Commission d'enquête sur la lutte contre le dopage

Réunion du 15 mai 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Francesco Ricci-Bitti et Stuart Miller prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Je suis moins ici en tant que président de la fédération internationale de tennis (FIT) qu'en tant que président de l'association des fédérations olympiques, le problème du dopage étant d'ordre général.

M. Stuart Miller, ici présent, responsable de la politique antidopage au sein de la FIT, et du comité exécutif de l'Agence mondiale antidopage (AMA) depuis dix ans, pourra répondre à la commission d'enquête si elle a besoin de détails à ce sujet...

Il était important que nous puissions vous expliquer nos positions et notre vision du futur. Notre organisation est compliquée et peut parfois prêter à confusion. Nous contrôlons en effet le programme antidopage, mais le tennis professionnel comporte beaucoup de composantes : la fédération internationale a ainsi la charge de la Coupe Davis et la Fed Cup, des quatre tournois du Grand Chelem, qui sont indépendants et dont nous ne touchons malheureusement pas les profits, des associations de tennis professionnel féminines et masculines, des huit tournois professionnels ainsi que des petits tournois. Nous sommes donc au sommet et à la base de la pyramide.

À partir de 2004-2005, les associations professionnelles nous en ont confié la responsabilité, du fait de notre plus grande indépendance. Nos investissements en la matière concernent à la fois les tests en compétition et hors compétition.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Quels montants financiers la FIT mobilise-t-elle dans la lutte antidopage ?

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

En ordre de grandeur, le montant des sommes consacrées en 2012 à la lutte antidopage représente un peu moins de 2 millions de dollars. Nous pensons que ce montant va doubler d'ici quelques années, du fait de l'introduction du passeport biologique et autres tests. Les discussions n'ont toutefois pas été aisées, ainsi que vous pouvez l'imaginer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Un certain nombre de recommandations ont été exprimées par l'AMA. En particulier d'augmenter le nombre de contrôles inopinés.

Or, dans les compétitions qui relèvent de votre prérogative, il existe une différence considérable entre le nombre de contrôles inopinés et de contrôles en compétition. Avez-vous l'intention de procéder à un rééquilibrage au cours des années à venir ?

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Chaque sport possède sa spécificité propre. En tennis, la compétition couvre pratiquement 52 semaines. Le problème existe, je ne le nie toutefois pas. L'AMA ne fait qu'une recommandation. Le tennis est un sport qui compte nombre de précompétitions, en particulier durant les semaines précédant le tournoi. Peu de périodes se situent en dehors de la compétition. C'est une spécificité de notre sport.

Notre intention est de suivre la recommandation de l'AMA, dans le respect de la spécificité de notre sport...

Debut de section - Permalien
Stuart Miller

Les tests hors compétition et en compétition se répartissent entre prélèvements d'urine et échantillons de sang. Comme l'a dit le président Ricci-Bitti, la proportion de temps passé hors compétition est moins importante au tennis que pour d'autres sports. Un coureur de marathon peut concourir deux ou trois fois par an, alors qu'un tennisman peut éventuellement jouer durant 30 semaines.

Sur le plan historique, les tests, au tennis, ont pour but de protéger l'événement. Un plus grand nombre de prélèvements est opéré durant cette période. Le code de l'AMA exige désormais que les organisations antidopage mènent des tests en dehors des périodes de compétition. Le nombre de prélèvements réalisés hors des compétitions a donc augmenté. En 2012, 15 % de tous les prélèvements étaient effectués hors compétition, sur un peu plus de 2 000 prélèvements au total. Le code antidopage précise que les organisations antidopage doivent prélever au moins 10 % de leurs échantillons sous forme sanguine. En 2012, 10 % des échantillons constituaient des prélèvements sanguins.

Comme l'a dit le président Ricci-Bitti, à la suite de l'affaire Armstrong, nous avons pris conscience de façon plus aiguë que le panorama de la lutte antidopage évoluait ; nous avons alors procédé à une nouvelle évaluation du risque et sommes arrivés à un accord avec nos partenaires, dans le cadre du programme antidopage, qui consiste à modifier le volume et les types de tests que nous réalisons.

Comme le président l'a également évoqué, nous avons décidé de recourir au passeport biologique. Nous avons donc pris conscience que les outils et les tendances évoluent, et qu'il faut réussir à les suivre. Dans les prochains mois, et à plus long terme encore, on peut penser que des modifications importantes seront apportées à notre programme ; elles dépasseront de loin les recommandations des agences antidopage quant aux valeurs des différents échantillons qu'il convient de prélever.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Patrice Clerc, qui a longtemps été directeur du tournoi de Roland-Garros, a estimé que les agences antidopage étaient passées à côté de l'utilisation potentielle de l'érythropoïétine (EPO) dans le tennis. Ces propos ont d'ailleurs été étayés par les déclarations d'un grand tennisman, Jim Courier.

Pensez-vous que l'EPO a pu sévir dans votre discipline ? Dans l'affirmative, a-t-elle été recherchée ?

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Ce qu'a rapporté la presse m'a étonné... Patrice Clerc connaît bien le tennis. Il a été responsable de Roland-Garros alors que le programme n'était pas cadré comme aujourd'hui. Dans les années 1990, c'est lui qui était en charge, à Roland-Garros, du test qu'il a mentionné.

L'EPO ne recourt pas à un test sanguin, comme l'a dit la presse, mais à un test urinaire standard. Or, ces tests n'avaient pas cours dans les milieux sportifs durant les périodes mentionnées par Patrice Clerc. Il s'agit donc plutôt de convictions personnelles.

Quant au passeport biologique, il détecte les conséquences de l'EPO, non la présence d'EPO même, celle-ci étant détectée dans l'urine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Pouvez-vous nous donner le chiffre du nombre de contrôles d'EPO réalisés chaque année dans le tennis lors des tournois principaux que vous avez évoqués ?

Debut de section - Permalien
Stuart Miller

Tout d'abord, le programme antidopage, dans le tennis, consistant à opérer des prélèvements sanguins pour rechercher l'EPO, existe depuis une dizaine d'années, voire plus.

Une forme simplifiée du passeport biologique existait avant même que l'actuel passeport n'apparaisse. On prélevait des échantillons de sang et on les confiait à des laboratoires, afin de savoir si l'athlète concerné recourait ou non à l'EPO. Ces laboratoires n'étaient pas accrédités par l'AMA. En cas de signes avérés d'utilisation, nous faisions un test spécifique d'urine destiné à rechercher l'EPO. Des dépistages auprès de plusieurs athlètes ont eu lieu au cours de ces douze à treize dernières années.

L'EPO est surtout utilisée dans les sports d'endurance, de façon à faciliter la récupération et à augmenter la capacité du sang de transporter l'oxygène. On peut bien entendu estimer que la prise d'EPO serait intéressante au tennis, les tennismen jouant six à sept matchs en quinze jours dans les grands tournois. Il serait donc quelque peu naïf de croire que l'EPO n'a aucun risque d'y être utilisée dans ce sport. C'est pourquoi nous avons réalisé, dans le cadre du programme antidopage, des essais ciblés en prélevant des échantillons chez des joueurs dont on peut craindre qu'ils courent un risque plus élevé que d'autres.

Nous disposons également d'une sélection aléatoire d'échantillons, à hauteur de 10 %, à des fins d'analyse directe. Nous dépistons par ailleurs d'autres athlètes pour cibler d'autres utilisateurs éventuels.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Quels sont les indicateurs auxquels vous faites référence ? S'agit-il des hématocrites ?

Un seul laboratoire semble concerné, celui de Montréal. Il existe pourtant dans le monde - en particulier dans les pays dans lesquels se déroulent les quatre grands tournois du Grand Chelem - des laboratoires accrédités par l'AMA. Pourquoi concentrer tout cela sur le laboratoire de Montréal ?

Debut de section - Permalien
Stuart Miller

Les paramètres que l'on recherche pour déterminer la présence d'EPO sont les réticulocytes et l'hémoglobine, qui trahissent la stimulation de l'érythropoïèse. C'est un des indicateurs primaires que compte le passeport biologique. Nous mesurons également tous les autres paramètres, - hématocrites, facteurs hématopoïétiques, etc.

Pour ce qui est des laboratoires, nous avons essentiellement recours au laboratoire accrédité par l'AMA, à Montréal, et ce pour des raisons de coût. Le marché de l'analyse des échantillons antidopage est un marché ouvert, les laboratoires étant libres de fixer leurs tarifs.

