La réunion est ouverte à 14 h 30.
Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 heures.
La réunion est ouverte à 14 heures 30.
Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous poursuivons les travaux avec l'audition de M. Nicolas de Tavernost.
Monsieur de Tavernost, vous avez participé à la création de M6, qualifiée à l'époque de « petite chaîne qui monte », en 1986 avant d'en prendre la présidence du directoire, que vous occupez depuis 2000. Cela fait de vous le plus ancien dirigeant de l'audiovisuel français, en quelque sorte « le patriarche de l'audiovisuel français », comme l'a titré le journal Le Monde le 18 mai dernier. Cette séniorité est peut-être partie pour durer puisque vous pourriez devenir le président du futur groupe issu de la fusion TF1-M6 si celle-ci venait à être réalisée.
Ce projet de fusion est évidemment au centre des préoccupations de la commission d'enquête. Nous avons entendu l'ancienne présidente de l'Autorité de la concurrence ainsi que son président par intérim, au mois de décembre. Le sujet devient très régulièrement devant nous, du fait des effets qu'il peut susciter en termes d'indépendance des rédactions et au regard d'un potentiel déséquilibre de la chaîne de valeur de la production ou encore sur le secteur publicitaire.
Au-delà de cet épisode qui trouvera sa conclusion en fin d'année prochaine avec la décision de l'Autorité de la concurrence, vous êtes également un observateur aiguisé de l'évolution des médias depuis presque quarante ans. Vous avez assisté à toutes les évolutions qui se sont déroulées et qui ont un impact sur le paysage actuel. Je pense à l'arrivée des chaînes privées, au développement de la TNT, puis d'internet, à l'irruption des plates-formes de streaming et dernièrement à un mouvement de concentration entre quelques grands groupes d'origine industrielle, qui suscite des interrogations légitimes. La commission sera donc heureuse de bénéficier de votre expérience et de votre expertise en la matière.
Je vais vous donner la parole pour dix minutes afin que nous puissions vous poser des questions. C'est le rapporteur qui vous posera la première série de questions. Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte-rendu qui sera publié. Je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 14 et 15 du Code pénal. Il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêt ou conflits d'intérêts en relation avec l'objectif de la commission d'enquête.
Je vais vous inviter, monsieur de Tavernost, à prêter serment en jurant de dire toute la vérité, rien que la vérité et en levant la main droite.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, je vais livrer ici la vision d'un entrepreneur et non d'un propriétaire, un entrepreneur satisfait mais préoccupé. Je peux en effet être satisfait d'avoir créé avec Jean Drucker, d'abord, puis avec les équipes qui étaient animées par Thomas Valentin, un groupe qui aujourd'hui se porte bien. Le bilan d'activité de l'année 2021 le démontrera. Je suis aussi préoccupé, car les mutations sont extrêmement profondes. La réglementation et la législation ne sont pas toujours adaptées à ces évolutions. Les mouvements sont nécessaires pour faire face à ces nouveaux enjeux.
Permettez-moi d'abord d'expliquer pourquoi le groupe se porte bien. Je vais faire un rapide historique de nos presque 35 ans, puisque nous aurons 35 ans le 1er mars 2022.
La première raison du succès de M6 est, me semble-t-il, la stabilité de son actionnariat et sans doute celle de ses équipes, comme pour TF1 d'ailleurs. J'ai connu pendant cette période dix présidents distincts de l'audiovisuel et de la télévision publics. Enfants de la loi de 1986, nous avons joué des coudes pour nous imposer. Constatant avec mon collègue de TF1 de l'époque que le marché de la publicité à la télévision stagnait, nous avons décidé, à la faveur du digital, de lancer la télévision par satellite, TPS, qui fut un succès puisque, dans les années 90, nous avons eu jusqu'à 1,8 million d'abonnés. La concurrence exacerbée, la nécessité de se regrouper, les difficultés du groupe Canal+ ont amené à une fusion, première concentration du secteur, à laquelle a participé Canal+ en constituant un groupe très important de la télévision payante, ce qui l'a probablement sauvé. La concentration est parfois une nécessité.
Ensuite est arrivée la TNT, qui devait être, selon moi, la première occasion de conforter les acteurs historiques français et européens. En réalité, elle les a affaiblis. Priorité a été donnée aux premiers entrants, que je qualifie souvent de premiers sortis. Il n'y a pas eu d'investissement dans la création, ou très peut-être, mais des reventes qui ont contraint à modifier, d'ailleurs, je crois, à l'initiative de votre rapporteur, la législation ultérieurement pour taxer les reventes. Nous avons cherché à nous adapter avec une plus grande diversification. Nous nous sommes heurtés alors à des difficultés liées à l'intégration verticale, alors que celle-ci développe dans tous les autres pays. Dans le cinéma, nous avons agi comme nous l'avons pu compte tenu de la législation et je suis très fier de nos succès. En 2021, nous avons été le premier distributeur français dans le domaine du cinéma. Nous avons produit le premier film en termes d'entrées et avons été le premier éditeur vidéo grâce à notre filiale SND et à M6 Films.
Nous avons également investi dans le non-linéaire dès 2008, avec ce qui s'appelle aujourd'hui 6Play, c'est-à-dire de la « freeload », de la télévision à accès gratuit, non linéaire, qui est aujourd'hui un pilier du développement du groupe. Enfin, avec nos deux collègues France Télévision et TF1, nous avons créé Salto, lancée en 2020.
Le développement de M6 s'est ainsi fait par croissance interne, à deux exceptions près. Nous avons senti le besoin de nous développer, sur un marché de la publicité stagnant, en rachetant la radio à notre actionnaire RTL, en 2017 et en acquérant les chaînes de Lagardère (dont la chaîne Gulli) en 2019.
Malgré notre bonne santé, ce que nous avons fait est néanmoins insuffisant. Dans la production, du fait de règles très strictes d'indépendance, nous n'avons pu acquérir certaines sociétés qui sont venues nous voir pour se développer : en en faisant l'acquisition, nous n'aurions plus pu travailler avec elles.
Je fais une incidente pour répondre peut-être par anticipation à une question de M. Assouline. En ce qui concerne Gulli, qui est une des chaînes que nous pourrions envisager de céder, nous nous heurtons à une vraie difficulté dans la mesure où les producteurs qui pourraient être candidats au rachat de cette chaîne ne pourraient plus produire pour cette chaîne, en vertu des règles d'indépendance et de la convention Gulli. Je voudrais vous faire toucher du doigt la rigidité du système dans lequel nous sommes. Nous devons vendre trois chaînes. L'une d'elles pourrait être Gulli. Les candidats se trouvent notamment dans la production, afin de développer le secteur de l'animation. Or la convention Gulli interdit toute part de coproduction et oblige à travailler avec des producteurs indépendants pour 100 % de l'animation au sein de Gulli. Les producteurs intéressés ne vont pas prendre le risque d'une impossibilité de modification de la convention. Nous sommes là devant une difficulté intrinsèquement en défaveur du système.
Dans le streaming, Salto a de très bonnes équipes et notre association avec France Télévisions et TF1 a très bien fonctionné. Nous avons monté une structure. Dès lors que nous sommes concurrents, toutefois, la situation devient difficile car le streaming fait partie de notre coeur de métier. En outre, dès lors que nous sommes concurrents, l'Autorité de la concurrence a défini des règles très strictes de fonctionnement. Nous ne pouvons plus siéger au Conseil d'administration, connaître le détail des budgets ni nous engager dans des productions précises en en connaissant les prix. Le fonctionnement de cette structure rend l'activité extrêmement difficile et aucune des plates-formes concurrentes n'est soumise à ces contraintes. Disney Plus, Amazon et Warner ne sont soumises à aucune de ces contraintes.
