La séance est ouverte à quinze heures.
Le compte rendu intégral de la séance du mardi 1er mars 2022 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
J’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Bernard Talon, qui fut sénateur du Territoire de Belfort de 1971 à 1980, et Georges Ginoux, qui fut sénateur du Cher de 2004 à 2005.
Monsieur le président de l’Ukraine, monsieur le président de l’Assemblée nationale, mesdames, messieurs les députés et sénateurs, mesdames, messieurs les représentants du corps diplomatique, le moment est solennel, les circonstances inédites.
Pour la première fois de notre histoire parlementaire, nous accueillons le président d’un pays en guerre, d’un pays dont la capitale est assiégée, sur lequel les frappes redoublent d’intensité en ce moment même. Car l’inadmissible est en train de se produire : la guerre en Europe, aux portes de l’Union européenne ; la guerre en Ukraine.
Votre peuple, monsieur le président de l’Ukraine, force l’admiration.
Alors qu’il est la cible d’une agression que rien ne peut justifier, alors qu’il est la victime d’un appétit de conquête territoriale qui fait voler en éclat toutes les règles de la communauté internationale, alors qu’il est la proie de la folie meurtrière des autorités russes, le peuple ukrainien se bat. Les Ukrainiens, civils et militaires, résistent jusqu’à l’héroïsme pour défendre la souveraineté de leur pays et leur liberté aux yeux de l’Europe et du monde.
Je souhaite, mes chers collègues parlementaires, ainsi que les membres du Conseil de Paris, que je salue et qui nous écoutent, que nous nous levions et que nous applaudissions, afin de rendre hommage au courage du peuple ukrainien et au vôtre, monsieur le président.
Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.
Mesdames, messieurs, mes chers collègues, le temps n’est pas seulement à l’émotion ; il est avant tout à l’action. Vous nous direz dans un instant, monsieur le président de l’Ukraine, ce que vous attendez de notre pays, la France.
Permettez-moi de vous remercier d’avoir fait le choix, en pleine tourmente, de vous adresser aux parlements des grandes démocraties, singulièrement au Parlement français, pour transmettre le témoignage de l’Ukraine et vos attentes. Ne doutez pas de notre soutien, pour aujourd’hui et pour l’avenir !
Votre respect de l’institution parlementaire distingue votre pays de ses adversaires. Il fait sens : dans son combat, l’Ukraine défend aussi nos valeurs, celles de la civilisation européenne : la démocratie, l’humanisme, la liberté. Parce que l’Ukraine appartient à la famille européenne !
Je donne à présent la parole à M. Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale.
Monsieur le président de l’Ukraine, monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les parlementaires, mesdames, messieurs les représentants du corps diplomatique, c’est un honneur pour nous, monsieur le président de l’Ukraine, de vous accueillir au sein de l’Assemblée nationale. Nous connaissons votre attachement à la France, où vous avez effectué votre premier déplacement officiel à l’étranger après votre élection en tant que président de l’Ukraine. Vous aviez ainsi engagé, dès 2019, un dialogue fructueux avec la France.
Je tiens également à saluer la présence parmi nous de l’ambassadeur d’Ukraine en France, M. Vadym Omelchenko.
Applaudissements.
Depuis maintenant près d’un mois de guerre, les Ukrainiens se battent et résistent de façon héroïque à l’agression militaire russe. Soyez sûr, monsieur le président, de la solidarité et de l’entière mobilisation de la représentation nationale. Nous continuerons de veiller à ce que tout soit mis en œuvre pour vous porter assistance, qu’il s’agisse de l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’agresseur ou de la fourniture d’un soutien humanitaire aux Ukrainiens comme aux réfugiés.
Nous avons tous vu ces images choquantes, bouleversantes, de villes ukrainiennes bombardées et assiégées. La France condamne ces actes et ces bombardements indiscriminés visant les populations civiles. Cela doit s’arrêter immédiatement et nous appelons la Russie à se conformer au droit international humanitaire.