Nous avons recours à une entreprise autonome sous contrat pour le prélèvement d'échantillons, ce qui permet de réaliser des économies d'échelle. C'est également vrai pour d'autres sports que le tennis...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

L'entreprise privée qui réalise les prélèvements est bien suédoise ?

Debut de section - Permalien
Stuart Miller

En effet. Il s'agit de l'International doping tests and management (IDTM)...

La seconde raison qui explique que les organisations antidopage choisissent tel ou tel laboratoire en particulier est imputable à la nécessité de traiter tous les sportifs de la même façon. Tous les laboratoires n'utilisent pas forcément le même matériel, et certains sont plus sensibles à la détection de certaines substances que d'autres. Il serait délicat de constater qu'un athlète testé positif à une substance par un laboratoire s'avère négatif à cette même substance dans un autre !

Cela étant, ceci ne s'applique pas dans les cas où un suivi est assuré, comme dans le cas du passeport biologique. On envoie alors des échantillons à d'autres laboratoires, dont celui de Chatenay-Malabry, de Lausanne, ou à Cologne. Nous en avons également envoyé à Pékin. L'utilisation des laboratoires est donc de plus en plus diversifiée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Le tennis est un sport où les joueurs demandent davantage de contrôles antidopage, ce qui est étonnant par rapport à d'autres disciplines, mais n'avez-vous pas le sentiment que le rapport d'exclusivité qu'entretient la FIT avec le laboratoire de Montréal crée une forme de dépendance économique ?

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Il ne s'agit là que d'hypothèses. Le problème le plus important est celui de la qualité, et nous disposons d'un service de haute qualité, que ce soit à Montréal ou ailleurs en général.

Si je devais faire un commentaire, je dirais que l'AMA préfère généralement des laboratoires qui ne soient pas liés aux agences nationales.

La politique de communication de l'AMA, à travers l'affaire Armstrong, a focalisé l'attention des médias sur le sport qui contribue à hauteur d'au moins 80 % au budget de l'AMA, créant ainsi beaucoup de confusion.

À l'origine, les fédérations sportives internationales et les gouvernements devaient financer l'AMA à part égale. Dix ans après la création de l'Agence mondiale, il ressort que les fédérations y ont investi 80 à 90 %, alors que les gouvernements n'ont toujours pas fini de payer les jeux d'Athènes !

C'est pourquoi je suis très heureux que, lors du dernier week-end, le comité exécutif de l'AMA ait commencé à opérer certains changements significatifs dans ce domaine. J'ai, à ce propos, demandé officiellement à connaître, sous dix jours, le nom des pays qui se sont dotés d'une loi contre le dopage et le nom de ceux qui ont constitué une agence nationale destinée à lutter contre la fraude. On en compte une dizaine, ce qui, vous en conviendrez, est loin d'être suffisant !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Ce qui vous pose problème, c'est donc le lien entre l'Agence nationale antidopage et le laboratoire de Châtenay-Malabry...

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Le secret pour progresser, en matière de lutte antidopage, réside dans la coopération opérationnelle entre les agences nationales et les fédérations internationales, suivant trois principes : l'exclusivité dans les compétitions, la transparence et la coopération.

Cette année, lors du tournoi professionnel de Montpellier, l'AFLD a réalisé des contrôles antidopage en notre nom. Si M. Genevoix me demande le programme de tests de Roland-Garros, je suis par ailleurs prêt à le lui transmettre et à en discuter avec lui.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Combien compte-t-on de cas reconnus positifs, selon la liste des produits prohibés par l'AMA, sur les 2 000 contrôles réalisés par an ?

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Je n'en connais pas le nombre, mais ce n'est pas un bon paramètre. En effet, parmi les cas positifs figure un finaliste de Roland-Garros, etc.

Si l'on en croit la presse, plus le nombre de joueurs contrôlés positifs est élevé, meilleur est le programme antidopage. Toutefois, si le nombre de cas positifs est trop élevé, c'est qu'il y a un problème ! Il n'y a donc pas de solution ! Ce programme comporte beaucoup de fonctions. La première vise l'éducation. Chaque contrôle positif est un échec. Un effort culturel doit être mené pour progresser avec les agences nationales. Beaucoup ont une attitude différente... Notre priorité est l'éducation et nous sommes très contents que quelques joueurs importants aient contribué à améliorer le programme antidopage après avoir protesté contre son intrusion. C'et donc une évolution positive !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Permettez-moi d'être surpris : sur 2 000 contrôles, pas un seul ne s'est révélé positif. Le tennis serait-il un sport complètement à l'abri des phénomènes de dopage ?

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Certains joueurs très importants dans l'histoire du tennis ont été contrôlés positifs : finalistes de Roland-Garros, joueuses majeures - comme dans tout sport...

Je répète que le pourcentage de cas positifs ne constitue pas un bon paramètre par rapport à l'activité.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Si je comprends bien, en tennis, tout va bien dans le meilleur des mondes ! On fait des contrôles, et on ne trouve pas de cas positif. On en déduit donc que les joueurs respectent les règles, et vous faites, de surcroît, un gros effort en faveur de l'éducation.

Je ne suis pas aussi optimiste que vous ! Pendant trop longtemps, les joueurs n'ont pas voulu de contrôle dans le tennis. En outre, plus on cherche, plus on trouve. Or, je n'ai pas l'impression qu'il existe une volonté de beaucoup chercher, au vu du nombre de contrôles effectués.

Vous nous dites que l'on ne peut réaliser de contrôles inopinés. Mais les joueurs ne jouent pas 52 semaines dans l'année ! Ils ont un certain nombre de tournois à leur programme, et ont des périodes durant lesquelles ils sont en repos ou en préparation. On en connaît les dates, les joueurs devant passer un certain nombre de contrats.

Les contrôles urinaires pendant les périodes de compétition ne valent même pas l'argent que l'on dépense ! Tous les responsables sportifs reconnaissent que la seule détection qui vaille réside dans les contrôles inopinés. Si vous voulez que l'on reconnaisse votre volonté d'aboutir, il faut donc développer les contrôles inopinés !

Nous sommes nous aussi favorables à l'éducation. Elle comporte toutefois la prévention, mais aussi la sanction... Dès lors qu'il n'y a pas de sanction...

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Vous êtes mal informés !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

On vous a posé la question de savoir combien de contrôles s'étaient révélés positifs. Vous ne nous avez pas répondu !

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Je n'ai pas cette information !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

M. Miller, responsable de la politique antidopage, devrait être en mesure de nous répondre !

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Mon français n'est pas très bon. Je n'ai pas répondu parce que je n'ai pas l'information. Je n'ai jamais dit que j'étais optimiste ! J'ai essayé d'expliquer les conditions dans lesquelles le programme antidopage va se dérouler pour le tennis, chaque sport ayant des spécificités propres.

J'ai dit que, lors des compétitions, les tennismen jouent en moyenne trente semaines...

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Ce n'est pas la même chose pour les marathoniens. Nous considérons ainsi la semaine avant Roland-Garros comme hors compétition, et je tiens à dire que l'AMA juge depuis le début notre programme de qualité.

Nous avons contrôlé beaucoup de joueurs positifs et les avons sanctionnés. Certains sont Français. La sanction a été ensuite réduite par le tribunal. Ils sont tous connus, et la presse en a fait état... Nous considérons que la FIT a accompli un travail positif. Le tennis est un sport où le dopage n'a pas un impact direct sur la performance, mais il faut être vigilant : le dopage aide à récupérer, à jouer blessé... Nous avons toujours cherché à privilégier la qualité et non la quantité. L'efficacité d'un programme n'est pas liée à celle-ci.

Vous avez raison de considérer que les contrôles hors compétitions sont plus efficaces, et nous allons évoluer en ce sens, mais nous pensons que le programme existant est déjà très bon.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Il n'en demeure pas moins vrai que vous dites que le tennis n'est pas un sport où on a besoin de produits pour améliorer la performance physique...

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Au tennis, le dopage constitue une aide indirecte. Ce n'est pas ce qui fera un bon joueur !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Il est certain qu'on ne devient pas un bon sportif uniquement parce qu'on est dopé, mais vous ne pouvez pas prétendre que le tennis n'est pas un sport physique, certains matchs durant plus de cinq heures, et les temps de récupération entre les compétitions étant peu élevés. On ne peut nier que les conséquences physiques que cela entraîne puissent justifier une préparation. Pourquoi, durant ces périodes, ne serait-il pas possible de localiser et de contrôler les tennismen, comme dans d'autres disciplines ?

Quand un coureur cycliste n'est pas en compétition, il existe une période pendant laquelle on peut réaliser un contrôle inopiné...

