversifiées, souvent éloignées de leur champ de compétences habituelles. Parmi les témoignages apportés sur la plateforme de consultation sur le site du Sénat, les exemples sont nombreux. Ont ainsi pu être distribués dans les EHPAD des tablettes ou des ordinateurs, afin de permettre aux résidents de maintenir un lien avec leurs proches ; des moyens informatiques et numériques ont également été déployés en milieu scolaire, permettant de maintenir une continuité pédagogique, en lien avec les enseignants parfois dépourvus, eux, de matériel ; les communes ont organisé la livraison de courses à domicile et le portage des repas à destination des personnes les plus fragiles ; elles ont parfois mis en place des cellules d'écoute psychologique, notamment à destination des personnes victimes de violences intrafamiliales (cela a d'ailleurs été mis en avant à plusieurs reprises lors des auditions menées par la délégation aux droits des femmes) ; certaines ont également créé un fonds de soutien pour les associations caritatives ; d'autres ont organisé une aide pour le transport vers les laboratoires de tests ou les centres de vaccination. Je pense par exemple aux « vaccinobus » mis en place dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Au-delà de l'aspect sanitaire, un important effort a été déployé pour soutenir l'économie de nos territoires, principalement de la part des régions. En effet, outre leur contribution au fonds de solidarité à hauteur de près d'un demi-milliard d'euros, elles ont également mis en place différents outils destinés à faciliter le financement des entreprises, permettant de palier les situations non couvertes par les dispositifs mis en place par l'État.
Par exemple, fin 2020, les 13 000 prêts « rebond » que les régions ont octroyés représentaient un encours total de 821 millions d'euros. Elles ont aussi mis en place ou renforcé des fonds régionaux ou interrégionaux d'investissement, permettant d'intervenir en fonds propres auprès des entreprises.
De très nombreuses communes ont également soutenu leurs entreprises, en mettant en oeuvre des exonérations de redevance pour les terrasses des restaurateurs, en prenant en charge des loyers commerciaux, ou encore en octroyant des aides financières à destination des entreprises pour les accompagner dans la mise en oeuvre des protocoles sanitaires.
Et tout ceci a été fait malgré des difficultés de coordination avec les services de l'État, qui n'ont pas toujours été à l'écoute des propositions et des retours des collectivités. Pour exemple, l'important délai de mobilisation des laboratoires départementaux pour dépister les cas de Covid-19 illustre ce refus ou, à tout le moins, les longues hésitations, de l'exécutif national de s'appuyer sur les collectivités.
Je rappellerai également que les départements ont également été très présents pour accompagner les plus pauvres et les plus fragiles.
De façon générale, alors que les élus locaux étaient les mieux à même d'identifier les besoins sur les territoires, ceux-ci ont trop souvent été laissés de côté et leurs initiatives n'ont que rarement pu être coordonnées avec celles de l'État. Au-delà d'une réflexion d'ensemble sur notre politique nationale de santé publique, il est par conséquent indispensable de mieux organiser l'intervention des différents acteurs en période de crise et de prévoir différents niveaux de coordination, permettant d'associer les collectivités territoriales compétentes en fonction des thèmes abordés ou des difficultés à traiter (santé, sanitaire, économie, ordre public, etc.).
Nous recommandons donc de prévoir, en situation de crise, des réunions de coordination thématiques de l'action de l'État et des collectivités autour du Préfet, afin de garantir la complémentarité des interventions de toutes les parties prenantes.
Y parvenir passe évidemment par la coordination des différents services de l'État. Mais celle-ci a été d'une qualité que je qualifierais pudiquement de « très variable » en fonction des territoires et de la personnalité du représentant de l'État.
Si le dialogue avec les préfets a été jugé dans l'ensemble de bonne qualité - en témoignent les nombreuses réponses en ce sens déposées sur le site du Sénat - cela n'a pas toujours été le cas dans les départements ruraux et de montagne, où de nombreux élus locaux ont déploré l'absence d'informations de la part des préfets et des délégations territoriales de l'ARS.
La secrétaire générale adjointe de l'association des maires ruraux de France (AMRF) a ainsi rappelé, devant notre mission, que « les élus ruraux ont le sentiment d'être les oubliés du Gouvernement, et ce depuis longtemps, même si la crise des Gilets jaunes a été le révélateur. Or la France étant une et indivisible, tous les territoires devraient être traités de la même façon ».
Cette situation doit conduire à s'interroger sur les nouveaux moyens disponibles, notamment ceux ayant trait à la visioconférence, qui pourraient permettre aux préfets, au moins en période de crise, de tenir informés l'ensemble des élus de leur territoire, à tout le moins lorsque le haut-débit en zone rurale le permet !