Dans ces circonstances tragiques, le peuple ukrainien fait preuve d’une résistance admirable. Je tiens à saluer son courage et celui des autorités ukrainiennes. Sachez que nous demeurons à vos côtés.
Monsieur le président de l’Ukraine, vous avez la parole.
Applaudissements vifs et prolongés.
C’est un grand honneur pour moi, pour l’Ukraine, pour notre peuple.
Mesdames, messieurs les sénateurs, mesdames, messieurs les députés, mesdames, messieurs les élus de Paris, peuple français, je vous suis reconnaissant d’avoir l’honneur de m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis sûr que vous savez très bien ce qui se passe en Ukraine, vous savez pourquoi cela se produit et vous savez qui est coupable, même ceux qui se cachent la tête dans le sable et essaient de trouver de l’argent en Russie. Je m’adresse à vous, qui êtes des gens honnêtes, rationnels et courageux, pour vous poser une question : comment arrêter cette guerre ? Comment instaurer la paix en Ukraine ? Ces réponses sont entre vos mains, entre nos mains.
Le 9 mars, des bombes russes ont été lancées sur l’hôpital pour enfants et une maternité de Marioupol. C’était une ville paisible du sud de l’Ukraine, jusqu’à ce que les troupes russes arrivent et l’assiègent brutalement comme au Moyen Âge. Elles ont commencé à tuer ceux qui se trouvaient dans cette maternité où des femmes se préparaient à accoucher. La plupart d’entre elles ont survécu, mais certaines ont été gravement blessées. Une femme a eu le pied amputé. Une autre a eu le bassin fracturé et son bébé est mort avant de naître ; on a essayé de la sauver, mais elle a demandé aux médecins de la laisser mourir et de ne pas intervenir : elle ne voyait pas de raisons de vivre. Elle est morte.
En Ukraine, en Europe, en 2022, pour des centaines de millions de personnes, il n’était pas imaginable que le monde puisse être détruit. Je vous demande d’observer une minute de silence en l’honneur et à la mémoire des milliers d’Ukrainiennes et d’Ukrainiens qui ont été tués à la suite de l’invasion russe du territoire ukrainien.
Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et observent un moment de recueillement.
Après des semaines d’invasion, Marioupol et d’autres villes ukrainiennes frappées par l’occupant russe rappellent les ruines de Verdun, comme on les voit sur les photos de la Première Guerre mondiale que chacune et chacun connaît. L’armée russe ne distingue pas les lieux qu’elle cible : elle détruit tout, les quartiers résidentiels, les hôpitaux, les écoles, les universités – tout. Elle brûle tout : les entrepôts de nourriture et de médicaments – tout. Elle ne tient pas compte du concept de crime de guerre ou des obligations conventionnelles. Elle a répandu la terreur sur le sol ukrainien.
Chacun de vous est conscient de ce qui se passe : vous avez toutes les informations, elles sont disponibles, qu’il s’agisse des femmes violées par les militaires russes dans les zones temporairement occupées, des réfugiés que les soldats russes tuent sur les routes, des journalistes qu’ils tuent sachant exactement qu’ils sont des journalistes, des survivants de l’Holocauste qui sont maintenant obligés de se réfugier dans les abris antiaériens pour se protéger des frappes russes.
Cela faisait quatre-vingts ans que l’Europe n’avait pas vu ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine : des gens désespérés implorent la mort !
En 2019, quand je suis devenu président, des négociations avaient lieu avec la Fédération de Russie dans le format Normandie, qui devaient mettre fin à la guerre dans le Donbass, cette guerre à l’est de l’Ukraine qui dure malheureusement depuis huit ans. Quatre États ont participé au format Normandie – l’Ukraine, la Russie, l’Allemagne et la France –, mais ils représentaient les positions du monde entier.
Quelqu’un a essayé de retarder le processus et voulait le perturber, mais il semblait important que le format Normandie se poursuive. Quand les négociations ont donné des résultats, quand nous avons réussi à libérer des gens en captivité, en 2019, c’était une bouffée d’air frais et comme une lueur d’espoir, l’espoir que les pourparlers avec la Russie peuvent aboutir, que les dirigeants de la Russie peuvent être convaincus, que Moscou peut choisir la paix.