Enfin, le marché publicitaire de la télévision n'augmente pas. Il y a eu des « plus » et des « moins » suite à la décision de mettre fin à la publicité après 20 heures sur les chaînes de télévision publique. Revenir sur cette décision déstabiliserait complètement le secteur mais je ne pense pas que ce soit dans les intentions du législateur. À titre d'exemple, pour une chaîne comme Gulli, la réglementation a limité la publicité alimentaire pour les enfants. En revanche, la publicité pour le secteur de la distribution a été autorisée. Globalement, le secteur est resté au même niveau qu'il y a dix ans en matière d'investissements publicitaires à la télévision. Pendant ce temps-là, comme l'a souligné M. Chetrit, le directeur de l'Union des marques, « le digital est devenu le premier média français ». C'est un constat qui date de 2016 et demeure bien sûr valable.
Aujourd'hui, malgré les efforts que nous avons faits pour nous adapter dans la production, dans le streaming, dans la publicité et dans la diversification, nous devons aller plus loin. Je ne reviendrai pas sur les propos que mon actionnaire, Thomas Rabe, vous a tenus ici même. J'en donnerai simplement deux illustrations. 68 % de l'audience linéaire de la télévision, aujourd'hui, sont le fait des plus de 50 ans. Cette part n'était que de 50 % en 2010. C'est une évolution spectaculaire. La part des moins de 50 ans dans l'audience de la télévision diminue de 5 % à 10 % chaque année. Le Covid a marqué une interruption dans cette tendance mais celle-ci reprend et nous nous comparons désormais à 2019. Il n'est pas possible de prendre le risque de subir ce à quoi la presse écrite a été confrontée. Il nous faut donc changer complètement, fortement et rapidement.
Nous avons examiné toutes les solutions possibles pour nous adapter à cette nouvelle donne, sachant que nous sommes soumis à plusieurs types de contraintes. Nous devons accélérer notre investissement dans le streaming, adapter notre programmation au nouvel environnement de concurrence et notamment développer l'information, les magazines et développer la partie événementielle de nos programmes non linéaires. Nous devons continuer d'être présents dans le sport, qui est un contenu cher, et bien entendu accélérer dans le domaine de la fiction. La création est aussi une affaire de cash flow. C'est la bonne santé de nos sociétés qui permettra de maintenir un écosystème français relativement puissant.
Le projet de fusion entre TF1 et M6 constitue une réponse pertinente pour plusieurs raisons. Si les deux actionnaires, les groupes Bouygues et Bertelsmann-RTL Group ont accepté de s'engager dans cette voie, qui n'était pas la plus commode, compte tenu des difficultés de toutes natures qui se dressent (administratives, juridiques ou pour rapprocher les cultures de deux entreprises qui ont été concurrentes durant 35 ans), c'est parce qu'elle nous paraît une réponse adaptée. Elle accélérera la transformation de nos sociétés en permettant des investissements plus massifs dans la production et notamment dans le streaming, qui est au coeur de notre projet. Elle préservera l'identité de nos marques et des chaînes que nous conserverons. Il n'est pas question de brouiller leur identité, car cela nous ferait tout perdre. C'est le cas notamment pour les rédactions, comme l'a souligné Thomas Rabe hier. Je pourrai vous expliquer de quelle manière nous avons appliqué ce principe lors du rapprochement entre M6 et RTL. Nous avons réalisé des synergies en préservant l'indépendance des sociétés du point de vue de leurs rédactions.
L'information de M6, notamment à destination des moins de 50 ans, fonctionne très bien. Nous réunissons tous les soirs 3 à 4 millions de téléspectateurs. L'information de RTL, qui n'est pas celle de M6, fonctionne extrêmement bien. Nous annonçons tous les soirs, sur M6, l'invité qui sera sur RTL. Nous invitons le président Larcher jeudi, je crois, chez madame Ventura. Ce sera annoncé dans le 19h45 de M6. Cela s'appelle des synergies. Cela préserve l'indépendance des chaînes. C'est ce que nous avons fait avec RTL et cela fonctionne correctement.
Je répondrai donc à vos questions quant à l'intérêt de la fusion.
Bonjour monsieur de Tavernost. Compte tenu de votre ancienneté, à la tête de votre groupe, nous avons assisté ensemble, à des places distinctes, à de nombreuses auditions touchant à divers sujets, souvent avec le souci de comprendre et d'aider, car nous savons à quel point M6 a eu et occupe encore une place particulière dans le paysage audiovisuel. Vous vous vantiez beaucoup, notamment, d'être le seul groupe indépendant, présent seulement dans les médias. Vous en faisiez souvent un argument pour « titiller » vos concurrents. J'aimais bien cela. Nous parlons aujourd'hui de l'absorption de M6 par un groupe qui a des caractéristiques très distinctes puisque sa vocation principale se trouve dans le BTP et la téléphonie. Il nous a été confirmé hier que vous seriez le président de la nouvelle entité, avec un rôle fondamental à la tête d'un groupe dont les médias ne seront pas le coeur de métier.
Nous souhaitons comprendre les tenants et aboutissants de cette fusion, même si c'est l'Autorité de la concurrence qui, sur le plan économique, donnera son avis, et l'ARCOM sur la question du pluralisme et de la démocratie. Nous embrassons tous ces sujets de concert car ils nous intéressent tous.
Pouvez-vous chiffrer, en ce qui concerne le groupe M6, la diminution des ressources publicitaires, ces dernières années et l'augmentation des coûts d'acquisition qui seraient à l'origine de votre projet de fusion ? Vous dites en effet que c'est en raison de la diminution des ressources publicitaires et de l'augmentation des coûts d'acquisition qu'il était impératif pour votre groupe d'aller vers cette fusion.
Monsieur le rapporteur, je vais d'abord vous répondre à propos de notre actionnariat. Je viens d'une société dont le coeur de métier était tout à fait extérieur aux médias. C'était la Lyonnaise des Eaux, qui est à l'origine de la réunion de M6. Je suis rentré au sein de la Lyonnaise des Eaux en décembre 1985 et ai proposé au président de l'époque de concourir pour une fréquence sur le réseau 6. Nous nous sommes associés au groupe RTL, qui était un professionnel des médias, alors que nous ne connaissions pas bien l'audiovisuel. C'est un mariage qui a duré très longtemps, jusque dans les années 2 000. Il n'y a eu aucune difficulté pour développer un groupe de médias avec une société dont le coeur de métier était très éloigné des médias, avec par exemple une activité dans les pompes funèbres. Ce partenaire s'est montré extrêmement loyal et a financé des déficits très importants au cours des quinze premières années. C'est un acteur qui s'est développé dans le câble également, avec moins de succès d'ailleurs. L'actionnariat a respecté l'indépendance du management, de la même façon que lorsque nous avons continué seuls avec RTL Group, comme vous l'a indiqué Thomas Rabe. RTL Group n'a pas souhaité prendre la possession du Groupe mais Suez (ex-Lyonnaise des Eaux) avait d'autres ambitions et s'ai concentré sur le secteur de l'énergie.
Je n'ai donc eu aucune difficulté à travailler avec un groupe qui faisait autre chose que des médias. La famille Bouygues et le groupe Bouygues sont présents depuis 35 ans dans la télévision, avec des règles analogues à celles qui encadrent le fonctionnement de RTL Group. Je n'aurai pas de difficulté à travailler avec eux et je suis très heureux de la confiance qu'ils m'accordent pour éventuellement porter le projet si celui-ci aboutit.
Nos recettes publicitaires sont relativement stables mais cette stabilité recouvre plusieurs orientations. Nous souhaitons que les recettes venant du streaming compensent la perte des recettes tirées du linéaire. Par ailleurs, nous sommes un peu au bout d'un système car à programme constant, la durée d'écoute diminue de 5 % à 10 % pour ce que nous appelons la « cible commerciale ». Jusqu'à présent, nous avons pu compenser ce phénomène par une certaine augmentation des tarifs et surtout par un plus fort remplissage des tranches horaires par la publicité - dont se plaint le public. Ce sont les fameuses douze minutes par heure, avec de multiples coupures publicitaires. Cela a compensé cette diminution de la durée d'écoute et a permis la stabilité des recettes. Néanmoins, les plateformes ont habitué le public à avoir des programmes sans publicité. C'est une des très fortes contraintes qui pèsent sur l'avenir : nous devons fournir des services ayant moins de publicité. TF1 a lancé il y a quelques mois un service de streaming sans publicité en OTT. Nous l'avons lancé sur Orange. Nous savons que le public est sensible à la publicité. C'est la raison pour laquelle, en tant que défenseur du service public, je vous suggère de ne pas réinstaurer la publicité après 20 heures sur le service public.
