Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale

Réunion du 27 mars 2007 : 2ème réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • assurance
  • etat

La réunion

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Photo de Alain Vasselle

a indiqué que la Mecss a souhaité disposer de l'expertise de M. Robert Baconnier sur la question de l'avenir du financement de la protection sociale, et ce en sa qualité de membre du conseil des prélèvements obligatoires. Il est en effet parfois évoqué l'idée d'une éventuelle fusion entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale, ce qui appelle de sa part une expertise approfondie.

En se plaçant tout d'abord sur un plan théorique et conceptuel, M. Robert Baconnier a estimé séduisante l'idée d'une fusion des deux lois financières, dans la mesure où l'addition des finances publiques et des finances sociales constitue effectivement les prélèvements obligatoires et que l'on pourrait en attendre davantage de clarté dans la présentation de l'ensemble des comptes publics. Mais d'un point de vue pratique, ce projet de réforme pourrait s'avérer être une mauvaise idée compte tenu des besoins de financement à venir de la protection sociale, d'une part, en raison de la nature fondamentalement assurantielle de nombreuses prestations, d'autre part. Une expertise approfondie de ces questions complexes apparaît, quoi qu'il en soit, indispensable. Les travaux de la Mecss sur ce point seront d'autant plus utiles que d'autres problèmes méritent aussi réflexion, notamment la question de l'assiette des recettes de la protection sociale et celle des relations entre la CSG et l'impôt sur le revenu. A cela s'ajoute la prise en compte de la divergence d'appréciation sur la nature de la CSG apparue entre le Conseil constitutionnel, pour lequel il s'agit d'un impôt, et la Cour de justice des communautés européennes, qui l'assimile à l'inverse à une cotisation de sécurité sociale. Sans doute la CSG présente-t-elle d'ailleurs effectivement cette nature duale.

Photo de Alain Vasselle

a indiqué que les travaux engagés par la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la problématique du financement de la protection sociale traduisent des préoccupations anciennes, régulièrement exprimées par la commission des affaires sociales, notamment lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. L'idée a, par exemple, été avancée de fusionner la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances initiale, soit intégralement, soit pour la seule branche famille, mais on peut craindre, en définitive, que la présentation des comptes de la protection sociale en soit rendue encore plus obscure qu'elle ne l'est aujourd'hui. La mise en oeuvre de cette réforme nécessiterait, en outre, l'adoption d'une réforme constitutionnelle.

Puis il a invité M. Philippe Mills à s'exprimer sur le débat ouvert par le président de la République en janvier 2006 autour de l'idée d'un élargissement de l'assiette des cotisations sociales à la valeur ajoutée. Le rapport de synthèse réalisé par le groupe de travail « ad hoc » constitué sur cette question a d'ailleurs fourni des éléments d'analyse utiles à ce sujet.

Robert Baconnier

Après avoir jugé indispensable de promouvoir une approche globale des comptes publics, M. Robert Baconnier a fait part de ses interrogations sur l'opportunité de modifier le rôle des partenaires sociaux dans la gestion des différentes caisses. Se fondant sur sa propre expérience de personne qualifiée au sein des instances dirigeantes de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), il a regretté que le fonctionnement du paritarisme se traduise par la perte de beaucoup de temps, en raison de l'exposition préalable des positions de principe de chacune des organisations syndicales. Trouver des solutions et dégager un compromis n'est ainsi pas toujours facile à réaliser. Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'exigence de « démocratie sociale », exposée dans le Préambule de la constitution de 1946, apparaît déjà dans les faits largement effective, dans la mesure où la consultation et la négociation avec les syndicats sont de toute façon indispensables.

S'agissant plus particulièrement de la tendance à long terme à la fiscalisation croissante des recettes de la protection sociale, une assiette essentiellement fondée sur les revenus du travail demeure, à son avis, justifiée pour le financement de l'assurance chômage, et celui des prestations contributives d'une façon générale. La question est posée, en revanche, pour les dépenses de solidarité. Il s'est par ailleurs prononcé en faveur de la CSG, tout en estimant qu'il n'y a pas d'assiette miracle ou unique et qu'il est parfaitement concevable de combiner entre eux plusieurs modes de financement différents.