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

C'est la même chose au tennis !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Dans ce cas, pourquoi ne les multipliez-vous pas ?

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Nous disposons d'un tel programme. Il s'agit de la même procédure que dans le cyclisme : chaque joueur doit donner ses horaires quotidiens, 365 jours par an !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Si personne ne le contrôle, convenez que cela ne sert à rien !

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Les contrôles ont bien lieu et sont répertoriés !

Cela étant, je suis d'accord avec votre analyse : le tennis est un sport bien plus physique qu'il ne l'était de mon temps. Il est plus exigeant aussi et nous savons qu'il faut être très vigilant mais nous disposons d'un programme comme tous les sports...

Debut de section - Permalien
Stuart Miller

Je voudrais ajouter quelques chiffres concernant le nombre d'athlètes sanctionnés dans le cadre du programme antidopage...

Depuis 1995, 63 joueurs ont été sanctionnés, soit, en moyenne, 3,5 joueurs par an. En 2012, trois sanctions ont été prononcées. Comme M. Ricci-Bitti l'a dit, certains joueurs forts célèbres - Martina Hingis, Richard Gasquet, etc. - ont été sanctionnés pour avoir violé les règles du programme antidopage au tennis.

Chaque échantillon prélevé dans le cadre du programme antidopage l'est sans préavis. Le joueur concerné n'a aucune idée qu'il a été sélectionné et qu'on va lui prélever un échantillon, tant que l'escorte ne s'est pas présentée à lui. Ceci s'applique à la fois en compétition et hors compétition.

Tous les échantillons prélevés sont analysés pour déterminer s'ils contiennent des substances interdites. L'AMA dispose d'un programme qui exige les coordonnées des athlètes. Tous doivent se soumettre à ces contrôles. Cela dit, ainsi que je l'ai dit, nous savons que nous pouvons faire mieux dans certains domaines. C'est pourquoi nous avons l'intention d'augmenter assez fortement le nombre et la proportion des tests hors compétition. Nous voulons également augmenter le nombre d'échantillons sanguins prélevés, sans parler de l'introduction du passeport biologique.

Ceci se fait sur la base d'une évaluation de bonne foi. Je ne dirai pas que nous esquivons les tests qui sont prévus par le code de l'AMA. Nous y procédons au contraire, et le tennis a été l'un des premiers sports à introduire des tests hors compétition, au début des années 2000, longtemps avant que cette pratique ne devienne obligatoire dans le code de l'AMA.

Il faut reconnaître que certains de ces programmes antidopage ont un coût indirect. Supposons qu'un joueur ait été sanctionné, ou qu'on ait décelé une violation du code. Lorsqu'on lui propose de défendre sa réputation, il est prêt à dépenser des sommes considérables pour ce faire. Nous devons également défendre le programme antidopage et ceci peut coûter fort cher. Il n'est pas inhabituel que nous dépensions des centaines de milliers de dollars pour défendre un cas unique. C'est un engagement assez fort de notre part mais nous estimons qu'il nous incombe de le faire et nous ne le laissons pas aux fédérations nationales.

Il s'agit de dépenser les fonds de façon équilibrée, mais nous envisageons d'aller plus loin que l'immense majorité des programmes antidopage sportifs - prélèvements sanguins, prélèvements d'urine en compétition et hors compétition. N'oublions pas qu'il n'existe que deux disciplines dans le tennis, le simple et le double, alors que l'athlétisme en compte 47 !

J'estime personnellement que ce que nous réussissons à assurer est vraiment de très bonne qualité. Tout ce que le programme s'engage à faire est réalisé, et parfaitement conforme au code antidopage, depuis son introduction, en 2003. Si nous satisfaisons donc à toutes les exigences que l'AMA nous impose, je crois néanmoins qu'il faut aller encore plus loin, de façon à pouvoir s'assurer de l'intégrité de ce jeu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Je suis très difficile à convaincre quand j'entends que ce serait l'argument financier qui empêcherait de réaliser un certain nombre de contrôles. Sauf erreur de ma part, on parle bien ici de tennis professionnel ! Je ne vous demanderai pas de rappeler les gains que perçoivent les champions qui remportent un tournoi ! C'est un sport dans lequel il y a beaucoup d'argent -et cela ne me choque pas...

Pensez-vous que, dans ce contexte, compte tenu des sponsors et des intervenants financiers qui viennent compléter les dotations prévues par les organisateurs, cet argument soit acceptable ? J'ai beaucoup de mal à le comprendre et à l'accepter ! N'êtes-vous pas allé un peu loin dans la manière de justifier l'absence ou l'insuffisance des contrôles ?

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Je vais tenter de vous faire comprendre ma position...

En premier lieu, l'équilibre est toujours nécessaire. Ainsi que je l'ai déjà dit, la quantité ne constitue pas un paramètre pour juger de la qualité d'un programme antidopage, même si les contrôles hors compétition doivent être améliorés au tennis. Nous sommes d'ailleurs en train d'y travailler.

Quant à l'argument financier, notre organisation ne bénéficie pas des sommes considérables que génèrent les tournois. Il faut toujours conserver un équilibre entre l'investissement en faveur de l'éthique et du développement du sport. Le tennis est le seul sport - mis à part, pour le moment, le football et le cricket - à avoir dépensé 2 millions de dollars en faveur de la Tennis integrity unit.

Préserver l'éthique dans le sport passe par trois actions.

La première façon d'y parvenir, c'est de maintenir une équité sur les équipements. En tennis, nous disposons pour ce faire d'un laboratoire, à Londres, où nous testons les balles et les raquettes. Beaucoup d'investissements sont nécessaires en ce domaine, et nous sommes les seuls à les réaliser.

Le second moyen pour oeuvrer en faveur de l'éthique dans le sport est de lutter contre le dopage et le troisième consiste à veiller à l'intégrité du sport, qu'il s'agisse du tennis ou du football, en traitant la corruption générée par les paris en ligne, etc.

Comprenez les problèmes auxquels une autorité sportive internationale est aujourd'hui confrontée... Certes, le tennis n'est pas parfait en matière de lutte contre le dopage, mais nous avons toujours recherché la qualité. Sans faire de comparaisons, je dirais que certains sports privilégient la quantité. Je pense que nous avons, quant à nous, opéré le bon choix.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Je n'irai pas jusqu'à vous demander quels sont, selon vous, les sports qui sont les plus touchés par le dopage. Mes collègues et moi aimerions comprendre la réalité du dopage dans le tennis -s'il existe, ce que je crois...

Les arguments que vous avez développés sont pour certain tout à fait acceptables et nous les acceptons. Je ne pense toutefois pas que le coût des contrôles et des analyses soit un argument acceptable pour un sport de la richesse humaine et sportive comme le tennis.

D'autres sports, moins riche que le vôtre, se prêtent à des contrôles et à des analyses. Je ne pense donc pas qu'il y ait de véritable obstacle uniquement dû aux problèmes d'argent !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Quand des sanctions sont prises par votre fédération, la publicité en est-elle toujours faite ?

Avez-vous par ailleurs déjà été amené à suspendre tel ou tel joueur à l'occasion de tournois internationaux, parce qu'il présentait par exemple des taux d'hémoglobine étonnants ?

Debut de section - Permalien
Stuart Miller

Toutes les organisations antidopage sont dans l'obligation de publier toutes leurs décisions, en tennis comme ailleurs. Chacune des 63 décisions qui ont été prononcées dans le cadre du dopage figure sur le site Internet de la FIT.

Quant à votre question concernant la suspension éventuelle de joueurs, peut-être faites-vous ici allusion à la règle du « no start » que d'autres sports, comme le cyclisme en particulier, ont mis en oeuvre. À ma connaissance, cette règle est le précurseur du passeport biologique, à l'époque où il n'existait pas encore de règle concernant le taux d'hémoglobine contenu dans le sang d'un sportif. Le fait d'avoir un taux élevé représentant un risque pour la santé et la sécurité de l'athlète, c'est sur cette base, et non pour des raisons de lutte contre le dopage, que l'Union cycliste internationale (UCI) a imposé une limite de 50 % au-delà de laquelle un coureur est interdit de départ.

Aucune autre organisation antidopage, selon moi, n'a de règle similaire. Celle-ci a été reprise dans le passeport biologique du sportif. Des variations dans les paramètres sanguins, dont une hémoglobine dépassant 50 %, seraient immédiatement signalées comme dopage probable. Ce qui était une règle motivée par la préservation de la santé du sportif est devenue une règle qui expose lesdits sportifs à des sanctions pour violation du code antidopage.