Plus sérieusement, il est très important pour nous de ne pas avoir un excès publicitaire. Nous avons compensé la baisse de l'audience par une augmentation du volume et des prix mais nous savons que cela ne durera pas. Il faut donc compenser la diminution d'écoute des programmes linéaires par du non linéaire. C'est ce que nous faisons avec la « freeload » et avec Salto. Nous devons le faire à bride abattue et nous ne pouvons pas le faire seuls.
À chaque fois, lors des auditions, vous nous disiez être à la tête du seul grand groupe indépendant de médias. J'ai simplement observé que vous ne pourriez plus nous le dire dans vos nouvelles fonctions.
Je vous ai entendu plaider - et vous n'avez pas été le seul - au regard de la difficulté que créent l'augmentation des coûts d'acquisition et la diminution des ressources publicitaires. Vous nous dites finalement qu'il s'agit plutôt d'une prévision, car aujourd'hui ces ressources sont stables.
L'un des arguments importants que j'ai entendu hier, à travers d'autres auditions, porte sur le caractère gigantesque des investissements requis, compte tenu du coût des technologies et de la nécessité de rechercher différents marchés dans le monde, pour faire face aux grandes plateformes. J'ai examiné le communiqué qui a été publié après la décision de fusion. J'y ai lu ceci : « le groupe fusionné viserait à distribuer 90 % de son free cash-flow en dividende ». Pouvez-vous m'expliquer ce que cela veut dire ? On me dit que cette fusion est importante de façon à dégager des moyens importants pour investir dans la production et la création, qui coûtent cher, pour faire face aux plates-formes. Vous affirmez dans le même temps que le groupe fusionné va, au contraire, distribuer 90 % de son free cash-flow dans le dividende, c'est-à-dire aux actionnaires et non à la création.
Je reviens sur le terme « indépendant », car il ne doit pas y avoir de confusion. Mes propos s'entendaient, à l'époque, par rapport aux télécoms. Chacun, y compris Orange et Canal+, était alors une filiale d'un groupe de télécom. Cela nous posait quelques problèmes au regard des mécanismes de distribution, car nous ne voulions pas être isolés de ce point de vue. J'ai beaucoup souligné notre indépendance afin qu'il n'y ait pas une législation favorable à l'intégration entre les télécom et la distribution.
Pensez-vous toujours la même chose en ce qui concerne Bouygues Télécom ?
La donne a changé et nous nous adaptons heureusement aux évolutions de marché ; si ce n'était pas le cas et si les règles étaient immuables, nous ne serions plus là.
S'agissant du coût des programmes, je prendrai un exemple qui n'est pas tiré de la production. Je pense que c'est par des exemples que nous pouvons progresser dans la compréhension du système. Un appel d'offres a été lancé concernant l'équipe de France de football. C'est un évènement protégé, c'est-à-dire qu'il doit obligatoirement être diffusé en clair. Il peut l'être aussi sur les plates-formes payantes. Nous n'aurons plus les moyens, à l'avenir, de payer le prix que nous payons aujourd'hui pour l'équipe de France, car l'audience est assez différente et la commercialisation en linéaire nous pose un certain nombre de difficultés au regard de la rentabilité éventuelle de l'équipe de France. Nous avons ainsi soumis une offre, qui est très inférieure aux montants qui étaient payés jusqu'à présent. Ce n'est pas tellement que le coût de programmes augmente : les recettes diminuant du fait de la diminution de l'audience du linéaire, nous devons adapter nos coûts de programmation, faute de quoi nous disparaîtrons.
En ce qui concerne les objectifs de la fusion, le free cash-flow se constate après investissement. Nous allons réaliser des investissements et s'il reste de l'argent, les actionnaires peuvent le distribuer sous la forme de dividendes. Nous avons un taux de distribution relativement important depuis le début. Cela ne nous a aucunement empêchés d'investir. Chaque fois que nous avons eu un investissement important à faire, par exemple dans TPS, nous avons répondu présent. Le risque était important dans le cas de TPS. Nous avons investi dans Salto, de même que dans les achats de Gulli ou RTL. Nos actionnaires ont toujours été présents pour les financer. Il n'y a aucun problème de financement des investissements accrus qui seront réalisés par le nouveau groupe.
Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur de ce que représentent, dans votre budgétisation, les 90 % du free cash-flow qui seraient distribués en dividende ?
Ce n'est pas ce que j'ai calculé en premier. J'ai d'abord réfléchi à l'orientation que nous pouvions nous donner. Nous ne connaissons ni le périmètre ni les conditions qui seront fixées par l'Autorité de la concurrence. Nous avons chiffré un certain nombre de synergies et effectué des simulations. Une partie des synergies sera réinvestie, notamment dans la plateforme de streaming que j'évoquais tout à l'heure.
Le chiffre de 90 % peut être mis en regard de la situation actuelle de M6. Reversez-vous 90 % du résultat en dividende ?
Aujourd'hui, nous distribuons environ 80 % du résultat. Cela dépend des années. Le taux de distribution (payout) du groupe TF1, à ma connaissance, est inférieur.
J'insiste en tout cas sur le fait que chaque fois que nous avons eu besoin d'argent, nous n'avons eu aucune difficulté pour avoir accès à nos actionnaires. Lorsque nous aurons besoin de réaliser des investissements (qui seront importants dans le streaming), nos actionnaires seront prêts à financer ces opérations. J'en suis absolument persuadé.
J'entends vos réponses. Le débat continue mais des arguments sont souvent avancés pour considérer que cela va mal et que TF1 et M6 risquent d'être écrasées par les mastodontes s'ils ne fusionnent pas. Ce type d'argument avait notamment été avancé lors de l'audition d'un responsable de Bouygues. Or M6 distribue aujourd'hui des dividendes. Il en est de même de TF1 et Bouygues. Ce n'est pas le signe d'acteurs qui vont mal. Vous envisagez même de distribuer, dans le cadre du futur groupe, de 90 % du résultat aux actionnaires. Je voulais simplement surligner ces intentions.
Ma dernière question, pour cette première série, viendra en écho de l'audition, hier, de M. Thomas Rabe. Celui-ci a affirmé avec netteté que lui et le groupe avaient, en matière d'information, une culture affirmée, qui est d'ailleurs reconnue. C'est un groupe de médias qui a une réputation bien établie. Je dis souvent que c'est au vu du nombre de ses journalistes qu'on mesure l'apport d'un groupe de médias à l'information indépendante et professionnelle. Thomas Rabe citait le nombre de 1 500 journalistes en Allemagne. Cela mérite le respect. Il assurait aussi que la culture de ce groupe se distinguait par l'absence totale d'ingérence dans les rédactions. J'ai entendu que les rédactions de TF1, M6 et RTL seraient maintenues et conserveraient leur identité propre. Vous nous le confirmerez. Je constate que ce principe est déjà écorné dès lors qu'il est envisagé de mettre en place des matinales ou des émissions communes. Cela fait un seul programme au lieu de deux.
Votre franchise est connue. Je souligne, pour ceux qui ne l'auraient pas saisie, l'ironie qui s'est glissée dans vos propos tout à l'heure puisque vous êtes l'un des plus grands pourfendeurs du service public. Vous assumez l'existence d'un droit d'ingérence sur tout ce qui est fait dans les médias que vous dirigez. Vous en avez usé à plusieurs reprises. À titre d'exemple, invité en mai 2015 de Maïtena Biraben, qui évoque la censure de certains sujets réalisés par des journalistes de la chaîne, vous lui répondez qu'il s'agit de pressions économiques et non politiques. « Je ne peux pas supporter que l'on dise du mal de nos clients. Nous vivons de nos clients ». Vous expliquez : « il y avait une émission de Capital sur la téléphonie et nous sommes parties prenantes puisque nous détenons M6 Mobile, de l'opérateur Orange. Je leur ai expliqué que si on faisait une émission sur la téléphonie et qu'elle était bonne pour Orange, on aurait forcément dit que c'était compréhensible et si elle était mauvaise pour Orange, on se serait fâché avec notre client, donc il y a des choses à éviter ». En septembre 2012, un reportage du magazine Capital sur l'opérateur mobile Free avait été repoussé puis déprogrammé de la chaîne, déclenchant une pétition des journalistes de la chaîne privée, qui pointaient acte de censure. Un article du Figaro le relate. M. Thomas Rabe affirmait hier : « une ingérence de M. de Tavernost sur la ligne éditoriale ne serait pas compatible avec notre état d'esprit ».