D'autre part, ainsi que l'a souligné le rapport du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation, l'État territorial est fragmenté entre ses services placés sous l'égide des préfets, et ceux qui ne le sont pas, comme les ARS, les directions régionales des finances publiques (DRFiP), les directeurs académiques des services de l'éducation nationale (DASEN). Et en effet, lors de nos travaux, nous avons pu constater des difficultés importantes de coordination entre les acteurs, en particulier avec les ARS. Dans 58 % des cas, les élus qui nous ont répondu ont estimé que la qualité des informations communiquées par les ARS était soit faible, soit très faible, compte tenu des écarts entre les informations communiquées et la réalité du terrain constatée à ce moment.
Il est donc regrettable que les préfets ne se soient pas saisis de la possibilité qui leur est offerte par le code de la santé publique de placer sous leur autorité les services des agences lorsqu'un « événement porteur d'un risque sanitaire peut constituer un trouble à l'ordre public ». Une telle décision aurait permis de rendre plus lisible la réponse de l'État et de désigner un interlocuteur unique pour l'ensemble des parties prenantes, en particulier les collectivités territoriales.
Plus largement, il est indispensable - et je dirais même : urgent - de mieux coordonner l'action des ARS avec celle des élus locaux et de mieux formaliser les liens entre ces acteurs.
À cet égard, nous sommes nombreux à regretter le manque d'ambition du projet de loi 3DS, qui propose de transformer le conseil de surveillance des ARS en un conseil d'administration et d'octroyer deux postes de vice-présidents aux élus locaux. Ce n'est véritablement pas à la hauteur des enjeux et même si le volet sanitaire de ce projet de loi ne peut constituer une « grande loi de santé publique », moins centrée sur l'organisation de l'offre de soins, il est donc indispensable de mieux associer les élus aux stratégies territoriales de santé et, à ce titre, de confier à un élu local, au même titre qu'au préfet, la co-présidence des conseils d'administration. L'État ne peut plus assurer seul le pilotage de la politique de santé dans nos territoires.
Par ailleurs, le contexte pandémique a mis en évidence une difficulté particulière au niveau départemental. Pour citer le directeur général de l'assemblée des départements de France (ADF), entendu par notre mission : « Souvent le délégué départemental de l'ARS, malgré sa bonne volonté, se trouve dans l'obligation de demander l'autorisation au directeur général de l'ARS qui lui-même demande l'autorisation au cabinet du ministre de la santé. Or, quand il y a crise - le Président de la République avait dit que nous étions en guerre - ce qui compte, c'est la réactivité du terrain ».
Les relais départementaux des agences ne peuvent plus constituer de simples « boites aux lettres » et doivent permettre une meilleure coordination entre les principaux acteurs. L'élargissement des compétences exercées au niveau départemental doit passer par une clarification du champ d'intervention des délégations, qui devraient se voir reconnaître par le législateur des compétences d'alerte et de gestion opérationnelle en cas de crise, en particulier dans le domaine de la logistique et de la coordination avec les acteurs locaux.
Enfin, j'insisterai sur l'impérieuse nécessité d'apporter des réponses mieux adaptées à la réalité et à la diversité des territoires.
Il est absolument anormal que les trois quarts des élus locaux interrogés indiquent avoir été insuffisamment pris en compte, alors qu'ils étaient en première ligne, sur le terrain, dans la mise en oeuvre de la réponse à la crise. En outre, les deux tiers des répondants ont souligné que cette prise en compte ne s'était pas améliorée, ce qui est encore plus grave, au fil de la crise.
Les exemples sont nombreux de ces décisions qui ont volontairement refusé de prendre en compte la situation sanitaire locale, comme le port du masque dans des très petites communes sans aucun cas de contamination ou encore la complexité pour autoriser au compte-goutte la réouverture des marchés ; sans parler du refus d'ouvrir les musées même lorsque les indicateurs sanitaires le permettaient.
La fermeture envers et contre tout des domaines skiables est un exemple particulièrement frappant de cette obstination absurde. Alors que nos voisins suisses et autrichiens ont laissé une grande marge de manoeuvre aux élus locaux dans l'adaptation des mesures nationales, il n'en a pas été de même chez nous. Malgré la présentation de protocoles permettant d'envisager certaines réouvertures, la fermeture des stations de ski est restée non négociable pendant de longues semaines. Ce refus de s'appuyer sur l'expertise des élus locaux et des acteurs de la filière ski s'est traduit par des pertes économiques importantes pour ces territoires, qui auraient pu être évitées.