Je voudrais compléter la réponse apportée à la question du coût. Notre engagement à augmenter les programmes de contrôle de façon importante démontre bien que notre motivation n'est pas financière. Vous aurez compris, je l'espère, que le programme antidopage, dans le domaine du tennis, a une structure financière différente de celle qui existe dans d'autres disciplines, comme le cyclisme et la natation, où beaucoup de prélèvements sont réalisés. N'oublions pas que, dans ce cas, les organisateurs d'événements payent les prélèvements. En cas de test positif, ces échantillons ne sont pas confiés à la fédération internationale, mais envoyés aux fédérations nationales.

Nous avons, pour notre part, décidé d'assumer la totalité de la responsabilité du prélèvement des échantillons, de leur analyse et de la gestion des cas positifs. Nous sommes l'un des rares sports à fonctionner ainsi. En cyclisme, ou en natation, ce sont d'autres qui paient. Bien entendu, s'ils veulent être tenus à l'écart de cette obligation financière, ils doivent interjeter appel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Lorsqu'un tennisman est convaincu de dopage, des mesures de suspension sont sans doute prises par sa fédération nationale, plus que par la FIT.

Qu'en est-il exactement en la matière de l'autorité qui décide de cette suspension, de l'application de la mesure disciplinaire, et de son respect ?

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Comme l'a dit M. Miller, il existe des systèmes différents. La FIT a, dès le départ, décidé d'assumer toutes les responsabilités légales, et nous avons centralisé l'ensemble de nos activités pour être plus efficaces. Les fédérations d'athlétisme et de cyclisme, par exemple, délèguent la question disciplinaire à chaque fédération nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

En août 2012, vous avez pris acte de la suspension par l'USADA du docteur Garcia del Moral. Le docteur del Moral pratiquait la médecine à Valence et travaillait, d'après ce que nous avons pu savoir, avec différents joueurs de tennis, comme semble le reconnaître le site de la FIT. Avez-vous identifié des joueurs ayant recouru aux services du docteur del Moral, et pu discuter avec eux des relations qu'ils entretenaient avec ce praticien ?

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

Personnellement, le docteur del Moral m'a créé bien des problèmes durant les Jeux olympiques. Nous avons cependant fait tout ce que nous devions faire à ce sujet...

Debut de section - Permalien
Stuart Miller

L'histoire du docteur del Moral a commencé avec l'enquête ouverte par l'USADA contre Lance Armstrong, à l'issue de laquelle celui-ci a été suspendu à vie, avec cinq autres personnes - médecins, entraîneurs et responsables de l'équipe.

Apparemment, le docteur del Moral avait déjà commis certaines infractions au code antidopage, surtout concernant l'administration, le trafic et la possession de substances interdites.

Le docteur del Moral, après avoir décidé de ne pas se défendre, a été radié à vie. Le code antidopage dit très clairement que les signataires du code mondial antidopage doivent en respecter toutes les décisions. Cette obligation a été respectée par la FIT.

Il était de notoriété publique que le docteur del Moral avait des liens, via sa clinique et une académie de tennis de Valence, avec des joueurs professionnels de tennis.

Toutefois, l'UCI a publiquement affirmé qu'elle ne reconnaissait, ni ne respectait la décision de l'USADA, mettant en doute sa compétence dans l'affaire Armstrong.

La FIT, quant à elle, a décidé de publier un communiqué de presse se démarquant de cette position, indiquant qu'elle appliquerait la sanction de l'USADA vis-à-vis du docteur del Moral. Ce communiqué de presse est toujours disponible sur le site de la FIT.

Ainsi que l'a dit M. Ricci-Bitti, nous devions également prendre d'autres décisions afin de respecter le code antidopage. Le docteur del Moral n'ayant pas contesté les attaques de l'USADA, nous avons estimé de notre devoir d'enquêter pour déterminer s'il avait ou non commis des infractions au programme antidopage. Nous avons croisé les références concernant ses activités à Valence avec une liste de tennismen qui faisaient partie du programme antidopage. Nous avons interrogé ces derniers individuellement, en septembre 2012, afin d'en apporter la preuve. Nous n'avons trouvé aucun élément probant, et ne pouvons donc porter aucune accusation contre le docteur del Moral.

Nous continuons néanmoins à contrôler toutes les informations relatives au docteur del Moral, lorsque ces données sont disponibles.

Debut de section - Permalien
Francesco Ricci-Bitti

L'initiative de la France, leader sur les sujets d'éthique sportive, est très importante. Il est bon qu'une autorité politique cherche à mieux connaître la réalité du terrain. Nous sommes quant à nous très engagés dans la bataille contre le dopage, et j'espère que nous vous en aurons convaincus. Cette bataille constitue un devoir en matière de santé et d'éthique.

En tant que responsable d'une grande fédération internationale, je tiens à vous remercier de votre engagement dans ce domaine. Je reste très admiratif de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), mise en place par la France, qui constitue un véritable modèle d'agence de régulation pour le monde entier !

Nous restons à votre disposition si vous désirez nous entendre à nouveau.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Jalabert prête serment.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Je voudrais saisir cet instant pour vous délivrer deux messages.

Le premier s'adresse à l'entourage de Philippe Gaumont et est fait au nom de l'ensemble des membres de la commission d'enquête. Nous pensons à sa famille et lui apportons tout notre soutien dans cette épreuve extrêmement difficile et douloureuse.

Le second est un message de transparence pour le monde du cyclisme. Vous savez que dans cette commission d'enquête, nous essayons d'être juste et de nous pencher sur les pratiques de l'ensemble des disciplines, sans viser tel ou tel sport. En cyclisme la parole s'est déjà un peu libérée, parce que le dopage y est présent depuis longtemps et parce qu'il a connu des épisodes judiciaires très médiatisés. Nous pensons que cette parole publique est saine dans tous les sports et peut amener à une évolution des pratiques.

Dans le cadre de la commission d'enquête, je souhaite signaler que nous avons demandé au ministère des sports et à huit grandes fédérations de nous fournir un certain nombre de documents relatifs à la lutte antidopage.

S'agissant du ministère, parmi plusieurs centaines d'éléments, nous avons demandé les procès-verbaux des prélèvements réalisés sur les tours de France 1998 et 1999.

Nous avons très récemment reçu les copies des procès-verbaux du Tour de France 1998 et nous remercions le ministère des sports pour sa pleine coopération.

Nous sommes donc aujourd'hui à même de faire les rapprochements entre les numéros des flacons inscrits sur les analyses de détection d'érythropoïétine (EPO) réalisées par le laboratoire de Châtenay-Malabry en 2005, et les procès-verbaux de prélèvement sur lesquels sont inscrits les noms des coureurs.

Nous n'avons pas eu d'expertise médicale sur ces résultats et n'avons pas encore pris de décision sur la façon dont nous les utiliserons. Cette décision sera d'ailleurs arrêtée collectivement.

Néanmoins, il m'est apparu aujourd'hui nécessaire, par souci d'honnêteté intellectuelle, de transparence et de franchise, d'indiquer à l'ensemble des acteurs du cyclisme, et notamment tous ceux qu'il nous reste à auditionner, que ces documents nous ont été fournis. Je profite donc de la publicité donnée à cette audition pour faire cette annonce.

Je termine en souhaitant à M. Jalabert une bonne fin de convalescence.

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Je vous remercie d'avoir eu la patience d'attendre que mon état de santé s'améliore pour m'entendre.

J'ai eu un grave accident le 11 mars dernier. Vous m'avez convoqué dans les jours qui ont suivi. J'ai répondu que j'étais très honoré et que je serais présent, mais qu'il me fallait pour cela retrouver mes capacités physiques et pouvoir me déplacer.

Les choses se sont améliorées depuis, mais je pensais que je récupérerais plus vite. Les traitements médicaux que je prends pour soulager mes douleurs altèrent parfois ma concentration. C'est cependant un honneur pour moi de me trouver dans cette enceinte pour traiter d'un sujet qui, en ma qualité d'observateur, tant du milieu sportif en général, que du cyclisme en particulier, revient de façon régulière.

J'ai effectivement pratiqué beaucoup de disciplines. J'ai démarré le sport amateur à l'âge de douze ans. J'ai eu la chance de faire une carrière professionnelle et, aujourd'hui encore, je pratique le sport de façon régulière et intense, sauf événement fâcheux, comme cela a été le cas dernièrement.