Je vais vous répondre avec une grande franchise, puisque vous avez bien voulu me créditer de cette qualité. Je crois d'abord qu'il faut distinguer deux choses qui sont différentes car une confusion est faite, volontairement ou non, entre l'ingérence éventuelle des actionnaires et celle des dirigeants. Je ne suis pas actionnaire. Je suis un dirigeant révocable ad nutum. J'ai la responsabilité de l'entreprise, avec des collègues. Je suis responsable pénalement au regard du droit du travail et au regard du droit de la diffamation. Je me rends d'ailleurs prochainement devant la 17ème Chambre. Je suis responsable de l'ensemble de l'activité et de la défense des collaborateurs et des journalistes. En 35 ans, vous ne pourrez pas citer une seule d'intervention de ma part de nature politique. Je l'affirme sous serment.
Pour faire mon métier, je suis obligé de juger d'un certain nombre de critères. Lorsque je parle à la première personne, j'inclus bien sûr dans mon propos mes équipes et celles de Thomas Valentin, patron des programmes. Je vais vous donner un exemple très précis. Nous avons diffusé dimanche dernier une émission, Zone Interdite, sur l'islam radical, qui a eu des répercussions importantes. Nous avons discuté de cette émission. Si vous appelez cela de l'ingérence, j'ai fait preuve d'ingérence à propos de cette émission. J'ai demandé si c'était une émission « extrémiste ». J'ai demandé si la présentatrice, qui est menacée, était protégée. J'ai demandé si les témoins qui s'y exprimaient étaient bien floutés, etc.. J'ai fait mon métier, tel que je le conçois, à propos de cette émission. In fine, la décision d'autorisation de diffusion de cette émission m'est revenue. Je la revendique. Elle m'a été demandée. Nous aurions pu prendre la décision contraire. J'estime que j'ai exercé les responsabilités afférentes à mon métier.
Je citerai un autre exemple à propos des affaires économiques. Lorsque nous étions propriétaires du club de football de Bordeaux, je ne souhaitais pas que des numéros de magazines de M6 portent sur l'Olympique de Marseille. Il existe une haine ancestrale entre les supporters de Marseille et de Bordeaux et j'ai considéré qu'il n'eut pas été correct de nous « servir » de nos antennes pour alimenter cette polémique.
À l'inverse, nous avons fait un sujet sur Amazon (qui est un de nos grands clients) et sur les invendus. Ce sujet a suscité un projet de loi (en faveur duquel vous avez voté) sur le devenir des invendus, qui étaient jetés. Récemment, nous avons diffusé une émission qui était plutôt hostile aux éoliennes. Nous avons un parrain qui est présent dans les énergies éoliennes. Je donne des faits.
Je me suis également opposé, un jour, à ce que Jean-Pierre Pernaut soit invité sur RTL. J'aime beaucoup Pierre Pernaut. J'ai constaté que, jusqu'à présent, Xavier De Moulins n'avait pas été invité sur TF1 et, dans un souci d'équilibre, il ne m'a pas semblé utile d'inviter Pierre Pernaut sur RTL. Si c'est mon droit d'ingérence, je l'assume.
Je n'ai pas porté de jugement général. J'ai cité des faits. Vous ne m'avez pas dit si vous regrettiez avoir tenu les propos que j'évoquais. Ce sont des propos portant sur une ingérence. Ils n'entrent pas dans les différents cas de figure que vous venez de citer. Je comprends qu'un responsable d'une antenne se penche sur un reportage sur l'islam radical et la façon dont il faut gérer certaines de ses conséquences possibles. Il s'agissait d'un problème auquel seront confrontées toutes les rédactions si elles ne peuvent enquêter sur des clients potentiels de l'entreprise ou sur un annonceur. Leur champ d'investigation se réduit alors, et avec lui leur liberté. Orange et Free ont été cités. Vous avez également déclaré dans Le Nouvel Économiste : « je considère avoir un droit d'ingérence professionnelle. Étant responsable de tout, j'ai le droit d'intervenir sur tout ». Cela inclut donc l'information et les rédactions.
Je crois avoir fait une réponse, que j'espère complète, à M. le rapporteur. Je suis directeur de publication. Je suis, à ce titre, responsable. Je vous ai cité des exemples qui montrent la liberté complète qu'ont les journalistes au sein du groupe M6 et du groupe RTL pour exercer leur métier. Il y a des cas qui me sont présentés, dans lesquels je tranche. Lorsqu'une publicité pour M6 Mobile by Orange est diffusée toute la journée et que vous faites un reportage comparant M6 Mobile et Free, j'estime que personne n'imaginerait que son contenu serait objectif. C'est l'exercice de ma responsabilité. Pour la protection de mon public et pour la protection de l'image de la chaîne, je n'ai pas souhaité que ce reportage soit diffusé. Il portait sur les forfaits bloqués. Je m'en souviens très bien. Je considère avoir fait mon métier et préservé l'image du groupe. Je pourrais citer de nombreux autres exemples de reportages très défavorables à nos clients. Je me demande, en écho au livre qui paraît ces jours-ci, que nous avons largement mis en avant, si les maisons de retraite ne font pas partie de nos clients. On peut nous reprocher le Loft et un certain nombre de choses. En ce qui concerne l'indépendance ces rédactions, en 35 ans d'activité, nous avons suivi la ligne de notre actionnaire.
Vous avez indiqué qu'Amazon était un de vos principaux clients. Est-ce en termes de recettes publicitaires ?
Quel est le montant des achats publicitaires d'Amazon auprès de votre groupe ?
Je ne l'ai pas en mémoire. Ce doit être plusieurs millions d'euros.
Bonjour monsieur de Tavernost. En cas de fusion, quelle sera votre stratégie de contenus, étant entendu que la bataille se joue à ce niveau-là ?
Vous avez parlé de synergies. Des mutualisations seraient-elles envisagées (ce qui pourrait générer des économies d'échelle mais aussi appauvrir la création) ou envisagez-vous d'accroître significativement le budget alloué aux contenus audiovisuels pour renforcer l'ambition du groupe en la matière ?
Ma deuxième question prolonge l'un de vos propos sur Gulli. Hier, Thomas Rabe nous a indiqué que vous testiez le marché, dans la mesure où vous alliez devoir céder trois chaînes. Je ne vous demande évidemment pas quelles seront ces trois chaînes. Il nous a indiqué que rien n'était décidé mais je l'ai interrogé sur les critères de test du marché, au-delà de la dimension économique, car Gulli est une chaîne tout à fait spécifique. Vous en avez parlé et nous avons bien senti que cela posait problème. Pouvez-vous approfondir le sujet et nous confirmer, le cas échéant, que vous aimeriez peut-être la conserver mais que ce serait difficile ?
Vous avez également cité Salto, qui est un « petit poucet », avec peu d'abonnés, par comparaison avec les géants américains que nous connaissons. Une vraie stratégie sera à définir pour cette plateforme en termes d'investissement et sur le plan technologique. Jusqu'où voulez-vous aller et votre groupe a-t-il vraiment l'intention de développer cette plateforme de streaming française ?
Enfin, TF1 et M6 sont des chaînes historiquement engagées dans le monde du football. Souhaitez-vous, dans le cadre du nouveau groupe, rentrer de nouveau dans le jeu des droits télé pour la Ligue des Champions et/ou la Ligue 1 et diffuser en clair une partie de ces compétitions ?
