En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, nous accueillons M. Didier Houssin, candidat pressenti pour la présidence du conseil de l'AERES. Son audition sera suivie d'un vote.
En préambule, j'évoquerai trois points : mon aptitude à devenir président du conseil de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur ; la perception que j'ai du chemin accompli par l'Agence ; enfin, les perspectives pour cette Agence.
Sur mon aptitude, quelques éléments. J'ai fait de la recherche, durant plus de vingt ans, en tant que chargé de recherche à l'INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), puis en qualité de professeur d'université, dirigeant un laboratoire, « équipe d'accueil » universitaire de recherche chirurgicale. J'ai travaillé sur la tolérance immunitaire des greffes du foie, la xénogreffe de coeur, la thérapie génique et, en recherche clinique, sur la greffe du foie, en particulier chez l'enfant. Si « dans le miroir de feu de la vérité, la joie sourit au chercheur », je sais que la recherche réclame surtout un travail tenace et qu'il faut de longs efforts pour qu'une idée se transforme en vérité.
Professeur de chirurgie, j'ai formé des étudiants, des internes, des chefs de clinique, et de nombreux chirurgiens étrangers. Je suis devenu organisateur de formations, lorsque m'ont été confiées la direction de l'École doctorale nationale en sciences chirurgicales, puis la coordination de l'enseignement en sciences humaines et sociales pour les étudiants de première année de médecine.
Je suis familier d'un organisme de recherche, l'INSERM, mais aussi de l'université. Durant quatre ans, j'ai présidé le conseil scientifique de l'université René Descartes-Paris 5 et participé à sa gouvernance, au côté de son président, le regretté Pierre Daumard. J'allais présider cette université, lorsque les « obligations sanitaires » m'ont conduit à la tête de la Direction générale de la santé (DGS).
Mon expérience de l'évaluation est variée. En commission scientifique spécialisée de l'INSERM, puis au Conseil national des universités, j'ai évalué des chercheurs, des enseignants-chercheurs, des projets et des unités de recherche. A la tête de l'Établissement français des greffes, j'ai évalué les résultats des activités de greffe par type de greffe et par équipe. A la DGS, enfin, j'ai organisé l'évaluation de politiques publiques en santé.
Je n'ai jamais dirigé une Autorité administrative indépendante, mais j'ai dirigé plus de huit ans l'Établissement français des greffes, établissement public, national qui, du moins par la taille, ressemblait à l'Agence.
A propos de l'indépendance, trois choses. Je n'ai pas de lien d'intérêt personnel ou familial qui puisse altérer mon indépendance vis-à-vis des organismes ou établissements évalués. Comme Directeur général de la santé, j'ai côtoyé plusieurs autorités administratives indépendantes et je sais que le positionnement de ces autorités, vis-à-vis des élus, des ministères et des communautés professionnelles, est un enjeu crucial de crédibilité. Enfin, j'ai lu les recommandations de 2010 des parlementaires Dosière et Vanneste sur les autorités administratives indépendantes.
L'Agence, maintenant. Elle a fait un travail important et de qualité. Les commentaires faits par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sont éloquents, et je salue l'action des précédents présidents - Jean Marc Monteil et Jean-François Dhainaut - et de leurs équipes. Les débats parlementaires sur la loi de 2006 étaient clairs : l'Agence devait mettre en oeuvre une évaluation unifiée, généralisée, cohérente et homogène pour faciliter les comparaisons, conforme aux normes européennes, mais aussi adaptée aux spécificités des différentes disciplines. C'est fait et bien fait, car d'une manière impartiale, transparente, grâce à un dialogue avec des pairs et à l'écoute des « évalués ». Cette évaluation est intégrée, car elle aborde à la fois la recherche et la formation. Il faudra approfondir cette notion.
Les parlementaires voulaient que l'évaluation faite par l'Agence soit suivie d'effets. Par un effet de miroir, puis de levier, l'évaluation a permis à de nombreux établissements de mieux se connaître et de progresser, en gouvernance, en management, et de prendre des décisions stratégiques. Il faut continuer dans cette voie d'une amélioration continue des processus, fondée sur des retours d'expérience. Au niveau régional, ces évaluations ont été utiles aux acteurs politiques, économiques et sociaux. Grâce au rapport AERES 2010, ils peuvent lire ce qui est offert en région, en matière de formation, donc de perspectives d'innovation, de développement économique et d'emploi. Le ministère, quant à lui, grâce à l'évaluation, a pu guider sa contractualisation avec les établissements, en particulier pour l'octroi de financements nouveaux, et son pilotage des organismes de recherche - je pense à l'évaluation de l'INSERM.
Est-ce à dire que tout est fait et qu'il ne s'agit plus que de peaufiner l'ouvrage ? Non. Une deuxième étape s'ouvre pour l'Agence, qui doit amener des améliorations. Je vois différents progrès possibles.