J'ai été cycliste professionnel il y a de nombreuses années, mais je suis également un observateur du monde du sport et du cyclisme en particulier, notamment par le biais de prestations de consultant technique auprès de certains médias. J'ai aussi assumé le rôle de manager de l'équipe de France durant quatre années, pour les championnats du monde et les Jeux olympiques, période pendent lesquelles j'ai été directement en relation avec les coureurs actuels.

Mon analyse du cyclisme et des autres disciplines que j'ai pu pratiquer a évolué au fil du temps. J'ai aujourd'hui un regard plus transversal, ayant eu l'occasion, grâce aux Jeux olympiques, de côtoyer de près certaines disciplines et en pouvant apprécier la valeur des exploits réalisés par les athlètes.

Je suis ici pour évoquer avec vous les questions concernant l'efficacité de la lutte contre le dopage. Il me semble qu'aujourd'hui, quand on suit un événement sportif - le vélo en particulier - les gens ne se posent pas tant la question de savoir combien gagne l'athlète, quel braquet il a utilisé ou en combien de temps il a remporté l'épreuve, mais plutôt s'il est « chargé » ou non...

Cette question, le grand public, les journalistes, les commentateurs, les pouvoirs politiques, les instances du cyclisme se la posent. C'est une suspicion parfois lourde à porter quand on est passionné par un sport, et il est difficile d'admettre que tous les sports ne soient pas placés sur un pied d'égalité en matière de lutte antidopage.

J'ai essayé de réfléchir à des solutions efficaces en matière de lutte antidopage, bien qu'elle le soit à mon sens aujourd'hui dans le vélo, même si ce n'est pas l'image que le public en retient. On peut même dire que pour le cyclisme, c'est quelque peu contre-productif. Il a fait, après l'affaire Festina, les efforts qui s'imposaient. Il y a eu une prise de conscience générale d'un phénomène qu'il fallait enrayer. Les pouvoirs sportifs ont décidé de mettre en place des contrôles plus rigoureux, d'abord sanguins, puis un suivi longitudinal et la détection des transfusions sanguines. Il existe en outre aujourd'hui le passeport biologique, la géolocalisation ; les coureurs cyclistes professionnels sont enfin parmi les rares athlètes à devoir fournir leur emploi du temps quotidien...

Le cyclisme a donc été pilote en matière de mise en place de mesures antidopage. Je pense qu'il y a eu un avant et un après Festina. On a pris conscience que le cyclisme n'était pas sur la bonne voie, qu'il fallait évoluer et changer les choses.

Je pense qu'il y a toujours eu du dopage dans le sport... Il y en a eu dans le cyclisme ; il y en a probablement beaucoup moins aujourd'hui, mais je ne suis pas convaincu qu'il n'y en a plus du tout. C'est une lutte de tous les instants, qu'il faut continuer, mais qui doit aussi s'élargir pour qu'il y ait équité entre le cyclisme, souvent montré du doigt, et les autres sports, où on a l'impression, comme avant 1998 dans le monde du vélo, que le problème ne les concerne pas !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Merci pour cette intervention liminaire, avec laquelle nous avons certainement un certain nombre d'idées en commun. Nous avons entendu un certain nombre de choses, et commençons peu à peu à nous faire notre opinion.

La parole est au rapporteur...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Nous souhaitions vous auditionner notamment parce que vous étiez, il y a encore quelques semaines, sélectionneur de l'équipe de France de cyclisme, occupant donc une place essentielle dans la situation du cyclisme, mais également, comme nous l'avons fait tout à l'heure avec Richard Virenque et, il y a quelques semaines, avec un certain nombre d'autres coureurs, pour revenir sur la période pendant laquelle vous étiez compétiteur.

L'une des raisons qui nous a poussés à créer cette commission, c'est le traumatisme créé par l'affaire Armstrong, qui a admis avoir consommé des produits dopants tout au long de sa carrière cycliste. Sur la forme, considérez-vous que les grands champions cyclistes doivent assumer une sorte de devoir de vérité par rapport à toute cette période ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Armstrong est, selon moi, un athlète hors norme depuis son plus jeune âge. Il était déjà physiquement très fort lorsqu'il était, aux États-Unis, champion junior de triathlon. Il a déboulé dans le cyclisme avec beaucoup d'arrogance. C'est ce qui a d'ailleurs beaucoup déplu, y compris aux coureurs. Il ne respectait pas vraiment la hiérarchie, mais il s'est imposé par la force, en étant champion du monde. Il a démontré qu'il avait une faculté de se concentrer sur un seul objectif, sans jamais en dévier : gagner le Tour de France. On a appris trop tard que, pendant toute cette période, il nous avait bernés !

Je l'ai connu avant qu'il ne soit atteint d'un cancer. C'était déjà un rival de taille, mais j'arrivais à le suivre sans problème sur des épreuves d'une semaine, ou sur des classiques d'un jour. Après sa guérison, il a incarné le héros américain de bandes dessinées, qui a survécu à la mort, et qui devient plus fort que quiconque.

Beaucoup de spectateurs ou de compétiteurs ont ensuite éprouvé un sentiment d'impuissance : quand la course était dure, il était intraitable. On ne savait comment se débarrasser de ce garçon, bien plus fort que tout le monde !

J'ai eu le malheur de dire, à Hawaï, où je me trouvais pour un triathlon, en octobre, au moment où l'affaire Armstrong touchait à son terme, et au moment où l'Union cycliste internationale (UCI) l'a déchu de ces sept couronnes remportées lors du Tour de France, que c'était malgré tout un immense champion. Les mots ont sans doute dépassé ma pensée mais c'est un athlète hors norme, j'en suis convaincu. Je pense que ce garçon a des qualités physiques et mentales largement au-dessus de la moyenne, même s'il a fauté. Peut-être son envie de pouvoir l'a-t-elle poussé à devenir ce qu'il est devenu... La justice est passée. Cependant, il est dommage que la sanction soit tombée treize ans après sa première victoire.

Il y a, je crois, un effort à faire en matière de délais de condamnation entre l'acte frauduleux et la sanction. On attend parfois en effet plusieurs années. Il a fallu, par exemple, quatre ans pour que Floyd Landis soit déchu de son titre de vainqueur du Tour de France. Ce sont des procédures beaucoup trop longues ! Je ne sais dans quelle mesure on peut y remédier, mais il me semble que tout le monde y gagnerait, le vélo et - surtout - le public. J'imagine que cela coûterait en outre bien moins cher...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Notre souci est d'améliorer la lutte contre le dopage, qui remonte à un passé récent, notamment durant les années 1990. Vous avez été cycliste de 1989 à 2002, période particulière concernant l'utilisation de l'EPO. Très franchement, quelles ont été vos relations avec le dopage durant cette période ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Je pense que le dopage a toujours existé dans le vélo, mais on en a pris vraiment conscience lors de l'affaire Festina. C'est à ce moment que la vérité a éclaté aux yeux du grand public, et qu'il est apparu que la réalité devait être prise en considération. Peut-être avait-on un sentiment détaché par rapport au dopage jusqu'alors...

Pendant ces années-là, j'ai couru pour trois écuries, en faisant pleinement confiance au staff des équipes parmi lesquelles j'ai évolué. L'une était française, l'autre espagnole, la dernière danoise. Je n'ai pas choisi : c'est le hasard de la vie qui a fait que j'ai trouvé refuge en Espagne quand l'équipe Toshiba s'est arrêtée ; j'ai ensuite quitté Once, avec qui j'étais en désaccord, et où j'étais probablement resté trop longtemps... J'ai signé un contrat au Danemark, alors que je souhaitais revenir dans une équipe française. Cela n'a pas a été possible, je ne sais pourquoi. J'étais pourtant huitième coureur mondial.

En intégrant des groupes sportifs dont on est salarié, on dispose de tout un encadrement, qu'il s'agisse du management, de la partie mécanique, ou de la partie médicale. J'avais complètement confiance à mon staff. Il fallait parfois faire face à des problèmes qui, lorsque nous étions en compétition, nécessitaient de recourir à un produit interdit, en ayant une autorisation médicale. J'ai donc parfois fait usage de produits, lorsque c'était nécessaire, pour des lésions avérées, mais je puis vous assurer qu'à aucun moment je n'ai cherché, en quelque manière que ce soit, à rencontrer des médecins, ou d'autres personnes, pour tenter d'améliorer mes performances. Je n'ai jamais participé à la « course à l'armement », ni dépensé un franc - à l'époque, nous n'étions pas encore passés à l'euro - pour consulter, ou acheter des produits interdits. Ce n'était pas dans ma culture, ni dans mes envies. Il est toutefois vrai que je ne puis dire si j'étais soigné de manière illégale ou non. Aujourd'hui, je n'en ai pas la certitude.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Pouviez-vous échapper à ce que vous avez appelé la « course à l'armement » ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Sans vouloir être prétentieux, j'ai fait partie, depuis tout jeune, des meilleurs de ma catégorie. J'étais en équipe de France junior ; j'ai été professionnel à vingt ans ; j'ai remporté des courses... Aujourd'hui, certains athlètes français, qui ont l'âge que j'avais à l'époque, gagnent des courses qui ne sont pas plus importantes que celles que j'ai gagnées alors. J'étais un athlète plein de qualités, un puncheur, et j'arrivais, grâce à cette explosivité, à tirer partie de certaines difficultés pour obtenir de grandes victoires.