Nous l'avons vu, les collectivités ont un rôle important à jouer, notamment grâce à leur connaissance inégalable des réalités de leur territoire. Laisser les marges d'appréciation aux élus locaux devrait constituer l'essence même de la démocratie locale et de la décentralisation, en leur confiant la responsabilité de l'édiction de mesures plus ou moins restrictives. Que risquerait donc l'État à confier aux maires la compétence pour fermer temporairement certaines activités suivant des protocoles établis au niveau national et sous le contrôle du préfet ?
Rappelons d'ailleurs que le Sénat avait adopté, en 2020, un amendement permettant au préfet d'adapter les mesures nationales en fonction des circonstances locales ; cette mesure de bon sens a constamment été rejetée par le Gouvernement, probablement par pur dogmatisme et incapacité de comprendre les réalités du terrain.
En définitive, le principe de subsidiarité n'a clairement pas été respecté tout au long de la crise sanitaire. Les fermetures généralisées, indépendamment des circonstances et des spécificités locales, ont constitué une remise en cause importante du rôle des élus locaux.
Enfin, nous avons pu constater que même avec un engagement fort des collectivités locales sur certaines missions, il reste des trous dans la raquette, en matière par exemple de compensation des minorations de recettes des régies locales. Le Gouvernement a reconnu ses erreurs d'évaluation, puisqu'il a revu à la hausse le nombre de régies concernées, de 1 200 à 2 000. Il démontre ainsi sa méconnaissance des territoires, y compris lorsqu'il a su apporter partiellement des réponses opérantes d'un point de vue financier.
Merci pour ces éléments, qui tracent de nouvelles perspectives pour la gestion des questions de santé et l'association des élus locaux en la matière. Comme le rapporteur l'a rappelé, le projet de loi 3DS n'est pas une loi d'organisation de la santé publique, mais il y a des possibilités d'entrouvrir la porte sur ces sujets.
Cette période, certes non finie puisque septembre sera peut-être malheureusement moins drôle que les rentrées classiques, a été très curieuse. Nous avons assisté à quelque chose d'extraordinaire : les différents échelons locaux ont bien fonctionné, alors que l'État jusqu'ici se plaignait de ce millefeuille territorial, tandis que les problèmes sont venus de la structure d'État. Cela s'est traduit dans le lien avec les préfectures, beaucoup d'élus ayant attesté d'un lien très difficile dans plusieurs départements car la préfecture bloquait nombre d'initiatives en se réfugiant derrière certaines règlementations, alors que ces dernières doivent être adaptées en période de crise. Il n'est pas possible de simplement opposer un alinéa d'un article d'un code, lorsque des vies sont en jeu.
Ce qui est certain, et constaté à peu près partout, c'est que le fonctionnement des ARS a été dramatique, totalement décalé par rapport aux réalités du terrain. Certaines antennes d'ARS ont bien fonctionné, mais les liens ont été dans l'ensemble très difficiles, que ce soit pour les masques, les centres de vaccination, les doses de vaccin, etc. Lorsque je vois ce projet de loi 3DS, dans lequel il n'y a presque rien en la matière, je me dis que les jacobins ont décidément de beaux jours devant eux !
La leçon tirée de cette crise qui dure depuis plus d'un an semble être : « passez votre chemin, il n'y a rien à voir »... Une vice-présidence d'ARS est évidemment en-dessous des besoins : il faut que cela soit le président de région, ou bien une coprésidence entre ce dernier et le préfet de région. Nous faire l'aumône d'un strapontin dans les conseils n'est pas très sérieux...
Cela ne concerne pas que les ARS : j'ai vu travailler les mairies, durant toute cette période, et leurs initiatives incroyables. Je n'étais pas spécialement girondin et décentralisateur, mais je dois reconnaître que le fonctionnement de l'État est aujourd'hui celui d'un État désorganisé, désargenté, déstructuré, mais qui veut conserver tous ses privilèges et prérogatives face à des collectivités de plus en plus puissances, compétentes, mais n'ayant toujours pas le pouvoir. Ce n'était peut-être pas le cas il y a vingt ans ; mais c'est la situation réelle aujourd'hui. Il est grand temps que les transferts de compétences et la réorganisation du territoire national se fassent pour de bon !