L'invention de la CSG en 1990 a constitué, au même titre que la généralisation de la TVA en 1966, une réforme fondatrice. A l'origine, la CSG était essentiellement assise sur les revenus du travail et se substituait largement à des cotisations maladie. Mais elle a ensuite été étendue aux revenus du capital, ce qui permet désormais à notre pays de disposer, à l'instar de ses partenaires européens, d'un outil de financement moderne et dynamique compensant les défauts de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, notamment son excessive personnalisation.

Si la tendance à la fiscalisation de la protection sociale est probablement inéluctable, l'idée d'une budgétisation de son mode de financement apparaît quant à elle beaucoup plus contestable : compte tenu de la logique assurantielle de nombreuses prestations versées, il ne semble pas opportun de confier au budget général l'ensemble des transferts sociaux.

S'agissant plus particulièrement du débat lancé en janvier 2006 par le Président de la République sur l'élargissement à la valeur ajoutée de l'assiette des cotisations patronales, M. Robert Baconnier a souligné, d'une part, que cette idée ancienne avait été formulée dès 1974, d'autre part, que le rapport publié par le conseil d'analyse stratégique est apparu assez réservé sur une telle perspective. Cette notion peut certes sembler séduisante en première analyse, car elle vise à mieux répartir la charge de l'Etat providence et à réduire les coûts salariaux. Mais le risque d'une pénalisation des investissements n'est pas négligeable et on peut craindre des transferts de charges massifs entre les assurés sociaux : il conviendrait donc de faire preuve de beaucoup de prudence. Pour autant, ce débat lancé par l'actuel président de la République ne sera pas sans conséquence sur la prochaine législature et de nombreuses études ont été récemment publiées à ce sujet.

Ce dossier est extrêmement complexe, y compris sur le plan juridique. La Cour de justice des communautés européennes instruit en effet actuellement un recours formulé contre un impôt régional sur la valeur ajoutée créé au bénéfice des régions italiennes. Le débat français sur le financement de la protection sociale comporte donc nécessairement une dimension européenne, d'autant plus qu'en l'absence d'unanimité des vingt-sept pays membres sur les questions fiscales, le rôle du juge communautaire est ici décisif.

Invité par le président à développer sa vision de l'avenir du système français de protection sociale, M. Robert Baconnier a estimé qu'il ne sera pas possible d'accroître indéfiniment les prélèvements obligatoires et qu'à échéance de dix ou quinze ans, les mécanismes personnels d'assurance auront certainement tendance à se développer. On constate déjà l'impossibilité d'une généralisation de la prise en charge du coût de la dépendance sur des fonds publics et l'intérêt d'un développement complémentaire des assurances privées.

Il a également exprimé son hostilité à la proposition de M. François Hollande de financer les retraites par la CSG, le recours à l'impôt ne devant, à ses yeux, être opéré que pour le minimum vieillesse, c'est-à-dire le financement de la solidarité.

Le projet de fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG est certes séduisant, mais aussi dangereux, dans la mesure où la « mauvaise assiette » risque de chasser la « bonne ». Il convient de préserver, en effet, la simplicité de la CSG face à un impôt sur le revenu mité par les « niches fiscales ».

Philippe Mills

A titre liminaire, M. Philippe Mills a souligné que si le conseil d'analyse stratégique (CAS), contrairement à la direction de la sécurité sociale et à la direction du budget, n'exerce aucun rôle opérationnel dans le suivi et la gestion des finances publiques, il a néanmoins engagé une réflexion approfondie sur les questions sociales. Ces travaux ont revêtu une double orientation. Le CAS s'est intéressé en premier lieu aux nouveaux risques sociaux et a remis récemment au Gouvernement deux rapports à ce sujet, l'un consacré à la dépendance, l'autre à la notion de service public de la petite enfance. Le conseil a travaillé, en second lieu, sur la dimension sociale de la construction européenne, ainsi que sur la stratégie dite de Lisbonne destinée à promouvoir la compétitivité des pays de l'Union et à accroître le taux d'emploi de la population active.