Il y a d'abord des missions à accomplir ou perfectionner. La richesse de la recherche et de l'enseignement supérieur, ce sont les hommes et les femmes qui s'y consacrent. Il est donc prioritaire - la loi en a donné mission à l'Agence et cela n'a pas encore été fait - de valider les procédures d'évaluation des personnels. L'Agence est une loupe qui donne une vue précise des activités des unités de recherche, des formations, et de la gouvernance de chaque établissement. C'est aussi un oeil de poisson ; le ministre en 2006 avait parlé d'un hélicoptère, qui donne une vision étendue du champ. L'évaluation faite par l'Agence doit aussi être plus parlante, parce que plus contrastée. Il y a beaucoup de A +. Il serait utile de dégager ce qui relève du presque parfait, sans doute assez rare, ne serait-ce que pour mettre au jour les meilleures pratiques. Et pourquoi se priver d'analyser ce qui est très bon sur la scène internationale et de le faire savoir?
La méthode d'évaluation unique portée par l'Agence contribue à l'équilibre du dispositif français de recherche et d'enseignement supérieur. Il faut accentuer cet effet de clé de voûte qui permet à des objets aujourd'hui distincts de mieux se tenir ensemble et leur ouvre des perspectives. Je pense aux grandes écoles et aux universités. Je pense aux organismes de recherche et aux universités.
Il y a ensuite des attentes à mieux identifier, pour mieux y répondre. L'Agence doit renforcer l'analyse de ses données, afin que chaque acteur trouve réponse à des questions qu'il se pose. L'étudiant, qui cherche à s'orienter pour la poursuite de ses études ou sa future insertion professionnelle. Le chercheur ou l'enseignant-chercheur, qui cherche à disposer d'une vision stratégique dans son domaine disciplinaire et dans les domaines adjacents. Le responsable d'unité de recherche, qui doit s'ouvrir des perspectives, attirer des jeunes, retenir de plus anciens, tenir compte de l'échelon européen et prendre des décisions plus stratégiques. Le responsable de formation, en quête de progrès pédagogiques, pour l'insertion ou la promotion professionnelle. Le responsable d'un organisme de recherche ou d'un établissement d'enseignement supérieur, qui cherche à identifier des options stratégiques en matière de gouvernance et de synergie, à l'échelon territorial, national ou européen. L'élu territorial, auquel l'Agence doit apporter, notamment en matière d'insertion professionnelle et d'articulation avec le tissu économique et social. L'élu national dont les politiques publiques de recherche et d'enseignement supérieur doivent être éclairées. Le ministère, aux manettes d'un dispositif français de recherche et d'enseignement supérieur en profonde mutation et qu'il faut mettre en valeur dans sa diversité, ses équilibres territoriaux, ses nouvelles formes - Agence nationale de la recherche, pôles de recherche et d'enseignement supérieur, investissements d'avenir - afin d'accroitre son attractivité sur la scène internationale.
L'évaluation, jugement sur la valeur, est une chose. Le prononcé de ce jugement en est une autre. L'Agence a été au rendez-vous de la transparence. Encore faut-il assurer la publicité d'une manière simple. L'évaluation actuelle, désynchronisée, est difficile à suivre. Comment respecter le rythme quinquennal de la contractualisation tout en créant de la synchronisation, pour ne pas se limiter à la comparaison historique d'un établissement avec lui-même, et pour pouvoir donner chaque année une vue d'ensemble objective? Y a-t-il place pour un processus complémentaire d'auto-évaluation annuelle simplifiée ?
Chacun souhaite des analyses transversales par champ disciplinaire. Si l'évaluation est aujourd'hui acceptée, la publicité donnée à une évaluation comparative ne le sera en revanche que si cette publicité est soumise à de fortes conditions. A l'époque des classements et face au risque du hit-parade, l'Agence doit faire que l'évaluation discerne mieux, en tenant compte de la diversité des natures et des contextes. Elle doit faire en sorte que les comparaisons soient facilitées, mais sans que l'acceptation de l'évaluation recule, ne fut-ce que d'un pas.
A l'heure où un effort important est fait en faveur de la recherche et de l'enseignement supérieur, l'Agence doit contribuer, autant que possible, à l'évaluation du résultat de cet effort, en termes de production scientifique, d'innovation, d'emploi et de croissance. Elle doit saisir cette occasion pour une véritable promotion des métiers de la recherche et du plaisir de découvrir et d'enseigner.
Il s'agit enfin, pour l'Agence, d'être un porte-voix, de mettre en valeur la recherche et l'enseignement supérieur de notre pays, aux yeux de nos concitoyens bien sûr, mais aussi sur la scène européenne et internationale, pour que la France apparaisse mieux comme un foyer vivant de vie intellectuelle, et parce que l'attractivité dans ces domaines est devenu un enjeu stratégique. Interrogeons-nous : pourquoi les Chinois se sont-ils engagés dans ce classement des universités mondiales ?
Hélicoptère, loupe, miroir, levier, clé de voûte, porte-voix, voilà tout ce que doit être l'Agence au sein du dispositif français de recherche et d'enseignement supérieur. Si vous donnez une suite favorable à cette audition, je serai fier et heureux, de présider le conseil de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, puis de venir vous parler de ces sujets, autant de fois que vous le souhaiterez, ici, au Sénat.