Je partage ce que mes deux collègues rapporteurs ont exposé. Le projet de loi 3DS est insatisfaisant en l'état ; mais des marges existent. Il traite de la gouvernance des ARS, par exemple, mais pas des compétences. Nous n'aurons donc malheureusement pas la compétence d'intervenir sur ce point-là. Mais le projet de loi traite du lien avec les collectivités territoriales et c'est là que nous avons des marges réelles. Pour en avoir parlé avec notre collègue Françoise Gatel, co-rapporteur de la commission des lois et Alain Milon, rapporteur sur les articles délégués à la commission des affaires sociales, je sais que le Sénat fera un travail intéressant sur ce texte et donnera plus de force aux orientations qui viennent d'être exposées.
Nous pouvons en appeler à une nouvelle loi de santé publique, qui traite au fond de ces sujets, à savoir la place de l'État dans la politique de santé et l'émergence des collectivités territoriales sur ce sujet. Nous observons aussi une prise de conscience par les élus à propos du fait que faire de la santé n'est pas que faire du soin ; on l'a vu avec les problématiques logistiques et industrielles relatives aux masques. Il y a tout un champ autour de l'offre de soins stricto sensu qui mêle prévention, éducation à la santé, etc., sujets qui peuvent relever des compétences des collectivités territoriales.
Je partage ce qui a été dit par les rapporteurs. À mon sens, cette crise a surtout mis en exergue le manque de démocratie sanitaire à tous les niveaux. S'il y a parfois pu y avoir des échanges et des discussions ont été engagées, la prise de décision s'est souvent faite sans prendre en compte les élus locaux. Sur la question de la gouvernance des ARS, comme cela a été présenté par le rapporteur, les directeurs d'ARS ne sont soumis qu'à l'autorité hiérarchique du ministre et ne prennent pas en compte les élus.
Concernant la multiplication des agences, il me semble qu'elle emporte une perte d'efficacité et d'énergie malgré le travail conséquent de leurs agents : il y a un réel manque de coordination. Dans l'ensemble, je constate que des moyens importants sont engagés mais que l'efficacité des agences est très limitée.
Les directives du ministère de la Santé concernant les visites en EHPAD, ou encore la prise de certaines décisions par des ARS contre l'avis des maires, illustrent bien les défaillances que nous avons connu pendant la crise sanitaire. Je partage l'avis de Laurence Cohen sur le manque de démocratie mais j'irais plus loin en évoquant un manque d'humanité.
Je n'accepte pas que des gens qui ne sont contrôlés que par leur hiérarchie et non par des électeurs puissent prendre des décisions qui ont des conséquences aussi importantes sur la vie de nos familles et de nos proches. La gestion de la crise s'est faite en dépit du bon sens. Les élus doivent évidemment avoir leur place dans la prise de décision.
Les constats présentés par les rapporteurs correspondent aux conclusions de la commission d'enquête et aux retours d'expérience du terrain. Je considère qu'il doit y avoir un partage des responsabilités au niveau local pour répondre au besoin de responsabilité et de démocratie. La volonté de protéger, qui peut être légitime, s'est faite par l'infantilisation.
Les enseignements de la crise doivent conduire à s'interroger sur que l'on souhaite faire de notre système de santé publique et, de ce point de vue, nous sommes particulièrement limités dans le projet de loi 3DS.
Concernant l'organisation territoriale du système de santé, j'ai toujours été favorable au maintien des ARS. Cependant, dans les grandes régions, il est probablement nécessaire de renforcer les compétences des délégations départementales.
Le lien entre le préfet, l'ARS et les élus locaux est majeur. Dans la région Pays de-la-Loire, les conventions tripartites sur la santé se multiplient, ce qui permet d'accorder une place à la gouvernance locale. Les différents intervenants apportent leur pierre à l'édifice. Il me semble que les conclusions des rapporteurs vont, par conséquent, dans le bon sens.
Les termes qui reviennent le plus souvent sont en effet l'infantilisation et la déresponsabilisation. Les élus locaux ont exécuté des tâches de première ligne sans bénéficier de la reconnaissance de l'État. J'ajouterai un point sur la situation des directeurs d'établissements médicaux et médico-sociaux, qui se sont retrouvés très seuls pendant la pandémie. Roger Karoutchi évoquait le manque d'humanité de certains intervenants, j'ai également senti beaucoup de détresse de la part des directeurs d'établissement. Notamment, dans les EHPAD, la question de l'accès aux familles a engendré de nombreuses difficultés. Le président du conseil départemental n'était pas invité aux concertations organisées par l'ARS sur le sujet. C'est une des raisons pour lesquelles nous considérons qu'il faudra réfléchir sur le renforcement des délégations territoriales, afin de mieux articuler l'action de l'ARS au niveau départemental, en particulier dans les zones rurales. Dans la loi 3DS, des amendements pourront être portés en ce sens.
La mission autorise la publication de la communication du rapporteur sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 9h45.