En ce qui concerne plus particulièrement la question du financement de la protection sociale, la spécificité française tend progressivement à s'atténuer : au début des années quatre-vingt-dix, la part des cotisations sociales représentait encore les quatre cinquièmes des recettes, supérieure à la moyenne des deux tiers observée dans l'Union européenne à quinze. Aujourd'hui, les niveaux respectifs ne sont plus que des deux tiers pour la France et de 60 % pour ses voisins. L'écart s'est donc réduit de moitié en quinze ans.

En revanche, la France se singularise toujours par un niveau très élevé de dépenses sociales, qui la classe au troisième rang européen après la Suède et le Danemark. Compte tenu du taux élevé du chômage, cette caractéristique suscite très régulièrement de vives polémiques sur le niveau des coûts salariaux. En définitive, l'enjeu de ces débats porte sur la « soutenabilité » même du financement de l'Etat providence, aujourd'hui en cause.

Photo de André Lardeux

Considérant à son tour qu'il n'existe pas d'assiette miracle pour financer la protection sociale, M. André Lardeux s'est demandé s'il ne serait pas grand temps de faire des choix et de définir des priorités pour les risques couverts par la collectivité nationale, quitte à transférer certaines dépenses à des assurances privées. Faisant référence à la crise de l'Etat providence qu'a connue la Suède au milieu des années quatre-vingt-dix, il s'est inquiété de la perspective de voir, en France aussi, la politique familiale devenir à terme la principale variable d'ajustement en cas de graves difficultés financières.

Photo de Alain Vasselle

s'est interrogé sur les actions qu'il conviendrait d'engager pour permettre une approche plus globale des comptes publics, tout en conservant un niveau de détail suffisant sur la nature et le mode d'évolution des différentes catégories de dépenses.

Photo de Pierre Bernard-Reymond

s'est interrogé sur la compatibilité de la TVA sociale avec les règles de l'organisation mondiale du commerce, car il s'agit de mettre à contribution les importations pour financer l'Etat providence.

Philippe Mills

Après s'être félicité des progrès intervenus dans ce domaine, en particulier l'obligation pour les pouvoirs publics français de transmettre chaque année un programme de stabilité aux instances communautaires, M. Philippe Mills a jugé indispensable de poursuivre ces efforts. Il conviendrait pour cela de porter de trois à cinq ans l'horizon des prévisions, de prévoir la nécessité pour tout nouveau gouvernement de prendre, à l'occasion d'un débat parlementaire au début de chaque législature, des engagements précis sur les niveaux des soldes intermédiaires des prélèvements obligatoires, mais aussi plus simplement d'améliorer la fiabilité des informations statistiques. Sur ce dernier point, la création de la conférence nationale des finances publiques a permis d'enregistrer des améliorations appréciables, mais il existe encore des facteurs de progrès, notamment pour les données des branches famille et retraites ainsi que pour les finances locales. En définitive, il ne paraît pas nécessaire de fusionner loi de finances et loi de financement, la priorité devant être donnée à la poursuite de l'amélioration de la transparence des comptes publics.

Pour l'avenir, M. Philippe Mills a estimé que le financement de la protection sociale serait probablement de plus en plus largement assuré par l'impôt : de nombreuses dépenses, comme la dépendance ou les affections de longue durée relèvent en effet essentiellement de la solidarité nationale. A cela s'ajoute l'impact prévisible de la concurrence fiscale entre les pays de l'Union européenne qui exerce une pression à la baisse sur les coûts salariaux. Les Etats membres se trouvent par là même incités à réduire les cotisations sociales et à recourir de préférence à la TVA ou à des recettes nouvelles, comme la contribution sociale généralisée (CSG).

En ce qui concerne la forme que pourrait revêtir un schéma théorique optimal de répartition des dépenses en fonction des risques concernés, M. Philippe Mills a indiqué qu'un tel processus de clarification pourrait prendre cinq, voire dix ans. Sous cette réserve, il s'est prononcé en faveur de l'établissement d'une distinction entre trois ensembles distincts : les dépenses de solidarité (branche famille, couverture maladie universelle, minima sociaux, politique du handicap, partie non contributive des prestations vieillesse) qui devraient idéalement être assurées par l'impôt ; les revenus différés, à l'instar des retraites, qui demeurent intimement associés à la notion d'effort contributif et donc aux cotisations sociales ; enfin, les prestations à caractère mixte, comme l'assurance maladie ou l'assurance chômage. Dans ce dernier cas, il est possible, en effet, de moduler les aspects assurance et solidarité nationale et donc d'opter en faveur d'un mode de financement intermédiaire. Par exemple, aux Etats-Unis, les cotisations chômage sont déterminées en fonction d'un système de bonus/malus dépendant du comportement individuel des entreprises.