J'ai eu une progression régulière, mais je n'ai fait, sur le Tour de France, qu'un seul classement au Top 10, en terminant une fois quatrième, au cours d'une échappée de 200 kilomètres, comme cela arrive rarement. Ce jour-là, Miguel Indurain était dans une forme catastrophique. Nous avons pu prendre le large et arriver à Mende avec un certain nombre de minutes d'avance. Sans cette journée, je n'aurais probablement pas réalisé de Top 10...

Après le Tour de France de 1995, je me suis mis à rêver que le Tour de France était à ma portée et que je pouvais gagner. Les journalistes m'ont d'ailleurs présenté comme un rival direct de Miguel Indurain. Dès la première étape de montagne, lors du Tour de France de 1996, je me suis brûlé les ailes et j'ai disparu de la circulation. J'ai reçu là une claque mais, à aucun moment, je n'ai souhaité participer à la course à l'armement pour gagner le Tour de France ! Cela ne m'intéressait pas !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Vous avez quand même gagné le Tour d'Espagne !

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

J'ai en effet gagné le Tour d'Espagne, qui dure trois semaines, mais il ne s'agit pas de la même épreuve que le Tour de France. Les qualités de récupération, je les ai, mais j'ai eu beaucoup de faiblesses. Ce tour-là, je l'ai gagné parce que nous disposions d'une équipe forte. Il s'est présenté une situation analogue à celle qui s'était présentée à Mende, en 1995, et je me suis retrouvé leader très tôt dans la course, qui a alors été verrouillée. J'avoue avoir cependant eu les pires difficultés, la dernière semaine, à conserver ce maillot jaune. Cela ne s'est pas vu, parce que le cyclisme est également une partie de bluff : il faut savoir cacher ses faiblesses à l'adversaire.

Le niveau n'était pas le même, pas plus que l'engagement physique. On était en outre au mois de septembre. J'ai toujours mieux performé à certaines périodes qu'à d'autres. J'ai souvent été bon en mars-avril, en difficulté en été et mieux sur la fin de saison...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Pour être en forme en fin de saison, que ce soit au printemps ou à un autre moment, le rôle des médecins est en théorie important.

Quelles ont été vos relations avec les médecins des trois équipes auxquelles vous avez appartenu ? Aviez-vous avec eux des relations de confiance ou vous méfiiez-vous, à l'époque, de ce qu'ils pouvaient éventuellement prescrire ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Aucune prescription ne m'a jamais été établie, et je n'ai jamais détenu de produits à mon domicile.

En compétition, les médecins étaient toujours présents. Dans ma première équipe, je crois me souvenir que le médecin était un médecin du Comité olympique international (CIO). Je ne me souviens plus très bien de la manière dont les choses fonctionnaient. Chez Once, le soir des étapes, le médecin passait nous dispenser un soin de récupération ; nous n'avions pas vraiment connaissance de ce dont il s'agissait.

Ai-je été trompé ou non ? Je ne le crois pas. Certes les contrôles sont faciles à déjouer, mais j'en ai passé de nombreux. A aucun moment, je n'ai été tendu, stressé, inquiet. Je ne me suis jamais soustrait à l'un d'eux.

J'aurais aimé courir encore durant les années 2010. Je pense que j'aurais été capable de gagner encore davantage !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Vous aviez donc des relations de confiance avec les médecins. N'y avait-il pas de risque qu'ils vous fassent avaler tel ou tel comprimé plutôt que tel autre, ou vous injecte je ne sais quoi ? Cette crainte n'existe-t-elle pas toujours ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Cette crainte peut exister un moment, puis une relation de confiance s'installe. Les questions, nous ne les posions plus. Personnellement, je ne les posais pas. Quand le Tour de France de 1998 a connu tous ces dénouements, comme d'autres, nous avons été arrêtés, perquisitionnés, retenus dans les chambres ; le bus a été dépouillé de tous ses médicaments, le docteur a été emmené en garde à vue, sans que personne ne sache ce qui se passait. J'ai passé trois ou quatre heures avec un commissaire qui voulait me faire avouer que j'étais un tricheur. Il n'est rien ressorti de tout cela.

Je ne peux affirmer que je n'ai jamais rien pris d'illicite. Il y a eu des moments où je savais que des corticoïdes, pour soigner des pathologies précises, m'ont été administrés, avec une autorisation thérapeutique.

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Il n'y en a pas eu tant que cela... Nous avions des carnets de santé, sur lesquels devait figurer la prescription. On le signalait donc au moment du contrôle. Jamais je n'ai reçu le moindre avis d'anomalie de qui que ce soit, lors d'un contrôle médical.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Le 1er juillet 2009, vous aviez donné une interview à La Dépêche et déclaré - je vous cite : « Le jour où je voudrais parler du dopage, je ferai un livre. Ce n'est pas un sujet tabou. Il faudrait plus parler de certaines personnes que de certaines pratiques, que l'on connaît par coeur ». Pouvez-vous nous en dire plus aujourd'hui ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Je n'ai pas le souvenir de cette déclaration... Nous étions soignés, je n'ai jamais dit le contraire. Étions-nous dopés ? Je ne le pense pas...

J'ai également dit qu'à aucun moment je n'ai cherché à rencontrer qui que ce soit pour améliorer mes performances, ni même acheté un produit interdit.

Après l'affaire Festina, un certain nombre de réglementations ont changé. Les injections étaient interdites en France. Je les ai refusées lorsqu'on m'en a proposé. Certaines ont pris conscience du phénomène et ont voulu évoluer ; d'autres ont fait comme si rien ne s'était passé. Je fais partie de ceux qui ont voulu changer, en essayant de faire évoluer le sport dans la bonne direction. Cela ne m'a pas empêché d'avoir des résultats probants lors des deux derniers Tours de France, qui ont presque été les meilleurs pour moi !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Vous disiez qu'il faudrait parler davantage de certaines personnes que de certaines pratiques. Pensiez-vous à certains médecins ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Je ne me rappelle pas de cette interview...

Le docteur de l'équipe Once portait le surnom de « docteur Citroën », par opposition à la façon dont le docteur Ferrari, administrait des potions magiques aux coureurs de son équipe. La chose était connue. Le « docteur Citroën » ne voulait pas prendre de risque pour la santé.

Je sens bien que vous voulez me faire dire que je n'étais pas clair mais, dans ces années-là...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Si tel avait été le cas, je vous aurais posé directement la question !

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

C'est un large sujet que celui de l'efficacité de la lutte contre le dopage. Vous m'avez demandé de répondre à des questions, j'y réponds sans problème...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

En 2009, en devenant sélectionneur de l'équipe de France, avez-vous évoqué la problématique du dopage avec le président de la fédération ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Pas du tout ! Les relations avec la fédération sont un peu particulières. J'ai été sélectionneur durant quatre ans, sans avoir jamais eu de contrat, bien que ce soit écrit dans les journaux et de notoriété publique ! J'avais une indemnité de 15 000 euros par an tout compris. Mes déplacements me prenaient une quinzaine de jours par an. Étant donné tous les coups que j'ai pris, cette fonction ne méritait pas que je m'investisse autant !

Le président n'a pas été le premier à me la proposer. En 2002 ou 2003, au moment où j'ai arrêté ma carrière, Patrick Cluzaud, directeur technique national, me l'avait déjà proposée. J'avais estimé que c'était trop tôt. Je sortais du peloton, je connaissais bien les coureurs et je n'avais pas une âme de manager. D'autres activités se mettaient en place et je n'ai pas voulu « charger la mule ». Je voulais également profiter de ma famille...

En 2009, quand M. Lappartient, qui venait d'arriver, m'a dit qu'il aimerait bien que je sois sélectionneur de l'équipe de France, je me suis dit : « Pourquoi pas ? J'ai appris, je connais, j'ai gagné des courses, j'ai participé aux plus grandes compétitions, j'ai côtoyé le haut niveau et j'ai l'habitude de préparer de grands rendez-vous... Pourquoi ne pas transmettre cette expérience à la jeune génération ? » ? J'ai accepté...

La première année a été très difficile, la nomination du sélectionneur n'étant pas du ressort de la fédération, mais de la ligue... Je n'y étais pour rien. Le président n'était pas d'accord avec cette interprétation. J'ai ensuite voulu conseiller les coureurs que j'ai sélectionnés pour les mondiaux, afin de leur faire comprendre qu'une course de 260 kilomètres, qui se joue dans la dernière heure, ne peut se gagner en s'entraînant seulement cinq heures par jour. Cela me paraissait normal pour des cyclistes professionnels. Les entraîneurs des équipes me sont tombés dessus, pensant que j'allais m'immiscer dans leur travail. J'ai abandonné et me suis contenté de sélectionner les coureurs.

Vous évoquiez l'aspect médical. La fédération française de cyclisme compte un médecin, Armand Mégret. Je n'ai jamais eu de feuille de route... La directrice internationale m'a dit de lui donner les noms des coureurs une fois sélectionnés, la fédération souhaitant, avant les championnats du monde, qu'ils aient validé le quatrième volet du suivi longitudinal. Une fois ma liste de vingt coureurs arrêtée, début août ou mi-août, je la donnais à la fédération. Pour autant, je ne suis jamais allé fouiller dans les valises des coureurs qui ont participé aux championnats du monde, m'en tenant à une stratégie de course et à essayer de construire une équipe performante.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

On dit souvent qu'en France, les coureurs pourraient pâtir de la forte lutte antidopage menée dans notre pays. Que pensez-vous de cette affirmation ? Peut-elle avoir une influence sur les résultats des athlètes français ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Ce n'est pas le sentiment que j'ai aujourd'hui, au vu des résultats, la France figurant parmi les nations qui ont le plus gagné depuis le début de la saison. Peut-être est-elle en retrait sur certaines compétitions, comme les grands classiques du calendrier, tel Liège-Bastogne-Liège par exemple. On n'est pas en mesure de « jouer la gagne », mais il faut dire que Voeckler s'était cassé la clavicule peu de temps avant. Il aurait pu être parmi les finalistes... On a beaucoup gagné cette année...

J'ai l'impression que la lutte contre le dopage, dans le cyclisme, a porté ses fruits, malgré tout ce que l'on peut entendre. La peur du gendarme, les contrôles inopinés, le passeport biologique, les contrôles ciblés, ont permis de resserrer le filet et de sortir momentanément les tricheurs du jeu, en leur laissant cependant une seconde chance.

J'ai la conviction qu'il s'agit d'une lutte efficace, même si elle comporte quelques lacunes vis-à-vis de méthodes qui ne sont pas encore détectables. Que faire face à cela ? Je ne suis pas certain que le fait de conserver des flacons en vue d'analyses ultérieures permette véritablement de faire avancer les choses...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Quels moyens seraient-ils selon vous efficaces et quels sont ceux qui remportent vos suffrages ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

J'ai relevé quelques axes de réflexion... Le cyclisme a été pilote en matière de suivi longitudinal, de contrôle sanguin, de passeport biologique, de détection des manipulations sanguines, de localisation des athlètes et de contrôles inopinés ciblés. Je crois savoir que peu de fédérations lui ont emboîté le pas...

Je ne suis pas ici pour faire le procès des autres sports. J'adore le sport, et j'ai beaucoup de respect pour les autres sportifs. Cependant, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a réalisé, en 2012, 1 812 contrôles dans le cyclisme, pour 112 600 licenciés, soit 1,6 %. C'est peu ! Au rugby, on a enregistré 588 contrôles pour 322 000 licenciés, soit 0,2 %. C'est moins... Le football a connu 548 contrôles pour 2 225 000 licenciés, soit 0,02 % Le tennis n'apparaît même pas dans la liste ; on recense moins de 400 contrôles pour 1 125 000 licenciés, soit moins de 0,035 % !

Il faudrait que le nombre de contrôles soit équitable entre les fédérations. On parle beaucoup du cyclisme et de ses problèmes, qui font les choux gras de la presse. Peut-être cela fait-il un peu avancer les choses mais, en matière de lutte antidopage, il me semble qu'on devrait s'inspirer de ce qui se fait dans le vélo et qui apporte des résultats.

J'ai discuté il y a peu avec un manager de rugby de troisième division, qui a reconnu que le monde du rugby comptait peu de contrôles. Lorsque cela arrive, le contrôleur donne, une heure avant le match, le nom des trois joueurs qui vont être contrôlés. Dans le vélo, je n'ai jamais connu cela ! Je veux bien que l'on affirme que tous les coureurs cyclistes sont dopés, qu'on n'ait aucun respect pour les anciens champions, que l'on considère que leurs performances sont tronquées, mais j'aimerais aussi, pour que l'on puisse comparer, que tout le monde soit placé sur un pied d'égalité. Or, les chiffres démontrent le contraire ! Il me semble qu'il faudrait tenir compte du nombre de licenciés en cas de contrôles dans les différentes disciplines sportives et harmoniser la réglementation sportive. Le cyclisme - français en particulier - a voulu faire le ménage. Les choses sont en bonne voie, même si elles ne sont pas parfaites. Les méthodes employées sont efficaces, à condition d'y mettre les moyens.

La lutte antidopage coûte mais, dans le vélo, les équipes participent. Les organisateurs également. Ce ne sont pas ceux qui gagnent le plus d'argent ! Une équipe de vélo, aujourd'hui, dispose d'un budget moindre qu'une équipe de rugby - et je ne parle même pas du football ! Le vélo n'a aucune autre ressource que le partenariat. Si un coureur triche, il place cinquante personnes dans la difficulté.

Une des difficultés du vélo est peut-être d'être un sport dispersé à travers les pays ou le continent alors que, dans les sports collectifs, tout le monde est rassemblé au même endroit, s'entraîne en même temps. Est-ce une incitation au dopage ? C'est difficile à dire...

Dans une période de doute, lorsqu'on ignore si l'on va faire ou non le Tour, que l'on ne sait pas si son contrat va être renouvelé, cela peut pousser à la tentation...

Le dopage, ce n'est pas seulement courir vite ou pédaler longtemps. Cela peut aussi concerner, par exemple, la précision du tir ou la lutte contre le soleil. Je ne crois pas qu'il existe aujourd'hui une véritable équité dans la façon de lutter contre le dopage dans notre pays.

La devise de notre pays est « Liberté, égalité, fraternité ». Je ne vois pas où se situe l'égalité dans cette affaire ! Il en va de même des sanctions...

Il y a deux ou trois ans, lors du Tour de France, Kolobnev se fait prendre pour l'utilisation frauduleuse d'un diurétique. Il est éliminé du Tour de France, suspendu pour deux ans ; cette suspension est ramenée à un an par sa fédération. Un an plus tard, quasiment jour pour jour, Cesar Cielo se fait prendre pour avoir utilisé la même substance : il a pu participer aux championnats du monde, la décision ayant été cassée pour vice de forme ! Dans quel monde vit-on ? Est-on sur la même planète ? A-t-on les mêmes droits ? Le dopage ne touche-t-il que le monde du cyclisme, ou le sport dans son ensemble ?

Des gens vont bien se charger d'aller rechercher les anciens champions, et essayer de savoir si leurs performances sont vraiment honnêtes ! Certaines personnes en font leur fonds de commerce et pensent qu'il suffit de multiplier la pente par le poids pour savoir si le coureur est dopé ou non. Personnellement, je ne me rappelle pas de la moitié des étapes du Tour d'Espagne ! J'ai peut-être pris un coup à la tête lors de mon accident, mais je me demande comment on peut affirmer que tel ou tel n'était pas clair parce qu'il a gravi un col à telle ou telle allure !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Que pensez-vous de votre collègue Bassons ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Je le connais. Il a la réputation d'un coureur sain, et tout le monde la lui reconnaît...

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Quel jugement portez-vous sur l'action que Bassons a voulu mener contre le dopage ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

C'est aujourd'hui son travail. Je crois qu'il est impliqué au niveau départemental ou régional. Je trouve cela très bien...

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Il a mis sa carrière en jeu, et l'a d'ailleurs arrêtée de façon brutale, après avoir été victime de menaces de la part d'Armstrong...

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Armstrong est un tortionnaire ! J'ai dit qu'il avait des qualités athlétiques hors norme, et je le maintiens. Il m'a un jour menacé, lors d'un Paris-Nice. Il nous avait attaqués toute la journée ; au moment de l'arrivée, à Millau, dans la dernière montée, il attaque. On part tous les deux. J'arrive à le suivre : il se met à côté de moi, et me dit : « C'est moi qui gagne l'étape ! ». S'il gagnait l'étape, je perdais le maillot blanc de leader... Les choses se sont jouées aux bonifications. Je lui ai dit : « Tu gagnes si tu peux ! ». Je l'ai battu au sommet ! Pour moi, il n'y avait pas d'irrégularité. Il a cru que j'allais pieusement respecter ce qu'il avait dit. Le lendemain matin, il m'a dit : « Il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas ; tu vas me le payer ! ».

C'est quelqu'un de très rancunier. J'ai souvenir du Tour de France 2000, particulièrement difficile pour moi. J'étais en très grande difficulté, naviguant loin de la tête. Je cherchais alors une équipe, ayant décidé de quitter Once. Il m'est arrivé d'attaquer loin de l'arrivée, en début d'étape. Il crie immédiatement à ses coureurs de rouler derrière. J'étais à deux heures au classement général, ne représentant aucun danger ! J'ai vraiment eu le sentiment de payer l'épisode précédent.

Je connais l'histoire de Christophe Bassons. Elle n'est pas unique. Un coureur italien a également été menacé par Armstrong, qui a cherché à l'intimider. Je pense que Bassons a eu tort de s'arrêter. Il avait des qualités - et les a d'ailleurs encore. Comme moi, il continue à pratiquer le sport. Nous sommes originaires du même endroit. Nous étions dans le même club, avons eu le même entraîneur et la même formation quand nous étions jeunes - même si nous n'avons pas le même âge.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Avez-vous perçu une sorte de complaisance de la part de l'UCI, un certain laisser-aller, dans la lutte contre le dopage ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Je ne saurais le dire. Les contrôles étaient pratiqués de la même façon... Je n'ai pas lu le rapport sur l'affaire Armstrong, mais on laisse entendre qu'il aurait été protégé. Si c'est vrai, c'est inqualifiable ! Si on ne peut plus faire confiance au pouvoir sportif, qui est là pour appliquer les règles, où va-t-on ? Je n'ai pas eu ce sentiment - mais cela ne veut pas dire que ce ne soit pas le cas. Je n'en sais rien...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Pensez-vous que les produits utilisés durant les années 1990 soient toujours utilisés ? Existe-t-il une nouvelle génération ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Comment le savoir, si ce n'est en opérant des contrôles ? Nombre de produits tolérés dans les années 1990, comme les corticoïdes, sous certaines conditions, ont été ensuite retirés.

Aujourd'hui, un problème de tendinite entraîne un arrêt de travail de deux semaines. A l'époque on m'avait autorisé une infiltration ; aujourd'hui, je serais obligé de m'arrêter.

Les coureurs prennent-ils toujours de l'EPO ? Il me semble que ce se serait stupide, car elle se détecte ! Ils sont sûrs de se faire prendre. Cependant, là où on ne cherche pas, on ne risque pas de trouver ! Y en a-t-il ailleurs ? La question peut se poser pour les sports dits « techniques ». Le vélo est souvent assimilé à un sport physique. Il faut appuyer fort sur les pédales, et il serait normal que les coureurs soient obligés de se doper ! Aujourd'hui, je comprends cette vision : désormais, j'évite les côtes et, quand je les monte, elles me brûlent les cuisses. Il faut rouler des kilomètres pour progresser.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Vous êtes passé par trois équipes différentes. Avez-vous perçu des différences entre les encadrements ?

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

En effet. Dans ma dernière équipe, les médecins étaient présents, mais certains coureurs préféraient être soignés ailleurs. Cela préoccupait le manager, qui avait instauré un contrôle interne à la veille des courses. Il contrôlait les coureurs qu'il jugeait suspect, pour s'assurer qu'ils étaient dans la bonne ligne de conduite.

Les médecins de l'équipe qui pratiquaient ces contrôles, au bout de quelques semaines, me demandaient s'il était nécessaire que je pratique ces contrôles. Je leur répondais que je voulais bien les faire, mais que ce n'était pas utile...

Je ne sais si vous vous souvenez de l'étape de Sanary, où Armstrong m'a doublé à quatre kilomètres de l'arrivée, et m'a tapé sur la fesse en me disant : « Suis-moi ! ». J'avais, ce jour-là, pris une échappée au départ, et fais quasiment tous les cols en tête ensuite. J'ai souvent regretté d'être parti seul, car la journée a été extrêmement difficile... Ce matin-là, nous avons eu un contrôle à l'hôtel. Mon taux d'hématocrite était de 39. Cela ne m'a posé aucun problème pour attaquer ensuite ! J'ai été deux fois meilleur grimpeur du Tour de France, sans avoir des valeurs hors norme ! J'ai simplement adapté ma course et mes qualités du moment à mes ambitions, à mes objectifs. Je savais que je n'étais pas capable de lutter pour le classement général. Je me suis rendu compte, en 1996, que le Tour de France n'était pas fait pour moi !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Vous avez laissé entendre qu'à côté du médecin officiel de l'équipe, il pouvait y avoir des médecins satellites, à la périphérie des coureurs...

Debut de section - Permalien
Laurent Jalabert

Oui, j'en suis convaincu. Il me semble qu'une équipe structurée, avec un médecin attitré, est probablement la meilleure solution - à condition que cette personne soit intègre. C'est pourquoi j'ai eu le sentiment de ne pas avoir été trahi, et qu'à aucun moment je n'ai eu recours à qui que ce soit, à l'extérieur des équipes dont j'ai fait partie.

J'ai aujourd'hui la conviction que l'on peut courir le Tour de France sans se doper, et obtenir des résultats. Je veux bien admettre que le vélo est une discipline qui mérite tous les blâmes, mais j'aimerais bien qu'un jour, on reconnaisse que c'est un sport qui a été avant-gardiste en matière de lutte antidopage, qui a su prendre ses responsabilités. Il est malhonnête de le montrer aujourd'hui comme la discipline qui compte la seule catégorie de tricheurs du sport.

Selon moi, le dopage n'est pas l'apanage du sport professionnel, il existe aussi dans le sport amateur. Je fais depuis de nombreuses années de la course à pied, du vélo, du triathlon. J'ai une âme de sportif, et je pense que ce sera le cas jusqu'à la fin de mes jours. C'est une question de bien-être, et cela m'a probablement sauvé la vie lors de mon accident. J'ai été retrouvé en état de défaut respiratoire, et si je n'avais pas eu un coeur entraîné et solide, vous n'auriez pu m'auditionner ! Le vélo santé est donc mon credo. Or, la seule fois où j'ai été contrôlé depuis que j'ai arrêté ma carrière, c'est lors de trois courses cyclosportives.

Je n'ai jamais subi un contrôle en triathlon, ou sur une course à pied. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas, mais je n'ai jamais été contrôlé. Toutefois, à chaque fois que quelqu'un est venu faire un contrôle sur une cyclosportive, j'ai été tiré au sort !

Il serait bon de mettre le nez dans les sports d'amateurs. Ce n'est par l'argent qui induit la tricherie, mais la performance, l'envie d'être meilleur, qui peut pousser à tricher.

Il y a trois ans, sur un championnat de France, un collègue de France Télévisions m'a informé d'une grosse polémique en salle de presse. Certaines affirmaient en effet que j'avais été déclaré positif sur un triathlon. Si je prends aujourd'hui des médicaments à cause de mon accident, je suis contre. Quand je fais du sport, c'est pour mon plaisir. Quel intérêt aurais-je à me mentir ? J'ai demandé à ces journalistes d'où ils tenaient leur information. Ils m'ont répondu que c'était une source sûre, sans pouvoir me dire laquelle. Je leur ai dit n'avoir jamais été positif au triathlon, et d'ailleurs n'avoir jamais été contrôlé ! Il s'agissait du triathlon de Belfort, auquel je n'ai jamais participé !

La personne à l'origine de cette rumeur a tenu des propos injurieux à mon égard : selon elle, je m'étais mis au triathlon pour écouler mon stock de seringues, etc. Il est sûr qu'il est plus facile de boire de la bière au comptoir que d'aller à la piscine apprendre à nager !

Je suis un vrai sportif, j'aime le port. Je souhaiterais que l'on puisse un jour arrêter de se poser les questions que l'on se pose concernant le cyclisme et qu'on s'interroge sur les autres disciplines, certaines performances me semblant inquiétantes -mais vous devez le savoir !