Notre intention est d'augmenter nos recettes autour de la production et de la création. Or nous avons des pourcentages dans le cinéma, dans l'animation et la fiction. Il y a, de ce fait, une corrélation entre notre réussite et les investissements dans la création.
Nous souhaitons ardemment accélérer dans le streaming, ce qui rejoint la question relative à Salto. Salto est une réussite. Avec Gilles Pélisson et Delphine Ernotte, nous avons consacré de nombreux efforts à cet objectif. Ce n'était pas commode. Il y a néanmoins une limite. Nous sommes concurrents et le streaming constitue l'un de nos coeurs de métier. Devons-nous faire passer ces programmes avant ou après les nôtres, les accompagner de publicité ou non ?
Avec la fusion, nous serons beaucoup plus libres d'unir nos forces pour déployer une politique de streaming beaucoup plus ambitieuse, qui permettra de développer Salto avec des contenus locaux (c'est-à-dire français).
Voulez-vous développer Salto avec France Télévisions ou sans France Télévisions ?
France Télévisions a publiquement annoncé son intention, sauf erreur de ma part, de sortir de Salto si la fusion a lieu, afin de ne pas se retrouver en position minoritaire face à deux actionnaires qui seraient réunis. Nous sommes ouverts pour en discuter avec France Télévisions, qui est un bon partenaire. Delphine Ernotte est très efficace dans la défense de Salto. Il est vrai qu'elle peut se retrouver minoritaire dans un ensemble plus important. Aussi a-t-elle manifesté son intention d'examiner la situation dans l'hypothèse où la fusion aurait lieu. Nous sommes ouverts à l'examen de cette situation.
Concernant la cession des chaînes, c'est un déchirement que de céder des chaînes. Si la législation pouvait évoluer sur ce point, nous en serions extrêmement heureux.
David Assouline, Rapporteur. - Il y avait moins de sept chaines à l'origine dans la législation...
Il n'y avait pas de TNT. Il est normal qu'elle s'adapte. En outre, nous n'avons pas eu de canal compensatoire. Nous n'allons pas refaire l'Histoire. C'est en tout cas un déchirement, pour nous, de céder des chaînes, que nous les ayons créées ou rachetées et développées. Gilles Pélisson vous dira certainement la même chose le concernant.
Nous serons donc d'abord confrontés à une « dissynergie », selon le terme consacré, suite à l'opération de fusion. C'est regrettable. Nous allons choisir la meilleure combinaison parmi les candidats à l'acquisition de chaînes. Ces candidats existent, y compris pour les chaînes dédiées la jeunesse, même si leur nombre est plus limité pour ces dernières. C'est maladroit car lorsqu'il y a une association des producteurs et diffuseurs, tout le monde est gagnant. C'est très important, notamment dans le domaine de l'animation. Je m'attarde un instant sur celui-ci. Les fabricants de jouets internationaux pratiquent aujourd'hui le placement de produits sur les plates-formes internationales, de manière à obtenir une audience et une visibilité internationales. Nous devons participer à la production à travers les placements de produits, faute de quoi nous serons entièrement contournés. Il est donc fondamental que de disposer de ces regroupements.
Le groupe socialiste, écologiste et républicain nous propose un thème de commission d'enquête qui est à double entrée : « mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France et évaluer l'impact de cette concentration dans une démocratie ». Invariablement, depuis le début de ces auditions, on passe de l'un à l'autre. Comme le disait Boileau, « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ».
Tous les entrepreneurs que nous avons auditionnés depuis le début, y compris les dirigeants des structures publiques et certains journalistes, ont répondu à cette première question en affirmant que la concentration relevait du niveau économique. Sauf à se voiler la face, même M. Rabe, qui a certes des liens avec notre pays et en maîtrise la langue mais qui est étranger, est venu nous dire avec une forme d'évidence combien l'opération que vous entreprenez, strictement encadrée au point de lui donner des airs de parcours du combattant, est d'abord une opération économique.
La deuxième question est un peu plus compliquée car elle a trait à notre sacro-sainte démocratie. Dans un système d'une incroyable rigidité, comme vous l'avez souligné tout à l'heure, comment peut-on assurer une certaine étanchéité entre les actionnaires - que je distingue bien des dirigeants - et la démocratie ?
Beaucoup s'inquiètent à raison du poids que représentera l'ensemble formé par TF1 et M6. Pour équilibrer ce nouveau groupe, ne serait-il pas légitime que la puissance publique encourage l'émergence d'un second groupe privé qui pourrait peser 15 % à 20 % du marché ? Quels seraient les moyens permettant de favoriser cette évolution, notamment sur le plan réglementaire ?
L'économique n'est pas distinct du reste. J'ai souligné que la création était une affaire de cash flow. L'information est une affaire de moyens. Si nous sommes confrontés à des systèmes étrangers d'information uniques et si progressivement nos moyens diminuent, nous serons en grande difficulté, y compris au plan démocratique. Je pense que nous produisons une information de qualité, qui est nécessaire dans une démocratie. Elle n'est pas orientée et s'efforce d'être aussi indépendante que possible. En matière de radio ou de télévision, le groupe M6 a fait la preuve de son indépendance. Je ne vois pas en quoi celle-ci pourrait être remise en cause.
Certes, la séparation entre les actionnaires et les dirigeants n'est pas de nature juridique, puisque le dirigeant est responsable devant l'actionnaire, comme l'a rappelé M. Assouline. Il a cependant la mission de développer son entreprise sur la base d'un cahier des charges extrêmement précis, établi par le CSA. Il faut aussi faire confiance à l'historique des acteurs, en particulier lorsque deux actionnaires, tels qu'ils se présentent devant vous, ont un historique d'indépendance et de confiance dans leur management. Je crois qu'il n'y a eu que quatre présidents, y compris M. Bouygues, dans l'histoire du groupe TF1. Nous en avons connu deux dans l'histoire de MEA, Jean Drucker et moi-même. Ce ne sont pas des gens qui sont là pour le court terme. Ce sont des personnes qui investissent et font confiance. Cet historique devrait, à mon avis, être de nature à rassurer nos interlocuteurs.
Nous avons un grand groupe public, qui est de loin le plus important en France, que ce soit par le nombre de journalistes, le nombre de chaînes ou les moyens qui lui sont alloués par la puissance publique. Nous avons un groupe, autour de la télévision payante, que vous avez auditionné ce matin. Nous avons un groupe, principalement autour de la télévision gratuite, c'est-à-dire deux groupes privés, avec des zones de concurrence assez fortes, d'ailleurs. Or l'équilibre moderne tel qu'il se dessine au plan international, est déjà un paysage concurrentiel. Examinez bien les regroupements qui s'opèrent dans tous les domaines de consolidation. Pendant que nous devisons, des regroupements gigantesques ont lieu entre Fox et Disney. Netflix vient d'installer à Hollywood son co-CEO. Il n'y a pas de frontière des Ardennes pour l'audiovisuel français. Nous sommes confrontés à ces acteurs, qui sont plutôt avantagés par la réglementation qui leur est imposée. Ils ne signent pas toujours les engagements qui leur sont donnés. Je pense par exemple à l'accord sur la chronologie des médias, que deux des plus grandes plates-formes n'ont pas signé, bien qu'il leur soit très favorable.
Le regroupement de TF1 et M6 paraît aujourd'hui une évidence. Il serait une force. Permettez-moi de vous faire part d'une opinion très personnelle. J'ai été très heureux de la confiance que Martin Bouygues et le groupe Bertelsmann me témoignent. À mon âge, j'aurais pu me retirer avec le sentiment d'avoir accompli ma mission en ce qui concerne le groupe M6. Celui-ci est en bonne santé, compte de nombreuses chaînes, se développe et n'a pas une mauvaise image. Il a une radio qui fonctionne bien. Si j'ai souhaité continuer et solliciter la confiance des actionnaires, c'est parce que je considère que la mission n'est pas terminée.