Vos propos confirment l'intérêt de vous confier la mission de présider le conseil de l'AERES et de nous voir associés à vos futures responsabilités. Personnellement je suis très favorable à votre candidature.
Non. Le ministère propose une candidature. Le rôle des parlementaires n'est pas de départager mais d'accepter ou de récuser la proposition qui leur est faite, par un vote conjoint des commissions homologues des deux assemblées, vote dont le dépouillement sera simultané.
J'ai apprécié votre prise de distance vis-à-vis des hit-parade. Comment faire pour que l'évaluation soit facteur de progrès et ne soit pas un classement aux effets collatéraux négatifs ?
Impressionnée par votre curriculum vitae, je suis tout à fait favorable à votre candidature.
Non. Je suis actuellement directeur général de la santé. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche m'a proposé la présidence de cette Agence. C'est le Président de la République qui procède à ce genre de nomination après avis des deux assemblées.
Madame Cartron, avec votre critique des classements, vous identifiez bien un premier écueil. A ce sujet, le Sénat avait organisé, à l'initiative de votre commission et de la Délégation à la prospective, en mai 2010, un colloque intitulé « Oublier Shanghai ». Il est vrai qu'il existe une appétence générale pour les classements et la compétition. L'initiative chinoise de 2003 a retenti comme un coup de tonnerre dans le Landernau des universités françaises. Une dizaine de classements sont maintenant disponibles. Mais ces classements sont réducteurs, presque punitifs, alors que le travail de l'Agence a consisté à tendre vers une évaluation promotrice de progrès ; on peut très bien se comparer sans être classé. Il faut aussi éviter la difficulté inverse : lorsqu'une évaluation ne discerne pas suffisamment - si tout le monde est jugé bon - elle n'est d'aucune utilité. L'important est d'avoir une approche multicritères et d'indiquer si on est loin ou près de la perfection. Le classement européen des établissements d'enseignement supérieur, U Multirank, évite les écueils du classement de Shanghai. L'important est qu'un tel classement permette de trouver les informations que vous recherchez. Par exemple, peu importe à un étudiant que Harvard soit le n° 1 de la planète ; ce qu'il veut savoir c'est si telle ou telle université débouche sur une bonne insertion professionnelle ou si elle est performante dans le domaine qui l'intéresse.
L'AERES a elle-même été évaluée par l'Association européenne de la qualité, laquelle vous a accordé son label mais a formulé quelques recommandations. Elle a par exemple regretté un certain cloisonnement interne. Commet comptez-vous y remédier ?
Comment envisagez-vous de procéder à la campagne d'évaluation de la Vague B ?
Enfin, comment contribuerez-vous au rapprochement, souhaitable, entre universités et grandes écoles ?
L'Agence a en effet obtenu ce label de l'Association européenne mais celle-ci lui a reproché son cloisonnement. En réalité la loi a prévu que l'AERES se compose de trois sections : établissements, formations, unités de recherche. Chacune est animée par un directeur, assisté de délégués scientifiques qui préparent le travail des comités d'experts eux-mêmes issus d'un vivier de milliers d'experts. Il faut veiller à ce que la section des établissements communique bien avec les deux autres sections. C'est une question de capacité managériale... Le risque est en effet de ne pas les faire travailler ensemble. La notion d'évaluation intégrée - caractéristique de cette Agence qui prend en compte à la fois la formation et la recherche - manque un peu de contenu.
L'Association européenne a également regretté le rythme de l'évaluation quinquennale ; ceux qui ont été évalués en 2008 ne le seront plus avant cinq ans alors que, après trois ans, ils ont pu changer. Les évaluateurs européens ont donc critiqué ce long tunnel de cinq ans. C'est pourquoi je suis partisan d'une « auto-évaluation annuelle simplifiée ». Le processus de la Vague B qui concerne l'Est et le Sud de la France est enclenché.
La coexistence d'universités et de grandes écoles est une particularité française : aux États-Unis, par exemple, les universités contiennent, en leur sein, des écoles d'ingénieurs. Vu de Sirius ou de Shanghai, notre dispositif est peu lisible et nuit à notre attractivité internationale. Il est possible de favoriser convergences et synergies, comme l'a montré le rapport Philip ou celui du député Jardé, sur le projet de loi de finances pour 2010. L'Agence a un rôle à jouer dans la co-diplomation ou la mise en valeur des expériences de rapprochement positives. Si nous parvenons à rassembler ce qui est éparpillé sans perdre la valeur ajoutée de chacun des deux bords, nous aurons fait oeuvre utile pour notre attractivité sur la scène internationale.
Nous vous remercions. Nous allons maintenant procéder au vote.
Se prononçant par un vote au scrutin secret, la commission a donné un avis favorable par 9 voix « pour » sur 12 votants (3 votes blancs), à la nomination de M. Didier Houssin à la présidence du conseil de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.
La commission propose Mme Catherine Morin-Desailly à la nomination du Sénat pour siéger comme membre de la Commission scientifique nationale des collections.
La commission nomme Mme Monique Papon rapporteur sur la proposition de loi n° 447 (2011-2011) visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans.