Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 22 mars 2023 à 8h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • HCFP
  • chiffrés
  • pacte
  • pensez-vous
  • programmation
  • stabilité
  • trajectoire

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Nous auditionnons Mme Sandrine Duchêne, que j'envisage de nommer au Haut Conseil des finances publiques (HCFP) afin de succéder à M. Éric Heyer dont le mandat de cinq ans non renouvelable vient à expiration ce mois de mars.

M. Heyer avait été nommé par mon prédécesseur, Vincent Éblé. Dans le cadre de cette audition publique, je veux en préambule le remercier de la manière dont il a exercé son mandat dans un contexte particulièrement intense pour le HCFP, marqué par la succession des textes financiers et des avis remis pendant la crise sanitaire, économique et énergétique. Il est également intervenu à plusieurs reprises devant notre commission pour apporter un éclairage précieux à nos travaux.

Je me permets, Madame Sandrine Duchêne, de vous remercier également pour votre présence parmi nous. Aux termes des dispositions de l'article 1er de la loi du 6 décembre 2021 portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l'information du Parlement sur les finances publiques, votre nomination ne peut en effet intervenir qu'après une audition publique et conjointe de nos commissions des finances et des affaires sociales. Cette audition ne donne pas lieu à un vote.

Comme vous le savez, le Haut Conseil des finances publiques est un organisme indépendant chargé d'apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques du Gouvernement et de se prononcer sur la cohérence de la trajectoire budgétaire gouvernementale avec les objectifs pluriannuels de finances publiques et les engagements européens de la France.

Composé de onze membres, dont deux sont nommés respectivement par le président du Sénat et le président de la commission des finances du Sénat, en raison de leurs compétences dans le domaine des prévisions macroéconomiques et des finances publiques, il est placé auprès de la Cour des comptes et présidé par le Premier président de cette dernière.

Je vous propose donc de commencer cette audition par un exposé liminaire - relativement concis puisque nous disposons au total d'une heure pour cette audition - exposé par lequel vous pourrez nous exposer votre parcours et votre conception du rôle du Haut Conseil des finances publiques. Mais auparavant je cède la parole à ma collègue présidente de la commission des affaires sociales.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Merci pour votre présence. La commission des affaires sociales est toujours très attentive aux avis rendus par le Haut Conseil des finances publiques, au moment de l'examen du PLFSS et plus récemment lors de l'examen du PLFRSS qui a porté la réforme des retraites. Le HCFP a d'ailleurs souligné le peu d'informations dont il disposait pour étayer son avis.

Je souhaite donc simplement, Madame Duchêne, que vous précisiez dans votre propos liminaire, si vous avez une certaine familiarité avec les finances sociales et, le cas échéant, le regard que vous portez sur ce sous-secteur des finances publiques.

Debut de section - Permalien
Sandrine Duchêne

J'ai une formation de statisticienne, étant entrée dans le corps des administrateurs de l'INSEE en 1993, j'ai exercé pendant vingt ans des fonctions opérationnelles de prévision économique et financière à Bercy. Je peux dire que je suis tombée dans les finances publiques, au sens large, à l'occasion d'un changement de poste, à l'automne 2002, dans un contexte où il devenait plus probable que le seuil dit de Maastricht, de 3 % de déficit public, serait franchi, et où nous avons également franchi le critère de dette. Je n'ai plus vraiment quitté ce chaudron des finances publiques et sociales, dans mes postes successifs, j'ai aussi travaillé auprès du président François Hollande entre 2012 et 2013, puis j'ai été directrice générale adjointe à la direction du Trésor, où j'ai été auditionnée par le HCFP, qui venait d'être créé.

Je peux donc dire que je suis du métier, ce métier spécifique qui assemble de la technique statistique, des schémas de prévision et de l'analyse économique des finances publiques - l'objectif étant de donner à voir le sous-jacent des politiques économiques, au-delà des chiffres, ceci en articulant les aspects de gouvernance européenne et nationale. J'ai aussi beaucoup oeuvré dans la sphère européenne, depuis la définition, en 2005, du pacte de stabilité et de croissance, jusqu'à ses réformes successives qui ont fait l'empilement de règles que l'on déplore aujourd'hui - cette matière est très riche et je peux dire que ce métier m'a passionnée. Je m'en suis éloignée et je suis actuellement directrice des risques, de la conformité et du contrôle permanent de Crédit Mutuel Alliance Fédérale, ce qui me donne un autre point de vue qui peut éclairer les débats du HCFP, surtout dans la turbulence financière que nous connaissons. J'ajoute qu'en 2015, j'ai aussi rejoint le comité budgétaire européen, l'instance indépendante chargée de donner son avis à la Commission européenne sur les politiques budgétaires de la zone euro et ce qu'on appelle la politique budgétaire agrégée - pour décider s'il faut relancer, ou bien consolider les finances publiques -, et chargée également de formuler un avis de conformité sur le contrôle des budgets nationaux par la Commission européenne, - ce qui n'est pas la partie la plus facile -, et de faire des propositions de réformes des règles budgétaires européennes. J'ai exercé ce mandat pendant trois ans, jusqu'en 2019, ce qui m'a permis d'examiner de près les mécanismes budgétaires européens.

Pourquoi candidater au HCFP ? Ma première motivation est citoyenne, je cherche d'abord à être utile. Nous connaissons la situation des finances publiques après la crise sanitaire, les incertitudes actuelles : il n'y a rien de simple, il va falloir combiner la soutenabilité des finances publiques, la trajectoire de notre endettement, et la satisfaction des besoins cruciaux de notre société, en matière d'investissement, de transition économique, de santé, de sécurité, ou encore de souveraineté. L'équation n'a jamais été si complexe, et je souhaite, avec mon bagage et mes convictions, me placer au service du HCFP et du Parlement.

Nous avons besoin de clarté et de transparence. J'ai suivi le long chemin vers la transparence, j'espère que l'information transmise au Parlement s'est enrichie au fil des ans, c'est l'une des missions de Bercy. La création du HCFP en 2012 a été un pas important dont nous n'avons pas, au départ, mesuré la portée. Il était innovant de faire intervenir une institution indépendante en amont de la transmission des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale au Parlement - cela a permis un échange, des questions et des réponses, une exigence de cohérence sur les chiffres et sur leur articulation, donc sur la pertinence des mesures pour atteindre les objectifs définis. Je l'ai vécu au cours de mon expérience, je suis particulièrement sensible à l'enjeu démocratique du contrôle sur le budget de la Nation. Le HCFP a trouvé sa place, comme institution indépendante, ses avis sont mieux relayés, il fait entendre sa voix.

Que puis-je lui apporter, au-delà de la technicité ? Je crois que le rôle d'un membre du HCFP, c'est de se poser des questions, de les poser, et d'expliciter ce qui fait sens dans ce qu'il observe. Vous pouvez compter sur moi : j'essaierai de vous donner le maximum d'éclairage pour exercer vos fonctions dans les meilleures conditions.

Debut de section - PermalienPhoto de Elisabeth Doineau

Ce que vous constatez du HCFP correspond-il à la vision que vous en avez et pensez-vous que ses avis devraient avoir plus de collégialité ? Nous avons déploré le défaut d'adoption de la loi de programmation des finances publiques : quelle est votre position sur le sujet ? N'apporterait-elle pas des éléments de clarté, de transparence et de réalisme ? Même sans loi de programmation, la loi de financement de la sécurité sociale a une portée pluriannuelle puisque son annexe, obligatoire, doit donner une trajectoire pluriannuelle : le HCFP ne pourrait-il pas utiliser cette trajectoire pour évaluer la maitrise des dépenses ? Ne pourrait-il pas émettre un avis sur la trajectoire quadriennale ?

Je retiens votre motivation pour ce poste, je sais que les finances publiques font peur, pour leur aridité, alors qu'elles sont déterminantes, on l'a encore vu avec la réforme des retraites. Comment, à votre avis, mieux expliciter les enjeux des finances publiques et sociales ? Parce qu'il y a des choix à faire, il faut les expliquer : j'aimerais trouver un chemin, non pas de vulgarisation des finances publiques, mais de pédagogie, qui aide chacun à bien se positionner en toute connaissance de cause.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Je vous prie d'excuser le rapporteur général Jean-François Husson, qui est en réunion avec le Président du Sénat. Quel regard portez-vous sur le pacte stabilité et de croissance tel qu'il existe et sur les propositions d'un nouveau cadre, qui, en particulier, prendrait mieux en compte les investissements nécessaires à la transition écologique et les trajectoires budgétaires définies par les États membres ?

Debut de section - Permalien
Sandrine Duchêne

Le budget de la Nation exprime des choix et plus on est clair, plus on est audible : il ne faut pas laisser croire que tout est dans le tout, il y a bien une responsabilité financière et les lois de finances et de financement de la sécurité sociale sont un outil majeur des choix politiques. Mon rôle, c'est de remettre les mots auprès des chiffres, et je vous rejoins, Madame la rapporteure générale, il faut expliciter les choses, plutôt que de se cacher derrière la technique.

Je vous rejoins aussi sur la collégialité : il me semble très important que dans une institution indépendante, il y ait une forme de collégialité et une recherche du consensus, qui sera d'autant plus riche qu'il y aura eu débat et que celui-ci aura entrainé un accord, j'y serai attentive.