Le plus important reste à faire : c'est cette consolidation. Ceux qui la refuseraient feraient courir un grand risque à l'audiovisuel français. Je le dis solennellement devant votre commission, eu égard au contexte que forment ces plateformes, la concurrence internationale et la concentration de la production. Le premier producteur de fiction, en France, est ITV Studio, qui n'est d'ailleurs plus un acteur européen. On prendrait une responsabilité considérable... Avec les règles qui nous sont imposées et au vu des conventions qui sont sous la responsabilité du CSA, je pense qu'il n'y a pas de risque dans cette consolidation.
C'est un point important que vous soulignez en estimant que ne pas faire cette fusion ferait courir un grand risque à l'audiovisuel français. Le problème, c'est que sa réalisation ne sera pas seulement envisagée sous l'angle de sa pertinence pour le secteur audiovisuel mais aussi au regard de la notion de marché pertinent du point de vue publicitaire. Avez-vous bien analysé l'impact d'une lecture strictement juridique de cette notion de marché pertinent, si elle vous était défavorable ? Quelles seraient les conséquences pour les deux groupes, TF1 et M6 ?
Nous nous plaçons dans une perspective optimiste. Nous discutons avec l'Autorité de la concurrence de l'analyse de ce marché. Aujourd'hui, tous les facteurs sont en faveur d'une analyse ouverte. Que certains veuillent protéger une rente à court terme, nous pouvons le comprendre, que ce soit dans des domaines de production ou dans d'autres domaines. Voyons quelle est la dynamique des marchés. C'est en 2016 que M. Chetrit a affirmé que le digital était devenu le premier des médias. Nous avons les mêmes annonceurs et souvent les mêmes publicités sur TikTok, sur Facebook, sur Instagram... Nous avons besoin de nous regrouper pour être plus efficace en programmation - ce qui est un point très important - et nous devons investir pour adapter notre offre à nos besoins. Il faut aussi, à défaut d'enrayer cette diminution de la durée d'écoute de la télévision traditionnelle, la compenser par une audience de streaming. Nous offrirons ainsi au marché des occasions d'annoncer.
D'aucuns pourraient estimer que nous représentons, en 2021 et 2022, de gros écrans. Cela dit, 90 % de la publicité n'est pas sur les écrans importants. Certes, nous représentons 70 % du marché net mais c'est une vue tout à fait biaisée de la question. Les grands groupes font un arbitrage constant en faveur du digital par rapport à la télévision. Le digital a pris l'avantage, en termes de publicité, et sa croissance dépasse désormais celle de la publicité à la télévision. Les chiffres qui vont sortir la semaine prochaine pour 2021 le montreront amplement. Si l'on se projette dans un an, dans deux ans, dans trois ans ou dans cinq ans, les courbes vont continuer de s'écarter. C'est un peu comme la presse écrite il y a dix ans. Nous ne voulons pas, comme la presse écrite, subir les conséquences d'une insuffisante prise en compte des mutations que connaît notre secteur. Certains journaux se sont très bien adaptés. Mais nous voulons avoir la possibilité de nous adapter. La concentration de nos moyens en France représente un petit marché à l'échelle internationale. On ne peut pas affirmer simultanément que nous sommes trop petits pour lutter contre les GAFAM et trop gros au regard de l'audiovisuel français, que nous mettrions à mal. Au plan local, nous pouvons rivaliser avec les plates-formes et avoir des contenus originaux, comme le font les Allemands. Ceux-ci investissent beaucoup dans le streaming avec des produits locaux, comme vous l'a indiqué Thomas Rabe.
Lors des auditions que nous avons eues la semaine dernière en présence de la SACEM et la SCAM, celles-ci ont exprimé devant notre commission leurs inquiétudes dans la mesure où le groupe renforcé TF1-M6 aurait, à leurs yeux, davantage de force pour tordre le bras aux sociétés d'auteurs et tirer les prix vers le bas. Quelles garanties pouvez-vous apporter aux auteurs et aux sociétés qui les représentent ?
Par ailleurs, vous avez évoqué, dans votre introduction, les freins brandis par l'Autorité de la concurrence. Étant abonnée à Salto, je me demande quel est le marché de cette offre et à qui elle s'adresse. Je n'aime pas le divertissement. Je n'aime pas la téléréalité. J'aimerais pouvoir enregistrer mais le catalogue n'est pas assez complet à mon goût. On ne peut pas visionner Salto lorsqu'on se trouve à l'étranger. Je trouve que l'interface n'est pas performante ni conviviale. Je suis aussi abonnée à Molotov, dont je trouve l'interface beaucoup plus intuitive. Pensez-vous faire évoluer Salto afin de rendre cette plateforme plus attractive et plus séduisante, tant en termes de contenu que d'interface ?
Vous faites partie des près de 500 000 abonnés. Je considère que compte tenu des contraintes qui encadrent ce type d'offre, il s'agit d'un succès. Il y a une très bonne équipe autour de Salto. Les développements techniques ont été réalisés. C'est une affaire compliquée. Netflix investit un milliard d'euros dans la technologie, ce qui montre l'ampleur des enjeux. Nous avons regroupé nos forces dans une société qui s'appelle Bedrock, comme vous l'a expliqué Thomas Rabe, afin de mutualiser un certain nombre de fonctions des plates-formes.
Ce n'est pas parfait et, en tant que concurrents, nous ne pouvons donner tous nos programmes au streaming. Il faut constamment arbitrer entre ce que nous mettons en avant, ce qui fait partie de l'écosystème de nos propres programmes... Il est horriblement compliqué, pour les équipes de Salto, d'offrir un produit très homogène, car nous sommes en compétition les uns avec les autres dans la télévision gratuite. Je pense que grâce à la fusion, nous pourrons avoir un produit beaucoup plus moderne, beaucoup plus ambitieux, avec des perspectives d'investissement extrêmement fortes. Je pense que Gilles Pélisson pourra le confirmer lors de son audition. C'est un très gros enjeu pour nous et je vous remercie de l'avoir souligné.
Je ne pense pas que les auteurs aient des leçons à recevoir de notre part en matière de monopole. Nous sommes confrontés à des difficultés, du point de vue de la gestion des droits, entre différentes sociétés d'auteurs. La SACEM voudrait continuer de nous qualifier de chaîne musicale, alors que nous faisons davantage de fiction. Cette répartition dite « inter-sociale » est complexe. Nous avons simplement indiqué que nous ne voulions pas payer plus cher, en taux, que ce que nous payons aujourd'hui pour la somme des trois sociétés d'auteurs. Une discussion est engagée entre celles-ci. J'espère qu'il n'y aura pas, notamment de la part de la SACEM, d'abus de position dominante. Les discussions se poursuivent et nous sommes ouverts. Nous nous sommes régulièrement acquittés, durant 35 ans, de nos droits d'auteurs. Il y a un renouvellement de contrat et nous espérons, à cette occasion, parvenir à un équilibre entre les deux parties. C'est notre volonté car nous n'avons aucune difficulté vis-à-vis des auteurs.
La Sacem a évoqué un conflit avec vous au motif que vous ne paieriez pas des droits d'auteurs. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Notre contrat arrivait à échéance le 31 décembre 2021. C'était un contrat collectif qui rassemblait les trois sociétés d'auteurs. Certaines d'entre elles nous ont fait savoir, parfois de manière justifiée, comme dans le cas de la SACD, qu'elles souhaitaient une répartition différente à partir de trois contrats séparés. Nous avons discuté avec les deux autres sociétés d'auteurs et nous nous sommes rendu compte que la somme des trois était beaucoup plus importante que ce que nous payions globalement. Nous avons donc entamé des discussions avec chacune d'entre elles.
Force est de constater que la position de la SACEM est la plus rigide. Celle-ci nous dit, en gros, « voilà le tarif et vous signez en bas à droite ». Ce n'est pas dans nos habitudes de procéder ainsi. Nous aurons donc encore quelques discussions. S'il faut une médiation, nous la proposerons. Le CSA se propose souvent comme médiateur. S'il faut aller devant une juridiction, nous nous y résoudrons. Nous avons proposé à la SACEM de bloquer par anticipation les sommes que nous lui versions auparavant, au titre de nos contrats, pour montrer que nous souhaitions continuer à rémunérer les auteurs sur la base de ce que nous payions précédemment. Les discussions continuent et nous espérons qu'une position équilibrée entre les parties prenantes pourra être trouvée. Notre intention n'est pas une rupture avec les sociétés d'auteurs.