Cependant, le 24 février est le jour qui a ruiné tous ces efforts et même le mot « dialogue » a disparu des relations entre l’Union européenne et la Russie et les destinées de l’histoire en Europe ont changé. Tout cela a été bombardé par les troupes russes, écrasé par l’artillerie russe et brûlé par les tirs de missiles russes.
La vérité n’a pas été trouvée dans les bureaux : on est obligé de la chercher sur le champ de bataille. Que nous reste-t-il alors ? Nos valeurs, l’unité et la détermination à défendre notre liberté, cette liberté qui nous est commune, à Paris et à Kiev, à Berlin et à Varsovie, à Madrid et à Rome, à Bruxelles et à Bratislava. Les bouffées d’air frais ne suffiront plus. Nous devons agir ensemble, faire pression ensemble pour contraindre la Russie à chercher la paix.
Mesdames, messieurs les parlementaires, peuple français, le 24 février, le peuple ukrainien s’est uni : nous n’avons plus aujourd’hui de droite ou de gauche, l’opposition et la majorité n’existent plus, nous ne pensons qu’à la paix pour protéger notre pays. Nous sommes reconnaissants à la France de son aide. Nous sommes très reconnaissants des efforts du Président de la République, Emmanuel Macron, qui a fait preuve d’un véritable leadership. Nous communiquons constamment avec lui, nous coordonnons nos actions et les Ukrainiens voient que la France apprécie et protège la vérité. Vous savez ce que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Ces mots sont importants pour vous : je le sens et les Ukrainiens le ressentent.
Nous attendons de la France, de votre leadership, que vous fassiez en sorte que la Russie cherche la paix pour mettre fin à cette guerre contre la liberté, contre l’égalité, contre la fraternité, contre tout ce qui a permis à l’Europe d’être unie, libre et diverse.
Nous attendons de la France, de votre leadership, la restauration de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. On peut le faire ensemble. Si certains d’entre vous ont des doutes, je peux vous dire que votre peuple en a la certitude, comme tous les autres peuples de l’Europe. Pendant la présidence française de l’Union européenne, une décision mûrie sera prise sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne : ce sera une décision historique à un moment historique, comme cela a toujours été le cas dans l’histoire du peuple français.
Mesdames, messieurs les parlementaires, peuple français, demain, cela fera un mois que les Ukrainiens se battent pour leur vie et leur liberté et que notre armée s’oppose de manière héroïque aux forces supérieures de la Russie. Nous avons besoin d’aide, d’encore plus d’aide, de plus de soutien.
Pour que la liberté ne perde pas, elle doit être bien armée : chars, armes antichars, avions de combat, défense antiaérienne. Vous pouvez nous aider, nous en avons besoin.
Pour que la liberté ne perde pas, le monde doit la soutenir avec des sanctions contre l’agresseur : chaque semaine, il faut un nouveau paquet de sanctions. Les entreprises françaises doivent quitter le marché russe : Renault, Auchan, Leroy Merlin et d’autres doivent cesser d’être les sponsors de la machine de guerre de la Russie, ils doivent arrêter de financer le meurtre d’enfants et de femmes, les viols… Tout le monde doit avoir à l’esprit que les valeurs passent avant les bénéfices.
Nous devons déjà penser à l’avenir et à la façon dont nous allons vivre après la guerre. Il faut des garanties sûres, la garantie que la sécurité sera inébranlable et que la guerre ne sera plus possible dans ce monde. Nous devons créer ce nouveau système de sécurité où la France aura un rôle de premier plan, pour que personne n’ait jamais à implorer la mort, pour que les gens vivent pleinement et pour qu’on se dise adieu non pas sous les bombes et en état de guerre, mais quand l’heure vient, avec dignité. Chacun doit pouvoir vivre dans le respect et on doit pouvoir lui dire adieu comme la France a dit adieu au grand Belmondo.
Merci à la France et gloire à l’Ukraine !
Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.
La séance est levée à quinze heures vingt.