Le défaut de loi de programmation des finances publiques crée un vide juridique, ce qui n'empêche pas le HCFP de dire ce qu'il a à dire. Il serait souhaitable qu'une nouvelle loi de programmation soit débattue et votée, c'est un échelon essentiel pour s'inscrire dans le cadre européen, ce lien est une avancée. Je ne suis pas assez juriste pour dire si l'avis sur l'annexe de la trajectoire de la loi de financement serait suffisant. La mission du HCFP a été élargie, le mandat inclut la prévision, les dépenses, les recettes, la compatibilité avec la trajectoire pluriannuelle, mais le HCFP ne peut s'autosaisir de questions dépassant son mandat.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bascher

Le HCFP nous a régulièrement dit qu'il était saisi dans un délai très court, voire trop court pour fonder un avis véritable : qu'en pensez-vous ? Si ce délai est trop court, estimez-vous que le HCFP pourrait ne pas émettre d'avis, pour contester cette situation ? Ensuite, si l'on n'a pas de loi de programmation, dans quelle mesure le pacte de stabilité et de croissance s'applique-t-il ? Enfin, ne pensez-vous pas qu'avec l'inflation, la dette soit devenue la menace principale sur les finances publiques ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Burgoa

Le Sénat vient de publier un excellent rapport sur les cabinets de conseil, à l'issue de sa commission d'enquête sur le sujet : est-ce que, selon vous, le HCFP doit recourir à des cabinets de conseil ?

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Joly

Pensez-vous que les analyses financières soient neutres politiquement ? La logique d'organisation territoriale autour des métropoles, par exemple, a conduit à sous-estimer les territoires ruraux, et quand on a changé la façon de classer la population française, au 1er janvier 2021, la population rurale est passée de 18 % à 30 %, c'est bien le signe qu'on fait dire un peu ce qu'on veut aux chiffres... Le cadre budgétaire européen, ensuite, vous parait-il adapté aux défis qui sont devant nous, en particulier en matière d'investissement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Meurant

Que pensez-vous des monnaies numériques ? Que pensez-vous, également, des différentiels de taux d'intérêt entre pays de la zone euro ?

Debut de section - Permalien
Sandrine Duchêne

Le délai pour donner l'avis est toujours un sujet, je n'ai jamais vu un membre du HCFP dire qu'il avait disposé d'un délai satisfaisant pour examiner des textes. Cependant, c'est compliqué, je connais les contraintes d'élaboration des textes financiers, et refuser de rendre l'avis, cela ne me parait pas une solution, ce serait une forme de renoncement. Mieux vaut faire pression sur les ministères pour que le délai soit allongé, et vous avez votre rôle à jouer en la matière ; ensuite il faut compter sur l'intelligence et la célérité du HCFP, qui fait toujours au mieux, avec son équipe. Je ne vois pas l'intérêt de recourir aux cabinets de conseil, le HCFP a des moyens, il peut auditionner en tant que de besoin et il a toute latitude pour conduire ses travaux.

La loi de programmation et le pacte de stabilité sont liés, effectivement. L'idée, c'est de raccorder les lois de finances et de financement au pacte de stabilité, via la loi de programmation et c'est un progrès en cela. Cependant, les textes n'ont pas le même statut, puisque le pacte de stabilité est un engagement de la France à l'égard de ses partenaires européens, tandis que les lois de finances et la loi de programmation relèvent de la procédure budgétaire nationale. Je crois que la connexion est intéressante, et qu'il ne faut pas y renoncer.

La dette engage la soutenabilité des finances publiques, il faut regarder le sujet, notre endettement, public et privé, a effectivement augmenté, la remontée des taux entraine des risques sur les finances publiques - il faut éviter un emballement, nous n'y sommes pas et il faut regarder ce qu'on peut faire à moyen terme, pour prendre les mesures propres à rendre l'environnement financier lisible par les acteurs économiques et sociaux.

Les chiffres ne sont pas neutres, effectivement, la statistique publique doit répondre à la demande sociale d'information, il y a un dialogue avec la société civile : l'enjeu démocratique est important.

En 1997, le cadre budgétaire européen était simple, mais pas adapté à l'économie ; il a été modifié, mais au prix d'un empilement de règles, de négociations, et nous en sommes arrivés à un cadre complexe qui ne répond plus aux objectifs assignés. Les propositions de la Commission européenne pour le changer me semblent aller dans le bon sens, il faut faire plus simple, prendre en compte la situation de chaque État membre, allonger les calendriers, mieux considérer l'endettement à moyen terme - tout ceci pour revenir à l'essentiel : la dépense publique et les prélèvements obligatoires, en prenant en compte les investissements jugés nécessaires. Nous savons depuis le départ que la prise en compte du déficit courant biaisait l'appréciation et qu'il fallait inclure les investissements, le sujet revient dans l'actualité et c'est une bonne chose.

Les données numériques changent-elles la vision des finances publiques ? Elles donnent un accès à de l'information plus précise, améliorent la prévision économique et financière, on l'a vu pendant la crise sanitaire. Sur l'euro, je dirais qu'actuellement, on mesure bien l'apport de la monnaie intégrée, une monnaie de puissance à puissance - et je crois qu'on mesure qu'il vaut mieux être dedans, que dehors.