Monsieur de Tavernost, merci pour toutes les informations que vous nous avez apportées. J'aimerais revenir sur l'origine de la fusion et le contexte dans lequel vous l'avez envisagée. Dans un couple, lorsqu'on se marie, on parle de consentement mutuel. En l'espèce, qui, de TF1 ou de M6, a fait le premier pas ? Aviez-vous le choix de faire ou non ce rapprochement ? Vous avez expliqué que face à l'évolution du paysage médiatique, il fallait changer de stratégie. Auriez-vous pu vous rapprocher d'autres groupes ? Aviez-vous d'autres propositions ?
En tout état de cause, pendant que vous travaillez à une fusion, des plateformes internationales se renforcent, quasiment de jour en jour, tant les choses vont vite. Vous avez évoqué le digital. Si l'on se projette dans l'étape suivante, comment envisagez-vous vos futures étapes de renforcement et de développement ? Cela passera-t-il toujours par des acquisitions et des rapprochements ?
Vous avez également parlé de football, notamment des Girondins de Bordeaux et de Marseille. Je rappelle que Marseille s'est imposé à Bordeaux il y a quelques jours pour la première fois depuis 44 ans. Aujourd'hui, dans le cadre du nouveau groupe que vous allez diriger, seriez-vous intéressé par la gestion d'un club de football professionnel français ?
Je commencerai par votre dernière question. Nous avons passé 19 ans à Bordeaux et durant cette période, Marseille n'a jamais gagné à Bordeaux. Nous sommes malheureux que cela se soit produit cette année. Nous sommes sortis du football après 19 ans car nous n'avions plus suffisamment de moyens à consacrer à Bordeaux. Compte tenu du nouveau périmètre qui se dessinait, notamment avec l'arrivée des Qataris au PSG, nous avons estimé ne plus pouvoir suivre cette évolution et que cela ne relevait pas de notre coeur de métier. Nous avons donc quitté le football. Je doute que nous y revenions.
En ce qui concerne la fusion, vous avez raison de souligner que deux années se seront vraisemblablement écoulées entre le moment où les discussions ont commencé et celui où la nouvelle société sera opérationnelle. C'est très long. Au moins trois autorités (l'AMF, l'ARCOM et l'ADLC) doivent délivrer leur autorisation, avec les procédures que cela implique (renouvellements d'autorisations, cessions de chaînes à agréer, etc.). J'ai rarement vu un dossier aussi complexe, avec de tels enchevêtrements. Nous avons choisi la crête dans cette affaire.
Vous me demandez qui a fait le premier pas. Comme l'a expliqué hier Thomas Rabe, un pas très important a été fait par RTL Group-Bertelsmann lorsque celui-ci a accepté qu'un groupe français ait le contrôle exclusif de l'ensemble. C'est ce pas qui fut le déclencheur de l'opération. Nous avions souvent évoqué, avec mon collègue Gilles Pélisson, l'éventualité d'un rapprochement de nos forces alors que nous sommes très concurrents aujourd'hui. Nous voyions bien l'évolution du marché. Cependant, tant que RTL Group n'acceptait pas de céder son contrôle exclusif sur le nouvel ensemble, il n'y avait pas de possibilité de rapprochement. Il était logique qu'un acteur français ait le contrôle exclusif de l'ensemble et je pense que c'était l'intention du groupe Bouygues d'avoir ce contrôle exclusif.
Nous sommes dans une période de fiançailles et, durant cette période, nous n'avons pas le droit de consommer. La consommation n'aura lieu qu'après le 15 janvier si l'opération se fait. C'est frustrant.
Nous gérons nos entreprises dans un climat de concurrence mais nous investissons. Nous développons 6Play. J'ai évoqué le cinéma. Nous nous efforçons d'investir le plus possible dans la production. Nous développons nos groupes dans une logique concurrentielle, jusqu'à ce que nous soyons autorisés à proposer un vote en assemblée générale afin de procéder à cette fusion.
Monsieur de Tavernost, vous vous êtes montré très critique sur la réglementation française, qui impose aux diffuseurs une contribution à la production d'oeuvres audiovisuelles, indexée sur le chiffre d'affaires des chaînes. En cas de fusion TF1-M6, quelle sera la position du nouvel ensemble vis-à-vis de la création audiovisuelle et de son financement ? Je pense notamment aux petits producteurs indépendants, qui sont aussi gages du pluralisme.
Pouvez-vous par ailleurs revenir en détail sur le débat relatif à la publicité télévisée, par comparaison avec la publicité numérique ? Quelles conséquences cela a-t-il sur votre activité ?
Nous sommes très favorables à la production indépendante, d'autant plus que de très nombreuses personnes nous ont rejoints après avoir monté leur propre entreprise. Emmanuel Chain a créé la société Elephant&Cie. Thomas Anargyros est l'un des plus importants dirigeants de Mediawan. Ils ont développé, à partir de leur expérience, ces sociétés. Nous ne refuserons jamais un programme lorsque celui-ci sera utile à notre groupe. Souvent, la production indépendante développe des programmes qui sont utiles à notre groupe, que ce soit en flux ou dans le domaine de la fiction. En matière d'information, nous faisons travailler énormément de sociétés et d'agences de presse distinctes. Le programme que j'évoquais à propos de l'islam radical a été produit par Tony Comiti, qui est l'une des grandes agences de presse de la place de Paris. Nous n'avons pas de difficultés vis-à-vis de la production indépendante. Nous souhaitons simplement pouvoir nous associer à des producteurs, ce que nous pouvons insuffisamment faire aujourd'hui. Tous les diffuseurs dans le monde sont appuyés à de grandes structures de production.
Les obligations de production s'expriment en taux et nous ne contestons pas ces taux. Il s'agit d'un pourcentage de 3 % ou 3,5 % dans le cinéma. Nous allons probablement signer un accord dans le domaine du cinéma. Je l'espère. Ce taux est de 1 % dans l'animation. Il y a aussi la production audiovisuelle, la production patrimoniale. Tout ceci est encadré par des conventions que nous ne remettrons évidemment pas en cause.
Je crois avoir répondu à votre question relative à la publicité digitale et à la publicité télévisée. Nous faisons face à une évolution très rapide de la publicité à la télévision. J'en profite pour souligner que nous souhaitons, dans la réglementation, une défense de la TNT. Celle-ci est gratuite et couvre tous les territoires. Je sais que le Sénat y est sensible. En outre, la TNT permet, avec les téléviseurs connectés, de pratiquer la « publicité adressée », comme nous pouvons le faire sur les box. Nous souhaitons une normalisation de la norme HbbTV, à l'image de ce qui a été fait en Allemagne, pouvoir développer la publicité adressée à partir de la TNT.
Enfin, nous avons un comité d'éthique sur l'information. Il est présidé par un ancien sénateur, M. de Broissia, ce qui est une garantie de sérieux. Ce comité fonctionne correctement depuis sa mise en place, il y a deux ans et demi. Chacun peut le saisir et aucune difficulté n'a été soulevée par ce comité depuis sa création.
Indépendamment du fait d'être propriétaire d'un club, nous avons compris, lors de précédentes auditions que le sport constituait un élément important pour les groupes de médias du point de vue stratégique. Le modèle économique des droits télé peut-il, à vos yeux, remettre en cause la couverture de grands évènements sportifs par les grands médias français ? On nous a dit par exemple que Roland-Garros et la Ligue des Champions constituaient des évènements fondamentaux pour l'attractivité d'un certain nombre de chaînes. Or nous voyons la montée en puissance des plates-formes - en particulier Amazon - dans ce secteur.
Par ailleurs, en matière de production indépendante, avez-vous une approche stratégique vis-à-vis des nombreuses petites sociétés ayant un caractère plutôt régionaliste et thématique ?
Le sport constitue le pétrole de la télévision payante ou des plates-formes demain. C'est la raison pour laquelle la liste des évènements protégés est fondamentale pour nous. Nous remercions le législateur de s'être emparé de cette question. Il protège ainsi l'accès du public aux grands évènements sportifs.
L'une des raisons de la fusion est d'accroître les moyens dont nous disposons pour diffuser des évènements sportifs sur nos antennes. Nous serons plus forts pour proposer des évènements sportifs d'accès gratuit sur M6 et TF1 que nous ne le sommes actuellement. Ce sera un élément important de notre activité.
S'agissant de la création, nous faisons déjà travailler des agences d'information régionales. Je crois d'ailleurs que certaines d'entre elles travaillent également pour TF1. Nous avons des correspondants au sein de sociétés qui sont généralement adossées à un journal régional. Ils produisent de nombreux sujets diffusés dans nos journaux télévisés et nous avons de bons rapports avec eux.
Nous sommes très attachés à avoir de nombreux contenus portant sur ce qu'on appelle la province. Dans le cinéma, nous avons sorti Les Bodin's, film un peu surprenant puisqu'il n'a fait aucune entrée à Paris et 1,6 million d'entrées en province, avec son spectacle.
Comment interprétez-vous l'attitude du groupe Iliad (propriétaire de l'opérateur Free), qui semble assez « remonté » contre le projet de fusion entre TF1 et M6 et envisage de saisir la Commission européenne, considérant qu'il n'appartient pas aux autorités françaises de traiter ce dossier ?
Je crois que vous aurez l'occasion d'entendre son propriétaire, ce qui vous permettra de lui poser directement la question. Nous avons des rapports de clients-fournisseurs dans les deux sens avec le groupe Free-Iliad. Nous accueillons des publicités pour la téléphonie et lui fournissons des chaînes et services pour son réseau. Le groupe Iliad, à travers son propriétaire, est extrêmement puissant dans les médias. C'est le cas notamment dans la presse et à travers de nouveaux services de streaming d'information. Peut-être aurait-il voulu se renforcer. Je ne sais pas. Vous le lui demanderez.
Je n'ai pas le souvenir que vous ayez répondu avec précision à l'une de mes questions, concernant le maintien des rédactions de l'ensemble des entités qui vont fusionner. Des entités se trouvent dans le même domaine en matière de télévision (LCI, TF1, M6). Il y a une radio, RTL. J'ai besoin que vous indiquiez de façon précise, presque en termes d'engagement, si ces rédactions seront maintenues et que vous confirmiez que vous n'avez pas l'intention de « dégraisser » ni de fusionner des rédactions.
Cette question est étayée par un souci particulier. Nous assistons déjà une mise en commun des antennes de RTL et M6 pour l'émission de Julien Courbet en fin de matinée. Devons-nous nous attendre à ce que la fusion renforce cette tendance à la mutualisation des moyens, en particulier au sein des rédactions, à l'image de ce qu'a fait NextRadio TV, en son temps, avec la mise en commun des rédactions de RMC et BFM TV ?
Je rappelle qu'il incombe au groupe TF1, dès lors qu'il aura le contrôle exclusif du futur groupe, de notifier les remèdes auprès de l'ADLC. Je ne peux donc vous répondre que pour la partie qui me concerne. Je vais vous indiquer quelques principes sur lesquels nous nous sommes mis d'accord.
En premier lieu, il y aura une autonomie des rédactions : il y aura un directeur de rédaction par support. Là aussi, je vous demande, monsieur le rapporteur, de constater notre expérience en la matière. Il y a eu quelques mouvements lorsque nous avons racheté RTL. Aujourd'hui, le groupe RTL a son autonomie rédactionnelle car la radio n'est pas la télé. Nous avons ainsi deux directeurs de rédaction, l'un à la télé, l'autre à la radio.
Ceci ne signifie pas que nous ne faisons pas des choses ensemble. Ce serait absurde. Nous faisons même des choses avec LCI. Le Grand Jury RTL est produit avec LCI. Nous continuerons de faire des choses en commun. J'ai cité Alba Ventura tout à l'heure à l'occasion de la venue de M. Larcher. Pour reprendre l'analogie que j'utilisais, si vous nous autorisez à fusionner tout en nous imposant de faire chambre séparée toute notre vie, nous n'irons pas au bout de ce projet. Nous avons besoin de synergies qui soient mutuellement profitables. Il existe aujourd'hui des collaborations entre les rédactions, qui fonctionnent extrêmement bien. Nous avons par exemple eu besoin d'un présentateur pour le journal de M6 durant les congés des présentateurs actuels. Un présentateur, en plus de son métier de journaliste sur RTL, est venu présenter avec beaucoup d'efficacité le journal de 19 heures 45. Il en est, je crois, très heureux. Nous en sommes très heureux. Le public en est très heureux.
Vous évoquez l'émission de Julien Courbet. Celle-ci ne s'est jamais aussi bien portée en radio. Elle nous a même apporté une audience supplémentaire en télévision. Nous faisons très attention aux spécificités des deux supports. L'émission ne commence pas à la même heure en radio et à la télévision. Nous avons des troncs communs pour en faire la promotion. Cela me paraît un modèle extrêmement vertueux. Il préserve l'indépendance éditoriale et les particularités de chaque métier, car la radio n'est pas la télévision. En revanche, des communautés de moyens existent. Nous avons par exemple un correspondant de M6 qui travaille également pour RTL aux États-Unis. Cela fonctionne très bien et le correspondant qui se trouve aux États-Unis est plutôt content de faire à la fois de la radio et de la télévision. Cela lui donne de la notoriété. Je vous ai répondu à propos du rôle de l'actionnaire : celui-ci n'intervient pas dans les rédactions. Notre historique le montre. Les dirigeants interviennent-ils au sein des rédactions ? Nous faisons notre métier de responsables et de directeurs de publication. Les rédactions sont-elles autonomes pour chacun des supports ? La réponse est oui.
Je voudrais juste une précision dans le prolongement de la question d'un de mes collègues. Y a-t-il d'autres offres de rachat ?
Permettez-moi de vous faire la même réponse que Thomas Rabe, qui a évoqué le secret des affaires. Ne me mettez pas dans l'embarras vis-à-vis de mon actionnaire.
J'ai examiné le règlement des commissions d'enquête. Nous acceptons le secret professionnel, de même que le secret lorsqu'il existe des enjeux de sécurité, et sur les questions de Défense. Je ne sais pas si le secret professionnel s'étend à l'ensemble du secret des affaires. Il arrive que vous communiquiez sur ces sujets. Pour preuve, M. Bernard Arnault, dans le correctif qu'il a apporté aux propos qu'il a tenus ici, nous a dit que certains propos relevaient du secret des affaires.
Si la commission d'enquête souhaite savoir s'il y a eu d'autres offres et si juridiquement, nous sommes tenus de vous répondre, nous vous répondrons avec les moyens que vous souhaitez, pourvu qu'ils soient discrets. Cette audition est télévisée. Certaines personnes nous ont fait des offres et nous avons signé des engagements de confidentialité. Vous nous mettriez en difficulté si vous nous demandiez de trahir notre parole vis-à-vis de ces personnes. Si le président de la commission souhaite savoir si le groupe Bertelsmann-RTL Group a reçu des offres et si nous sommes dans l'obligation de vous les communiquer, nous vous les transmettrons.
Je ne vous ai pas demandé de quels acteurs il s'agirait, car cela pourrait effectivement poser une difficulté. Je vous ai demandé de répondre, si vous le souhaitez, par souci de transparence, à la question visant à savoir si vous aviez reçu d'autres offres, de façon à savoir comment se comportent les acteurs du marché.
La réponse est oui. Je crois que Thomas Rabe vous l'a indiqué. Le groupe M6 est bien portant. Nous voulons d'ailleurs le marier en bonne santé.
Là, vous me posez une question directe.
Monsieur de Tavernost, merci pour les réponses que vous nous avez apportées. Il s'agit naturellement d'éclairages importants pour notre commission.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 heures 10.