Or, si la France se situe au dessus de la moyenne européenne en ce qui concerne le montant des dépenses sociales, les performances relatives de notre système apparaissent moins bonnes que celles des pays d'Europe du Nord auxquels on la compare souvent. Cela conduit, d'une part, à renforcer la nécessité de maîtriser les dépenses, d'autre part, à examiner la question de l'assiette optimale de cotisation. A ce titre, il a noté que sur longue période, la TVA et la CSG évoluent au même rythme que le PIB.

Revenant sur les travaux réalisés en 2006, après que le président de la République a lancé un vaste débat sur l'idée d'un élargissement de l'assiette des cotisations sociales à la valeur ajoutée, M. Philippe Mills a jugé que les échanges intervenus à cette occasion ont mis en évidence les principaux problèmes de cette approche : malgré la technicité du sujet, cette concertation a permis d'associer à la réflexion des experts tous les acteurs du dossier, y compris les partenaires sociaux. D'une façon générale, il a par ailleurs considéré que la protection sociale occupe un espace autonome au sein des finances publiques, ne serait-ce qu'en raison de leur nature : contrairement aux dépenses régaliennes, comme la défense ou la diplomatie, les dépenses sociales sont individualisables.

La France pourrait utilement s'inspirer de l'exemple des Pays-Bas pour améliorer la transparence de ses comptes publics : outre l'établissement régulier de prévisions sur un horizon de cinq ans, ainsi que la définition d'engagements détaillés pris par tout nouveau gouvernement devant le Parlement au début de chaque nouvelle législature, tant sur le niveau que sur la répartition des prélèvements obligatoires, le choix des hypothèses macroéconomiques relève, dans ce pays, d'un comité d'experts qui évalue, en toute indépendance, la marge de manoeuvre dont disposera le nouveau gouvernement.

Robert Baconnier

a estimé que, dans la mesure où cette réforme se limiterait à la France, le risque d'une telle contestation apparaîtrait singulièrement limité.

Photo de Alain Vasselle

s'est interrogé sur l'opportunité de modifier le rôle des partenaires sociaux dans la gestion des caisses et, plus généralement encore, sur le mode de gouvernance du système de protection sociale.

Philippe Mills

Après avoir rappelé les limites des pouvoirs des gestionnaires des caisses ainsi que celles de la volonté d'implication des organisations syndicales dans ces institutions, M. Philippe Mills a fait valoir que les notions de concertation, de négociation et d'élaboration d'un diagnostic partagé sont pleinement mises en oeuvre dans le cadre du dialogue social. Les débats de l'année 2006 sur l'avenir de la protection sociale ont fourni la preuve de leur utilité, dans la mesure où certaines confédérations ont considérablement modifié leur point de vue à la lumière des échanges intervenus à cette occasion.

Photo de Alain Vasselle

s'est demandé si, à l'instar du plan Biotox, il ne serait pas possible de définir des clefs de répartition précises entre l'Etat et la sécurité sociale pour les dépenses faisant l'objet de contestation ou situées aux confins des finances publiques et des finances sociales.

Photo de Alain Vasselle

a précisé que la Mecss a souhaité engager une réflexion sur l'intérêt éventuel d'une fusion entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale, hypothèse évoquée par certains.

Philippe Mills

Après avoir indiqué que le CAS n'a pas engagé d'étude approfondie à ce sujet, M. Philippe Mills a considéré qu'une telle approche serait envisageable, à condition toutefois de raisonner financement par financement. Cela pourrait être effectivement le cas chaque année, à l'occasion de l'examen des mesures nouvelles par le Parlement. Les perspectives de succès d'une telle démarche seraient toutefois meilleures si les pouvoirs publics parvenaient au préalable à améliorer le mode de régulation de notre système de protection sociale.

Pierre-Louis Bras

a estimé au préalable que la distinction traditionnelle entre l'Etat, assurant des services publics financés par l'impôt, et la sécurité sociale, distribuant des prestations en contrepartie de cotisations, n'apparaît plus guère opérationnelle. Pour ne prendre que deux exemples, force est ainsi de constater que l'assurance maladie prend naturellement en compte les impératifs de la politique de santé publique, tandis que les allocations familiales obéissent également à des considérations sociales.

Cette relative confusion sur le plan conceptuel n'implique pas pour autant la nécessité d'un bouleversement institutionnel par la fusion de la loi de finances initiale et de la loi de financement. Ce refus de principe tient à plusieurs raisons de fond, à commencer par l'attachement persistant des grands acteurs sociaux à cette distinction. A cela s'ajoute l'utilisation par les instances européennes de la notion de comptes de la protection sociale, qui vise précisément à englober l'ensemble des transferts sociaux, y compris, contrairement à la France, l'indemnisation du chômage, ainsi que les dépenses d'aide sociale. En définitive, les finances sociales présentent une réelle spécificité et disposent d'une puissante légitimité. Il serait tout aussi inopportun de retirer au ministère des affaires sociales la mission de contrôler les comptes de la sécurité sociale, ce qui aboutirait à le transformer en une structure centrale purement dépensière.

Cela étant, le cadre institutionnel actuel présente effectivement de graves défauts et alimente de nombreuses querelles stériles sur la question de la définition du champ respectif des finances publiques et des finances sociales. Les responsables politiques et administratifs des ministères des finances et des affaires sociales consacrent ainsi une grande énergie à chercher à transférer les déficits existants sur la partie adverse, ce qui est regrettable.

a ensuite suggéré plusieurs pistes de réflexion pour améliorer la transparence et la gestion des finances publiques et des finances sociales. On constate, par exemple, la multiplication des sous-totaux partiels, correspondant aux comptes des grandes catégories de personnes publiques et à chacune des branches de la protection sociale, ce qui nuit à la lisibilité de l'ensemble et exerce par là même un effet « anesthésiant » sur les pouvoirs publics. Pour l'éviter, il faudrait que le Parlement vote le solde global cumulé de la loi de finances, de la loi de financement, ainsi que des fonds sociaux comme le fonds de financement de la protection sociale (Ffipsa) et le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Ne resteraient plus à l'écart de cette présentation globalisée que les chiffres de l'assurance chômage, des retraites complémentaires et les budgets des collectivités locales, ce qui représenterait déjà un progrès considérable.

En outre, rien ne justifie que la dette de la sécurité sociale fasse l'objet d'une gestion distincte de celle de l'Etat, dans le cadre de la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).

En ce qui concerne les polémiques récurrentes sur la porosité des finances sociales à l'égard du budget de l'Etat, ainsi que sur les transferts de charges indues dont pâtissent régulièrement les comptes sociaux, il est heureux que le législateur organique de 2005 ait décidé la création d'une nouvelle annexe spécifique au PLFSS relative à l'évolution des périmètres d'intervention entre l'Etat, la sécurité sociale et les collectivités publiques. Cette initiative est utile mais insuffisante car mal connue et généralement ignorée des médias. Il conviendrait donc de compléter cette démarche par la mise en place d'un comité d'experts indépendants, chargé de se prononcer sur la pertinence de ces transferts. Ce point revêt d'ailleurs une importance toute particulière dans le cas des exonérations de charges sociales. Plutôt qu'une compensation stricte à l'euro près, l'Etat procède en effet de plus en plus souvent par le biais de l'affectation au coup par coup d'une ressource nouvelle aux finances sociales. Or, une fois cette opération réalisée, on ne dispose d'aucune garantie sur le dynamisme de la recette transférée... Certes, ce mode de compensation s'explique par l'obligation faite dorénavant au budget de l'Etat de respecter la norme de progression des dépenses. Mais il serait préférable d'en revenir à un système de compensation, quitte à ce que celle-ci ne soit plus calculée à l'euro près, partant du principe que la sécurité sociale peut bien supporter une partie de la charge de l'exonération, dans la mesure où celle-ci est, à terme, créatrice d'emplois et donc de ressources nouvelles pour la sécurité sociale.

a par ailleurs regretté la différence de normes applicables entre les comptes de l'Etat, qui demeurent établis en encaissements/décaissements, et ceux de la sécurité sociale, qui respectent depuis plusieurs années les contraintes de la règle des droits constatés. Cette distorsion est précisément de nature à faciliter les opérations de débudgétisation.

Puis il a évoqué l'idée de ne fondre, dans un premier temps au moins, que les comptes de la branche famille dans le budget de l'Etat : l'équilibre structurel de la caisse nationale d'allocations familiales pousse effectivement les associations et les acteurs institutionnels à réclamer sans cesse des mesures nouvelles. Or, il serait sans doute utile de réfléchir à la meilleure façon de redéployer les marges de manoeuvres disponibles en fonction des nouveaux besoins de la population. Au-delà, le problème principal est ailleurs : la fragilisation du PLFSS trouve essentiellement son origine dans l'importance des déficits accumulés, soit 12 milliards d'euros en moyenne par an au cours des quatre dernières années. En dehors de toute considération polémique, jamais les comptes sociaux n'ont atteint un tel niveau de déséquilibre sur une aussi longue durée. Cela justifierait, à ses yeux, de rétablir l'effectivité du principe d'équilibre des branches de la sécurité sociale, notamment en élevant cette exigence au niveau organique.

Photo de André Lardeux

s'est interrogé sur l'opportunité, d'une part, de maintenir la dispersion actuelle entre une multitude d'acteurs institutionnels différents dans la conduite de la politique en faveur des personnes dépendantes, d'autre part, de transférer carrément à des assurances privées certaines dépenses, à commencer par l'exemple bien connu du remboursement des cures thermales.

Photo de Pierre Bernard-Reymond

a souhaité savoir comment les débats sur ces questions sont perçus par les instances européennes.

Philippe Mills

Sur ce dernier point, M. Philippe Mills a indiqué que le CAS s'est abstenu de prendre l'initiative de travailler sur une question qui apparaît spontanément relever du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. En ce qui concerne le dossier de la dépendance, il est, à son sens, évident qu'une partie des dépenses continuera à relever, quoi qu'il arrive, de la solidarité nationale, dans la mesure où tout n'est pas assurable par des opérateurs privés.

Pierre-Louis Bras

a indiqué que les comptables d'Eurostat parviennent sans difficulté à déterminer les soldes des comptes publics de la France. Ainsi, paradoxalement, les polémiques récurrentes auxquelles donne lieu dans notre pays l'opacité de la frontière entre la sécurité sociale et l'Etat semblent ne trouver aucun écho à Bruxelles.

Photo de Pierre Bernard-Reymond

a souhaité savoir pourquoi les données statistiques sur les finances locales posent un problème pour déterminer le solde des comptes publics.

Photo de Alain Vasselle

a souhaité connaître l'opinion de M. Pierre-Louis Bras sur le rôle joué par les partenaires sociaux dans la gestion des caisses, d'une part, sur la question de la recette qui permettrait le mieux de faire face à la dynamique des dépenses sociales, d'autre part. Sur ce dernier point, il s'est félicité au passage des progrès accomplis dans le domaine de la maîtrise des soins de ville, tout en observant qu'une reprise de la tendance inflationniste antérieure ne saurait être totalement écartée dans un avenir plus ou moins proche.

Philippe Mills

a indiqué qu'il convient de distinguer les grandes villes, d'une part, des petites communes, des départements et des régions, d'autre part. Pour ce dernier groupe de collectivités territoriales, les remontées d'informations sont trop tardives, ce qui conduit à raisonner sur la base de simples hypothèses. En outre, ce travail n'est effectué que par une poignée d'experts au ministère des finances, au ministère de l'intérieur et grâce aux concours des services du crédit local de France.

Pierre-Louis Bras

a considéré au préalable que la gestion paritaire des organismes de protection sociale ne constitue plus aujourd'hui qu'une fiction juridique. C'était déjà le cas depuis longtemps à la Cnav, à la Cnaf et à l'Acoss. Seule la Cnam faisait exception, mais le pouvoir de signer les conventions avec les partenaires du monde de la santé a été transféré en 2004 au directeur de l'Uncam.

Ni le conseil d'administration de la Cnav, ni celui de la Cnaf n'ont joué un rôle actif à l'occasion des grandes réformes de la législature, à commencer par celle des retraites et la création de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje). Les partenaires sociaux ont en effet respecté les prérogatives du pouvoir politique. Ils continuent en revanche à exercer un réel pouvoir décisionnel dans deux domaines directement issus de la négociation collective : la gestion de l'assurance chômage et celle des organismes de retraite complémentaire.

Ces appréciations réalistes ne constituent nullement une remise en cause du rôle des partenaires sociaux et il est peu probable que ceux-ci manifestent l'intention d'être plus fortement impliqués dans le fonctionnement de la protection sociale. Cela ne signifie pas que les organisations syndicales ne doivent pas être informées et consultées sur les projets de réforme, au contraire. Mais le processus institutionnel visant à déboucher sur un diagnostic partagé avec les confédérations syndicales intervient dans le cadre du conseil d'orientation des retraites et dans celui du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.

En ce qui concerne la meilleure façon de faire face à la dynamique des dépenses de protection sociale, il n'y a pas de recette miracle et l'idée d'une contribution sur la valeur ajoutée ne constitue pas la panacée. De fait, ce concept repose sur des données techniques à la fois complexes et contestées : le partage entre les salaires et la valeur ajoutée est d'ailleurs stable depuis la fin des années quatre-vingt suivant un rapport deux tiers-un tiers. Cela conduit à s'interroger sur le dynamisme supposé de cette nouvelle ressource. A cela s'ajoute une dimension idéologique - l'idée de faire payer le capital et les importations - qui ne facilite pas la sérénité des débats.

Photo de Pierre Bernard-Reymond

en a conclu qu'il s'agit essentiellement d'un problème de moyens et que la responsabilité de ces insuffisances n'incombe donc pas aux collectivités territoriales.

Philippe Mills

Partageant ce jugement, M. Philippe Mills a toutefois réaffirmé qu'il conviendra à l'avenir d'améliorer le calendrier de remontée de ces données statistiques. D'autres pays que la France, et en particulier l'Allemagne avec ses Länder, connaissent des difficultés similaires. Mais rien ne permet de penser que les autorités communautaires continueront durablement à faire preuve de mansuétude pour l'établissement des programmes nationaux de stabilité.

Roger Guesnerie, professeur au Collège de France et membre du Conseil d'analyse économique

Puis la commission a procédé à l'audition de M. Roger Guesnerie, professeur au Collège de France et membre du Conseil d'analyse économique (CAE).

a d'abord indiqué qu'il ne pouvait s'exprimer qu'au titre de l'avis donné par le CAE sur le projet de cotisation sur la valeur ajoutée, n'étant pas lui-même spécialiste des questions sociales, de la sécurité sociale ou des finances publiques.

Il est très rare que le CAE soit saisi de questions d'actualité avec un délai d'examen extrêmement bref. Dans le cas précis, la lettre de saisine du Premier ministre était datée du 30 mai 2006 et l'avis a été rendu le 15 juillet. Ces circonstances ont justifié une procédure de travail inhabituelle : le président délégué du CAE, M. Christian de Boissieu, a demandé de courtes notes aux économistes du conseil puis une synthèse de ces travaux a été réalisée. L'avis du CAE représente ainsi l'opinion majoritaire en son sein.

Cet avis s'est appuyé, d'une part, sur le travail très approfondi du rapport préalable réalisé par le ministère des finances, d'autre part, sur l'ensemble des travaux antérieurs du CAE relatifs à des sujets proches. Ainsi, toutes les pistes du rapport préalable ont été envisagées : la cotisation sur la valeur ajoutée (CVA), la modulation des cotisations patronales en fonction de la valeur ajoutée, la TVA sociale, le coefficient emploi-activité, la cotisation patronale généralisée ainsi que la piste de la CSG.

D'une façon générale, la synthèse des opinions émises au sein du CAE témoigne d'un grand scepticisme sur les diverses variantes de la CVA, en dépit d'opinions assez variées malgré tout. Le premier constat est une réelle crainte sur la complexité de la formule et les difficultés de sa mise en oeuvre. En effet, si la poursuite de la fiscalisation du financement de la sécurité sociale, amorcée depuis assez longtemps, est inéluctable, la question de la création d'un nouvel impôt est sujette à réflexion. Certains y voient un avantage car cela permettrait de sanctuariser la dépense et donc d'en assurer un meilleur contrôle. Mais, pour la plupart des économistes du CAE, les diverses formules envisagées apparaissent trop complexes et manquent de lisibilité, en particulier sur leur impact en fonction des secteurs économiques. En tout état de cause, la CVA ne devrait être applicable qu'à la valeur ajoutée nette car il conviendrait de ne pas taxer l'amortissement. Dans cette hypothèse, la CVA nette et la cotisation patronale généralisée seraient deux formules assez voisines. Au passage, le CAE a fait le constat qu'il existe beaucoup de niches dans la structure actuelle des prélèvements sociaux et qu'il conviendrait d'analyser de façon plus approfondie leur légitimité.

Puis M. Roger Guesnerie est revenu sur l'instauration d'une CVA nette qui pourrait presque s'apparenter à une augmentation de l'impôt sur les sociétés. Or, dans le contexte actuel, le taux de l'impôt sur les sociétés français est déjà supérieur à la moyenne européenne, même si certains estiment qu'il existe une légère marge d'augmentation. En fait, le débat reste ouvert entre trois impôts existants : l'impôt sur les sociétés, la CSG et la TVA sociale. Au sein du CAE, les opinions sont très diverses sur le recours à ces différents impôts. Elles tiennent à une analyse plus générale de l'« optimalité » du système fiscal.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

a souhaité savoir quels sont, pour les membres du CAE, les avantages et les inconvénients de chacun de ces trois impôts et si ceux-ci sont équilibrés. En effet, l'absence de choix du CAE est-elle justifiée par des raisons économiques ou bien par le transfert de la responsabilité au pouvoir politique ?

Debut de section - Permalien
Roger Guesnerie, professeur au Collège de France et membre du Conseil d'analyse économique

a indiqué que, dans les rapports spécifiques des membres du CAE, des choix précis sont proposés et justifiés. Seul l'avis sur la CVA fait l'objet d'un consensus plutôt négatif. Les autres solutions ont été évoquées mais non débattues de façon approfondie. Sur la TVA sociale, un risque d'incompatibilité avec le niveau de TVA de nos principaux partenaires européens a été souligné. Par ailleurs, si un effet positif indéniable apparaît à court terme sur les exportations détaxées, l'avantage semble moins évident, à moyen terme, puisqu'une partie du pouvoir d'achat supplémentaire est reprise. La piste de la TVA sociale mériterait un rapport beaucoup plus approfondi du CAE.

a également présenté les quelques observations du CAE sur l'architecture globale de nos prélèvements sociaux. En effet, la logique initiale de 1945 a été assez profondément modifiée. Aujourd'hui, le principe du salaire différé ne vaut que pour les retraites. L'assurance chômage offre un salaire de remplacement et s'apparente réellement à une assurance. En revanche, l'assurance maladie relève d'une logique très différente, le financement du service public de la santé n'étant ni de l'assurance ni du salaire différé. Dans ces conditions, la question de la différence entre son mode de financement et celui d'autres services publics, comme celui de l'éducation, doit être posée, l'assurance maladie évoluant vers une toujours plus grande universalité.

Dans un rapport récent sur l'assurance chômage, le CAE a proposé de réformer le système en associant une logique de mutualisation et une logique de responsabilisation, en s'inspirant de l'expérience américaine. D'une façon générale, il paraît justifié de modifier les règles antérieures dès lors qu'elles n'apparaissent plus adaptées à la spécificité des différentes branches de la protection sociale. Cela signifie qu'il convient aujourd'hui de repenser l'architecture de notre sécurité sociale dont certains aspects ne sont plus adaptés ou ont mal vieilli.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

s'est interrogé sur l'élément déclencheur d'une telle réforme : l'évolution de la nature des dépenses ou bien le constat de la dynamique de ces dépenses ?

Debut de section - Permalien
Roger Guesnerie, professeur au Collège de France et membre du Conseil d'analyse économique

a estimé que la réponse doit être cherchée dans une dialectique entre la logique financière et la logique intrinsèque du système.